Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur le droit à la protection de la vie privée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de trois projets de loi
Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :
- du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité ;
- du projet de loi autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’ euro ;
- et du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.
Ces textes ont été déposés ce jour sur le Bureau de l’Assemblée nationale.
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Lutte contre la prolifération du frelon asiatique
Discussion d’une question orale avec débat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la question orale avec débat n° 10 de Mme Nicole Bonnefoy à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.
Cette question est ainsi libellée :
« Mme Nicole Bonnefoy attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement sur les conséquences liées à la prolifération du frelon asiatique et la nécessité d'y apporter des réponses.
« Le frelon importé d'Asie, dit vespa velutina, a été identifié pour la première fois en France dans le Lot-et-Garonne en 2005 après son importation involontaire d'Asie. Depuis cette date, il n'a cessé de proliférer en France et serait aujourd'hui présent dans plus de 50 % des départements français métropolitains. Or cette prolifération n'est pas sans susciter de nombreuses inquiétudes qui, pour l'heure, n'ont pas trouvé de réponses adaptées.
« Le frelon asiatique s'avère en effet un actif prédateur d'abeilles qui représentent 80 % de son régime alimentaire. Il met ainsi à mal un maillon essentiel de la biodiversité en s'attaquant à ces grandes pollinisatrices, tout en occasionnant des préjudices importants aux apiculteurs, déjà confrontés à une crise, en menaçant ruchers et essaims. De plus, il apparaît désormais clairement que cette espèce peut s'avérer agressive envers l'homme comme l'ont démontré certains faits divers.
« Au regard de ces constats, il lui semble nécessaire de mettre en place un plan d'action pour procéder à la destruction des nids. Or, actuellement, la lutte demeure partielle et éclatée. En effet, les sapeurs-pompiers des services d'incendie et de secours n'interviennent qu'en cas de danger immédiat pour la population, et ce principalement sur le domaine public. Les particuliers sont alors contraints soit d'avoir recours à des prestataires privés dont les tarifs s'avèrent prohibitifs, soit d'entreprendre d'éliminer eux-mêmes les nids souvent situés à grande hauteur par des moyens dangereux, toxiques et polluants. De ce fait, peu de nids sont détruits, ce qui participe à la prolifération de l'espèce.
« Elle tient à préciser que l'ensemble de ces difficultés sont évoquées depuis plusieurs années par les préfets, les associations régionales de développement de l'apiculture et les élus, qui tentent, tant bien que mal, de trouver des solutions. De son côté, le monde apicole s'emploie à mobiliser les médias et à sensibiliser les élus à ce sujet. Elle rappelle pour sa part, que depuis sa première question écrite déposée en décembre 2010 et le dépôt de deux questions orales en avril 2011 et janvier 2012, la réponse du Gouvernement n'a que peu évolué.
« Elle regrette en effet que le Gouvernement n'ait pas encore pris des mesures concrètes pour apporter des solutions et déplore que l'on en soit encore au stade des propositions, et non dans l'action. Ainsi, aucun calendrier de mise en œuvre des mesures envisagées n'est arrêté et la question du financement et de la destruction des nids n'a pas été tranchée.
« En conséquence, elle souhaiterait que la ministre lui communique le plan d'action concret et précis que le Gouvernement compte mettre en œuvre pour lutter contre la prolifération du frelon asiatique. »
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question.
Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en cette semaine où l’ordre du jour du Sénat est consacré au contrôle de l’action du Gouvernement, je me félicite que le groupe socialiste ait décidé d’inscrire à l’ordre du jour un sujet qui préoccupe un nombre croissant de Français et qui, j’en suis sûre, n’a pas fini de susciter questionnements et inquiétudes dans les années à venir ; je veux parler de la prolifération du frelon asiatique.
Les dommages économiques et écologiques ainsi que les problèmes de santé publique causés par cet envahisseur vont bientôt concerner la majeure partie du territoire français. Les difficultés que cette situation sous-tend n’ont pas encore trouvé de réelles solutions alors que le monde apicole, les préfets ou les élus tentent, tant bien que mal, de limiter l’impact de cet insecte.
