M. Claude Bérit-Débat. Sans vouloir remettre en cause votre action dans ce domaine, il me semble que le sujet devrait intéresser tout autant, sinon plus, le ministère de l’agriculture que le vôtre !
M. Claude Bérit-Débat. Peut-être est-il temps qu’une collaboration interministérielle soit mise en route.
Au final, je vous poserai la même question que mes collègues : à quand la mise en place d’un plan d’action national, souhaité par tous les acteurs concernés ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ne pouvant être présent aujourd’hui parmi nous, notre collègue Henri Tandonnet m’a chargée d’intervenir à sa place et de vous faire part de ses réflexions.
Espèce nouvelle pour la faune européenne, vespa velutina nigrithorax, plus communément appelé « frelon asiatique » a été officiellement signalé pour la première fois dans le Lot-et-Garonne en 2005. Il me tient à cœur d’intervenir aujourd’hui sur ce sujet, qui demeure l’objet de vives inquiétudes.
Largement répandue dans le sud-ouest de la France dès la fin de l’année 2006, la présence de cette espèce est rapidement devenue problématique dans mon département, puisque ce frelon est une menace.
Il est une menace pour l’homme, car sa piqûre peut se révéler extrêmement grave en cas d’allergie, mais il est également une menace pour les ruchers et les abeilles, qui jouent un rôle majeur dans l’écosystème, sans parler, bien sûr, de l’importance économique de l’apiculture.
La crainte est d’autant plus présente que le frelon asiatique est une espèce invasive, se multipliant très rapidement.
Depuis quelques années, le débat est devenu passionné, ce qui est rarement bon. Il échappe aux scientifiques et prend une tournure irrationnelle. Certains faits, scientifiquement avérés, devraient désormais faire autorité. Malheureusement, les rumeurs les plus folles circulent et la presse se fait l’écho de fantasmes.
Le ministère travaille depuis plusieurs semaines à l’inscription de l’insecte au code rural et de la pêche maritime en tant qu’organisme nuisible, ce qui permettra d’engager un plan de lutte collective.
Henri Tandonnet tient à souligner qu’il est peu favorable à un tel classement. Pour lui, cette mesure est au mieux inutile, au pire elle risque d’être néfaste. En effet, ce classement pourrait déclencher des campagnes inconsidérées de piégeages et de destructions de nids, campagnes dont on connaît désormais l’impact sur la biodiversité.
Les études de l’association Hornet, basée dans le Lot-et-Garonne, mais aussi celles de la Société linnéenne de Bordeaux, effectuées sur plus de soixante pièges posés durant deux mois et relevés chaque semaine, ont montré une absence totale de sélectivité et un rendement inquiétant : moins de 1 % des insectes piégés étaient des frelons asiatiques.
Je pense également à la Charente-Maritime, qui a financé cette année les destructions de nids sans contrôle de l’espèce : 1 300 nids ont été détruits dans le département alors qu’on ne compte jamais plus de 400 nids de vespa velutina dans un département très envahi. Il y a donc eu de forts dégâts collatéraux. Cela signifie que d’autres hyménoptères ont souffert de cette campagne, en particulier des dolichovespula, dont on connaît l’utilité dans les écosystèmes, notamment pour la régulation des chenilles.
Il est illusoire de laisser croire que l’on parviendra un jour à réguler une population d’insectes, car cela ne serait possible que si l’on était capable de traiter l’ensemble du territoire, zones protégées incluses.
La lutte d’apparence, par piégeage ou par destruction de nids, n’a pour seul bénéfice que de donner au public l’impression que l’on fait quelque chose. Au mieux, elle ne sert à rien, au pire elle est nocive, surtout pour le reste de l’entomofaune.
Cette opinion est celle de l’ensemble des entomologistes français, mais aussi étrangers puisque la communauté des chercheurs ne connaît pas de frontières.
