Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaire :
M. Alain Dufaut.
2. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
3. Loi de finances rectificative pour 2012. – Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
Discussion générale : Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement ; M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances ; MM. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales ; Philippe Marini, président de la commission des finances ; Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Dominique de Legge, Joël Labbé, Vincent Delahaye, David Assouline.
Mme la ministre.
Clôture de la discussion générale.
Motion n° 1 de la commission. – Mmes la rapporteure générale, la ministre, Marie-Hélène Des Esgaulx, Marie-France Beaufils, MM. Jean-Jacques Pignard, Jean-Jacques Mirassou. – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet du projet de loi.
4. Transport aérien de passagers. – Rejet d'une proposition de loi en nouvelle lecture
Discussion générale : M. Thierry Mariani, ministre chargé des transports ; Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Jeannerot, rapporteur.
M. François Fortassin.
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Joël Labbé, Vincent Capo-Canellas, Jacky Le Menn, Mme Isabelle Pasquet.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Motion n° 1 de la commission. – Mme la présidente de la commission, M. le ministre, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Marie Bockel.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
Mme Isabelle Pasquet, M. Jean-Jacques Mirassou. – Adoption de la motion entraînant le rejet de la proposition de loi.
5. Communication relative à un projet de nomination
6. Majoration des droits à construire. – Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
MM. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie ; le président.
Discussion générale : MM. Benoist Apparu, ministre chargé du logement ; Thierry Repentin, rapporteur de la commission de l’économie ; René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
Discussion générale (suite) : M. Jacques Mézard, Mme Élisabeth Lamure, MM. Joël Labbé, Daniel Dubois, Gérard Le Cam, Jean-Jacques Filleul, Philippe Dallier, Pierre Jarlier, Claude Dilain, Claude Bérit-Débat, Martial Bourquin.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Philippe Dallier, Daniel Dubois, le président de la commission. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er A
Amendements nos 6, 9 rectifié et 7 de M. Daniel Dubois. – MM. Daniel Dubois, le rapporteur, le ministre. – Retrait des trois amendements.
M. Gérard Le Cam.
Amendement n° 3 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendement n° 5 de M. Pierre Jarlier. – M. Pierre Jarlier.
MM. le rapporteur, le ministre, Charles Revet. – Rejet des amendements nos 3 et 5.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 8 rectifié de M. Jean-Paul Amoudry. – MM. Jean-Paul Amoudry, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 4 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
M. Jean-Jacques Filleul, Mme Élisabeth Lamure, M. Joël Labbé.
Adoption du projet de loi.
7. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaire :
M. Alain Dufaut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 59 de la loi n° 2011–900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, le rapport sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.
3
Loi de finances rectificative pour 2012
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012 (projet n° 440, rapport n° 441).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, madame la rapporteure générale de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, ce collectif budgétaire atteste la détermination du Gouvernement et de sa majorité à répondre au défi de la croissance. Au cœur de ce défi, il y a deux enjeux essentiels : le désendettement et la compétitivité. Car notre conviction, c’est qu’il n’y aura pas de croissance forte et durable et de reprise de l’emploi si nous continuons à dépenser plus de richesse que nous n’en créons, donc à vivre au-dessus de nos moyens, si nous n’améliorons pas la gouvernance financière de l’Europe et si nous ne mettons pas un terme à notre déficit de compétitivité.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement regrette que la Haute Assemblée soit restée à l’écart de cette mobilisation d’intérêt national. Ce collectif, il aurait pu et dû être l’occasion de nous rassembler face à la crise et de préparer l’avenir de notre pays.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais en première lecture, vous avez préféré rejeter le texte en bloc. Vous n’avez pas souhaité débattre.
Cette décision, je la regrette, car nous aurions pu forger un consensus fort sur certaines questions qui dépassent très largement les querelles partisanes : je pense à la solidarité européenne, à la taxation des transactions financières, à la nécessité de redonner de la compétitivité à notre industrie. Je le regrette aussi parce que le Parlement est le lieu par essence du débat démocratique et que je ne crois pas que l’on sert l’intérêt général quand on fuit le débat.
Mais cette décision aura au moins eu une vertu : celle de démontrer aux Français qu’il n’existe aucune alternative sérieuse (M. Éric Bocquet s’exclame.) à la stratégie du Gouvernement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est clair !
Mme Valérie Pécresse, ministre. En effet, refuser de débattre, c’est tout simplement avouer qu’il n’y a pas de projet alternatif à défendre.
Mme Marie-France Beaufils. Mais si !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Clairement, deux politiques divergentes s’opposent.
D’un côté, il y a le Gouvernement, qui sait que la croissance ne sera au rendez-vous qu’à condition de réduire les déficits, de restaurer la compétitivité de nos entreprises, de lutter contre le chômage et de préparer la France à l’économie de demain. Cette vision, les sénateurs de la majorité présidentielle la défendent, et je veux les remercier de leur lucidité, de leur courage et de leur soutien.
Et puis il y a la gauche, qui s’exprime aujourd’hui par la voix de la majorité sénatoriale, dont la seule politique est de pratiquer le contre-pied systématique.
Mme Annie David. Ce n’est pas vrai !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous ne cessez de contester la nécessité de nos réformes. Vous considérez qu’il ne faut pas réformer, voire qu’il faut revenir en arrière sur les réformes. Et quand vous affirmez qu’il n’est plus temps de débattre, qu’il n’est plus temps d’adopter de nouvelles réformes, vous ne faites, me semble-t-il, que prouver une fois de plus que, à vos yeux, la compétitivité de la France n’est pas une priorité. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. François Marc. Oh !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais dois-je vraiment le rappeler ? Chacun sait ici que lorsque le Parti socialiste est au pouvoir, il ne fait pas grand cas de la compétitivité de nos entreprises.
M. François Marc. Vous avez fait quoi depuis cinq ans ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Heureusement que nous étions là !
Mme Valérie Pécresse, ministre. On a parlé de la retraite à soixante ans, des 35 heures, et j’en passe, ce ne sont là que quelques-uns des contresens économiques qui ont durablement affaibli notre pays et notre compétitivité.
À l’évidence, vous n’avez toujours pas tiré les leçons de ces erreurs, je dirai même de ces fautes dont les Français payent encore le prix.
Mme Michèle André. Ah bon ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. À l’évidence, vous n’avez pas encore intégré un fait : avant de répartir les richesses, encore faut-il en créer ! La politique économique est finalement le grand absent du programme socialiste.
Or, mesdames, messieurs les sénateurs, quand on traverse une crise économique sans précédent et quand le monde entier évolue, on ne peut se permettre de reporter ou de placer au second plan des réformes que nous savons indispensables.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Lesquelles ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est maintenant qu’il faut agir.
C’est précisément ce que font le Gouvernement et l’Assemblée nationale depuis cinq ans, en agissant, en toute coresponsabilité, avec deux objectifs très clairs.
Le premier est de restaurer la compétitivité de notre pays en poursuivant notre programme ambitieux de réformes.
C’est essentiel, parce que, aujourd’hui, nos entreprises industrielles sont soumises à une concurrence internationale accrue et à la tentation très forte de délocaliser leur production.
Il y a deux semaines, j’étais avec le Premier ministre et François Baroin dans la Somme, où nous avons rencontré de nombreuses entreprises, des grandes, des moyennes et des petites, et dans tous les domaines. Toutes nous ont dit la même chose : quand elles exportent, elles se trouvent systématiquement en concurrence avec nos partenaires européens, notamment allemands. Alors ce qu’elles demandent, ces entreprises, c’est qu’on leur donne les moyens d’être plus compétitives, qu’on les arme face à la concurrence. Elles souhaitent pouvoir continuer à produire en France, mais, pour cela, il faut leur donner la possibilité – je le répète – de se battre à armes égales avec leurs concurrents.
Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux réformes que nous menons depuis cinq ans, ces entreprises disposent déjà d’outils de développement efficaces. Car nous n’avons cessé d’agir pour améliorer leur compétitivité, en insistant d’abord sur l’innovation et sur l’investissement, c’est-à-dire sur leur compétitivité hors prix. Et les résultats sont là :…
Mme Annie David. Les résultats sont là : le chômage augmente !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … grâce au triplement du crédit d’impôt recherche et aux 35 milliards d’euros des investissements d’avenir, nos entreprises peuvent innover davantage ; grâce à la suppression de la taxe professionnelle, elles peuvent investir davantage ; grâce aux heures supplémentaires défiscalisées, elles ont davantage de souplesse. Mais il faut aller plus loin.
C’est la raison pour laquelle ce collectif propose des avancées majeures en matière de compétitivité hors prix.
Je pense à la création d’une banque de l’industrie dédiée au financement des PME, à laquelle sera consacré 1 milliard d’euros des investissements d’avenir. Je pense également au renforcement du plan de développement de l’apprentissage, qui va durcir les sanctions contre les entreprises ne respectant pas le quota d’apprentis, quota que nous allons porter à 5 % des effectifs.
Mais au-delà de la compétitivité hors prix, nos entreprises ont surtout un lourd handicap de compétitivité prix.
Pourquoi ? Parce que certaines mauvaises décisions prises au cours de la décennie précédente et dont je parlais à l’instant ont considérablement alourdi le coût du travail en France. Un rapport publié par l’INSEE la semaine dernière montre ainsi que notre pays détenait un net avantage par rapport à l’Allemagne en matière de coût du travail horaire dans l’industrie en 1996, mais que cet avantage s’est entièrement résorbé. (M. Éric Bocquet s’exclame.)
Dans un tel contexte, la nécessité de réduire le coût du travail devrait être reconnue sur toutes les travées de cette assemblée. Je vous rappelle d’ailleurs qu’en 2002 Lionel Jospin lui-même, alors Premier ministre, se prononçait en faveur d’une baisse du coût du travail, que soutenaient encore très récemment certains ténors de la gauche ! Je n’évoquerai que les plus connus : Dominique Strauss-Kahn, Manuel Valls ou Jean-Marie Le Guen.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le demande : est-il aujourd’hui légitime que la politique familiale soit supportée uniquement par les entreprises et leurs salariés ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bien sûr que non !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Non, ce n’est plus légitime.
Nous voulons donc mettre en œuvre une mesure très simple d’exonération des charges familiales patronales sur les salaires. Les entreprises bénéficieront d’une exonération totale pour les salaires inférieurs à 2,1 fois le SMIC, et dégressive pour les salaires compris entre 2,1 et 2,4 fois le SMIC.
C’est une mesure forte – une baisse de 5,4 % du coût du travail –, dont les effets profiteront à la fois à la compétitivité de nos entreprises et à l’emploi des salariés les plus exposés à la concurrence internationale.
Notre barème cible en effet les salaires bas et moyens. Les salaires élevés continueront, eux, à être assujettis à des charges sociales et familiales. Ce n’est donc pas une mesure pénalisant les bas salaires : au contraire, c’est une mesure destinée à favoriser l’emploi des salariés modestes et moyens. Elle bénéficiera à 90 % des salariés des très petites entreprises, à 80 % des salariés de l’industrie, à 93 % des salariés de l’agriculture.
À terme, elle créera 100 000 emplois. (Mme Annie David s’exclame.) Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, 100 000 emplois ! Et c’est une tranche basse. Cette estimation reste effectivement modeste au regard des effets sur l’emploi des allégements généraux de charges dits « allégements Fillon », qui ont créé ou sauvegardé entre 400 000 et 800 000 emplois.
Pour financer cette mesure, nous avons décidé d’augmenter deux ressources. D’abord, les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine. Étrangement, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne parlez jamais de cette hausse de 2,6 milliards d’euros de la fiscalité sur les revenus du patrimoine, sans doute parce que cela vous gêne…
M. Jacky Le Menn. Pas du tout !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … de reconnaître que le Gouvernement, en toute matière, se soucie d’équité fiscale. (Mme Annie David sourit.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On a fait mieux depuis !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Oui, nous allons demander plus à ceux qui perçoivent des revenus du patrimoine, nous allons leur demander de payer une partie de la baisse des charges sur les moyens et les bas salaires. (M. Jacky Le Menn s’exclame.) Ce sont ainsi 2,6 milliards d’euros supplémentaires qui seront prélevés sur les revenus du patrimoine des ménages les plus aisés. Au lieu de ne parler que de la TVA, démontrez-nous, mesdames, messieurs les sénateurs, que cet impôt sur les revenus du patrimoine ne touche que les plus fragiles !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vous qui parlez de la TVA !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Faisons la démonstration, madame la rapporteure générale, puisque vous m’interpellez : 13,6 milliards d’euros de baisse du coût du travail sur des moyens et des bas salaires compensés par 10,6 milliards d’euros de hausse de la TVA et par 2,6 milliards d’euros de hausse de la fiscalité sur les revenus du patrimoine, vous voyez bien que l’addition est tout à fait en faveur des salariés français.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ils l’apprécient !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Bien sûr, nous augmentons la TVA à taux normal, mais, dans le même temps, nous baissons davantage le coût du travail sur les produits français. Les prix des produits français n’augmenteront donc pas. Seuls, peut-être, les prix des produits importés peuvent augmenter puisqu’ils ne bénéficient pas de la baisse du coût du travail. Quoique ! Car on sait très bien que la pression de la concurrence sur les produits importés est telle que leur prix ne devrait pas non plus connaître de hausse significative. (Mme la rapporteure générale de la commission des finances s’exclame.) Si vous ne me croyez pas, madame la rapporteure générale, souvenez-vous de la hausse de TVA décidée par Alain Juppé en 1995.
Vous l’avez bien observé : à cette époque, la hausse de deux points de la TVA s’était traduite par une hausse des prix de seulement 0,5 %, alors même qu’il n’y avait pas eu de baisse du coût du travail. Je vous le répète donc, cette hausse de TVA de quelque 10 milliards d’euros accompagnée d’une baisse de quelque 13 milliards d’euros du coût du travail ne se répercutera pas sur les prix.
Je répète également que seuls sont concernés les produits soumis au taux normal de TVA, qui ne représentent que 40 % de la consommation des ménages. Les loyers ne sont pas soumis à la TVA, les produits alimentaires sont imposés à 5,5 %, les médicaments à 2 %, les produits de première nécessité à 5,5 %.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous agitez le spectre d’une flambée des prix mais vous voyez bien qu’elle ne se produira pas.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous n’avons pas parlé de flambée, mais seulement d’augmentation !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Les raisonnements que vous tenez depuis deux semaines sont erronés, tronqués et parfois mensongers. (Mme la rapporteure générale de la commission des finances s’exclame.) Le relèvement du taux normal de la TVA n’aura pas d’incidence sur le pouvoir d'achat des Français.
Mme Annie David. Vous ne pouvez pas le croire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’ai aussi entendu certains d’entre vous dire que cette mesure constituait une hausse d’impôt.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Oui, en effet !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce n’est pas vrai, madame Bricq ! Car la baisse du coût du travail est strictement égale à la hausse des prélèvements. (Exclamations et sourires sur les travées du groupe socialiste.) Il s'agit d’un transfert de fiscalité et non d’une hausse d’impôt : il n’y aura pas un euro supplémentaire dans les caisses de l’État.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce ne sont pas les mêmes qui paient !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce n’est pas une hausse d’impôt !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je le répète, il ne s'agit pas d’une hausse d’impôt : il n’y aura pas un euro supplémentaire dans les caisses de l’État ni dans celles de la sécurité sociale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est formidable ! Je ne savais pas que vous étiez prestidigitatrice !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Contre toute évidence, vous vous obstinez à soutenir qu’il existe une autre voie, un autre chemin que les réformes structurelles pour retrouver la croissance. Il y aurait un chemin miraculeux, qui permettrait de se passer de toute réforme… (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ronan Kerdraon. Là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, la croissance ne se décrète pas : il faut passer aux actes.
M. Jacky Le Menn. Eh oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le deuxième objectif de notre politique est de réduire nos déficits publics,…
M. Jacky Le Menn. Parlons-en !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … quelle que soit la conjoncture économique – je pèse mes mots – et sans porter atteinte à une croissance encore fragile.
Nos engagements de réduction des déficits sont les engagements de la France ; ils sont intangibles. Quoi qu’il arrive, nous progresserons au rythme prévu sur notre chemin de désendettement, pour atteindre l’équilibre budgétaire en 2016, et non, comme je l’ai entendu dire par le candidat socialiste, « en 2017, à condition que la croissance soit là ». Ce n’est pas un discours responsable (M. Jacky Le Menn s’exclame.), ce n’est pas un discours qui honore de la France !
M. Ronan Kerdraon. Et celui de Nicolas Sarkozy, alors ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous devons tenir ces engagements que nous avons pris vis-à-vis de l’ensemble de nos partenaires européens, mais aussi vis-à-vis des Français.
Vous connaissez notre chemin de réduction du déficit public : en 2010, notre déficit s’élevait à 7 % ; en 2011, il a été inférieur à 5,5 % ; pour 2012, notre objectif est de le ramener à 4,5 %. Si nous atteindrons cet objectif, c’est en premier lieu grâce à la bonne gestion qui a caractérisé l’exercice 2011 et à la prudence de nos hypothèses de croissance.
J’insisterai d'abord sur notre bonne gestion. Vous nous avez répété pendant des mois, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous n’atteindrions pas notre objectif de 5,7 % de déficit public en 2011. Je dois vous donner raison : nous n’avons pas fait 5,7%, nous avons fait mieux !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Ronan Kerdraon. Bravo !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce très bon résultat, qui témoigne de la sincérité et de la réactivité avec lesquelles le Gouvernement gère les comptes publics, aura naturellement des prolongements en 2012, à hauteur de 3,6 milliards d'euros. Nous pourrons ainsi tenir nos engagements sans demander d’efforts supplémentaires aux Français (M. Ronan Kerdraon s’exclame.), malgré les incertitudes qui pèsent sur la conjoncture.
J’en viens à notre prudence. L’opposition n’a cessé de répéter que nos prévisions de croissance étaient trop optimistes, que l’objectif était inatteignable.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Qu’est-ce qu’on n’a pas entendu !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Là encore, vous avez eu tort. Le quatrième trimestre de l’année dernière ayant été meilleur que prévu, la croissance du PIB s’est établie à 1,7 % en 2011,…
M. Ronan Kerdraon. Et le chômage ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. … soit précisément l’hypothèse que nous avions retenue. Grâce à cette croissance de 1,7 %, nous possédons un acquis de croissance de 0,3 %, ce qui constitue une bonne nouvelle pour le respect de nos engagements en 2012, que vous avez également mis en question.
M. Jacky Le Menn. C’est une bonne nouvelle pour les RMIstes !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ailleurs dans la zone euro, les résultats sont moins encourageants : nos principaux partenaires connaissent des ralentissements marqués de leur activité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne croyez-vous pas qu’il est temps de reconnaître que, dans cette conjoncture particulièrement difficile, la stratégie que nous avons adoptée est la bonne. Nous marchons vers l’équilibre budgétaire…
M. Ronan Kerdraon. À quel prix ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. … tout en préservant notre croissance. Compte tenu de l’environnement économique, nous devons cependant rester très prudents. C’est pourquoi nous retenons aujourd’hui une prévision de croissance de 0,5 % ; je crois qu’il existe un consensus entre la droite et la gauche sur ce point. Au total, l’impact de cette révision pèsera sur le solde des administrations publiques à hauteur de 5 milliards d’euros. Pour autant, nous tiendrons nos objectifs de réduction des déficits sans avoir besoin de ce troisième plan de rigueur que, l’automne dernier, vous annonciez à cor et à cri.
Je résume vos propos, mesdames, messieurs les sénateurs : notre croissance devait être inférieure à nos prévisions – nous devions même entrer en récession –, notre déficit devait être plus important que prévu et nous devions nécessairement mettre en œuvre un troisième plan de rigueur. Tout cela par la faute de Nicolas Sarkozy !
M. Ronan Kerdraon. Eh oui ! Tout de même !
M. Jacky Le Menn. Mais il n’était pas tout seul : vous l’avez aidé !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Puisque nous avons tenu nos objectifs de croissance, puisque nous avons dépassé nos objectifs de réduction des déficits, puisque nous abordons l’année avec bon espoir de tenir nos engagements pour 2012…
M. Ronan Kerdraon. Ceux de 2007 n’ont pas été tenus !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … sans avoir besoin d’un troisième plan de rigueur, peut-être pourriez-vous admettre que ces réussites sont dues à la politique de Nicolas Sarkozy ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils en sont incapables ! Ils sont dans l’antisarkozysme primaire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Certes, madame Des Esgaulx, mais il faut être logique : si Nicolas Sarkozy était responsable de tout ce qui allait mal, peut-être est-il également responsable de l’amélioration de la situation.
M. Ronan Kerdraon. Merci Nicolas !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Si, en dépit de cette révision des perspectives de croissance, nous tiendrons nos objectifs sans demander le moindre effort supplémentaire aux Français, c’est également parce que le présent collectif budgétaire compense intégralement l’impact de cette révision.
En effet, le Gouvernement accompagne sa nouvelle prévision d’un effort supplémentaire de 1,2 milliard d’euros, auxquels s’ajoutent 400 millions d’euros de redéploiement en faveur de l’emploi. Ces annulations sont entièrement absorbées par la réserve de précaution que nous avions pris soin d’augmenter à 6 milliards d'euros. Par conséquent, pas un seul euro supplémentaire n’est demandé aux Français. J’ajoute qu’il nous reste des marges de manœuvre, à hauteur de 4,4 milliards d’euros, pour faire face aux habituels aléas d’exécution du budget. (M. Jacky Le Menn s’exclame.)
Par ailleurs, nous consolidons nos recettes grâce à deux décisions importantes : la mise en place de la taxe sur les transactions financières, qui rapportera 1,1 milliard d'euros en année pleine, et le renforcement de notre arsenal de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, qui devrait accroître nos recettes de 300 millions d'euros. (Mme la rapporteure générale de la commission des finances s’exclame.) Je crois que, sur ces deux sujets, il devrait exister un consensus entre la droite et la gauche.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à notre prudence, à notre réalisme et à notre gestion rigoureuse, nous n’avons jamais été aussi crédibles dans nos prévisions budgétaires. (M. Jacky Le Menn s’exclame.) Nous compenserons intégralement l’impact de la révision de la croissance sur nos recettes et tiendrons donc l’objectif de 4,5 % de déficit public.
Dans un contexte économique difficile, le Gouvernement continue d’agir pour sortir de la crise et préparer l’avenir du pays.
Préparer l’avenir, ce n’est évidemment pas prévoir un grand choc fiscal, qui anesthésierait voire effacerait la croissance qui renaît ; c’est restaurer dès aujourd’hui la compétitivité de nos entreprises en transférant les charges pesant sur le travail vers d’autres assiettes fiscales (M. Ronan Kerdraon s’exclame.) C’est apporter des réponses immédiates et concrètes à un biais, dont personne ne conteste qu’il est défavorable, de notre système de prélèvements obligatoires.
À cet égard, je vous rappelle que la nécessité d’un transfert des charges pesant sur le travail a été reconnue en juin dernier dans un document consensuel signé par l’ensemble des partenaires sociaux ; je vous épargne les citations des nombreux membres du Parti socialiste qui, au cours des derniers mois, dans un moment d’honnêteté intellectuelle ou peut-être de lucidité (M. Jacky Le Menn s’exclame.), ont partagé à leur tour ce constat.
Préparer l’avenir, cela nécessitera peut-être de poursuivre demain ces transferts de charges, en allégeant les cotisations salariales des salariés les plus modestes pour leur rendre du pouvoir d’achat. C’est une proposition qu’a faite le Président de la République, qui préconise notamment de transformer la prime pour l’emploi et une partie de la fiscalité du patrimoine.
M. Ronan Kerdraon. C’est le candidat qui l’a proposé, et non le président !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il l’a proposé dans le cadre de la campagne électorale. Votre candidat, monsieur Kerdraon, a quant à lui suggéré d’augmenter les cotisations retraite de 5 milliards d'euros, pour financer la remise en cause de la réforme des retraites, et les cotisations sociales de 4 milliards d'euros, afin de financer la prise en charge de la dépendance.
M. Ronan Kerdraon. Vous ne l’avez pas prise en charge, la dépendance !
Mme Valérie Pécresse, ministre. En somme, la gauche propose d’augmenter les charges sociales de 9 milliards d'euros tandis que la droite veut les réduire de 13,6 milliards d'euros. Au moins, les deux projets sont clairs ! D’un côté, augmenter le coût du travail par l’impôt, de l’autre, baisser le coût du travail. Les Français trancheront.
M. Jacky Le Menn. Ils choisiront !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Préparer l’avenir, ce n’est certainement pas regarder dans le rétroviseur ; ce n’est pas proposer, hors de toute rationalité économique, des hausses de cotisations sociales pour financer de nouvelles dépenses ; ce n’est pas non plus s’exonérer de décisions courageuses de maîtrise des dépenses. (M. Jacky Le Menn s’exclame.)
Parce que nous sommes tous – je l’espère – convaincus que le défi de la croissance est à notre mesure, nous refusons de céder au pessimisme ambiant et à la tentation de l’inaction. Parce que notre stratégie n’est ni de droite ni de gauche, parce qu’elle fait le choix des réformes, du courage et de la lucidité, elle devrait tous nous rassembler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)
M. Ronan Kerdraon. Vous ne pouvez pas faire en cinq mois ce que vous n’avez pas fait en cinq ans !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débutons aujourd’hui la nouvelle lecture d’un collectif budgétaire ambitieux – Valérie Pécresse l’a rappelé – tant pour notre pays que pour l’avenir de l’Union européenne.
En effet, ce collectif budgétaire contient un certain nombre de mesures qui visent à améliorer la compétitivité de notre économie en abaissant les charges qui pèsent sur le coût du travail. Il trace également les contours de la participation française au nouveau Mécanisme européen de stabilité, le MES. Il prévoit enfin d’instituer une taxe sur les transactions financières.
La semaine dernière, ici même, le Parti socialiste a refusé de débattre de ce projet, en déposant une motion tendant à opposer la question préalable. En d’autres termes, à des mesures importantes pour le soutien de notre économie et la pérennisation des dispositifs de solidarité européens, le Parti socialiste a opposé une manœuvre dilatoire – je le regrette de nouveau devant vous – qui le dispense de prendre ses responsabilités. (Mme Michèle André s’exclame.)
Il s'agit d’une posture d’esquive, qui est préjudiciable aux intérêts de notre pays. En menaçant de retarder la mise en place de dispositifs d’urgence, elle fragilise notre économie et la mise en œuvre de nouveaux leviers de solidarité européenne. En montrant à nos partenaires que la France ne parle pas d’une seule voix dans des circonstances aussi difficiles, elle fragilise la crédibilité de notre pays sur la scène internationale. Étant l’un des négociateurs français sur ces questions, je le regrette vivement.
J’ajoute que, même au sein des oppositions et gouvernements de gauche des autres pays européens, qui partagent vos idées et vos valeurs – que je considère naturellement comme respectables même si elles s’opposent aux choix du Gouvernement, puisqu’elles sont dans le champ démocratique –, personne ne comprend votre silence sous forme d’abstention,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il fallait être là hier !
M. Ronan Kerdraon. Les Français comprennent !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On verra !
M. François Baroin, ministre. … tout à fait contraire à la position du Parti socialiste sous la présidence de François Mitterrand, qui a apporté de nombreux acquis à la construction européenne. Votre abstention est incompréhensible, illisible et probablement très contre-productive pour vos propres intérêts, puisqu’elle ne définit aucune ligne directrice et dilue votre message.
Nous aurions eu besoin de votre soutien et de vos voix pour voter la règle d’or. Cela ne vous engageait en rien à soutenir le reste de la politique gouvernementale ; vous auriez simplement suivi le chemin proposé par les socialistes espagnols et allemands.
Le même esprit aurait dû vous animer s'agissant du MES. Au nom de quoi un parti de gouvernement aussi important que le Parti socialiste pouvait-il prendre le risque d’être silencieux sur un sujet comme celui-ci ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est le débat d’hier !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est aussi le débat d’aujourd'hui !
M. François Baroin, ministre. Vous ne pouvez pas, d’un côté, prétendre que vous souhaitez aider le peuple grec – qui ne souhaite pas l’aider ? – et, de l’autre, refuser de voter le mécanisme de solidarité. En vous abstenant sur ce sujet, vous vous écartez de la solidarité concrète, pratique, organisée au sein de l’Europe…
M. Ronan Kerdraon. C’est du baratin !
M. François Baroin, ministre. … non seulement pour conserver l’unité de notre zone monétaire, mais aussi pour apporter par des prêts les fonds nécessaires afin de permettre à la Grèce de se redresser et à sa population de continuer à espérer en la reconstruction économique.
Pour toutes ces raisons, je regrette profondément – et ce ne sont pas des larmes de crocodile – votre position.
Le premier axe de ce projet de loi de finances rectificative, c’est le renforcement de la compétitivité de nos entreprises, grâce à une baisse ciblée du coût du travail. Je n’y insisterai pas, Valérie Pécresse ayant développé, avec le talent dont elle avait déjà fait preuve hier à l’Assemblée nationale, l’architecture globale de ce projet politique.
Il s'agit de transférer le financement de la protection sociale, en allégeant les charges qui pèsent sur les cotisations patronales pour alimenter la branche famille et en le faisant financer, à l’instar d’autres pays, par une fiscalité reposant sur des assiettes plus larges, dans un souci de cohérence économique visant à protéger la création d’emplois dans notre pays, à lutter contre les délocalisations et à préserver notre outil industriel.
Là encore, comment expliquer votre position, qui équivaut à un refus d’assumer sa responsabilité et ne fait que rendre plus confus les éléments développés dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle ?
Qu’il me soit permis de rappeler que plusieurs institutions internationales ont souligné l’importance d’un rééquilibrage du financement de la protection sociale vers la fiscalité de la consommation. C’est le cas de la Commission européenne, dans les recommandations qu’elle a adressées à la France l’été dernier ; c’est également le cas du Fonds monétaire international, dans son rapport sur les politiques budgétaires de septembre 2011 ; c’est enfin le cas de l’OCDE, dans son rapport du début d’année sur les moyens de soutenir la croissance.
Là aussi, on peut contester, mais on ne peut pas nier les évidences et l’efficacité du dispositif proposé par le Gouvernement pour préserver notre outil industriel.
J’en viens rapidement, puisqu’il s’agit d’une nouvelle lecture, au deuxième axe de ce collectif.
C’est un ensemble de mesures concrètes pour rendre le Mécanisme européen de stabilité immédiatement opérationnel. C’est un pas supplémentaire vers une plus grande solidarité européenne.
Quelques chiffres et éléments sont à retenir. Ce collectif prévoit l’ouverture immédiate de deux des cinq tranches de la dotation globale, soit 6,5 milliards d’euros. Par rapport au projet initial, qui prévoyait l’instauration de ce mécanisme au 1er janvier 2013, avec une montée en charge sur cinq ans, l’apport de deux tranches dès l’été 2012 accroît la crédibilité des pare-feu, c’est-à-dire la dissuasion pour éviter la contagion à d’autres pays en difficulté.
J’ajoute que les États membres de la zone euro se sont engagés à ce que le mécanisme entre en vigueur en juillet 2012 au plus tard.
Pour être tout à fait complet, je précise que le traité entrera en application dès que des États membres représentant 90 % du capital autorisé l’auront ratifié, ce qui peut très bien se faire dès le mois de mai ou de juin 2012. De ce point de vue, la France est aux avant-postes du processus parlementaire de ratification des engagements pris par les chefs d’État et de Gouvernement au début du mois de décembre dernier.
Je ne reviens pas sur votre opposition ; en tout cas, chacun a compris la position qui est la mienne. Sur ces enjeux européens, votre position n’est pas non plus celle d’une personnalité dont je cite rarement le nom, car elle n’est pas une source d’inspiration naturelle pour notre construction politique, Daniel Cohn-Bendit. Je ne comprends pas que sa voix ne soit désormais plus entendue dans vos rangs.
Je ne m’étendrai pas non plus sur la promesse du candidat François Hollande de revenir sur les traités européens, de défaire ce qui a été fait et approuvé par l’ensemble de nos partenaires. Continuer d’enfourcher ce cheval de bataille, c’est la certitude d’aller au galop dans une impasse et de se fracasser le museau ! (Mme Frédérique Espagnac et M. Ronan Kerdraon s’exclament.)
Je vois très peu d’avenir, et je ne prédis pas non plus une très grande perspective, à la poursuite de cette demande du candidat socialiste.
M. François Marc. C’est la qualité de vos résultats qui vous conduit à parler avec autant d’assurance ?
M. François Baroin, ministre. Les Français entendront aussi cette hypothèse de voie sans issue.
Un mot, enfin, de la nouvelle taxe sur les transactions financières.
Chère Nicole Bricq, je me suis inspiré, vous le savez, d’une partie de votre réflexion. Parfois, on trouve aussi des bons auteurs concernant la réflexion autour de la contribution du secteur financier à la résorption de la crise !
Vous connaissez aussi nos autres sources d’inspiration : le droit de timbre britannique – bien sûr, mais pas totalement ! – et l’ancien impôt de bourse sans les dysfonctionnements qui ont justifié sa disparition. Je rappelle qu’il n’y a pas de plafond et que nous taxons les entreprises qui sont cotées en France et non les titres échangés, car ce serait ouvrir la voie aux délocalisations sur la base de la taxation des entreprises qui, elles, sont cotées. Naturellement, nous répondons à l’objection la plus dominante formulée sur cette taxe, à savoir que cela va faire perdre des emplois dans ce secteur. Nous pensons que ce texte est équilibré.
Je ne comprends pas l’ambiguïté de votre position, pour ne pas dire la contradiction. En effet, vous étiez favorables à cette taxe ; nous aussi. Vous avez soutenu l’initiative franco-allemande pour nourrir une directive européenne relative à une taxe sur les transactions financières à l’échelle européenne. Toutefois, lorsque nous la proposons, vous votez contre, en expliquant que ce n’est pas assez, mais que, naturellement, si vous accédez aux responsabilités, vous la mettrez en œuvre !
Il convenait de relever cette incohérence, cette contradiction, dans un contexte électoral qui favorise parfois de nombreux dérapages, mais aussi dans un contexte de crise qui impose au Gouvernement de travailler jusqu’au dernier jour au service des Français. C’est tout le sens du message de ce collectif budgétaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des finances.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne va plus être pareil !
M. René-Paul Savary. Changement de discours !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Madame la ministre, comme c’est le dernier exercice budgétaire de cette législature, j’ai bien noté que vous vous êtes donné un autosatisfecit. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Alors que le candidat-président ne veut surtout pas qu’on lui rappelle son bilan, il est assez étrange que, vous, vous vous fassiez une gloire de ces cinq années passées. Avant de revenir à notre sujet, cette nouvelle lecture de la loi de finances rectificative, je les traduis en deux chiffres : 500 milliards d’euros supplémentaires de dette et 1 million de chômeurs en plus ! Les Français sauront apprécier un tel bilan...
Mme Gisèle Printz. Pas de quoi se vanter !
M. Ronan Kerdraon. Triste bilan !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je voudrais maintenant en revenir à ce qui nous occupe, à savoir l’échec, qui n’a pas été vraiment une surprise après le vote du Sénat, de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le lundi 27 février, et dire un mot du nouveau texte qui nous arrive et auquel, ce matin, la commission des finances a décidé d’opposer la question préalable, pour des motifs identiques à ceux que nous avions retenus en première lecture.
Si les motifs sont les mêmes, notre conviction est renforcée à l’issue des débats que nous avons eus depuis une semaine. Madame la ministre du budget, monsieur le ministre de l'économie et des finances, vous êtes longuement intervenus – et vous l’avez fait encore tout à l’heure – pour défendre votre texte et répondre aux orateurs. Vous ne nous avez pas convaincus, c’est le moins qu’on puisse dire !
Je rappelle rapidement les motifs justifiant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion.
Il n’est pas convenable de faire adopter par le Parlement une réforme qui engage un bouleversement de l’architecture des prélèvements obligatoires à la veille d’une élection présidentielle dont le résultat pourrait remettre en cause ce choix, ce que nous souhaitons.
L’instrumentalisation du Parlement – car il s’agit bien de cela ! – à des fins électorales est d’autant plus manifeste que les mesures en cause n’entreront en vigueur que plusieurs mois après l’issue des élections présidentielle et législatives.
De manière générale, la date différée d’entrée en vigueur des différentes mesures leur dénie tout caractère d’urgence. Par ailleurs, l’évolution de la conjoncture ne nécessite pas un ajustement sans délai de l’équilibre budgétaire.
Si la TVA dite « sociale » engendrera un surcroît d’inflation, elle n’améliorera ni la compétitivité, ni l’emploi. Ce n’est pas Mme Bricq qui le dit ; tous les observateurs ont calculé une augmentation située entre 0,4 % et 0,6 %. Certes, ce n’est pas une flambée, mais l’augmentation des prix est indéniable ; elle s’est traduite dans le passé.
La discussion au Sénat a été utile, puisque – cela a été votre dernier mot à cette tribune la semaine dernière – désormais vous ne revendiquez plus les 100 000 créations d’emploi et vous admettez que la fourchette s’établirait entre 75 000 et 120 000, ce qui est déjà mieux !
Monsieur le ministre de l’économie et des finances, la taxe sur les transactions financières n’est pas celle que nous souhaitions – je m’en suis expliquée longuement –, car elle relève d’une conception minimaliste qui pourrait servir de plus petit dénominateur commun et ainsi mettre en difficulté le projet beaucoup plus ambitieux préparé par la Commission européenne. Du reste, lors de l’examen en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a encore rétréci l’assiette de la taxe. Par conséquent, ce qui était vrai voilà une semaine l’est encore plus, pour nous, à ce jour !
Les annulations de crédits dans la réserve de précaution sont d’une ampleur inégalée et, faute d’être précisément documentées, s’apparentent à un cadeau empoisonné pour le gouvernement qui succédera à celui auquel vous appartenez.
Enfin, le ralliement du Gouvernement et de sa majorité – ralliement tardif ! – à la TVA dite « sociale », que, pour la plupart, vous combattez depuis cinq ans, parachève un quinquennat d’improvisation et de revirements fiscaux, qui sont à l’origine d’une insécurité juridique accrue.
La nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative n’est pas le meilleur moment pour dresser un bilan de ce quinquennat marqué, en matière fiscale, par l’incohérence et l’injustice et, sur le plan budgétaire, par le cynisme – l’aggravation, en 2010, d’un déficit déjà abyssal, à hauteur de 35 milliards d’euros, au titre du grand emprunt, qui permet d’afficher une progression plus limitée des dépenses les années suivantes, est peut-être un procédé habile, mais ne déjoue pas la sagacité de la commission des finances du Sénat ! – et la mise en péril des services publics, en particulier avec la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques.
Le président-candidat ou candidat-président, comme vous voulez, a tout de même reconnu hier – je l’ai noté – que cela faisait du dégât dans les territoires, notamment en matière scolaire.
M. Ronan Kerdraon. Mieux vaut tard que jamais !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Combien de fois l’avons-nous dénoncé ici, preuve à l’appui, dans tous nos territoires ! J’ai bien noté aussi que ce ne serait qu’à partir de 2013.
M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. En attendant, à la rentrée 2012, il y aura 1 500 fermetures de classes…
M. François Marc. Effectivement !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais vous savez très bien que, proportionnellement, les effectifs diminuent et j’attends que vous nous démontriez le contraire !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … et j’attends que vous nous démontriez le contraire !
La nouvelle lecture nous permet, en revanche, d’envisager les prochaines échéances, en tout cas celles qui ne sont pas subordonnées au résultat des élections.
Madame la ministre, vous nous avez dit de ne pas regarder dans le rétroviseur. Vous n’aimez pas cela pour votre bilan et on le comprend. Mais, justement, je me porte vers le proche avenir, notamment vers les échéances européennes. J’y reviens, monsieur le ministre !
La disposition la plus importante, en montant, de ce collectif budgétaire est relative, effectivement, à la dotation en capital du Mécanisme européen de stabilité. J’ai bien compris, monsieur le ministre, que vous aviez été frustré de ne pas être présent hier, lorsque nous avons débattu pendant plus d’une demi-journée de ce mécanisme. Si vous aviez été là,...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. ... ce que nous aurions souhaité, vous auriez entendu que nous avons longuement évoqué le problème posé par la conditionnalité qui lie le Mécanisme européen de stabilité et le fameux traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit TSCG.
Je pense avoir démontré que c’est le Gouvernement qui porte atteinte à la crédibilité de ce mécanisme européen en faisant cette liaison malvenue ! On commence à voir ce qui se dessine et j’ai très clairement posé le problème hier. En voulant inscrire cette fameuse règle d’or de préférence dans la Constitution, vous introduisez le doute chez les investisseurs. D’ailleurs, on constate déjà que l’Irlande – pays qui n’est pas a priori concerné par le MES, puisqu’il dispose d’un autre mécanisme de soutien, mais qui est tenu de respecter la conditionnalité et donc de réduire ses déficits – veut recourir à un référendum ! Je pense donc que le processus de ratification du TSCG n’est pas prêt d’arriver à son terme !
Vous avez parlé d’un pare-feu crédible. Bien sûr, on a beaucoup discuté du montant. Mais, quand je vois que la réunion de l’Eurogroupe qui devait suivre le Conseil européen des 1er et 2 mars est remise à plus tard, je m’inquiète de la crédibilité de ce mécanisme, en raison à la fois de cette liaison malvenue avec le TSCG et du montant du pare-feu.
Peut-être avons-nous tort d’avoir eu raison trop tôt. En tout cas, il faudra y revenir. On a, nous dit-on, tout le mois de mars pour trouver un montant quelque peu crédible ; j’en accepte l’augure. Mais je regrette que la France ne soit pas, peut-être pas en position de force, mais la mieux à même de négocier correctement ce qui est un enjeu décisif, car, il faut bien le reconnaître, en fin de parcours, le pouvoir occupé par vous-mêmes et par le candidat-président ou président-candidat est à bout de souffle !
Se tourner vers l’avenir proche, cela signifie que, dans chaque assemblée, nous devons nous interroger sur les conséquences concrètes des textes adoptés, comme le « six pack » au mois de novembre, ou en cours de discussion, comme le Two Pack.
Je pense, en premier lieu, aux conséquences pour le Parlement et la procédure budgétaire. Quelle méthode devons-nous retenir pour déterminer les hypothèses économiques de manière indépendante ? Qui sera notre conseil budgétaire indépendant ? Quelles conséquences devons-nous tirer de la possibilité pour la Commission européenne de demander des modifications des futurs « plans budgétaires », et donc des textes financiers dans la seconde quinzaine d’octobre, à savoir en pleine procédure budgétaire ? Cette année, nous avons vu la désorganisation due à l’annonce du plan Fillon II, alors qu’au Sénat nous n’étions pas encore saisis de la loi de finances initiale pour 2012 !
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous qui êtes les représentants du Gouvernement jusqu’au mois de juin, je vous invite, ainsi que tous ceux qui voudraient que nous ratifiions le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le fameux TSCG, à nous expliquer comment vous envisagez de transcrire en droit interne et même dans la Constitution la fameuse « règle d’or ». Vous avez fait allusion à l’Espagne, et j’ai dit un mot hier de la fameuse règle d’or espagnole, qui n’a rien à voir avec la règle proposée, avec l’Allemagne, pour le TSCG. En effet, il s’agit uniquement de donner la priorité à la réduction des déficits. Ainsi, les Espagnols eux-mêmes seront amenés, s’ils doivent céder à votre intransigeance, à la revoir.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il faudra nous dire comment vous comptez rendre contraignante une règle reposant sur la notion de solde structurel, à partir d’une hypothèse commune de croissance potentielle. Nous rallierons-nous tous à la définition qu’en donnerait la Commission européenne, ou chaque État continuera-t-il d’établir ses propres hypothèses ? Quel mécanisme de correction automatique des dérapages nous proposerez-vous ? Tout cela, nous ne le savons pas !
Peut-être en apprendrons-nous davantage dans les prochaines semaines, car si nous tenons aujourd’hui, mes chers collègues, notre dernier débat budgétaire du quinquennat dans l’hémicycle, la commission des finances du Sénat – je vous rappelle, madame la ministre, monsieur le ministre, cette échéance – sera saisie au cours de la première semaine d’avril du projet de programme de stabilité 2012–2015, en quelque sorte le testament budgétaire de ce gouvernement et du président sortant. Il sera intéressant d’examiner, à deux semaines du premier tour – nous ne manquerons pas de le faire – les engagements que prend le candidat-président sortant à l’égard non pas des électeurs, mais de nos partenaires européens. Au demeurant, nos concitoyens seront également concernés, ces engagements ayant acquis, depuis la réforme du pacte de stabilité, un caractère plus contraignant. Je vous donne donc rendez-vous, madame la ministre, monsieur le ministre, à cette occasion, évoquée par M. le président de la commission et moi-même lorsque vous étiez venus nous présenter ce projet de loi de finances rectificative.
Le Gouvernement précisera-t-il enfin, à cette date, sur quels postes il entend faire les économies de dépenses qu’il a annoncées ? Une telle information serait d’autant plus intéressante que je ne l’imagine pas renoncer maintenant à l’hypothèse irréaliste qu’il a retenue pour l’évolution des dépenses publiques, soit 0,4 % par an en volume.
Confirmera-t-il l’objectif qu’il s’est fixé, à savoir battre un nouveau record, en 2013, concernant le taux de prélèvements obligatoires, fixé à 45,3 %, tout en expliquant, comme vous l’avez fait voilà quelques instants, qu’il n’augmente pas les impôts ? La hausse de la TVA ne serait surtout pas une hausse d’impôt, et on ne parle même plus de hausse généralisée ! Comme le dirait M. le président de la commission, c’est « le lapin dans le sac » ! Je ne savais pas que vous étiez si doués pour ces exercices.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il s’agit d’un transfert !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Dans un mois à peine, nous devrons nous pencher sur toutes ces intéressantes questions.
Dans cette attente, la commission des finances vous invite, mes chers collègues, à adopter la motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de finances rectificative pour 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Éric Bocquet et Joël Labbé applaudissent également.)
M. François Marc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, souhaitant éviter, au terme de cette discussion budgétaire, un trop grand nombre de redites, je ferai un point rapide sur la situation financière de notre système de protection sociale, en faveur de laquelle le présent collectif n’apporte aucune solution ou amélioration. Je tiens à dénoncer le bilan désastreux des dix dernières années.
Depuis 2002, la sécurité sociale affiche chaque année un déficit : il était de quelque 10 milliards d’euros jusqu’en 2008, supérieur à 20 milliards d’euros depuis 2009, avec un total cumulé de plus de 130 milliards d’euros.
M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ce n’est pourtant pas une fatalité : nos comptes sociaux ont été à l’équilibre dans le passé, ils enregistraient même des excédents entre 1999 et 2001 ! On semble l’avoir oublié... Une gestion différente permettrait d’obtenir d’autres résultats.
La Cour des comptes l’a écrit dans tous ses rapports récents : rien n’a été fait depuis dix ans pour résorber le déficit structurel de nos comptes sociaux, qu’elle évalue à environ 10 milliards d’euros.
Nous en subissons lourdement les conséquences aujourd’hui, car la crise, que personne ne nie, est venue amplifier les difficultés initiales. L’effort à accomplir dans les prochaines années pour revenir à l’équilibre sera bien entendu très supérieur à celui qui aurait pu et dû être mis en œuvre avant la crise.
Il en est ainsi pour le remboursement de la dette sociale. L’accumulation des déficits a entraîné un doublement de la dette en à peine cinq ans : à la fin 2011, 143 milliards d’euros sont inscrits en tant que dette à amortir dans les comptes de la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Or, plutôt que de prévoir un remboursement au moyen de la ressource instituée à cette fin, à savoir la CRDS, la contribution au remboursement de la dette sociale, le gouvernement auquel vous appartenez, madame, monsieur le ministre, a préféré prélever des recettes sur d’autres instances, notamment – paradoxe incompréhensible ! – les organismes de sécurité sociale eux-mêmes, le Fonds de solidarité vieillesse, la Caisse nationale des allocations familiales et le Fonds de réserve pour les retraites. Au nom de quel dogme avez-vous préféré laisser filer ainsi la dette sociale, en choisissant de la financer par de nouveaux déficits ?
Comment qualifier une telle gestion ?