L’été dernier, cette problématique a pris une nouvelle ampleur avec le cas de plusieurs décès liés à des piqûres. La presse a alors relayé ces faits divers qui pouvaient, dans un premier temps, paraître isolés, et a ainsi démontré l’ampleur des risques encourus par la population et les préoccupations de l’opinion publique à ce sujet.
Malgré cela, le Gouvernement est resté passif et n’est pas intervenu pour permettre le classement du frelon asiatique dans la liste des espèces nuisibles.
Pourtant, à de nombreuses reprises, les membres du Gouvernement ont été interrogés par des parlementaires. J’ai, pour ma part, multiplié les interventions : questions écrites dès le mois de décembre 2010, questions orales, allant même jusqu’au dépôt d’une proposition de loi. Les réponses qui m’ont été faites ont chaque fois été les mêmes, à savoir qu’il n’y avait pas lieu de prendre des mesures contre cette espèce.
Il a fallu attendre le mois de décembre dernier et une question d’actualité à l’Assemblée nationale, pour que la position du Gouvernement semble s’infléchir un peu. Mais pour l’heure, rien n’est encore concrétisé !
Le groupe socialiste du Sénat a donc décidé de déposer cette question orale avec débat afin que le Gouvernement s’empare de ce dossier, qui relève de sa responsabilité, et s’engage à agir.
Je tiens à remercier Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement de sa présence au banc du Gouvernement, mais je regrette que le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’amendement du territoire, qui est pourtant en charge du pilotage de ce dossier, n’ait pas pris la peine d’assister à ce débat.
Je ne vais pas refaire ici l’histoire détaillée du frelon asiatique, mais il me paraît nécessaire de rappeler les circonstances de son apparition en France avant d’évoquer les conséquences de sa présence.
Le frelon asiatique ou frelon à pattes jaunes, vespa velutina de son nom latin, a été introduit accidentellement en France en 2005, voire en 2004, très certainement dans des poteries importées de Chine par un horticulteur du Lot-et Garonne. Les premiers nids ont été observés en avril 2005 dans ce même département, et le début de sa réelle expansion a commencé en 2006.
Depuis cette date, c’est-à-dire en six ans, le frelon asiatique s’est particulièrement bien acclimaté à notre pays en le colonisant à une vitesse impressionnante. Malgré le manque de données précises, on peut dire qu’il semble aujourd’hui présent dans la très grande majorité de nos départements métropolitains, dont quarante-quatre, majoritairement dans le sud-ouest de la France, sont plus particulièrement infestés. Sa zone d’extension serait de soixante-dix à cent kilomètres par an. Il a également été signalé en Belgique, à la frontière italienne et dans le nord de l’Espagne, posant ainsi clairement la responsabilité de la France à l’étranger du fait de sa non-action.
Il faut par ailleurs rappeler que le frelon asiatique a été inscrit dans la base de données européenne DAISIE, qui référence les espèces invasives. Par modélisation, on sait désormais que les potentialités d’expansion de l’espèce concernent la totalité de la France et la majeure partie de l’Union européenne. Seules les régions très froides du nord et très sèches du sud de notre continent seraient vraisemblablement épargnées.
Cette invasion est d’autant plus impressionnante que des travaux en cours d’étude tendraient à démontrer que le patrimoine génétique de vespa velutina présent en France est très pauvre, ce qui signifierait que peu, voire une seule femelle fondatrice, pourrait être à l’origine de cette expansion exponentielle.
Pourtant, dès son introduction en France, des spécialistes des hyménoptères ont souligné les risques liés à la présence de cet insecte exotique dans notre pays, risques particulièrement liés à ses comportements alimentaires. En effet, le bol alimentaire du frelon asiatique est constitué majoritairement d’insectes, et particulièrement d’abeilles, qui peuvent représenter jusqu’à 80 % de son alimentation. Ce prédateur peut, selon les périodes de l’année, se révéler extrêmement voraces et les ruches sont alors des cibles idéales, car elles constituent des garde-manger de choix.
La localisation des nids commence également à poser problèmes. Les scientifiques indiquent que le frelon asiatique s’installe plutôt en hauteur dans les arbres, à une quinzaine de mètres, ce qui ne présente pas de danger immédiat pour l’homme. Seuls les nids primaires, au début du printemps, seraient temporairement au ras du sol.
Néanmoins, depuis deux ans, apiculteurs et particuliers semblent observer une multiplication de nids à hauteur d’hommes, ce qui n’est pas sans provoquer des accidents. J’ai ainsi constaté, dans mon département, la présence de nids dans des haies, des buissons, des maisons et même dans des aires de jeux d’enfants dans des jardins publics.
La pression est donc quotidienne sur les populations et pose clairement la question de la sécurité de nos concitoyens. Elle nous renvoie également à la dangerosité de cette espèce que, pour ma part, je considère aujourd’hui comme avérée. Sans tomber dans la psychose, notons que l’on dénombre aujourd’hui huit décès liés à des piqûres – ils sont sans doute plus nombreux.
Par ailleurs, des invasions de frelons ont été observées sur les étals des marchés en fin d’été, ce qui entrave les ventes et inquiète les habitants.
Pour leur part, les apiculteurs et les services des pompiers pointent du doigt la particulière agressivité et dangerosité de cette espèce à proximité des nids.
Cette dangerosité relève non pas du venin de cet insecte, qui n’est pas plus toxique que celui de notre frelon européen, mais de la densité des nids et de la population qu’ils abritent.
Il faut avoir à l’esprit qu’en Gironde ont été dénombrés jusqu’à 10 nids dans un rayon de 600 mètres. Or un nid peut faire un mètre de diamètre et accueillir entre 1000 et 2000 individus. Les attaques peuvent donc être beaucoup plus massives et les risques de piqûres multiples bien plus importants que pour notre frelon.
Aujourd’hui, les principales inquiétudes, ou tout du moins les plus audibles, émanent des apiculteurs.
Comme nous le savons tous, depuis plus de dix ans, la filière apicole traverse une crise mondiale liée à une surmortalité des abeilles. Cette surmortalité a des origines multiples, et nous savons désormais que le frelon asiatique n’est « qu’un facteur parmi d’autres » : les pesticides, la monoculture ou encore le parasite varroa ont autrement plus d’impact sur nos abeilles.
Néanmoins, l’impact du frelon asiatique sur les populations d’abeilles en France est réel et visible. Cette menace ne doit surtout pas être négligée ! Elle prend deux formes distinctes qu’il faut appréhender différemment.
Tout d’abord, ce que nous pourrions appeler la menace directe du frelon asiatique se manifeste par une attaque physique sur un rucher et donc la mort immédiate d’abeilles. À partir du mois de juillet, le frelon asiatique arrive en masse devant les ruchers et peut se révéler alors extrêmement vorace. C’est à cette période que son besoin en protéines est le plus important, car il doit nourrir les larves des futures reines. Une ruche peut alors être véritablement vidée de ses occupants en quelques jours.
Mais les conséquences indirectes de la présence du frelon asiatique sont également préoccupantes, d’autant que c’est sûrement ce qui cause le plus de dégâts aux apiculteurs. En effet, c’est à cette même période que les abeilles commencent à constituer leur stock pour passer l’hiver.
Or la présence du frelon asiatique dans l’environnement de l’abeille va la stresser et l’empêcher de quitter le nid pour aller chercher du pollen et nourrir la colonie. De ce fait, les larves sont sous-alimentées, elles se meurent, la ponte s’arrête et les abeilles sont fragilisées. La ruche est donc condamnée à péricliter, car sa faiblesse au printemps entraînera sa disparition pure et simple.
Selon l’Union nationale de l’apiculture française, les dégâts dans le sud-ouest de la France sont déjà considérables. Le syndicat apicole de la Gironde a perdu, en trois ans, plus du tiers de ses adhérents et a ainsi déclaré aux assurances 532 ruches en moins par rapport à 2010.
Le syndicat a alors mené une enquête qui a démontré que le frelon asiatique était à l’origine de la disparition des colonies. Les exploitants les plus touchés sont les petits apiculteurs, amateurs ou semi-professionnels, disposant d’un cheptel de rucher assez réduit, de l’ordre d’une quinzaine de ruches au plus. Dans ces cas, les attaques de frelons asiatiques remettent en cause l’existence même de l’activité d’un apiculteur.
Or nous savons que le monde apicole se caractérise justement par un nombre très important de non-professionnels, ce qui permet d’assurer un maillage cohérent de notre territoire. Aujourd’hui, nous manquons cruellement de chiffres pour évaluer les dégâts occasionnés au monde apicole par le frelon asiatique. Il apparaît d’ailleurs que cette évaluation est difficile à mener ; mais elle reste possible !
