M. le président. La parole est à M. David Assouline, vice-président de la commission.
M. David Assouline, vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Tous les arguments ont été avancés sur cet amendement, mais j’aimerais insister sur le fait que consulter les utilisateurs et prendre en compte leur avis ne serait pas sans conséquences.
Les sociétés de gestion des droits d’auteurs sont toutes les mêmes. Elles sont toutes composées de la même manière. La disposition qui nous est proposée nécessiterait donc une réforme d’ensemble et une large concertation. Or tel n’est pas l’objet du texte qui nous est aujourd'hui soumis.
En outre, la représentation des utilisateurs – les présidents d’universités, les bibliothécaires, vous, nous… – serait impossible à mettre en œuvre.
Enfin, telle n’est pas la vocation des sociétés de gestion des droits d’auteurs.
Néanmoins, vous posez une bonne question, chère collègue. Peut-être le fonctionnement de ces sociétés, en particulier sur les questions de rémunération, est-il opaque pour le grand public ?
Mais franchement, s’il était adopté, votre amendement déstabiliserait un système très précis, très codifié. Il introduirait un élément peu professionnel.
M. le président. Madame Gillot, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
Mme Dominique Gillot. Non, je vais le retirer, monsieur le président, car je n’ai pas l’intention de bloquer l’adoption de ce texte essentiel.
J’entends bien les arguments qui sont avancés. Toutefois, il me semble important que l’on puisse trancher entre les considérations marchandes et les considérations culturelles.
Mon intention n’est pas que tous les consommateurs soient représentés au sein de ces sociétés, je tiens juste à ce que l’intérêt des utilisateurs soit pris en compte. À cet égard, j’ai bien précisé qui étaient les utilisateurs. Pour mémoire, il s’agit des universités, de bibliothèques publiques, lesquelles formeront le lectorat qui donnera une nouvelle vie commerciale aux œuvres mises à disposition.
Ce que je souhaite, c’est que cette nouvelle vie commerciale ne se fasse pas au détriment des capacités d’utilisation des utilisateurs publics.
Je reviendrai sur cette question, car il me semble nécessaire de préserver les intérêts des utilisateurs publics. Ce sont eux qui feront la promotion de la lecture publique et qui, je le répète, formeront la future clientèle des livres numériques.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Mme Gillot et moi avons déjà évoqué cette question. Nous avons en commun la volonté de faire en sorte que toutes les possibilités offertes par la numérisation soient pleinement utilisées.
Je suggère donc, ma chère collègue, que nous nous ralliions à l’amendement de Mme le rapporteur qui tend à prévoir l’introduction d’un commissaire du Gouvernement. Ce matin, en commission, j’ai même proposé que le rôle de ce dernier soit précisé davantage de façon à être sûr qu’il agira de façon active.
Sur ce point, nos préoccupations convergent absolument, chère collègue.
M. le président. Madame Gillot, l'amendement n° 3 est donc retiré ?
Mme Dominique Gillot. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.
L'amendement n° 4, présenté par Mme D. Gillot et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le montant des sommes perçues par un auteur au titre d’un livre ne peut être inférieur au montant des sommes perçues par l’éditeur ;
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Nous souhaitons sécuriser la situation des auteurs dans le cadre de l’exploitation numérique de leurs œuvres.
Il est essentiel que cette exploitation constitue pour eux non pas un préjudice, mais une nouvelle chance. Aussi souhaitons-nous que ce mode d’exploitation leur garantisse une rémunération au moins égale à celle de l’éditeur.
La disposition que nous proposons est d’une grande souplesse. Cet amendement tend en effet à laisser ouverte la négociation entre les parties pour fixer les taux de rémunération, soit au cas par cas, soit par le biais d’accords collectifs.
En l’absence de tels accords, je souhaite qu’on garantisse une répartition des droits à parité entre l’éditeur et l’auteur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bariza Khiari, rapporteure. La commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Je partage complètement votre inquiétude, chère collègue. La disposition que vous nous proposez permettrait de protéger les auteurs et d’éviter qu’un rapport de force qui leur serait ponctuellement défavorable au sein de la société de gestion ne nuise à leurs intérêts.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Gillot. Vous allez rompre cette belle unanimité ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement pense que le quantum de rémunération ne doit pas être fixé dans la loi. La rémunération des titulaires de droits doit être librement déterminée par la société de gestion collective dans la mesure où elle est le corollaire du transfert de l’exercice de leur droit d’exploitation organisé par la loi.