M. Ronan Kerdraon. La fuite en avant !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. On a voulu boucher un trou en en creusant d’autres ailleurs. Aujourd’hui, 29 février 2012, nous célébrons l’anniversaire de la naissance du sapeur Camember et constatons que vous avez repris à votre compte sa vieille méthode. On a peine à sourire devant une telle attitude.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Le choix de reporter l’intégralité des difficultés des dix dernières années sur les générations futures est injustifiable. Comment un gouvernement peut-il, en toute responsabilité, renvoyer le règlement de dépenses courantes actuelles, notamment de santé, aux contribuables et assurés de demain qui auront déjà leurs propres dépenses à financer ?
Dans un tel contexte, les mesures proposées par le collectif paraissent fort éloignées de la réalité et sont loin d’être à la mesure des besoins.
En particulier, la mesure dite « TVA sociale » introduite à l’article 1er ne règle rien, cela a été démontré à longueur d’interventions, ni le problème de compétitivité des entreprises, ni le sous-financement de la protection sociale, ni, bien sûr, l’explosion du chômage dans notre pays.
Notre commission des affaires sociales s’y est déclarée résolument opposée. Sans reprendre dans le détail l’ensemble des arguments qui ont été développés, j’évoquerai d’abord la méthode utilisée. Nous débattons aujourd’hui dans l’urgence, ce qui est inacceptable à moins de deux mois d’une échéance politique majeure pour notre pays. Par ailleurs, les dates d’entrée en vigueur de ces réformes laissent franchement perplexes : la mesure dite TVA sociale serait appliquée à compter du 1er octobre prochain, tandis que la disposition concernant l’apprentissage devrait être mise en œuvre à compter des rémunérations versées en 2015, c’est-à-dire pour le calcul de la taxe payée en 2016 !
Au-delà de ces questions de méthode, notre opposition à ce texte porte bien évidemment sur le fond. Nous l’avons dit, démontré, répété, la hausse de la TVA aura bien un effet inflationniste, cela a toujours été le cas, en France comme ailleurs. Une telle mesure aura donc un effet sur la consommation des ménages et, par voie de conséquence, sur la croissance.
Nous l’avons dit également, la TVA est un impôt injuste, qui touche particulièrement les plus modestes, dont la totalité du revenu est consommée. L’effet attendu en termes de compétitivité semble aussi devoir être relativisé, cela a été largement démontré. J’ai expliqué à cette tribune, la semaine dernière, ce qu’une étude de l’INSEE révélait de la comparaison avec l’Allemagne. Enfin, que dire de l’objectif affiché de 100 000 créations d’emploi ?
Concernant la protection sociale, je souhaite évoquer la branche famille, qui a été l’une des victimes de la politique des trous creusés et rebouchés. En effet, certaines prestations auparavant servies par la CNAV – la majoration de pension pour les assurés ayant élevé au moins trois enfants et l’assurance vieillesse des parents au foyer – ont été transférées à sa charge, tandis qu’une partie du produit de la CSG, transférée à la CADES, a été remplacée par un « panier » de taxes sur les contrats d’assurance, panier qualifié rapidement de « percé », car constitué partiellement de recettes non pérennes, comme l’a démontré la semaine dernière notre rapporteur Isabelle Pasquet.
L’article 1er de ce collectif budgétaire, qui tend à organiser, par une augmentation de la TVA, le transfert vers les ménages du financement de la branche famille, s’inscrit dans la même ligne de pensée, qui assimile les finances sociales à une véritable variable d’ajustement de la politique budgétaire. Certes, avec la création d’un nouveau compte de concours financiers, un mécanisme de compensation est prévu. Mais il ne garantit pas contre de nouvelles baisses ou ponctions.
Techniquement, ce transfert n’est donc pas aussi neutre que ce gouvernement le prétend et voudrait le laisser croire. Il l’est d’ailleurs d’autant moins que l’augmentation de 24,1 % de la part de recettes fiscales de la branche, qui porterait l’ensemble des impôts et taxes affectés à plus de 55 % de son financement, opère nécessairement un changement de nature.
Il n’est par conséquent pas possible de s’en tenir à une analyse mécanique et comptable du processus de transfert, sauf à confirmer par là même l’absence de toute réflexion et projet sur la cohérence d’ensemble du système ainsi transformé.
Les structures, les modes de vie, les besoins des familles ont changé. Le choix d’intégrer les prestations familiales, qui sont effectivement de nature hybride, dans le système de sécurité sociale a été fait il y a un demi-siècle dans un contexte socio-économique qui n’est plus le nôtre. Le mode de financement de la branche famille, comme celui des autres branches, peut donc être sujet à débat.
Mais encore faut-il que ce débat ait lieu, que les arguments s’échangent, que les points de vue se confrontent, et que le nouveau système de protection sociale que nous proposons à nos concitoyens de construire soit clairement et ouvertement présenté !
Il n’est ni acceptable, ni loyal, ni responsable à l’égard de nos concitoyens qu’un tel changement, qui est loin d’être neutre, je le répète, soit opéré « par la bande », en catimini, réduit à l’accessoire d’un texte budgétaire relatif à la compétitivité et à l’emploi, qui plus est examiné dans l’urgence.
Tel est pourtant bien le choix de ce gouvernement, puisque vous proposez de franchir un nouveau palier dans la mutation sournoise de notre système de protection sociale, sous couvert de l’adoption, comme l’atteste l’intitulé de l’article 1er, de « dispositions fiscales améliorant la compétitivité des entreprises » !
L’institution de cette TVA sans nom, puisque vous ne voulez pas la nommer « sociale », mais que l’on pourrait qualifier de « TVA Sarkozy », est malheureusement exemplaire du sacrifice délibéré de notre système de protection sociale, en imposant une pensée unique arcboutée sur la seule maîtrise de court terme des dépenses, au détriment de toute justice sociale.
La question que nous devons nous poser est celle-ci : quelle serait la responsabilité du système social dans les problèmes de compétitivité, de croissance et d’emploi ?
Quelle serait la responsabilité de notre système social en termes d’emplois ? Je ne reviendrai pas, je l’ai dit, sur la comparaison avec l’Allemagne, rappelant simplement la baisse constante des charges sociales patronales en France depuis trente ans et la quasi-suppression des cotisations de sécurité sociale pour les salaires au niveau du SMIC, celles-ci étant passées de 33 % environ en 1980 à moins de 5 % en 2005.
L’efficacité commande donc une analyse plus fine des causes réelles de notre différentiel de compétitivité. Ne nous contentons pas d’une lecture trop simplifiée, qui risque de nous faire passer à côté des vraies évolutions attendues de l’économie française.
Parmi les éléments d’analyse dont nous disposons, rien ne justifie que soit sacrifié, morceau par morceau, notre système de protection sociale, lequel a justement permis d’amortir, mieux qu’ailleurs, les premiers effets de la crise. Rien ne justifie non plus d’engager un changement de nature de la sécurité sociale, au détour d’un texte budgétaire, en dehors de toute réflexion d’ensemble et d’un projet de réforme structurelle de long terme, dont nous avons besoin pour que les principes de justice et de solidarité de notre protection sociale puissent perdurer.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, dans le cadre de cette nouvelle lecture, nous voterons donc de nouveau la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des finances, pour marquer notre ferme opposition à la politique budgétaire et financière menée au cours des dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref, car la répétition d’arguments déjà invoqués n'a probablement pas beaucoup d'intérêt pour notre assemblée.
Néanmoins, je voudrais revenir sur les propos de notre excellent collègue rapporteur général de la commission des affaires sociales.
Il nous dit, fort justement, que le déséquilibre financier de nos comptes sociaux ne fait que s’amplifier. En revanche, il ne nous dit pas s'il préconise plus de cotisations, il ne nous dit pas quelles catégories seraient concernées (Mme Michèle André s’exclame.), il ne nous dit pas quelles en seraient les conséquences. De même, il ne nous dit pas s’il préconise une diminution des dépenses, il ne nous dit pas, là non plus, qui serait concerné pas plus qu’il ne nous explique quels en seraient les effets. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Avec d’autres, il dénonce également le montant atteint par notre dette sociale. En revanche, il ne nous explique pas comment une augmentation de la CRDS s'inscrirait dans une politique fiscale touchant à l’impôt sur le revenu ni comment pourraient être articulés, le cas échéant, impôt sur le revenu et contributions sociales.
M. Jacky Le Menn. On l’a dit !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La critique est facile ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Vincent Delahaye. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. De la même façon, mes chers collègues, quand Mme le rapporteur général de la commission des finances évoque l'augmentation de la dette publique au cours des dernières années, elle oublie – volontairement, car elle connaît parfaitement la macroéconomie – la crise, elle oublie le grand emprunt.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous n’allons pas reprendre ce débat !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais c'est vous qui parlez presque chaque jour des 500 milliards d'euros de dettes supplémentaires apparues au cours du mandat de M. Sarkozy !
Mme Christiane Demontès et M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Alors assumez vos propos ! Assumez également ceux que vous teniez, hier, lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité. Que préconisiez-vous, en effet ?
M. Gilbert Barbier. L’abstention ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Des eurobonds et la stimulation de la croissance par des programmes d'infrastructures et d'équipements financés par emprunt au niveau européen !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’Europe n’est pas endettée ! Ce sont les États qui le sont !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Permettez-moi de vous dire que vos préconisations sont totalement contradictoires avec le discours que vous tenez aujourd’hui.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous ne pouvez pas, d’un côté, critiquer le grand emprunt national de 35 milliards d'euros et, de l’autre, faire une proposition identique, mais à une échelle bien plus large, celle de l’Europe !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ou alors il faut être schizophrène !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. De même, vous ne pouvez pas nier que cet emprunt européen devra faire l’objet d’une garantie, que sa mise en œuvre nécessitera des moyens financiers qui seront apportés par les États membres et pris sur les budgets nationaux de chacun d’entre eux.
Il n'y a pas de miracle, mes chers collègues (Mme Gisèle Printz s’exclame.), ni pour ceux qui siègent à droite, ni pour ceux qui siègent au centre, ni pour ceux qui siègent à gauche !
MM. Philippe Bas et René-Paul Savary. Bravo !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La réalité est têtue !
En soumettant au Parlement ce projet de loi de finances rectificative, le Gouvernement a au moins le mérite de faire preuve d'un esprit d'innovation et d'imagination (Mme Christiane Demontès s’exclame.) en révisant les chiffres en fonction de la situation économique actuelle. C'est particulièrement important lorsqu'on a à cœur de rendre les comptes transparents. (M. Jacky Le Menn s’exclame.)
Je l'ai déjà dit, il est très rare qu'une majorité sortante se livre à cet exercice de transparence, et sans doute cela vous gêne-t-il beaucoup. (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
À travers ce projet de loi de finances rectificative, dont c’est un autre mérite, la majorité prend toutes ses responsabilités en annonçant dans quel sens elle poursuivra son action dès lors qu’elle aura été reconduite.
M. Jacky Le Menn. Elle aura bientôt l’occasion de se reposer !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous dites qu'il est inconvenant de présenter un tel projet de loi de finances rectificative à la veille d'élections générales. Bien entendu, je vous retourne l'argument : non seulement il n’y a là rien d’inconvenant, mais encore c'est souhaitable et c'est courageux. (M. Ronan Kerdraon s’exclame.) C'est un premier pas dans la réalisation de réformes structurelles dont nous avons grand besoin et dont le rythme devra s'amplifier. (Mme Michèle André s’exclame.)
M. Ronan Kerdraon. Le bateau coule !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tourner le dos à ses propres contradictions, éluder le débat et la discussion des articles en votant une motion de procédure,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas bien ! (Rires sur les travées du groupe CRC.) C’est l’affaiblissement du Sénat !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … c’est pratique, mais n'est-ce pas une solution de facilité ? Surtout, est-ce bien dans l'intérêt de notre assemblée ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non ! C’est grave !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Dans la mesure où le Sénat ne dispose pas des mêmes prérogatives constitutionnelles que l'Assemblée nationale, il se marginalise dans le débat en refusant d’examiner un texte.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il s’affaiblit !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet, ma chère collègue, le Sénat s'affaiblit.
M. Ronan Kerdraon. Vous l’avez affaibli avec le débat sur les retraites !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Sans doute est-ce le calendrier qui nous conduit à une décision aussi regrettable, mais je forme le vœu que de telles motions demeurent exceptionnelles…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils n’arrêtent pas ! Même la proposition de loi d’Éric Doligé ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et que le Sénat continue à exercer son rôle, à examiner les textes article par article afin de les améliorer.
Nous avons besoin d'un système bicaméral et un Sénat qui serait excessivement politisé, qui serait à la remorque des débats immédiats animant l'opinion publique, qui deviendrait le clone de l'Assemblée nationale, serait-il encore utile à nos institutions ? (M. Ronan Kerdraon s’exclame.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voilà la crainte que je voulais exprimer devant vous, mes chers collègues. Bien entendu, je vous invite, vous l’aurez compris, à ne pas voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Moi non plus, je n'avais pas prévu de prendre la parole, mais je voudrais rappeler à M. le président Marini que nous examinons présentement non pas un projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais un projet de loi de finances rectificative. De fait, si M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales n'a pas formulé les propositions que vous attendiez de lui, monsieur le président de la commission des finances, la raison en est qu'il s’est livré à cet exercice lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.)
Nous vous avions alors présenté des mesures dont nous attendions entre 4 et 5 milliards d'euros de recettes nouvelles.
M. Ronan Kerdraon. Effectivement !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous vous avions proposé, notamment, de taxer les retraites chapeaux, idée qu’a reprise, si j’ai bien compris, le candidat Sarkozy, qui envisagerait même de les supprimer carrément. (Mme la rapporteure générale de la commission des finances fait part de son scepticisme et Mme Christiane Demontès s’exclame.) Bien plus modestement, nous vous proposions, pour notre part, de les taxer, en même temps que les bonus et les stock-options.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous vous proposions également de revenir sur certaines exonérations de charges patronales, mesures qui auraient représenté un vrai bol d'air pour nos comptes sociaux et notre protection sociale.
Vous avez beau dire, monsieur le président Marini, la commission des affaires sociales et son rapporteur général ont déjà formulé des propositions.
Vous trouvez dommage, également, de voter des motions de procédure. Comme vous, monsieur Marini, cela fait maintenant plusieurs années que je siège dans cet hémicycle et ce n'est ni la première fois ni la dernière fois qu’une motion est déposée sur un texte. Lorsque la majorité présidentielle, alors également majoritaire au Sénat, déposait des motions de procédure, cela ne vous posait aucun problème !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On n’en proposait pas ! Vous faites comme si vous étiez toujours dans l’opposition ! Vous n’avez pas encore compris que vous étiez majoritaires ici !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Madame Des Esgaulx, je puis vous certifier que, à plusieurs reprises, votre groupe a déposé des motions, lesquelles ont bien sûr été adoptées puisque vous étiez alors majoritaires !
Enfin, monsieur le président de la commission des finances, vous trouvez qu’il serait bien dommage que le Sénat devienne « politisé » et qu'il se place à la remorque des débats nationaux.
Mais n’est-ce pas ce à quoi vous venez de vous livrer, à cette tribune,…
Mme Christiane Demontès. Absolument !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. … en invoquant les propos de certains candidats ? À cet égard, je regrette que vous n’ayez pas évoqué les propositions formulées par l’ensemble des candidats en lice pour l’élection présidentielle.
Je le répète, alors même que vous contribuez à politiser les débats, vous faites ensuite le même reproche à la majorité sénatoriale et l’accusez d'être à la remorque de certains candidats.
En conclusion, je veux dire que M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a parfaitement inscrit son propos dans le cadre du débat qui nous réunit aujourd’hui. Au passage, je trouve qu'il est bien dommage que le Gouvernement ait attendu l’examen de ce projet de loi de finances rectificative pour formuler des propositions et que la majorité se prenne à vouloir faire en quelques semaines ce qu’elle n’a pas fait durant toutes ces années où elle était aux manettes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Ronan Kerdraon. Le chant du cygne !
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’on pouvait évidemment s’y attendre, l’Assemblée nationale a repris le texte qu’elle avait voté en première lecture, décidant par là même de mettre en œuvre ce qu’elle appelle « la TVA sociale » et une taxation sur les transactions financières, sous-produit du défunt impôt de bourse, soudain paré d’une dénomination plus dans l’air du temps et, surtout, répondant aux attentes des électeurs, dans le contexte actuel de crise. (M. le ministre quitte l’hémicycle.) Au revoir, monsieur le ministre !
Ce sont là les deux mesures fiscales les plus importantes de ce texte. Elles ont d’ailleurs largement occupé les canaux médiatiques habituels et sont au centre du désaccord entre la majorité de l’Assemblée nationale et la majorité sénatoriale.
Deux autres aspects de ce projet de loi de finances rectificative retiennent évidemment l’attention et nécessitent, de notre point de vue, un commentaire particulier.
Le premier, c’est que, une fois de plus, à peine la loi de finances initiale a-t-elle été votée qu’un certain volume des crédits accordés par la représentation parlementaire se retrouvent immédiatement supprimés.
La réalité de la situation économique, avec la détérioration des recettes de l’État, vient une nouvelle fois de rattraper le Gouvernement.
Il faut être aveugle ou pratiquer la méthode Coué pour estimer, comme nous l’avons entendu hier, que 0,4 % de croissance du PIB, c’est l’embellie !
La prévision de croissance pour 2012 pourrait d’ailleurs de nouveau être remise en cause. Il suffirait pratiquement d’une nouvelle poussée de fièvre des prix de l’énergie, et notamment du pétrole importé, pour que la « valeur » de la production nationale n’augmente pas dans les proportions attendues.
Ce n’est pas avec de tels indicateurs de croissance que nous pourrons inverser la courbe du chômage, qui vient de connaître, au mois de janvier, une nouvelle détérioration. Le quinquennat de M. Sarkozy se terminera avec 4,25 millions de chômeurs à temps complet ou à temps partiel !
Qu’on ne vienne pas nous dire, d’ailleurs, que nous nous retrouvons dans cette situation parce que aucune réforme structurelle fondamentale n’a été engagée. Bien au contraire ! De la création, suivie de sa suppression, de la taxe professionnelle à la baisse continue du taux de l’impôt sur les sociétés ou au rétrécissement de son assiette, du développement intensif de la flexibilité du travail au temps partiel imposé à 3 millions de salariés, des allégements aveugles de cotisations sociales à la fiscalisation de notre sécurité sociale, des privatisations de l’appareil industriel aux liquidations d’entreprises et aux plans sociaux, bien des mesures structurelles ont été mises en œuvre !
Le résultat, nous le voyons et nous le connaissons : pas de jour sans qu’une entreprise soit concernée par un plan social, le déménagement subreptice des équipements, la fermeture pour motifs spéculatifs ou financiers !
Quant à l’augmentation de la TVA, on sait qu’elle concernera les foyers les plus modestes, comme ce fut le cas de toutes les mesures qui ont été prises pendant ce quinquennat.
Je citerai l’une des dernières, dont la presse vient tout juste de découvrir l’existence, et dont nous avions dénoncé les conséquences en décembre : le gel du barème de l’impôt sur le revenu. Cette disposition touche d’ores et déjà de 100 000 à 200 000 foyers – et peut être plus – devenus imposables alors qu’ils ne l’étaient pas, ce qui leur fera perdre des aides sociales et des réductions d’impôts locaux. M. Seillière qui s’inquiète de la proposition de M. Hollande d’une taxation à 75 % pour la part de revenu excédant un million d’euros a été bien silencieux sur cette mesure !
Pour ma part, je me réjouis que le candidat socialiste rejoigne le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui propose qu’au-dessus de 360 000 euros de revenu imposable, soit 20 fois le salaire médian, on applique un taux de 100 %. Comme vous pouvez le constater, mesdames, messieurs de la majorité présidentielle, nous avons des propositions pour redresser notre situation économique. C’est une mesure dissuasive, une mesure de justice fiscale, une vraie mesure qui pourrait enfin permettre à l’État d’assurer une politique de solidarité.
Pour faire bonne mesure, si l’on peut dire, des crédits ont été annulés dans maints chapitres budgétaires, comme je l’ai indiqué tout à l’heure. Ces décisions auront des conséquences lourdes, même si elles n’ont pas été évaluées, d’autant qu’elles se greffent sur des budgets déjà insuffisants. Et ce ne sont pas les quelques ajustements de dernière minute pris lors du débat de l’Assemblée nationale qui permettront de régler le problème.
Il serait sans doute trop long de citer la totalité des mesures d’effacement de la « réserve de précaution », qui va finir par devenir une simple clause de style, et dont la raison d’être semble désormais de constituer un outil d’ajustement de début ou de milieu d’année en matière budgétaire. Comme le disait Mme la rapporteure générale, vous laissez ainsi au futur gouvernement issu du résultat des élections la responsabilité de supporter les conséquences de vos décisions.
Pendant ce temps, une ouverture importante de crédits est effectuée : 6,5 milliards d’euros vont être immédiatement mobilisés pour le Mécanisme européen de stabilité – j’insiste sur ce mot – qui n’a pas grand-chose à voir avec la solidarité dont certains ont paré cet « outil » financier et technocratique. Ces crédits sont mobilisés afin de permettre à la France d’apporter son écot au nouveau plan pour la Grèce.
Nous avons expliqué hier notre opposition à ces choix, proposés par Mme Merkel et M. Sarkozy, qui épuisent le peuple grec et lui font payer les conséquences d’une politique européenne refusant de s’engager sur une harmonisation fiscale et sociale qu’exigent aujourd’hui les syndicats en action dans de nombreux pays européens.
La situation faite tant à la France qu’à la zone euro, à la Grèce en particulier, nécessite d’autres réponses. Et les Français méritent d’être consultés sur ce nouveau traité, comme le seront prochainement les Irlandais.
Le vrai problème n’est-il pas que les prétendus remèdes imposés aux Grecs depuis deux ans n’ont fait qu’aggraver les difficultés que traversent ce pays et sa population, alors même que des milliards d’euros d’avoirs grecs privés sont aujourd’hui cumulés dans les coffres-forts des banques – suisses, entre autres établissements – et que l’injustice fiscale continue de laisser de scandaleux privilèges aux armateurs et à l’Église orthodoxe locale ?
Il y a deux ans, nous nous étions demandé si le plan pour la Grèce était « un plus » pour ce pays, s’il ne visait pas plutôt à assurer les arrières de ceux qui avaient fait de la dette grecque un instrument de profit parmi d’autres.
Le désastre économique dans lequel ce pays est plongé – chômage en hausse, dette publique explosée, déficits croissants et récession économique absolue – montre que, si les recettes des Goldman Sachs boys d’antan n’étaient pas admissibles, les mesures prônées par la Commission européenne et par le FMI ne sont guère meilleures !
La France doit-elle prêter la main à cet asservissement d’une nation souveraine ? Nous ne le croyons pas et c’est donc en toute cohérence que nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Gisèle Printz et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, mes chers collègues, après nous avoir présenté quatre projets de loi de finances rectificative en 2011, le Gouvernement, deux mois seulement après le vote de la loi de finances pour 2012, revient déjà avec un nouveau collectif budgétaire ! Quelle en est la raison ?
Outre la volonté évidente de faire passer dans la précipitation des mesures d’affichage en pleine campagne électorale, ce collectif doit permettre, selon le Gouvernement, de s’adapter à des prévisions de croissance divisées par deux, et ainsi de respecter l’objectif de réduction du déficit à 4,5 % du PIB pour 2012.
Mais la surestimation des hypothèses de croissance sur lesquelles se fondait le Gouvernement en décembre était déjà évidente. Ainsi, depuis la fin du mois de novembre 2011, l’OCDE prévoyait une croissance de 0,3 % en 2012 alors que le Gouvernement s’obstinait à maintenir son chiffre de 1 %.
Aujourd’hui, le Gouvernement ramène sa prévision de croissance à 0,5 % : espérons cette fois qu’il ne se trompe pas, d’autant que la Banque de France prévoit déjà une croissance nulle au premier trimestre.
Ce collectif s’apparente donc à un troisième plan de rigueur. Les coupes dans les dépenses et l’utilisation inappropriée de la réserve de précaution nous le montrent. La ponction inédite faite sur cette réserve est particulièrement inquiétante et elle limitera considérablement les marges de manœuvre pour faire face à de nouveaux aléas en cours de gestion.
La « TVA sociale » est l’une des principales mesures du texte que nous contestons. Tous ceux qui se sont penchés sur les effets d’une telle mesure ont souligné qu’elle ne pourrait pas favoriser à la fois l’emploi et la compétitivité. Madame la ministre, peut-être avez-vous oublié le rapport de M. Éric Besson qui, en 2007, faisait état du dilemme entre emploi et compétitivité à propos de la TVA sociale ?
Quoi qu’il en soit, la mesure telle qu’elle est déclinée par le Gouvernement, à savoir une baisse des charges sociales de 13,2 milliards d’euros centrée sur les salaires entre 1,6 et 2,1 SMIC, compensée par un relèvement de la TVA de 1,6 point et une hausse du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, pourrait au final ne favoriser ni l’emploi ni la compétitivité.
En ce qui concerne l’emploi, comme l’a démontré Mme la rapporteure générale, si cette mesure crée des emplois, elle en créera bien moins que 100 000 – chiffre avancé par le Gouvernement – et elle pourrait même, selon certaines études, en détruire. C’est aussi l’analyse faite par Éric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques, qui estime que, dans le meilleur des cas, seuls 48 000 emplois pourraient être créés.
Dans l’hypothèse, la plus probable, où les entreprises profiteraient de la mesure pour augmenter leurs marges, les Français subiraient une double peine : d’une part, l’augmentation des prix jusqu’à 1,1 % et, d’autre part, des destructions d’emplois, jusqu’à 16 000 si l’on en croit certains experts. (M. Vincent Delahaye sourit.)
Les estimations de notre commission des finances prévoient quant à elles que l’effet de la mesure proposée par le Gouvernement sera compris entre 20 000 destructions et 30 000 créations d’emploi.
Par conséquent, il ne s’agira en aucun cas d’une « TVA emploi », mais il ne s’agira pas non plus d’une « TVA compétitivité » ou d’une « TVA antidélocalisation ». Dès lors, on voit mal en effet comment une baisse des charges sociales de quelque 13 milliards d’euros pourrait avoir un effet significatif sur la compétitivité-prix, alors que les économistes favorables à la mesure préconisaient des baisses beaucoup plus importantes, de l’ordre de 30 milliards d’euros.
De surcroît, le Gouvernement part du postulat que notre faible compétitivité serait liée au coût du travail. En réalité, je crois plutôt que c’est la compétitivité hors prix qu’il faut stimuler en favorisant la recherche et l’innovation, qui sont les clés d’une croissance forte et durable. Les mesures prises par ce gouvernement en ce sens ne sont pas suffisantes pour rattraper notre « retard » de compétitivité. Il y faudra sans doute davantage de volonté politique.
Enfin, la TVA sociale se traduira nécessairement par une hausse des prix et affectera la consommation et les revenus des ménages, en particulier des plus défavorisés. C’est pourquoi nous ne pouvons que rejeter cette mesure inefficace économiquement et injuste socialement.
La seconde mesure très médiatique de ce collectif est l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Comme je l’ai dit voilà une semaine, mais je ne me lasse pas de le répéter, cette taxe me tient à cœur puisque j’avais été, avec mon groupe, le premier à la proposer au Parlement dans une proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, examinée par notre assemblée le 23 juin 2010, et rejetée par la majorité sénatoriale de l’époque.
Mais si l’on peut se réjouir, et c’est mon cas, de la volonté du Gouvernement d’instaurer une telle taxe, qui avait dans un premier temps été refusée catégoriquement, on ne peut en revanche que regretter que la version envisagée, et Mme la rapporteure générale l’a dit, soit plus que limitée, notamment par rapport aux propositions de la Commission européenne. Son assiette, déjà étroite à l’origine, a encore été réduite par l’adoption d’un amendement du rapporteur général à l’Assemblée nationale.
En conclusion, les deux mesures phares du collectif – TVA sociale et taxe sur les transactions financières – sont donc révélatrices de la logique qui sous-tend l’ensemble du texte. Les mesures proposées, loin d’être à la hauteur des ambitions affichées, sont d’abord et avant tout l’illustration, une fois de plus, de l’utilisation du Parlement et du travail de ses membres à des fins exclusivement électoralistes. Dans ces conditions, la majorité des membres du RDSE soutiendra la motion tendant à opposer la question préalable, présentée par Mme la rapporteure générale de la commission des finances. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, lundi dernier, nous discutons de nouveau du premier collectif budgétaire pour l’année 2012.
Mon propos s’adressera avant tout à nos collègues de la majorité sénatoriale et de l’opposition présidentielle. Il portera tant sur le fond que sur la forme de ce débat.
Sur le fond, vous vous opposez à la création d’une TVA compétitivité ou antidélocalisation. Votre argumentation porte avant tout sur la hausse de la TVA, en insistant peu sur la baisse des charges patronales, qui est le vrai sujet.
La hausse ne concernera que le taux supérieur de la TVA, et sera limitée à 1,6 point, ce qui nous placera dans la moyenne européenne des taux de TVA. Elle ne concernera donc pas les biens de première nécessité, comme l’alimentation ou les médicaments, et au total, ce sont 60 % du panier de consommation des Français qui ne seront pas concernés par cette hausse. Il n’y a pas là de quoi pousser des cris d’orfraie et brandir le spectre de l’augmentation des prix. Je vous rappelle qu’en Allemagne et au Danemark la hausse de la TVA n’a pas été inflationniste. Comme cela a été rappelé tout à l’heure, la hausse de 2 points de TVA sous le gouvernement Juppé avait entraîné une hausse des prix d’un demi-point seulement.
Par ailleurs, si, dans les médias, vous ne cessez d’insister sur la hausse de TVA, vous vous gardez bien d’expliquer aux Français que la baisse des charges sociales sera également compensée par une hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, la moitié de cet effort concernant les 5 % des ménages les plus aisés.
Votre argumentation porte aussi sur la faible création d’emplois attendue. De ce point de vue, je rappelle que les experts se contredisent.
Quoi qu’il en soit, il faut, dans ce débat, revenir aux fondamentaux : l’emploi ne se décrète pas. Il est conditionné par la compétitivité des entreprises. On ne peut à la fois s’émouvoir, comme vous le faites, de la désindustrialisation de notre pays, des mauvais chiffres du commerce extérieur, des délocalisations et ne pas regarder en face et avec courage la structure des charges que nos entreprises doivent supporter.
Il s’agit avant tout de les rendre plus compétitives par rapport à leurs voisines européennes, l’Allemagne, mais aussi l’Italie ou l’Espagne, nos principaux concurrents. Il s’agit aussi de dynamiser nos exportations et taxer davantage les produits importés.
Manuel Valls, porte-parole du candidat Hollande, ne s’était pas trompé lorsqu’il déclarait le 28 septembre lors de la primaire socialiste « la solution c’est la TVA sociale » (M. Jacky Le Menn s’exclame.) ou lorsqu’il récidivait le 7 octobre dans une tribune parue dans Les Échos, intitulée « Oui, la TVA sociale est une mesure de gauche » et il enfonçait le clou en ajoutant « je défends depuis longtemps le principe d’une TVA protection, mesure qui permettrait de trouver un antidote aux délocalisations » : on ne peut mieux dire !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Sarkozy était contre !
M. Dominique de Legge. Au-delà du fond, mon propos portera aussi sur la forme.
Je le regrette très profondément, pour ne pas dire que je m’en offusque, depuis que la gauche est majoritaire au Sénat, nous ne pouvons plus discuter normalement des textes qui nous sont soumis.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Philippe Bas. C’est vrai !
M. Dominique de Legge. Je crois au bicamérisme et je considère que l’honneur du Sénat est d’approfondir, de modérer et d’amender les textes qui sont proposés par le Gouvernement ou qui proviennent de l’Assemblée nationale.
Il y a un an, face à des textes difficiles comme le projet de loi portant réforme des retraites, vous nous expliquiez que le Parlement est là pour débattre et qu’il ne fallait pas s’offusquer de la longueur des débats et de la multiplication des amendements.
Mme Colette Giudicelli. Absolument !
M. Dominique de Legge. Depuis que vous êtes majoritaires, on ne compte plus le nombre de motions de tout genre que vous déposez pour esquiver ou éviter la discussion, laissant ainsi à l’Assemblée nationale le soin d’écrire seule la loi.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est le cas tous les mois !
M. Dominique de Legge. Je crains que, à force d’agir de la sorte, au moment où vous devenez majoritaires dans cette assemblée, vous n’affaiblissiez les travaux de celle-ci et n’introduisiez un doute sur l’intérêt du bicamérisme.
M. Gilbert Barbier. Il a raison !
M. Dominique de Legge. Je ne prendrai que trois exemples récents pour illustrer mon propos.
Le premier est le renvoi à la commission de l’excellente proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales présentée par notre collègue Éric Doligé, alors que le Sénat était au cœur de sa mission et répondait à une attente des élus locaux en s’attaquant enfin à ce sujet.
Que l’importance des sujets en cause conduise à ne pas traiter tout à la fois, peut-être, mais nous avons perdu, ensemble, une occasion d’envoyer un message fort aux collectivités, et vous en portez la responsabilité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Deuxième exemple : au final, les articles de ce collectif budgétaire n’auront pas été débattus sur le fond, puisque vous avez fait le choix de voter une motion tendant à opposer la question préalable dès la première lecture.
Vous avez donc estimé qu’il fallait rejeter l’ensemble du texte, d’un seul bloc, alors qu’il contenait pourtant des dispositions plus consensuelles, comme l’abondement du capital de la future banque publique de l’industrie, à hauteur de 1 milliard d’euros. Comment pouvez-vous vous y opposer alors même que votre candidat a proposé à la page 7 de son livre programme la création d’une banque publique d’investissement pour les PME industrielles ?
M. Gilbert Barbier. Eh oui !
M. Dominique de Legge. Démonstration est faite que, à partir du moment où la mesure est proposée par le Gouvernement, vous vous y opposez systématiquement. Calcul politicien au détriment de l’intérêt collectif…
Rejeter en bloc le présent collectif budgétaire, dès la première lecture, et de nouveau en nouvelle lecture, c’est également faire fi de dispositions qui auraient pu nous rassembler et qui vont avoir une incidence positive sur les finances publiques.
Je pense à la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières, que vous prônez depuis longtemps et qui pourrait rapporter 500 millions d’euros cette année puis 1,1 milliard d’euros en année pleine, ou encore à l’intensification de la lutte contre la fraude fiscale, dont vous ne cessez de dire qu’elle n’est pas suffisante, et qui pourrait rapporter 300 millions d’euros en 2012.
C’est faire fi du renforcement des formations en alternance proposé, qui doit permettre d’offrir des formations supplémentaires à plusieurs centaines de milliers de jeunes.
Enfin, le troisième exemple est le relèvement du plafond de prêts accordés par la France au FMI et l’abondement du capital du futur Mécanisme européen de stabilité.
Vous nous avez encore fait la démonstration hier après-midi de votre scandaleux manque de courage,…
M. Gilbert Barbier. C’est vrai !
M. Dominique de Legge. … en vous abstenant sur le projet de loi autorisant la ratification du traité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Alors que depuis plusieurs années les Verts et les socialistes au Parlement européen se sont battus pour l’existence d’un tel mécanisme de stabilité, la gauche en France, isolée, a fait le choix d’adopter une posture purement politicienne et électoraliste, au détriment d’intérêts bien supérieurs comme le sauvetage de la Grèce, la sauvegarde de la zone euro, la construction européenne et l’idéal européen. Vous voilà bien discrédités pour parler de l’Europe demain ! (Mme Annie David s’exclame.)
Quelle tristesse de constater que, dans un contexte où l’Europe et l’euro sont menacés, le courage ne soit pas unanime, au-delà des clivages politiques et des échéances électorales !
Le caractère abscons et tartufe de votre position est résumé par l’expression de Jean-Marc Ayrault, qui tente de la justifier ainsi : « Notre abstention est dynamique, offensive. Le vote “ non ” aurait donné l’impression de ne rien décider ». On ne peut mieux dire !
Voir du dynamisme dans de l’abstention et un acte de décision dans le refus de prendre position, il faut oser ! Si c’est ainsi que vous comptez gouverner la France, voilà qui devrait donner à réfléchir aux électeurs !
Mme Christiane Demontès. C’est tout réfléchi !
M. Dominique de Legge. J’espère que, dans deux mois, ils appliqueront ce concept d’abstention dynamique à votre candidat.
A contrario de votre irresponsabilité, le groupe UMP, pour sa part, votera le présent projet de loi de finances rectificative et s’opposera à la motion tendant à opposer la question préalable que vous défendrez dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. René-Paul Savary. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure générale de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en approuvant les propos que vient de prononcer mon collègue breton sur l’importance du bicamérisme. Je suis tout nouveau sénateur, mais j’ai compris que la Chambre haute est l’assemblée où l’on peut justement approfondir la réflexion.
Toutefois, à l’approche des élections nationales, je découvre une frénésie de mesures graves qui nous sont proposées dans la précipitation.
Mme Annie David. Exactement !
Mme Michèle André. Eh oui !
M. Joël Labbé. Je n’avais pas envisagé le rôle du Sénat sous cet angle.
Entre les promesses de campagne, les renoncements, les mesures inefficaces, idéologiques et à contre-emploi pour certaines, l’échec du Gouvernement et de la politique du Président, candidat aujourd’hui, est éclatant. Le bilan est catastrophique concernant le chômage et la dette. La crise a trop souvent bon dos !
Cela fait cinq ans, cinq ans déjà, que vous avez engagé notre pays dans une certaine spirale : pendant que de plus en plus de personnes sont tombées dans une grande précarité, ont été offerts divers cadeaux fiscaux tel l’allégement de l’ISF, qui coûte à l’État pas moins de 1,9 milliard d’euros.
Dans ce moment grave que nous vivons où solidarité, équité et justice doivent contribuer à une nécessaire unité nationale, en ces temps difficiles, vous persistez à prendre des mesures injustes.
Le 13 octobre 2007, Nicolas Sarkozy déclarait : « La croissance de 2007, je n’y suis pour rien, il faut la doper en 2008, et en 2009 ce sera la mienne. » En 2007, elle était de 1,9 %, en 2008 de 0,9 %, et en 2009 de moins 0,4 %.
Quant à la dette publique, elle est passée de 64,2 % du PIB en 2007 à 85,3 % en 2011, soit près de 1 700 milliards d’euros !
Et aujourd’hui, le Président de la République ose se présenter en sauveur de la crise !
M. Jacky Le Menn. En sauveur de l’humanité !
M. Joël Labbé. Le capitaine dans la tempête qui régulera la finance, le Président du plein emploi, du pouvoir d’achat, qui ne laissera plus personne dormir dans la rue dans les deux ans, ne peut plus faire illusion.
Le bilan de l’emploi, pour n’évoquer que celui-ci, est catastrophique. Nicolas Sarkozy, toujours en avril 2007, déclarait sur le plateau de France 2 : « Je veux m’engager, par exemple, sur le plein emploi : 5 % de chômeurs à la fin de mon quinquennat. Et ce travail, on nous demande pas une obligation de moyens, […] on nous demande une obligation de résultats. […] Si on s’engage sur 5 % de chômeurs et qu’à l’arrivée il y en a dix, c’est qu’il y a un problème. […] Je [dirai] aux Français : c’est un échec et j’ai échoué. Et [ce sera] aux Français d’en tirer les conséquences. »
Mme Marie-France Beaufils. Très bonne citation !
M. Joël Labbé. Eh bien oui, il y a un problème ! Approcher la barre des 10 % comme taux de chômage, on y est presque : quel résultat ! Cela représente près de 1 million de personnes supplémentaires à Pôle emploi, une institution qui a été au passage fragilisée davantage en raison de la diminution de ses moyens : on compte désormais un conseiller pour 200 demandeurs d’emplois. Un pour 200 : c’est absolument effarant !
Mme Annie David. Eh oui !
M. Joël Labbé. Comment ces personnes peuvent-elles être correctement accompagnées dans de telles conditions ? Et comment les employés de Pôle emploi – j’en connais, dont certains travaillent dans des conditions de grande précarité – peuvent-ils jouer leur rôle ?
Mais au lieu de proposer des mesures réellement efficaces contre le chômage, vous stigmatisez les chômeurs à longueur de discours et prévoyez des dispositifs inefficaces !
Les heures supplémentaires, par exemple, n’ont pas permis de diminuer le chômage et coûtent néanmoins plus de 4 milliards d’euros par an. Il en est de même de la TVA sur la restauration, qui, elle, coûte 3 milliards d’euros par an.
Quant à la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires dans le cadre de la RGPP, on en constate les effets désastreux sur nos services publics tous les jours, sans parler de ceux qui ont nécessairement été transférés vers les collectivités locales. Je pense notamment au service du droit des sols.
Donc, ce quinquennat, puisque nous en sommes au bilan, est celui du chômage de masse et de la précarisation du travail ; c’est un échec, et derrière cela, pour nous écologistes, c’est l’échec d’un modèle de société qui n’a décidément plus d’avenir.
Alors, en lançant des réformes à la dernière minute, vous pensez faire oublier ce bilan catastrophique. Mais les miracles, vous le savez bien, n’existent pas ! Vous montrez là que vous manquez d’une vision de long terme et que vous ne faites que multiplier les effets d’annonce.
Certes, pour qui que ce soit, l’exercice n’est pas et ne sera pas facile. Mais ce n’est pas avec des effets d’annonce et des mesures de dernier moment que l’on peut sauver la situation. La proposition d’une TVA sociale est à cet égard tristement emblématique : après avoir critiqué l’injustice de ce type d’impôt, le Président le présente comme une mesure de justice sociale. Il ne faut tout de même pas exagérer !
Avec cette mesure, c’est bien le pouvoir d’achat, l’ensemble du budget de nos concitoyens, notamment les plus défavorisés, qui va être touché, alors que nous sommes en pleine crise.
En effet, il faut cesser de mentir aux Français, une hausse de la TVA va inéluctablement faire augmenter les prix. Finalement, quel est l’objectif visé avec cette hausse de TVA ? Il s’agit de compenser l’exonération des charges patronales, un cadeau supplémentaire, alors même que les entreprises attendent des mesures autrement plus efficaces.
Vous demandez des sacrifices aux Français, mais vous gaspillez leurs efforts !
Vous le savez, vous nous engagez là dans une course folle de dumping social, une course que nous allons perdre et dont le prix sera lourd pour l’ensemble des Françaises et des Français. Au fond, le but recherché est-il de remettre en cause nos acquis sociaux afin que nous soyons de plus en plus compétitifs ? Mais plus compétitifs que qui ?
Pourquoi s’obstiner à refuser de construire une Europe solidaire où les droits sociaux s’ajusteraient par le haut ? Pourquoi persister à croire en un modèle de développement qui nous conduit droit dans le mur, et reporter le règlement de nos immenses problèmes sur les générations futures ?
Il s’agit maintenant d’investir dans les filières d’avenir, notamment le bâtiment, les économies d’énergies dont tout le monde profitera, les transports en commun, les énergies renouvelables.
Nous pouvons réindustrialiser notre pays, créer et localiser, relocaliser, refaire du lien entre l’économie et le territoire.
Ce projet de loi de finances rectificative est, selon nous, dangereux et inefficace. C’est, beaucoup le ressentent ainsi, un coup de communication de plus en vue des élections qui approchent !
Par conséquent, aux yeux des écologistes, ce texte est pour le moins inopportun, et comme nous l’avons déjà dit, un tel débat n’a pas lieu d’être au sein de la Chambre haute. C’est la raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à l’occasion de cette nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2012, poser trois questions.
La multiplication des questions préalables qui empêchent le débat est-elle une bonne chose pour le Sénat ?
M. Vincent Delahaye. Je n’ai pas encore répondu à cette question ! (Sourires.)
Sur le fond, ce projet de loi de finances rectificative va-t-il dans le bon sens ?
Enfin, pourquoi ne pas retenir les propositions que j’avais faites lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2012 ?
Tout d’abord, cette nouvelle lecture résonne étrangement dans cet hémicycle. En effet, le Sénat, sur proposition de la majorité de notre commission des finances, a préféré éluder la discussion de ce premier projet de loi de finances rectificative pour 2012 en déposant une motion tendant à opposer la question préalable.
Une fois de plus, nous devons nous prononcer sur une motion de procédure, bref, sur une énième manière de nous dédouaner de notre responsabilité…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Vincent Delahaye. … et de notre rôle de parlementaire, qui est, je le rappelle, de débattre, d’amender, de voter ou non la loi...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est dit !
M. Vincent Delahaye. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Nous avons été privés du débat sur le projet de loi de finances pour 2012, nous avons été privés du débat sur le plan de sauvegarde des finances publiques, et nous serons manifestement privés du débat sur le présent texte une fois de plus ! (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)
Autant dire que nous nous défaussons sur nos collègues députés ! Ce procédé n’est pas acceptable !
Les auteurs de la question préalable déposée sur ce texte mettent en avant l’absence d’urgence comme de nécessité des dispositions en cause. Je m’étonne de ces arguments : de fait, la compétitivité de notre économie exige des mesures d’urgence. Quant aux dispositions relatives à l’équité fiscale, à la lutte contre la fraude, à la solidarité européenne, qui font également partie de ce texte, elles me semblent de nature à être adoptées dès maintenant.
On ne peut faire grief au Gouvernement de travailler jusqu’au bout et de proposer des mesures susceptibles de renforcer la compétitivité de notre économie et de créer des emplois.
J’ai écouté avec attention les propos de notre rapporteur général. C’est à croire que ce n’est jamais le bon moment pour aborder des sujets cruciaux. Nous ne parlons, somme toute, que de l’orientation à donner aux structures de notre économie pour les prochaines années : rien que cela !
Eh bien, je suis de ceux qui pensent que non, la croissance et l’activité n’attendent pas les élections ! Nos concitoyens continuent de travailler, de produire et de consommer. On n’arrête pas d’un trait la machine économique. Du reste, celle-ci a cruellement besoin d’une révision d’ensemble et de courageuses réformes structurelles, au regard de notre déficit commercial abyssal et d’un taux de chômage inacceptable.
Jusqu’à la dernière minute, le Gouvernement reste légitime à gouverner et à réformer. C’est là la substance même de ce que l’on nomme la continuité de l’État : il n’y a pas de vacance du pouvoir, surtout pas en pleine crise économique.
Alors que nous ne sommes même pas assurés d’éviter la récession en 2012, il est irresponsable d’affirmer qu’il est trop tard pour réformer. Au contraire, il faut poser les véritables questions, quel que soit le calendrier. Les citoyens trancheront au printemps prochain.
Mme Catherine Génisson. En effet !
M. Vincent Delahaye. Pour l’heure, notre devoir est d’assumer notre rôle institutionnel plutôt que d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui appellent de leurs vœux la disparition du Sénat.
Or il est regrettable de constater que, depuis le mois d’octobre dernier, le Sénat n’assume plus véritablement ni totalement son rôle institutionnel.
Mme Marie-France Beaufils. C’est faux !
M. Vincent Delahaye. Le Sénat ne saurait être réduit à une simple caisse de résonance de l’opposition à la majorité présidentielle !
Mme Annie David. Nous avons voté une loi de finances et une loi de financement de la sécurité sociale !
M. Vincent Delahaye. Cette attitude mine profondément la légitimité de notre institution et celle de nos mandats. (Mme Annie David s’exclame.) Nous ne pouvons pas nous permettre de devenir un simple frein aux rouages institutionnels de la République.
M. Philippe Bas. Exactement !
M. Vincent Delahaye. Sous la IIIe République, on disait du Sénat qu’il offrait « le temps de la réflexion ». Aujourd’hui on aurait plutôt tendance à croire qu’il est devenu le « lieu de l’expédition ». (M. David Assouline s’exclame.)
Mais n’oublions pas le fond du présent texte. Il s’agit de poser les premiers jalons d’une refondation structurelle de notre économie.
M. Jean-Marc Todeschini. Bulletin du Gouvernement : bon élève, peut mieux faire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. Exactement !
M. Vincent Delahaye. Et le succès de cette entreprise passe par trois axes majeurs : stimuler notre compétitivité, renforcer l’équité de notre système fiscal et consolider nos outils pour lutter contre la crise des dettes souveraines.
Les différentes dispositions de ce collectif budgétaire vont dans le bon sens, indéniablement. L’OCDE a d’ailleurs salué récemment les différentes réformes entreprises par la France au cours des dernières années, à l’heure même où la Banque mondiale se montre de plus en plus pessimiste quant à l’avenir du régime de croissance de la Chine.
