M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Roland Courteau, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant trente ans, de 1966 à 1996, la France a conduit des essais nucléaires sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa, cent quatre-vingt-treize essais au total, avant de cesser définitivement les essais nucléaires et de démanteler les installations au sol.
Nous nous souvenons tous des tensions internationales qui ont accompagné ces campagnes d’essais, notamment dans les derniers temps.
La présente proposition de loi, dont Richard Tuheiava a pris l’initiative, met l’accent sur un point qui, en revanche, n’a guère été soumis à la représentation nationale : les conséquences environnementales de ces essais.
Elle nous invite également à mettre en place les conditions d’une meilleure coopération entre les autorités nationales et les collectivités et populations de Polynésie française.
Seize ans après la fin des essais nucléaires, en effet, il est temps de reconnaître que la question des atolls de Moruroa et de Fangataufa est l’affaire des Polynésiens. Ces deux atolls ne sont distants que d’une centaine de kilomètres de l’atoll habité le plus proche, celui de Tureia. Les autres communes mentionnées dans la proposition de loi, à savoir les Gambier, Nukutuvake, Hao, sont situées un peu plus loin. Certaines retombées des essais aériens ont même atteint Tahiti, à 1 250 kilomètres environ.
Un retour en arrière sur les conditions d’implantation du centre d’expérimentation du Pacifique, l’organisme qui a réalisé les essais, permettra de mieux comprendre cette proposition de loi.
Les travaux d’installation de ce centre d’expérimentation ont en effet commencé avant même la cession des atolls. La délibération de l’assemblée territoriale de Polynésie française qui a autorisé cette cession, le 6 février 1964, mérite aussi d’être citée. Elle a autorisé la cession sans demander de contrepartie, tout en prévoyant que, lorsque les activités du centre d’expérimentation auraient pris fin, les deux atolls retourneraient au domaine public de la Polynésie française « dans l’état où ils se trouveront à cette époque, sans dédommagement ni réparation d’aucune sorte de la part de l’État ». Surprenant !
Ces termes permettent de comprendre à quel point les Polynésiens étaient peu informés des conséquences environnementales des essais nucléaires, car, près de deux cents essais nucléaires plus tard, il est bien évident que l’État conserve une responsabilité particulière à l’égard de ces sites.
Entre 1966 et 1974, quarante-six essais aériens ont entraîné la diffusion de particules radioactives dans les différentes couches de l’atmosphère ; certains ont entraîné des contaminations locales au sol par des matières radioactives. Par ailleurs, cinq kilogrammes – c’est du moins le chiffre qui m’a été communiqué – de plutonium reposeraient aujourd’hui dans les sédiments des lagons, ainsi que sur un banc immergé près de la couronne de l’atoll de Moruroa. Les autorités ont choisi de ne pas y toucher, une éventuelle décontamination paraissant trop complexe et trop risquée.
Puis, en raison du caractère trop polluant des essais atmosphériques, cent quarante-sept essais souterrains ont été réalisés entre 1975 et 1996, au fond de puits creusés pour l’occasion. Ces puits contiennent toujours des produits de fission engendrés par l’explosion, ainsi que des déchets nucléaires divers, stockés dans des fûts enfouis et recouverts de béton. Deux puits ont d’ailleurs été creusés spécifiquement pour contenir ces déchets.
Je ne crois pas que l’on puisse se satisfaire de cette situation. Les deux atolls sont-ils donc condamnés à servir de lieux de stockage de déchets nucléaires, à être de véritables poubelles nucléaires, sans espoir de parvenir un jour à une réelle réhabilitation ? Voilà une question majeure !
Certes, rapport officiel après rapport officiel, la situation radiologique est, paraît-il, considérée comme satisfaisante. Il convient toutefois de vérifier, par exemple, que le plutonium ne contamine pas des lieux où sa présence n’est pas aujourd’hui repérée.
D’autres inquiétudes importantes portent sur la stabilité géomécanique des atolls.
Un atoll est un milieu fragile : plusieurs centaines de mètres de couche calcaire, d’origine corallienne, reposent sur un socle basaltique. La surface affleure à peine, à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer.