Comme ont pu l’écrire Spradbery en 1973 ou Beggs en 2001, le piégeage des fondatrices n’a aucune influence sur le devenir de leurs populations. Dans tous les pays où l’on a tenté de réguler par piégeage une population d’hyménoptères, par exemple en Nouvelle-Zélande avec la guêpe vespula germanica, c’est l’effet inverse qui a été obtenu. Il est donc probable que toute tentative de réduction d’une population s’accompagne d’une augmentation de la virulence et de la reproductivité des survivants.
Par ailleurs, de telles campagnes retarderaient l’installation de la période de stabilisation au cours de laquelle l’invasif atteint son effectif d’équilibre. Dès que cet équilibre est atteint, une régulation naturelle a des chances de se mettre en place, ce qui ne se produit pas tant que l’on combat l’insecte par des moyens toujours dérisoires.
Un apiculteur de Gironde qui a pratiqué une année durant le piégeage à grande échelle et qui a capturé des centaines de fondatrices entre février et mai a connu l’année suivante une plus forte pression de prédation devant ses ruches.
Henri Tandonnet est convaincu que seuls les scientifiques qui étudient l’insecte trouveront une parade contre lui et un système de protection des ruchers ; au demeurant, ils ne feront jamais disparaître le frelon ni ne parviendront à infléchir son niveau de peuplement.
Des études sont en cours au Muséum national d’histoire naturelle et à l’Institut national de la recherche agronomique.
Effectuer de simples sondages ou distribuer des questionnaires n’est pas suffisant. Laissons les chercheurs travailler sereinement afin de connaître l’impact réel de ce frelon sur les ruchers grâce à une expérimentation scientifique rigoureuse. C’est un préalable indispensable.
Pour conclure, je salue le travail de notre collègue député Philippe Folliot, auteur d’une proposition de loi relative à la lutte contre le frelon asiatique, qui souhaite instituer un vrai cadre juridique autour de cette question.
Nous sommes cependant convaincus que le classement de cet insecte en espèce nuisible ne sera efficace que s’il permet aux pouvoirs publics de travailler de concert avec les scientifiques.
Le décret prévu dans la proposition de loi afin de préciser les moyens de lutte efficaces pour détruire ces insectes serait d’une très grande importance afin de trouver des dispositifs adaptés à la réalité, les techniques d’extermination étant vaines.
Tels sont, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments de réflexion que notre collègue Henri Tandonnet et moi souhaitions porter à votre connaissance.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Camani.
M. Pierre Camani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Nicole Bonnefoy de nous donner l’occasion de débattre de la prolifération du frelon asiatique.
Dans le Lot-et-Garonne, la présence du frelon asiatique est une réalité bien visible. En ces heures d’hiver où les arbres sont délestés de leurs feuilles, les nids de vespa velutina, relativement impressionnants par leur taille, apparaissent, accrochés aux branches dénudées.
Comme cela a été rappelé, c’est dans mon département que l’espèce exogène a été repérée pour la première fois en 2004. Dès 2005, on comptait déjà plusieurs nids. Depuis, l’expansion du frelon asiatique n’a cessé de progresser. D’après une étude lancée auprès des communes de l’ensemble du département pour cartographier la présence du frelon asiatique, il y aurait, aujourd’hui, plus de 600 nids.
Adapté au climat hexagonal, ne connaissant pas de prédateurs et trouvant dans l’abeille domestique une alimentation lui convenant, le frelon asiatique a connu une propagation fulgurante, notamment dans le grand Sud-Ouest.
Épicentre de l’invasion, nos territoires ont été confrontés à un phénomène que non seulement ils ne connaissaient pas, mais surtout qu’ils n’avaient pas les moyens, humains, financiers et scientifiques de maîtriser.
Les premières victimes de l’introduction du frelon asiatique sur le territoire métropolitain sont les apiculteurs, et donc plus largement les agriculteurs.
Bien sûr, le lien de causalité strict entre la présence du frelon asiatique et la mort d’un rucher est difficile à évaluer, mais il est bien réel. À titre d’exemple, il a été estimé que, dans le Lot-et-Garonne, la vespa velutina serait responsable, dans les petits ruchers familiaux, de la perte de 40 % du cheptel d’abeilles.