Le monde change plus vite qu’on ne pouvait le croire, et la France a son rôle à jouer dans le siècle à venir.
Certes, la TVA antidélocalisation aurait pu être mise en œuvre plus tôt,…
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est bien de le reconnaître !
M. Vincent Delahaye. … elle aurait dû être plus forte car, comme chacun sait, cette mesure ne produira ses effets qu’à moyen voire à long terme.
Certes, la taxe sur les transactions financières n’est pas assez forte et son assiette n’est pas encore européenne.
Et pourtant le présent texte a le mérite de mettre en œuvre ces mesures,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non ! Il ne mettra pas en œuvre la moindre mesure !
M. Vincent Delahaye. … que les centristes appellent de leurs vœux,…
M. David Assouline. Tout bas, vraiment tout bas !
M. Vincent Delahaye. … dans leur grande majorité, et depuis de nombreuses années !
À ce titre, je salue le travail accompli par notre collègue Jean Arthuis, qui s’est imposé comme un pionnier majeur de cette modernisation tant attendue.
M. David Assouline. Bien sûr, et même avant ATTAC…
M. Jean-Marc Todeschini. C’est de la copie conforme, du pillage !
M. Vincent Delahaye. Ce texte a également l’intérêt de créer une banque de l’industrie, permettant de renforcer le soutien dont les petites et moyennes entreprises ont besoin pour se développer et pour embaucher.
Par ailleurs, le présent projet de loi de finances rectificative permet de renforcer l’apprentissage, voie essentielle vers l’emploi pour tous les jeunes qui cherchent à fonder leur avenir sur des bases solides.
Oui, mes chers collègues, le sentier de la croissance, la voie de la création d’emplois en nombre ne se dessineront qu’à force de réformes structurelles, et non en arrosant d’argent public le sable de nos déficits. Si la relance budgétaire assurait nécessairement la croissance économique, notre taux de croissance serait bien supérieur à 2 % ! Or il n’en est rien.
À mes yeux, ce texte trace la voie de mesures structurelles qu’il faudra renforcer dans les mois à venir.
En outre, ce projet de loi de finances rectificative acte, malheureusement, une hausse sensible de notre déficit public.
M. Jean-Marc Todeschini. Au secours ! On ne sait pas quoi faire !
M. Vincent Delahaye. Cette augmentation est liée à la prise en compte de la solidarité à l’égard de la zone euro – 6,5 milliards d’euros supplémentaires, tout de même ! –, qui est la conséquence du laxisme budgétaire des pays européens, y compris de la France. (Mme Gisèle Printz manifeste son exaspération.)
Je crains que nous ne soyons qu’au début d’un processus appelé à se poursuivre et à exercer ses effets néfastes sur nos finances publiques pendant un bout de temps ! De fait, il faudra bien payer nos dettes même si certains – y compris dans cet hémicycle – persistent dans l’illusion que l’on peut emprunter à perte de vue. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Il ne faut pas exagérer !
M. Jean-Marc Todeschini. Qui a multiplié les dettes ?
M. David Assouline. 500 milliards d’euros !
M. Vincent Delahaye. Cette illusion est dangereuse pour nos compatriotes, à qui, même en période électorale, il ne faut pas faire croire que l’on peut continuer impunément à vivre au-dessus de ses moyens.
M. David Assouline. C’est clair !
M. Jean-Marc Todeschini. Ça, c’est vrai ! Il fallait le dire en 2007 !
M. Vincent Delahaye. Le texte dont nous discutons aujourd’hui corrige également la prévision de croissance qui, en définitive, avait été retenue à l’automne dernier.
J’en viens aux deux propositions que j’avais alors formulées sur ce point, et que je renouvelle aujourd’hui.
M. David Assouline. Soyez bref, car le temps de parole dont vous disposiez est écoulé !
M. Vincent Delahaye. Tout d’abord, j’avais proposé d’adopter la prévision de croissance issue du consensus des économistes – celle-ci s’établissait alors entre 0,9 % et 1 % – diminuée, par mesure de prudence, de 0,5 %.
Vous le remarquerez, si cette proposition avait été retenue, nous n’aurions pas à revenir aujourd’hui sur cet élément majeur pour l’élaboration de nos prévisions budgétaires.
M. Vincent Delahaye. La réalité nous a rattrapés : force est de constater que nous n’avons pu faire l’impasse sur un ajustement à la baisse de nos prévisions en matière de croissance et donc de recettes fiscales à périmètre constant.
M. Jean-Marc Todeschini. On vous l’avait bien dit !
M. Vincent Delahaye. Par ailleurs, nous devrons tôt ou tard – mais le plus tôt sera le mieux ! – opérer une importante réduction de nos dépenses publiques. Là aussi, il nous faut en finir avec cette trop grande timidité qui nous empêche de prendre le problème à bras-le-corps.
Si nous réduisons la dépense publique de 1 euro pour chaque euro d’impôt supplémentaire, comme je l’ai proposé, il y a fort à parier que nous trouverons une clef de réduction de notre déficit structurel.
Madame le ministre, mes chers collègues, la crise n’est pas terminée, en dépit des conditions plus favorables dont nous disposons actuellement pour financer notre dette. Le présent collectif budgétaire ne répondra pas à tous les défis posés à notre pays, à nos entreprises et à notre population active. Pourtant, il désigne une voie nouvelle qui mérite d’être explorée, mais qui, avant tout, aurait mérité d’être débattue !
Je regrette que la majorité sénatoriale nous prive de ce débat fondamental,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Moi aussi !
M. Vincent Delahaye. … et même si, à mon sens, les mesures qui nous sont proposées sont à la fois trop tardives et trop peu fortes, sur le fond, ce texte va incontestablement dans le bon sens.
C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste et républicaine votera, dans sa grande majorité, contre la motion tendant à opposer la question préalable qui nous est soumise aujourd’hui. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Mme Gisèle Printz. Quelle nouvelle !
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans ce débat pour évoquer un enjeu précis du présent projet de loi de finances rectificative, à savoir la culture.
En effet, dans le contexte de grave crise que nous traversons, la culture peut apparaître, chez tous les acteurs du débat public, comme le parent pauvre que l’on oublie, en considérant qu’il ne s’agit là que d’un « supplément d’âme » à l’heure où les difficultés matérielles et concrètes frappent l’ensemble de nos concitoyens.
Je l’affirme, il n’en est rien : de fait, la culture est non seulement au cœur de notre pacte républicain, de notre vivre ensemble, mais elle constitue également – précisément dans les périodes de grandes difficultés – un vecteur de cohésion essentiel et vital, pour l’ensemble des Français.
Mes collègues Nicole Bricq et Yves Daudigny ayant abordé le présent texte dans son ensemble, je tiens à concentrer mon propos plus précisément sur la question de la culture.
Vendredi dernier, plusieurs centaines de personnes du monde du spectacle vivant et des arts plastiques ont manifesté à Paris, à Rennes, à Amiens et à Strasbourg, pour protester contre les coupes claires que le projet de loi de finances rectificative dont nous débattons cet après-midi opère dans les crédits culturels.
Il faut le souligner, ce texte supprime plus de 62 millions d’euros de crédits pour les secteurs de la culture et de l’audiovisuel, somme à laquelle il convient d’ajouter 67 millions d’euros gelés. Et, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de dégel !
En réalité, la culture n’a jamais fait partie des priorités du Président de la République sortant. Du reste, la lettre de mission qu’il adressait dès le mois d’août 2007 à sa ministre de la culture de l’époque donnait le ton du projet ultralibéral qu’il nourrissait pour la culture : « Vous exigerez de chaque structure subventionnée qu’elle rende compte de son action et de la popularité de ses interventions, vous leur fixerez des obligations de résultats et vous empêcherez la reconduction automatique des aides et des subventions. »
Derrière ces phrases, qui peuvent paraître de bon sens,…
M. Philippe Bas. Et qui le sont !
M. David Assouline. … en suggérant d’évaluer les politiques menées avant de renouveler les crédits qui leur sont attribués, et en soulignant que rien n’est automatique en matière de subventions, de nombreux principes absolument essentiels à la culture, et grâce auxquels on a pu évoquer, au sujet de notre pays, une véritable exception culturelle, ont été mis à bas : de fait, la popularité – c'est-à-dire le nombre de visiteurs ou de spectateurs – n’est pas le critère essentiel d’attribution d’une aide ou d’une subvention publique en matière culturelle.
Vous le savez, Mozart et d’autres génies n’avaient guère d’audience et n’étaient pas très populaires de leur vivant. Quoi qu’il en soit, s’il est possible de faire émerger des Mozart dont la valeur sera reconnue dans un siècle, mieux vaut ne pas juger leurs œuvres uniquement à cette aune ! (Mme le ministre manifeste son scepticisme.)
De surcroît, les projets culturels ont besoin de visibilité, de temps, de préparation, et les résultats ne se mesurent pas tout de suite ! Or les situations d’insécurité – engendrées par l’éventualité d’une suppression brutale des subventions – ont fragilisé nombre de structures et mis en péril une grande partie de notre production culturelle et du spectacle vivant.
Après quatre ans et demi d’exercice du pouvoir, cette tendance s’est accrue de manière inacceptable. Ainsi, au titre de l’exercice 2012, la seule mission « Culture » subit une baisse de 34,1 millions d’euros en autorisations d’engagement, et même de 36,1 millions d’euros en crédits de paiement : les coupes claires se multiplient dans un secteur dont les crédits enregistraient déjà une baisse de 5 % en autorisations d’engagement, lors du vote de la loi de finances initiale, en décembre 2011.
Ainsi, les 34 millions d’euros amputés seraient ainsi répartis : 21,1 millions d’euros pour le programme « Patrimoine », 3,5 millions d’euros pour le programme « Création », 9,4 millions d’euros pour le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Il n’est pas anodin que le secteur du patrimoine soit, une fois de plus, le premier à subir les frais de la politique de démantèlement des moyens alloués à la culture. Je rappelle que l’État n’a plus, ou plutôt ne se donne plus les moyens d’entretenir ses monuments historiques, domaine qui, depuis 2003, accuse un déficit structurel de l’ordre de 50 à 60 millions d’euros par an en crédits de paiement.
Ainsi, dès le milieu de l’année civile, les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, sont fréquemment placées en situation de cessation de paiement, des chantiers de restauration sont stoppés, et, chaque jour, des entreprises de restauration au savoir-faire unique et pointu mettent la clef sous la porte !
Pour pallier ces difficultés, le Gouvernement n’a rien trouvé de mieux à faire que de liquider progressivement ce patrimoine, en en transférant les charges aux collectivités territoriales, qui plus est – nous le savons pour en avoir discuté ici même ! – dans des conditions qui ne garantissent pas la préservation de ces monuments dans le domaine public.
Cette politique à très court terme permet à l’État de renflouer ses caisses en utilisant comme de vulgaires marchandises des monuments historiques, patrimoine commun de tous les Français, pourtant en principe protégés par les clauses d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité applicables aux biens publics du domaine public.
Toujours dans le secteur du patrimoine, je rappelle le sort réservé à l’archéologie préventive,…
M. Vincent Delahaye. C’est brillant mais hors sujet !
M. David Assouline. … qui a fait l’objet de sept réformes sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. À ce titre, il serait nécessaire de mener quelques évaluations et de prendre l’habitude, avant de voter une loi, d’étudier la législation en vigueur, afin de prévenir cette prolifération législative qui ne sert à rien et qui complique tout !
Nombreuses sont les régions et les structures qui feront les frais de ces coupes budgétaires. Ainsi, le Gouvernement a annoncé son intention de réaffecter aux DRAC les moins bien dotées les sommes prélevées sur celles des régions les « mieux » dotées, pour citer ses propres termes ! Ce faisant, la région Île-de-France devra rétrocéder 800 000 euros en quatre ans.
Première victime de cette hémorragie, l’orchestre national d’Île-de-France, structure itinérante qui verra sa subvention baisser de 700 000 euros, soit environ 25 % de son financement !
M. Vincent Delahaye. Ce n’est pas possible, il s’est trompé de papier ! (Sourires sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. David Assouline. À cette baisse de 34 millions d’euros des crédits de la mission « Culture », il convient d’ajouter la diminution de 11,2 millions d’euros des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », tandis que le programme « Diplomatie culturelle et d’influence » voit ses crédits diminuer de 6,2 millions d’euros.
L’audiovisuel public, qui perd 11 millions d’euros, n’a pas cessé de souffrir au cours de cette mandature. Lorsque nous avions débattu de sa réforme dans cet hémicycle, nous nous étions interrogés sur la volonté de supprimer les recettes publicitaires, ce qui revenait à alourdir la charge pour l’État. Si cette mesure ne pose peut-être pas de grand problème lorsque tout va bien, il en va différemment lorsque les caisses de l’État se vident. Et nous avions envisagé, à l’époque, ici même, le risque d’une diminution des moyens de l’audiovisuel public, solution dont on voit qu’elle est à l’œuvre aujourd’hui !
D’autant qu’il convient encore d’ajouter aux baisses que je viens de citer 7 millions d’euros de moins pour France Télévisions, 2,25 millions d’euros de moins pour Radio France, 1 million d’euros de moins pour Arte France et 510 000 euros de moins pour l’INA…
Et dire que le président Sarkozy avait, au début de son quinquennat, insisté sur le fait que la consommation de certains biens culturels devait être encouragée par la baisse de la TVA, y compris en recourant au taux réduit de 5,5 %...
M. Jean-Jacques Mirassou. Parlons-en, de la TVA !
M. David Assouline. Mais aujourd’hui, l’industrie du livre, comme d’autres industries culturelles d’ailleurs, subit une hausse de la TVA.
Donc, de manière générale, en ces temps de très grande difficulté financière, on décide de couper en catimini dans les budgets de la culture et de la communication, sans doute parce que l’on se dit qu’ils ne sont pas destinés à satisfaire les besoins les plus immédiats des Français. Pourtant, ne nous y trompons pas : ces coupes ne seront évidemment pas sans conséquences, car l’on n’imagine pas à quel point l’ensemble de ces activités permettent de maintenir le lien social sur le territoire !
C’est pour cette raison que le SYNDEAC, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, la CGT et tout le spectacle vivant ont eu raison de nous alerter la semaine dernière.
Malheureusement, au vu de la situation qu’ils nous ont décrite, il y a fort à craindre que nous n’assistions, une nouvelle fois, à des manifestations et à des boycotts lorsqu’arrivera la saison des festivals, parce que les intermittents du spectacle, les créateurs n’auront plus que ce moyen pour protester et se faire entendre.
C’est pour donner à leurs appels au secours un prolongement dans cet hémicycle, mes chers collègues, que j’ai tenu à rappeler ces réalités dans la discussion générale.
Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons la proposition de la commission des finances qui nous invite à rejeter ce texte en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur général, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier tous les orateurs qui sont intervenus au cours de cette discussion générale, en particulier les membres de la commission des finances et l’ensemble de leurs collaborateurs, de l’efficacité avec laquelle ils ont examiné ce texte. Je salue également le travail de la commission des affaires sociales.
À l’instar des débats de première lecture, les différentes interventions à la tribune ont montré toute la distance qui sépare aujourd’hui la majorité présidentielle de la gauche et, si vous me permettez ce raccourci, l’Assemblée nationale du Sénat.
Le Gouvernement et la majorité présidentielle souhaitent, sans attendre, relever le défi de la croissance, en prenant des mesures courageuses pour permettre à notre pays de s’extraire de la spirale de la perte de compétitivité et des délocalisations, mais aussi pour renforcer la solidarité européenne.
En revanche, l’opposition, parce qu’elle refuse toujours de tirer les pleines conséquences de l’échec des 35 heures (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Jean-Jacques Mirassou. Heureusement qu’elles sont là, les 35 heures !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … refuse aujourd’hui de voter une baisse des charges qui permettra aux entreprises de regagner des parts de marché et de créer des emplois.
Cette position ne nous surprend pas, au demeurant, puisque nous venons d’apprendre que le candidat socialiste, François Hollande, prévoyait une augmentation de charges de 5 milliards d’euros pour les retraites et de 4 milliards d’euros pour la dépendance, soit 9 milliards d’euros au total, lorsque nous prévoyons de les faire diminuer de 13,6 milliards d’euros. (Protestations sur les mêmes travées.)
D’un côté, donc, la baisse d’impôts ; de l’autre côté, la hausse d’impôts… (M. David Assouline s’esclaffe.)
M. Jean-Jacques Mirassou. D’un côté, les bons, de l’autre, les méchants ! Ben voyons !
M. Jean-Marc Todeschini. En effet, il va falloir trouver un autre job !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la rapporteur général, prendre, dès aujourd’hui, des mesures courageuses, c’est, dès demain, renforcer notre potentiel de croissance.
M. Jean-Marc Todeschini. Que ne l’avez-vous fait hier !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Dès lors, pourquoi attendre ?
L’attentisme ne saurait servir de politique, même à la veille d’échéances électorales importantes, et c’est pour cela que nous devons agir dès maintenant.
Monsieur Daudigny, à vous entendre, nous ferions cette réforme en catimini… Je ne peux accepter cette critique. En effet, y a-t-il démarche plus démocratique que de soumettre un texte à l’examen de la représentation nationale ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous en prie, n’abaissez pas le Sénat de la sorte, je vous en prie !
Nous vous avons proposé de débattre de cette réforme, et c’est bien vous qui avez refusé de vous engager dans la discussion.
M. Jean-Marc Todeschini. Vous êtes en campagne permanente !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Aujourd’hui, nous avons beaucoup entendu parler du bilan du quinquennat.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous n’aimez pas cela !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je vous rappelle toutefois que l’objet de ce texte n’est pas seulement de faire le bilan du quinquennat.
M. Jean-Marc Todeschini. Il est bien le produit de votre bilan, pourtant !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il vise aussi à mettre en œuvre des mesures destinées à améliorer la compétitivité de notre pays.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est votre bilan !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je vous invite, monsieur le sénateur, à relire l’édition d’un quotidien du soir parue avant-hier, dans laquelle étaient détaillées toutes les réformes auxquelles François Hollande ne touchera pas.
M. Philippe Bas. Tant mieux !
M. Jean-Marc Todeschini. Ce sont des journalistes qui écrivent tout cela !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette lecture vous permettra de découvrir tout le bilan du quinquennat.
M. David Assouline. Il est maigre !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Détrompez-vous, monsieur le sénateur, et M. Hollande en garderait beaucoup plus que je ne le pensais : la loi « HPST », l’autonomie des universités, le service minimum dans les transports : autant de réformes qui ne suscitent manifestement plus de discussions, bien qu’elles n’aient pas été votées par la gauche.
On se demande effectivement ce que serait la France sans le triplement du crédit d’impôt recherche, sans la loi sur l’autonomie des universités, sans la réforme de la taxe professionnelle et sans le service minimum dans les transports ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mais parlons aujourd’hui de l’avenir des Français et de l’avenir de notre économie.
Les salariés et les entreprises attendent cette réforme du financement de la protection sociale, en particulier dans les secteurs de l’industrie et de l’agriculture, mais plus généralement dans toutes les PME et les TPE.
La baisse des charges permettra aux entreprises de remporter des marchés, d’investir, de se développer, de recruter et, à terme, de redistribuer les fruits de la croissance.
Je le répète : notre mesure ne pèsera pas sur le pouvoir d’achat des ménages, contrairement à ce qu’affirme M. Collin. D’abord, la baisse du coût du travail sera supérieure, de 2,6 milliards d’euros, à la hausse de la TVA. La diminution du coût des produits hors taxe sera donc supérieure à l’augmentation de la TVA.
M. Jean-Jacques Mirassou. Comme pour l’essence !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ensuite, comme l’a rappelé M. de Legge, 60 % des produits qui sont consommés tous les jours par les Français bénéficient d’un taux nul ou réduit de TVA – je pense notamment aux loyers, qui se voient appliquer un taux nul, aux produits alimentaires ou aux services publics, imposés à 5,5 %, ou encore aux médicaments ou à la presse, taxés à 2 %. Ces produits ne sont pas concernés par cette réforme. Quant aux 40 % restants, ce sont pour les trois quarts des produits également fabriqués en France, qui verront donc leur prix hors taxe baisser.
Monsieur Assouline, vous savez que le Gouvernement est très attaché à la politique culturelle de notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Marie-France Beaufils. Cela se voit !
M. David Assouline. Oui, vraiment, cela se voit !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Entre 2007 et 2012, le budget de la culture a augmenté de 1 milliard d’euros. (M. David Assouline s’esclaffe.) Nous avons donc exaucé Martine Aubry avant même qu’elle ne prenne la parole, en augmentant de 20 % le budget de la culture.
M. Jean-Jacques Mirassou. Et la TVA sur la restauration ?...
Mme Valérie Pécresse, ministre. Très franchement, monsieur Assouline, j’étais au festival d’Avignon l’an dernier et je n’y ai pas vu beaucoup d’indignés de la culture !
M. David Assouline. Ce sont des démocrates : ils attendent de pouvoir s’exprimer dans les urnes !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il me semble pourtant que, lorsqu’ils ne sont pas contents, les professionnels de la culture savent le manifester beaucoup plus vigoureusement, monsieur le sénateur.
Quant à la révision de la prévision de croissance à 0,5 %, madame Bricq, elle s’explique par un souci de transparence et de sincérité, même si, de votre côté, vous prétendez qu’il n’était pas urgent de le faire.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Dès lors que vous présentiez un projet de loi de finances rectificative, vous étiez obligée de procéder à une telle révision !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Comme l’a rappelé M. le président de la commission des finances, peu de gouvernements ont fait cet effort de transparence à la veille d’une élection.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je le répète : vous étiez obligés de le faire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Obligés par qui ? Obligés par quoi ?
Quand Lionel Jospin, quelques jours après le 11 septembre 2001, prétendait que rien n’avait changé et que l’on ne modifiait pas un budget dans l’urgence, la sincérité n’était pas franchement au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Exactement ! C’était un scandale !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Au point d’ailleurs que la première décision que nous avons dû prendre – je m’en souviens, il s’agissait du premier texte que j’examinais en qualité de députée – fut de voter 1 milliard d’euros pour financer l’allocation personnalisée d’autonomie, que vous aviez présentée comme une grande avancée sociale, mais dont vous n’aviez tout simplement pas prévu le moindre début du financement !
M. Jean-Jacques Mirassou. Mauvais exemple, madame la ministre !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous sommes en 2012 ! Parlez donc de votre bilan !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Les présidents de conseil général s’en souviennent ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cela s’appelle l’insincérité budgétaire, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Aujourd’hui, nous sommes sincères, et nous le sommes d’autant plus que nous sommes placés sous le regard scrutateur de Mme la rapporteur général de la commission des finances du Sénat et de M. le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale…
Le Gouvernement accompagne cette nouvelle prévision, désormais consensuelle, d’un effort supplémentaire de 1,2 milliard d’euros sur les dépenses, à travers l’annulation de crédits mis en réserve.
À ce titre, madame Beaufils, vous ne pouvez pas dire que nous remettons en cause la loi de finances initiale, ni qu’il ne reste plus de marge de précaution, 4,4 milliards d’euros étant encore disponibles pour absorber les aléas qui pourraient survenir en cours de gestion. Simplement, il est vrai que nous avons été très prudents, en plaçant 6 milliards d’euros en réserve de précaution pour pouvoir faire face à ces aléas. Voilà la nouveauté !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La réserve de précaution ? Ce n’est absolument pas nouveau !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Si, c’est nouveau, et c’est notre façon de gérer, à la fois prudente et avisée ! (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.)
M. Jean-Marc Todeschini. « Avisée » ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cela prouve bien que nous serons capables de tenir nos objectifs de dépenses publiques, monsieur Labbé. Vous semblez mettre globalement en doute la trajectoire des finances publiques que nous avons présentée voilà quelques mois. Mais si vous ne croyez pas à la réduction du déficit, c’est parce que vous ne croyez pas à la baisse des dépenses. Il est vrai que le mot « économies » semble étranger à votre vocabulaire.
M. Jean-Marc Todeschini. Oh là là !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’écoutais ce matin François Hollande sur RTL : il avait bien du mal à dire quelles dépenses il allait réduire ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Marc Todeschini. Vous passez votre temps à l’écouter !
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est la vertu du partage des temps de parole pendant la campagne électorale : nous sommes obligés d’écouter l’opposition la moitié du temps. Alors, nous l’écoutons ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Cela s’appelle le professionnalisme !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, vous ne croyez pas à la baisse des dépenses, alors que nous la mettons concrètement en œuvre. C’est toute la différence entre nous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Quelles sont donc les dépenses que vous avez diminuées ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous avons réduit le nombre de fonctionnaires et le budget de l’État, qui, pour la première fois en 2011, va diminuer d’une année sur l’autre. Si seulement vous pouviez vous engager à faire la même chose que nous !
M. Jean-Marc Todeschini. Et tous les cadeaux que vous avez faits ?
M. David Assouline. Et le chômage ? Il faut donner tous les indicateurs !
M. Jean-Jacques Mirassou. Et les prix des carburants ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet, monsieur le sénateur. La stratégie qui consiste à bloquer les prix des carburants en demandant à l’État de diminuer les taxes n’est pas la bonne. Cela consiste en réalité à faire payer le contribuable à la place du consommateur, ou à faire supporter par le contribuable français les hausses de prix pour les Émirats ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Les impôts et les taxes, voilà votre seule stratégie ! À l’inverse, nous misons, nous, sur la compétitivité des entreprises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Notre voie est celle de la réforme et des économies.
M. Jean-Marc Todeschini. Le disque est rayé !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il y a vraiment deux politiques qui s’affrontent : d’un côté, l’augmentation des impôts ; de l’autre, la diminution des dépenses. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Eh oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les deux solutions n’ont rien à voir l’une avec l’autre !
Je remercie également M. Marini, qui a rappelé que nous avons respecté nos objectifs de dépenses d’assurance maladie – M. Daudigny l’a souligné également –, et surtout nos objectifs de réduction des dépenses budgétaires.
Je rejoins également Vincent Delahaye sur nombre de points, notamment sur l’importance de la maîtrise des dépenses publiques.
M. Jean-Marc Todeschini. Il a dit aussi que vous ne l’écoutiez pas !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je n’ai pas perdu une miette des propos de M. Delahaye, du miel à mes oreilles, mesdames, messieurs les sénateurs… (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR. – Éclats de rire sur les travées du groupe socialiste.)
En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières, je voudrais corriger une erreur, madame Bricq : l’Assemblée nationale n’a adopté, hier, aucune disposition visant à réduire l’assiette de la taxe sur les transactions financières.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Bien sûr que si !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Absolument aucune !
Par ailleurs, madame la rapporteur général, vous vous interrogez une nouvelle fois sur la crédibilité du Mécanisme européen de stabilité, en nous accusant de lier solidarité et discipline. Il me semble au contraire que l’équilibre de la construction européenne commandait précisément de renforcer simultanément la discipline budgétaire et la solidarité.
Quant aux capacités d’engagement des pare-feux, le Conseil européen de mars se prononcera sur le cumul éventuel des capacités d’engagement du Fonds européen de stabilité financière et du MES. Comme vous le savez, la France est favorable à un cumul, au moins partiel, des deux instruments. En effet, plus nos pare-feux européens seront solides, plus ils permettront de rétablir la confiance, préalable nécessaire au retour de la croissance et de la stabilité dans la zone euro.
Pour cette raison, votre abstention sur le Mécanisme européen de stabilité nous paraît la manifestation d’une grande irresponsabilité et nous la regrettons infiniment.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne vous en déplaise, les mesures de compétitivité et de maîtrise budgétaire que vous présente aujourd’hui le Gouvernement sont, comme d’ailleurs toutes celles qu’il a prises depuis le début du quinquennat, absolument déterminantes, non seulement pour notre compétitivité et nos emplois,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Allons ! On a perdu 800 000 emplois en cinq ans !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … mais aussi, à terme, pour la sauvegarde de notre modèle social ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Bricq, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de finances rectificative pour 2012 (n° 440, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a adopté, lors de la première lecture de ce projet de loi de finances rectificative, la motion tendant à opposer la question préalable que j’avais présentée. Les arguments que j’avais développés la semaine dernière restent pertinents.
Aucune des mesures fiscales n’est urgente, en particulier la mesure emblématique qui a justifié le dépôt de ce texte, à savoir la hausse de la TVA de 1,6 point, dont la mise en œuvre est renvoyée au mois d’octobre prochain.
C’est le projet de loi de finances rectificative, madame la ministre, qui vous a obligée à réviser votre prévision de croissance. Je rappelle que François Hollande avait annoncé, dès le 25 janvier, une croissance pour 2012 de 0,5 %.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est un oracle !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous vous y êtes ralliée parce que vous étiez obligée de présenter votre mesure phare, la hausse de la TVA.
J’observe d’ailleurs que certains ici poussent des cris d’orfraie à l’annonce d’une tranche d’imposition à 75 %, mais on ne les entend pas beaucoup quand vous prévoyez une augmentation généralisée de la TVA…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Puisque vous avez fait allusion au Mécanisme européen de stabilité, madame la ministre, ainsi que M. le ministre, je formulerai un reproche de fond : la seule mesure d’application immédiate de ce projet de loi de finances rectificative pour 2012 est le versement par la France des deux premières annuités. Ce faisant, vous désarmez la France dans les négociations européennes concernant notamment le montant du « pare-feu » (Mme la ministre fait des signes de dénégation.), qui n’est pas crédible à l’heure actuelle et qui est toujours en question. Car les négociations européennes ne s’arrêtent pas avec les élections en France.
À partir du moment où vous opérez ce versement, vous nous privez d’un argument essentiel pour toutes les négociations à venir après l’élection présidentielle.
Mme Michèle André. Eh oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais non !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Qu’en sera-t-il du rapport de force avec notre partenaire principal, l’Allemagne, qui a repoussé ce versement au mois d’avril ?
Vous dites toute votre satisfaction de voir la France être la première à s’exécuter, mais je vous reproche, moi, de désarmer notre pays. Je livre cette considération à nos collègues, car nous allons continuer de travailler pendant la campagne de la présidentielle.
Je vous donne rendez-vous, madame la ministre, pour l’examen par la commission des finances du programme de stabilité que soumettra la France à la Commission européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
M. Jean-Jacques Mirassou. La ministre répond ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Oui, monsieur le sénateur, je m’exprime sur cette motion tendant à opposer la question préalable. Et pourquoi n’en aurais-je pas le droit ? Si vous ne le souhaitez pas, cela confirmera que le Sénat, capturé par une partie de la classe politique française, n’est plus le lieu du débat démocratique !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ne nous faites pas de procès en légitimité, les élections ont tranché !
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est une question non de légitimité démocratique, madame Bricq, mais de liberté d’expression dans un débat.
La liberté de parole est entière au Sénat, je me permettrai donc de vous répondre.
Nous avons signé un traité dont l’objectif est de stabiliser et de sauver la zone euro, de dynamiser la croissance dans chaque pays. Seule la stabilité permettra la confiance, l’investissement et la croissance dans la zone euro. Nous avons engagé la parole de la France, et nous serons les premiers à mettre en œuvre nos engagements !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous ne pouvez pas les mettre en œuvre seule !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame Bricq, la parole de la France a été engagée, et l’alternance politique que vous appelez de vos vœux à l’occasion des prochaines échéances électorales ne sera pas de nature à remettre en cause la parole de la France ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne comprends pas cette motion tendant à opposer la question préalable. Si nos collègues siégeant à la gauche de l’hémicycle avaient des arguments sur la compétitivité de notre économie, la taxe sur les transactions financières, bref, sur les mesures de compétitivité et d’ajustements judicieux de ce collectif budgétaire, ils les déploieraient !
Ils ne le font pas, et pour cause : il est bien compliqué de critiquer certaines décisions !
M. Jean-Marc Todeschini. Nous avons déjà tout dit !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’allégement du coût du travail, ici de plus de 3,6 milliards d'euros en 2012,…
Mme Marie-France Beaufils. On fait cela depuis des années !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … dont bénéficieront les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale afin de lutter contre les délocalisations, contribuera à la création de dizaines de milliers d’emplois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Comment peut-on être contre ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Arrêtez !
M. Jean-Marc Todeschini. Parlez-nous de la hausse de 34 % des rémunérations des patrons du CAC 40 !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En tout cas, l’UMP se félicite de cette mesure, ainsi que de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Il me semblait d'ailleurs que certains d’entre vous y étaient favorables !
Je rappelle que cette taxe sur les transactions financières, beaucoup plus ambitieuse que l’impôt de bourse, mettra à contribution la finance, qui a une part de responsabilité dans la crise. Ce point me paraît très important. Elle participera en outre au désendettement de notre pays.
Comment peut-on être contre ?
L’UMP se félicite également, à l’occasion de la discussion de ce collectif, de la mise en œuvre du MES – nous en avons longuement débattu hier –, avec le versement des deux premières tranches annuelles de la dotation française, soit 6,5 milliards d'euros.
Enfin, le groupe UMP souligne la pertinence de la révision de la prévision de croissance, dont l’effet est strictement compensé. (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous ne pouviez pas faire autrement…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et ne venez pas nous reprocher d’établir nos prévisions n’importe comment : les prévisions pour 2011 étaient bonnes, et nous avons même fait mieux, en 2011, que ce que nous avions prévu !
M. Jean-Marc Todeschini. Vous n’avez cessé de déclarer qu’il n’y aurait pas de projet de loi de finances rectificative !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Avant de critiquer, monsieur le questeur, vous feriez bien de réfléchir à ce qui va se passer en 2012 !
M. Jean-Marc Todeschini. Je fais comme vous !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Merci de me laisser la parole, monsieur le questeur ! (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)
M. le président. Je vous en prie, monsieur le questeur, Mme Des Esgaulx a la parole, et elle seule !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pour un questeur, votre attitude me semble quelque peu déplacée : vous devriez donner l’exemple !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est discourtois !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pour être questeur, il n’en est pas moins homme. (Sourires.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je poursuis malgré les interruptions de M. le questeur (M. Jean-Marc Todeschini proteste.) et ma voix sera suffisamment forte pour vous faire entendre, chers collègues, que, dans ces conditions, le groupe UMP votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable, comme il l’a fait contre les motions précédentes, qui est non seulement regrettable mais surtout extrêmement grave – cela a été dit excellemment – en ce sens qu’elle affaiblit la Haute Assemblée – et les vitupérations de M. le questeur n’y changeront rien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Marc Todeschini. Rendez-vous au mois de juin, madame Des Esgaulx !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas le sujet !
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote
Mme Marie-France Beaufils. Nous voterons, bien sûr, la motion tendant à opposer la question préalable.
Il faudrait nous écouter un peu mieux pour nous entendre un peu mieux, de temps à autre… Comme je l’ai précisé dans la discussion générale, nous souhaitons que l’Europe se construise sur d’autres bases, en harmonisant les questions sociales et fiscales à l’échelon européen, mais par le haut ! Nous n’avons pas envie que, demain, le niveau salarial des Français soit aligné sur celui qui est aujourd’hui proposé aux Grecs !
C’est sur ce point que nous sommes en désaccord profond avec vos propositions, madame la ministre.
Si l’on ne parvient pas à construire une Europe différente, avec plus de justice sociale et fiscale, la compétitivité que vous prônez tirera tout le monde vers le bas, excepté ceux qui ont su jusqu’à maintenant tirer leur épingle du jeu, les très hauts revenus, les très hauts salaires, ceux que vous nous accusez de vouloir asphyxier par un taux d’imposition légèrement supérieur aux 15 % qui s’appliquent à eux actuellement !
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui !
Mme Marie-France Beaufils. Nous défendons résolument une autre conception de l’Europe. Ce n’est pas en tirant l’Europe vers le bas, comme vous le faites, que nous parviendrons à définir une autre politique industrielle et à reconstruire notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste et républicaine votera bien évidemment contre la motion tendant à opposer la question préalable. Je ne comptais d’ailleurs pas prendre la parole, mais, imitant mon collègue David Assouline, je me permettrai à mon tour une intervention hors sujet à propos de la culture. (Sourires.)
M. Assouline, avec lequel nous avons ce débat régulièrement, a quitté l’hémicycle aussitôt après son intervention, nous privant de toute possibilité d’échanges, mais le message est passé : il voulait dire au SYNDEAC, à la CGT, aux directeurs de festival que la droite tuait la culture et que seule la gauche pouvait la sauver !
Cessons ce petit jeu !
Avec la crise que traverse l’Europe aujourd'hui, la plupart des États ont coupé drastiquement dans les dépenses de culture : je pense au festival d’Athènes, qui a vu sa subvention réduite de 50 %, au Liceu de Barcelone, à la Scala de Milan, avec laquelle je suis en relation en tant que vice-président de l’Opéra de Lyon.
Or ce n’est pas ce qu’a fait la France, et je ne peux pas laisser M. Assouline dire le contraire, même si la culture, comme tous les domaines de notre vie publique, doit assumer sa part de la rigueur.
M. Assouline a cité les monuments historiques. Mme Férat a déposé une proposition de loi remarquable afin que l’État et les collectivités locales assument ensemble la gestion des monuments historiques : nous devons aller en ce sens.
M. Assouline a également abordé la question des recherches archéologiques, domaine que je connais bien. La situation en France était complètement figée ; nous l’avons fait évoluer, avec le président Legendre. C’est ainsi que nous ferons non pas plus ou moins de culture, mais mieux, et parfois avec moins d’argent.
Je conclurai, pour rester dans mon hors sujet (Sourires.), par le spectacle vivant en France. Qu’il s’agisse des festivals, des grands théâtres nationaux et même du théâtre privé, la priorité doit être à la création et non à l’administration ni aux frais de structure qui « plombent » les manifestations culturelles.
S’il y a bien une culture que je refuse, c’est cette culture assistée qui voit s’additionner les postes, mais au détriment de la création ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Pignard. Voici ce que j’aurais aimé dire à M. Assouline, mais il n’est plus là pour m’entendre : la culture, comme le cœur, n’est pas le monopole de la gauche ! (Très bien ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la ministre, vous accusez la gauche de vous faire un procès d’intention. Nous observons simplement une prudence élémentaire, compte tenu du vécu des cinq dernières années, au cours desquelles vos préconisations en matière de politique industrielle n’ont malheureusement pas fait la preuve de leur efficacité.
En 2008, l’État a accordé un soutien massif aux banques, sans pour autant lever leurs réticences – le mot est faible –, faute de volonté politique, à aider les PME et les entreprises de taille intermédiaire qui avaient besoin de liquidités. Vous n’avez pas fait grand-chose pour accompagner ces PME que vous prétendez maintenant aider d’une manière efficace à passer le gué.
Faut-il vous rappeler que, au cours de ce quinquennat, le secteur industriel de notre pays a perdu entre 350 000 et 400 000 emplois ? C’est que, précisément, vous n’avez pas misé sur cet atout et avez préférer céder à la facilité et privilégier le secteur tertiaire, pensant que l’un remplacerait l’autre.
J’évoquerai maintenant des problèmes que je connais un peu plus précisément.
De quelle crédibilité pensez-vous pouvoir vous prévaloir aujourd’hui, après avoir dit tout ce que vous avez dit aux portes de Molex ou de Continental ? Pour ma part, je vous donnerai un conseil élémentaire de prudence : surtout, évitez ces deux entreprises, car, pour le coup, vous y avez perdu toute crédibilité !
Vous nous permettrez de penser qu’il y a très peu de chances que vous fassiez dans les mois à venir ce à quoi vous et votre Gouvernement vous êtes constamment refusés au cours des cinq dernières années, sauf à afficher votre engagement sur le chemin de la rédemption…
Nous ne vous faisons pas de procès d’intention, simplement nous avons procédé à un examen lucide et sans concessions de ce que vous n’avez malheureusement pas su faire pendant cinq ans !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances rectificative.
Je rappelle également que le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette motion.
En application de l’article 59 du règlement, il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 112 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l’adoption | 175 |
Contre | 157 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi de finances rectificative est rejeté.
4
Transport aérien de passagers
Rejet d'une proposition de loi en nouvelle lecture
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (proposition n° 428, rapport n° 438).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Thierry Mariani, ministre chargé des transports. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici de nouveau réunis aujourd'hui afin de poursuivre l’examen de la proposition de loi déposée par M. Éric Diard, la commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière n’étant pas parvenue à un accord.
Comme vous le savez, les membres de l’intersyndicale du transport aérien, à l’origine de la grève qui a eu lieu au début du mois de février, ont décidé, face à la détermination sur ce texte tant de la représentation nationale que du Gouvernement, de ne pas poursuivre leur mouvement.
Dans ces conditions, et alors que nous sommes en pleine période de congés scolaires, les familles peuvent bénéficier, en toute sérénité, des vacances auxquelles elles ont droit. J’y vois un premier effet bénéfique du texte que nous examinons.
Quant à l’accord signé entre la direction d’Air France et le SNPL, le syndicat national des pilotes de ligne, pour garantir des plannings stables, il règle une question d’organisation strictement interne à la compagnie. Il vise à mettre fin à une instabilité juridique sur l’interprétation, en période de grève, des dispositions de l’accord en vigueur depuis 2006.
Dans les faits, les vols continueront d’être normalement assurés par des pilotes non grévistes volontaires, comme c’est le cas aujourd’hui.
Par ailleurs, cet accord ne porte pas atteinte aux avantages dont bénéficieront les passagers grâce au présent texte.
Cette proposition de loi vise à améliorer l’information des passagers aériens en cas de mouvement social et à permettre aux compagnies aériennes d’organiser leur service, afin de garantir à nos concitoyens la possibilité de circuler librement, sans porter atteinte au droit de grève. Je pense très sincèrement que les salariés du transport aérien, qui ont globalement peu suivi l’appel des organisations syndicales au début du mois de février, ont bien compris l’objectif de ce texte.
Comme vous avez pu l’observer, la proposition de loi a été amendée lors de son examen en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 22 février dernier.
J’insisterai aujourd'hui sur trois évolutions du texte.
Tout d’abord, la modification rédactionnelle apportée à la disposition relative au champ d’application de la proposition de loi a permis de mieux circonscrire celui-ci, en précisant très clairement que l’ensemble des entreprises ou des établissements œuvrant dans le transport aérien ne sont concernés que dans la mesure où ils concourent directement à l’activité de transport aérien de passagers.
Ensuite, la portée des obligations de déclaration vingt-quatre heures à l’avance a été clarifiée afin de prévenir les interprétations abusives que certains d’entre vous avaient souhaité dénoncer. L’Assemblée nationale a donc adopté la semaine dernière un amendement tendant à préciser que l’obligation de déclarer sa renonciation à la participation à la grève n’a de sens qu’à la condition que la grève ne soit pas achevée.
En effet, dès lors qu’une grève a pris fin, ou qu’elle n’a pas commencé, il est légitime et utile d’affirmer que le salarié peut bien évidemment continuer son travail sans avoir à déclarer qu’il renonce à faire grève. De même, lorsqu’un salarié a participé à la grève et qu’il est mis un terme à celle-ci dans son entreprise, il peut reprendre immédiatement son travail, sans avoir à déclarer sa reprise vingt-quatre heures à l’avance.
Cette précision, qui est de l’intérêt bien compris de chacun, répond aux préoccupations qu’avaient exprimées un certain nombre d’orateurs, de droite comme de gauche, lors de l’examen du texte au Sénat.
Enfin, les dispositions prévoyant des sanctions disciplinaires ont été adaptées en cohérence avec les précisions apportées au régime de déclaration vingt-quatre heures à l’avance.
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, en particulier aux organisations syndicales, l’objectif de cette proposition de loi n’est bien évidemment pas d’élargir l’arsenal disciplinaire à la disposition de l’employeur. Ce texte ne prévoit en effet qu’une possibilité de sanction, possibilité qui ne pourra être exercée que dans le cadre du droit commun du pouvoir disciplinaire de l’employeur, auquel il n’est pas question de déroger.
Les craintes que j’ai entendues sur d’éventuelles sanctions sans rapport avec la portée du non-respect de l’obligation déclarative sont donc infondées, d’autant plus que la faculté de sanction s’exercera sous le contrôle vigilant du juge et qu’en outre, comme cela a également été précisé par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, une sanction n’est encourue qu’en cas de manquement répété à l’obligation de déclaration de renoncement à la participation à la grève ou à l’obligation de déclaration de reprise de service après participation à la grève.
Ainsi, un oubli de bonne foi ne peut faire l’objet d’une sanction. En revanche, sera sanctionné le fait de chercher à contourner l’obligation de déclaration de renoncement ou de reprise de service dans le but d’empêcher l’organisation du service et ainsi l’information des passagers.
L’une des missions régaliennes de l’État est, je le rappelle, de veiller au respect du principe de libre circulation des personnes. En ce sens, l’information du passager en temps de grève vise à répondre à d’impérieux motifs d’intérêt général, tels que la sécurité et la santé publiques, lesquelles peuvent être menacées dans des aéroports paralysés.
L’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est précisément de reconnaître le droit à une information fiable et précise des passagers du transport aérien lorsqu’un mouvement social affecte ce secteur et d’organiser ce droit.
Comme je l’ai déjà indiqué, les Français, qui aspirent légitimement à voyager pour rejoindre leur famille ou pour affaires, ne peuvent pas continuer à être régulièrement laissés dans l’incertitude jusqu’au dernier moment et pénalisés lors des grands départs. Les clients d’une compagnie aérienne doivent pouvoir bénéficier de la prestation qu’ils ont achetée sans avoir à se reporter sur d’autres transporteurs, aériens ou terrestres, pour être sûrs de pouvoir effectuer le déplacement prévu.
La présente proposition de loi vise avant tout à donner la primauté au renforcement du dialogue social et à la négociation entre les entreprises et les organisations syndicales représentatives, qui auront la faculté, je le répète, de négocier un accord-cadre visant à prévenir les conflits. En cas de conclusion de cet accord-cadre, le recours à la grève ne pourra intervenir qu’après une négociation préalable.
Les salariés dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols en cas de grève auront l’obligation d’informer leur chef d’entreprise, ou son représentant, au plus tard quarante-huit heures avant de cesser le travail. En aucun cas cette déclaration n’empêchera les personnels concourant à l’activité de transport aérien de passagers de faire grève pour porter leurs revendications. En revanche, elle permettra aux entreprises de connaître à l’avance l’état de leurs effectifs et ainsi aux passagers de savoir si leur vol est assuré ou non la veille de leur départ.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui est l’occasion d’accomplir de véritables progrès. Elle respecte les équilibres indispensables entre droit de grève et sauvegarde de l’ordre public. En outre, elle permettra un dialogue social apaisé en évitant qu’à l’avenir des millions de Français ou de touristes venus découvrir notre pays soient pénalisés.
Je forme donc le vœu que la Haute Assemblée mesure les enjeux et comprenne combien ce texte est déterminant non seulement pour les Français mais aussi pour l’image de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission, en remplacement de M. le rapporteur.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence aujourd’hui de notre rapporteur, Claude Jeannerot, qui est retenu à l’étranger par ses obligations de président de conseil général.
Je vous rappelle que, le 15 février dernier, le Sénat a adopté, lors de l’examen en première lecture de ce texte, une motion tendant à opposer la question préalable. La commission mixte paritaire, réunie à l’Assemblée nationale la semaine dernière, s’est séparée sur un constat de désaccord, les positions de chaque assemblée s’étant révélées inconciliables. Il y a en effet plusieurs principes sur lesquels la majorité sénatoriale ne peut pas transiger, au premier rang desquels se place la préservation des droits sociaux des salariés.
Ce texte prétend concilier ces droits sociaux avec ceux des passagers, qui peuvent subir les conséquences d’une grève. C’est un exercice évidemment délicat, dont le résultat nous a paru particulièrement déséquilibré, car plutôt favorable aux entreprises de transport aérien de passagers et défavorable à celles et ceux qu’elles emploient.
Cette proposition de loi ne constitue décidément pas une réponse adaptée au problème qu’elle prétend régler. De plus, elle empêche le dialogue social. Je vous rappelle que, lors de la première lecture de ce texte au Sénat, un mouvement important était en cours dans le secteur aérien.
Permettez-moi de vous rappeler les deux points qui ont semblé les moins acceptables à la majorité sénatoriale.
D’abord, la transposition au secteur aérien de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social dans les transports terrestres, quasiment telle quelle, n’est pas réalisable, compte tenu des différences majeures qui existent entre ces deux secteurs.