De plus, les auteurs et les éditeurs étant représentés à parité parmi les sociétés et au sein des organes dirigeants de la société, votre souci de préserver la juste rémunération des auteurs sera pris en compte, madame la sénatrice.
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par Mme Khiari, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Remplacer les mots :
pour identifier et retrouver les titulaires de droits
par les mots :
afin d’effectuer des recherches avérées et sérieuses permettant d’identifier et de retrouver les titulaires de droits
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Cet amendement vise à renforcer les obligations des sociétés de perception et de répartition des droits agréées, lesquelles devront se donner les moyens d'effectuer des recherches avérées et sérieuses afin d'identifier et de retrouver les ayants droit des livres indisponibles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. La précision que vise à introduire l’amendement est utile. Le Gouvernement y est donc favorable.
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mme Khiari, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« IV. - Un commissaire du Gouvernement participe aux assemblées délibérantes de la ou des sociétés agréées. Il s'assure notamment que les recherches avérées et sérieuses de titulaires de droits ont bien été menées.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Voici l’amendement que nous attendions !
Il a pour objet de renforcer le contrôle sur les sociétés de perception et de répartition des droits agréées. À cet effet, il tend à prévoir qu’un commissaire du Gouvernement participera à leurs assemblées délibérantes – conseil d'administration, directoire ou assemblée générale. Il aura notamment pour rôle de s'assurer que les recherches des ayants droit sont effectivement menées à bien.
Cet amendement devrait vous satisfaire en partie, madame Gillot, monsieur Legendre : l’intérêt général sera garanti par la présence du commissaire du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Avis favorable ! Nous nous retrouvons tous sur cet amendement, mesdames, messieurs les sénateurs !
En effet, la désignation d’un commissaire du Gouvernement permettra de mieux prendre en compte les intérêts des ayants droit qui ne seraient éventuellement pas représentés au sein de la société de gestion collective. Vous avez donc satisfaction, madame Gillot.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 25, présenté par Mme Khiari, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 134-4. – I. - L’auteur ou l’éditeur disposant du droit de reproduction sous une forme imprimée d’un livre indisponible peut s’opposer à l’exercice du droit d'autorisation mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 134-3 par une société de perception et de répartition des droits agréée. Cette opposition est notifiée par écrit à l’organisme mentionné au premier alinéa de l’article L. 134-2 au plus tard six mois après l’inscription du livre concerné dans la base de données mentionnée au même alinéa.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Cet amendement a une visée rédactionnelle.
Il renforce en outre la possibilité pour les auteurs de ne pas intégrer le système de gestion collective en indiquant par avance, avant même l'inscription de l'un de leurs livres dans la base de données des livres indisponibles, qu'ils s'opposent à l'exercice du droit d'autorisation d'exploitation par les sociétés de perception et de répartition des droits, les SPRD.
Autrement dit, cet amendement vise à permettre aux auteurs d’exprimer a priori leur opposition, bien avant que leurs livres soient indexés par la BNF.
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Cukierman et Gonthier-Maurin, M. Le Scouarnec et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 16, seconde phrase
Remplacer les mots :
six mois
par les mots :
un an
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 9 que je maintiens par cohérence intellectuelle. La même cohérence de la part du Gouvernement et de la commission aboutira, je pense, à ce qu’il connaisse le même sort !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 25 et 11 ?
M. Patrick Ollier, ministre. Mme Cukierman lit les intentions du Gouvernement comme dans un livre ouvert ! Mêmes causes, mêmes effets : nous préférons maintenir les six mois. Aussi, Mme Cukierman, je souhaiterais que vous retiriez l’amendement n° 11.
En revanche, l’amendement n° 25 apportant une précision utile, le Gouvernement y est favorable.
M. le président. Madame Cukierman, l’amendement n° 11 est-il maintenu ?
Mme Cécile Cukierman. Il est maintenu, monsieur le président.
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 11 n'a plus d'objet.
L'amendement n° 26, présenté par Mme Khiari, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 17
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Après l'expiration du délai mentionné au premier alinéa, l'auteur d'un livre indisponible peut s'opposer à l'exercice du droit de reproduction ou de représentation de ce livre si la reproduction ou la représentation de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation. Ce droit est exercé sans indemnisation.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Cet amendement vise à permettre aux auteurs, mis par la loi dans une situation de présomption d'accord pour l'intégration de leurs livres dans un système de gestion collective, d'exercer à tout moment leur droit d'empêcher l'exploitation d'un de leurs ouvrages qui pourrait nuire à leur honneur ou à leur réputation, sans contrepartie financière à l'éditeur.