La prolifération du frelon asiatique n’a pas seulement une incidence sur la filière apicole. En effet, on doit également s’inquiéter de l’impact de la présence du frelon asiatique sur la production arboricole fruitière, ainsi que sur la production semencière.
Les conséquences se situent à trois niveaux.
D’abord, au-delà des attaques mortelles sur les abeilles, la pression exercée sur les ruchers n’est pas sans effet. Les abeilles, affolées par la présence de colonies de frelons asiatiques à proximité de leurs ruchers, n’en sortent plus et ne jouent plus leur rôle essentiel dans la pollinisation des arbres fruitiers et des autres végétaux.
Ensuite, madame la ministre, votre ministère l’a lui-même reconnu, le frelon asiatique pourrait causer des dommages sur les fruits.
Enfin, je m’inquiète de l’impact, qui n’est pas sans importance, de la présence de nids de frelons asiatiques sur les activités humaines. En effet, si les nids sont le plus souvent repérés à très grande hauteur dans les arbres, les frelons asiatiques construisent également leurs nids dans les haies, dans les buissons, mais aussi dans les arbres fruitiers. Je prendrai l’exemple particulier de la production de prune d’Ente, à partir de laquelle est élaboré le pruneau d’Agen, que chacun ici connaît bien.
Le verger recouvre 9 000 hectares dans le Lot-et-Garonne. Aujourd’hui, le ramassage de la prune d’Ente est entièrement mécanisé. Les arbres sont secoués par un engin agricole pour en faire tomber les fruits. Le frelon asiatique étant beaucoup plus puissant et rapide que le frelon européen, vous imaginez aisément les conséquences pour les travailleurs agricoles de la présence d’un ou de plusieurs nids dans un verger ! Des accidents sont d’ailleurs déjà survenus.
C’est pourquoi, madame la ministre, je regrette moi aussi que, six années après l’apparition du frelon asiatique sur notre territoire, nous en soyons encore au stade de la réflexion.
Je déplore, alors qu’il est de la compétence de l’État de lutter contre les espèces invasives, que nous n’ayons mis en place aucun moyen d’action coordonné afin de limiter sa prolifération à l’ensemble de la France. Nous le savons maintenant, l’éradication du frelon asiatique dit « à pattes jaunes » paraît désormais impossible.
Il ne s’agit pas d’intervenir aveuglément. Il est temps que la lutte contre la prolifération du frelon asiatique soit organisée et coordonnée.
Madame la ministre, j’appuie la demande de ma collègue Nicole Bonnefoy : à quand un classement du frelon asiatique en organisme nuisible afin de donner un véritable cadre juridique au piégeage ?
À quand l’organisation d’une information coordonnée à l’ensemble de nos concitoyens sur les véritables dangers du frelon asiatique et la diffusion de renseignements sur les moyens de piéger cette espèce efficacement, sans nuire aux autres ? Les scientifiques le reconnaissent, le piégeage désorganisé, non sélectif, est parfois encore plus nuisible pour la biodiversité que le frelon asiatique lui-même.
Les chercheurs doivent bénéficier de fonds pérennes pour pouvoir faire avancer leurs travaux sur les phéromones afin de créer des pièges sélectifs.
Il est temps, madame la ministre, de mettre en place une véritable coordination entre les différents acteurs du monde institutionnel, scientifique et professionnel impliqués sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, apparu en 2005 en Aquitaine, cela a été dit et redit à cette tribune, le frelon « asiatique » ou « à pattes jaunes » a colonisé une grande partie des départements du sud-ouest de la France.
Il s’avère être un redoutable prédateur pour les abeilles. En effet, dès son apparition, il a causé des ravages sur les colonies d’abeilles qu’il a croisées, ces dernières finissant par se jeter dans la « gueule du loup » en tentant de défendre leur ruche.
Le frelon asiatique niche très haut dans les feuillages des arbres. Aussi, il est très difficile à atteindre et le plus souvent indétectable avant qu’il ne soit trop tard.