Imposer aux salariés de déclarer à leur employeur leur intention de faire grève quarante-huit heures à l’avance aura pour effet principal de rendre l’exercice du droit de grève plus malaisé, tout particulièrement pour les dizaines de milliers de salariés de l’assistance en escale. En effet, alors que leur situation, souvent précaire, ne leur permet pas d’obtenir par la négociation une amélioration de leurs conditions de travail, leur voix risque de devenir inaudible si, du fait de pressions exercées par leur employeur, ils ne peuvent plus défendre leurs droits par la grève.
Ensuite, le second délai imposé aux salariés grévistes ou qui ont fait part de leur intention de faire grève aurait des effets plus néfastes encore. Les obliger à informer leur employeur, vingt-quatre heures à l’avance, qu’ils renoncent à faire grève ou veulent reprendre le travail, sous peine de sanction disciplinaire, constitue une atteinte à leur capacité de libre détermination. C’est d’autant plus injustifié que cette contrainte serait inopérante dans le secteur aérien, où il serait impossible de rétablir l’activité dans un si court délai. Plus encore, en poussant la logique de ce mécanisme à son terme, il en résulterait la poursuite du mouvement de grève, de manière purement artificielle, pendant une journée supplémentaire. En effet, un salarié qui renoncerait à faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin. Est-ce vraiment l’intérêt des passagers ?
Il est vrai que, en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a apporté à ce texte quelques modifications, que M. le ministre a rappelées.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Elles se révèlent cependant largement insuffisantes pour emporter notre adhésion.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il est désormais prévu que le délai de dédit de vingt-quatre heures, pour les salariés qui changent d’avis et souhaitent poursuivre ou reprendre le travail, ne s’appliquera pas « lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ». Une telle formulation traduit une méconnaissance du déroulement réel des mouvements sociaux dans les entreprises. La seule « fin de la grève » qui puisse exister relève avant tout de la décision de chaque salarié. Les salariés ne sont pas liés par les éventuelles décisions syndicales.
De même, l’Assemblée nationale a adopté une faible atténuation du dispositif de sanction du manquement à l’obligation d’information en cas de dédit. Désormais, la sanction ne s’appliquerait que si le salarié refuse « de façon répétée » de s’y soumettre. C’est évidemment insuffisant.
Tous les constats faits par le rapporteur en première lecture restent valables, aussi bien sur le fond et la forme que sur la méthode employée pour faire adopter ce texte. Il faut cesser d’opposer systématiquement les salariés aux passagers, qui seraient des victimes collatérales d’un désaccord auquel ils sont étrangers. Est-il encore besoin de le rappeler, la grève n’est pas une décision prise à la légère ou un choix opéré dans la joie ; c’est le dernier recours des salariés lorsque le fil du dialogue social est rompu et que l’employeur refuse de négocier.
D’ailleurs, je note qu’un accord a finalement été trouvé entre Air France et ses pilotes, accord qui ôte tout son sens à cette proposition de loi puisqu’il prévoit, en posant le principe de la stabilité des plannings, que les pilotes non grévistes ne pourront pas être contraints de remplacer les grévistes.
Quant à l’argument qui consiste à dire que les pilotes sont des privilégiés, je tiens à rappeler que ce texte concerne avant tout les dizaines de milliers d’employés de l’assistance en escale, dont je parlais il y a un instant, et dont la situation contractuelle et salariale est des plus précaires.
Monsieur le ministre, la signature de cet accord entre Air France et ses pilotes illustre donc bien le fait que le dialogue social peut aboutir quand on lui en donne les moyens et quand il est mis en œuvre dans le respect des salariés !
Les pilotes, parce qu’ils sont représentés par des organisations syndicales qui peuvent être entendues par la direction, ont obtenu cet accord. Les employés d’autres professions, notamment ceux de l’assistance en escale, ne sont pas respectés, et leurs représentants syndicaux ne le sont pas plus. Ils ne peuvent donc pas aboutir à un accord, car les entreprises refusent de dialoguer avec eux.
Je voudrais dire un dernier mot sur la procédure d’adoption à marche forcée de cette proposition de loi, à une semaine maintenant de la clôture des travaux parlementaires du quinquennat, et sur les raisons intrinsèques qui rendent cette proposition de loi inacceptable.
L’Assemblée nationale n’ayant pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux, aucune concertation formelle avec eux n’a pu se tenir en amont, contrairement à ce que la commission des affaires sociales du Sénat fait traditionnellement, alors que ce texte encadre le droit de grève. Les consultations organisées par le protocole adopté à l’Assemblée nationale et au Sénat sont bien des négociations et non seulement des auditions comme celles que, je vous accorde ce point, monsieur le ministre, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale a pu mener.
Enfin, je vous rappelle que le transport aérien n’est plus une activité de service public ; il n’est donc pas possible de lui appliquer les restrictions acceptées en 2007 par le Conseil constitutionnel pour le transport terrestre.
Mes chers collègues, comme vous le savez, au contraire d’un projet de loi, une proposition de loi, présentée par définition par les parlementaires, n’est pas soumise à l’avis du Conseil d’État. Il en va ainsi du présent texte, alors qu’il soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. Cette situation est donc bien regrettable.
Je pense ainsi à l’atteinte disproportionnée portée au droit de grève, au nom des prétendus risques à l’ordre public que son exercice peut causer. Le législateur échoue ici dans son devoir de concilier l’exercice des libertés constitutionnellement reconnues.
Je crains également que, du fait de la définition générale et vague des activités ou des salariés concernés par cette proposition de loi, le législateur ne laisse trop de pouvoir aux employeurs pour déterminer lesquels de leurs salariés verront leur droit de grève encadré.
Ce texte s’expose donc, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, à un risque de censure pour incompétence négative.
Je tiens également à souligner que nous ne disposons pas non plus d’une étude d’impact. Certaines organisations syndicales m’ont d’ailleurs fait parvenir une étude juridique qui démontre les risques d’inconstitutionnalité encourus par ce texte.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a fermement réitéré sa position de première lecture. Le texte transmis par l’Assemblée nationale ne corrige en rien les défauts que nous avions mis en lumière. C’est pourquoi la commission a adopté une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi. Je vous invite, mes chers collègues, à confirmer ce choix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne m’étendrai pas sur les conditions dans lesquelles cette proposition de loi est examinée, à la veille d’échéances électorales majeures pour notre pays.
Comme en première lecture, je vous rappellerai simplement que ce ne sont pas des manières de procéder, et qu’un texte de cette portée, qui touche au droit de grève, aurait mérité une concertation préalable avec les organisations représentatives de toutes les catégories de salariés concernées.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !
M. François Fortassin. Un tel dispositif de remise à plat de l’exercice du droit de grève pour tout un secteur professionnel ne peut voir le jour dans de pareilles conditions.
Monsieur le ministre, vous n’avez eu de cesse de présenter cette proposition de loi comme un moyen de favoriser les négociations amiables entre les compagnies aériennes et les syndicats en vue de prévenir les conflits, objectif que nous pourrions partager, avec nombre de mes collègues du RDSE, s’il s’agit d’éviter qu’un conflit social aux motivations légitimes ne paralyse totalement les déplacements aériens de milliers de personnes.
Comment en effet ne pas comprendre et partager l’exaspération des passagers, qui supportent de plus en plus mal la quasi-paralysie du trafic ? Elle pousse la majorité d’entre eux à souhaiter une meilleure information en cas de perturbation du trafic aérien et certains à réclamer avec force la mise en place d’un service minimum.
Monsieur le ministre, nous pourrions donc vous suivre sur cette proposition de loi, allez-vous me dire.
M. François Fortassin. Mais la méthode utilisée est des plus contestables. Sur le fond, nous pourrions éventuellement donner notre accord, mais, pour le groupe RDSE, la forme compte beaucoup.
Les intérêts des uns et des autres sont-ils conciliables ? Voilà toute la question ! C’est en effet une véritable difficulté. Le droit de grève est forcément perturbateur, mais il est, la plupart du temps, le seul moyen de pression dont disposent les salariés pour amener leur direction à la table des négociations.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !
M. François Fortassin. Il ne faut jamais l’oublier.
Actuellement, les salariés du secteur privé qui veulent exercer leur droit de grève n’ont pas à respecter de préavis. Sur le fond, mes chers collègues, la présente proposition de loi pose donc un vrai problème juridique, qu’il faudra bien résoudre, comme Mme la présidente de la commission des affaires sociales l’a d’ailleurs si bien dit. Le statu quo ne peut plus durer. Sur ce point, au moins, nous pouvons tous être d’accord.
Je pense que la disposition qui impose aux salariés désireux de reprendre le travail de respecter un délai de vingt-quatre heures va à l’encontre des objectifs affichés de la proposition de loi - prévenir les conflits sociaux – et est même susceptible de mettre de l’huile sur le feu dans un certain nombre de cas.
Certes, en nouvelle lecture, les députés ont apporté quelques modifications. Ainsi, l’obligation de déclarer la reprise du travail vingt-quatre heures à l’avance ne pèsera pas sur le salarié lorsque la grève n’aura pas eu lieu ou lorsqu’il y sera mis fin dans l’entreprise. Par ailleurs, les salariés ne seront sanctionnés que s’ils n’informent pas leur employeur « de façon répétée », de leur intention de renoncer à participer à la grève ou de reprendre leur service. Je doute que cela permette de résoudre les difficultés qu’une telle obligation engendre.
Monsieur le ministre, je regrette très sincèrement que vous n’ayez pas privilégié la restauration du dialogue social, pour permettre à une entreprise comme Air France d’aboutir le plus rapidement possible à des négociations avec les organisations professionnelles et de mettre un terme à cette situation, à un moment où la compagnie annonce des mesures draconiennes pour économiser deux milliards d’euros sur trois ans : gel des salaires et des embauches, fin des contrats à durée déterminée et de l’intérim, possibles licenciements « secs » après l’élection présidentielle.
Tout cela, bien entendu, n’est pas de nature à apaiser le climat dans l’entreprise.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette proposition de loi tente de résoudre une situation inacceptable qui se répète trop souvent dans notre pays : le blocage du trafic aérien par la volonté de quelques-uns, au détriment du plus grand nombre, parfois de familles entières, qui se trouvent contraintes à une attente interminable et ce, surtout, sans informations.
Toutefois, je crois que le moment choisi pour faire évoluer la législation sur cette question très sensible est d’autant moins opportun que les conditions de la présentation du texte – contournement du protocole social et présentation par la voie d’une proposition de loi – ne laissent personne ici ignorer certaines arrière-pensées.
Mes chers collègues, parce que, en la matière, la forme, la procédure et le calendrier ont leur importance, le groupe du RDSE, dans sa grande majorité, approuvera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous retrouvons ce texte en nouvelle lecture, puisque la majorité sénatoriale l’a rejeté dans sa totalité, sans faire une seule proposition. Ayant participé à la commission mixte paritaire, je regrette que cette attitude revienne à rendre le Sénat muet. On peut alors s’interroger sur notre rôle exact dans le processus législatif. Nous donnons malheureusement des arguments à ceux qui mettent en cause l’utilité du Sénat.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Je souhaite répéter que ce texte est le résultat du travail parlementaire mené par la Haute Assemblée. Catherine Procaccia avait ainsi déposé une proposition de loi sur ce sujet.
Aujourd'hui, dans un climat de campagne présidentielle, les sénateurs de gauche veulent stigmatiser ce texte en dénonçant une atteinte au droit de grève, alors que ce droit pourra continuer à être pleinement exercé, le seul objectif étant d’offrir aux usagers une meilleure prévisibilité du trafic dans les transports aériens.
La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs avait déjà suscité une levée de boucliers de l’opposition, pour finalement être appliquée sans susciter d’ailleurs de difficultés particulières. Il n’y a plus aujourd’hui, comme on en a connu, des périodes de paralysie totale des transports ferroviaires et urbains. De nombreuses grèves ont pu être évitées par la négociation et l’information des usagers a été améliorée. D’ailleurs, je note que le candidat François Hollande ne compte pas revenir sur cette loi...
Aujourd’hui, il s’agit d’avancer sur la question des transports aériens.
Si le présent texte s’inspire du dispositif de la loi du 21 août 2007, il n’a cette fois pas pour objet d’instaurer un service minimum dans le transport aérien, ni même un service garanti, comme l’a d’ailleurs reconnu le rapporteur, M. Claude Jeannerot. Cela ne serait d’ailleurs pas possible, puisque le transport aérien de personnes – vous l’avez souligné tout à l’heure, madame la présidente de la commission des affaires sociales – est un secteur fortement concurrentiel et libéralisé et ne constitue pas une mission de service public.
En revanche, le dispositif que la loi de 2007 prévoyait pour l’information des usagers peut être transposé.
Il faut le souligner, la proposition de loi répond à une forte attente des Français, qui en ont assez d’être pris en otages lors des conflits sociaux.
M. Ronan Kerdraon. Otages ?...
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Il suffit de se reporter aux incidents de la fin de l’année 2011 : en pleine période de vacances, en raison de la grève des personnels de sûreté aéroportuaire, les passagers ont vu leurs vols annulés sans savoir s’ils auraient la possibilité de partir par la suite. Le scénario est assez classique et on assiste toujours aux mêmes scènes : cohue des usagers, qui ne disposent pas d’informations ; attente à l’aéroport dans des locaux qui ne sont pas conçus pour cela ; saturation des capacités d’accueil des hôtels environnants... Bref, une totale désorganisation !
Je vous laisse imaginer – nous l’avons d’ailleurs tous vécu – le stress de ces passagers, qui, parfois, ne sont pas là seulement pour partir en villégiature !
La situation est d’autant plus regrettable qu’elle est fréquente. Comme vous l’aviez indiqué, monsieur le ministre, durant les trois dernières années, nous avons vécu 1 131 grèves dans le seul secteur aérien. Le trafic a été affecté presque 175 jours, quasiment la moitié d’une année !
Ce matin encore, à Orly, la grève des personnels au sol a perturbé le trafic aérien : l’un de nos collègues parti de Nice à sept heures du matin est arrivé à Orly à dix heures quinze !
Le droit de grève est un droit à valeur constitutionnelle, et nul ne songe à le remettre en cause. Mais que deviennent le droit de circuler librement et le respect de l’ordre public ?
Permettez-moi d’expliquer en quoi le texte concilie le respect des droits des travailleurs et celui des droits des usagers.
La proposition de loi vise trois objectifs : éviter les grèves, empêcher la paralysie dans le transport aérien, prévenir les usagers.
Premièrement, pour éviter les grèves, le texte institue un mécanisme de prévention des conflits inspiré de l’alarme sociale de la loi du 21 août 2007. Les employeurs et les organisations syndicales représentatives sont appelés à se réunir et à conclure des accords-cadres, mais il n’existe pour cela aucune contrainte. Les éléments contenus dans les accords-cadres sont précisés : conditions de notification, délai de trois jours, durée de la négociation inférieure à huit jours, conditions d’information des salariés.
Deuxièmement, pour empêcher la paralysie du transport aérien, les salariés qui voudront se mettre en grève devront le déclarer quarante-huit heures à l’avance. C’est cette disposition qui a suscité le débat autour du droit de grève.
Pourtant, chaque salarié sera libre de faire grève, comme c’est le cas actuellement. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales s’esclaffe.) C’est indispensable pour sortir de la situation actuelle. Aucune mesure ne sera prise contre les personnes qui font grève ; nous en avons reçu l’assurance.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est beau, la naïveté !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Pour que les passagers soient informés, il faut des prévisions et donc des données sur la grève à venir et sur le nombre de grévistes. Comment faire autrement ?
Troisièmement, et en conséquence, pour prévenir les passagers, les compagnies averties quarante-huit heures à l’avance du mouvement de grève devront informer les passagers vingt-quatre heures à l’avance du service qui sera assuré. Les passagers pourront donc rester chez eux en attendant.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ah bon ? Ils ne pourront donc plus voyager ? Vous portez atteinte à leur droit constitutionnel d’aller et venir... (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Cela leur évitera de rester inutilement à attendre dans les aéroports, parfois avec des enfants qui pleurent parce qu’ils n’ont pas eu leur lait… Car, sachez-le, il n’y a pas que des touristes qui prennent l’avion ; il y a aussi des personnes qui ont besoin d’être opérées ou qui vont voir un proche malade.
Quant au dispositif ajouté à l’Assemblée nationale prévoyant de sanctionner les « déclarations d’intention de faire grève » suivies de changement d’avis, il ne vise qu’à éviter une pratique constante de contournement de la loi. Il s’agit d’empêcher des manœuvres de désorganisation dont les usagers sont évidemment les premières victimes ; je n’y vois donc rien de scandaleux.
Les opposants à ce texte ne proposent rien d’autre que l’immobilisme.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Si ! Nous proposons le dialogue social !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Je pense que nos concitoyens attendent autre chose et que cette proposition de loi, en conciliant droit de grève et droit d’aller et venir, consacre un juste équilibre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous avons entendu Mme Bruguière parler avec émotion de ces Français qui en ont assez d’être « pris en otages », de ces enfants qui pleurent, de ces personnes qui ont besoins d’être opérées…
Mme Marie-Thérèse Bruguière. C’est la vérité !
M. Joël Labbé. Voilà comment on stigmatise ! Voilà comment on accuse ! Voilà comment on divise !
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Joël Labbé. Pour ma part, je souhaite parler d’un véritable dialogue social.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement ! C’est cela qui est important !
M. Joël Labbé. La proposition de loi relative aux transports aériens atterrit une nouvelle fois devant nous.
Comme l’a rappelé mon collègue Jean Desessard lors de la première lecture du texte au Sénat, c'est-à-dire la semaine dernière, l’UMP, madame Bruguière, n’a pas le monopole de l’empathie avec les usagers. Nous aussi, comme tous nos collègues, regrettons les files d’attentes dans les aéroports ; nous préférerions que cela n’existe pas.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exact !
M. Joël Labbé. Il nous importe que les usagers bénéficient effectivement de l’information concernant leur vol, mais cette proposition de loi, en plus d’être dangereuse et stigmatisante, n’aura pas l’efficacité nécessaire pour que cet objectif soit atteint.
Selon l’UMP, cette loi garantit l’information des usagers en renforçant le dispositif de « dialogue social préventif ». Mais, plutôt que de permettre ce dialogue entre les salariés et leur direction, le texte impose le monologue patronal.
En obligeant les salariés à se déclarer individuellement grévistes quarante-huit heures avant le début de la grève, puis à ne reprendre le travail que vingt-quatre heures après l’avoir décidé, cette proposition de loi restreint le droit de grève, mais pas seulement.
Elle est inefficace et manque complètement son objectif affiché, l’amélioration du service aux usagers.
Elle interdit à chaque salarié de se rétracter individuellement moins de vingt-quatre avant le début de la grève, sous peine de sanction.
On a vu mieux, monsieur le ministre, pour améliorer le dialogue social que vous prétendez défendre !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Les salariés doivent également informer leur direction vingt-quatre avant leur reprise de fonction. En reprenant le travail plus rapidement, afin de ne pas voir leur salaire gravement amputé, ils s’exposent à des sanctions… Vous évoquez un dispositif de dialogue social préventif, mais vous freinez les possibilités non seulement de se mettre en grève, mais aussi de terminer le mouvement plus rapidement.
Il s’agit bien d’une réforme au détriment des salariés et aux dépens des usagers ! À moins que cette réforme ne vise pernicieusement à faire en sorte qu’il n’y ait plus de possibilité de grève du tout ?
Quelle culture du dialogue social !
Vous n’avez même pas pris la peine de discuter avec les partenaires sociaux. Nous sommes tous conscients que les premiers concernés veulent donner leurs avis ; tous, sauf vous !
Comme sur d’autres enjeux, vous êtes en train de cliver la société française. Vous opposez salariés et usagers des transports aériens en espérant en tirer quelques bénéfices électoraux, manquant du même coup l’occasion de faire une loi cohérente et efficace.
Pour améliorer à la fois l’information et les conditions de transport des usagers, il faudrait s’attaquer aux problèmes sociaux qui minent les salariés de ce secteur. Car, des problèmes sociaux, il y en a !
Vous pourriez, par exemple, intervenir pour empêcher la compagnie française Air Méditerranée de délocaliser ses emplois en Grèce – comme par hasard ! –, là où les salaires et les protections sociales sont moins favorables aux salariés ! Cela risque d’amener par effet d’entraînement les autres voyagistes à faire de même. Autant d’emplois qui seront alors délocalisés !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Joël Labbé. Vous pourriez faire en sorte d’intervenir pour améliorer les conditions de travail dans ce secteur fortement marqué par les contrats précaires et la sous-traitance.
Mais, plutôt que de vous attaquer aux délocalisations qui touchent le secteur aérien ou à la précarité et aux mauvaises conditions de travail qui touchent les salariés de ce secteur, vous choisissez la facilité du slogan et remettez en cause le droit de grève.
Le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises la valeur constitutionnelle du droit de grève. Il est possible de le limiter pour garantir la satisfaction des « besoins essentiels du pays », pour assurer la continuité du service public. Mais la notion de service public n’est clairement pas pertinente ici.
Les auteurs de la proposition de loi contournent donc cette difficulté en brandissant la « sauvegarde de l’ordre public » au nom de « la protection de la santé et de la sécurité des personnes ».
Vous faites là un amalgame particulièrement dangereux. Les mouvements sociaux de personnels ne sauraient être considérés comme des troubles à l’ordre public. Cette dérive d’abord sémantique que vous distillez maintenant à longueur de discours va l’encontre de nos principes républicains. La grève est un droit, un droit civique, un droit salarial. Les grévistes qui contestent une réforme ou un plan de licenciement ne sont pas des terroristes !
C’est proposition de loi relève de l’affichage politique, elle remet en cause le droit de grève et n’améliore en rien l’information et les conditions de voyage des usagers, qui nous tiennent à cœur à toutes et tous ici.
Et personne n’en veut, pas même la direction d’Air France, qui a signé un accord sur le droit de grève avec les syndicats.
Vous l’aurez compris, les sénateurs et sénatrices écologistes voteront pour la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui la discussion de la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
Nous la reprenons là où nous l’avons laissée voilà quinze jours. En adoptant une question préalable, la Haute Assemblée s’en est remise à l’Assemblée nationale du soin d’apporter plusieurs modifications au texte, bref de jouer le rôle du législateur. La majorité sénatoriale n’avait pas jugé utile d’en discuter et avait préféré le rejeter en bloc. Nous en sommes donc réduits à observer le travail de nos collègues députés.
Si les modifications apportées par l’Assemblée nationale sont pour la plupart rédactionnelles, d’autres améliorent sensiblement la proposition de loi et vont dans le sens de l’apaisement.
Je me félicite que l’Assemblée nationale ait repris les amendements déposés par notre collègue Francis Grignon – je les avais cosignés –, tendant à limiter les sanctions disciplinaires dont les salariés peuvent faire l’objet aux cas manifestement excessifs. C’est un acquis que nous devons à l’Assemblée nationale.
J’approuve également la solution trouvée par le rapporteur pour mettre fin aux détournements de la loi de 2007 auxquels certains se sont livrés à diverses occasions dernièrement. Pour ce faire, la proposition de loi prévoyait d’obliger un salarié qui s’était déclaré initialement en grève à prévenir vingt-quatre heures à l’avance de sa renonciation à faire grève. Paradoxalement, cette disposition pouvait entraîner un effet pervers, en obligeant un salarié à rester en grève alors qu’il souhaitait reprendre le travail.
Le texte précise désormais que la déclaration de renonciation vingt-quatre heures à l’avance ne vaut pas lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsqu’il y est mis fin dans l’entreprise concernée. Cette mesure est d’ailleurs utilement étendue aux transports ferroviaires et terrestres. Voilà pour les modifications introduites par nos collègues députés.
Ce travail d’amélioration du texte, le Sénat aurait pu le faire, puisqu’une partie des amendements avaient été déposés par certains d’entre nous. En agissant comme il l’a fait, le Sénat en est réduit à un rôle de spectateur, contraint de saluer le travail réalisé par la chambre basse… L’institution sénatoriale, convenons-en, mérite pourtant mieux que ce rôle de figurant, fût-ce un figurant intelligent.
Sur le fond du texte, je me suis déjà exprimé en première lecture. J’ai rappelé que nous étions attachés aux deux piliers que sont le dialogue social, en particulier pour les sous-traitants et les salariés du bas de l’échelle, et le droit des passagers.
Contrairement à la présentation caricaturale qui a pu en être faite par la majorité sénatoriale, et c’était facile, ce texte n’ouvre pas la voie à un encadrement généralisé du droit de grève pour tous les salariés du transport aérien. Il ne s’agit pas, non plus, de mettre en œuvre un service minimum dans les transports aériens, ni même un service garanti à la manière de ce qui existe dans les transports ferroviaires terrestres.
Il ne s’agit pas plus de soumettre l’ensemble des salariés du transport aérien à l’obligation de déclaration individuelle d’intention. Cette obligation ne concerne que ceux dont l’absence serait de nature à affecter directement la réalisation des vols.
Il ne s’agit pas, enfin, d’un texte dont l’objet serait d’entraver le droit de grève : il s’agit, au contraire, d’affirmer la primauté du dialogue social, et de valoriser la négociation entre organisations représentatives des salariés et direction, afin de prévenir les conflits.
Vous avez cherché à faire de ce texte un épouvantail, alors qu’il ne bafoue nullement le droit de grève. Au contraire, il défend le droit de circuler librement, qui est un droit de valeur constitutionnelle. Ce texte répond à l’intérêt général et à l’intérêt des consommateurs, qui ont également des droits, notamment ceux de travailler et de circuler.
Souvenons-nous de ce que vous disiez en 2007 contre la loi relative au service garanti dans les transports ferroviaires.
M. Vincent Capo-Canellas. Ce texte était, selon vous, une atteinte intolérable au droit de grève. Que dites-vous aujourd’hui de cette même loi ? Que vous ne la remettrez pas en cause si vous revenez au pouvoir,…
M. Vincent Capo-Canellas. … car vous reconnaissez, comme tout le monde, qu’elle a permis des progrès indéniables en matière de dialogue social et d’information des passagers.
M. Vincent Capo-Canellas. Dans quelques années, je ne doute pas que, de même, vous reconnaîtrez que le dispositif dont nous sommes en train de discuter aura permis d’améliorer le dialogue social et la prévention des conflits dans les transports aériens.
C’est un progrès pour les passagers d’être prévenus à l’avance de l’annulation de leur vol.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ils ne pourront pas plus voyager en cas de grève !
M. Vincent Capo-Canellas. Comme pour la loi du 21 août 2007, vous ne reviendrez pas sur cette loi si vous vous trouvez aux responsabilités.
Le cœur de cette proposition de loi est l’amélioration de la prévisibilité du transport aérien en cas de grève.
Alors que les activités du transport aérien sont libéralisées et ont un caractère concurrentiel, le texte réussit à adapter les principes directeurs du dispositif existant depuis 2007 dans les transports terrestres. Il s’inspire des trois volets de ce dispositif, validé par le Conseil constitutionnel et aujourd’hui reconnu comme positif par la grande majorité des syndicats de la RATP et de la SNCF.
Le premier volet concerne l’encouragement au dialogue social et à la prévention des conflits par la négociation d’accords-cadres. Le deuxième volet consacre l’obligation pour les compagnies aériennes d’informer les passagers vingt-quatre heures avant le début des perturbations. Le troisième volet prévoit l’obligation pour les seuls salariés dont l’absence est susceptible d’affecter directement des vols d’informer leur employeur de leur intention de participer au mouvement de grève au plus tard quarante-huit heures à l’avance.
Qui peut nier les blocages qui existent aujourd’hui dans ce secteur ? Au cours des trois dernières années, le transport aérien a été perturbé par des mouvements de grèves pendant 176 jours.
Les enjeux sont importants, voire graves pour le secteur aérien. Ils sont importants, car les aéroports français reçoivent tous les ans près de 150 millions de passagers. Les conséquences du défaut d’organisation lors des grèves sont désastreuses pour le secteur du transport aérien.
Je prendrai l’exemple de la dernière grève organisée au début du mois de février, au moment où l’Assemblée nationale examinait ce texte. Outre l’annulation d’un millier de vols, dont certains à la dernière minute, et les conséquences de ces annulations sur des dizaines de milliers de passagers, le mouvement de grève a entraîné de lourdes pertes pour Air France, de l’ordre de 8 millions à 10 millions d’euros par jour.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ils n’ont qu’à pratiquer le dialogue social !
M. Vincent Capo-Canellas. Ces paralysies à répétition donnent une mauvaise image de la France aux touristes et aux professionnels étrangers, alors qu’Air France réalise aujourd’hui 30 % des vols vers l’Europe.
L’accord passé entre Air France et le Syndicat national des pilotes de ligne, le SNPL, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse, outre qu’il ne concerne que les pilotes, n’entamera pas le dispositif. Il viendra simplement limiter la capacité de la compagnie à fournir des équipages « de secours ». On peut, d’ailleurs, s’interroger de nouveau sur le poids des pilotes dans le dialogue social : le vrai problème est sans doute, comme je l’ai souligné en première lecture, du côté des agents proches du bas de l’échelle salariale et du côté des sous-traitants.
M. Vincent Capo-Canellas. Nous sommes convaincus que ce texte va dans le bon sens. Il participe à l’amélioration de l’image de la France et à la compétitivité de la place aéroportuaire de Paris dans une économie mondialisée. Les milliers de passagers désemparés, errant ou dormant à même le sol dans les aéroports,…
M. Jean-Pierre Michel. Ils n’ont qu’à ne pas partir en vacances !
M. Vincent Capo-Canellas. … alors que ces lieux ne sont pas adaptés à un tel hébergement du public, donnent une image déplorable de nos aéroports, de nos compagnies aériennes et de notre pays.
Pour terminer, je souhaite souligner combien ce domaine de notre économie est stratégique.
Une étude récente nous donne quelques éléments chiffrés de l’importance économique du secteur du transport aérien et du secteur aéroportuaire.
Le système aéroportuaire parisien produit une valeur ajoutée directe de 13,5 milliards d’euros et profite ainsi largement à l’économie locale, régionale et nationale.
L’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle crée 248 000 emplois et le système aéroportuaire francilien engendre, quant à lui, plus de 340 000 emplois directs et indirects. En outre, la croissance des emplois sur Paris - Charles-de-Gaulle est sept fois plus dynamique que dans l’ensemble de la région d’Île-de-France.
Au moment où nos compagnies aériennes, notamment la première d’entre elles, sont dans une situation fragile et confrontées à une très forte concurrence tant européenne qu’internationale, cette proposition de loi est un moyen parmi d’autres pour leur apporter davantage de sécurité, pour favoriser le développement de leur activité et pour concourir au maintien de l’emploi.
C’est un enjeu majeur aujourd’hui, qui passe par un dialogue social rénové. Nous regrettons donc qu’une nouvelle fois vous persistiez dans le refus de discuter de ce texte.
Pour leur part, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine renouvelleront leur soutien à cette proposition de loi équilibrée et raisonnable en refusant de voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jean-Jacques Mirassou. Un orateur de qualité !
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi et non un projet de loi, ce qui n’est pas un hasard.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. Ce choix stratégique permet au Gouvernement de contourner le dispositif obligatoire de consultation des partenaires sociaux créé par la loi Larcher et d’éviter un examen préalable du texte par le Conseil d’État. Cela a déjà été souligné en première lecture.
Pour mémoire, je rappelle que le Sénat, comme l’Assemblée nationale, a adopté des protocoles de consultation des partenaires sociaux sur toute proposition de loi entrant dans le champ de la négociation collective. En résumé, avant son inscription à l’ordre du jour, le texte doit être transmis aux organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives afin de recueillir leurs observations et de connaître leur intention d’engager ou non une négociation sur le sujet. Ce point est important. Les organisations consultées disposent alors de quinze jours pour faire connaître leurs intentions.
En l’espèce, il est clair que ces protocoles n’ont pas été respectés. Comment, d’ailleurs, auraient-ils pu l’être, dans la mesure où nous avons affaire à un texte de pure opportunité et de pure réactivité ? Encore une fois, c’est dans la précipitation et la volatilité – sans jeu de mot – du temps médiatique que l’on somme le Parlement de légiférer.
Nous refusons de nous prêter à cet exercice, qui manque aux procédures que nous avons nous-mêmes adoptées pour favoriser le dialogue social et ne nous laisse pas le temps nécessaire à la réflexion. Nous sommes, ici, devant un contre-exemple flagrant de ce que doit être le travail parlementaire.
Dans les faits, cette hyperréactivité a inutilement crispé les esprits et exacerbé les tensions. Tenter de faire adopter au pas de charge ce texte, en plein conflit social, pourrait être considéré comme une regrettable erreur. À moins que l’on ne veuille satisfaire la frange la plus conservatrice de l’opinion publique au détriment du dialogue social, des droits des salariés et d’une bonne législation, auquel cas, ce serait une faute.
Pour notre part, nous entendons favoriser et surtout respecter les partenaires sociaux dans leurs efforts pour revaloriser le statut et améliorer les conditions de travail de tous ceux qui concourent, directement ou non, au transport aérien.
Le champ d’application de ce texte est considérable : le transport aérien, au sens strict, compte près de 100 000 salariés et fait travailler 600 entreprises, dont Air France est la plus importante et la plus significative. J’y reviendrai.
Les activités de sûreté emploient 10 000 personnes environ. Les missions d’assistance les plus diverses visées par le texte donnent du travail à environ 4 000 ou 5 000 salariés.
Au total, nous parlons donc d’un bon millier d’entreprises, pour la plupart des sous-traitants, et de 120 000 salariés, dont beaucoup ont des contrats précaires et travaillent trop souvent dans des conditions déplorables.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà !
M. Jacky Le Menn. Cette situation rend le texte que nous examinons aujourd’hui à bien des égards inacceptable.
Tout d’abord, la plupart des salariés ne travaillent pas dans des entreprises gestionnaires d’un service public. Ils n’ont donc pas à déposer de préavis s’ils souhaitent se mettre en grève comme cela est imposé par l’article L. 2512-2 du code du travail dans les entreprises de service public.
Nous relevons aussi une différence par rapport à la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. L’obligation de continuité du service public, reconnue par le Conseil constitutionnel dans une jurisprudence constante, fait ici défaut. Or seule cette obligation est de nature à limiter l’exercice du droit de grève lorsque celui-ci lui porte atteinte.
Seule demeure l’obligation de desserte dans le cadre de la continuité territoriale des îles, au champ par définition limité.
La sauvegarde de l’ordre public ainsi que la protection de la santé et de la sécurité des personnes en cas d’afflux massif de passagers dans un aéroport ont été invoquées. Elles relèvent, en fait, de l’obligation d’information, qui est à la charge des compagnies aériennes ; n’ayant donc pas de rapport direct avec l’exercice du droit de grève par les salariés, elles ne sauraient être utilisées pour y porter atteinte, vous le savez très bien, monsieur le ministre.
Chacun peut d’ailleurs constater que cette obligation d’information n’est pas toujours mise en œuvre dans les cas fréquents de pannes en tous genres, retards et autres désagréments, dans le transport aérien comme dans le transport terrestre. C’est un sujet d’irritation très fort pour de nombreux passagers. Mais, dans ce cas, ni le Gouvernement ni les députés de la majorité n’envisagent de sanction envers les entreprises en cas de carence. On laisse aux passagers le soin de mettre en cause la responsabilité de l’entreprise concernée devant les tribunaux.
L’objet réel de cette proposition de loi est donc de créer, pour des salariés du secteur privé, un préavis ex nihilo de quarante-huit heures !
Cette disposition a pour effet de limiter l’exercice du droit de grève dans les entreprises privées que sont les entreprises de transport aérien de passagers et leurs innombrables partenaires et sous-traitants. Elle constitue une pression à l’encontre des salariés en vue, nous ne sommes pas dupes, de les faire renoncer à la grève.
Cela traduit, d’ailleurs, une méconnaissance de la situation réelle des salariés. Décider la grève est un choix grave, lourd de conséquences, puisque cela aboutit à une perte de salaire souvent significative. Selon la formule consacrée, on ne se met pas en grève par plaisir !
La grève est le symptôme, vous le savez, monsieur le ministre, de relations dégradées dans l’entreprise.
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout à fait ! Elle est le symptôme d’un dysfonctionnement !
M. Jacky Le Menn. Elle est le signe que la négociation n’a pas permis d’améliorer les salaires et les conditions de travail. Or il y a dans ces domaines beaucoup à faire pour tous ces salariés « invisibles », « travaillant dans l’ombre », qui sont indispensables au transport aérien.
La vraie responsabilité du législateur est de mettre en place toutes les obligations et tous les instruments de la négociation collective pour que le sort de ces personnels soit amélioré et qu’ils n’aient plus besoin de recourir à la grève.
Vous avez cru bon d’ajouter à votre texte un article selon lequel tout salarié qui décide de reprendre le travail doit en informer l’employeur vingt-quatre heures à l’avance, sous peine de sanctions disciplinaires. C’est évidemment un obstacle à la libre détermination des salariés reconnue par la loi. Nous avons déjà eu l’occasion de démontrer l’absurdité d’une disposition qui contraindrait des employés à rester en grève vingt-quatre heures de plus pour ne pas être sanctionnés, ce qui est totalement contre-productif.
Les députés de la majorité gouvernementale ont fini par mesurer l’erreur. Le texte a donc été complété par une petite phrase : « Cette information n’est pas requise lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ».
Pour faire bonne mesure, vous introduisez aussi cette disposition dans la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Fort bien ! Mais quand la grève se poursuit, que se passe-t-il ? Encore une fois, cette disposition traduit une méconnaissance grave des relations du travail et du déroulement des conflits collectifs.
Vous avez introduit cette disposition pour empêcher que ne se reproduisent des comportements minoritaires, et regrettables, auxquels les grandes organisations représentatives n’ont aucune part. Ces comportements nuisent à la crédibilité des mouvements sociaux et exaspèrent les passagers auxquels ils portent parfois gravement préjudice.
Mais votre ajout au texte que nous examinons ce jour ne résout rien.
J’en vois l’aveu dans cette phrase significative de notre collègue député François Rochebloine, énoncée en désespoir de cause, après que l’inutilité de cet ajout lui eut été démontrée : « Eh bien, ils seront en grève, point barre ! » C’est un peu court, mais c’est le constat bien senti que le problème n’est pas résolu.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons appris hier, notamment par la presse, que la direction d’Air France venait de signer un accord avec les organisations de pilotes de ligne.
Cet accord stipule que le planning du personnel navigant technique est stable et que toute modification doit faire l’objet d’un accord entre la compagnie et le navigant concerné. En clair, il n’y aura pas de réaffectation improvisée en cas de grève, et votre proposition de loi devient de facto sans aucun effet.
M. Jean-Pierre Michel. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. Sans effet quand vous prétendez imposer un service minimum dans le transport aérien, ce qui est, de toute façon, parfaitement impossible dans la pratique, sauf à réquisitionner des dizaines de milliers de salariés. Bonjour la difficulté !
Sans effet quand vous prétendez infliger des sanctions disciplinaires à des salariés par trop indociles. Bonjour l’approche sociale !
Et c’est notre première compagnie aérienne qui vous le signifie avec la simplicité de l’évidence, avec aussi un vrai souci de ne pas hypothéquer le dialogue social en son sein par des mesures inutilement agressives.
J’en terminerai par une dernière préoccupation, et non la moindre.
Nous observons que ce texte est apparu dans l’ordre du jour du Parlement à la suite de la grève des personnels de sûreté des aéroports en décembre 2011.
Il faut dire que ces salariés travaillent dans des conditions particulièrement difficiles, avec de longues stations debout, des horaires décalés, qui changent en fonction des retards, et des relations parfois difficiles avec les voyageurs qu’ils doivent contrôler.
Or ces personnels, en raison de la mission de service public qu’ils exercent, relèvent de l’article L.2512-2 du code du travail et doivent donc déposer un préavis de cinq jours avant toute grève. Dès le départ, ils ne sont donc pas concernés par votre texte.
En revanche, la plupart des autres personnels des compagnies aériennes, de leurs partenaires et sous-traitants le sont.
Ce qui, au final, est le plus clair, c’est que la majorité à l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont saisi l’occasion des perturbations entraînées par cette grève pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour du Parlement.
Ce faisant, nul ne peut ignorer que cette proposition de loi n’est pas seulement une extension au transport aérien de la législation de 2007 sur les transports terrestres. Nous l’avons dit : les entreprises de transport aérien sont privées et ne sont pas chargées d’une mission de service public.
Ce texte est en fait une ouverture très inquiétante vers des restrictions à l’exercice du droit de grève dans le secteur privé, ce que nous ne pouvons admettre. C’est une brèche dans un droit constitutionnel reconnu aux salariés.
Le groupe socialiste est pleinement conscient des enjeux, qui dépassent très largement les circonstances présentes.
Ce texte participe du projet global de limiter les moyens de revendication des salariés, ceux du secteur public comme ceux du secteur privé, dans un contexte imposé d’austérité en matière salariale et de restrictions de notre protection sociale.
Nous observons les effets néfastes de cette politique dans bien des pays, y compris le nôtre, et nous sommes déterminés à y mettre un terme.
Nous constatons parallèlement les effets positifs du dialogue social et de la négociation collective, qui permettent de maintenir un climat favorable à l’implication des salariés dans leur entreprise, et donc au développement de notre économie.
Évidemment, pour toutes ces raisons, et notamment pour nous opposer à la tentative du Gouvernement – ne soyons pas naïfs ! – visant à restreindre l’exercice du droit constitutionnel de grève, le groupe socialiste adoptera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par notre rapporteur et adoptée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons une nouvelle et ultime fois la proposition de loi imposant un service garanti dans le transport aérien.
Il ne nous aura fallu que quelques heures de débat pour porter une atteinte déterminante à un droit constitutionnel, le droit de grève. Nous continuons pourtant de penser que ce texte n’est qu’un projet gouvernemental, ni plus ni moins, et que la procédure accélérée dont il fait l’objet ne se justifie en rien. À l’inverse, la réforme de la biologie médicale, par exemple, justifiait, elle, d’être examinée en urgence, d’autant qu’elle était demandée par les professionnels concernés.
Rien donc ne justifie l’urgence de la démarche, si ce n’est la volonté du Gouvernement et de sa majorité de passer en force, ce qui traduit au fond votre mépris total des salariés et de leurs organisations syndicales.
Nous déplorons ainsi l’état du dialogue social, de la relation de confiance qui doit exister entre les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement. Cela fait de ce dernier non le garant de l’intérêt général, mais plutôt le plus fidèle serviteur du MEDEF en déséquilibrant les rapports de force au sein des entreprises. Le PDG d’Air France, fort de ce soutien, n’a pas hésité, dans cette période, à dénoncer les accords d’entreprise à seule fin d’améliorer la rentabilité pour les actionnaires en demandant aux salariés des sacrifices supplémentaires.
La politique de rigueur et d’austérité se fait donc une nouvelle fois uniquement au détriment des salariés, sans que soit abordée la question, cruciale, d’un rééquilibrage entre revenus du capital et revenus du travail. Vous profitez de la crise pour atomiser les droits des salariés et des organisations syndicales.
Vous nous dites pourtant que le droit de grève n’est pas remis en cause par cette proposition loi. Qu’on en juge : le salarié devra se déclarer quarante-huit heures en amont du mouvement, et surtout ne pas renoncer moins de vingt-quatre heures avant, sous peine de sanction disciplinaire dont le niveau n’est pas précisé, même si l’Assemblée nationale a adouci le principe de la sanction en mentionnant que celle-ci ne peut intervenir qu’en cas de manquement répété.
Le salarié qui souhaite mettre fin à son action de grève, devra également attendre vingt-quatre heures avant de pouvoir reprendre effectivement le travail, ce qui l’oblige ainsi à une journée supplémentaire de perte de salaire, sauf en cas de fin de mouvement. Et je n’entrerai pas dans le détail du cas où une organisation syndicale propose la reprise du travail et que l’assemblée générale décide, elle, la poursuite de la grève, car cela devient alors très compliqué !
Il s’agit d’un procédé bien plus subtil que l’interdiction pure et simple de la grève : en rendant son exercice plus difficile et en l’individualisant, vous permettez que s’exercent sur les salariés des pressions inacceptables.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le droit de grève s’exerce de façon collective, que c’est un droit utile qui a permis de nombreuses avancées sociales pour l’ensemble de nos concitoyens. Il n’y a donc aucun fondement à votre volonté d’opposer entre eux les vacanciers et les salariés.
Vous arguez également, pour justifier de cette atteinte à ce droit fondamental, que le Conseil constitutionnel a rendu un avis de conformité sur la loi de 2007. Cependant, comment ignorer que cette décision est de nature politique, en contradiction totale avec les jurisprudences des autres cours de justice ?
Ainsi, dans l’arrêt Air France de 2003, la Cour de cassation a reconnu de manière très claire « qu’il ne pouvait être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur son intention de participer à la grève avant le déclenchement de celle-ci ».
Dans l’affaire de la société Rhodia Chimie, la cour d’appel de Grenoble a également jugé, le 29 avril 2002, que « la société ne pouvait interroger chaque salarié sur ses motivations sans exercer une pression inacceptable sur chaque salarié pris individuellement. »
Nous continuons donc légitiment d’affirmer que la déclaration préalable de grève quarante-huit heures à l’avance et, pire encore, celle de vingt-quatre heures sont inconstitutionnels.
Par ailleurs, la constitutionnalité s’apprécie de façon fondamentalement différente entre le transport terrestre et le transport aérien. Il s’agit, dans le premier cas, d’un service public et, dans l’autre, d’un service pleinement ouvert à la concurrence et à la déréglementation. Les obligations des compagnies, même si nous pouvons le regretter, ne se posent pas dans les mêmes termes ; il n’existe en l’espèce aucune obligation de continuité du service public.
En outre, la différence majeure entre ce texte et la loi du 21 août 2007 réside dans ce constat : il n’y a pas ici deux entreprises publiques aux procédures connues, au dialogue social sans doute imparfait mais qui préexistait à la loi. Le secteur aérien est très diversifié, avec des personnels aux statuts différents auxquels la loi applique une même logique, sans avoir pris le temps de discussions avec les partenaires sociaux. À ce titre, il est particulièrement choquant qu’il n’y ait eu aucune saisine du Conseil supérieur de l’aviation civile.
D'ailleurs, tout ce que nous dénonçons en termes d’inconstitutionnalité a été confirmé par une étude demandée par les organisations syndicales des pilotes. Nous trouvons là une nouvelle démonstration que le renforcement du dialogue social n’est pas l’objectif de cette proposition de loi, puisque, loin de le renforcer, ce texte risque au contraire de cristalliser la conflictualité existante.
Force est de constater que l’instauration d’une sorte de « préavis du préavis » par le dispositif d’alarme sociale dans le secteur terrestre n’a pas permis d’enrayer la conflictualité puisque, si les demandes de consultation immédiate ont significativement augmenté, les dirigeants des entreprises continuent d’attendre de constater l’état réel des rapports de force avant d’engager toute négociation. En même temps, « on ne négocie pas pendant la grève », disent-ils. Cela peut durer…
Or, si l’article L. 521-3 du code du travail précise d’ores et déjà que « pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier », cette obligation est souvent méconnue par les dirigeants d’entreprise. Allonger la durée du temps de négociation, dans les transports terrestres comme dans les transports aériens, apparaît donc inutile si rien ne contraint ces mêmes chefs d’entreprises à se présenter à la table de négociation avec des propositions.
De manière circonstanciée, il n’est pas anodin que le Gouvernement cherche à limiter les grèves de salariés dans le secteur aérien, qui a connu, depuis plusieurs années, des luttes nombreuses et retentissantes : la sûreté, les navigants, les mécaniciens, le cargo et l’escale d’Air France, mais aussi de nombreuses autres compagnies aériennes et entreprises d’assistance aéroportuaire.
Cette proposition de loi, comme le titrait Le Figaro, vise donc bien non à favoriser le dialogue social mais à mettre fin aux grèves.
Je voudrais pour finir revenir sur un abus de langage de la part du ministère. En effet, vous n’avez eu de cesse d’affirmer que la loi de 2007 était un succès.
Mme Isabelle Pasquet. Moi, non ! (Sourires.)
Ce « succès » justifierait selon vous l’élargissement de son périmètre, ouvrant même la voie à une remise en cause du droit de grève pour l’ensemble des salariés.
Mais d’après vous, monsieur le ministre, la galère quotidienne des usagers a-t-elle cessé pour autant ? Bien sûr que non, parce que, ce qui mine les transports terrestres comme les transports aériens, ce ne sont pas les grèves, comme vous l’affirmez, c’est bien le désengagement de l’État de ses missions de service public et d’intérêt général.