Or les essais souterrains ont gravement endommagé le sous-sol. Des fissures, des affaissements de surface ont été constatés. En 1979, un tir souterrain effectué à Moruroa a fait basculer dans l’océan un bloc corallien qui a déclenché la formation d’une vague de deux mètres de hauteur, causant des blessures parmi le personnel présent sur place.
Face à ce risque, on ne peut certes pas accuser les autorités militaires d’avoir été inactives jusqu’à présent, je le reconnais, monsieur le ministre. Un double système d’urgence est prévu. En cas d’effondrement limité, comme celui de 1979, une alerte à 90 secondes donne aux personnels présents sur l’atoll de Moruroa le temps de se réfugier sur des plateformes conçues à cet effet. En cas d’effondrement plus important, des signes avant-coureurs devraient en principe survenir – j’emploie le conditionnel à dessein – quelques jours à l’avance, peut-être quelques heures, ce qui permettrait de prendre les mesures appropriées.
Mais ces mesures sont-elles suffisantes ? Personnellement, je n’en suis pas du tout convaincu. En tout cas, une étude publiée il y a un an a suscité une vive émotion en Polynésie : elle indiquait qu’un effondrement de terrain à Moruroa pourrait, dans certaines circonstances, déclencher la formation d’une « vague » qui atteindrait, en dix minutes seulement, l’atoll voisin de Tureia. Les spécialistes qui m’en ont parlé ne veulent pas employer le terme de « tsunami ». Pour ma part, je l’utilise sans hésitation aucune. De toute façon, l’effet serait dévastateur. Du reste, quelques semaines après la publication de cette étude, un tsunami a dévasté la côte est du Japon, montrant à quel point il est dangereux de sous-estimer ce risque…
Cela dit, si les autorités ne sont pas inactives, le fruit de leur activité manque encore de transparence, monsieur le ministre. Des rapports ont été réalisés, des chiffres ont été rendus publics, des rencontres ont été organisées en Polynésie française. Pourtant, les Polynésiens ont toujours le sentiment de ne pas être entendus et de ne pas avoir accès à toutes les données. En un mot, ils sentent qu’ils sont maintenus à l’écart, alors que le temps passe et que le secret est de moins en moins justifié. Y aurait-il d’autres choses à cacher ? C’est une question !
Il est temps, je le crois, de restaurer la confiance en améliorant la diffusion d’informations concernant la situation exacte des deux atolls sur les plans radiologique et géomécanique, mais aussi en s’assurant de la participation des autorités locales et des populations.
Mes chers collègues, c’est tout ce qui fait, à mon sens, la valeur de cette proposition de loi.
Son contexte est, il est vrai, particulier puisque le Sénat se prononce dans le respect du statut d’autonomie de la Polynésie française, inscrit dans la Constitution et précisé par la loi organique du 27 février 2004. Les autorités de la Polynésie française disposent en effet d’une compétence générale, celle de l’État étant limitée aux matières mentionnées dans cette loi organique.
Ainsi l’assemblée de la Polynésie française a-t-elle été saisie de ce texte, conformément à l’article 9 de la loi organique. Elle a rendu son avis ce lundi, approuvant à une nette majorité la proposition de loi de Richard Tuheiava telle qu’elle ressort des travaux de la commission de l’économie.
Un débat prolongé a eu lieu, au cours duquel a été notamment évoquée l’application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Je note que l’assemblée de la Polynésie française a finalement renoncé à inclure dans son avis une demande de modification de la loi du 5 janvier 2010, consciente que le présent texte porte sur un sujet distinct, à savoir les conséquences environnementales des essais nucléaires. Telle a également été mon analyse au cours des travaux que j’ai menés sur ce texte.
Cela dit, au vu des conséquences sur l’environnement des essais nucléaires, il faudra bien revenir sur l’application de la loi du 5 janvier 2010. En effet, sur 632 dossiers, deux seulement ont abouti à une indemnisation.
Monsieur le ministre, vous avez présidé, le 20 octobre dernier, la première réunion de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires. La loi du 5 janvier 2010 ne donne-t-elle pas des marges de manœuvre au niveau réglementaire, par exemple sur la définition des zones géographiques permettant aux habitants de soumettre des dossiers ? Il me paraît nécessaire et urgent que des initiatives soient prises en ce sens, en attendant d’éventuelles modifications plus substantielles.
J’en viens à présent au contenu même de la proposition de loi. Notre commission l’a approuvé dans l’ensemble, tout en apportant quelques adaptations ponctuelles.
Je commencerai par un point de toponymie. La plupart d’entre nous ont toujours entendu parler des essais nucléaires de « Mururoa », en omettant d’ailleurs les essais de Fangataufa. En fait, le nom véritable de l’atoll est « Moruroa ». C’est l’appellation employée de manière constante en Polynésie française pour désigner cet atoll, mais également, de plus en plus, en dehors de celle-ci. C’est donc avec raison que la présente proposition de loi utilise cette graphie. Afin d’éviter tout risque de confusion, la commission a néanmoins souhaité ajouter à l’article 1er la graphie « Mururoa » entre parenthèses.
Sur le fond, l’article 1er vise à rétrocéder les atolls de Moruroa et de Fangataufa au domaine public de la Polynésie française.
Il faut certes, comme me l’ont expliqué les représentants du ministère de la défense que j’ai auditionnés, garantir la sécurité des matières radioactives encore présentes sur ces sites et éviter la diffusion d’informations confidentielles qu’un examen trop approfondi des puits d’essai pourrait, paraît-il, apporter à des tiers.
Je crois pourtant possible et souhaitable de concilier ces impératifs de sécurité, qui requièrent la présence d’une force de surveillance permanente, et le transfert du droit de propriété à la Polynésie française.
Il faut faire observer que le transfert prévu par l’article 1er n’aurait d’effet, pour le moment, que pour la partie terrestre des atolls, le domaine public maritime étant régi par les dispositions de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française. Ce serait donc un premier pas, mais il serait d’une très grande portée symbolique.
Enfin, l’État devra bien sûr, comme l’indique le second alinéa, conserver les charges de réhabilitation environnementale ainsi que de surveillance radiologique et géomécanique qu’il exerce déjà sous la responsabilité du ministère de la défense, en coopération avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
L’article 2 prohibe la recherche à des fins militaires sur ces deux atolls. Il répond à une inquiétude du ministère de la défense et vise à éviter l’exercice d’activités potentiellement dangereuses sur les atolls. En tout état de cause, il paraîtrait malvenu d’utiliser les atolls pour des recherches militaires.
L’article 3 complète, lui aussi, l’article 1er. Il prévoit que la surveillance radiologique et géomécanique doit être assurée par l’État, en coopération avec la Polynésie française et les communes environnantes. C’est une disposition de bon sens, qui favoriserait l’acquisition des informations par les populations locales.
Actuellement, les mesures géomécaniques réalisées à Moruroa sont transmises instantanément au laboratoire du CEA en région parisienne, mais un délai de dix-huit mois à deux ans est nécessaire pour la publication des rapports annuels sur la surveillance radiologique et géomécanique qui en sont issus.
Afin de renforcer la transparence et de contribuer à restaurer la confiance des populations, la commission de l’économie a proposé que l’autorité en charge des installations fasse appel, pour des interventions ponctuelles, à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSM, organisme qui dispose de toutes les compétences techniques pour effectuer des mesures et des analyses.
L’article 4, dans le même esprit de transparence et de participation des acteurs locaux, renforce la coopération entre l’État et les collectivités territoriales dans la définition des plans de prévention des risques. La commission a modifié l’article afin que soit mieux prise en compte la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie française.
Les articles 5 et 6 complètent le dispositif en créant une commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires. Cette commission devrait réunir les ministres concernés, mais aussi les représentants des autorités locales, y compris les communes environnantes, ainsi que des représentants de la société civile.
Elle devrait jouer un rôle de réflexion et, me semble-t-il, de diffusion de l’information. C’est dans cet esprit que la commission de l’économie a enrichi la composition de cette instance et prévu une publicité de ses travaux.
L’article 7, enfin, contient un dispositif traditionnel de gage.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a mis au point dans les années cinquante et soixante un mécanisme de dissuasion nucléaire dont elle a poursuivi le développement sous les gouvernements successifs. Ce programme décidé au niveau national, quelle que soit la position de chacun à son sujet, a été rendu possible par l’appartenance à la République des territoires de la Polynésie française : le sens profond de notre vote aujourd’hui, mes chers collègues, c’est une reconnaissance de ce que la République doit aux Polynésiens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, je vous remercie de donner la parole… à la défense. (Sourires.)
Avant de me lancer dans une plaidoirie, je veux rappeler à Richard Tuheiava que, comme lui, j’ai exercé longtemps des responsabilités régionales. À l’instar de beaucoup d’entre nous, élus locaux, au-delà de nos responsabilités nationales, nous sommes extrêmement attentifs à la vie de nos territoires. C’est dire que la démarche de Richard Tuheiava ne me choque pas ; je voudrais simplement m’efforcer de le convaincre qu’elle n’est pas la bonne pour protéger les intérêts mêmes des deux sites qui sont visés par la proposition de loi et qui appartiennent en effet à l’ensemble polynésien.
Nous sommes ici sur le terrain de la dissuasion. Notre discussion est une conséquence directe d’un très grand projet que, aujourd'hui, nul ne conteste dans les formations qui ont vocation à participer au gouvernement du pays.
Ce projet, qui a été lancé sous la IVe République et qui a connu une singulière accélération avec l’opération de Suez, a ensuite été concrétisé par le général de Gaulle.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gérard Longuet, ministre. Qu’il me soit permis, en cet instant, de rappeler que les essais nucléaires ont été acceptés et assumés, depuis, par les présidents de la République successifs. C’est d’ailleurs non pas durant le mandat du général de Gaulle qu’ont eu lieu le plus grand nombre d’essais, mais sous l’autorité du président Mitterrand : quatre-vingt-huit essais nucléaires ont alors été effectués en Polynésie.
Doit-on reprocher ces essais nucléaires au président Pompidou, au président Giscard d’Estaing, au président Mitterrand, au président Chirac, lequel a d’ailleurs, après avoir fait procéder à six essais, pris l’initiative d’y mettre fin ? Non, car il était absolument nécessaire de donner à notre pays les moyens de son indépendance et de sa sécurité.
Le résultat a-t-il été atteint ? Je le pense. Je suis convaincu que, si la Guerre froide ne s’est jamais traduite, en particulier pour l’Europe occidentale, par une guerre ouverte, à l’époque où, comme l’a déclaré le général de Gaulle, l’armée soviétique était stationnée à une étape de Tour de France de la ville de Strasbourg, c’est sans doute parce que la dissuasion d’ensemble, à laquelle notre pays a participé, a fonctionné.
Monsieur Tuheiava, vous allez me dire que votre proposition de loi reconnaît cette réalité, mais constate que la Polynésie en fait aujourd'hui les frais. Certes, nous pourrions revenir sur le débat de 1964 – après tout, c’était voilà seulement quarante-cinq ans –, mais tel n’est pas l’objet de la présente discussion. Notre volonté commune est d’apporter la sécurité aux habitants de la Polynésie et de leur donner la certitude que leurs territoires ne sont en aucun cas dangereux pour eux. Elle est aussi de nous assurer que ces atolls ne pourront pas servir de réservoir d’informations ou d’opportunités techniques pour des partenaires prêts à utiliser avec malveillance les données que ces théâtres d’expériences recèlent à l’évidence.
Nous pensons profondément que la protection des atolls de Moruroa – et non de Mururoa, j’en prends acte, monsieur le sénateur – et de Fangataufa est une mission régalienne de l’État, au titre de la dissuasion nucléaire. C’est là une garantie pour les habitants de la Polynésie. L’autorité de la République française, la mobilisation et l’écoute de 64 millions de Français, attentifs, tous, à la sécurité nucléaire, qu’elle soit civile ou militaire, me paraissent constituer une garantie extrêmement forte.
Ne pensez donc pas un seul instant que notre pays a oublié ces deux atolls. Nous avons pour ces territoires les mêmes préoccupations en termes de sécurité civile et militaire que pour le reste du territoire national, préoccupations partagées par tous nos compatriotes. En effet, nous savons ce que nous devons à la dissuasion en termes d’autorité et d’indépendance, mais également ce que nous devons au nucléaire civil, et nous en acceptons toutes les contraintes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
J’en parle d’autant plus librement que je viens d’un département, la Meuse, qui a accepté – je le dis sous le contrôle du président de son conseil général, votre collègue M. Namy –d’accueillir la gestion souterraine des déchets nucléaires civils.
Le nucléaire n’est pas une activité marginale, oubliée. Elle n’est pas gérée de manière obscure et cachée, relevant d’un passé révolu. C’est une réalité française vivante.
L’intérêt que la communauté nationale porte au nucléaire à travers la question de la propriété des atolls de Moruroa et de Fangataufa démontre que vos préoccupations – elles sont totalement légitimes et je ne les conteste nullement, monsieur Tuheiava – sont portées par la collectivité tout entière et non, comme vous pourriez le craindre, par une minorité de spécialistes.
Un certain nombre d’essais nucléaires – cent quatre-vingt-treize, vous l’avez rappelé – ont été nécessaires à la construction de notre force de dissuasion. Je le répète, tous ces essais ont été assumés par des majorités politiques différentes, représentatives de la totalité des sensibilités politiques présentes dans cet hémicycle.
M. Roland Courteau, rapporteur. Ce n’est pas le problème !
M. Gérard Longuet, ministre. Le 24 septembre 1996, la France a signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires et a démantelé de manière irréversible toutes les installations permettant de réaliser de tels essais. Il n’y aura donc désormais plus d’essais, la France ayant fait le choix de la simulation.
Renoncer aux essais ne revient cependant pas à gommer la réalité qui s’est construite pendant les trente années d’activité de ces sites.
M. Roland Courteau, rapporteur. Heureusement !
M. Gérard Longuet, ministre. Même si des essais n’ont plus lieu sur ces deux atolls, nous estimons qu’ils font partie intégrante du dispositif de dissuasion français parce qu’ils recèlent des informations et qu’ils engagent notre responsabilité. Nous n’avons nullement l’intention de laisser ces informations à la disposition d’acteurs malveillants. Nous avons le devoir d’assurer la sécurité de ces atolls aux yeux du monde parce que nous sommes la République française, …
M. Roland Courteau, rapporteur. Et que se passe-t-il au Sahara ?
M. Gérard Longuet, ministre. … signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
Par ailleurs, nous avons les moyens financiers et techniques de garantir les populations contre les risques que vous avez identifiés, monsieur Tuheiava, et sur lesquels je vais revenir.
Je mets sur le compte de la passion avec laquelle vous défendez votre territoire – et elle est bien compréhensible – la référence à une formule que personne ici ne peut reprendre à son compte et dont vous-même n’avez d’ailleurs pas considéré qu’elle pouvait véritablement s’appliquer : non, on ne peut pas, en l’espèce, parler de « crime contre l’humanité » !
Je rappelle d’ailleurs que le CIVEN, le Comité d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires, que j’ai en effet réuni, a reçu 673 dossiers provenant de l’ensemble de ceux qui s’estiment concernés par les conséquences sanitaires des essais nucléaires. Or, à ce jour, seuls dix-huit dossiers viennent de Polynésie.
Nous avons ensemble à dissiper un malentendu, car ce qui est vrai pour d’anciens militaires ayant participé aux essais du Sahara ou pour d’anciens militaires ou civils du CEA ayant participé aux essais dans le Pacifique ne l’est pas pour les Polynésiens. Comment diable se fait-il, en effet, si ces essais présentaient des risques, que seuls dix-huit dossiers nous soient parvenus de cette région ?
M. Roland Courteau, rapporteur. Pourquoi, en effet ?
M. Gérard Longuet, ministre. J’ai posé la question et j’attends toujours la réponse. Je reviendrai sur la loi relative à l’indemnisation, cher Roland Courteau, comme vous m’y avez invité.
En tout cas, il est manifestement excessif, et donc non signifiant, de parler de crime contre l’humanité.
M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas comparable, en effet.
M. Gérard Longuet, ministre. Issu d’une région où l’on exploitait le charbon, je pense sincèrement que son extraction et son utilisation ont fait, sur les plans tant sanitaire qu’environnemental, bien plus de dégâts que le nucléaire civil. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gérard Longuet, ministre. En outre, je le répète, je pense que la menace du nucléaire militaire a préservé la paix là où une guerre ouverte aurait été possible et terriblement meurtrière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Signataire du traité de non-prolifération, la France s’est engagée à lutter contre la prolifération nucléaire. J’ai présenté ici même, l’après-midi de ma prise de fonction en tant que ministre de la défense, le projet de loi relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, dont font naturellement partie les armes nucléaires. Ce projet de loi a été voté, je le souligne, à l’unanimité.