Je suis pour ma part convaincue que, si nous avions une connaissance chiffrée de l’impact économique du frelon asiatique pour les apiculteurs, les pouvoirs publics réagiraient beaucoup plus rapidement.
Pour l’heure, rien n’est fait et les apiculteurs sont livrés à eux-mêmes. Je tiens d’ailleurs à saluer cette profession qui a réussi, dans certains territoires, à s’organiser seule, en mettant en œuvre des stratégies propres d’actions pour réduire la pression sur les ruchers, en organisant le piégeage des nids avec de petits moyens.
Devant ce constat, le monde apicole dénonce la passivité des pouvoirs publics qui, depuis 2004, n’ont apporté aucun soutien pour la destruction des nids, tout en refusant de classer le frelon asiatique en espèce nuisible.
Je sais que le Gouvernement a préféré, dans un premier temps, s’en remettre au travail des chercheurs. C’est ainsi qu’une mission interministérielle a été constituée et qu’un rapport a vu le jour en septembre 2010. Des recommandations ont certes été préconisées dans ce rapport, mais aucune n’a été suivie dans les faits. Nous savons que d’autres travaux menés par le Muséum national d’histoire naturelle ont suscité la controverse.
En effet, tout en confirmant la progression de l’aire colonisée par le frelon asiatique, ce rapport a précisé que son impact sur la production apicole était « relatif », celui sur la biodiversité « non décelé » et que, en l’absence de piège spécifique au frelon, il apparaîtrait raisonnable d’attendre qu’un nouvel équilibre naturel s’établisse dans les zones concernées.
En somme, il n’y a rien à faire, donc ne faisons rien, et, dans le cas présent, rien n’est fait !
Nous pouvons tous comprendre, dans pareille situation, le désarroi du monde apicole et l’interrogation des populations !
Nous aurions tort de considérer que le problème du frelon asiatique ne concerne que le monde apicole, car il est bien plus vaste. En effet, en s’attaquant à ces grandes pollinisatrices que sont les abeilles, le frelon asiatique met à mal un maillon essentiel de la biodiversité alors que de nombreuses espèces pollinisatrices sont déjà en train de disparaître.
Faut-il rappeler que 35 % de la production mondiale de nourriture résulte de la production de cultures dépendant des pollinisateurs ? Les dégâts vont être considérables dans les années à venir.
Selon une étude menée voilà quelques années par des chercheurs français et allemands de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, la valeur de la contribution des pollinisateurs à la production alimentaire mondiale était de 153 milliards d’euros en 2005 pour les principales cultures dont l’homme se nourrit, soit 9,5 % de la valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale.
Trois catégories de cultures seraient principalement concernées : les fruits, les légumes, avec une valeur estimée à 50 milliards d’euros chacun, et les oléagineux avec 39 milliards. Du point de vue du consommateur, cette situation pourrait provoquer une augmentation des prix de l’ordre de 190 milliards à 310 milliards d’euros !
Nous ne sommes donc pas face à un petit problème !
L’usage intensif des pesticides occasionne des désastres pour notre équilibre écologique, et la disparition des insectes est aujourd’hui visible à l’échelle humaine, alors même que la nature a mis des millénaires à mettre en place un équilibre.
Bien Évidemment, nous savons que le frelon asiatique n’est pas l’unique et principal facteur de la surmortalité des abeilles. L’objectif n’est pas de trouver un coupable idéal, mais, à force de dire que les problèmes environnementaux sont multifactoriels, on ne fait rien et chacun rejette la faute sur l’autre : ce sont les pesticides, c’est le réchauffement climatique, ce sont les frelons asiatiques, etc.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Nicole Bonnefoy. De toute façon, les chercheurs semblent unanimes pour dire que le frelon asiatique ne pourra pas être éradiqué et qu’il fait désormais partie de notre biodiversité. Certes, mais ce n’est pas une raison pour ne pas accompagner, surveiller et encadrer sa prolifération !
L’État doit mettre en place un plan de lutte contre le frelon asiatique. Je suis d’accord avec le monde scientifique, il ne faut pas faire n’importe quoi, n’importe comment, n’importe où et avec n’importe quels moyens.
J’en viens maintenant à la question centrale de ce débat, à savoir les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre l’impact économique et écologique du frelon asiatique.
Actuellement, la lutte demeure partielle, éclatée, sans coordination et très inégale. Aujourd’hui, il existe deux formes de lutte contre le frelon asiatique, à savoir le piégeage et la destruction des nids.
En matière de destruction de nids, tout se fait à la discrétion des départements et même des particuliers. Des collectivités ont certes tenté de mettre en place des plans d’action ou des aides financières mais, en l’absence de concertation et de coordination, ces actions s’avèrent largement insuffisantes.
Actuellement, la destruction des nids dans le domaine public est effectuée par les sapeurs-pompiers des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, seulement en cas de danger immédiat pour la population. Lors d’une audition, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France nous a indiqué qu’il lui semblait très difficile, en l’état actuel de ses effectifs, d’envisager d’augmenter la capacité d’intervention des sapeurs-pompiers pour détruire les nids. Par ailleurs, il regrette que les pompiers n’aient jamais été associés aux réflexions sur le frelon asiatique alors même que ce sont eux, en bout de chaîne, qui doivent en assumer la charge.
M. Roland Courteau. C’est exact !
Mme Nicole Bonnefoy. En somme, dans la majorité des cas, les particuliers sont contraints d’avoir, soit recours à des prestataires privés dont les tarifs s’avèrent prohibitifs du fait de certaines dérives – de 200 à plus de 1000 euros l’intervention –, soit d’entreprendre d’éliminer eux-mêmes les nids, souvent situés à grande hauteur, par des moyens dangereux, toxiques et polluants.
Les particuliers ne pouvant pas détruire les nids ont souvent le réflexe d’appeler les services communaux, qui se trouvent alors démunis. Certaines collectivités ont, certes, mis en place des dispositifs de veille et de réaction efficace, mais, sans moyens, la lutte est perdue d’avance.
En conséquence, aujourd’hui, trop peu de nids sont détruits et certains le sont alors même qu’ils n’ont plus d’occupants.
En matière de piégeage, les apiculteurs sont totalement livrés à eux-mêmes et tentent de faire au mieux avec leurs moyens.
M. Roland Courteau. C’est artisanal !
Mme Nicole Bonnefoy. Or nous savons qu’il faudrait déterminer les meilleurs moyens de lutte, au niveau tant du type de piégeage que de la période de pose ou de la localisation des pièges.
Malgré les fortes divergences qui existent entre scientifiques et apiculteurs et l’inquiétant manque de dialogue, tout le monde semble s’accorder sur la nécessité de limiter la population du frelon asiatique afin de réduire sa nuisance et son impact économique pour le monde apicole.
Une stratégie d’intervention doit clairement identifier les actions à mettre en œuvre dans une cohérence nationale et avec des adaptations locales. Pour ce faire, plusieurs pistes de réflexions sont à envisager.
Première piste : un réel travail de recensement et de surveillance de l’espèce doit avoir lieu afin d’avoir une meilleure connaissance de la répartition et de la localisation des nids. L’Union nationale des apiculteurs français nous a indiqué qu’elle était prête à faire de la reconnaissance gratuitement pour éviter aux organismes de destruction d’effectuer des déplacements inutiles et de procéder à des destructions de nids vides.
Deuxième piste : il faut accélérer le travail des chercheurs afin de rendre les piégeages plus sélectifs. Des recherches sont actuellement menées pour constituer des pièges à phéromones. Nous savons que ce type de recherche demande du temps et des moyens. Je voudrais donc savoir si le Gouvernement entend accompagner et aider les chercheurs dans ce domaine en débloquant des fonds en conséquence.
Troisième piste : il est désormais indispensable de classer cette espèce en organisme nuisible au sens du code rural, de reconnaître son impact sur les cultures végétales et, dans un but d’intérêt général, de mettre en place des mesures de prévention, de surveillance et de lutte obligatoires.
Pour ce faire, je pense nécessaire de confier la destruction des nids à des organismes spécialisés à cet effet, comme les fédérations régionales de défenses contre les organismes nuisibles, les FREDON.
C’est seulement ainsi que nous donnerons une cohérence à l’action publique.