Et justement, parce que les salariés dans les conflits sociaux sont porteurs de revendications d’intérêt général, parce que ce que réclament les usagers, ce sont des transports de qualité, nous demandons une nouvelle fois le retrait de cette proposition de loi inefficace et rétrograde, en contradiction totale avec nos principes républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Mariani, ministre. Madame Bruguière, comme vous l’avez affirmé, cette proposition de loi est effectivement un texte indispensable qui répond aux demandes et aux préoccupations de nos concitoyens.
Comme vous en avez souligné la nécessité, monsieur Fortassin, il est essentiel de reconnaître le droit à une information fiable et précise des passagers du transport aérien. Ce texte organise bien un service garanti aux passagers et non un service minimum imposé aux salariés. C’est bien pourquoi la proposition de loi vise l’ensemble des entreprises qui concourent directement au transport aérien de passagers.
Monsieur Labbé, ce texte n’est pas un simple affichage politique pour contourner le droit, notamment le droit de grève, auquel je suis, comme l’ensemble des membres de cette assemblée, attaché.
Il n’ouvre en rien le droit à un encadrement généralisé du droit de grève pour tous les salariés.
Il ne s’agit pas davantage, monsieur Le Menn, de soumettre à l’obligation de déclaration individuelle d’intention l’ensemble des salariés du transport aérien : sont concernés simplement ceux dont l’absence est de nature à empêcher directement la réalisation des vols.
Monsieur Labbé, s’agissant d’Air Méditerranée, le Gouvernement a diligenté deux enquêtes visant à s’assurer de la légalité du plan de sauvegarde de l’emploi.
Pourquoi cette compagnie aérienne est-elle en difficulté ? C’est très simple. Avant les événements du « printemps arabe », il y avait, durant l’été, une cinquantaine de vols par semaine à destination de la Tunisie et de l’Égypte ; il n’y en a eu que deux cette année ! Si vous connaissez un moyen pour faire partir massivement les vacanciers Français en Tunisie et en Égypte et pour sauver la compagnie, dites-le nous !
Malheureusement, mesdames, messieurs les sénateurs, il arrive que les compagnies aériennes soient confrontées à des situations exceptionnelles en raison d’événements fortuits.
Je l’ai dit, avec ce texte, nous ne cherchons pas à jeter le discrédit sur les organisations syndicales. Comme M. Capo-Canellas l’a fait remarquer avec raison, notre objectif est non pas de diviser, mais d’apaiser.
Madame David, monsieur Le Menn, les rapporteurs du projet ont mené de nombreuses consultations avec l’ensemble des partenaires sociaux. Pour avoir été parlementaire pendant dix-sept ans, j’ai beaucoup de mal à comprendre votre argumentation sur l’initiative parlementaire et les propositions de loi. Franchement, si demain il est interdit d’avoir recours à des textes d’origine parlementaire, ce sera la paralysie et vous en serez vous aussi victimes !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout est dit !
M. Thierry Mariani, ministre. Avec ce texte, les entreprises pourront connaître à l’avance l’état de leur effectif disponible. À une époque où nos compagnies aériennes sont dans une situation fragile et doivent évoluer dans un environnement très fortement concurrentiel, nous avons peut-être trouvé là un moyen parmi d’autres de favoriser le développement.
Madame Pasquet, vous et les vôtres avez condamné en 2007, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le service minimum dans les transports ferroviaires. Je constate qu’une partie de la gauche est prête à conserver ce dispositif si elle était, par un hasard malheureux, élue. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Claude Dilain. Pas par hasard !
M. Thierry Mariani, ministre. Ce qui prouve que vous êtes aujourd’hui désavoués par vos propres amis !
Cette proposition de loi va être adoptée et je suis convaincu que la gauche s’empressera de ne pas y toucher le jour lointain où elle sera de retour aux affaires ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Le Cam. Vous n’aurez pas longtemps à attendre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme David et M. Jeannerot, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, de son règlement, le Sénat,
Considérant que, au nom du droit à l’information des passagers, la présente proposition de loi a pour conséquence de limiter l’exercice du droit de grève dans les entreprises de transport aérien de passagers ;
Considérant qu’en imposant à un très grand nombre de salariés du secteur du transport aérien de déclarer quarante-huit heures à l’avance leur intention de faire grève, elle n’organise pas une conciliation équilibrée entre ce droit constitutionnellement protégé et des impératifs concurrents à la portée mal définie ;
Considérant que l’obligation pour tout salarié d’informer, vingt-quatre heures à l’avance, son employeur de son souhait de poursuivre ou reprendre le travail sera inopérante dans le secteur aérien, la multiplicité des acteurs concernés ne permettant pas de rétablir le service au niveau initialement prévu ;
Considérant que le texte ne règle en rien les véritables problèmes qui sont sources de tension sur les plates-formes aéroportuaires, et notamment les conditions de travail déplorables de certaines catégories de personnels et le manque de considération dont ils font l’objet ;
Considérant que cette proposition de loi a été examinée dans la précipitation, à moins de trois semaines de la fin de la session parlementaire, afin de paraître répondre à une prétendue urgence médiatique ;
Considérant que l’Assemblée nationale n’a pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux alors que ce texte porte avant tout sur les droits sociaux des salariés ;
Considérant qu’après l’échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a confirmé, en nouvelle lecture, les orientations du texte d’origine sans tenir compte des observations du Sénat ;
Décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 428, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, j’ai déjà longuement exposé, lors de la discussion générale, les raisons qui ont poussé la commission des affaires sociales à décider d’opposer la question préalable à cette proposition de loi. Je ne crois pas nécessaire d’y revenir en détail. Nous voulons rester en cohérence avec la position adoptée par le Sénat en première lecture : le texte n’a pas changé, ou si peu, et il n’est pas plus acceptable aujourd’hui qu’il y a quinze jours.
Je tiens simplement à rappeler quelques points importants.
Tout d’abord, pour nous, cette proposition de loi porte une atteinte manifestement disproportionnée au droit constitutionnellement protégé qu’est le droit de grève. Je note au passage que vous invoquez le principe constitutionnel de la liberté d’aller et venir, en l’occurrence le droit de voyager. Mais l’adoption de ce texte permettra non pas de mieux faire respecter ce droit, mais simplement d’informer les passagers afin de leur permettre de rester chez eux en attendant que les vols reprennent. Voilà pour ce qui constitue l’un de vos principaux arguments, monsieur le ministre !
Certaines dispositions de la proposition de loi, notamment le délai de dédit de vingt-quatre heures, seraient inopérantes dans le secteur du transport aérien, car les délais prévus sont de toute façon trop courts pour permettre une réorganisation de l’activité. Il faut bien mal connaître le déroulement d’un mouvement social ou d’une grève pour proposer d’encadrer le droit de grève dans de tels délais !
Ensuite, rien n’est fait ici pour améliorer les conditions de travail des personnels de l’assistance en escale ou de la sûreté, ou même de l’ensemble des personnels du secteur aérien, alors que c’est là que réside la véritable solution pour apaiser durablement les tensions dans les aéroports.
Par ailleurs, l’examen de ce texte dans la précipitation, pour des raisons électoralistes, est inacceptable. Je reviens sur l’argument que j’ai déjà développé et qui a été également repris par d’autres orateurs : l’absence, non pas d’auditions, mais de consultation préalable des partenaires sociaux, pourtant les premiers concernés par les effets de ce texte, démontre la méfiance infondée de la majorité gouvernementale pour le dialogue social.
Monsieur le ministre, auditionner des organisations syndicales dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi est une chose ; ouvrir des négociations et suivre le protocole tel qu’il a été voté au Sénat et à l'Assemblée nationale en est une autre. Le protocole précise bien que les organisations syndicales doivent être consultées sur le texte et qu’elles doivent pouvoir s’exprimer sur leur demande d’ouverture, ou non, de négociations. Dans les quinze jours suivant cette consultation, les organisations syndicales doivent nous donner leur réponse. Si elles demandent l’ouverture de négociations avec le Gouvernement, alors le texte ne peut pas être étudié tant que les négociations n’ont pas eu lieu.
Chers collègues de l’opposition sénatoriale, voilà ce que prévoit le protocole qui a été adopté ici même, dois-je le rappeler, sur l’initiative de Gérard Larcher. Or ce protocole n’a absolument pas été respecté !
Si nous contestons le recours à une proposition de loi, c’est bien évidemment non pas parce que nous dénigrons l’initiative parlementaire, mais parce qu’il s’agit d’un détournement du travail des parlementaires au bénéfice du Gouvernement, afin notamment d’éviter le passage du texte devant le Conseil d’État. En l’espèce, il faut bien dire que cela arrange le Gouvernement !
Enfin, l’Assemblée nationale n’a pas modifié sensiblement sa position initiale en nouvelle lecture.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission a eu raison d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable et vous invite à en faire autant.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour explication de vote.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Chers collègues de la majorité sénatoriale, je suis très surprise de cet acharnement contre une proposition de loi qui répond simplement aux attentes des Français.
Je répondrai rapidement aux arguments que vous avez avancés.
Vous avez tout d’abord et principalement reproché au texte de limiter l’exercice du droit de grève.
Ce jugement est totalement en décalage avec la portée réelle de la proposition de loi. Après son adoption, les grèves dans les transports aériens pourront en effet avoir lieu comme aujourd’hui. Ce qui change, c’est la prévisibilité du trafic, l’information des usagers et le respect de ces derniers.
On parle beaucoup du respect des droits des salariés, auquel nous sommes nous aussi attachés, mais on oublie les droits des usagers, notamment le principe fondamental de la liberté d’aller et venir, ainsi que le respect de l’ordre public !
Ce ne sont pas, me semble-t-il, « des impératifs concurrents à la portée mal définie », pour reprendre les termes d’un considérant de la motion.
Vous avez ensuite évoqué le manque de considération dont seraient victimes certaines catégories de personnels, mais vous faites preuve d’un remarquable manque de considération pour les passagers, dont nous faisons tous partie.
D’après les considérants de la motion, il n’y aurait pas eu de dialogue préalable avec les partenaires sociaux. Je tiens à le dire, la procédure suivie pour l’examen des propositions de loi a pourtant été respectée, les partenaires sociaux ayant été auditionnés par le rapporteur de l’Assemblée nationale.
Nous aurions aimé assister à de telles auditions ici, au Sénat. M. le rapporteur nous a informés qu’elles avaient eu lieu, mais, comme nous l’avons déjà souligné en commission, nous n’y avons pas été conviés. Lorsque nous rapportons sur des textes sociaux, il serait normal de convier l’ensemble des collègues à prendre part à ces travaux – viendra qui veut ! –, et c’est d’ailleurs ce qui se passait habituellement avant le changement de majorité au Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Par l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable, nous allons conclure au rejet du texte et laisser l’Assemblée nationale souveraine, sans même avoir formulé de propositions.
Finalement, cela revient à refuser tout dialogue sur une question pourtant jugée importante par nos concitoyens. Notre groupe et moi-même le regrettons sincèrement et voterons contre cette motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Mon cher collègue, je vous rappelle que seul un représentant de chaque groupe est autorisé à prendre la parole en explication de vote.
La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Bockel. Mes chers collègues, une impression de déjà-vu émane de cette discussion, puisque nous avons examiné cette proposition de loi voilà deux semaines. Cet effet est quelque peu contrebalancé par le fait que, contrairement à ce que disait Mme David, l’Assemblée nationale a apporté, en nouvelle lecture, des améliorations notables au texte.
Mon explication de vote est une nouvelle occasion de dire, comme l’a fait mon collègue Vincent Capo-Canellas, tout le bien que le groupe UCR pense de cette proposition de loi, un texte nécessaire et équilibré.
M. le rapporteur, qui est bien évidemment opposé cette proposition de loi, a tout de même reconnu en première lecture la nécessité d’agir : il s’est dit tout à fait « conscient des difficultés que rencontrent les voyageurs en cas de perturbation du trafic aérien consécutive à un conflit social ».
Lorsque l’on est effectivement conscient de ces difficultés et de l’impact que de tels conflits peuvent avoir sur la vie de nombreux usagers, l’on est aussi conscient de la nécessité de faire quelque chose, et sans tarder, en respectant naturellement le droit de grève, droit constitutionnel auquel nous sommes tous attachés.
Autrement dit, il s’agit de concilier droit de grève et organisation du service, ni plus ni moins ! C’est précisément ce que fait le texte et c’est en cela qu’il est équilibré, particulièrement depuis qu’il a été modifié en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.
La proposition de loi ne remet pas en cause le droit de grève et n’instaure absolument pas un service minimum dans le service du transport aérien. Cela supposerait de pouvoir limiter le droit de grève ou de réquisitionner certains personnels, ce qui n’est pas l’objet du texte.
En revanche, la proposition de loi permettra de contribuer à prévenir les conflits en relançant le dialogue social. Malgré les polémiques qui avaient entouré sa création, ce dispositif a été mis en place pour les transports terrestres, et il fonctionne plutôt bien. J’émettrai cependant un bémol important dans cette comparaison : contrairement à ce qui existe pour les transports terrestres, la négociation d’accords-cadres de prévention des conflits est en l’espèce facultative.
En tout état de cause, la proposition de loi améliore sensiblement l’information des usagers.
Il n’y a rien de choquant à demander aux grévistes de se déclarer individuellement quarante-huit heures avant de cesser le travail afin que le service soit organisé au mieux et que les usagers puissent disposer d’une information fiable. Encore une fois, ce dispositif existe déjà dans les transports terrestres, et il ne choque personne.
Quant au délai minimum de dédit, ne nous racontons pas d’histoires ! Nous savons pourquoi il est nécessaire : l’abus de déclarations d’intention est une réalité qui vide de son contenu tout le dispositif du service minimum dans les transports terrestres. Il fallait donc réagir.
Les modifications du texte apportées par l'Assemblée nationale constituent donc de véritables progrès par rapport au dispositif initial. Avec ces apports, l’équilibre et le réalisme du texte sont difficilement contestables.
Ces améliorations, qui étaient pour nous autant de raisons supplémentaires de voter ce texte, sont autant de preuves supplémentaires du caractère quelque peu idéologique du rejet proposé par la commission.
Pour toutes ces raisons, le groupe UCR votera une fois de plus contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
(M. Jean-Claude Carle remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, le président et premier actionnaire d’Air Méditerranée, Antoine Ferretti, annonçait aux salariés qu’ils devaient choisir entre perdre leur emploi ou aller travailler en Grèce moyennant, entre autres, une perte d’environ 30 % de leurs salaires.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, ces salariés ont écrit au Président de la République, car ils craignent non seulement le départ de toute leur flotte et la disparition de leur entreprise, mais « pire encore […] que la méthode se propage aux autres compagnies aériennes françaises qui ne sauront résister à ce dumping social ».
Voilà, mes chers collègues, une nouvelle illustration du combat que doivent mener les salariés face à cet odieux chantage à l’emploi qui est mené sous couvert de crise.
Et vous voudriez, monsieur le ministre, que l’on vote une proposition de loi pour affaiblir encore les droits des salariés, pour les réduire un peu plus vite au silence et les désarmer complètement face au nivellement par le bas, continu, de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations ?
Quant aux arguments tirés de la continuité du service public, de la sécurité des personnes et du maintien de l’ordre public, nous avons déjà montré qu’ils ne résistent pas à l’analyse juridique. Il est vrai que le principe à valeur constitutionnelle de la continuité du service public doit être concilié avec le droit de grève. Cependant, les entreprises visées ont été largement délestées de leurs missions de service public quand vous les avez privatisées !
Il n’y a pas lieu de prendre en compte ce principe au-delà du service minimum déjà assuré dans le domaine de la navigation aérienne par la loi du 31 décembre 1984.
Ces quelques considérations justifient à elles seules notre vote de la motion tendant à opposer la question préalable. Mais il en existe bien d’autres que je n’ai pas le temps de développer à nouveau ici.
À ceux qui croient que le droit de grève est une sorte de privilège, je tiens cependant à dire que son exercice est un véritable sacrifice pour les travailleurs. Ceux qui n’ont jamais fait grève semblent ignorer que les obligations des parties au contrat de travail sont suspendues pendant la grève et que, si un accident survient, il sera considéré comme un accident de droit commun, tout comme ils font mine d’ignorer que les grévistes ne sont pas payés.
Mais cela ne suffit pas aux patrons ! Il faut encore que, avec la complicité du Gouvernement, ils affaiblissent les droits des travailleurs par cette proposition de loi et par bien d’autres pratiques qui participent de la même logique rétrograde. Je pense ici à la réquisition de salariés de droit privé dans la raffinerie de Grandpuits lors des manifestations contre la réforme des retraites, réquisition sur ordre de votre gouvernement qui a ensuite été annulée par le juge.
Je pense aussi ici à la validation, par le ministre du travail, Xavier Bertrand, du licenciement d’élus du personnel de l’entreprise NextiraOne, contre l’avis de l’inspection du travail, ou encore à la décision du conseil de discipline de la compagnie maritime SNCM, lequel a émis un avis favorable au licenciement de deux délégués du personnel. Ces pratiques sont inacceptables. Elles témoignent d’un profond mépris pour les salariés qui se battent pour préserver leur outil de travail.
Votre proposition de loi s’inscrit fidèlement dans cette politique inhumaine, que nous combattons, aux côtés des travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref.
Je veux tout d'abord dire à ma collègue Marie-Thérèse Bruguière qu’elle a quelque peu « forcé la note » ! En effet, pour justifier sa position, elle assimile une grève dans les transports publics à une situation quasi insurrectionnelle, mettant véritablement en cause l’ordre public. Point trop n’en faut, ma chère collègue !
Pour sa part, M. Bockel nous explique que l’attitude, dans ce débat, des sénateurs de gauche ne serait qu’une posture idéologique. Rien de moins ! Mes chers collègues, à trop vouloir prouver, on ne prouve rien.
Quant à notre position, elle obéit à des choix fondamentaux que plusieurs d’entre nous ont exprimés. Nous considérons que cette proposition de loi est un texte de circonstance, visant à répondre à des situations déterminées, dans une période donnée. En tout cas, elle ne prend pas en considération un point pourtant très sérieux : la recherche des causes d’une grève.
En effet, quand des travailleurs salariés, se mettant en grève, bloquent le système aérien d’un pays comme le nôtre, avec toutes les perturbations qui en découlent, ils doivent tout de même avoir quelques raisons pour le faire !
Notre collègue Jacky Le Menn a rappelé qu’on ne se mettait pas en grève par plaisir. Pour sa part, la droite considère, bien sûr, qu’il convient d’user du droit de grève sans gêner personne ! (Sourires.) Où avez-vous vu de telles grèves ? Cela n’a jamais existé, ni en 1936 ni aujourd'hui !
Notre réponse est donc très claire : nous voterons avec détermination la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je rappelle également que le Gouvernement s’est déclaré défavorable à l’adoption de cette motion.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 113 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 172 |
Pour l’adoption | 175 |
Contre | 168 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
5
Communication relative à un projet de nomination
M. le président. Mes chers collègues, en application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et en application du décret n° 93-861 du 18 juin 1993, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, lors de sa réunion du mercredi 29 février 2012, a émis un vote favorable (21 voix pour, 0 voix contre et 0 abstention), en faveur de la reconduction de M. François Jacq, en qualité de président-directeur général de l’établissement public Météo France.
Acte est donné de cette communication.
6
Majoration des droits à construire
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la majoration des droits à construire (projet n° 422, texte de la commission n° 437 rectifié, rapport n° 436 et avis n° 435).
La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Mes chers collègues, je vous confirme que je souhaite réunir la commission de l’économie pour l’examen des amendements extérieurs, non pas à la fin de la discussion générale, mais juste après la suspension de nos travaux, à l’heure que vous choisirez pour celle-ci, monsieur le président.
M. le président. Mon cher collègue, je vous propose de suspendre la séance vers dix-neuf heures trente. (M. le président de la commission acquiesce.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Benoist Apparu, ministre chargé du logement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner un projet de loi qui, à l’origine, avait vocation à augmenter les droits à construire. Pour le Gouvernement, ce texte devait être emblématique et traduire ce que nous appelons de nos vœux, à savoir la mise en place d’un nouveau modèle économique pour la production de logements dans notre pays.
Pourquoi un nouveau modèle économique me semble-t-il nécessaire en la matière ?
Jusqu’à présent, vous le savez, notre politique du logement reposait principalement sur un niveau exceptionnellement élevé d’intervention publique. La Nation a ainsi consacré, en 2010, près de 41 milliards d’euros, soit plus de 2 % du PIB, aux politiques du logement. Ce niveau est historiquement élevé.
Cette intervention massive n’a empêché ni la hausse des prix ni celle des loyers, notamment dans les territoires dits « tendus », portés par une dynamique démographique et économique.
Pour que l’on mesure bien l’importance des choix que nous aurons à opérer aujourd'hui et dans les semaines à venir, j’ajoute que, pour l’année 2000, les encours de crédits liés à la production de logement se sont élevés à 290 milliards d’euros, tous types de production confondus, à savoir aussi bien le logement social et la promotion immobilière que l’investissement privé et, bien évidemment, l’accession à la propriété.
Si l’on se réfère maintenant à l’année 2010, on constate que ces encours de crédits sont passés à 900 milliards d’euros. Ils ont donc été multipliés par trois en l’espace de dix ans.
Parallèlement, sur la même période, la production de logements en tant que telle n’a augmenté que suivant un facteur 0,3. Autrement dit, la progression des masses financières en cause résulte de la hausse des prix, non de la production de logements.
Notre économie du logement est donc aujourd'hui davantage une économie de rente qu’une économie de production. Tel est d'ailleurs le problème majeur auquel nous sommes actuellement confrontés dans l’élaboration des politiques du logement.
C’est la raison pour laquelle nous sommes persuadés qu’il nous faut changer de modèle économique. Si ce dernier repose, d’une façon ou d’une autre, sur l’investissement public ou sur la solvabilisation d’une clientèle, qu’il s’agisse d'ailleurs de la demande privée, du logement social ou de la promotion immobilière, il n’offre pas de solution adaptée à la réalité du monde du logement.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Jusque-là, nous sommes d’accord !
M. Benoist Apparu, ministre. Dans ce cas, j’espère que nous en tirerons tous les mêmes conséquences, monsieur le président de la commission ! Or j’avais cru comprendre que d’aucuns, sur certaines travées de cet hémicycle, avaient dans l’idée de continuer à investir massivement dans la politique du logement et d’y consacrer davantage d’argent public…
Comme vous tous, j’ai la conviction que les crises du logement que nous pouvons actuellement observer sur certains territoires sont essentiellement dues à une pénurie de l’offre. À l’évidence, le problème est lié au jeu traditionnel de l’offre et de la demande : lorsque la demande est forte ou l’offre faible, les prix montent, et inversement, comme nous pouvons d'ailleurs l’observer dans d’autres territoires.
Certes, notre pays construit beaucoup : 425 000 logements ont été mis en chantier en 2011. Ce chiffre représente une progression très importante par rapport à l’année 2010 et nous rapproche du record de l’année 2007.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que, entre 2007 et 2010, en raison de la crise, nous avons enregistré globalement un déficit de construction de 100 000 logements par an. Toutefois, nous sommes à peu près parvenus à reconstituer l’offre depuis lors. La France est ainsi le premier producteur européen de logements : en 2011, le Royaume-Uni en a construit 120 000 et l’Allemagne 180 000. La différence des niveaux de production est donc considérable.
Malgré ce motif de satisfaction, il n’en reste pas moins vrai que, sur certains territoires, la production n’est pas suffisante pour répondre à la demande : il en résulte naturellement une hausse des prix, donc une augmentation des moyens financiers consacrés au logement.
Si nous connaissons ces difficultés dans le domaine de la production et de l’offre, c’est parce que nous subissons une série de contraintes que je voudrais évoquer devant vous.
La première d’entre elles est liée à notre droit de l’urbanisme, qui ne favorise pas assez la réalisation de projets ; il s’agit davantage d’un corpus de règles contraignantes que d’un encouragement à l’innovation. Avec un certain nombre de sénateurs, le Gouvernement a développé une réflexion sur l’urbanisme de projet et la nécessaire refonte du droit de l’urbanisme. Ce travail s’était concrétisé au travers de la proposition de loi déposée par Éric Doligé, que la Haute Assemblée n’a malheureusement pas eu le temps d’examiner complètement. Je le regrette, car l’adoption de ce texte aurait permis une évolution profonde du droit de l’urbanisme.
Le deuxième type de contrainte que nous devons affronter tient – j’ose le dire – à une forme de réticence des élus, notamment franciliens, à l’égard de la production massive de logements. Je peux le comprendre, parce que la construction de logements, en particulier en Île-de-France, représente des coûts induits très importants pour les collectivités locales : il faut bâtir aussi des écoles, des crèches, notamment, autant d’équipements sources d’importantes dépenses de fonctionnement.
C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que nous devrons, dans les mois à venir, engager une réflexion sur une aide aux « maires bâtisseurs », que ce soit sous la forme d’une péréquation fiscale ou d’une modulation des aides de l’État : il faudra aider ou encourager ces élus à produire des logements.
M. Philippe Dallier. Tout à fait !
M. Benoist Apparu, ministre. Le troisième élément de contrainte que je relève est la trop grande dispersion des compétences en matière d’urbanisme, alors que ce domaine nécessite une expertise rare.
Nous devrons travailler à une échelle différente : l’échelle intercommunale, telle que nous la connaissons notamment dans les communautés urbaines, représente, me semble-t-il, l’avenir. Certes, il sera difficile de concrétiser cette évolution, parce de nombreux élus sont opposés au transfert de cette compétence à l’échelon intercommunal, mais je suis convaincu que cette option va dans le sens de l’histoire, selon l’expression consacrée.
Le quatrième élément de contrainte que nous avons tous en tête est évidemment le contentieux, de caractère parfois abusif, voire mafieux. Certains contentieux ralentissent la réalisation des projets et les renchérissent, tout en retardant la livraison des logements.
Il nous faudra travailler à renforcer le cadre réglementaire : un projet de décret devrait être soumis au Conseil d’État dans le courant du mois de mars. Ce décret n’aura pas pour objet de limiter le droit au recours, car telle n’est pas notre volonté, mais de réduire le nombre des contentieux qui sont abusifs, pour ne pas dire – je me répète – mafieux.
Un autre élément vient brider la production de logements dans notre pays : les terrains constructibles ne sont pas nécessairement rares en France, mais ils sont trop peu mis sur le marché.
À titre d’exemple, je citerai un chiffre que les élus franciliens connaissent bien : l’Île-de-France dispose de 13 000 hectares de terrains constructibles non construits. Pour vous donner une échelle de comparaison, la Ville de Paris, sans le bois de Boulogne et le bois de Vincennes, a une superficie de 8 700 hectares : vous avez ainsi une idée de ce que représentent les terrains disponibles dans les plans locaux d’urbanismes existants. Il me semble que le schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF – je parle sous le contrôle des élus concernés – prévoit même d’ajouter 7 000 hectares constructibles. Nous disposerons donc, pour les années à venir, de masses de terrains considérables dans les plans locaux d’urbanisme actuels ou futurs pour construire les logements dont nous avons besoin.
Il n’en demeure pas moins que ces terrains sont trop rarement mis sur le marché. C’est pourquoi il nous faut réfléchir aux solutions envisageables.
Tout d’abord, nous devons bien évidemment agir sur la fiscalité. Un premier pas a été franchi à l’Assemblée nationale et confirmé au Sénat, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012 : le Parlement a adopté le principe d’une majoration de la taxe foncière sur les propriétés non bâties en zones tendues applicable aux terrains constructibles non construits.
L’Assemblée nationale a discuté un amendement visant à inverser la fiscalité des plus-values sur les propriétés non bâties : en effet, dans le schéma actuel, plus les propriétaires pratiquent la rétention foncière, moins ils sont taxés. Nous sommes convaincus qu’il faudra inverser ce mode de fonctionnement.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Très bien !
M. Benoist Apparu, ministre. Un amendement a donc été déposé sur cette question par un député de la majorité.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Oui, mais il est bien seul !
M. Benoist Apparu, ministre. En accord avec le rapporteur général de la commission des finances, le Gouvernement a souhaité, pour des raisons techniques, que cet amendement soit repoussé, mais il n’a exprimé en aucun cas des objections de fond. En effet, le Gouvernement a clairement affirmé son acceptation de cette évolution…
M. Thierry Repentin, rapporteur. Nous la mettrons en œuvre !
M. Benoist Apparu, ministre. Vous la mettrez en œuvre si vous en avez la possibilité, monsieur le rapporteur ! Ne vendez pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! Je sais que vos amis ont pris l’habitude de se distribuer des portefeuilles dont ils ne disposent pas encore, mais, de grâce, attendez le résultat des élections…
M. Jean-Jacques Mirassou. Les ours sont protégés dans les Pyrénées !
M. Benoist Apparu, ministre. C’est vrai, monsieur Mirassou, et nous allons nous efforcer de leur conserver le statut d’espèce protégée, dans l’intérêt même de la France ! (Sourires.)
Le Gouvernement est donc pleinement favorable à cette inversion de la fiscalité et il s’efforcera de la concrétiser dans les semaines à venir.
Nous devrons également travailler sur la cession des terrains publics. Il me semble d’ailleurs que nous en discuterons dans quelques instants, si j’ai bien lu le texte adopté par la commission de l’économie.
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est juste !
M. Benoist Apparu, ministre. Des programmes de cessions de terrains publics ont été engagés dans le passé. Pendant la période 2008-2012, un programme devait permettre la construction de 70 000 logements sur des terrains publics : à la fin de 2011, il était déjà réalisé à hauteur de 55 000 logements. Aucun retard n’a été pris et l’objectif initial devrait être atteint d’ici à la fin de l’année.
Nous avons relancé cette dynamique, puisqu’un nouveau programme a été établi pour la période 2012-2016, portant sur la construction de 100 000 logements, dont 50 000 en Île-de-France. En ce qui concerne cette seule région, 994 terrains ont été identifiés, représentant 880 hectares.
Au-delà de ces éléments, qui ont vocation à faire évoluer ce modèle économique, une mesure nous semble particulièrement emblématique pour produire plus de logements en France : il s'agit de mieux utiliser le foncier existant.
Lorsque l’on observe l’évolution des plans locaux d’urbanisme depuis un certain nombre d’années, on remarque des baisses de densité : les taux de densité prévus ne sont pas entièrement utilisés lorsque des opérations urbaines sont réalisées. Il nous faut donc accroître la densité, pour deux raisons essentielles.
Tout d’abord – les élus du monde rural qui siègent ici se reconnaîtront dans ce propos –, il faut consommer moins d’espace agricole.
On ne peut pas se battre contre la surconsommation d’espace agricole, ni regretter, discours après discours, que disparaisse tous les dix ans, dans notre pays, l’équivalent de la superficie d’un département en terres agricoles, et s’opposer, en même temps, à la densification urbaine. Ce serait incohérent ! S’il faut consommer moins de terres agricoles et produire plus de logements, c’est donc qu’il faut renforcer la densité des zones urbaines. La mesure que nous proposons vise à mieux utiliser les terrains publics. C’est clairement une mesure de densité.
Ensuite, si nous voulons durablement lutter contre la hausse des prix, il nous faudra construire plus de logements sur le même espace. Bien sûr, certains nous diront dans quelques instants qu’une telle mesure va faire augmenter le prix des terrains. C’est vrai, mais le prix des opérations n’augmentera pas, ni le prix de sortie au mètre carré. Or c’est ce dernier élément qui nous paraît essentiel ; j’ajouterai même que l’on pourrait s’attendre à un effet inverse.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement a souhaité vous présenter un projet de loi permettant d’augmenter de 30 % les droits à construire. Très concrètement, là où l’on pouvait bâtir dix logements sur une parcelle, on pourra en construire treize. J’imagine que les fédérations d’organismes HLM doivent se réjouir de ce type de mesure permettant de construire davantage de logements sociaux ; de la même façon, je pense que l’ensemble des partenaires du monde du logement se réjouissent de ce type d’initiative.
Bien évidemment, ce projet de loi est respectueux des droits des collectivités locales : nous avons tenu à respecter le principe de libre administration des collectivités locales, en leur permettant de refuser l’application de cette norme.
M. Claude Bérit-Débat. Drôle de conception !
M. Benoist Apparu, ministre. J’entends déjà un certain nombre d’élus affirmer que cette mesure existait déjà. Il est vrai que trois dispositions législatives permettent d’augmenter de 50 % les droits à construire pour le logement social, de 30 % pour la construction de logements énergétiquement performants et de 20 % pour tout type de logement. Toutefois, ces dispositions ne sont pas appliquées : je crois que 31 collectivités locales seulement ont adopté une délibération afin d’appliquer l’une de ces majorations.
Nous souhaitons aller beaucoup plus loin. C’est pourquoi le texte initial du projet de loi prévoyait de passer d’un système où les communes pouvaient décider d’appliquer la majoration à un système où elles auraient seulement le droit de refuser de l’appliquer, afin de les inciter à s’engager dans cette voie et à lutter contre l’étalement urbain.
M. Claude Bérit-Débat. Belle avancée démocratique !
M. Benoist Apparu, ministre. Ce changement respecte strictement la liberté d’administration des collectivités locales, comme je viens de le rappeler.
Bien évidemment, ce projet de loi n’a pas pour objet de rendre constructibles des terrains qui ne le sont pas. Si un terrain n’est pas constructible aujourd’hui, il ne le sera pas davantage demain : une augmentation de 30 % des droits à construire, appliquée à un terrain où ces droits sont nuls, aboutit évidemment à un résultat nul. L’objet exclusif de ce texte est d’augmenter les droits à construire sur les terrains déjà constructibles, bien entendu.
Cette mesure a vocation à définir une politique du logement soutenable, en produisant plus de logements avec moins de fonds publics, une politique du logement durable,…
M. Roland Courteau. Le temps d’une élection !
M. Benoist Apparu, ministre. … grâce à une meilleure utilisation du foncier et une densification de l’habitat, enfin une politique adaptée aux besoins des ménages, car cette mesure permettra à ceux qui possèdent une maison individuelle de l’agrandir, s’ils ont déjà atteint la limite de densité.
M. Claude Bérit-Débat. Et s’ils en ont les moyens !
M. Benoist Apparu, ministre. Cette mesure représente pour nous la pierre d’angle d’une nouvelle politique du logement mobilisant moins qu’auparavant les financements massifs et l’investissement public. Elle devra s’accompagner d’autres réformes que j’ai évoquées dans l’introduction de mon propos et qui me paraissent essentielles si nous souhaitons répondre à l’attente des Français, notamment dans les zones tendues, pour produire plus de logements en dépensant moins d’argent public.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs visés par ce projet de loi, tel que le Gouvernement l’avait initialement présenté.
Certes, ce texte a connu quelques évolutions lors de son examen par la commission, mais je ne doute pas un seul instant, après l’éclairage que je viens de donner, que la grande sagesse des sénateurs leur permettra, après un examen très attentif, d’émettre un vote positif sur les amendements du Gouvernement visant à rétablir son texte initial. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Dallier. L’espoir fait vivre !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thierry Repentin, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 30 janvier dernier, le chef de l’État a donc annoncé la mise en place rapide de mesures fortes pour répondre à la crise du logement.
Ce n’est pas la première fois, au cours de la décennie écoulée, qu’un tel engagement a été pris. Il a d’ailleurs donné lieu à une accumulation de textes : la loi portant engagement national pour le logement en 2006, la loi instituant le droit au logement opposable en 2007, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion en 2009 et, dans la mesure où l’un de ses principaux objectifs était de densifier les zones urbaines, la loi portant engagement national pour l’environnement en 2010. Le fait de déposer ce texte très tardif est, en soi, un constat d’échec des textes précédents.
Ce énième texte sera-t-il en mesure de changer la donne ? Je ne le crois pas, car il cumule plusieurs inconvénients.
Insuffisamment préparé, il est à la fois redondant avec le droit existant – vous l’avez vous-même évoqué, monsieur le ministre –, doté d’une efficacité improbable – j’y reviendrai –, porteur de risques contentieux lourds et contraire à l’esprit d’un urbanisme de projet responsable et d’une coopération intercommunale apaisée.
Le premier défaut de ce texte est, je le répète, son impréparation manifeste. Il n’a donné lieu en amont – vous n’en êtes d'ailleurs sans doute pas responsable –, à aucune consultation digne de ce nom. L’annonce du Président de la République a surpris…
M. Roland Courteau. Il était pressé !
M. Thierry Repentin, rapporteur. … aussi bien les associations d’élus que les acteurs de la construction. Nous les avons auditionnés, René Vandierendonck et moi-même, et tous ont regretté de n’avoir pas été entendus. Tous, sans exception, ont fait part de nombreuses réserves quant au dispositif qui nous est proposé.
La précipitation se retrouve également dans la procédure d’examen de ce texte. J’ai dû, en tant que rapporteur, réaliser les auditions préparatoires sans même connaître le texte sur lequel porterait la discussion au Sénat, puisque le projet de loi n’avait pas encore été adopté par l’Assemblée nationale à ce moment-là.
Par ailleurs, le délai limite de dépôt des amendements en séance est intervenu au début de la présente discussion générale – il y a quelques instants – et l’examen de ces mêmes amendements par la commission aura lieu juste après. Nous devons donc prendre connaissance des amendements déposés pendant la discussion générale.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Avouez que ce n’est pas très sérieux !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est même scandaleux !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Les flottements sur le contenu de la réforme constituent un dernier indice de son impréparation.
M. Claude Bérit-Débat. Précipitation, improvisation, gesticulation !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Le projet de loi déposé par le Gouvernement s’écarte, en effet, sensiblement – d’une certaine façon, c’est assez heureux – de l’annonce présidentielle. Le principe d’une majoration automatique s’imposant de manière uniforme aux communes sans qu’elles puissent en délibérer a, en effet, été abandonné. Le texte en discussion constitue donc, en quelque sorte, la version édulcorée de l’annonce présidentielle.
Le deuxième défaut de ce texte est sa redondance, que vous avez vous-même évoquée, monsieur le ministre, avec le droit existant.
M. Claude Bérit-Débat. Bien sûr !
M. Thierry Repentin, rapporteur. La loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, la loi MOLLE – qui n’est pas molle, d’ailleurs –, a mis en place en 2009 un dispositif qui permet déjà aux communes de majorer les droits à construire.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Il existe par ailleurs deux autres dispositifs, ciblés sur les logements sociaux et les bâtiments à haute performance énergétique, qui autorisent une majoration des règles de densité.
Par rapport à ces trois dispositifs, quels nouveaux éléments ce texte apporte-t-il ? Le premier est un relèvement de 20 % à 30 % du plafond de la majoration, ce qui constitue un changement assez mineur. Le second point, plus significatif, est la création d’un quatrième – j’y insiste – dispositif de majoration des droits à construire, les trois déjà existants étant maintenus. Cette multiplication de dispositifs en grande partie similaires est inutile et contraire à la simplification du droit pourtant régulièrement appelée de ses vœux par le Gouvernement.
Le troisième défaut de ce texte tient à son efficacité improbable.
M. Jean-Jacques Mirassou. Le mot est faible !
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est vrai, mon cher collègue.
Les estimations qui figurent dans l’étude d’impact reposent sur des hypothèses non étayées, qui sont aussi optimistes que fantaisistes. Dans l’hypothèse basse du Gouvernement, en effet, un tiers des communes conserveraient la majoration de 30 % que vous nous proposez. Or environ 0,5 % des communes dotées d’un PLU ou d’un POS ont jusqu’à présent, c’est vrai, utilisé les possibilités de majoration prévues dans le code de l’urbanisme. Cela signifie que, dans l’hypothèse la plus pessimiste envisagée par le Gouvernement, le taux d’utilisation par les communes du nouveau dispositif serait donc plus de soixante fois supérieur à celui du mécanisme en vigueur.
Franchement, je ne vois pas ce qui pourrait conduire à un résultat pareil. La décision de majorer les droits à construire reste, en effet, entre les mains des communes.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Leur autonomie sera certes, monsieur le ministre, exagérément réduite avec votre projet de loi…
M. Thierry Repentin, rapporteur. … puisque, au lieu d’avoir le droit de décider de la majoration, elles n’auraient plus que la liberté de refuser de l’appliquer. Mais c’est, malgré tout, le conseil municipal qui conserve la maîtrise pratique du dispositif. Je voudrais vraiment comprendre pourquoi les collectivités, qui utilisent peu le dispositif actuel, changeraient subitement d’avis et adopteraient en masse un outil bâti selon une architecture similaire…
M. Roland Courteau. C’est une bonne question.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Ces doutes semblent d’ailleurs partagés par le Gouvernement lui-même. Son étude d’impact indique, en effet, que le nouveau dispositif doit constituer « un élément déclencheur d’une prise de conscience ». « La mesure proposée [...] doit contribuer au changement d’état d’esprit attendu des décideurs locaux et des habitants ».
Monsieur le ministre, est-ce bien raisonnable ? Les Français et les collectivités territoriales, en première ligne face à la crise du logement, ont-ils véritablement besoin qu’on leur fasse prendre conscience du problème du logement et des enjeux de la densification ? C’est mal connaître les élus de la République.
L’optimisme des prévisions du Gouvernement concerne aussi le nombre de projets de construction susceptibles d’être affectés par la mesure. Sans justifier ses hypothèses, il estime, en effet, qu’un projet de construction sur deux utiliserait le supplément de droits à construire dans les communes où s’appliquerait la majoration. J’ignore sur quoi repose cette estimation, qui n’est pas étayée. En revanche, je sais que de nombreuses dispositions techniques et juridiques constitueront un frein.
Premièrement, la majoration des règles de densité n’exempte pas du respect des autres règles d’urbanisme, comme celles qui sont relatives au prospect, ce qui réduit fortement la portée potentielle de la majoration.
Deuxièmement, la majoration des droits à construire ne pourra pas non plus déroger aux servitudes d’utilité publique et aux dispositions des lois montagne et littoral, ce qui la rend inapplicable dans de nombreuses zones.
Troisièmement, l’utilisation des droits à construire majorés se heurtera également à des conventions privées.
M. Jacques Mézard. Oui !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Ainsi, dans une copropriété, la surélévation ou la construction de bâtiments pour créer de nouveaux locaux à usage privatif ne peut être réalisée, sauf exception, que si la décision est prise à l’unanimité des copropriétaires.
M. Thierry Repentin, rapporteur. De même, dans les lotissements – vous avez cité tout à l’heure l’exemple d’une personne qui voudrait agrandir son pavillon, monsieur le ministre –, si un permis de construire majorant, par exemple, les règles de hauteur est délivré en contravention avec les règles du cahier des charges du lotissement, qui est une convention privée, les colotis pourront intenter une action en démolition.
Sur le plan technique, la modification des bâtiments est parfois très difficile, sinon impossible. C’est, par exemple, le cas de la surélévation d’un bâtiment dont les fondations ne sont pas adaptées.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Enfin, comme l’ont souligné les professionnels du secteur, on observe une tendance à la baisse de la taille des projets, car c’est là souvent le seul moyen de faire face à l’augmentation des prix du foncier et de l’immobilier. Les projets, du fait des contraintes économiques, n’utilisent donc d'ores et déjà pas toutes les possibilités de densification autorisées par le droit en vigueur. Les constructeurs nous l’ont confirmé lors de nos auditions. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Plus que son inefficacité, cependant, ce que je redoute le plus, c’est le caractère contre-productif du dispositif. On peut s’attendre, en effet, à des comportements de rétention du foncier de la part des propriétaires ayant l’intention de vendre ou d’utiliser leur terrain, car, avant de s’engager, ils voudront avoir une idée précise des droits à construire associés à leur bien.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Une partie des transactions et, par suite, des chantiers, va ainsi être gelée. D’après des professionnels du secteur – vous les connaissez aussi bien que nous –, cet effet de rétention serait déjà à l’œuvre.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Par la suite, les prix des biens finalement mis sur le marché seront tirés vers le haut. En effet, si le nombre de logements supplémentaires construits grâce au nouveau dispositif est trop faible pour accroître significativement l’offre, alors le marché restera déséquilibré par la pénurie d’offre.
M. Thierry Repentin, rapporteur. La seule conséquence tangible de la mesure sera donc un effet d’aubaine pour les propriétaires de biens dont les droits à construire ont été augmentés.
La quatrième critique que je formulerai contre ce texte – cette assemblée ne peut pas rester insensible à cette réalité –, est qu’il culpabilise les communes dans la crise du logement.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Votre projet de loi véhicule l’idée que, par frilosité, par ignorance des textes ou par malthusianisme, les communes seraient coupables de mettre en place des règles de constructibilité trop restrictives.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Cette mise en accusation est exprimée sans ambages d’ailleurs dans le discours prononcé à Longjumeau le 2 février 2012 par le Président de la République : « Les communes qui voudront refuser cette possibilité – la possibilité de majorer – en auront le droit, mais cela devra faire l’objet d’une délibération explicite du conseil municipal pour en refuser la possibilité. Chacun va prendre ses responsabilités ». (M. le ministre fait un signe d’approbation.)
L’inversion du sens de la délibération est bien conçue comme l’outil de la « responsabilisation » des communes, responsabilisation synonyme de mise en accusation. C’est pourquoi le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut que s’y opposer avec force.
Le Gouvernement, dans sa précipitation à légiférer, croit qu’il faut rendre la majoration des droits à construire plus contraignante pour « responsabiliser » les communes, alors que, en réalité, c’est parce que les communes prennent leurs responsabilités en élaborant des PLU que la majoration des droits à construire n’a pour elles qu’un intérêt limité.
En effet, il est absurde, pour une commune, de mettre plusieurs années à définir des règles de constructibilité adaptées à un projet de territoire, pour ensuite déroger aux règles qu’elle a elle-même fixées en décidant de majorer les droits à construire. Généraliser la majoration ne peut avoir de sens que si on estime que les PLU actuels sont mal conçus.
M. Roland Courteau. Belle démonstration !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Il serait regrettable que le Gouvernement se représente ainsi le travail accompli par les communes et les intercommunalités. En tout cas, ce n’est pas ma vision. Ma conviction est qu’il y a une antinomie entre une démarche urbanistique de projet conduite par les communes à travers leur PLU et un dispositif technocratique de majoration généralisée des droits à construire.
Pour mémoire, mes chers collègues – et je m’adresse aussi aux sénateurs de l’UMP – je rappelle que, dans sa rédaction initiale, la loi MOLLE de 2009, aussi appelée loi Boutin, d’après le nom de la ministre qui l’a portée, prévoyait déjà la même chose : une majoration automatique des droits à construire et une délibération contraire des collectivités pour y déroger.
Le Sénat, à la suite de son rapporteur, Dominique Braye, s’y était opposé avec succès en utilisant les mêmes arguments que je viens de donner. Il me semble que ceux-ci n’ont rien perdu de leur pertinence. Je vous renvoie sur ce point au rapport rédigé à l’époque par Dominique Braye. Je précise aussi que le groupe socialiste, s’il n’avait pas voté la loi MOLLE dans son ensemble, avait cependant voté en faveur de cet article…
M. Roland Courteau. Eh oui, je m’en souviens parfaitement !
M. Thierry Repentin, rapporteur. … dans la rédaction issue de l’amendement de Dominique Braye, identique à l’époque à un amendement que nous avions nous-mêmes défendu.
Le dernier défaut majeur de ce texte que je veux souligner est l’insécurité juridique. La première source d’insécurité tient à la procédure de consultation du public que vous souhaitez mettre en place.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Je doute que vous puissiez le faire, monsieur le ministre.
Le texte prévoit que les communes mettront à sa disposition une « note d’information » présentant les conséquences de l’application du dispositif. Or on peut se demander quel doit être le degré de précision de cette note. Si celle-ci est insuffisamment précise, il y a un risque que la délibération de la commune et la modification subséquente du PLU soient attaquées sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement au motif que le niveau d’information délivré au public était insuffisant.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Il y a là un risque d’inconstitutionnalité.
Plus grave : si, pour des raisons de coût notamment, les communes – je pense en particulier aux plus petites d’entre elles – ne sont pas en mesure de produire une note et qu’elles laissent s’appliquer la majoration automatique, on se retrouvera devant une absence totale d’information du public.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. C’est vrai !
M. Thierry Repentin, rapporteur. La deuxième source d’insécurité concerne la cohérence interne des PLU. Trois cas paraissent problématiques.