Disons les choses plus simplement : des livres ont pu être produits dans des périodes particulières, pendant la guerre par exemple. Des propos tenus ou écrits à cette occasion peuvent être regrettés par la suite. Cet amendement vise à donner aux auteurs la possibilité d’empêcher l'exploitation d’une œuvre quand elle pourrait nuire à leur honneur ou leur réputation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement retient les raisons liées à l’histoire que Mme le rapporteur vient d’évoquer. Il est donc favorable à cet amendement qui introduit une nouvelle disposition protectrice du droit exclusif de l’auteur.
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par Mme Khiari, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 17
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Après l'expiration du délai mentionné au premier alinéa, l'héritier de l'auteur d'un livre indisponible peut, si la reproduction ou la représentation de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation, demander l'insertion de l'expression de son désaccord sur le contenu du livre. Ce droit est exercé sans indemnisation et dans des conditions définies par décret.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Cet amendement a été adopté par la commission afin de pouvoir être discuté en séance publique. Je dois avouer avoir été assez isolée au sein de la commission dans sa défense. Je suis néanmoins convaincue de sa pertinence.
La présente proposition de loi prévoit un dispositif très spécifique qui vise à déposséder les ayants droit de la possibilité d’autoriser la publication des livres indisponibles. Certains héritiers vont donc voir réapparaître des œuvres totalement inconnues d’eux-mêmes comme du grand public, rédigées dans des contextes très particuliers, comme ceux que je viens de rappeler, et susceptibles de nuire à leur réputation.
Il n’est pas proposé ici de les autoriser à censurer l’ouvrage. Cet amendement vise uniquement à les autoriser, s’ils ont outrepassé le délai de six mois leur permettant de s’opposer à la publication, d’exprimer leur désaccord sur le contenu de l'œuvre. Il s’agit en quelque sorte de leur permettre de se prémunir contre les réactions du grand public à la réédition en format numérique d’un ouvrage sorti de son anonymat et de son contexte.
En réalité, nous souhaitions proposer que les ayants droit puissent rédiger une postface pour manifester leur désaccord, ce qui a suscité un débat au sein de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement est bien ennuyé ! D’un côté, il comprend l’intention de Mme le rapporteur. Mais, d’un autre côté, la rédaction de l’amendement, visant à autoriser l’héritier à « demander l’insertion de l’expression de son désaccord sur le contenu du livre », lui paraît quelque peu incertaine sur le plan juridique. Or nous écrivons la loi. Il faut que sa rédaction soit certaine, pour que ses conséquences ne soient pas détournées de son but.
Je souhaiterais donc, madame le rapporteur, que vous puissiez continuer à travailler sur sa rédaction au cours de la navette.
Pour l’instant, le Gouvernement est défavorable à cet amendement, dans l’attente du travail qui sera mené conjointement avec l’Assemblée nationale pour lui trouver une rédaction plus précise juridiquement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Nous avons effectivement eu un débat en commission sur cet amendement ce matin. Nous en comprenons tous l’intention. Nous avons tous été d’accord pour accorder à l’auteur le droit de retirer ou de ne pas faire republier un livre, s’il estime avoir commis antérieurement une erreur ou si le livre contenait des idées qu’il regrette d’avoir exprimées.
Mais donner à un ayant droit, cinq, dix, voire trente ans plus tard, le droit d’écrire sur la nouvelle publication tout le mal qu’il pense de l’auteur, pose à mon avis un sérieux problème.
L’honneur d’un auteur peut être entaché par une publication. L’honneur de Céline ne s’est jamais remis de la publication de Bagatelles pour un massacre. Mais faut-il pour autant donner à un petit-fils ou à un arrière-neveu, bref à un quelconque ayant droit, le droit de fustiger une œuvre dont la reproduction aurait été décidée ? C’est à l’opinion publique de se faire juge, pas à un ayant droit.
Voilà pourquoi nous avons souhaité, Mme le rapporteur et moi, que ce débat ait lieu en séance publique, dans le souci de protéger les auteurs, mais aussi de respecter la liberté d’appréciation du public.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Même si elle part d’un sentiment juste et louable, cette proposition d’amendement, qui vise à protéger les ayants droit, peut être dangereuse dans la mesure où elle leur donne un pouvoir qu’ils n’ont pas à avoir : celui de juger publiquement une œuvre.