Quatrième piste, enfin : un vrai travail doit avoir lieu en matière d’information du public. Il paraît nécessaire de mettre à la disposition des mairies des plaquettes d’informations pratiques et concises, à destination des particuliers. Ainsi, nous pourrions éviter des accidents en indiquant les démarches à suivre en cas de découverte d’un nid.
Toutes ces mesures nécessiteront une concertation et un travail en commun entre les pompiers, les apiculteurs, les scientifiques, les élus locaux et le Gouvernement. Il n’est plus possible, madame la ministre, que chacun travaille de son côté, avec ses propres moyens, sans coordination et partages d’expériences !
Madame la ministre, j’espère que le présent débat favorisera l’avènement d’un plan d’action concret et rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon l’évaluation des écosystèmes du millénaire par le programme des Nations unies en 2005, les espèces exotiques envahissantes constituent la deuxième cause mondiale d’érosion de la biodiversité, juste après la destruction des habitats. La question du frelon asiatique est donc importante.
À partir de quelques individus arrivés par accident dans le Lot-et-Garonne en 2004, probablement via le commerce horticole international, le frelon asiatique s’est déjà répandu dans près de la moitié de la France, et même au-delà de nos frontières. Le biotope européen lui étant favorable, il n’y a aucune raison qu’il s’arrête là.
Nous avons bien compris, après avoir auditionné les chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle, qu’il fallait s’accommoder de la situation : le frelon asiatique fait désormais partie de la faune de France.
Je rappellerai, après Mme Bonnefoy, que la présence de ce prédateur engendre quatre menaces.
Pour la population, d’abord, les frelons sont une menace dans la mesure où ils sont agressifs dès que l’on s’approche trop près de leur nid, leurs piqures pouvant être mortelles. Heureusement, le plus souvent, les nids sont en hauteur dans les arbres, ce qui réduit les risques.
Le deuxième danger est la prédation du frelon asiatique sur nos ruches d’abeilles. Son régime alimentaire se compose très largement de nos abeilles domestiques, animal social facile à capturer. Par ailleurs, sa présence stresse les ouvrières qui ne sortent plus ; les provisions de pollen pour l’hiver ne sont alors pas assez abondantes et la ruche meurt au printemps suivant.
Le troisième danger est la perte de biodiversité, directement par la prédation de ce frelon sur les hyménoptères sauvages, et indirectement pour les espèces végétales que ces dernières contribuent à polliniser.
Enfin, la prédation des frelons sur les insectes constitue une menace économique pour les cultures et les arbres fruitiers qui ne sont plus pollinisés.
Or, si on ne peut pas reprocher à votre gouvernement de ne pas avoir « éradiqué » la « bête », car à l’impossible nul n’est tenu, on est frappé par l’absence de politique, de stratégie et d’objectifs en vue de répondre aux problèmes posés, en dépit des préconisations présentées dès 2009 par le Muséum national d’histoire naturelle.
On pourrait, semble-t-il, facilement s’accorder sur trois points.
D’abord, il est indispensable d’informer la population sur la situation. Depuis 2004, aucune information claire n’a été donnée. En ne disant rien, on favorise la psychose qui se développe parfois.
L’inquiétude est entretenue aussi par les apiculteurs, qui se trouvent bien démunis dans leur lutte contre les frelons. Il faut leur venir en aide. Le piégeage des frelons aux abords des ruches à la fin de l’été peut être efficace, mais des mesures administratives doivent être prises.
Enfin, il me semble que vos services et ceux du ministère de l’agriculture auraient pu, et ce depuis longtemps, décider du statut juridique du frelon, ce qui permettrait de mettre en œuvre ces mesures. Il leur aurait même été possible de s’appuyer sur deux propositions de loi, déposées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Une modification du code rural et de la pêche maritime devrait permettre d’inscrire le frelon asiatique parmi les organismes nuisibles. La destruction organisée et contrôlée de cet envahisseur pourrait alors être envisagée.
Certes, cette lutte a un coût. Nous ne pouvons accepter que, dans un cas comme celui-ci, vous laissiez les particuliers, les apiculteurs et les collectivités faire le travail à votre place. Il s’agit en effet d’un enjeu qui dépasse largement celui de chaque collectivité et qui concerne l’avenir de la biodiversité de notre pays.