Le premier est celui d’une commune dans laquelle, en l’absence de délibération, le nouveau dispositif s’appliquerait d’office. N’ayant pas fait l’objet d’une adaptation aux circonstances locales, la majoration des droits à construire peut tout à fait se heurter aux objectifs fondamentaux d’équilibre au sein d’un PLU. Or, il ne s’agit pas d’un cas de figure théorique, puisque l’on compte à ce jour plus de 17 300 PLU ou POS approuvés. Les maires concernés, particulièrement dans les plus petites communes, seront-ils bien informés de l’existence de la mesure et en situation de l’écarter ? Auront-ils les moyens financiers de mener une étude d’impact suffisante ? Je n’en suis pas sûr.
Le deuxième cas problématique est celui des PLU intercommunaux, auxquels vous êtes attaché, comme plusieurs d’entre nous, monsieur le ministre. Le texte prévoit, en effet – c’est une novation étonnante –, qu’une commune puisse appliquer la majoration alors que l’intercommunalité compétente en matière d’urbanisme aurait décidé de ne pas l’appliquer sur son territoire, ou inversement.
C’est là non seulement une remise en cause de la coopération intercommunale et une reprise – sans le dire – de la compétence d’élaborer des PLU, mais également une manière d’ouvrir la porte aux comportements opportunistes. Cela pourrait complètement déséquilibrer un PLU intercommunal.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Le troisième cas problématique est celui des PLU en cours d’élaboration ou de révision. Les communes ou leurs groupements devront-ils mettre en œuvre une procédure d’évaluation des effets du dispositif et consulter la population alors même qu’une enquête publique est en cours ou vient de s’achever dans le cadre de la procédure d’élaboration ou de révision du PLU ?
Enfin, il faut souligner qu’il existe des risques d’incohérence entre le PLU et le programme local de l’habitat, le PLH, voire le schéma de cohérence territoriale, le SCOT, surtout si une commune adopte – le texte que vous nous proposez le permet – une position opposée à celle de l’établissement public de coopération intercommunale, ou EPCI.
Compte tenu des nombreux défauts que je viens d’évoquer, vous comprendrez aisément que la commission de l’économie ait décidé hier de supprimer ce dispositif. Pour montrer qu’une autre voie est possible, elle lui a substitué une mesure plus ambitieuse, à savoir l’assouplissement des conditions de cession des immeubles du domaine privé de l’État pour y réaliser des logements. Cette disposition a été adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés en commission.
M. Roland Courteau. Mais oui !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Comme vous le savez, l’État peut actuellement céder ses terrains avec une décote de 25 %, qui peut être portée à 35 % dans les zones tendues.
M. Charles Revet. Ça, c’est une interprétation !
M. Thierry Repentin, rapporteur. La mesure adoptée hier, sur ma proposition, par la commission de l’économie, permettra à l’État d’être un acteur plus dynamique qu’il ne l’est aujourd'hui, puisqu’elle consiste à porter la décote potentielle à 100 %. Il ne s’agit pas d’une obligation, mais uniquement d’une possibilité. J’ajoute que la décote de 100 % ne concerne que la partie du programme en logement social, ce qui empêchera le détournement de la plus-value latente par des acteurs privés ou publics.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Plusieurs raisons justifient le choix de cette mesure.
En premier lieu, c’est une mesure simple et rapide. Nul besoin de demander aux 17 300 communes dotées d’un PLU ou d’un plan d’occupation des sols, un POS, de délibérer. Nul besoin de modifier des documents d’urbanisme complexes, au risque de provoquer un contentieux abondant.
En deuxième lieu, c’est une mesure qui souligne clairement la différence de philosophie – elle existe – entre l’opposition et la majorité gouvernementale sur la question du logement. Le Gouvernement explique l’insuffisance de l’offre de logements par des réglementations locales malthusiennes. À partir de ce diagnostic, il avance une solution très libérale : s’affranchir des règles de constructibilité pour « libérer » les droits à construire ; moins d’État, moins de règles et, miraculeusement, les choses iraient mieux !
La mesure que nous proposons traduit une autre vision de l’État : un État qui s’engage, qui n’est pas là pour tout faire, certes, mais qui répond présent pour impulser, donner l’exemple et accomplir sa part du travail. En effet, l’État ne peut pas, d’un côté, constater le manque de foncier pour construire du logement, et, de l’autre, se contenter de se tourner vers les communes en les mettant en demeure d’appliquer strictement la proposition du Gouvernement.
C’est dans ce cadre, monsieur le ministre, que s’ouvre le débat sur ce projet de loi. J’espère que la Haute Assemblée, dans sa sagesse, légendaire mais bien réelle, adoptera le texte issu des travaux de la commission de l'économie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme elle le fait pour tous les textes relatifs au droit de l’urbanisme dont l’examen au fond revient à la commission de l’économie, la commission des lois s’est saisie pour avis de ce projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.
Si le constat d’une pénurie de logements en France est amplement partagé, la réponse de circonstance que le Gouvernement souhaite apporter à ce problème n’est pas à la hauteur des enjeux.
Force est de constater que, lors de toutes les auditions auxquelles Thierry Repentin et votre serviteur ont procédé, les acteurs du secteur de la construction et de l’urbanisme ont fait preuve d’un véritable scepticisme, et même, pour certains d’entre eux, ont exprimé leur rejet de la proposition du Gouvernement. Quant aux élus locaux et leurs associations, ils n’ont pas été consultés avant l’annonce du chef de l’État ; autant dire que les élus du terrain ne souhaitent pas la mise en œuvre de cette réforme à l’élaboration de laquelle le Gouvernement ne les a pas associés. Tous ont souligné, lors des auditions, l’absence de concertation préalable, le caractère improvisé de la mesure et, surtout, sa déconnexion des réalités locales.
La mesure principale du projet de loi est la majoration de 30 % des droits à construire résultant des règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou de coefficient d’occupation des sols, fixés par les PLU.
Cette hausse généralisée des droits à construire prend deux voies. D’une part, le projet de loi prévoit une modification de l’actuel article L. 123-1-11 du code de l’urbanisme, qui a été introduit – cela vient d’être rappelé – par la loi MOLLE de 2009 et qui permet déjà aux autorités locales de décider une majoration pouvant aller jusqu’à 20 % ; ce taux maximal serait porté à 30 %. D'autre part, le projet de loi prévoit d’insérer un nouvel article L. 1231-11-1 dans le même code, qui imposerait une majoration automatique de 30 % des droits à construire sur l’ensemble du territoire national pendant trois ans, sauf délibération contraire de l’autorité locale compétente, commune ou EPCI. Ces deux majorations ne pourraient pas se cumuler puisque, en tout état de cause, l’ensemble des majorations existantes et à venir resteraient limitées à un plafond de 50 %.
Pour respecter la Charte de l’environnement de 2004, et plus précisément son article 7, qui dispose que la population a le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, le projet de loi prévoit une consultation du public, qui consistera essentiellement à recueillir les observations de la population pendant un mois.
Lors de l’examen en commission de ce texte à l’Assemblée nationale, les députés, qui ont bien perçu le coût important que cette procédure risque d’entraîner pour les collectivités territoriales, ont remplacé l’obligation de réaliser une étude d’impact par celle de rédiger une simple note d’information.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement visant à lever une autre ambiguïté rédactionnelle. En effet, dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait que l’assemblée délibérante statuerait « au vu des résultats » de la consultation du public, ce qui pouvait laisser penser que l’organe délibérant devait se conformer à l’avis de la population. Il est désormais précisé que l’organe délibérant se prononcera « à l’issue » de la consultation.
Vous l’aurez compris, la commission des lois ne partage pas l’enthousiasme du Gouvernement quant à l’utilité de ce projet de loi. La situation du logement est pourtant préoccupante : selon la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont sans logement ou mal-logées en France, soit plus de 5 % de nos concitoyens !
On estime que, pour faire face à cette pénurie, il faudrait construire 400 000 à 500 000 logements par an pendant dix ans.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Je vais tenter de vous montrer que les deux postulats qui sous-tendent ce projet de loi sont erronés et que ce texte est même contraire aux objectifs visés par le Gouvernement.
Le premier postulat, chacun l’a en tête, est que la contrainte réglementaire que font peser les PLU limiterait l’offre privée de logements. Le Gouvernement espère donc que la majoration des droits à construire peut libérer un potentiel inexploité, cette mesure ayant en outre l’avantage de n’entraîner aucune dépense supplémentaire pour l’État.
Qui plus est, selon le Gouvernement – M. le ministre l’a confirmé lors de son audition –, l’impact inflationniste de cette mesure sur les prix du foncier serait compensé par l’augmentation du nombre de logements construits, si bien que les prix de vente des logements demeureraient inchangés. Le Gouvernement a même évoqué un effet modérateur sur l’évolution des prix.
Nous estimons que ce raisonnement est biaisé : même en admettant qu’aucun acteur de la chaîne ne conservera la plus-value acquise, ce qui serait étonnant, rien ne permet d’espérer que s’enclenchera un tel mécanisme vertueux, la majoration n’étant assortie d’aucune condition.
Nous risquons d’assister au contraire à une augmentation du prix des logements, non seulement parce que le foncier conserve, notamment en Île-de-France, un poids déterminant dans le prix des habitations, mais aussi, comme l’a souligné Thierry Repentin, parce que plus les constructions sont denses, plus le coût de la construction augmente de façon exponentielle. C’est donc assez inexactement que l’étude d’impact jointe au projet de loi cite, parmi les effets attendus de la majoration, une « modération des prix du foncier ».
Je tiens également à souligner, monsieur le ministre, que le nombre de logements – l’ensemble des associations de constructeurs nous l’ont dit – est limité bien moins par les PLU que par le pouvoir d’achat des ménages. La prétendue – car je la nie – saturation des droits à construire qui briderait le marché de la construction ne se rencontre que rarement ; en revanche, le décalage de plus en plus évident entre la stagnation des revenus et la flambée des prix immobiliers constitue le quotidien de beaucoup de territoires et de nombreux ménages.
Le second postulat, tout aussi discutable, sur lequel repose le projet de loi, est que le problème du logement appellerait une solution unique sur l’ensemble du territoire national, qui devrait venir d’en haut et être imposée aux collectivités territoriales et à leurs groupements.
Mes chers collègues, votre commission des lois étant attachée à l’autonomie locale et à la préservation de l’esprit de la décentralisation, elle ne peut admettre un tel postulat.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Je rappelle que les règles d’urbanisme contenues dans les PLU constituent l’expression d’un équilibre politique au niveau communal ou intercommunal et, surtout, sont le résultat d’un travail de contextualisation d’un projet urbain à l’échelle locale, qui permet d’adapter la densité aux besoins de la population et aux contraintes de la collectivité. Pourquoi remettre autoritairement en cause ce travail de longue haleine ?
De fait, c’est bien le caractère autoritaire du dispositif qui le distingue des mécanismes de majoration des droits à construire préexistants. Ceux-ci, au nombre de trois, sont exempts d’autoritarisme, puisqu’ils relèvent des autorités locales ; ils sont modulables, pour tenir compte du contexte urbain ; enfin, ils sont assortis d’un minimum de conditions d’intérêt général – je pense notamment à la construction de logements sociaux ou à la performance énergétique des logements.
Autre désavantage pour les élus locaux : le projet de loi constitue – ce point a été relevé par toutes les commissions – un véritable nid à contentieux. Fort habilement – qui peut en douter ? –, M. le ministre affirme que la note d’information pourra aisément être rédigée par les services municipaux ou intercommunaux, et que, de toute manière, elle ne pourra pas être directement attaquée en justice puisqu’elle ne fait pas grief. En réalité, si la note d’information ne sera effectivement pas attaquée, la délibération prise au vu de ce document le sera, et les insuffisances de la note pourront alors conduire à l’annulation de la procédure.
Je voudrais vraiment mettre les choses au clair. Le Gouvernement prétend que cette note d’information pourra être courte et ne consister qu’en une simple et rapide évaluation des conséquences de la majoration de 30 % pour la réalisation des objectifs des documents locaux d’urbanisme.
Cependant, ces objectifs, énumérés à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, sont si nombreux que, dans la dernière édition de ce code, ils occupent une page entière. L’obligation de présenter une note d’information emporte donc un risque réel de contentieux, les délibérations de l’assemblée locale pouvant faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
M. Pierre Jarlier. Bien sûr !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. En tout état de cause, les collectivités territoriales doivent s’attendre à des coûts supplémentaires, puisqu’elles seront obligées, pour se prémunir contre le risque de contentieux, de recourir à des bureaux d’études.
M. Pierre Jarlier. En effet.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Dans un second temps de mon intervention, je voudrais montrer que ce texte est également en contradiction avec les objectifs affichés par le Gouvernement.
Il va tout d’abord à l’encontre – c’est un constat, même si je ne pense pas que ce soit prémédité – de la volonté de démocratiser et de faciliter l’accès au logement pour les plus démunis.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Je vais vous l’expliquer, monsieur le ministre.
Aujourd’hui, le code de l’urbanisme permet la majoration des droits à construire pour le logement social et les logements à haute performance énergétique, en vertu des dispositions résultant de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, ou loi MOLLE. Mais cela ne sera plus possible.
Si, par extraordinaire, le nouveau système que vous proposez était adopté, on pourrait atteindre le plafond de 50 % sans avoir de logements sociaux, simplement en cumulant la majoration inconditionnelle de 30 % que vous établissez de manière non modulable et la majoration pour logements à haute performance énergétique. Cela risque d’aller à l’encontre de la priorité donnée aux logements sociaux ou très sociaux, dont la production est insuffisante en France, comme le dénonçait encore récemment la Fondation Abbé Pierre.
La première contradiction est donc un effet d’éviction, voulu ou non – personnellement, je présume l’innocence –, du logement social. Et le risque est ici réel.
La deuxième contradiction a déjà été évoquée, mais j’y reviendrai. La loi dite « Grenelle II » a tout de même constitué un progrès et, quoi qu’on en dise, elle a permis de mettre en place le seul échelon cohérent pour construire un projet urbain à échelle intercommunale, dont la traduction est le plan local d’urbanisme, avec une compétence relevant des communes et une possibilité de délégation – c’est vrai dans les grandes agglomérations – à un établissement public de coopération intercommunale.
Or, pour la première fois, en contradiction avec les principes de la décentralisation territoriale, une compétence déléguée, en l’occurrence la mise en œuvre de la planification urbaine, les plans locaux d’urbanisme, peut être démentie par une sorte de droit de veto exercé par une commune membre de l’EPCI.
Je vais vous raconter une anecdote à ce propos. Quand j’ai expliqué cela, les grands sages de la commission des lois, tels que M. Hyest ou d’autres, m’ont d’abord dit que ce n’était pas vrai. Toutefois, la lecture à haute voix de l’article correspondant l’a confirmé : ce texte porte en germe une contradiction assez frontale, susceptible de démanteler les cohérences territoriales des plans locaux d’urbanisme ou des programmes locaux de l’habitat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument, il en démantèle toutes les logiques !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Sur ce point, votre commission s’est montrée très critique.
Enfin, monsieur le ministre, par rapport aux majorations des droits à construire qui préexistaient, que n’avez-vous profité de ce texte pour assortir la majoration d’un certain nombre de conditions d’intérêt général ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. On ne les voit pas !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. J’attire votre attention sur deux risques.
À supposer que la majoration de 30 % soit généralisée, on ne trouve pas, dans le texte, un mot sur les conséquences de cette mesure sur le financement des équipements,...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Eh voilà !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. ... des voiries, des réseaux divers, pas un mot non plus sur les conditions nécessairement changées de la maîtrise foncière ou, si vous préférez, sur les conditions d’exercice du droit de préemption urbain.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est parce que c’est un texte improvisé !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Vous constaterez nécessairement une majoration automatique ! C’est déjà le cas dans la métropole lilloise, où les propriétaires se disent que, d’un coup d’un seul, tout va être majoré de 30 %. Ensuite, la collectivité locale qui voudra exercer le droit de préemption urbain dans un objectif d’intérêt général devra grimper aux rideaux...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. ... et suivre le propriétaire dans ses velléités de vendre son bien à une valeur « de constructibilité future ».
En effet, dans le texte que nous examinons ce soir, à aucun moment il n’est prévu une condition d’intérêt général à la majoration des droits à construire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Monsieur le ministre, on a bien vu dans quelles conditions vous avez dû, avec le talent qui vous caractérise, reprendre l’annonce du Président de la République.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Quoi qu’il en soit, je vois pour ma part dans ce texte le cheval de Troie d’une réaction de méfiance, de recentralisation, d’urbanisme jacobin, au détriment de tous les acquis de la décentralisation en matière territoriale et d’un urbanisme de projet ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland Courteau. Très bien dit !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Charles Guené.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la majoration des droits à construire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire ne saurait constituer à nos yeux une déclaration recevable d’achèvement des travaux de la session législative. (Sourires.)
S’il est un sujet sensible pour les collectivités locales du bloc communal, c’est bien celui de l’urbanisme, du droit des sols, des permis de construire.
Comment le Gouvernement peut-il justifier l’absence de toute réelle concertation avec les associations d’élus locaux, lesquelles ont d’ailleurs clairement fait savoir, en l’état, leur opposition à ce projet de loi ?
M. Jacques Mézard. Ce projet de loi est la dernière cerise sur le gâteau indigeste des textes pré-élection présidentielle. Il constitue très clairement une mauvaise réponse à un véritable problème, celui du logement en France.
Certes, il n’est jamais trop tard pour bien faire !
M. Martial Bourquin. Il n’est jamais trop tard pour ne rien faire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mézard. Toutefois, après les cinq années nécessaires pour parvenir à ce diagnostic tardif, nous étions au moins en droit d’espérer un projet permettant d’apporter un réel progrès sur le dossier du logement. Tel n’est pas le cas.
Il est vrai qu’il est plus facile de déposer un projet de loi visant à majorer les droits à construire que de faire appliquer par les communes réfractaires les dispositions de la loi SRU concernant le pourcentage de logements sociaux.
Le vrai problème, c’est la situation des 3,6 millions de personnes non ou mal logées. Ainsi 600 000 Français sont-ils privés de domicile personnel, plus de 2,5 millions de nos concitoyens vivent dans des logements inconfortables ou surpeuplés, plus de 1,2 million de locataires se trouvent en situation d’impayés de loyers et nombre de propriétaires occupent un logement dans une copropriété en difficulté. En outre, 3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique.
Élus locaux, nous savons tous cela. Il n’est pas une agglomération où la question de la demande de logement social ne se pose pas, y compris, monsieur le ministre, dans les zones que vous avez qualifiées de « détendues ».
Les dix dernières années ont été caractérisées par une flambée des prix et des loyers. Les prix d’acquisition des logements anciens ont plus que doublé, voire triplé, dans certaines communes. Le niveau des loyers moyens dans le parc privé a, pour sa part, progressé de 50 %. Le taux d’effort des ménages en locatif après déduction de l’APL, l’aide personnalisée au logement, frôle les 50 % dans le parc privé et dépasse les 25 % dans le parc social.
Constatons aussi que, dans le domaine de l’accession à la propriété, la rareté du foncier, des taux d’intérêt faibles et une fiscalité de niches ont alimenté la demande.
Comme l’emploi, la santé et l’éducation, le logement constitue une préoccupation fondamentale et légitime de nos concitoyens. Ce que l’on peut qualifier de grande cause nationale mérite mieux que ce projet de loi tardif révélant surtout, de notre point de vue, l’échec d’une politique.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes de février 2012, dont je vous recommande la lecture, mes chers collègues – mais je sais que vous êtes nombreux à l’avoir lu ! –, est on ne peut plus clair. Concernant le financement du logement social, il y est relevé que « le contexte des finances publiques a conduit en 2011 et pour 2012 à prévoir une sensible réduction de cet effort budgétaire. »
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est un euphémisme !
M. Jacques Mézard. Par ailleurs, la Cour des comptes fustige la politique menée en faveur du recentrage des priorités en matière de logement social, considérant que celle-ci a été « conduite de manière paradoxale, par référence non au zonage conçu spécifiquement pour les logements sociaux, mais à une cartographie du territoire dessinée pour les aides à l’investissement locatif privé ».
Elle ajoute : « La politique de concentration des financements sur les zones les plus tendues, mise en œuvre de façon effective depuis 2010, s’appuie ainsi sur des instruments inadaptés, parfois même contre-productifs, et ses résultats sont, à ce jour, modestes. »
Au lieu de tirer la substantifique moelle de ce rapport de la Cour des comptes, vous avez préféré rebondir avec ce projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.
Monsieur le ministre, comment oublier que vous avez mis en place une mesure conduisant à ponctionner financièrement nombre d’organismes HLM publics et privés, ce qui met en péril leur capacité d’autofinancement, donc de construction de logements sociaux.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et de rénovation !
M. Jacques Mézard. Dans le département dont je suis l’élu, deux organismes – l’un est public, l’autre est une société anonyme –, sont ainsi ponctionnés de 2 millions d’euros. Et je vois là-haut, sur les travées de l’UMP, un autre responsable de cette situation ! (Sourires.)
M. Philippe Dallier. Elle est bien bonne celle-là !
M. Jacques Mézard. Ce projet de loi témoigne tout d’abord d’un profond mépris pour les collectivités locales, qui, pour la plupart d’entre elles, définissent leurs orientations en matière d’urbanisme et de logement par les POS, les PLU, les PLH, et les SCOT.
Non seulement vous passez outre leurs orientations et paraissez oublier qu’il existe déjà des dispositifs de majoration des droits à construire, mais, alors même que vous prônez à juste titre la simplification du droit et l’allégement des normes, vous infligez à nos collectivités la charge d’une nouvelle usine à gaz par l’obligation, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, de mettre à la disposition du public une note d’information présentant les conséquences de l’application de la majoration de 30 % des droits à construire, avec note de synthèse sur les observations, publication dans les conditions prévues en ce qui concerne la modification des règles d’urbanisme et présentation à l’organe délibérant.
C’est la simplification par la complexification et la multiplication des recours préservant les intérêts particuliers, sans parler des chantages au recours, déjà observés dans certaines de nos métropoles, alors même que nous avons tous, y compris, très certainement, le Gouvernement, la volonté de mettre fin à de telles pratiques !
Comment, d’autre part, imaginer qu’une telle augmentation, aussi soudaine, de 30 % des droits à construire n’aurait pas d’effet sur la valeur du foncier, en particulier dans les zones où le terrain nu est déjà très cher, trop cher ?
L’effet de hausse du foncier sera inéluctable. En la matière, seule la fiscalité foncière peut accélérer la mise sur le marché de terrains constructibles.
M. Jacques Mézard. C’est aussi parfois le cas du recours à l’expropriation, pour laquelle, depuis fort longtemps, l’utilisation obligatoire en parallèle d’une procédure administrative pour obtenir la DUP, la déclaration d’utilité publique, et d’une procédure judiciaire pour obtenir l’ordonnance d’expropriation valant transfert de propriété ainsi que, le cas échéant, le jugement sur le prix constituent des mécanismes lents et complexes qui mériteraient d’être simplifiés. À tout le moins, le recours à la procédure d’urgence devrait être facilité. (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.)
Comment, par ailleurs, ne pas rester perplexe devant une mécanique s’imposant, sauf délibération contraire, à une grande partie de nos collectivités, alors que vous-même, monsieur le ministre, avez signalé les distorsions considérables qui existent entre les territoires ?
Comment oublier aussi que chaque permis de construire est délivré sans préjudice des droits des tiers, et que, ainsi, sur le bâti existant, cette augmentation aveugle de droits à construire risque de se faire souvent en contradiction absolue non seulement avec les règlements de lotissement et de copropriété horizontale et verticale, mais aussi, et surtout, avec les servitudes de droit privé découlant de l’application stricte du code civil ?
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Très juste !
M. Jacques Mézard. Je note que vous avez heureusement exclu du dispositif les zones exposées au bruit et les secteurs sauvegardés.
Vous n’avez pas prévu de modifier les règles édictées par l’une des servitudes d’utilité publique prévues à l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme, alors que, dans certains cas – je pense, par exemple, aux ZPPAUP, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager –, il serait opportun de pouvoir modifier ces dispositifs beaucoup plus facilement et rapidement.
Monsieur le ministre, comment concevez-vous l’intercommunalité, comment avoir une vision prospective du territoire lorsque le III de l’article unique du projet de loi initial dispose que « les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peuvent décider d’appliquer [la majoration de droits à construire], nonobstant toute délibération contraire de l’établissement public, ou d’écarter cette application » ?
Par cette mesure, vous introduisez volontairement des éléments de conflit dans la gestion intercommunale. C’est, une fois de plus, une illustration de votre politique de rupture.
Alors que, globalement, un consensus existe sur la nécessité d’aller, en matière d’urbanisme et de logement, vers la densification, du niveau des métropoles à celui des bourgs centres de nos communes rurales, pour permettre, en particulier, une meilleure gestion du développement durable et des services au public, en matière d’eau, d’assainissement, de déchets, de politique des transports, d’énergie, votre projet ne résout rien, bien au contraire.
Oui, ce que nous attendons, c’est un engagement fort de l’État pour faire du logement une priorité, avec un accroissement fort du budget des aides à la pierre, l’augmentation du plafond du livret A, les incitations, y compris par les pénalités, en direction des communes qui renâclent à développer le logement social.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jacques Mézard. Le chantier du logement, celui des économies d’énergie dans les logements, c’est cumuler les avantages d’une politique sociale et d’une politique économique.
Mes chers collègues, d’ici à une quinzaine d’années, la population de la France devrait avoir augmenté d’environ 10 %. C’est une chance ; c’est aussi un devoir pour nous tous de faire face, par des mesures fortes, prospectives et innovantes, à cet enjeu. À cet égard, la proposition de notre collègue Thierry Repentin va dans ce sens.
Votre texte, monsieur le ministre, ne répond pas à ces enjeux. C’est pour cette raison que, très majoritairement, notre groupe le rejettera et votera celui qu’a élaboré la commission. (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique menée depuis bientôt cinq ans par le Gouvernement a permis de produire plus de logements locatifs privés, plus de logements sociaux, et de faciliter l’accession à la propriété.
Mme Élisabeth Lamure. Si la crise financière a eu des conséquences sur le secteur de la construction, aucun pays n’a mieux résisté que la France en matière de production de logements, notamment grâce au plan de relance, qui a permis de soutenir ce secteur.
Le Gouvernement a déposé un projet de loi qui s’inscrit dans le cadre de la politique menée depuis 2007, avec, successivement, la loi de cohésion sociale, la loi portant engagement national pour le logement, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion et le volet urbanisme de la loi Grenelle II portant engagement national pour l’environnement, auxquelles s’ajoutent l’ensemble des mesures fiscales adoptées en lois de finances.
Ce texte traduit une volonté forte, affirmée par le Président de la République, celle de relancer encore davantage la construction de logements.
La crise du logement étant une crise de l’offre, c’est du côté de cette dernière que le Gouvernement souhaite agir, en augmentant les possibilités de construire sur un terrain donné. Il s’agit donc de renforcer les possibilités de « construire plus », pour « habiter mieux ».
Le dispositif du texte présenté par le Gouvernement s’adresse aux communes couvertes par un PLU ou par un POS ; les autres ne sont pas concernées, puisqu’elles ont déjà la faculté d’appliquer la densification qu’elles souhaitent, avec le taux qu’elles décident.
Ce sont aujourd’hui environ 17 000 communes qui sont concernées par ce projet de loi, dont l’article unique porte à 30 % la majoration des règles de constructibilité, cela pour une durée de trois ans, sauf délibération contraire de la collectivité. Celle-ci peut d’ailleurs revenir à tout moment sur son choix initial, soit pour écarter l’application de la majoration, soit pour l’introduire. Le principe de libre administration des collectivités locales est donc totalement respecté.
Il est bien entendu que la majoration ne sera applicable que dans les zones constructibles, où les autorisations d’urbanisme devront toujours être sollicitées et seront délivrées selon les mêmes règles.
Elle ne sera donc pas applicable dans les zones agricoles, ni dans les zones naturelles, ni dans les secteurs sauvegardés, ni sur les territoires couverts par un plan de prévention des risques ou un plan d’exposition au bruit.
Cette mesure est particulièrement intéressante, puisqu’elle s’adresse aussi bien au particulier qui souhaite agrandir sa maison qu’à la collectivité qui développe un programme de logements sur son territoire ou au professionnel de l’immobilier.
Elle donne également aux copropriétaires qui le souhaitent la possibilité de surélever leur immeuble ou de le réhabiliter avec une augmentation des surfaces permettant la création de logements supplémentaires.
La majoration de constructibilité est susceptible de se traduire pour les maisons individuelles par l’ajout de surfaces, qui peuvent être une réponse aux besoins de familles recomposées plus nombreuses, ou permettre la création de petits logements indépendants accueillant une personne âgée ou un jeune actif.
Elle peut également permettre, après une division de terrain, la construction d’un nouveau logement.
Cette mesure devrait donc aider non seulement à augmenter le nombre de logements offerts, mais aussi à diversifier l’offre, entre neuf et ancien, petits et grands logements, logements pour personnes âgées ou pour jeunes actifs ou étudiants.
De son côté, l’État montre l’exemple, puisqu’il s’est engagé à libérer, entre 2012 et 2016, 1 500 hectares de terrains qu’il détient, dont 880 hectares en Île-de-France, afin de dynamiser la construction.
Par ailleurs, le recours proposé aux baux emphytéotiques de longue durée est également très positif.
L’architecture générale du projet de loi est de bon sens, puisqu’il s’agit d’augmenter l’offre de logements sans augmenter la dépense publique, de densifier les constructions sur le territoire et de favoriser un mécanisme moins consommateur d’espace, permettant ainsi de limiter les déplacements et de rentabiliser les équipements existants.
Il s’agit aussi de favoriser les économies d’échelle, en permettant par exemple la transformation de bureaux en logements, de manière à améliorer l’équilibre financier des opérations de réhabilitation.
De plus, ce texte permet de répondre à l’évolution de notre société, dans laquelle l’accroissement des familles recomposées est notoire, tandis que les besoins d’adaptation des logements pour le maintien des personnes âgées ou handicapées à domicile sont, eux aussi, grandissants.
L’objectif de la mesure est bien d’accroître l’offre de logements tout en permettant une meilleure utilisation de l’espace, en densifiant la ville et en prévenant l’étalement urbain.
On ne peut pas, en effet, d’un côté, s’alarmer de la disparition tous les sept ans environ de l’équivalent d’un département en espace agricole, et, de l’autre, refuser la densification. Il y aurait une certaine incohérence dans tout cela.
Une autre conséquence de la mise en place de cette mesure est la relance de la construction, parce que le bâtiment est un secteur essentiel à la croissance et représente, sur l’ensemble de la chaîne, 2,4 millions d’emplois, dont 1,5 million pour le seul BTP. Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, chaque nouveau logement représente 1,5 emploi.
Cette disposition va donc profiter au secteur du BTP et, en amont, aux architectes, qui se verront confier de nouvelles opérations, lesquelles n’étaient pas nécessairement programmées dans leurs carnets de commandes.
Il y a, par ailleurs, un point qui me tient à cœur et que je souhaite aborder, monsieur le ministre, car il constitue un frein considérable à la construction de logements : il s’agit des recours, plus particulièrement des recours abusifs. J’ai d’ailleurs cosigné avec mon collègue Daniel Dubois un amendement à ce sujet.
En effet, il n’est pas une opération de zone d’aménagement concerté, une opération de lotissement ou même de simples permis de construire qui ne fassent l’objet d’un ou de plusieurs recours, généralement infondés, venant soit d’un voisin, soit d’un groupe de riverains, soit encore d’associations ayant un intérêt masqué. C’est ainsi que les constructions sont fortement retardées, au minimum de plusieurs mois, voire bloquées ou abandonnées.
S’ajoute souvent, dans les opérations d’aménagement, le délai de procédure de la déclaration d’utilité publique : sa durée minimum d’un an peut geler un projet souvent pour une seule parcelle dont le propriétaire fait de la résistance, laquelle bloque l’ensemble du périmètre d’opération, sauf à pouvoir commencer une première tranche où le foncier est maîtrisé avant de disposer de l’arrêté préfectoral de DUP, ce qui ne semble pas être autorisé. Peut-être pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur ce point ?
Enfin, si ce texte n’est pas le bon vecteur pour traiter des recours et des délais qui freinent les constructions de logements, quelles possibilités entrevoyez-vous pour qu’un commencement de solution soit apporté ? J’ai pris note qu’un décret devrait être prochainement publié ; c’est peut-être un début.
Enfin, et pour en revenir à la version initiale du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire, texte simple et pragmatique, compte tenu des garde-fous mis en place avec le dispositif, mes collègues du groupe UMP et moi-même souhaitions y apporter notre soutien.
Or le rapporteur de la commission lui a trouvé tous les défauts possibles…
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Et même d’autres encore ! (Sourires.)
Mme Élisabeth Lamure. … et a décidé, purement et simplement, de le rejeter et de le remplacer par un nouveau dispositif permettant à l’État de céder ses terrains et ses immeubles, avec une décote de 100 % de la valeur vénale pour la construction de logements sociaux.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Et pouvant atteindre 100 % de la valeur vénale de l’immeuble !
Mme Élisabeth Lamure. Le texte initial prévoyait pourtant cette possibilité de mise à disposition de terrains de l’État pour favoriser la construction de logements. De plus, celle-ci est déjà effective depuis quatre ans. Dans le cadre du programme 2008-2012, près de 55 000 logements auront été mis en chantier sur des terrains publics en cinq ans, malgré la crise majeure qui a frappé le secteur de l’immobilier.
L’État a donc déjà la possibilité de céder ses terrains à une valeur inférieure à leur valeur vénale. La décote peut aller jusqu’à 25 % pour faire du logement social, et même 35 % en zone tendue. Ce mécanisme fonctionne et permet le financement équilibré des opérations de logements sociaux.
Votre dispositif, monsieur le rapporteur, n’apporte donc pas grand-chose de nouveau et, surtout, il ne prévoit aucune incitation à utiliser les droits à construire pour les collectivités locales, ce qui est tout à fait regrettable, dans le contexte actuel, pour le logement social, pour les particuliers comme pour le secteur de la construction.
Mme Élisabeth Lamure. Il s’agit, en fait, d’un véritable hold-up sur le projet de loi initial…
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Rien que ça ! C’est un scoop !
Mme Élisabeth Lamure. … destiné à le remplacer par une bien fade proposition, que le groupe UMP ne votera pas.
En revanche, nous soutiendrons l’amendement du Gouvernement visant à revenir au dispositif initial. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de rappeler les propos tout à fait stupéfiants par lesquels a été annoncé le texte que nous examinons ce soir : « Nous avons décidé […] que tout terrain, toute maison, tout immeuble verra ses possibilités de construction augmenter de 30 %. […] Cela va donner un travail formidable à toute l’industrie du bâtiment. Deuxièmement, cela va augmenter considérablement le nombre de logements, donc cela fera pression sur les prix. Et enfin, les prix de l’immobilier à l’achat, à la vente, et les prix à la location vont pouvoir baisser. »
Tels étaient les propos que le Président de la République tenait voilà juste un mois. Je suppose, monsieur le ministre, que pour rattraper ce coup-là, vous avez dû vous raccrocher aux branches !
Je sais que vous avez participé au Grenelle de l’environnement, dont j’aurais sans doute partagé les conclusions si elles avaient été adaptées et véritablement mises en œuvre. D'ailleurs, le temps qui a été perdu ne l’a, en fait, pas vraiment été, car, dans un futur proche, nous pourrons travailler dans la perspective d’une véritable réforme de l’urbanisme et du logement.
La déclaration du Président de la République, au début de la campagne du candidat Nicolas Sarkozy, sonne comme un constat d’échec. J’ai pensé qu’il s’était demandé ce qu’il devait dire durant cette campagne et qu’il avait décidé de faire une annonce : d’un coup de baguette magique, avec un chiffre – 30 % –, il allait résoudre tous les problèmes ! Or ce n’est pas tenable, et vous le savez, monsieur le ministre.
Le droit à l’urbanisme se fonde sur un équilibre précaire entre plusieurs intérêts antagonistes que la majoration de 30 % des droits à construire fragiliserait durablement. Cette mesure ne serait certes applicable que pour une période transitoire de trois ans, ce qui est étrange d'ailleurs, mais une fois l’équilibre cassé, les effets seraient irrémédiables !
Cette mesure, proposée par le Gouvernement et supprimée par la commission, ne peut que nous frapper par sa brutalité. Elle n’a en effet été précédée d’aucune concertation, ni avec les professionnels, ni avec les populations, ni, surtout, avec les élus des collectivités territoriales pourtant directement concernés.
Cette mesure est par ailleurs inutile et dangereuse, pour plusieurs raisons.
Premièrement, son impact serait faible. Dans les secteurs qu’il serait nécessaire de densifier, à savoir la plus grande partie du tissu pavillonnaire sur le modèle duquel les villes se sont développées au cours des dernières décennies, les droits à construire sont de l’ordre d’un coefficient d’occupation des sols de 0,3.
M. Philippe Dallier. Cela dépend où !
M. Joël Labbé. Il s’agit d’une moyenne nationale, mon cher collègue. Augmenter les possibilités d’un tiers ne changera pas grand-chose et, en tout état de cause, ne permettra pas la création d’un nombre suffisant de logements.
Il est des secteurs pavillonnaires sur lesquels il serait très facile de construire deux maisons sur un terrain aujourd’hui alloué à une seule maison.
Deuxièmement, cette majoration des droits à construire serait pernicieuse de par son caractère systématique.
La mesure valoriserait les secteurs où les droits à construire sont élevés. On ferait le bonheur de quelques opérateurs sur certains aménagements ponctuels, lorsque le terrain est déjà acheté sur la base des prix actuels et le permis pas encore déposé. Et le marché, comme à son habitude, s’adapterait, avec une augmentation des prix du foncier sur lesquels on a déjà une forte valorisation des droits à construire. Il s’agit donc bien d’une mesure qui provoquerait une spéculation foncière accrue.
Monsieur le ministre, vous l’avez d’ailleurs reconnu voilà quelques jours devant l’Assemblée nationale, en affirmant qu’une hausse de 30 % ne serait finalement pas si grave car, dans la mesure où elle prévaudrait dans toutes les zones tendues, la situation tendrait à s’équilibrer.
Par ailleurs, il deviendra plus difficile de faire aboutir des projets de logement social, mais aussi des projets immobiliers privés soucieux de construire des logements pour un prix abordable.
M. Joël Labbé. Je vous répondrai tout à l’heure, si vous me reposez votre question, monsieur le ministre.
Troisièmement, cette mesure fait abstraction de la notion de paysage urbain dense et de qualité.
La densification a déjà mauvaise presse. Or il convient de produire des espaces denses de qualité si l’on souhaite réhabiliter cette idée. Car oui, la densification est une réponse dans la lutte contre le phénomène d’étalement urbain, très consommateur d’espaces, agricoles notamment. Mais celle-ci ne doit pas se faire partout de manière uniforme, sans discernement ni concertation. Certains secteurs, reconnaissons-le, souffrent déjà de surdensité.
Une densité de qualité se construit sur la base d’un projet partagé et doit prendre en compte le contexte et l’existant. C’est bien tout le rôle des documents d’urbanisme et en particulier des orientations d’aménagement et de programmation. Cette mesure vient perturber ces travaux de fond, qui sont du ressort des élus locaux.
Monsieur le ministre, vous vous vantez que votre dispositif n’aurait pas d’incidence sur les finances publiques. C’est faux, car, de fait, ce que l’on appelle le document préalable, ou tout autre document qui n’est plus une étude d’impact, aura un coût réel pour les communes, notamment pour les plus petites d’entre elles, dépourvues de services administratifs.
Le mécanisme de mise en œuvre de la mesure est par ailleurs inadapté. Le délai qu’il instaure vient s’ajouter à ceux qui sont en cours dans les procédures d’élaboration ou de révision des PLU – je le sais d’autant mieux que le PLU de la commune dont je suis le maire est en cours de révision –, alors que l’on manque déjà de moyens pour les faire adopter dans de bonnes conditions.
Le risque est de produire, sans réelle concertation, des documents toujours plus techniques. Or la faible participation des citoyens aux enquêtes publiques est déjà la preuve d’un manque de concertation et de pédagogie, laquelle est pourtant bien nécessaire. Les populations sont à même d’admettre la densification à condition d’être consultées et écoutées.
J’en viens à l’essentiel de notre discussion, à savoir son enjeu. Aujourd’hui, on recense 3,6 millions de personnes mal logées, dont 600 000 enfants ; par ailleurs, 5 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement. Vous le savez, monsieur le ministre, vous en êtes conscient, tout comme nous : il s’agit là d’un enjeu majeur.
Aujourd’hui, il manque près de 900 000 logements. La mesure que vous nous proposez est une sorte de trompe-l’œil qui ne permettra pas, vous le savez, de réduire ce déficit.
Il convient, c’est entendu, de construire 400 000 à 500 000 logements par an. La réalisation d’un tel objectif doit s’appuyer notamment sur une véritable stratégie foncière.
En France, ce n’est pas parce qu’un terrain est déclaré constructible qu’il sera construit. Si l’on observe la situation de certains pays voisins, les Pays-Bas ou la Suède en particulier, on constate que, là-bas, c’est la collectivité qui achète les terrains ouverts à l’urbanisation, qui les aménage, crée les équipements, puis les revend à des prix différenciés selon l’usage.
La législation française nous permet de faire de même. Dans la commune dont je suis le maire, qui compte 3 800 habitants répartis sur 2 500 hectares, aujourd’hui, nous avons sous le coude tous les terrains qui seront urbanisables à l’avenir. Nous ne menons plus que des opérations publiques d’aménagement.
Cette situation résulte d’une politique volontariste, parce que je considère aussi la commune comme un laboratoire. Les opérations d’achat ont été conduites avant les dernières élections. Cela montre que, au final, les populations sont à même d’entendre et de comprendre ces actions, dans la mesure où il y a une véritable communication. Néanmoins, une telle politique ne peut pas être conduite à la hussarde.
En France, nous en avons tous l’expérience, lorsque, dans le cadre d’un plan local d’urbanisme, un terrain est classé en zone constructible, le propriétaire ne peut que se réjouir, car son patrimoine est multiplié par dix, vingt, trente, voire cent, sans la moindre obligation en retour.
Nos collègues MM. Braye et Repentin en faisaient déjà le constat en 2005.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Un tandem infernal !
M. Joël Labbé. Je n’étais pas sénateur à l’époque, mais j’ai lu ce rapport. Ses auteurs soulignent que la rétention foncière « est favorisée par une fiscalité quasiment indolore pour la détention, et fortement dégressive dans le temps pour la taxation ». C’est bel et bien l’inverse qu’il faut faire !
À cet égard, le « durcissement » de la taxe foncière sur le foncier non bâti urbanisable en zones tendues voté à l’Assemblée nationale n’est qu’une mesure de faible portée. Il faut aller bien au-delà.
Dans de nombreuses villes européennes, une grande partie du sol est propriété publique : c’est le cas de 90 % du sol à Amsterdam et de 70 % à Stockholm. C’est là que l’on peut mettre en œuvre des politiques de planification.
M. Joël Labbé. En effet ! Merci de me rappeler l’exemple de ce pays, monsieur le ministre. En tout cas, c’est toute la différence entre l’appropriation publique du développement et l’abandon aux lois du marché qui, nous le savons, ne fonctionnent pas. Nous, écologistes, sommes de ceux qui demandent l’intervention de la force de la puissance publique pour servir l’intérêt public. (M. Charles Revet s’exclame.)
Pourtant, on pourrait encourager la collectivité à conserver au moins la propriété de ce qu’elle possède déjà en offrant le terrain sous forme de baux de longue durée. Une telle disposition serait tout à fait adaptée à la production de logements sociaux ou à celle des coopératives d’habitat.
M. Joël Labbé. J’espère que vous serez également d’accord sur le point suivant, monsieur le ministre, même s’il peut vous paraître anecdotique.
Cette mesure serait aussi une réponse au regard des attentes des personnes et des ménages, de plus en plus nombreux, souvent jeunes, qui, par choix de sobriété de vie ou par obligation, se retrouvent en logement alternatif en dehors de toute législation. Derrière ces situations, il y a des choix de vie auxquels il va bien falloir apporter une réponse. Dans une société en mutation, ce sont des expériences que nous devons encourager.
Les établissements publics fonciers sont aussi susceptibles de jouer un rôle accru dans la création de réserves foncières. Ils acquièrent et cèdent des terrains à des collectivités ou des opérateurs en vue de la réalisation d’opérations de logement sur les parcelles acquises.
Lorsque l’on passe par la puissance publique, on a également recours aux promoteurs privés, métier au demeurant fort respectable, mais la collectivité publique garde la main et la signature. Je sais ce que cela représente, pour le vivre dans la commune dont je suis le maire. On peut alors réaliser une densification et une mixité pensées.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé tout à l’heure que vous envisagiez d’aider les maires bâtisseurs. Sachez que vous êtes attendu sur ce sujet. Toutefois, vous ne pouvez pas dire que vous allez aider les maires bâtisseurs et délaisser les autres. En effet, certains maires bâtisseurs sont à la tête de communes dont les besoins sont moindres que ceux d’autres zones, où les maires sont moins engagés sur le front du logement. Cette déclaration reste donc purement formelle.
En revanche, les collectivités locales ont besoin d’un véritable soutien. Actuellement – j’ai reçu un tel dossier avant-hier –, lorsqu’une commune veut construire un logement social, on lui demande 20 000 euros pour la construction proprement dite et 20 000 euros d’aide sur le foncier aménagé. Ces collectivités, que le Président de la République accuse d’être dépensières,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Joël Labbé. … il faudra bien les aider d’une manière ou d’une autre.
Monsieur le ministre, je vais oublier votre dispositif, car la commission nous en présente un autre, selon moi plus intéressant.
L’application réelle des dispositions du Grenelle de l’environnement dans le domaine de l’urbanisme et du logement représentera une avancée forte intéressante. Il conviendra, dans le cadre d’une véritable politique du logement, avec un autre choix de société, de faire passer l’intérêt public avant l’intérêt privé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. On n’y est pas encore !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, je ne perdrai pas de temps avec l’article unique désormais proposé à la discussion, tant, à mes yeux – je l’ai souligné tout à l’heure en commission –, il est entaché d’irrégularités, sur le fond comme sur la forme.
Néanmoins, puisque le texte initial et celui de la commission sont respectivement simple et simpliste, je vais ici renouveler les questions, simples, que j’ai déjà posées en commission.
J’anticipe peut-être un peu, mais je crains, monsieur le ministre, que la production de logements pour l’année 2012 ne soit en légère baisse. Cela va-t-il renforcer une demande déjà insatisfaite ? La réponse paraît évidente : c’est oui !
Faut-il construire plus de logements ? Oui, évidemment, puisque la politique de l’offre est la seule qui permettra à terme, mais pas dans l’immédiat, de colmater le déficit de logements actuels et d’agir sur le niveau des prix.
Y a-t-il des zones particulièrement touchées ? La réponse est, là aussi, évidemment positive dans les agglomérations urbaines, notamment en Île-de-France, sans oublier les stations classées de tourisme.
Enfin, faut-il construire plus tout en limitant la consommation des espaces agricoles et l’étalement urbain ? Nous répondons tous oui à cette question. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres qui figuraient dans Les Échos de lundi dernier, à la suite de l’étude réalisée par les SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural : depuis quinze ans, pour étendre les villes, on utilise en moyenne 78 000 hectares par an, soit la consommation d’un département moyen tous les quatre ans ; en parallèle – c’est aussi précisé dans l’étude –, depuis 2005, les villes se sont étendues de 3,5 fois en surface.
On consomme donc de plus en plus de terrains agricoles, on ne produit pas assez de logements, mais, dans le même temps, les villes sont en train de s’étendre.
Mes chers collègues, nous sommes tous d’accord sur la réponse à apporter à ces questions. Il faut sans aucun doute, si l’on veut répondre à la crise du logement, construire plus en milieu urbain, et pour cela, c’est-à-dire pour résoudre ces contradictions et ce paradoxe, faire plus dense et plus haut. C’est incontournable !
Le problème soulevé est celui d’un urbanisme plus dense et de constructions – légèrement – plus hautes. Nous connaissons tous les difficultés liées à la construction de ces immeubles très élevés en région parisienne, pour lesquels il est difficile d’obtenir des réponses positives de la part des populations concernées.
Mes chers collègues, selon nous, l’intérêt du texte initial était donc de mettre en exergue un débat qui s’impose : celui de la densification urbaine, qui, je le répète, ne pourra être poursuivie sans une évaluation préalable des possibilités de constructions supplémentaires sur les terrains préexistants. C’est la quadrature du cercle !