Ce n’est pas à la loi de se prononcer sur la manière de régler les problèmes familiaux, si douloureux et compliqués soient-ils. Il faut laisser les auteurs maîtres de leurs œuvres et responsables des conséquences qu’elles peuvent avoir. Les ayants droit ne sont là, s’ils le souhaitent, que pour acter. Libre à eux d’exprimer publiquement, dans un autre ouvrage, dans la presse ou sur internet, leur désapprobation !
La question méritait en tout cas d’être posée, et la réflexion doit se poursuivre. Il faut donc faire preuve de sagesse sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Plancade. L’histoire est l’histoire. Ce qui a été dit a été dit, ce qui a été fait a été fait ! Jacques Legendre vient d’exprimer, avec la délicatesse qu’on lui connaît, son sentiment sur le sujet, et je souscris totalement à ses propos.
Je souhaite que cet amendement soit retiré car il étend le périmètre de la liberté des ayants droit au-delà de ses limites. Je me demande même s’il fallait voter l’amendement n° 26. Un auteur peut regretter ce qu’il a écrit. Il a aussi le droit de le redire, plus tard. Mais l’histoire n’a pas à être déformée. Or là, on en arrive presque à la contrefaçon historique.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.
Mme Dominique Gillot. Autant je pense que l’on peut laisser à l’auteur la liberté de s’opposer à la réédition de son livre – c’est l’objet de l’amendement n° 26 – car cela n’empêche pas son livre d’exister et d’être disponible pour les chercheurs et les historiens, autant il me semble que donner à des ayants droit, dont on ne connaît pas les antécédents, dont on ne connaît ni le lien ni les antagonismes avec l’auteur, un droit d’atteinte à l’œuvre qui subsiste après la disparition de ce dernier est excessif.
Comme l’indiquait Mme Cukierman, les ayants droit peuvent toujours s’exprimer par le biais de la presse ou d’un ouvrage contradictoire. C’est justement ainsi que se construit l’histoire : par l’échange d’arguments opposés qui sont jugés par l’opinion publique dans une perspective historique.
Quant à l’honneur et la réputation d’une personne, je pense que les historiens eux-mêmes ne peuvent pas nous en donner de définition, car elle change au fil des années et des époques successives. L’histoire est faite d’analyses et de points de vue différents qui convergent ou divergent tour à tour.
Je ne voterai donc pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, vice-président de la commission.
M. David Assouline, vice-président de la commission de la culture. Ce n’est pas qu’une question d’histoire, c’est aussi une question de nature de l’œuvre. Les liens temporels, familiaux, de l’ayant droit avec l’auteur d’une œuvre peuvent parfois s’avérer pour le moins bizarres. L’ayant droit ne peut donc, au moment où une œuvre est remise à la disposition du public, avoir le droit de la dénigrer par l’adjonction d’une postface sur l’ouvrage lui-même ! En revanche, les ayants droit, comme les historiens, les journalistes, les critiques et bien d’autres ont le droit de s’exprimer et de dire ce qu’ils pensent de l’œuvre vingt ou cent ans après sa publication.
Il ne faut pas oublier que l’ayant droit a six mois pour refuser la publication de l’œuvre. (M. Plancade acquiesce.) S’il juge qu’elle est vraiment attentatoire à sa réputation, ou s’il ne veut simplement pas qu’elle soit rééditée, il peut en refuser la publication. Mais n’allons pas plus loin ! Ne mettons pas le doigt dans un processus que nous ne maîtrisons pas.
D’autant que, évoluant dans le monde moderne – il faut toujours considérer le droit en fonction de l’époque –, cet ayant droit aura tout loisir de se démarquer de l’œuvre et de dire ce qu’il en pense grâce à Internet, dans un blog par exemple.
M. Jean-Pierre Plancade. Évidemment !
M. David Assouline, vice-président de la commission de la culture. Il est vrai qu’avant il fallait « coller » à l’édition pour pouvoir atteindre les lecteurs de l’œuvre. Aujourd'hui, les moyens d’exposer sa position par rapport à elle sont plus larges et dépassent le cercle de ses lecteurs.
Aussi, je souhaiterais que cet amendement soit retiré,…ce que je pourrais faire moi-même d’ailleurs ! (Rires et applaudissements sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Ce débat est très intéressant et doit donc être poursuivi.
En définitive, les droits des ayants droit sont d’ordre juridique et financier.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Et moral !
Mme Dominique Gillot. Ils ont droit à l’intégrité de l’œuvre.