Les apiculteurs tentent, grâce aux moyens du bord et avec plus ou moins de succès, de supprimer les nids de frelons asiatiques qu’ils trouvent, malgré tous les risques que cela comporte pour leur propre sécurité.
Cependant, il m’a été rapporté qu’en 2010 un apiculteur du Limousin avait tué 400 frelons asiatiques qui s’étaient installés à côté de ses ruches. L’année suivante, ils étaient 800 !
Le 26 avril dernier, notre collègue Michel Doublet, sénateur de la Charente-Maritime, a interrogé Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur la mise en place d’une action collective dans le cadre de la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.
Je suis également intervenue auprès de M. Bruno Le Maire, par courrier en date du 24 mai 2011, pour lui faire part de l’inquiétude des apiculteurs de ma région, l’Alsace, face à la prolifération de cet insecte.
II m’a alors précisé que le ministère de l’écologie – et je remercie Mme Kosciusko-Morizet d’avoir été présente aujourd'hui au banc du Gouvernement – avait engagé, le 10 février 2010, une vaste consultation des services de l’État et de l’ensemble des parties prenantes à ce dossier afin d’initier des programmes expérimentaux de lutte et de veille. Une véritable action a donc été menée depuis l’année dernière.
De plus, une mission conjointe des conseils généraux de l’agriculture et de l’environnement et de l’inspection générale des affaires sociales aurait été lancée afin de cerner la réalité et l’étendue des risques que le frelon asiatique est susceptible de faire peser sur les personnes, ainsi que sur la faune et la flore sauvage et domestique ; cette mission a pour objet essentiel d’apporter, en priorité, des solutions appropriées en matière de protection du cheptel apiaire.
Initié par le ministère de l’agriculture, un réseau de surveillance de l’implantation et de l’extension du frelon asiatique a été placé sous la responsabilité du Muséum national d’histoire naturelle.
Pourtant, cela n’est pas suffisant pour endiguer le phénomène !
Les apiculteurs du Haut-Rhin ont conscience que les colonies de frelons asiatiques approchent de leur région ; certains ont été repérés dans le secteur de Besançon. C’est ainsi que les apiculteurs alsaciens ont demandé le classement de cet insecte dans la catégorie des nuisibles.
Aussi, il serait important non seulement de traiter le problème du frelon asiatique sur les territoires où il s’est déjà installé mais également de tenter de l’endiguer. Pour ce faire, il faudrait fournir une marche à suivre aux apiculteurs, aux élus et à tous les intéressés qui n’ont pas encore été touchés.
Finalement, monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous préciser les mesures envisagées pour prévenir cette menace ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, mes chers collègues, j’allais m’adresser à Mme la ministre de l'écologie mais je constate que M. le secrétaire d'État chargé du logement l’a remplacée. Je déplore également l’absence de M. le ministre de l'agriculture, et je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour lui transmettre mes regrets.
Nos concitoyens s’intéressent à nos travaux parlementaires. Mais, lorsque j’ai dit à certains d’entre eux, la semaine dernière, que nous évoquerions la lutte contre le frelon asiatique, ils se sont étonnés que le Sénat n’ait pas mieux à faire… J’ai alors expliqué qu’il s’agissait d’un véritable problème de société, et c’est cet aspect que j’aimerais développer devant vous.
Tout d’abord, si, comme par le passé, nos abeilles étaient en nombre important, en bonne santé, bichonnées par ces artisans méticuleux que sont les apiculteurs, le frelon asiatique passerait, voire s’installerait, et il ne constituerait pas un problème majeur. Mais la situation est tout autre.
La préservation de l’abeille et de sa fonction pollinisatrice est indispensable à l’agriculture, à l’environnement, à l’économie. C’est aussi un enjeu primordial de sauvegarde de la biodiversité au cours des prochaines années et pour les générations futures. L’arrivée sur notre territoire du frelon dit « asiatique » pourrait être jugée mineure si celle-ci n’avait de graves conséquences sur les abeilles déjà extrêmement fragilisées.
Vespa velutina a été identifié dans une cinquantaine de départements. Les départements bretons commencent également à être touchés. Même si la majeure partie des premiers nids ont pu être détruits dans notre région, le facteur de reproduction de cet insecte est de cinq à dix. La situation deviendra donc rapidement préoccupante, comme elle l’est déjà dans les départements du Sud.
En effet, ce frelon est un prédateur redoutable pour les abeilles, qui représentent 80 % de son régime alimentaire. Or les mortalités annuelles de ruches sur une exploitation sont passées de 5 % à plus de 30 % en quinze ans. Les abeilles sont donc en déclin. À la propagation de parasites – Varroa, loque –, aux pesticides – le Gaucho, le Régent, le Cruiser –, aux OGM, s’ajoute depuis quelques années ce frelon asiatique, qui vient en « rajouter une couche ».
L’abeille, qui était présente sur notre planète bien avant l’être humain, permet, aujourd’hui encore, la pollinisation de plus de 70 % des plantes cultivées. Elle va très mal et ce constat doit nous alarmer.
L’Organisation mondiale de la santé animale parle du « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ». Les causes de cette surmortalité qui touche essentiellement les pays industrialisés – cela est important – sont multiples.
Les pratiques culturales productivistes de ces cinquante dernières années qui ont permis le développement de monocultures intensives ont contribué à l’affaiblissement du système immunitaire des abeilles. Les preuves scientifiques démontrent que les abeilles ayant accès à une diversité de pollens sont plus résistantes que celles qui n’ont accès qu’à une sorte de culture et, de ce fait, de pollen. Ces dernières sont plus sensibles aux maladies, aux parasites ainsi qu’aux effets néfastes des pesticides. Cette situation est aggravée par le fait qu’il existe peu de traitements. Le terme employé pour désigner les abeilles sur le marché de ces médicaments est d’ailleurs révélateur ; on parle d’« espèces mineures ».
L’emploi des pesticides, outre qu’il limite la diversité des pollens, a aussi une incidence meurtrière directe sur les abeilles.
Au-delà des abeilles, que l’on nomme fréquemment « sentinelles de l’environnement », c’est l’ensemble de la vie des micro-organismes du sol, la faune, la flore qui sont touchés. Ignorer que les pratiques culturales hyperintensives, utilisant les pesticides et divers intrants chimiques, sont les causes de la situation dramatique à laquelle nous devons faire face relève, j’ose le dire, du négationnisme.
Aussi, il conviendra de prendre véritablement les mesures qui conviennent pour faire avancer le plan Écophyto 2018, par lequel la France s’est engagée à réduire de 50 % l’usage des pesticides en agriculture à l’horizon 2018. Je rappelle qu’à la demande du président d’un grand syndicat l’expression « si possible » avait été ajoutée dans l’énoncé de cet engagement, ce qui dénote une terrible atténuation de la volonté politique.
Les solutions existent, elles ont maintenant été expérimentées par les apiculteurs et par les élus locaux concernés. Elles ont été citées, je n’y reviendrai pas.
Il s’agit donc d’endiguer ce phénomène jusqu’à ce qu’un équilibre naturel s’installe.
S’agissant du rôle que doit jouer l’État, nous ne pouvons que regretter les manquements de ce dernier, eu égard à l’importance de ce problème qui touche à la fois l’agriculture, l’économie et l’environnement.
C’est un plan de lutte global, certes national mais également communautaire, qu’il faut définir afin de dégager des moyens permettant la mise en place d’un programme au niveau des régions et des départements.
Les données scientifiques sur ce frelon sont maintenant suffisamment étayées pour que l’on puisse le classer parmi les espèces nuisibles et qu’un protocole de détection et de destruction puisse être véritablement mis en place.
La lutte contre la prolifération de cet insecte doit être considérée comme étant d’intérêt public et le coût des interventions ne doit pas être pris en charge par les particuliers, les apiculteurs ou les collectivités mais bien par un fonds spécial qu’il convient de créer et d’abonder. La création de ce fonds spécial est une nécessité. Compte tenu de la responsabilité de nombreux pesticides dans cette perte de biodiversité et dans le déclin des abeilles, un prélèvement sur la vente de ces produits appelés pudiquement « phytosanitaires » permettrait de financer ce fonds.
Je voudrais d’ailleurs saluer l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy qui a eu l’audace de déposer cette question orale, même si elle arrive tardivement en débat – mieux vaut tard que jamais ! On peut espérer qu’elle sera suivie d’effet…
Albert Einstein aurait dit : « Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quelques années à vivre » ; je vous invite à méditer cette phrase. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez excuser le départ de Nathalie Kosciusko-Morizet, tenue d’assister à un conseil de politique nucléaire réuni par le Président de la République.
Pour traiter du sujet du frelon asiatique, étaient effectivement qualifiés le ministre de l’agriculture, comme l’ont signalé Nicole Bonnefoy ou Claude Bérit-Débat, le ministre de l’écologie, bien évidemment, ou celui de l’intérieur : je m’exprimerai évidemment au nom du Gouvernement, donc en leur nom à tous.
Pour ne pas allonger le débat, je ne reviendrai pas sur l’historique de l’arrivée en France en 2004 du frelon à pattes jaunes et de son expansion sur notre territoire, Nicole Bonnefoy et Pierre Camani l’ont déjà très bien rappelé.
Je me concentrerai sur les impacts de cette espèce exotique envahissante et sur les moyens de lutte qui peuvent être envisagés, en me référant au rapport, que plusieurs d’entre vous ont évoqué, rendu en septembre 2010 par la mission conjointe d’inspection des ministères en charge de l’agriculture, de la santé et de l’écologie, mais aussi de l’excellent rapport du député Martial Saddier sur la filière apicole. Il a été parmi les tout premiers à nous alerter sur cette nouvelle espèce exotique envahissante.
Comme l’a fait Chantal Jouanno, je rappellerai qu’on ne connaît pas d’effet significatif exercé par le frelon à pattes jaunes sur la biodiversité.
Les éventuelles atteintes, souvent envisagées, ne sont pas identifiées comme une menace pour certaines espèces protégées ni pour les grands équilibres écologiques. Elles ne suscitent pas non plus de crainte particulière quant à la survie d’espèces d’insectes autres, évidemment, que l’abeille domestique. Cela ne nous empêche pas d’agir au profit de ces autres populations d’insectes, que ce soit par des politiques ciblées, comme le plan pollinisateur, le plan sur les plantes muscicoles, ou des politiques plus générales, comme la mise en place de la trame verte et bleue ou le plan Écophyto, également cité par Chantal Jouanno. Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement a consacré 140 millions d'euros à ce plan en 2011, ce qui représente un effort très important.
En ce qui concerne les craintes pour la santé publique, une enquête du comité de coordination de toxicovigilance publiée en mars 2009 conclut notamment : « Après une à quatre années pleines de colonisation de certains départements, on peut observer que ce frelon asiatique ne semble pas responsable d’un nombre plus élevé de piqûres qu’à l’accoutumée, et que les envenimations semblent posséder les mêmes caractères de gravité que nos espèces autochtones. »
Des éléments recueillis à la fin de 2011 auprès du médecin qui a rédigé ce texte confirment cette conclusion. Sur les quelque quinze décès consécutifs à des piqûres d’hyménoptères enregistrés chaque année, deux à trois seraient désormais dus au frelon asiatique.
Il existe, en revanche, comme l’ont rappelé Joël Labbé et Catherine Troendle, un problème manifeste dans la filière apicole : le frelon à pattes jaunes est un prédateur bien connu des abeilles domestiques, qu’il chasse devant les ruches. Comme les autres guêpes sociales, y compris les frelons européens, il s’agit d’un chasseur d’insectes qui a besoin de proies pour nourrir ses larves. Or aucune autre espèce d’insectes en France ne constitue pour lui un garde-manger aussi riche qu’une ruche, dont l’effectif représente pour un prédateur d’insectes une source alimentaire permanente sans équivalent.
Il faut noter d’ailleurs que, plus les milieux sont riches en biodiversité, moins les dégâts sont forts sur les ruches. En milieu périurbain, les abeilles représentent jusqu’à 80 % de l’alimentation des frelons, contre 30 % en zone naturelle. En revanche, je signale à Jacqueline Alquier et Pierre Camani que les études n’ont pas permis pour l’instant de mettre en lumière des dégâts particuliers sur les cultures fruitières.
La prédation exercée par ce frelon a donc cristallisé l’exaspération des apiculteurs, déjà confrontés, mais pour d’autres causes notamment évoquées par Nicole Bonnefoy, au dépérissement dramatique de leurs ruchers.
Si le frelon à pattes jaunes se distingue clairement des autres hyménoptères, c’est au regard non pas de la santé des personnes ou de la biodiversité, mais bien de productions agricoles.
En second lieu, j’évoquerai les moyens de lutte contre cette espèce, lesquels sont malheureusement limités à l’heure actuelle, comme l’a rappelé Françoise Férat.
Le piégeage des jeunes reines au printemps soulage les survivantes d’une concurrence agressive, ce qui n’est pas le but recherché. Je rappelle qu’un nid est capable de produire de 200 à 400 fondatrices, qui ne peuvent évidemment pas toutes être piégées. Si les pièges utilisés actuellement détruisent 90 % à 99 % d’autres insectes, 15 pièges font autant de dégâts qu’une colonie de frelons.
La destruction des nids ne peut être généralisée qu’à l’automne, lorsque les arbres ont perdu les feuilles qui les cachent, c'est-à-dire lorsque les fortes prédations sur les abeilles domestiques ont déjà eu lieu et peu avant que le froid de l’hiver n’ait tué les frelons qui occupaient ces nids. Cette opération s’avère donc inutile.
Par conséquent, madame Troendle, en l’état actuel de nos connaissances, ni l’éradication ni même le contrôle de l’expansion du frelon à pattes jaunes ne semblent des perspectives réalistes. Sur le terrain, la protection des biens et des personnes passe donc par des actions ponctuelles.
J’indique à Françoise Férat que scientifiques et techniciens travaillent actuellement à la mise au point de pièges rendus sélectifs grâce à des appâts n’attirant que ces seuls frelons : ils permettront de détruire les frelons à proximité des ruches menacées et là où leur densité pourrait présenter un risque.
Quels sont les moyens juridiques de mettre en œuvre cette protection rapprochée des intérêts légitimes des agriculteurs ?
Tout d’abord, il faut souligner qu’aucune espèce de guêpe ni de frelon ne figure en France parmi les espèces protégées. De ce point de vue, rien ne s’oppose donc juridiquement à la destruction de ces insectes ou de leurs nids, pourvu que les méthodes utilisées n’aient pas d’effets pervers sur d’autres espèces de la biodiversité.
Les interventions sur les nids des services départementaux d’incendie et de secours dans le cadre général prévu contre les hyménoptères ou des entreprises privées sont donc possibles. Selon la nature des risques encourus, leur éventuelle intervention est soit une mission de service public, soit une prestation à titre privé.
En effet, les services départementaux d’incendie et de secours ne sont tenus de procéder qu’aux seules interventions se rattachant directement à leurs missions de service public définies par la loi, c'est-à-dire un danger immédiat pour la population.
Ensuite, je tiens à indiquer à Nicole Bonnefoy et à Jacqueline Alquier que le classement d’une espèce comme nuisible, que ce soit au titre du code de l’environnement ou au titre du code rural, ne crée aucune obligation de financement de la part des pouvoirs publics.
La première possibilité juridique qui a été envisagée, l’inscription comme espèce nuisible au titre du code de l’environnement, est inadaptée, puisqu’elle ne porte que sur les espèces chassables, pour autoriser des moyens de destruction normalement prohibés. Ce cas de figure ne s’applique donc pas au frelon.
La deuxième possibilité envisagée est l’inscription comme espèce exotique envahissante au titre du code de l’environnement : elle n’est pas plus adaptée. Le principal effet de ce classement est d’interdire l’introduction dans le milieu naturel, ce que, bien évidemment, personne ne fait aujourd'hui. Cette mesure n’aurait donc pas plus d’impact que la précédente.
Reste la proposition rappelée par Chantal Jouanno. À cet égard, le député Philippe Folliot a déposé une intéressante proposition de loi visant à rendre le frelon asiatique nuisible au sens de la protection des végétaux. Cela nécessite une modification législative du code rural, comme ce fut le cas en son temps pour le ragondin et le rat musqué. En effet, le frelon asiatique fait, en réalité, plus de dégâts à la filière apicole qu’à la filière fruitière.
Outre que les impacts visés sont essentiellement de l’ordre agricole, cette proposition de modification du code rural présente un intérêt certain, celui de pouvoir s’appuyer très rapidement sur le réseau et l’organisation de terrain mis en place pour la protection des végétaux. Je pense aux services qui s’occupent de santé et de protection des végétaux dans les directions régionales chargées de l’agriculture ainsi qu’aux fédérations de lutte et de défense contre les organismes nuisibles, qui ont une bonne expérience technique et disposent de nombreux personnels sur le terrain.
Enfin, cette proposition est conforme à l’analyse du rapport d’inspection interministérielle, que j’ai déjà cité, qui identifiait le ministère chargé de l’agriculture comme pilote interministériel.
En réponse à une question orale du député Philippe Folliot, Nathalie Kosciusko-Morizet a indiqué, le 21 décembre dernier, que le Gouvernement soutenait cette proposition de loi.
Par une note de service très pédagogique de la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires en date du 15 novembre 2011, le ministère en charge de l’agriculture s’est d’ailleurs engagé, d’une part, à coordonner l’ensemble du dispositif pour ce qui concerne le volet agricole et, d’autre part, à ce que les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt assurent une veille au niveau régional et fournissent une information locale fiable et équilibrée.
Cette information vise en particulier les professionnels de la désinsectisation, les agents communaux, les agriculteurs, en particulier les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles et les groupements de défense contre les organismes nuisibles, mais également les chasseurs, les pêcheurs, les promeneurs et les associations de protection de la nature. Cette information contredit les rumeurs infondées mentionnées par Jean-Claude Requier.
Conformément aux recommandations du rapport commun aux trois missions d’inspection générale, le ministère chargé de l’écologie poursuit, quant à lui, son soutien financier au Muséum national d’histoire naturelle. Celui-ci travaille à réunir et à valider les données naturalistes relatives à l’expansion de cette espèce en France en s’appuyant, je tiens à le signaler, sur une démarche originale de science participative.
Le Muséum contribue aussi à la recherche de solutions nouvelles, notamment pour l’élaboration d’un piège sélectif, en coordination avec un laboratoire de l’Institut national de la recherche agronomique à Bordeaux, auquel le ministère apporte également son soutien financier.
Ainsi, le ministère chargé de l’écologie donne à la filière apicole les moyens de mieux connaître le frelon à pattes jaunes et de rechercher des solutions pratiques de protection des ruches par la mise au point d’un piège sélectif.
Dans cette affaire, qui a soulevé des craintes certes légitimes mais qui ne sont pas toutes fondées, l’action des pouvoirs publics ne pouvait être limitée au seul examen de dossiers techniques.
Les ministères concernés, en premier lieu desquels le ministère chargé de l’agriculture, ont pris les mesures appropriées pour limiter les nuisances de cette nouvelle espèce, avec laquelle il nous faudra désormais apprendre à cohabiter, comme le signalait Jean-Claude Requier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments de réponse que le Gouvernement souhaitait fournir à l’occasion de ce débat. Je remercie les orateurs pour leurs interventions fortes et légitimes. Le Gouvernement, soyez-en convaincus, sera bien évidemment aux côtés des agriculteurs et de la filière apicole pour défendre nos productions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)