Cela dit, monsieur le ministre, il est vrai que l’application du présent texte pose un certain nombre de difficultés, que l’on ne peut pas ignorer.
Déjà, en tant que telle, une seule mesure de ce type ne suffirait évidemment pas à régler la crise du logement. En effet, les maires, on le sait bien, sont confrontés aux problèmes suscités par leurs administrés. Par exemple, chaque fois qu’un immeuble locatif est construit dans un quartier, une association de défense se constitue.
En revanche, monsieur le ministre, j’ai retenu que vous réfléchissiez à l’idée d’un bonus pour les maires bâtisseurs. Aujourd’hui, on parle de malus. Mettons plutôt en place un bonus pour ceux qui osent, pour ceux qui font plus, pour ceux qui créent de la densité et qui, naturellement, financent et mettent en œuvre les services publics qui en découlent. Si vous pouviez mener une réflexion sur ce sujet, ce serait parfait !
De toute évidence, cette mesure seule ne permet pas de répondre aux enjeux de la construction de logements. Il faut un arsenal de solutions complémentaires pour agir sur les différents leviers de la construction. Je voudrais en citer trois, que vous avez abordées, monsieur le ministre.
Premièrement, il faut libérer plus de foncier. Au sein du groupe de travail sur l’urbanisme, il avait été envisagé, dans le cadre de la fiscalité sur les plus-values, de revenir sur la règle en vigueur et de décider que, moins longtemps un terrain serait conservé, moins la plus-value payée serait importante. C’est l’inverse du dispositif actuellement en place. Il faut absolument changer ce système, sous peine de bloquer fortement le foncier.
Deuxièmement, j’en discute souvent avec certains de nos collègues, il faut favoriser l’urbanisme de projet au détriment de l’urbanisme procédurier. Il n’est nullement question de mettre en cause la politique volontariste des élus, mais, dans un certain nombre de documents d’urbanisme, la règle est tellement contraignante que des projets de qualité ne peuvent aboutir. Parfois, il faut le dire, les agents « se refilent » les règlements, qui sont parfois imposés dans les PLU sans raison.
Troisièmement, et enfin, monsieur le ministre, je voudrais revenir, si vous me le permettez, sur les recours abusifs.
Les procédures abusives sont aujourd’hui inacceptables, et il serait possible de faciliter la réalisation des opérations sans que cela coûte trop cher – a priori le prix acquitté serait nul – si l’on avait un peu de volonté. Même si la situation est complexe, à un moment donné il faut agir : 15 % des programmes immobiliers ne voient pas le jour à cause des recours « abusifs », c’est-à-dire qui ne sont pas fondés sur des moyens sérieux.
Les exemples pleuvent, mais je ne citerai pas ceux que j’avais prévu de vous livrer avec force détails, monsieur le ministre, pour ne pas allonger le débat.
Quoi qu’il en soit, ce type de recours non seulement empêche 15 % du stock de projets de voir le jour, mais aussi contribue à la fermeture de nombreuses petites agences d’architectes qui ne peuvent plus faire face à ces procédures.
Les recours abusifs entraînent des surcoûts d’assurance ou de contreparties répercutées sur le prix de vente. Certains promoteurs – cela va loin ! – intègrent même le prix des recours dans leurs bilans, parce qu’ils savent que, de toute façon, ils vont devoir monnayer leurs projets.
En arriver à de telles situations est tout à fait insupportable ! On ne peut plus se voiler la face sur ces pratiques qui gangrènent le secteur. En ces temps de crise, je rappelle que la construction d’un immeuble de près de 80 appartements, vous le savez bien, monsieur le ministre, représente 50 emplois pendant deux ans. Il faut donc impérativement créer un électrochoc pour faire cesser de tels usages.
Dans cette perspective, j’ai déposé, avec mes collègues du groupe UCR, trois amendements dont l’un est cosigné par Élisabeth Lamure.
Le premier a pour objet d’encadrer plus strictement l’intérêt à agir contre des décisions d’urbanisme. Saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le juge a rappelé dans sa décision du 17 juin dernier…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Dubois. Je termine, monsieur le président.
Le juge a rappelé, disais-je, que l’intérêt à agir pouvait être encadré par la loi.
Un amendement de repli, quant à lui, a une portée beaucoup plus limitée, puisque cette disposition exclut les associations et ne concerne que les cas de non-opposition.
Le dernier amendement, enfin, vise à durcir les sanctions lorsque le recours a été qualifié d’abusif par le juge.
En tout état de cause, si ces amendements étaient adoptés, monsieur le ministre, ils auraient des répercussions immédiates sur le climat des affaires dans la construction de logements. Il est de notre devoir de statuer dans la loi sur ce sujet, pour ne pas laisser proliférer ce type de pratiques malveillantes, dont les professionnels et les demandeurs de logements sont les premières victimes. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques jours avant la fin de la session parlementaire, nous débattons de la nouvelle marotte du Président de la République : l’augmentation de 30 % des droits à construire.
Vous aviez donné le ton, monsieur le ministre, en déclarant lors de l’examen des crédits budgétaires que l’« on ne doit plus financer le logement par le budget public ».
C’est maintenant chose faite, et vous souhaitez, à deux mois de l’élection présidentielle, aller plus loin en tentant de faire la démonstration que l’on peut promouvoir une politique du logement sans pour autant faire appel à des investissements publics.
Nous verrons que cette posture se révèle n’être que de pur affichage et qu’un tel projet de loi ne sera en rien susceptible de répondre à la crise du logement. Au contraire, il risque de l’aggraver encore. Comment ne pas voir, en outre, qu’il s’agit d’une annonce à bon compte pour le Gouvernement, puisqu’elle vous permet de faire croire que le manque de construction relève non pas de votre responsabilité, mais de celle des élus locaux ?
Aussi, de prime abord, nous souhaiterions revenir sur la méthode employée.
Il y a un mois, jour pour jour, le Président de la République annonçait au journal de 20 heures son projet pour le logement. Ce texte est ainsi débattu à la hussarde : il était examiné la semaine dernière à l’Assemblée nationale, hier en commission, aujourd’hui en séance, et il reviendra la semaine prochaine pour une ultime lecture.
Les délais sont bien trop courts pour permettre aux parlementaires de remplir leur mission, c'est-à-dire d’accomplir leur travail législatif. En agissant ainsi, vous considérez nos assemblées comme de simples chambres d’enregistrement. Nous estimons qu’il s’agit là d’une grave dérive de nos institutions vers une présidentialisation que nous jugeons très négativement, puisqu’elle s’apparente au fait du prince.
Aussi, avant d’en venir au cœur des dispositions du présent texte, il est utile de faire une mise au point.
En effet, loin du grand satisfecit que vous vous attribuez en permanence en la matière, la situation du logement en France est dramatique, comme le soulignait encore très récemment la Fondation Abbé Pierre.
Ainsi, depuis 2002, la politique du Gouvernement s’est incarnée dans une réduction des crédits, les aides à la pierre ne représentant plus aujourd’hui que 320 millions d’euros, en baisse d’un milliard d’euros en cinq ans. À l’inverse, les exonérations fiscales représentent près de 13 milliards d’euros.
On voit donc bien la logique à l’œuvre : favoriser la marchandisation du logement. Ce faisant, vous êtes responsable de la création d’une bulle immobilière, entretenant le logement cher.
M. Gérard Le Cam. Oui, monsieur le ministre. Ceux qui paient leur loyer chaque fin de mois le savent.
En complément, vous menez une charge sans précédent contre le logement public, prônant une France des propriétaires qui se trouve être un mirage.
Je me souviens que, lors de la dernière élection présidentielle, le candidat qui devait être élu vantait l’intérêt des prêts hypothécaires pratiqués outre-Atlantique, présentés comme le nec plus ultra de la politique du logement. C’est dire la pertinence de l’analyse de Nicolas Sarkozy en la matière…
Ainsi, c’est bien votre politique de désengagement et de marchandisation qui a favorisé la spéculation. Toute votre action est tendue vers la valorisation du foncier, notamment dans le cadre de projets récents comme celui du Grand Paris.
Cette politique s’incarne également dans l’asphyxie de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, dans le dépeçage du 1 % logement, et dans la paralysie des offices HLM, lourdement taxés et si peu aidés.
Les conséquences pour nos concitoyens sont particulièrement lourdes et se conjuguent avec leur précarisation au travail et la baisse de leur pouvoir d’achat.
Le logement, comme le dénonce la Fondation Abbé Pierre, est devenu une machine à exclusion, puisque, loin de constituer un droit, l’accès au logement relève aujourd’hui du parcours du combattant. En témoignent les chiffres : 700 000 personnes sont privées de logement personnel, plus de 3 millions de Français sont en situation de mal-logement et 1,4 million de nos compatriotes sont toujours dans l’attente d’un logement social.
Pour ceux qui ont la chance d’être logés, la charge de l’habitation dans le budget s’est largement accrue ces dernières années. Ainsi, le prix des logements dans l’ancien a crû de 107 %, le loyer moyen du parc privé de 47 %, les loyers HLM de 29 % et le prix à la consommation de 19 % selon l’INSEE entre 2000 et 2010, alors même que le revenu médian n’augmentait, lui, que de 13 %. Quant aux prix des terrains, ils ont bondi de 31 % entre 2006 et 2010.
Le résultat de tout cela est que, entre 2002 et 2006, le nombre d’impayés de loyers a progressé de 83 % dans le secteur privé. Le nombre de décisions d’expulsion a également dépassé les 100 000 sur une année, en hausse de près de 43 % en dix ans.
Toutefois, rien n’y fait, vous êtes contents de vous ! Après la maison à 15 euros par jour, nous voilà donc prêts à examiner un nouveau dispositif permettant la majoration des droits à construire de 30 %. Cette mesure concerne ainsi les règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou encore de COS, c'est-à-dire de coefficient d’occupation des sols, pour les communes couvertes par un plan d’occupation des sols ou un plan local d’urbanisme.
Selon vous, une telle mesure serait à même de favoriser la construction de logements, en permettant de relancer l’offre de logements par une meilleure rentabilité de l’investissement consenti par les investisseurs immobiliers.
Je ne m’attarderai pas ici sur les conséquences d’une telle disposition pour les logements déjà bâtis. Une telle mesure est en effet inapplicable pour le logement collectif, tandis que, pour les habitations individuelles, elle s’apparente simplement à un effet d’aubaine, sans permettre la création de logements supplémentaires.
Plus grave, elle sous-tend l’idée que tout un chacun peut « valoriser » son propre bien, y compris au détriment du droit au logement et à la ville.
Une telle conception nous semble particulièrement contestable et en rupture avec la notion même de la qualité architecturale et patrimoniale, qui doit pourtant être au cœur de toute politique d’aménagement.
Vous déployez l’argument selon lequel une telle mesure favoriserait la densité, tout en oubliant que, si la densification doit être un objectif permettant de lutter contre l’étalement urbain, une telle politique ne peut être uniforme et n’est qu’un levier parmi tant d’autres, bien plus efficaces.
Tous ceux qui sont engagés dans l’élaboration des plans d’occupation des sols savent bien que les politiques d’aménagement relèvent d’un travail fin et minutieux, respectant les spécificités de chaque territoire.
Aussi, sur le fond, à qui bénéficiera cette mesure ?
Concernant le logement public, une telle disposition ne résoudra rien ; pis encore, elle accroîtra les difficultés des maires bâtisseurs et des offices HLM dans l’acquisition de terrains, dont l’augmentation des droits de constructibilité renchérira le prix.
Concernant le logement privé, nous doutons également de la pertinence d’un tel dispositif.
Ainsi, vous affirmez que les promoteurs amortiront la majoration du prix des terrains par la construction de davantage de logements. Cet argument est contestable dans la mesure où, à l’heure actuelle, la plupart des promoteurs n’utilisent pas l’ensemble des droits à construire.
Une telle logique néglige également un élément déterminant : vous n’influez nullement sur les prix finaux, alors que nombre de nos concitoyens ne peuvent déjà plus se loger dans le parc privé.
Il s’agit ainsi avant tout d’une règle économique dont la mise en œuvre entraînera une augmentation des prix des terrains et de la construction, ce que vous ne niez pas. Dès lors, cette dernière sera encore un peu plus étroitement soumise à la loi du marché, à la concurrence, à la spéculation. Les seuls gagnants seront les spéculateurs, les promoteurs immobiliers, les banques. (M. le ministre manifeste son désaccord.)
Plus grave encore, ce projet de loi constitue une nouvelle manifestation de défiance à l’égard des élus locaux. Je rappelle à ce titre qu’en vertu de la loi, ce sont les communes qui sont compétentes en matière de droit des sols, et non l’État.
De plus, nombre de communes n’ont pas de COS et, lorsqu’il en existe un, il s’agit avant tout d’un simple indicateur, d’un plafond qui, dans la plupart des cas, n’est pas atteint, tant il est vrai qu’assurer la qualité urbaine, l’équilibre de développement de la ville et le vivre-ensemble ne peut se réduire à appliquer une règle arithmétique.
Il existe d’ores et déjà des possibilités de renforcement des droits à construire, notamment pour la réalisation de logements sociaux, avec l’article L. 127-1 du code l’urbanisme, et pour les constructions répondant aux normes de confort thermique « bâtiment basse consommation », avec les articles L. 128-1 et L. 128-2 du code précité. Force est de constater que ces possibilités n’ont été que peu utilisées par les collectivités. De surcroît, les SCOT imposent à nos PLU une véritable densification de la construction.
En outre, la consultation du public que vous proposez d’instituer, tout en restant particulièrement flou sur ce point, ne constitue pas un gage de transparence. Je rappelle que, lors de l’élaboration des PLU, cette consultation s’engage dans le cadre d’une enquête publique autrement plus contraignante et que c’est bien sur l’objectif de la politique d’aménagement que les habitants doivent pouvoir s’exprimer.
Par ailleurs, aucune indication n’est fournie quant au financement de cette consultation. Nous en déduisons que, selon toute vraisemblance, il reviendra là encore aux collectivités d’assumer cette nouvelle charge, alors même que vos politiques fiscales les asphyxient chaque jour davantage.
Pis, en instaurant le principe d’une majoration des droits à construire, l’exception étant permise par une délibération du conseil municipal, vous contrevenez au principe de libre administration des collectivités locales : nous nous élevons contre cette ingérence gouvernementale.
Vous l’aurez compris, nous sommes totalement opposés à ce projet de loi.
M. Gérard Le Cam. Nous avons besoin non pas d’une nouvelle règle pour favoriser la densification et le renouvellement urbain, mais de subventions de l’État, d’une aide à la pierre renforcée et de prêts bancaires à taux très bas, voire à taux zéro, pour les constructeurs publics.
Nous avons besoin d’outils administratifs, juridiques, fiscaux et économiques pour bloquer la spéculation foncière et la flambée des prix de la construction et de l’immobilier.
Nous avons besoin que l’on fasse réellement confiance aux élus locaux dans le cadre de l’élaboration des PLU, afin que ces derniers ne soient plus pris en otage par les chambres d’agriculture, en particulier. Nous sommes suffisamment responsables pour ne pas gaspiller les terres agricoles !
Nous le savons tous, le principal obstacle à la construction de logements réside aujourd’hui dans le coût du foncier. En effet, la bulle spéculative entretenue par vos politiques fiscales a conduit à une flambée du prix des terrains, pesant lourdement sur les opérations des bailleurs.
Il est donc également impératif, par exemple, de repenser le rôle des établissements fonciers, porteurs de projets pour les collectivités, en permettant un renforcement tant de leurs missions que de leurs moyens, afin de réaffirmer la nécessité d’accroître la maîtrise publique sur le foncier.
Cette maîtrise publique ne passe pas uniquement par la mise à disposition des collectivités des terrains de l’État ; elle suppose également une utilisation des sols socialement utile, que permettrait la mise en application du dispositif de l’article récrit par la commission, en n’autorisant la décote de 100 % que pour les programmes de logements sociaux.
À ce titre, la réécriture de l’article unique du présent projet de loi nous paraît pertinente.
Sur le fond, tout nous conduit à considérer qu’il faut sortir le logement de la sphère marchande. L’urgence est bien d’assurer un financement public du logement public. À cet égard, nous avions formulé des propositions qui avaient été adoptées par le Sénat lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2012, mais supprimées à l’Assemblée nationale par le biais du vote d’un amendement du rapporteur.
En effet, nous avions proposé d’ouvrir aux organismes d’HLM la faculté de souscrire à des emprunts à taux zéro : voilà une mesure qui aurait réellement desserré l’étau qui entrave l’action des offices et permis par conséquent la construction de davantage de logements publics.
Vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe CRC préconisent une autre politique du logement. Celle-ci passe par l’affirmation de certaines priorités, en particulier le respect de la loi SRU, voire le renforcement de son dispositif. Au contraire, vous n’avez eu de cesse de tenter de contourner, sinon d’abroger, cette loi précieuse.
Nous préconisons également l’abrogation de la loi Boutin, qui a enfermé le logement social dans une logique financière.
Toutes les aides fiscales favorisant la spéculation dans le domaine du logement privé doivent être supprimées et les moyens correspondants réaffectés à l’aide à la pierre, afin de permettre la construction de 200 000 logements par an pendant cinq ans, un tel programme comprenant un volet spécifique dédié au logement des étudiants et des jeunes.
Nous préconisons en outre l’encadrement des loyers dans le privé comme dans le public, par le plafonnement des prix à la vente et à la location, en fonction du degré de tension constaté sur le marché dans les différents territoires.
Pour garantir l’égalité d’accès pour tous à un logement de qualité, assurer la mixité sociale de l’habitat et permettre la baisse des loyers pour le plus grand nombre, nous souhaitons fixer pour objectif que la part du loyer et des charges dans le budget des familles n’excède pas 20 %.
Nous voulons que tout soit mis en œuvre afin de permettre la réquisition des logements vacants.
Enfin, nous exigeons la fin de la pratique barbare des expulsions locatives des personnes n’ayant pas les moyens de se maintenir dans leur logement.
Telle est, monsieur le ministre, la politique du logement qui nous permettrait d’endiguer réellement la crise que nous connaissons et d’affirmer un véritable droit au logement : elle se situe aux antipodes de vos politiques de marchandisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire n’est, en définitive, qu’un texte d’affichage. Le Président de la République veut ainsi donner à croire qu’il prend en compte l’une des préoccupations essentielles de nos concitoyens, outre le chômage et le pouvoir d’achat. Mais le présent texte ne permettra en rien de répondre aux problèmes du logement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exact !
M. Jean-Jacques Filleul. Cette mesure présentée dans la précipitation rappelle d’autres effets d’annonce. Chacun ici se souvient des maisons à quinze euros par jour de Mme Boutin, qui ont connu le succès que l’on sait, ainsi que des maisons à 100 000 euros de M. Borloo, dont le nom rime malheureusement avec fiasco !
On dit, monsieur le ministre, que vous êtes l’inspirateur de la version initiale du texte dont nous discutons ce soir. Cela vous épargne d’aller chercher trop loin des arguments pour défendre cette initiative hasardeuse d’un Président de la République qui, manifestement, ne connaît pas les problèmes urbains ! Votre projet de loi suscite le scepticisme et recueille des avis mitigés de la part des professionnels. Ceux qui ont été consultés sont pour le moins dubitatifs. Ils redoutent surtout les effets d’une mesure technocratique qui méconnaît les réalités de l’urbanisme et des politiques d’aménagement du territoire.
Les maires, les adjoints chargés de l’urbanisme, les équipes municipales qui ont engagé un travail de deux ou trois ans afin d’aboutir à l’approbation d’un PLU estiment que l’on se moque d’eux, une fois de plus. Ils admettent mal de voir leurs prérogatives remises en cause.
Prenons l’exemple d’un quartier d’une petite ville faisant l’objet d’une politique d’intégration urbaine. Il s’agit du projet majeur du mandat municipal, bien évidemment. Tout a été mis en œuvre pour le mener à bien, y compris sa présentation aux riverains et plus largement à l’ensemble de la population, ainsi qu’aux services de l’État. Le projet adopté est conforme au PLU pour l’implantation, au programme local de l’habitat pour l’évolution du nombre de ménages. Si l’on prenait votre texte à la lettre, il faudrait réviser les gabarits, la hauteur des immeubles, l’emprise au sol du projet en question : ce n’est pas possible, monsieur le ministre ! Sa conception globale est cohérente : il prend en compte la mixité sociale, les normes environnementales et autres, les espaces publics, les besoins en places de stationnement, sans parler de la planification scolaire, des structures de multi-accueil, des déplacements et des réseaux.
Dans ces conditions, comment voulez-vous augmenter de 30 % le nombre de logements en surélevant, en agrandissant ou en densifiant les constructions ? Les structures des immeubles ne le permettent pas toujours.
Quant aux clients du programme, comment accepteraient-ils une modification aussi substantielle du projet sur lequel ils se sont engagés financièrement ? Quel maire réunira la population et les riverains pour annoncer, après un simulacre de concertation, que, finalement, il modifie le projet afin de répondre aux exigences fixées par ce texte, à deux ans de la fin de son mandat ?
Les associations d’élus ne sont pas en reste. Comme leurs représentants, je regrette la méthode employée pour annoncer le dépôt de ce projet de loi. L’absence de concertation préalable inquiète les organisations professionnelles, qui se sentent mises à l’écart. Le rapporteur de la commission de l’économie a déploré, à juste titre, que ce texte soit examiné par le Parlement dans une telle précipitation.
Je voudrais insister sur la question de la densité. Celle-ci se détermine à l’issue d’un long processus d’évaluation des PLU, et non en six mois, sans enquête publique. La méthode proposée n’est-elle pas largement dérogatoire à la procédure classique de modification des PLU ? Je m’interroge sur les risques juridiques qu’elle pourrait comporter.
Par ailleurs, même si les élus cédaient à cette facilité, agrandir la maison familiale ne crée pas un logement supplémentaire : c’est simplement, pour certains, une bonne occasion à saisir. Votre texte offre des droits à construire à ceux qui auront les moyens d’en profiter. Son application entraînera une augmentation des prix des terrains. Les professionnels voient les négociations stoppées, au mieux prolongées, y compris après la conclusion d’un accord amiable. Les propriétaires fonciers sont ravis : en l’absence de compromis, leurs terrains sont 30 % plus chers ! Leurs exigences en matière de constructibilité sont également à la hausse, alors qu’il faudrait pouvoir disposer de lots à des prix raisonnables.
Lors de votre audition par la commission, mercredi dernier, vous avez affirmé, monsieur le ministre, que le coût du foncier augmenterait, mais pas forcément celui de l’opération, grâce à l’augmentation de la densité. Ce ne sont là que des mots, j’en suis certain : je relève que le prix des maisons individuelles a augmenté de 52 % entre 2000 et 2010.
Tout cela ne « colle » pas, d’autant que, dans un lotissement datant de moins de dix ans, l’autorisation des autres propriétaires est nécessaire pour procéder à un agrandissement.
Décidément, ce texte ne constitue en rien une réponse à la crise du logement. Il fallait faire respecter la loi SRU, adoptée en 2000, particulièrement son article 55 : pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Vous auriez dû convaincre les communes récalcitrantes, afin qu’elles respectent les objectifs fixés : par exemple, construire en vue de garantir la mixité sociale, pour que chacun puisse se loger décemment sans se ruiner dans les villes où les logements manquent. Observons tout de même que l’avancée opérée par la loi SRU a permis la construction d’environ 300 000 logements sociaux en dix ans.
Dans son rapport, Thierry Repentin préconise en fait de ne pas en rester à votre proposition et de passer à autre chose. L’amendement qu’il a présenté et que la commission a adopté va à l’essentiel : l’État doit fournir de nouveaux espaces pour la construction de logements sociaux. Une telle mesure permettrait de construire mieux, à des prix modérés, là où les besoins, qui restent considérables, sont les plus vifs.
En outre, pourquoi réduire les moyens de l’État ? En effet, les subventions destinées à la réalisation de logements sociaux sont en voie d’extinction. Vous-même, lors de votre audition portant sur le projet de loi de finances pour 2012, aviez déclaré être favorable à un nouveau modèle économique. (M. le ministre acquiesce.) Monsieur le ministre, vous y êtes presque ! Ainsi, l’État ne participe qu’à hauteur de 4 % au financement de la réalisation d’un immeuble HLM. Les crédits destinés à la construction locative et à l’amélioration du parc ont fondu : depuis 2007, ils sont passés de 827 millions d’euros à 322 millions d’euros. C’est le parc social qui en subit les conséquences. Le Gouvernement pratique le double langage, une fois de plus ! Une autre réponse aurait pu consister à réhabiliter les 2 millions de logements vacants.
Monsieur le ministre, les élus de la République veulent construire, et ces contradictions les désespèrent. Ils veulent bâtir, y compris dans les plus petits villages. Vous ne pouvez pas l’ignorer. Le monde rural a changé : pourquoi vos services s’opposent-ils à ce que quelques parcelles situées à proximité immédiate du centre-bourg soient déclarées constructibles ? Pour un maire, les lotir au cours de son mandat représente une ambition raisonnable, modeste au regard des besoins. Néanmoins, cela insufflerait un surcroît de dynamisme. La construction joue un rôle à cet égard. Nous en revenons naturellement au problème prioritaire du foncier disponible.
L’amendement présenté par Thierry Repentin va dans le bon sens. Nous attendons tous la grande loi foncière en faveur du développement de l’offre de logement abordable réclamée par le mouvement HLM.
Elle permettrait de lutter contre la hausse des prix des terrains, de décourager la rétention foncière par la mise en place d’une fiscalité progressive sur les terrains constructibles laissés nus. Chacun le déplore, la rareté des terrains entretient la spéculation. Dans cet esprit, il conviendrait aussi de s’appuyer sur d’autres mesures, comme la remise en location des logements vides et la taxation des logements vacants là où l’offre ne permet pas de répondre à la demande.
La crise du logement touche 10 millions de personnes dans notre pays : 3,6 millions de nos concitoyens sont mal logés, 1,2 million de ménages sont inscrits sur des listes d’attente et vivotent en espérant accéder un jour à un logement social décent. Nous le voyons dans nos communes : les familles peinent, le nombre des impayés de loyers ne cesse de progresser et les menaces d’expulsion locative se multiplient.
Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre, la situation est devenue dramatique. Elle l’est non seulement pour les ménages les plus modestes, les personnes isolées, les jeunes, les femmes seules avec enfants, mais aussi – c’est un phénomène récent – pour les classes moyennes, et pas seulement dans les zones tendues. La part des ressources des ménages consacrée au logement atteint un niveau historique, représentant souvent un quart de leur budget. Le loyer peut même s’élever à 50 % de celui-ci pour un couple avec deux enfants gagnant 1,5 fois le SMIC et se logeant dans le privé.
Le président sortant n’avait-il pas promis que plus personne ne coucherait à la belle étoile d’ici à la fin de son mandat ? Le soir, lorsque je quitte le Sénat pour rejoindre l’hôtel, je vois des personnes allongées à même le sol. Elles dorment dans le froid, se protégeant tant bien que mal des courants d’air. Nous sommes bien loin des engagements de 2007 ! Votre proposition ne fera pas davantage évoluer cette situation que ne l’a fait la politique terriblement inhumaine que vous avez conduite depuis cinq ans, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, nous savons d’avance quel sort funeste la majorité de la Haute Assemblée va réserver à votre texte… Avant de le défendre, je voudrais tenter d’analyser la situation et de tracer quelques pistes de réflexion pour l’avenir.
En matière de logement, notre pays connaît un véritable paradoxe.
En effet, jamais nous n’avions autant construit que ces dernières années, la France étant même le pays d’Europe où l’on bâtit le plus. Pourtant, nos concitoyens ont toujours énormément de mal à se loger, qu’ils soient accédants à la propriété ou qu’ils cherchent à louer.
Puisqu’il n’est jamais inutile d’établir des comparaisons, je voudrais citer quelques chiffres relatifs à deux périodes choisies au hasard, 1997-2001 et 2007-2011.
M. Philippe Dallier. Au cours de la première de ces périodes, 1 604 000 logements ont été construits, dont 285 000 logements sociaux, contre 1 937 418 logements, dont 626 000 logements sociaux, au cours de la seconde.
Pour être tout à fait précis et parfaitement honnête, il faudrait toutefois déduire les 80 000 logements reconstruits dans le cadre des opérations de renouvellement urbain. Quoi qu’il en soit, la comparaison entre ces deux périodes montre que nous avons davantage construit ces dernières années que dans le passé. Il serait bon que chacun reconnaisse cette réalité : même si l’on constate des difficultés, le Gouvernement n’est pas resté inactif dans le domaine du logement, non plus d’ailleurs qu’en matière d’hébergement d’urgence, le nombre de places ayant notablement augmenté grâce au plan d’action renforcée pour les sans-abri, le PARSA. Dès lors, il me semble excessif de qualifier d’inhumaine la politique du Gouvernement.
Cependant, cette progression sensible n’a pas suffi, dans les zones tendues ou très tendues, notamment en Île-de-France, à résorber une crise dont l’origine ne date pas d’hier, ni permis de contenir les prix, qui ont augmenté de manière très importante, trop importante.
Ainsi, malgré de nombreux dispositifs d’aide, beaucoup de nos concitoyens ne peuvent plus accéder à la propriété, alors qu’ils auraient pu le faire, à ressources équivalentes, il y a seulement cinq ans. Quant à ceux dont les revenus ne leur permettaient déjà pas, à l’époque, d’accéder à la propriété, ils ont subi de plein fouet la hausse des loyers s’ils n’ont pas la chance de bénéficier d’un logement social. Enfin, il y a tous ceux dont le logement n’est pas adapté à la taille de leur famille ou est en mauvais état.
Mes chers collègues, on voit bien que le nombre de demandeurs de logement, et plus encore le terme de mal-logement, souvent utilisé par les associations, recouvrent en réalité des situations bien différentes. Toutefois, dans la majorité des cas, c’est d’abord le problème du prix des loyers ou des biens qui est mis en avant.
Pour définir les bonnes réponses à un problème aussi complexe, il faut tenter d’analyser les causes de celui-ci sans a priori, sans tabou et sans dogmatisme.
Non, nous ne construisons pas encore suffisamment ; oui, les prix sont trop élevés : là-dessus, nous sommes tous d’accord. Comment remédier à cette situation ? Les points de vue divergent.
Les plus libéraux répondent que le prix n’est que la conséquence du jeu de la loi de l’offre et de la demande et qu’il suffit donc d’augmenter le nombre des biens offerts pour que la tension sur les prix retombe.
Les plus dirigistes affirment que le logement n’est pas un bien comme les autres, point de vue que je partage, mais, au nom de ce principe, certains vont jusqu’à envisager d’imposer, par la loi, une baisse de 20 % des loyers à la relocation.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Quelle horreur ! (Sourires.)
M. Philippe Dallier. Je ne peux les suivre sur ce point, car ce serait faire peu de cas de ceux que l’on appelle les « petits » propriétaires, qui ont souvent emprunté pour acheter le bien loué ou qui complètent leur retraite grâce au loyer perçu. Ils subiraient de plein fouet les effets d’une telle mesure.
Alors, que faire ? Attendre que la progression de l’offre amène une baisse des prix ou infliger, par la loi, une purge au marché ? Je dois dire que ni l’une ni l’autre de ces deux options ne me convainc.
S’en remettre à l’autorégulation du marché, c’est prendre le risque de voir durer longtemps encore cette crise. Notre société ne le supporterait pas.
Utiliser des méthodes d’encadrement drastique des prix serait la garantie de tuer dans l’œuf tout effort d’amélioration durable de la situation du marché locatif.
La bonne réponse est à l’évidence, me semble-t-il, d’essayer d’agir à la fois sur le volume de l’offre et sur les prix, sans tuer le marché locatif, ce qui est le plus délicat.
S’agissant tout d’abord de l’offre, il est vrai que nous ne construisons pas assez, particulièrement en Île-de-France. Pourquoi ? Nous avons manifestement un problème de foncier, tout le monde le reconnaît. Il faut donc inciter les propriétaires – à commencer par l’État, qui est, directement ou indirectement, le plus gros d’entre eux – à vendre.
Il me semble d’ailleurs que l’État a besoin d’argent pour se désendetter : cela devrait donc l’incliner à bouger, ce qu’il fait pour l’heure trop lentement au gré des élus. Consentir une décote de 20 %, de 25 % ou de 30 % représenterait déjà de sa part un effort significatif. Étant donné la situation budgétaire du pays, il ne serait à mon avis pas raisonnable, monsieur Repentin, qu’il aille jusqu’à donner les terrains, fût-ce pour réaliser des logements sociaux.
Nous avons également, mais l’on en parle peu, un problème de gouvernance de la politique du logement en Île-de-France, particulièrement dans la zone dense. Ce problème n’a jamais été abordé au Parlement.
Qui pis est, faute d’avoir réglé cette question, nous avons, au travers de la loi relative au Grand Paris, confié au préfet de région le soin de territorialiser les objectifs de construction de logements.
M. Jean-Pierre Caffet. Hélas !
M. Philippe Dallier. En quelque sorte, nous avons fait de l’anti-décentralisation, alors que ce sont les maires qui délivrent les permis de construire.
Je prends le pari, mes chers collègues, que cette démarche ne sera guère plus efficace que la fixation d’objectifs par la région d’Île-de-France dans son schéma directeur : des chiffres sur du papier…
Quant à ceux qui plaident pour la création d’un syndicat du logement d’Île-de-France à l’image du STIF, le Syndicat des transports d’Île-de-France,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, surtout pas à l’image du STIF !
M. Philippe Dallier. … je leur répondrai que ce n’est pas avec un comité Théodule de plus que l’on résoudra un problème aussi difficile que celui-là. À une question politique, il faut une réponse politique, sûrement pas une réponse technocratique.
Mes chers collègues, en Île-de-France, nous n’en sortirons pas tant que nous n’aurons pas traité le problème de la gouvernance de la politique du logement, comme il nous faudra d’ailleurs traiter celui de la gouvernance des autres grandes politiques publiques.
Il faudra certainement faire de la peine à ceux qui, à droite comme à gauche, ne veulent rien changer en ce domaine, mais ne sommes-nous pas ici pour promouvoir l’intérêt général ? Il faudra faire comprendre à un certain nombre d’élus, présidents de région ou de conseil général, que le système actuel est dépassé.
Dans mon rapport sur le Grand Paris, rendu voilà maintenant quatre ans, j’avais formulé des propositions fortes dans ce domaine, malheureusement restées lettre morte.
M. Jean-Pierre Caffet. À qui la faute ?
M. Philippe Dallier. Mais, au-delà du manque de foncier disponible et du problème de la gouvernance, il y a aussi un autre facteur à prendre en considération : la capacité financière des collectivités locales à assumer la charge représentée par l’arrivée de nouveaux habitants.
En effet, il est bien beau de construire, mais encore faut-il que les équipements publics suivent. Pardonnez-moi de prendre l’exemple de ma commune, que je crois significatif.
En 1995, lorsque je suis devenu maire, elle comptait 17 365 habitants, contre 21 470 aujourd’hui, soit une augmentation de près de 25 % en un peu plus de quinze ans. Nous avons dû construire une salle de sports, un conservatoire, une crèche, réaliser une nouvelle école et en agrandir deux autres, tandis que nous attendons un collège depuis dix ans. Mais pour financer tous ces équipements, nous n’avons rien reçu de plus que ce qui était prévu au titre de la part « population » de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. En conséquence, nous avons été contraints d’opposer un sursis à statuer à nombre de demandes de permis de construire, parce que les équipements publics, notamment les écoles, ne pouvaient pas suivre. (M. le rapporteur pour avis marque son approbation.) Il y a là, à l’évidence, un stock important de projets qui pourraient voir le jour assez rapidement, et ma commune ne doit pas être la seule dans ce cas.
Libération du foncier, réforme de la gouvernance en Île-de-France, aides aux maires bâtisseurs : tant que nous n’agirons pas simultanément sur ces trois points et que nous nous en remettrons à l’évolution naturelle du marché, fût-elle dopée par une mesure du type de celle qui est proposée par le Gouvernement, nous ne réglerons rien à brève échéance, pas plus que nous n’apporterons de réponse au problème de la flambée des prix, qu’il convient, à mon sens, d’analyser autrement que sous l’angle unique du déséquilibre entre l’offre et la demande.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exact !
M. Philippe Dallier. Oui, les prix sont élevés parce que l’offre est insuffisante, c’est une certitude. Mais est-ce bien la seule raison ? Nos politiques publiques n’ont-elles pas, depuis des années, contribué à cette flambée des prix ? La question mérite d’être posée et, pour ma part, je suis aujourd’hui tenté d’y répondre par l’affirmative.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Ah !
M. Philippe Dallier. La logique suivie jusqu’à présent a toujours consisté à renforcer ou à garantir la solvabilité tant des accédants à la propriété que des locataires.
Mais, ce faisant, je crains que nous n’ayons poussé le marché à la hausse, jusqu’à des excès que nous venons de corriger, notamment pour le dispositif Scellier,…
M. Thierry Repentin, rapporteur. Un peu tardivement !
M. Philippe Dallier. … qui cependant n’est pas seul en cause.
Ajoutez à cela des taux d’intérêt extrêmement bas sur une longue période, et vous obtiendrez l’explication de cette flambée des prix.
La quasi-totalité des avantages ainsi accordés à coups de dépenses budgétaires ou fiscales ont aussitôt été digérés par le marché, qui a instantanément transformé cet apport d’argent public en hausse des prix des biens et des loyers.
Il nous faut donc sortir de cette logique, mais comment ?
Certaines municipalités tentent de réguler les prix pour les primo-accédants en négociant avec les promoteurs. La démarche est simple : pas d’accord, pas de permis de construire !
Outre qu’imposer un tel bras de fer est à la limite de l’abus de pouvoir, cela favorise uniquement le primo-accédant, en le faisant bénéficier d’une belle plus-value latente, tandis que les acheteurs suivants subiront la stricte loi du marché. Ce type de système a donc des effets pervers.
Je crois qu’il faut plus simplement utiliser les règles du marché pour jouer contre le marché. Les choses sont simples : s’il n’y a pas de preneur pour un bien, le prix baisse. Nous devrions en tirer la leçon et, systématiquement, assortir les aides publiques, toutes les aides publiques, qu’elles soient consenties à l’acheteur, au vendeur, au bailleur ou au locataire, d’un barème qui ne se bornerait pas à les plafonner, mais qui les supprimerait au-delà d’un certain montant de loyer ou de prix de vente.
Nous pourrions également moduler le montant de chacune de ces aides en fonction d’un indice synthétique qui prendrait en compte les ressources de chacun, le prix, mais aussi la qualité du bien concerné, afin de pousser à l’amélioration de celle-ci.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais c’est de l’économie administrée !
M. Philippe Dallier. Prenons le cas des aides personnelles au logement, dont on ne parle pas souvent. Leur attribution est certes soumise à des critères, notamment de surface et de ressources, mais elles sont versées même si les loyers sont manifestement exorbitants.
Monsieur le ministre, je vous ai déjà donné l’exemple d’un appartement de trente-huit mètres carrés, en piteux état, à la limite de l’indécence, loué pour près de 750 euros par mois –soit quelque 20 euros du mètre carré – et situé aux Pavillons-sous-Bois, en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Cet appartement est loué à une famille disposant de peu de ressources, mais solvabilisée grâce aux quelque 500 euros d’aide personnalisée au logement dont elle bénéficie. Dans un tel cas, le propriétaire ne s’inquiète guère du risque de non-versement de la part restant à la charge du locataire, puisqu’il a l’assurance que la collectivité lui paiera au moins 500 euros par mois pour ses trente-huit mètres carrés. Recourir à un système tel que la garantie contre le risque locatif ou la garantie contre les loyers impayés ne l’intéresse même pas, car la seule aide personnalisée au logement lui assure déjà un niveau de rentabilité suffisamment élevé…
Il faut que nous mettions un terme à ces abus insupportables. À mon sens, il est possible de le faire sans encadrer brutalement les loyers, mesure qui, même assortie d’un zonage, entraînerait à l’évidence des effets pervers, monsieur Repentin.
Il suffirait de ne plus verser d’aide personnelle au-delà d’un certain niveau de loyer. Croyez-moi, en l’absence d’APL, le propriétaire qui, aujourd’hui, utilise les possibilités qu’offre le système ne trouverait aucun preneur. Il serait alors bien obligé de baisser le montant du loyer. C’est pour lutter contre ce genre d’abus qu’il faut corriger notre système d’aides personnelles.
Mes chers collègues, entre la fixation ou l’encadrement strict des prix et le libre jeu de la loi du marché, il y a certainement une troisième voie, que nous n’avons pas encore véritablement explorée. Malheureusement, le texte dont nous débattons ne nous permet pas, en l’état, de le faire. Je crois pourtant sincèrement que c’est là l’une des solutions pour rendre plus efficaces les sommes considérables d’argent public que nous consacrons chaque année, directement ou indirectement, aux aides au logement de toute nature.
J’en viens maintenant au texte proposé par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale.
Est-ce un texte utile ? Je répondrai, monsieur le ministre, par l’affirmative à cette question. S’il faut vous rassurer après tout ce que je viens de dire, je vous indique d’ores et déjà que je soutiendrai vos amendements visant à rétablir la rédaction initiale du projet de loi.
Je les voterai parce qu’il s’agit d’une mesure facultative, qui constituera donc un outil de plus à la disposition de ceux qui souhaiteront y recourir. Cela étant, je ne crois pas que sa mise en œuvre donnera les résultats que certains semblent en attendre, c'est-à-dire une accélération forte de la construction permettant enfin une baisse des prix.
Je ne le crois pas, tout d’abord, parce qu’il est fort probable que très peu d’élus utiliseront ce nouveau dispositif. Monsieur le ministre, les élus locaux ont tous une politique du logement, certes plus ou moins volontariste et parfois malthusienne, qui peut d’ailleurs également résulter de contraintes locales, mais ils en ont une. Cette politique est traduite, comme l’impose la loi, dans les documents d’urbanisme.
Dans ces conditions, offrir aux élus la possibilité de construire 30 % de plus permettra à ceux dont l’action s’inscrivait déjà dans cette logique de gagner du temps, mais au détriment de la concertation, tandis que cela ne changera rien pour les autres.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Ne soutenez pas le texte du Gouvernement !
M. Philippe Dallier. J’ai tenté tout à l’heure de vous convaincre du fait que je faisais partie des maires bâtisseurs. J’ai bien l’intention de poursuivre sur cette voie, mais votre texte ne me sera pas utile ; il pourrait même me créer un certain nombre de problèmes.
Dans ma commune, la superficie moyenne des parcelles en secteur pavillonnaire est de 265 mètres carrés, avec un COS de 0,60. Autoriser un accroissement de la densité dans un tel contexte poserait des difficultés.
En ce qui concerne le logement collectif, ce sont davantage les équipements publics que la volonté de construire qui nous manquent.
Si l’on considère que, de surcroît, ma commune est devenue, cette année, contributrice au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, on mesure que les moyens dont je dispose ne vont pas aller en s’accroissant, alors que la population a déjà fortement progressé.
On nous demande de construire plus : j’y suis prêt, monsieur le ministre, comme beaucoup d’autres élus. Il faut simplement, si j’ose dire, que l’on nous y aide !
Voilà pourquoi je n’utiliserai pas l’outil que nous présente ce texte. Je m’en expliquerai auprès de la population de ma commune, et je pense pouvoir la convaincre sans trop de difficulté du bien-fondé de cette décision, d’abord parce que nous construisons déjà beaucoup. Il est d'ailleurs assez amusant de constater que mon opposition municipale de gauche me le reproche…
En outre, si je suis persuadé qu’il faut lutter contre l’étalement urbain, je sais aussi que le concept de densification doit être manié avec prudence. Quand vous habitez au cœur de la Seine-Saint-Denis, cette notion évoque malheureusement davantage les horreurs architecturales et urbanistiques des années soixante et soixante-dix que le Paris d’Haussmann, pourtant plus dense que la cité des 4 000 de La Courneuve. C’est ainsi !
Enfin, monsieur le ministre, je vous soutiendrai, mais j’éprouve néanmoins une forte réticence à favoriser un enrichissement sans cause des heureux propriétaires de terrains, qui n’en demandaient pas tant et qui vont profiter de cette aubaine en augmentant le prix de vente de leur bien. (Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Joël Labbé et Jacques Mézard applaudissent.)
Certes, cela ne devrait pas avoir d’incidence sur le prix de vente des appartements, puisque l’on construira plus. Il aurait cependant été judicieux, et même d’intérêt public, surtout si l’on souhaite aussi voir les prix de vente diminuer, de taxer intégralement la plus-value en question et d’attribuer le produit de cette taxe à la collectivité locale concernée, afin de l’aider à construire les équipements publics nécessaires. Cela reviendrait en quelque sorte à recréer un versement pour dépassement du plafond légal de densité, dont beaucoup de communes ne disposent pas ou plus, malheureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, cette période pré-électorale ne nous permet pas de légiférer dans de bonnes conditions, c’est le moins que l’on puisse dire ! La situation est même surréaliste, voire caricaturale.
Moins de quinze jours après la déclaration du Président de la République du 29 janvier, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire a été présenté en urgence à l’Assemblée nationale.
Les élus, comme beaucoup de socioprofessionnels, ont regretté cette précipitation et le manque de concertation en amont de l’élaboration d’un texte qui vise à modifier considérablement les compétences fondamentales des communes, à savoir le droit des sols et l’urbanisme, sans parler des conséquences immédiates qu’a eues l’annonce de cette mesure : blocage des promesses de vente des terrains dans l’attente d’une majoration des droits à construire, mais surtout augmentation des prix, avec la perspective d’une belle inflation du coût du foncier !
Aujourd’hui, moins d’une semaine après la discussion du texte à l’Assemblée nationale et seulement vingt-quatre heures après son examen en commission au Sénat, c’est un autre sujet qui nous est soumis en séance publique. J’en veux pour preuve que même le titre du projet de loi initial a été modifié et qu’il n’est plus question de droits à construire dans le texte issu des travaux de la commission.
Certes, l’aliénation du domaine privé de l’État à un prix inférieur au marché lorsqu’elle est destinée à permettre la réalisation de programmes de logements au moins pour partie sociaux est une démarche positive, mais elle ne constitue qu’une réponse partielle à la crise du logement, comme d’ailleurs l’augmentation des droits à construire initialement prévue par le projet de loi.
En réalité, au-delà de cette modification profonde apportée au texte, c’est une promesse électorale qui s’est substituée à une autre, et je pense sincèrement que le Parlement ne peut légiférer efficacement en suivant le rythme des déclarations successives des candidats à l’élection présidentielle.
Cela étant dit, la France compte aujourd’hui 3,5 millions de demandeurs de logement, dont 1,4 million attendent l’attribution d’un logement social. Monsieur le ministre, je profite de cette occasion pour vous dire que cette situation concerne aussi les habitants de l’Auvergne.
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. Pierre Jarlier. Il sera d’autant plus difficile de répondre à leurs attentes en matière de logement social que nos organismes d’HLM ont subi un prélèvement de 2 millions d'euros au titre de la fameuse péréquation, parfaitement injuste, qui a été mise en place l’an dernier.
Nous approuvons donc l’objectif de créer rapidement des logements. La densification, donc l’augmentation des droits à construire, peut constituer une réponse adaptée si elle satisfait à plusieurs conditions : être en cohérence avec le projet urbain défini par les élus ; reposer sur une base juridique solide pour éviter les contentieux, déjà nombreux en matière de droit des sols ; faire l’objet d’une concertation avec la population, dans le respect de notre Constitution ; enfin, être mise en œuvre dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales et de leur compétence en matière de droit des sols.
Force est de constater que ces conditions ne sont pas vraiment réunies dans le cadre du dispositif qui nous a été proposé, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, ce dispositif est applicable de façon arbitraire sur l’ensemble du territoire, et ignore ainsi les spécificités locales. De ce fait, il remet en cause les choix opérés par les assemblées délibérantes à l’issue d’une réflexion collective sur le développement de leur territoire, qu’il s’agisse de la forme urbaine, de la mixité sociale ou de l’habitat. Nous sommes là bien loin de la politique d’urbanisme de projet que vous préconisez, monsieur le ministre !