C’est au nom de la lutte contre la prolifération, afin d’éviter que des interventions extérieures sur ces sites d’essai puissent servir à d’autres puissances, que nous avons décidé d’assumer totalement le contrôle de ces deux atolls. Telle est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter votre proposition de loi, monsieur le sénateur.
Pour autant, sommes-nous indifférents à votre inquiétude ? La réponse est non, parce que votre inquiétude est légitime : nous la comprenons. C'est la raison pour laquelle il y a en France des comités d’information, qui sont là pour établir le dialogue. À cet égard, je voudrais vous convaincre que ce dialogue n’a jamais été rompu et qu’il a toujours été utile.
En juin 1996, au moment même où nous signions le traité de non-prolifération, une mission d’experts internationaux, sous l’égide de l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, s’est rendue sur place pour étudier, mesurer, préciser la situation radiologique de ces atolls. Permettez-moi de vous citer sa conclusion principale : « Étant donné les niveaux d’activité mesurés et prévus de radionucléides et les faibles niveaux de doses estimés pour le présent et pour l’avenir, et compte tenu des recommandations internationales, l’étude a permis de conclure qu’aucune mesure corrective n’est nécessaire à Mururoa et à Fangataufa pour des raisons de protection radiologique, que ce soit maintenant ou à l’avenir. »
De plus, l’instrumentation – c'est-à-dire la mise en place d’instruments appropriés – des atolls sous surveillance géomécanique a été mise en œuvre en suivant les recommandations d’une expertise de la Commission géomécanique internationale, la CGI, en 1998, soit deux ans à peine après la signature du traité, réalisée sous la direction du professeur Fairhust et intitulée Underground nuclear testing in French Polynesia.
Les atolls de Moruroa et Fangataufa font aujourd’hui l’objet d’une surveillance radiologique et géomécanique minutieuse et permanente par le département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, dont vous connaissez l’indépendance. C’est M. Dupraz, grand spécialiste de l’énergie nucléaire, à laquelle il a consacré sa vie au sein d’EDF, qui est aujourd'hui responsable de cette mission. La végétation, les poissons, l’eau : chaque élément est analysé pour s’assurer que la situation est saine.
J’ajoute que la France s’est efforcée de répondre aux habitants de ces atolls, en tout cas des atolls voisins, puisqu’on m’a indiqué – mais ce point mériterait d’être précisé – que l’atoll de Moruroa n’était plus habité de façon permanente depuis 1906. Quant à l’atoll de Fangataufa, il n’a, me semble-t-il, jamais été habité. Je rappelle que la décision de procéder à des essais nucléaires a été prise en 1964 et que ceux-ci ont commencé un peu plus tard.
Quoi qu'il en soit, après plus de quarante années d’attente, l’actuelle majorité nationale a adopté un texte, la loi du 5 janvier 2010, obligeant l’État à assumer ses responsabilités vis-à-vis de ceux qui souffrent dans leur chair. Cette loi – je rends hommage à son rapporteur, Marcel-Pierre Cléach, qui ne pouvait malheureusement être présent cet après-midi –, fruit d’un long travail méthodique, collectif et transparent, qui a associé les médecins spécialistes, les associations, les industriels du nucléaire et, naturellement, les parlementaires de toutes sensibilités, reconnaît et indemnise les victimes des essais nucléaires, au terme d’un processus scientifique et médical, avec un dispositif juste et rigoureux.
Ce dispositif, je vous en donne acte, monsieur le rapporteur, peut en effet évoluer puisque le décret d’application de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français est de nouveau sur le métier.
À la suite de la première réunion du CIVEN, nous nous sommes efforcés de faire en sorte que le champ des indemnisations mis en place par le décret soit plus ouvert et offre plus de possibilités. Le texte fait actuellement l’objet d’un arbitrage interministériel. Il est raisonnable de penser qu’il sera accepté. Il devrait contribuer à ce que les dossiers qui restaient « bloqués » en Polynésie par ceux qui contestent la loi ne le soient plus ; en tout cas, je l’espère profondément.