M. Patrick Ollier, ministre. Sont-ils d’ordre intellectuel ? Pour pousser le raisonnement un peu loin, peut-on imaginer qu’à côté d’un tableau de Picasso – heureusement, d’ailleurs, que cette proposition de loi concerne non pas toutes les œuvres mais les livres seulement ! – un ayant droit explique que ledit tableau comporte des éléments qu’il n’approuve pas ? Cela me semble impensable ! De la même manière, peut-on donner à un ayant droit le droit de livrer son appréciation sur le contenu d’une œuvre écrite il y a des décennies, par un auteur aujourd'hui décédé, et ce par une mention sur l’œuvre elle-même ?
Le Gouvernement est interpellé par la nature de l’amendement. Il est prêt à en discuter, mais il préférerait que Mme le rapporteur accepte de le retirer.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Sur l’injonction du vice-président de la commission je vais donc retirer cet amendement ! (Sourires.) Je tiens simplement à dire que de la discussion jaillit la lumière. Ce débat est intéressant, et il doit se poursuivre.
Monsieur le ministre, vous avez raison, ce serait dommage pour tous qu’un ayant droit veuille placer un carré blanc sur l’Origine du monde de Courbet ! (Nouveaux sourires.)
L’amendement n° 27 visait plutôt à protéger les droits moraux des ayants droit. Un ayant droit partageant le patronyme d’un auteur peut considérer que son honneur ou sa réputation seront offensés.
De toute façon, il était utile que ce débat ait lieu. Le compte rendu en sera publié au Journal officiel. Peut-être l’Assemblée nationale pourra-t-elle, ultérieurement, introduire dans le texte, des éléments plus intéressants ou pertinents sur le plan juridique.
M. le président. L’amendement n° 27 est retiré.
L’amendement n° 28, présenté par Mme Khiari, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. – L'éditeur ayant notifié son opposition dans les conditions prévues au premier alinéa est tenu d'exploiter dans les deux ans suivant cette notification le livre indisponible concerné. Il doit apporter par tout moyen la preuve de l'exploitation effective du livre à la société agréée en vertu de l'article L. 134-3. À défaut d'exploitation du livre dans le délai imparti, la mention de l'opposition est supprimée dans la base de données mentionnée à l'article L. 134-2 et le droit d'autoriser sa reproduction et sa représentation sous une forme numérique est exercé dans les conditions prévues au deuxième alinéa du I de l'article L. 134-3.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Cet amendement vise à soulager la BNF de la mission consistant à juger l’effectivité de l’exploitation des livres indisponibles. Il ne convient pas en effet d’ajouter à sa mission présente, qui est claire, des tâches complémentaires.
La SPRD doit être l’interlocuteur unique des éditeurs, s’agissant des preuves que ceux-ci doivent apporter de l’exploitation effective des livres indisponibles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, car il vise à permettre un meilleur contrôle par la SPRD de l’exploitation effective de l’œuvre par l’éditeur.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mme D. Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’exploitation de l’œuvre dans les conditions prévues au présent article ne préjuge pas de l’application des articles L. 132-12 et L. 132-17.
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Cet amendement tend à préciser que l’obligation faite à l’éditeur d’assurer l’exploitation et la diffusion d’une œuvre qu’il a éditée, ainsi que les conditions de rupture et de résiliation du contrat d’édition, prévues aux termes du code de la propriété intellectuelle, s’applique même dans le cadre de l’exploitation obligatoire pendant deux ans de cette œuvre, découlant de l’opposition de l’éditeur de confier l’exploitation numérique de celle-ci à une SPRD.
Il s’agit de préciser que l’exploitation effective de l’œuvre en mode numérique ne doit pas interférer avec l’épuisement de l’œuvre, déjà prévu dans le code de la propriété intellectuelle. Cette disposition est protectrice aussi bien des auteurs, qui pourront contester l’exploitation, que des éditeurs, qui pourront continuer à se prévaloir des clauses de résiliation pour le livre papier prévues aux termes du contrat d’édition. Cette précision vise donc à garantir les droits de chacun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Bariza Khiari, rapporteure. Cet amendement apporte une clarification pertinente. En effet, l’éditeur devra prouver, dans le cadre de l’article L.134-4, qu’il exploite le livre de manière effective. L’interprétation qui sera faite de cette notion par la SPRD ne doit pas préjuger de celle qui pourrait être faite par les juges s’agissant de l’exploitation permanente et suivie, au sens de l’article L.132-12 du code de la propriété intellectuelle.
L’avis de la commission est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Je comprends le souci de Mme Gillot mais, en la matière, les articles L. 132-12 et L. 132-17 du code de la propriété intellectuelle relatifs au droit d’auteur s’appliquent de plein droit. Toutefois, si cela allait sans dire, cela va peut-être mieux en le disant...
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat.