M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous devons aussi être attentifs à l’image de la femme et des rapports entre les hommes et les femmes que véhiculent les médias et veiller à l’usage des nouveaux leviers donnés par la loi aux associations et au Conseil supérieur de l’audiovisuel pour lutter contre des représentations sexistes ou des « incitations aux violences faites aux femmes ».
En effet, les violences conjugales constituent l’un des symptômes d’une société qui place les femmes en situation d’infériorité. Par-delà la sanction des auteurs des violences et l’aide que l’on doit apporter aux victimes, c’est aussi en promouvant une culture de l’égalité entre les femmes et les hommes que nous devons répondre à ce problème. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsqu’on parle des violences faites aux femmes, l’erreur serait de croire que tout a été fait, que tout a été dit.
Aujourd’hui, en France, les violences faites aux femmes sont le marqueur dramatique et mortel de l’ampleur des inégalités entre les femmes et les hommes dans notre pays.
Une mortifère statistique nous le rappelle régulièrement : un jour sur deux, une femme meurt des coups de son conjoint. Une hier. Une demain.
Cette situation dramatique est notamment due, je le crois très sincèrement, à un manque de volontarisme politique. C’est pourquoi je salue cette proposition de résolution présentée par Roland Courteau.
Or il est possible d’agir, notamment grâce aux moyens des collectivités territoriales. Ainsi, au conseil régional d’Île-de-France, où j’ai l’honneur de siéger, nous avons – entre autres mesures, mais celle-ci est particulièrement importante – obtenu qu’une part du quota de logements sociaux de la région soit réservée aux femmes qui doivent décohabiter d’urgence, parce qu’il est essentiel que le nouveau domicile de la victime reste secret pour son ex-partenaire. (Mme Isabelle Debré le confirme.)
Le secret est très présent dans cette problématique ; il pèse comme une ombre menaçante au-dessus de toutes celles qui se murent dans le silence et la honte.
Le secret est aussi le fait de tous ceux que cette accablante réalité dérange, et qui préfèrent esquiver le problème, quitte à nourrir le tabou.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Vincent Placé. Pour cette raison, il est important de soutenir le travail remarquable des associations, qui aident notamment à faire comprendre à tous – victimes, bourreaux et anonymes – que cette situation n’est ni normale ni acceptable. Elle est juste insupportable, quand on voit le nombre de vies brisées de la sorte.
Menaces, chantages, séquestrations, viols, coups et blessures, tentatives de meurtre : tout cela concerne encore deux millions de femmes en France.
Tous les deux jours, je l’ai dit, un homicide est commis au sein du couple, et ce dans les pires conditions : usage d’une arme, strangulation, coups, immolation, incendie, défenestration... Ces mots durs, je vous les dis, mes chers collègues, car telle est la réalité, aussi sordide soit-elle. Et s’il y en a qui n’ont pas le droit de détourner la tête de cette réalité, c’est bien nous.
Dans toute l’Europe, la violence conjugale est devenue un phénomène endémique. Selon un rapport du Conseil de l’Europe, pour les femmes âgées de 16 à 64 ans, la violence conjugale serait la première cause de décès et d’invalidité, avant le cancer, les accidents de la route et la guerre !
Les violences psychologiques, moins connues, sont parfois pires, si j’ose dire, que les coups. Lorsqu’un homme terrorise, traque, humilie, ridiculise, insulte et isole sa compagne, il anéantit sa confiance en elle et sa dignité, l’empêchant ainsi de se prendre en charge.
Face à ce noir tableau, comment agir ? Commençons déjà par faire appliquer la loi. À cet égard, je ne doute pas que la création de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, présidée par David Assouline, y contribuera.
Une enquête de victimation réalisée par l’Observatoire national de la délinquance sur les violences conjugales, montre un très faible « taux de révélation », de l’ordre de 9 %, ce qui signifie que 91 % des affaires restent impunies et même ignorées !
M. Roland Courteau. C’est juste !
M. Jean-Vincent Placé. Aujourd’hui, les femmes continuent d’être victimes non seulement de tels actes, mais aussi d’un système aveugle à leurs souffrances, incapable de les protéger.
Nous devons prévoir un large plan de formation des professionnels de la santé, de l’éducation, de la petite enfance, de la justice et de la police aux spécificités des violences de genre.
Malheureusement, le temps de parole dont je dispose ne me permet pas de développer l’ensemble des éléments liés à cette question, mais Roland Courteau et Brigitte Gonthier-Maurin l’ont déjà excellemment fait.
J’insisterai toutefois sur la formation, la prévention, la mobilisation. Les leviers d’action sont nombreux pour parvenir à la fois à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes, à assurer la sécurité de nos concitoyennes et de leurs proches et, surtout, à protéger les droits humains.
Cet engagement, c’est un combat cher au cœur de chaque écologiste. « Femme, réveille-toi », exhortait Olympe de Gouges. « Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. » Ainsi commence, comme une incantation, le « postambule » de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
À mon tour, je veux dire à l’homme en général et aux hommes en particulier qui, malheureusement trop peu nombreux, sont présents ici aujourd’hui : homme, réveille-toi ! Entre dans ton siècle et bats en brèche ces pratiques d’un autre temps. Réveille-toi, car il n’y aura jamais d’égalité sans toi ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Roland Courteau de nous obliger une fois de plus à nous intéresser aux violences faites aux femmes.
Le 1er décembre dernier, j’ai demandé au Gouvernement de faire le point sur l’application de la loi du 9 juillet 2010. J’ai bien noté qu’une circulaire très complète avait été adressée aux différents acteurs de sa mise en œuvre. Toutefois, les résultats obtenus ne m’ont pas convaincue et ce que nous entendons, ici ou là, n’est toujours pas rassurant.
Aujourd’hui, en effet, ces violences faites aux femmes sont reconnues comme un enjeu de santé publique et considérées comme graves et inacceptables. Mais cela ne suffit pas pour en limiter la réalité.
Il n’existe pas de réponse unique, simple et complète qui permette de réduire ces violences. Les réponses sont multiples et s’appuient sur plusieurs niveaux.
Le premier type de réponse porte sur la législation, car, sans lois réprimant les violences spécifiques faites aux femmes, il est peu probable que celles-ci diminuent.
Le deuxième type de réponse s’appuie sur la mobilisation des professionnels.
Le troisième type de réponse consiste à faire avancer cette cause au sein de l’opinion publique.
Il s’agit d’aider à une évolution des mentalités, mais aussi des comportements, en traitant le problème à la source et en agissant sur ce qui l’a provoqué. (Mme Michelle Meunier et M. Roland Courteau acquiescent.)
C’est pourquoi la prévention par l’éducation est essentielle. Mais il y a fort à faire face aux modèles dominants, notamment ceux qui sont véhiculés par les médias s’adressant aux jeunes.
Ce sont sur les deuxième et troisième types de réponse que je souhaite insister.
Nos lois sont essentielles, mais encore faut-il qu’elles soient correctement appliquées, et cela sur l’ensemble du territoire, comme les collègues qui m’ont précédée l’ont souligné. En effet, elles resteront lettres mortes si les professionnels de la police, de la justice, de la santé, mais aussi le monde de l’éducation ne s’en emparent pas. Il faut avouer que, sur ce sujet, bien des progrès restent à faire.
M. Roland Courteau. Oh oui !
Mme Muguette Dini. Concernant la police et la gendarmerie, on sait que l’accueil et l’écoute peuvent être encore considérablement améliorés.
Mme Cécile Cukierman. En effet !
Mme Muguette Dini. Pour mieux comprendre ce qui se passe chez les magistrats, j’ai consulté des articles de doctrine commentant le vote de la loi du 9 juillet 2010. J’ai été surprise de constater que les juges aux affaires familiales, les JAF, sont encore fort critiques.
Je reprendrai la position d’un JAF du tribunal d’Évry, publiée dans la Gazette du Palais du 19 août 2010 : « La loi du 9 juillet 2010 crée un arsenal juridique important permettant de lutter efficacement contre les violences conjugales. Si le vote d’une loi et le renforcement des pouvoirs judiciaires apparaissent indispensables au regard du constat alarmant du nombre de violences conjugales en France, certaines dispositions laissent perplexes... »
Autre commentaire paru dans la Gazette du Palais du 11 novembre 2010 : « Sur le versant strictement pénal de la loi, certaines mesures sont sans doute excessives, telles le bracelet électronique ou la garde à vue “d’office”, qui ont déjà ému les milieux judiciaires. Le risque n’est pas mineur de voir les allégations infondées de violences se développer, noyant et affaiblissant le traitement des vrais drames du quotidien ».
Ces commentaires, face aux statistiques dramatiques que nous connaissons et qui ont été rappelées par nos collègues, montrent que l’implication des magistrats est loin d’être convaincante.
Les services de santé ont aussi leur rôle à jouer. Les médecins sont aujourd’hui conscients de l’ampleur du problème et du fait que la violence peut s’exercer dans n’importe quel milieu, sans relation avec l’âge, les origines, l’éducation, la religion, le statut marital, le niveau socio-économique.
M. Roland Courteau. C’est exact !
Mme Muguette Dini. Toutefois, ils pensent encore trop souvent que toute question de leur part est une intrusion dans la vie privée du patient et craignent d’offenser celui-ci.
Ils expriment souvent un sentiment de frustration, estimant n’avoir aucune solution efficace à proposer. Les médecins avouent être désemparés face à cette réalité, car ils ont généralement peu de temps à consacrer à une écoute qui peut aussi les déranger.
Là encore, l’urgence de la formation des généralistes et des spécialistes est d’actualité.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Muguette Dini. Enfin, pour ce qui est de l’école, sachant que c’est durant l’enfance et en particulier au cours de l’adolescence que les représentations sexistes se constituent, il est urgent de développer dans les établissements scolaires des actions de sensibilisation et de formation à l’égalité entre les sexes.
Comme dans d’autres secteurs de la vie sociale, les établissements scolaires sont confrontés à la violence, notamment sexiste, et ne sont pas à l’abri du déni de ces phénomènes.
Les tensions actuelles entre filles et garçons dans les établissements scolaires sont le produit de phénomènes que l’on n’a pas su ou voulu prévenir.
Les représentations de la femme soumise et de la femme objet, y compris chez des adolescents apparemment libérés des schémas traditionnels, persiste, voire se renforce. On a minimisé les mouvements idéologiques ou religieux qui justifient le partage des rôles sociaux, une image dégradée et méprisante des femmes et on a fait comme si la mixité à l’école allait de soi.
Comment lutter contre le déni de la violence sexiste ? Pour certains responsables d’établissements, le choix du silence reste l’attitude privilégiée, de peur d’une médiatisation des faits, fortement redoutée pour l’image du lycée ou du collège. (Mme Michelle Meunier et M. Roland Courteau acquiescent.)
Diverses recherches ont analysé la violence à l’école. J’ai retenu une enquête menée à Rennes au sein de deux collèges, l’un en milieu urbain et l’autre en milieu périurbain.
Il est apparu au cours de cette étude que la construction de la virilité joue comme instigatrice de violences entre élèves. C’est avant tout l’exclusion des filles qui se fait au travers de violences verbales, d’insultes à caractère sexuel, souvent liées à l’apparence physique.
Dans l’espace scolaire, les jeunes filles sont souvent ramenées à leurs corps et déconsidérées. Elles subissent aussi des violences physiques, qui semblent parfois le seul moyen trouvé par les garçons pour communiquer avec elles.
Dans la cour de récréation, on assiste à une représentation très caricaturale de la sexualité, qui est liée bien sûr à la pornographie, mais aussi à la représentation des femmes dans la société.
Les filles affirment généralement leur appartenance au genre féminin en surinvestissant les relations amoureuses et leur apparence physique, au risque de ne pas se construire pour elles-mêmes. Les relations avec les garçons tournent donc autour du regard posé sur elles et de multiples violences naissent de cet échange inégalitaire.
La sous-estimation des violences par les victimes elles-mêmes est liée à l’intégration du rapport de domination par les filles, qui manquent de confiance en elles. Elles ne savent pas, ou plus, distinguer les violences d’un comportement normal entre personnes égales. Elles ont tendance à minimiser ces violences, qu’elles voient comme une fatalité à accepter. La cécité ou la complicité des adultes qui tolèrent ces violences amènent les filles à les considérer comme « normales ».
Depuis plusieurs années, le système éducatif s’est engagé, au travers d’actions de sensibilisation auprès des jeunes, dans une politique volontariste de promotion de l’égalité entre les sexes. La multiplication de ces initiatives et leur inscription dans la durée sont essentielles ; elles sont un gage de leur réussite.
La mise en œuvre d’un plan de formation des personnels ou d’une formation locale se révèle indispensable pour que les communautés éducatives soient en mesure de trouver, ensemble, des réponses.
Les violences faites aux femmes sont une plaie de notre société, d’autant plus douloureuse qu’elle est souvent tue ou cachée. Mettons tout en œuvre pour éradiquer ce fléau et les dégâts qu’il entraîne sur les femmes elles-mêmes et sur leurs enfants.
Toute résolution et surtout toute action permettant d’avancer dans cette voie sont les bienvenues. C’est pourquoi le groupe UCR soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, décidemment, il en faut de la ténacité pour tenter de faire avancer la cause des femmes dans notre beau pays des droits de l’homme !
Comme l’a souligné Roland Courteau, la lutte contre les violences envers les femmes a fait l’objet de nombreux textes, mais ceux-ci restent peu ou mal appliqués.
Je ne puis m’empêcher de faire le parallèle avec la lutte incessante pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Nous examinerons d’ailleurs jeudi prochain dans cet hémicycle une proposition de loi relative à ce sujet, qui tend à instaurer des pénalités.
Quelle relation avec les violences subies par les femmes au sein du couple ? Leur continuum. En effet, les femmes sont encore trop souvent enfermées, réellement ou symboliquement, dans des rôles de conjointes ou de mères, qui constituent leurs fonctions sociales principales. Les stéréotypes ont la peau dure, car le fait de rendre les femmes responsables de la sphère domestique, qui va des enfants aux parents âgés et aux petits-enfants, permet aux hommes de s’en décharger et ainsi de vaquer à leurs occupations extérieures plus valorisantes et, en général, plus plaisantes. L’égalité ne peut donc malheureusement se réaliser sans efforts, ni renoncements de la part des hommes.
Cette situation d’infériorité sociale est intégrée très tôt par les petites filles, les adolescentes, les femmes, comme l’a souligné Muguette Dini, tout comme l’est la situation de supériorité chez les petits garçons, les adolescents et les hommes. L’éducation produit cette transmission et cette permanence des rôles et des valeurs, confortée par une société de consommation où il reste de bon ton d’offrir des poupées aux petites filles et des pistolets aux petits garçons.
Aussi, je soutiens fermement la démarche de notre collègue, qui réaffirme haut et fort la nécessité de poursuivre sans relâche l’éducation au respect mutuel entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’éducation à la sexualité et à la lutte contre les discriminations.
Le rôle dévolu aux femmes de garantir la bonne marche du foyer, du ménage comme on dit, les conduit à subir des situations de violences qui vont parfois jusqu’à l’extrême.
Cette situation est souvent insupportable et incompréhensible pour les proches. Pourtant, les associations qui interviennent auprès des femmes victimes de violences conjugales le disent et le répètent : ces femmes sont sous l’emprise de conjoints qui n’ont de cesse de les détruire pour confirmer, chaque fois un peu plus, leur rôle de dominant.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Michelle Meunier. Les violences conjugales sont des violences particulières, dont les conséquences le sont également. Ce n’est pas la même chose de subir des brimades, des insultes, des coups, des privations, des violences sexuelles, des contrôles, des menaces de mort de la part d’un inconnu ou même d’une personne du voisinage que de la part de son conjoint. Car il s’agit de la personne avec qui on s’est engagé dans une relation amoureuse, à qui on a accordé sa confiance, avec qui on a eu bien souvent des enfants. De là, aussi, la nécessité d’un traitement pénal adapté pour ces violences.
Subir la violence de ce conjoint plonge les femmes dans la détresse, l’isolement, le doute total. Elles doivent porter toute la responsabilité de n’avoir pas su être des femmes comme il faut, jusqu’à croire qu’elles sont les seules responsables des violences qu’elles subissent. C’est bien dans ce cercle infernal qu’elles sont enfermées !
Alors, quand elles osent dire ce qu’elles vivent, quand elles ont encore la force d’accomplir des démarches pour sortir de cette vie infernale, elles sont confrontées aux dures réalités de nos insuffisances, voire de nos ambiguïtés sociales. Oser porter plainte contre le père de ses enfants n’est pas facile.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Michelle Meunier. Le but premier des femmes n’est pas de faire punir cet homme : elles veulent seulement vivre en paix.
Les campagnes successives ont insisté sur la nécessité de parler des violences conjugales, mais là n’est plus le problème. On s’étonne que peu de femmes déposent plainte – seulement 8 % d’entre elles, nous dit-on –, mais, quand elles le font, quand elles recherchent la protection pour elles et leurs enfants auprès de la justice, leurs requêtes sont très souvent rejetées. Or, c’est souvent le premier contact qu’elles ont avec la justice : comment s’étonner qu’ensuite elles n’aient plus confiance ?
L’absence de traitement ou le rejet de leurs demandes de protection, le classement sans suite de leurs plaintes enferment de nouveau ces femmes dans le cercle infernal de la violence, rendent de la puissance à leur tyran domestique, voire les exposent à des violences redoublées.
M. Roland Courteau. Exact !
Mme Michelle Meunier. Ne l’oublions pas, les meurtres de femmes, les « féminicides » comme les nomment les associations féministes, ont lieu le plus souvent au moment de la séparation ou à l’annonce de cette séparation. Il ne fait pas bon sortir des griffes du tyran !
La loi du 9 juillet 2010 comporte, il est vrai, de réelles avancées : les mesures de protection, la reconnaissance des violences psychologiques, le refus du mariage forcé ont suscité de grands espoirs du côté des associations de défense et de protection des victimes. Mais aujourd’hui, leur désillusion est très grande...
Nous attendons avec impatience le bilan qui devrait déjà avoir été établi, mais nous savons aussi qu’il sera très insuffisant. Nous devons nous en alarmer, comme nous l’avons fait avec Roland Courteau, et nous interroger sur les raisons de cette absence d’application des textes ou de leur application partielle.
Très peu de tribunaux se sont emparés véritablement de la question des violences faites aux femmes, en particulier au sein du couple.
Les mesures de protection ne sont que très rarement mises en exécution, sous divers prétextes : situation complexe, absence de preuves tangibles du danger pour la femme, impossibilité de répondre rapidement aux demandes, renvois vers les procédures de divorce pour les cas de couples mariés... Parfois, c’est la crainte de se tromper qui amène le juge à refuser cette mesure de protection.
Il est évident que cette nouvelle mesure place le juge des affaires familiales dans un rôle qui lui est peu familier. Cela a été dit, il est nécessaire de développer des sessions de sensibilisation et de formation aux violences conjugales et à la situation d’emprise à destination des professionnels de la justice, c'est-à-dire des juges, des avocats et des bureaux d’aide aux victimes.
Pour autant, il ne s’agit pas seulement d’une question de justice. La sensibilisation doit être développée aussi auprès des professionnels de santé – infirmières scolaires, médecins généralistes, psychiatres, traumatologues – qui reçoivent et accompagnent les femmes et les enfants, qui établissent les certificats médicaux déterminants dans le processus judiciaire.
De même, les policiers et gendarmes doivent pouvoir régulièrement être sensibilisés à cette problématique, qui représente bon nombre de leurs interventions et aboutit à des dépôts de plainte. À ce sujet, je souligne l’initiative, qui a eu cours il y a quelques années dans le département de la Loire-Atlantique dont je suis l’élue et qui, je crois, est appliquée aujourd'hui dans d’autres départements, de doter les policiers et gendarmes d’une fiche-guide pour recueillir une plainte pour violence conjugale.
En effet, on l’a dit aussi, traiter des violences conjugales suppose de mettre en dialogue les différents acteurs et actrices concernées par l’aide aux femmes sur chaque territoire : les institutions et les associations d’aide aux victimes.
Selon moi, il s’agit d’une question non seulement de moyens, mais surtout de volonté politique au sens large : volonté de comprendre la question des violences conjugales, leurs ressorts et leurs conséquences spécifiques ; volonté d’appliquer la loi protectrice pour les victimes et éducative pour les auteurs.
Les moyens consacrés à la prévention, à la sensibilisation et à l’éducation seront toujours inférieurs au coût que représentent la répression et l’enfermement.
Comme sur tous les sujets relatifs aux droits des femmes, il nous faudra encore longtemps rester vigilants et tenaces pour obtenir des avancées significatives et construire cette société égalitaire que nous appelons tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les violences faites aux femmes doivent faire l’objet d’une lutte permanente. Je remercie notre collègue Roland Courteau de permettre, une nouvelle fois, la tenue d’un débat dans notre hémicycle sur cette question, avec un texte qui a pour ambition la stricte application de la loi.
Le silence des victimes ne doit pas se traduire par une ignorance de ce fléau qui, au XXIe siècle, est incompatible avec l’avancée des droits des femmes et les devoirs des hommes. Encore aujourd’hui, dans notre pays, des femmes succombent aux violences exercées par leur mari, leur partenaire, leur concubin, voire leur ancien compagnon.
La loi du 9 juillet 2010, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat, a créé une réponse globale associant protection, prévention et répression. Avec l’ordonnance de protection qui permet d’assurer la prise en compte des difficultés juridiques et financières vécues par les victimes, cette loi doit leur apporter un soutien indispensable à des moments où elles sont profondément fragilisées et vulnérables. Elle leur fournit un bouclier qui peut, par exemple, empêcher l’auteur des violences d’entrer en relations avec elle, de lui faciliter l’obtention d’un logement, de dissimuler son adresse.
Le nombre des ordonnances ainsi délivrées est bien supérieur à celui de celles qui sont rendues sur la base du référé prévu à l’article L. 220-1 du code civil. Cependant, l’apparente réussite de cette protection est affaiblie par le délai qui court entre le dépôt de la demande de l’ordonnance et sa délivrance. Ce sont en moyenne vingt-six jours de trop, durant lesquels les victimes continuent de subir des violences et risquent la mort.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Françoise Laborde. En ce qui concerne les victimes étrangères, elles obtiennent difficilement la carte de séjour à laquelle elles ont pourtant droit lorsqu’elles bénéficient d’une ordonnance de protection. Les préfectures semblent méconnaître les dispositions de la loi et une meilleure information pourrait remédier à ce problème inquiétant. Nul n’est censé ignorer la loi, et certainement pas les agents des préfectures…
Le rôle de la prévention est primordial pour mener cette lutte. La loi prévoit que les programmes scolaires doivent intégrer des modules sur l’égalité entre les sexes. Le changement des mentalités ne peut se construire que par une éducation favorisant le respect mutuel. Le rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants ne peut pas être négligé, mais il doit être renforcé par la sensibilisation collective. La formation des professionnels est donc indispensable.
Des études menées par l’Organisation mondiale de la santé dans plusieurs pays confirment l’utilité de telles formations, qui se sont révélées efficaces dans la lutte contre les violences conjugales.
L’entourage a lui aussi un rôle à jouer. Écoute et soutien doivent conduire la victime à prendre conscience de la gravité des faits et de son statut de victime. C’est d’autant plus nécessaire dans le cas des violences psychologiques.
Des campagnes médiatiques doivent être encouragées. La présentation des chiffres et des actions menées accroît la prise de conscience des citoyens de l’étendue des violences conjugales. Il est donc important d’établir des données fiables et des évaluations sur la mise en œuvre des politiques publiques en la matière et sur leur efficacité, afin d’apporter des améliorations.
La communication des chiffres et, surtout, du taux de réussite des procédures peut inciter les victimes à porter plainte et leur montrer qu’il leur est possible de sortir de leur cauchemar.
En matière d’évaluation, trois rapports devaient être remis au Parlement en 2010 et en 2011 : le premier devait porter sur l’application de l’ordonnance de protection aux ressortissants algériens, le deuxième, sur la formation des acteurs concernés par la prévention et la prise en charge des victimes et le troisième, sur la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes. Hélas, madame la ministre, ces rapports n’arrivent pas vite !
Une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes, fixée au 25 novembre, a été prévue par la loi du 9 juillet 2010. Malheureusement, en 2011, cette journée n’a pas tenu ces promesses, faute de soutien institutionnel.
Certes, depuis le début des années 2000, des progrès ont été effectués en matière de violences conjugales. Cet effort doit être poursuivi et la législation doit viser à établir l’égalité entre les femmes et les hommes pour neutraliser la domination qui peut s’instituer au sein du couple et qui est à l’origine de nombreuses violences.
Pour conclure, je rappellerai brièvement un point essentiel à mes yeux : le travail effectué sur le terrain par de nombreuses associations, que je tiens à remercier.