En deuxième lieu, le dispositif impose, avant même que l’organe délibérant ne décide du champ d’application de la mesure, une concertation avec les habitants sur la base d’une note d’information, alors que c’est précisément l’inverse qu’il faudrait faire. À l’évidence, la pression d’intérêts particuliers risque de s’exercer, en l’absence de définition préalable d’un cadre compatible avec l’esprit du projet urbain défini dans le PLU. Nous sommes, là encore, bien loin de l’urbanisme de projet.
En troisième lieu, cette mesure ne contraindra pas les collectivités qui, par principe, se prononceront contre, non pas parce qu’elles ont déjà mis en œuvre la densification sur leur territoire, comme le permet déjà le droit existant, mais parce qu’elles sont fondamentalement opposées à toute contrainte de ce type, malgré le manque patent de logements, notamment sociaux, sur leur territoire. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui n’appliquent pas l’article 55 de la loi SRU.
Ce sont pourtant ces communes que le texte devrait viser spécifiquement. La mesure sera donc vraisemblablement inefficace là où elle devrait être appliquée en priorité.
Ce constat m’amène à proposer à notre assemblée l’adoption d’un article additionnel qui tend à réintroduire sous une autre forme le principe de la majoration des droits à construire dans le projet de loi.
Il s’agit d’abord de cibler la mise en œuvre de la majoration des droits à construire sur les secteurs tendus qui connaissent un déséquilibre manifeste entre l’offre et la demande de logements.
Je propose ensuite d’instaurer dans ces secteurs un débat préalable obligatoire en conseil municipal pour définir les modalités de cette densification.
Une telle mesure serait doublement utile.
D’une part, la tenue de ce débat assurerait la cohérence de la majoration des droits à construire avec le projet urbain, notamment avec les objectifs fixés à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, qui est le pivot du projet d’aménagement et de développement durable, le PADD, en matière de respect des objectifs de développement durable, de mixité sociale, de diversité des formes urbaines.
D’autre part, cela permettrait que le dispositif puisse concerner toutes les communes situées en secteur tendu sans qu’une délibération puisse s’y opposer, dès lors que son champ d’application serait défini par l’organe délibérant. Ainsi, la concertation pourrait se dérouler sur la base d’objectifs fixés par les élus.
Cette méthode aurait de surcroît l’avantage de privilégier l’intérêt général de la commune et de la prémunir contre la pression des intérêts particuliers qui ne manquera pas de se manifester si le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale est rétabli.
Enfin, le principe de spécialité des compétences des établissements publics de coopération intercommunale n’est pas compatible avec la possibilité, pour une commune, de prendre une décision contraire à celle de l’EPCI compétent en matière d’urbanisme. Une telle possibilité est pourtant prévue dans le texte initial ; il faut évidemment supprimer cette disposition.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle que soit l’issue de nos débats de ce soir sur une approche trop réductrice et segmentée de la crise du logement dans notre pays, il est temps de placer le logement au rang de grande cause nationale et de préparer à ce titre un grand projet de loi sur ce sujet, ainsi que sur la mobilisation du foncier, intégré dans un nouveau plan de cohésion sociale. Je forme le vœu que ce soit une priorité de la prochaine législature, quel que soit le résultat des élections à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Thierry Repentin, rapporteur. Nous sommes d’accord !
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Monsieur le ministre, nous sommes au moins d’accord sur un constat : certains territoires de notre pays manquent cruellement de logements.
M. Claude Dilain. Dans ces conditions, nous pourrions être tentés de soutenir votre proposition, mais l’étude de l’article unique qui constituait votre projet de loi a fait naître en moi de graves inquiétudes.
La première de ces inquiétudes a trait au respect du principe de la libre administration des collectivités territoriales, garantie par l’article 72 de la Constitution. Vous me rétorquerez que votre projet de loi ne contrevient nullement à ce dernier, puisque vous daignez accorder aux collectivités territoriales le pouvoir de dire non. Dont acte, en tout cas sur le plan juridique !
Cependant, considérons le champ politique.
Il est tout de même surprenant de réduire la liberté de s’administrer des collectivités locales à la simple possibilité de faire jouer un droit de veto, alors que la France déploie depuis trente ans des efforts, parfois douloureux, pour tendre vers la décentralisation. Il s’agit là, mine de rien, au détour d’un projet de loi, d’amorcer un retour à la centralisation, au rebours du mouvement engagé par notre pays depuis trente ans. Il n’est pas neutre que l’on nous propose d’inverser ainsi le processus de décision.
J’y vois en outre une contradiction. Je pourrais comprendre que l’État impose aux collectivités territoriales des mesures conformes à l’intérêt supérieur du pays. Mais, dans cette hypothèse, il ne faut pas permettre aux collectivités territoriales de s’en exonérer grâce à une simple « note d’information »… Si l’intérêt supérieur de la nation est en jeu, la mesure doit être d’application générale ; sinon, il faut respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Ma deuxième inquiétude porte sur la densification, qui ne peut se résumer à une simple augmentation du nombre des logements : il faut aussi que les équipements publics suivent. Les communes riches pourront faire face à cette exigence, mais pas les autres ; il faudra les y aider.
J’espère que les maires bâtisseurs ne seront pas tous aidés de la même façon. Vous avez parlé de péréquation, monsieur le ministre : il aurait fallu l’instaurer dans le même mouvement. Sinon, nous risquons de l’attendre aussi longtemps que Godot… Ne renouvelez pas les erreurs commises dans les années soixante, quand on a construit des logements, sous la pression de l’urgence, en se disant que le reste suivrait. Or « le reste » n’a jamais suivi, et l’on sait ce qu’il est advenu de nombreux grands ensembles construits à cette époque, qui se sont totalement paupérisés.
Ma troisième inquiétude concerne la nature des logements devant être construits. Rien n’est prévu pour orienter le type de construction et améliorer la pluralité de l’offre. Le risque est grand que l’on continue à construire des logements privés là où l’on en a déjà réalisé beaucoup dans le passé, et des logements conventionnés dans les secteurs où ils représentent déjà une forte proportion du parc. Au pire, on ne construira rien du tout.
Monsieur le ministre, je n’oppose nullement le logement social au logement privé, au contraire de ceux qui stigmatisent le logement social en racontant n’importe quoi à son sujet ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
M. Benoist Apparu, ministre. Certains stigmatisent le logement privé ! Cela marche dans les deux sens.
M. Claude Dilain. Des maires prétendent qu’ils ne peuvent pas construire de logements sociaux parce que la population de leur commune, c'est-à-dire leurs électeurs, n’en veut pas. Cela n’a rien d’étonnant, car ils passent leur temps à dénigrer le logement social à tort et à travers : ce sont eux qui opposent logement social et logement privé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, il faut à la fois préserver la cohésion de la société française et accorder l’offre et la demande de logements sociaux. À mon départ de la mairie de Clichy-sous-Bois, j’ai calculé qu’il faudrait vingt et un ans pour épuiser la liste d’attente, sans tenir compte des nouveaux demandeurs !
En conclusion, j’estime que la mise en œuvre du dispositif proposé par le Gouvernement présente des risques énormes en regard de bénéfices faibles, même s’ils sont réels. Dans ces conditions, je voterai contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France compte aujourd'hui 3,6 millions de personnes non logées ou très mal logées, tandis que près de 10 millions de Français sont en situation de fragilité à cet égard.
La crise du logement est notamment due à la hausse exponentielle des prix depuis près d’une décennie – dans l’ancien, ils ont augmenté de 117 % entre 2000 et 2011 –, ainsi qu’au manque chronique de logements sociaux. Se loger est de plus en plus difficile et coûte de plus en plus cher. Jamais le logement n’a occupé une telle place dans le budget des Français.
Eu égard à cette situation catastrophique, nous avons non pas une obligation de moyens, mais une obligation de résultat. Cela étant posé, reste à savoir comment agir efficacement.
Il n’y a pas de recette miracle. Une loi ne résout rien si elle ne s’appuie pas sur une politique publique cohérente. Or une telle politique ne s’élabore pas en quelques jours : elle est le fruit d’un intense travail de concertation, de réflexion et de coopération entre tous les acteurs concernés.
Au lieu de cela, on nous présente un texte qui ne permettra pas du tout de résoudre les problèmes. Ce projet de loi est l’exemple type, monsieur le ministre, de la fausse bonne idée.
Tout d’abord, son examen intervient dans un contexte particulier, vous le savez bien. Sur un sujet aussi sensible et complexe que le logement, on aurait pu s’attendre à un débat serein, plutôt qu’à la discussion à marche forcée et en urgence d’un projet de loi parcellaire et redondant.
Ensuite, ce texte clôture de la pire des manières cinq années d’échec en matière de logement. Il y a cinq ans, on nous avait promis une France de propriétaires : où est-elle ? Nous avons également eu droit à des réformes, suivies de contre-réformes, de l’accès au crédit : quels ont été leurs effets ?
Voici maintenant que l’on nous soumet, à quelques jours de l’élection présidentielle, un texte qui méconnaît ou même piétine les politiques d’urbanisme mises en place par les collectivités, qui introduit une insécurité juridique patente et qui, surtout, ne répondra pas aux besoins des Français.
Ce projet de loi repose sur un principe en apparence si simple, si évident, que l’on se demande bien pourquoi le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, n’y a pas pensé plus tôt !
La vérité, c’est que ce texte a pour finalité d’habiller juridiquement une annonce de campagne du président sortant. Je trouve donc particulièrement malvenu, sur un sujet aussi sensible que celui du logement, que le Gouvernement agisse avec une telle précipitation et dans une telle improvisation. Ce texte a été si mal préparé que tous les acteurs du secteur du logement s’accordent à considérer qu’il n’améliorera en rien la situation existante.
En effet, ce projet de loi n’est tout simplement pas en résonance avec les besoins actuels. Pis, il n’est qu’une accumulation de vices de construction – permettez-moi cette formule – qui le rendent inopérant.
La France a besoin de beaucoup plus de logements sociaux, nous le savons tous. Aujourd’hui, des dérogations en matière de majoration des droits à construire, à hauteur de 50 %, sont déjà en vigueur pour favoriser la réalisation de ce type de logements, et les collectivités, qu’il s’agisse des communes ou des intercommunalités, font déjà de gros efforts dans ce domaine, on ne peut le nier. Qu’apportera donc de plus la majoration des droits à construire de 30 % prévue dans le présent projet de loi ? Rien, ou si peu ; en tout cas, elle ne favorisera pas la construction de logements sociaux.
Que dire aussi de l’absence de prise en considération des dérogations déjà accordées pour la construction et les équipements « verts » ? Votre texte vient les concurrencer très directement, monsieur le ministre, réduisant d’autant l’incitation à la construction écologique, en totale contradiction avec la Charte de l’environnement.
Enfin, que penser de la procédure retenue et du calendrier proposé ? Une fois de plus, vous compliquez la tâche des collectivités locales au-delà de toute logique, et au mépris de l’une de leurs compétences fondamentales, l’urbanisme.
Les communes et les intercommunalités ont fait beaucoup d’efforts, vous le savez, pour mettre en place des plans locaux d’urbanisme cohérents, lesquels dessinent, avec les SCOT et les PLH, les contours futurs de leurs territoires, dans le respect des exigences de développement durable, de développement de l’habitat et de renforcement des services et des transports. Or voilà que vous proposez une mesure dont l’application sera limitée dans le temps, qui mettra à mal la cohérence de ces projets urbains patiemment élaborés, et ce sans que les premiers acteurs concernés, les communes et les intercommunalités, puissent véritablement en débattre dans des conditions sereines. Ce n’est pas acceptable !
La procédure envisagée est inadmissible, parce qu’elle va à l’encontre de l’action des collectivités, en ouvrant de plus une brèche dans les politiques menées par les EPCI qui exercent la compétence d’urbanisme. Les collectivités n’auront plus qu’une seule liberté, celle de refuser d’appliquer la majoration des droits à construire. C’est là une bien curieuse liberté, on en conviendra : si elles refusent d’appliquer la majoration des droits à construire, les collectivités se verront accusées de ne pas vouloir bâtir et seront alors considérées comme responsables de la crise du logement…
Ce projet de loi constitue donc un contresens. La mise en œuvre de son dispositif risque même d’aboutir à l’effet inverse de celui qui est escompté, puisque le nombre de logements construits grâce à lui sera toujours insuffisant. Autrement dit, il y aura peut-être un peu plus de logements, mais certainement pas de baisse significative des prix !
Au final, on constate que, une fois de plus, le Gouvernement mène une politique en contradiction totale avec les besoins des Français.
Pour sa part, M. Repentin propose un dispositif visant à développer la réalisation de logements, notamment sociaux, grâce à la cession avec décote d’immeubles bâtis ou non bâtis appartenant à l’État. Je ferai observer à M. Dallier, qui s’inquiétait du coût d’un tel dispositif pour les finances publiques, que nombre de communes sont déjà obligées de céder gratuitement des terrains pour permettre la construction de logements sociaux. Elles vont même jusqu’à assumer les surcoûts engendrés par le respect de normes de qualité exigeantes, notamment sur le plan thermique, afin de réduire le poids des charges pour les locataires. J’estime donc que l’État pourrait très bien consentir le même effort que les collectivités.
Cette solution, assez simple, aurait pour effet de libérer du foncier, ce dont les collectivités ont véritablement besoin. Elle devra bien entendu s’inscrire dans un cadre plus global, comme l’exige la problématique du logement, mais, contrairement à votre proposition, monsieur le ministre, elle présente d’ores et déjà l’avantage de répondre aux problèmes actuels des Français, ce qui est beaucoup.
En conséquence, je voterai, comme l’ensemble des membres de la majorité sénatoriale, en faveur de l’adoption des propositions de M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention dans ce débat s’appuiera sur mon expérience de maire.
Mon conseil municipal et moi-même menons une politique très incisive en termes de densification urbaine et de création de logements nouveaux. Ce n’est pas un projet de loi comme celui que vous nous présentez, monsieur le ministre, qui permettra de régler d’un coup de baguette magique, grâce à une recette supposée imparable, la question du mal-logement.
Selon vous, la majoration de 30 % des droits à construire dynamiserait l’industrie du bâtiment, permettrait d’augmenter spectaculairement le nombre de logements et conduirait logiquement à une baisse des prix. Dans ce cas, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? En outre, pourquoi 30 % plutôt que 25 % ou que 40 % ? J’espère que vous répondrez tout à l’heure à ces questions, monsieur le ministre.
En matière d’urbanisme et de construction, la vitesse et la précipitation sont très mauvaises conseillères. Je vous rappelle que nous remédions aujourd'hui à très grands frais aux errements des années soixante ; il ne faudrait pas reproduire les mêmes erreurs.
À mes yeux, monsieur le ministre, non seulement votre projet de loi est inopérant, mais il comporte un grand nombre de vices cachés, sans offrir la moindre garantie décennale… S’il devait entrer en vigueur, cela susciterait inévitablement un grand nombre de recours.
Son dispositif est inopérant, car il est tout simplement impossible de construire de nouveaux logements dans un grand nombre de zones urbaines, en particulier dans les zones tendues où l’on observe une hausse insupportable des loyers.
Pourquoi ne pas plutôt commencer par le début, en procédant à un véritable recensement des terrains propres à supporter une densification, sans dommage pour les équilibres urbains et ruraux, dans le respect de l’aménagement du territoire ? Je reconnais que le délai est un peu court pour mettre en œuvre cette démarche que nous propose M. le rapporteur, mais elle aurait été beaucoup plus efficace que la vôtre, monsieur le ministre.
Par ailleurs, le dispositif que vous nous présentez est dangereux parce que, en l’absence de mesures volontaristes pour maîtriser les coûts d’acquisition des terrains et créer un choc d’offre, vous ouvrez les vannes de la spéculation. Les prix des terrains ne baisseront pas d’eux-mêmes et votre projet de loi ne contribuera pas à abaisser le coût des constructions. En effet, ce que les promoteurs achètent, c’est de la constructibilité. Il existe un risque réel de créer, à côté d’une bulle immobilière insupportable, une bulle foncière, déjà amorcée par le gel d’opérations par certains promoteurs.
À ce titre, l’État se doit d’être exemplaire. Monsieur le ministre, trouvez-vous normal que Réseau ferré de France propose de vendre à la ville dont je suis maire des terrains en friche pour un prix dix fois supérieur à l’estimation réalisée par France Domaine ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est fou !
M. Martial Bourquin. Sur cet espace, de 300 à 400 logements pourraient sortir de terre très rapidement. Une partie des logements démolis dans le cadre des opérations de l’ANRU pourraient être reconstruits sur ce site. La négociation avec RFF dure depuis plusieurs années : le prix demandé est passé de 90 euros le mètre carré à 50, puis à 25, pour des terrains évalués à 8 euros le mètre carré par France Domaine… On se croirait dans La vérité si je mens !
Voilà comment les choses se passent, monsieur le ministre ! C’est pourquoi la proposition faite par M. le rapporteur me semble bonne. Il faut pouvoir mobiliser plus facilement des terrains pour la construction de logements.
Enfin, votre dispositif est injuste. Qui peut croire que les 40 000 logements par an que vous escomptez relèveront du parc social ? Là encore, il faut un engagement fort de l’État. Sur ce plan, le relèvement du plafond du livret A est une bonne mesure.
Je voudrais maintenant formuler une remarque qui me tient à cœur.
Monsieur le ministre, avec ce projet de loi, qui relève à cet égard du même esprit que le texte relatif à l’urbanisme commercial, vous tournez manifestement le dos à l’urbanisme de projet. Vous ignorez sans états d’âme les PLU, les PLH, les SCOT, qui ont pourtant quelques vertus et dont l’élaboration a requis un important travail de prospective. La mise en œuvre de la mesure que vous préconisez les rendrait nuls et non avenus… À mon sens, les SCOT et les PLU sont les outils d’un urbanisme de projet.
Je suis favorable à une densification, mais pas n’importe laquelle et dans n’importe quelles conditions ! Elle doit être raisonnée, concertée, respectueuse des PLU et s’inscrire dans une démarche de qualité urbaine, ainsi que d’esthétique urbaine.
Le professeur Michel Lussault, qui a mené des travaux tout à fait intéressants sur ce sujet, explique que « pour réussir aujourd’hui une densification qui ne soit pas vécue comme une souffrance, il faut repenser les formes architecturales ». De même, il faut repenser les formes urbaines.
En l’absence de réflexion esthétique, permettre une majoration de 30 % des droits à construire pour des maisons ou des immeubles peut aboutir à des résultats catastrophiques !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Tout à fait !
M. Martial Bourquin. L’augmentation du volume de construction est certes une nécessité, mais elle n’aura de sens que si elle s’inscrit dans une démarche plus globale d’équilibre entre les habitations, les espaces publics et les services publics, attendus fort logiquement par la nouvelle population accueillie. Une ville est un ensemble complexe, vivant. Penser le logement isolément, sans prendre en considération les autres paramètres, est une erreur ; il doit être pensé dans sa globalité.
Au total, ce texte conjoncturel et dangereux fait la part belle à la dérégulation et ouvrira de nouveaux espaces de spéculation. Surtout, il oublie l’essentiel : le bien-être des habitants, auquel il nous incombe, en tant qu’élus, de veiller. L’aspect quantitatif a bien sûr son importance, surtout dans cette période difficile, mais la dimension qualitative, tant sur le plan énergétique que du point de vue architectural, doit être omniprésente dans nos réflexions et nos décisions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
projet de loi de mobilisation du foncier en faveur du logement
Article 1er A (nouveau)
I. – Le premier alinéa de l’article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques est ainsi rédigé :
« L'État peut procéder à l'aliénation d’immeubles bâtis ou non bâtis de son domaine privé à un prix inférieur à la valeur vénale lorsque ces immeubles sont destinés à la réalisation de programmes de constructions comportant essentiellement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social. Le montant de la décote peut atteindre 100 % de la valeur vénale de l’immeuble, pondérée par le rapport de la surface de plancher affectée au logement social à la surface de plancher totale du programme immobilier. L'avantage financier résultant de la décote est exclusivement et en totalité répercuté dans le prix de revient des logements sociaux réalisés sur l'immeuble aliéné. »
II. – La perte de recettes qui pourrait résulter pour l'État de l'application du présent article est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Benoist Apparu, ministre. Le dispositif adopté par la commission n’apporte rien de nouveau : l’État a déjà la possibilité de céder ses terrains à un prix inférieur à leur valeur vénale, en particulier en vue de la construction de logements. Nous venons ainsi de lancer une programmation pour la période 2012-2016, qui fait suite à celle de 2008-2012, afin de favoriser l’utilisation du foncier public pour la réalisation de 100 000 logements, dont 50 000 en Île-de-France.
En outre, la commission a prévu que la décote puisse aller jusqu'à 100 % pour les bailleurs sociaux. Je peux comprendre que l’on veuille consentir à ces derniers une décote supérieure à celle dont peuvent bénéficier des investisseurs privés. Il en est d’ailleurs déjà ainsi dans le droit positif actuel : la décote peut atteindre 35 %.
Cependant, porter à 100 % la décote maximale amputerait les recettes de l’État, ce qui ne me semble pas souhaitable à l’heure où la réduction des déficits publics est un objectif essentiel. Je rappelle que les cessions de terrains rapportent à l’État la bagatelle de 1,15 milliard d’euros par an.
J’observe qu’une évolution importante est intervenue par rapport à un certain discours prononcé non loin de Paris voilà quelques semaines : il avait alors été question d’une gratuité générale des cessions de terrains. Il est vrai que l’on constate une modulation analogue sur nombre d’autres points ayant été évoqués au Bourget…
En conclusion, le Gouvernement demande la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Je voudrais souligner que la commission a adopté ce dispositif hier sans qu’aucun vote contre soit émis.
M. Charles Revet. Allons, monsieur Repentin !
M. Thierry Repentin, rapporteur. J’y reviendrai.
Il s’agit de donner la possibilité à l’État de céder avec décote ses immeubles – et non pas seulement ses terrains, ce qui étend considérablement le champ de la mesure par rapport à l’état actuel du droit.
M. Thierry Repentin, rapporteur. Il pourra donc aussi s’agir de terrains bâtis.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Exact !
M. Thierry Repentin, rapporteur. La décote pourra aller jusqu'à 100 %.
Ce sera uniquement une faculté, l’État gardant la maîtrise des conditions de cession, qui sont fixées par un décret en Conseil d’État. Par ailleurs, il est précisé que la décote de 100 % ne concernera que la partie du programme dédiée au logement social, ce qui empêchera tout détournement de la plus-value latente par des acteurs privés, voire publics.
Je ne comprends pas, monsieur le ministre, comment on peut, d’un côté, appeler à une mobilisation du foncier pour la réalisation de logements, et, de l’autre, s’opposer à la cession de terrains inutilisés en vue de permettre à nos compatriotes d’accéder au logement, qui est un droit fondamental.
Je voudrais aussi revenir sur l’argument invoqué par le Gouvernement, selon lequel la situation actuelle des finances publiques ne permet pas à l’État de céder gratuitement les terrains qui lui appartiennent, l’objectif visé étant d’augmenter l’offre de logements sans peser sur la dépense publique.
Je récuse cette argumentation.
D’une part, la cession avec décote d’immeubles inutilisés n’engendre aucune dépense ou charge publique supplémentaire.
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Je pense même que, dans des cas où l’État délaisse son patrimoine, elle permet de réduire les dépenses publiques grâce à des économies de charges d’entretien ou de gardiennage.
M. Claude Bérit-Débat. Très bonne analyse !
M. Thierry Repentin, rapporteur. D’autre part, si l’on raisonne de façon globale, la perte d’actifs que représente la cession d’immeubles est largement compensée par la dynamisation de l’activité économique nationale.
Le mal-logement coûte une fortune à la collectivité nationale, sous forme de dépenses d’intervention pour aider les ménages à se loger et de dépenses sociales induites, liées par exemple à la difficulté d’accéder à l’emploi ou à l’échec scolaire. Il coûte cher en pouvoir d’achat, et donc en consommation et en croissance, car le logement constitue une dépense contrainte, qui absorbe une part grandissante du revenu des ménages. Il pèse aussi sur la compétitivité des territoires et des entreprises. Enfin, le manque de foncier disponible freine les projets de construction, et donc la création de richesses par le secteur du bâtiment, gros pourvoyeur d’emplois.
Pour ces raisons, je rejette l’idée que faciliter les cessions d’immeubles pour permettre la construction de logements sociaux appauvrirait l’État.
Par ailleurs, j’ai cherché à savoir comment l’État avait jusqu’à présent utilisé la possibilité, qui lui est ouverte depuis l’entrée en vigueur en 2009 de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite loi « MOLLE », de céder des terrains avec décote pour favoriser la construction de logements, notamment sociaux, dans notre pays. Il est très difficile d’obtenir des indications sur ce point. Pourtant, monsieur le ministre, la loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005 prévoyait la remise au Parlement d’un « rapport annuel indiquant la totalité des opérations de cession des actifs fonciers et immobiliers de l’État, partiellement ou totalement destinés à la création de nouveaux logements ».
M. Thierry Repentin, rapporteur. Or le Gouvernement ne nous a jamais remis ce rapport ! Il s’agit sans doute là d’un sujet d’investigation pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
M. Thierry Repentin, rapporteur. J’ai néanmoins essayé de trouver des éléments de réponse.
Au cours de l’année 2008, l’État a cédé 131 terrains, dont 16 seulement ont fait l’objet d’une décote, allant de 1 % à 35 %.
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est moins que le nombre de terrains ayant été mis gratuitement à disposition de bailleurs sociaux par des communes de mon département ! J’ajoute que chacune de ces cessions gratuites a été accompagnée d’une subvention de la commune et du conseil général pour assurer l’équilibre financier de l’opération. Il s’agit pourtant là d’une compétence d’État…
J’estime qu’il serait légitime que l’État consente lui aussi, à son échelle, un tel effort de solidarité. Nous proposons seulement de lui permettre d’accorder au cas par cas, si cela se justifie, des décotes pouvant aller jusqu’à 100 %, notamment dans les zones tendues. Il ne s’agira pas, je le répète, d’une obligation.
Monsieur le ministre, vous comprendrez donc que la commission ne puisse émettre qu’un avis défavorable sur cet amendement. Je vous suggère même de le retirer. (M. le ministre rit.) En effet, seul le Gouvernement souhaite la suppression de cet article : comment nos collègues de l’UCR et de l’UMP pourraient-ils voter maintenant contre une disposition qu’ils ont approuvée ou qu’ils n’ont pas combattue en commission ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. Vous exagérez un peu, monsieur Repentin !
M. Thierry Repentin, rapporteur. Pas du tout !
M. Charles Revet. Cette analyse est inacceptable !
Mme Élisabeth Lamure. C’est tiré par les cheveux !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Benoist Apparu, ministre. J’avoue être assez surpris par la comparaison entre les collectivités territoriales et l’État qu’a établie M. le rapporteur. Peut-être ai-je mal lu le texte adopté par la commission, mais il ne m’a pas semblé qu’il fasse référence aux collectivités territoriales : pourquoi ne pas les autoriser également à pratiquer des décotes allant jusqu’à 100 % ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Mais cela se pratique !
M. Claude Bérit-Débat. Les collectivités le font tous les jours !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si M. le ministre observait davantage ce qui se passe sur le terrain, il constaterait que l’essentiel des logements sociaux sont construits avec une aide foncière des collectivités territoriales, qui équivaut à une décote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le Gouvernement dit souvent qu’il faut éviter de légiférer quand cela n’est pas nécessaire. En l’occurrence, l’intervention de la loi s’impose, car l’attitude de l’État est souvent plutôt malthusienne en la matière : il consent rarement une décote sur les terrains qu’il cède.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Pour ma part, je trouve assez choquant d’inscrire dans la loi que l’État aura la possibilité de céder gratuitement des terrains.
En tant que rapporteur de la mission d’information sur la création de la direction générale des finances publiques, j’ai eu l’occasion de me pencher sur la gestion du patrimoine immobilier de l’État. Chaque fois que l’État vend une propriété, le Parlement exige d’être informé sur les conditions de la cession, ce qui me semble d’’ailleurs normal. Mme Bricq, notamment, est très vigilante sur ce point.
J’admets tout à fait que l’on puisse autoriser une décote par rapport à l’évaluation de France Domaine dans des limites bien déterminées, mais ici il s’agit d’accorder un blanc-seing : certains terrains seraient cédés à titre gratuit, d’autres non, sans que l’on puisse savoir les motifs de ces différences de traitement. Drôle de proposition !
Par ailleurs, il est peut-être vrai que la cession de terrains dynamise l’activité économique, comme l’a dit M. le rapporteur. Cela étant, notre pays est confronté à un très lourd problème d’endettement, qu’il doit impérativement régler. L’État peut certes vendre des terrains pour favoriser la construction de logements, notamment sociaux, mais considérer qu’il doit systématiquement les donner serait, à mon avis, aller bien trop loin !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Sinon, ce sera de l’aide à la pierre !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. En tant que président d’une petite communauté de communes rurale, j’achète des terrains pour les donner ensuite aux organismes d’HLM, parce que je mène une politique de construction de logements. Cela me paraît assez normal.
Je n’ai donc pas été choqué lorsque M. le rapporteur nous a présenté son amendement en commission. Après tout, pourquoi l’État ne consentirait-il pas lui aussi dans certains cas une décote pouvant aller jusqu’à 100 % ?
Toutefois, à l’instar de nos collègues de l’UMP, les membres de mon groupe et moi-même nous sommes abstenus sur cette disposition en commission, en raison de la manière dont les différents amendements nous ont été présentés. Je conteste la méthode de la commission, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, on a soumis à notre examen un premier amendement, devenu l’article 1er A, sans nous indiquer que son dispositif avait en fait vocation à se substituer au texte du Gouvernement, qui a été supprimé seulement dans un second temps, par un autre amendement de la commission ! (M. le rapporteur fait un signe de dénégation.)
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Daniel Dubois. Sur le fond, la commission a retoqué un certain nombre d’amendements en arguant qu’ils n’avaient pas de lien avec le texte en discussion. Mais son amendement tendant à permettre à l’État de céder des terrains gratuitement a-t-il un quelconque rapport avec le projet de loi initial, dont l’objet était la majoration de 30 % des droits à construire ?
Le troisième alinéa de l’article 48 du règlement du Sénat stipule que « les amendements sont recevables s’ils s’appliquent effectivement au texte qu’ils visent ou, en première lecture, s’ils présentent un lien, même indirect, avec le texte en discussion ». L’amendement de la commission aurait dû lui aussi être déclaré irrecevable.
Dans ces conditions, même si le texte du Gouvernement me paraît difficilement applicable, je voterai l’amendement n° 2.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'économie.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. En commission, nous avons en effet d’abord examiné un premier amendement déposé par M. le rapporteur visant à insérer un article additionnel, puis un deuxième tendant à supprimer l’article unique du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Mais mon cher collègue, vous disposiez de la liasse des amendements depuis la veille : tout était donc parfaitement clair ! (M. Claude Bérit-Débat acquiesce.) Pourquoi ce procès d’intention ? Vous êtes tout de même suffisamment expérimenté et compétent, monsieur Dubois, pour appréhender la démarche de la commission. Vous n’êtes pas un perdreau de l’année ! (Sourires.) D’ailleurs, Mme Lamure et M. Revet avaient très bien compris de quoi il s’agissait !
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Je n’ai donc pas l’intention de battre ma coulpe sur ce sujet : tout était clair et transparent depuis la veille. Je n’accepte pas un tel procès d’intention ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er A
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Dubois et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme est ainsi rédigé :
« Art. L. 600-1-1. - I. - Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si, cumulativement :
« - le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ;
« - son objet statutaire est en lien direct avec des préoccupations ou des considérations d'urbanisme ;
« - le recours comporte la justification de la décision des instances compétentes de l'association d'agir en justice contre la décision concernée, ainsi que du pouvoir donné à son représentant pour signer et déposer la requête.
« II. - Une personne physique n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si elle justifie cumulativement lors du dépôt du recours :
« - de l’occupation antérieure à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire d’un bien immobilier ;
« - de la co-visibilité directe de ce bien avec le terrain d'assiette du projet ayant fait l'objet de la décision concernée.
« III. - Les éléments constitutifs de l’intérêt à agir sont appréciés au jour de la délivrance de la décision contestée. »
« Les dispositions prévues aux I et II sont applicables aux recours administratifs et aux recours contentieux. »
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, si vous le permettez, je souhaiterais présenter en même temps les amendements nos 9 rectifié et 7.
M. le président. J’appelle donc en discussion les amendements nos 9 rectifié et 7.
L'amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Dubois et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine et Mme Lamure, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 600-1-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 600-1-2. - Une personne physique ou morale autre qu’une association n'est recevable à agir à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou à un permis de construire, d’aménager, ou de démolir que si elle justifie, lors du dépôt de sa requête et à peine d’irrecevabilité de son recours, que cette décision aura des incidences directes sur les conditions d’occupation ou d’utilisation du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement, ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente ou de bail. »
L'amendement n° 7, présenté par M. Dubois et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 600-1-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 600-1-3. - Le juge peut, à la demande du défendeur, infliger à l'auteur d'une requête contre une autorisation d’urbanisme qu'il estime abusive, une amende dont le montant ne peut être inférieur à 15 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
Veuillez poursuivre, monsieur Dubois.
M. Daniel Dubois. Ces trois amendements concernent les recours abusifs.
L’amendement n° 6 vise à inscrire dans la loi les critères retenus par la jurisprudence pour définir l’intérêt à agir d’un tiers contre une autorisation d’urbanisme.
Sont ainsi reprises les exigences jurisprudentielles, tel le fait que l’objet statutaire d’une association requérante soit lié à des questions d’urbanisme. De même, un particulier introduisant un recours doit justifier qu’il occupe un bien concerné avant que n’intervienne la demande d’autorisation. En outre, le requérant doit justifier de la co-visibilité du projet contesté avec le bien qu’il occupe.
En portant de telles exigences au niveau légal, il s’agit de renforcer la force juridique de la pratique prétorienne.
Par ailleurs, la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme sera renforcée par l’introduction d’un critère temporel à l’intérêt à agir. Il devra être constitué lors de la délivrance de la décision contestée, et non lors de l’introduction du recours, comme cela est prévu en l’état actuel du droit.
Comme le juge constitutionnel l’a rappelé, l’encadrement de l’intérêt à agir n’est pas inconstitutionnel. Il s’agit seulement de distinguer plus facilement, par un faisceau d’indices, une requête abusive d’une requête fondée sur des moyens sérieux.
L’idéal serait même de prévoir une procédure accélérée, la procédure pour ce type de recours durant actuellement deux ans, ce dont pâtissent les architectes et promoteurs, les élus locaux et les demandeurs de logement.
L’amendement n° 9 rectifié est un amendement de repli par rapport au précédent, dont il est une version édulcorée, à la portée plus limitée. Il vise à porter au niveau législatif les conditions de recevabilité des requêtes des personnes physiques ou morales autres que les associations contre les décisions de non-opposition.
Enfin, l’amendement n° 7 tend à prévoir que le montant des amendes sanctionnant les recours abusifs ne puisse être inférieur à 15 000 euros, alors qu’il est aujourd'hui plafonné à 3 000 euros.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Certes, une réforme du fonctionnement de la justice administrative pour lutter contre les recours abusifs en matière d’urbanisme est sans doute attendue par nombre d’élus locaux.
Toutefois, une réforme aussi complexe ne peut certainement pas se faire par voie d’amendement, au détour de l’examen d’un tel projet de loi. Il convient de prendre le temps de l’analyse et de la concertation avec les juristes, les élus et les corps intermédiaires, si nécessaires à la démocratie.
En effet, en matière d’urbanisme, le diable se cache toujours dans les détails. Une réforme précipitée pourrait se révéler un remède pire que le mal.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements. Mais sans doute s’agit-il d’amendements d’appel au Gouvernement…
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, ministre. Il me semble également qu’il s’agit là d’amendements d’appel. Cet appel a été largement entendu par le Gouvernement, puisque, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, un décret est en cours de préparation. Il sera transmis au Conseil d'État d’ici à la fin du mois de mars.
Je rappelle qu’un atelier spécifique sur le contentieux, qui est aujourd’hui la plaie du secteur de la construction dans notre pays, avait été mis en place dans le cadre de la démarche « urbanisme de projet » ; vous y avez d’ailleurs largement participé, monsieur Dubois.
En d’autres termes, monsieur le rapporteur, la concertation avec les élus, les juristes et les corps intermédiaires a déjà eu lieu. Nous disposons d’un certain nombre d’outils pour mieux lutter contre les contentieux « mafieux » ou, en tout cas, abusifs.
À mon sens, les deux premiers amendements vont trop loin en matière de limitation du droit au recours. Quant au troisième, il me paraît être d’ordre réglementaire.
Pour sa part, le décret en préparation va aussi loin que possible tout en restant dans le cadre juridique pertinent. Ainsi que je l’ai déjà indiqué à l’Assemblée nationale, ces amendements étant assez éloignés de l’objet du texte, ils risquent d’être considérés comme des cavaliers. Tout en reconnaissant la justesse de votre constat et de votre analyse, je vous demande donc, monsieur Dubois, de bien vouloir les retirer ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Dubois, les amendements nos 6, 9 rectifié et 7 sont-ils maintenus ?
M. Daniel Dubois. Pourquoi parler de précipitation ? Cela fait quinze ans que l’on évoque ce sujet et que l’on s’abrite derrière de bons arguments pour ne jamais légiférer !
Certes, le problème est complexe, mais la réflexion a progressé. Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée et le ministère de la justice a été consulté sur le montant des amendes. Prendre de telles dispositions constituerait un signal extrêmement fort pour les maîtres d’ouvrage. Dans certains secteurs, notamment en Île-de-France, la quasi-totalité des permis de construire font l’objet de recours.
M. Philippe Dallier. Chez moi, aucun n’a jamais été attaqué en quinze ans !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela arrive moins souvent en banlieue !
M. Daniel Dubois. Le législateur doit apporter des solutions à ce problème. Il faut augmenter le montant des amendes, car il est actuellement ridicule. Après deux ans de procédure, un promoteur, même s’il a gagné en justice, est souvent épuisé et renonce à l’opération sans se retourner contre l’association requérante. C’est un cercle dont on ne sort pas.
Il est urgent d’agir. Les dispositions que nous proposons de mettre en œuvre ne coûtent rien et auraient des effets tout à fait positifs sur la promotion immobilière, qu’elle soit sociale ou privée.
Cela étant dit, j’accepte de retirer mes amendements, puisqu’un décret est en cours de préparation. J’espère, monsieur le ministre, qu’il nous permettra d’avancer.
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. L’article 1er a été supprimé en commission, et nous nous en félicitons.
En effet, le texte initial du Gouvernement relevait de la supercherie dans la mesure où il donnait à croire que les collectivités, en maintenant un niveau de constructibilité trop bas, empêcheraient la réalisation de logements et seraient donc responsables de la crise du logement.
Une telle approche est pour le moins contestable.
Le véritable problème tient au désengagement de l’État du domaine du logement, qui se traduit par un assèchement des crédits destinés aux aides à la pierre et une limitation draconienne de la participation des pouvoirs publics au financement de programmes de logements sociaux.
Ainsi, le financement des prêts locatifs aidés d’intégration est passé de 10 760 euros à 9 600 euros dans la dernière loi de finances. Ce montant est très insuffisant, sachant que la construction d’un logement coûte, en moyenne, 150 000 euros.
La substitution à l’article 1er de l’article 1er A ouvre d’autres pistes tout à fait pertinentes pour répondre à la crise du logement, notamment la mise à disposition gratuite de terrains ou d’immeubles appartenant à l’État.
Une telle mesure apparaît justifiée lorsque l’on sait que si des logements se construisent aujourd’hui, ce n’est pas grâce à votre action, monsieur le ministre, mais bien parce que les collectivités interviennent et financent lourdement les programmes de construction. À titre d’exemple, nos communes rurales vendent leurs terrains viabilisés à perte, sinon elles ne trouvent pas preneur.
Pour répondre aux besoins, plutôt que de stimuler l’offre privée de logement, il faut favoriser la production de logements publics accessibles à tous. À cet égard, l’action des collectivités est déterminante ; l’article 1er A constitue une piste intéressante pour la soutenir. En effet, la faiblesse des aides à la pierre, les ponctions opérées sur les ressources des offices d’HLM afin de financer l’ANRU, la hausse du taux de TVA pesant sur les travaux plongent les bailleurs sociaux et les collectivités dans une situation inextricable, qui ne leur permet pas de fournir un effort de construction de logements sociaux qui soit à la hauteur des besoins. La semaine dernière, l’office d’HLM des Côtes-d’Armor m’a adressé un courrier faisant état de ces difficultés.
Il arrive aussi fréquemment aux collectivités locales de céder des terrains pour un euro symbolique aux offices d’HLM départementaux afin que ceux-ci y construisent des logements sociaux. Nous montrons ainsi l’exemple à l’État.
Le nombre de personnes pouvant encore se loger dans le privé diminuant chaque jour en raison de l’envolée des loyers, la situation ne risque pas de s’arranger et la file des demandeurs d’un logement social n’est pas près de se réduire.
Si cette situation est, pour partie, la conséquence de la crise qui a entraîné une perte de pouvoir d’achat pour nos concitoyens, elle est également liée à la spéculation implacable qui sévit dans le secteur du logement et permet des hausses des loyers vertigineuses dans le privé.
Il nous faut donc envisager les moyens concrets de retrouver des marges de manœuvre pour financer la construction de logements publics, notamment par le biais des PLAI et des PLUS.
Je ferai d’abord observer que, parmi les quatre postes constitutifs du prix de revient d’un logement neuf – le foncier, les études, la construction et les intérêts d’emprunts –, deux ne correspondent à aucun travail ni à aucune production matérielle. La valeur du foncier et les intérêts d’emprunts sont purement spéculatifs. Nous pouvons donc actionner deux leviers pour favoriser la construction de logements : il faut agir pour inverser la tendance en matière d’évolution du coût du foncier, préoccupation à laquelle répond pour partie l’article 1er A, et obtenir une réduction de la charge des intérêts d’emprunts.
Sur ce second point, force est de constater que, comme cela a été rappelé précédemment, tous les dispositifs fiscaux d’accompagnement de l’immobilier ont visé à casser la notion même de « parc social », à banaliser celui-ci pour l’intégrer dans la sphère marchande de l’immobilier privé et à encourager dans le même temps l’investissement rentier.
Toutes ces évolutions ont conduit l’État à financer toujours plus l’accession à la propriété et l’investissement locatif à but lucratif, au détriment de la construction sociale et solidaire.
Pourquoi ne pas modifier la destination de ces aides fiscales en instaurant un prêt à taux zéro pour la construction sociale ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) Ce dispositif pourrait être mis en œuvre par la Caisse des dépôts et consignations, à condition de réaffirmer la nécessaire centralisation totale des ressources du livret A par cet organisme.
M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est un vrai sujet !
M. Gérard Le Cam. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, un amendement allant dans ce sens déposé par notre groupe avait été adopté. Une telle mesure a toute sa pertinence ici.
Quoi qu’il en soit, nous approuvons le texte de la commission, car il vise à un renforcement de l’intervention publique en faveur de la construction de logements publics accessibles au plus grand nombre.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - Aux deuxième et troisième phrases du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11 du code de l'urbanisme, le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 30 % ».
II. - Après le même article L. 123-1-11, il est inséré un article L. 123-1-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 123-1-11-1. - I. - Les droits à construire résultant des règles de gabarit, de hauteur, d'emprise au sol ou de coefficient d'occupation des sols fixées par le plan local d'urbanisme, le plan d'occupation des sols ou le plan d'aménagement de zone sont majorés de 30 % pour permettre l'agrandissement ou la construction de bâtiments à usage d'habitation, dans les conditions prévues au présent article. Cette majoration s'applique dans les communes dotées d'un plan local d'urbanisme, d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan d'aménagement de zone en vigueur à la date de promulgation de la loi n° … du … relative à la majoration des droits à construire.
« La majoration de 30 % prévue au premier alinéa du présent I n'est applicable ni dans les zones A, B et C des plans d'exposition au bruit mentionnées à l'article L. 147-4, ni dans les secteurs sauvegardés. Elle ne peut avoir pour effet de modifier une règle édictée par l'une des servitudes d'utilité publique prévues à l'article L. 126-1, ni de déroger aux chapitres V et VI du titre IV du livre Ier.
« Elle ne s'applique pas si le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme a pris, avant la promulgation de la loi n° … du … précitée, une délibération faisant application du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.
« II. - Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … précitée, l'autorité compétente, en application de l'article L. 123-6, pour élaborer le plan local d'urbanisme met à la disposition du public une note d'information présentant les conséquences de l'application de la majoration de 30 % prévue au I du présent article sur le territoire de la ou des communes concernées, notamment au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 121-1. Le public dispose d'un délai d'un mois pour formuler ses observations à compter de la mise à disposition de cette note.
« Les modalités de la consultation du public prévue au premier alinéa du présent II et du recueil et de la conservation de ses observations sont précisées, selon le cas, par le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent et portées à la connaissance du public au moins huit jours avant le début de cette consultation. Elles peuvent prendre la forme d'une mise en ligne du dossier de consultation ou d'une présentation au cours d'une réunion publique.
« À l'issue de la mise à disposition de la note d'information mentionnée au même premier alinéa, le président de l'établissement public ou le maire présente la synthèse des observations du public à l'organe délibérant de l'établissement public ou au conseil municipal. Cette synthèse est publiée dans les conditions prévues pour la publication des documents modifiant les règles d'urbanisme.
« III. - La majoration mentionnée au premier alinéa du I est applicable huit jours après la date de la séance au cours de laquelle la synthèse des observations du public a été présentée à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou au conseil municipal et au plus tard à l'expiration d'un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … précitée, sauf si l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 123-6, le conseil municipal décide, à l'issue de la consultation du public prévue aux deux premiers alinéas du II du présent article, qu'elle ne s'applique pas sur tout ou partie du territoire de la ou des communes concernées ou s'il adopte la délibération prévue au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.
« À tout moment, le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent peut adopter une délibération mettant fin à l'application de la majoration prévue au I du présent article sur tout ou partie du territoire de la commune ou des communes concernées. Il en est de même s'il décide d'adopter la délibération prévue au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11. Dans les deux cas, cette délibération est précédée de la consultation du public prévue, respectivement, au II du présent article ou au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.
« Les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peuvent décider d'appliquer la majoration prévue au I du présent article sur leur territoire, nonobstant toute délibération contraire de l'établissement public, ou d'écarter cette application.
« IV. - Le présent article s'applique aux demandes de permis et aux déclarations déposées en application de l'article L. 423-1 avant le 1er janvier 2016. »
III. - L'article L. 128-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il en est de même de l'application combinée des articles L. 123-1-11-1, L. 127-1, L. 128-1 et L. 128-2. »
La parole est à M. le ministre.
M. Benoist Apparu, ministre. Il s’agit simplement de rétablir la rédaction du texte issue des travaux de l’Assemblée nationale.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Jarlier et Dubois, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - Aux deuxième et troisième phrases du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11 du code de l'urbanisme, le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 30 % ».
II. - Après le même article L. 123-1-11, il est inséré un article L. 123-1-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 123-1-11-1. - I. - Les droits à construire résultant des règles de gabarit, de hauteur, d'emprise au sol ou de coefficient d'occupation des sols fixées par le plan local d'urbanisme, le plan d'occupation des sols ou le plan d'aménagement de zone sont majorés de 30 % pour permettre l'agrandissement ou la construction de bâtiments à usage d'habitation, dans les conditions prévues au présent article. Cette majoration s'applique dans les communes situées dans des zones géographiques caractérisées par un déséquilibre manifeste entre l'offre et la demande de logements définies par décret et dotées d'un plan local d'urbanisme, d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan d'aménagement de zone en vigueur à la date de promulgation de la loi n° … du … relative à la majoration des droits à construire.
« La majoration de 30 % prévue au premier alinéa du présent I n'est applicable ni dans les zones A, B et C des plans d'exposition au bruit mentionnées à l'article L. 147-4, ni dans les secteurs sauvegardés. Elle ne peut avoir pour effet de modifier une règle édictée par l'une des servitudes d'utilité publique prévues à l'article L. 126-1, ni de déroger aux chapitres V et VI du titre IV du livre Ier.
« Elle ne s'applique pas si le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme a pris, avant la promulgation de la loi n° … du … précitée, une délibération faisant application du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.
« II. - Dans un délai de trois mois après l’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la majoration des droits à construire, l’autorité compétente en application de l’article L. 123-6 procède à un débat sur les moyens à mettre en œuvre en vue d’augmenter la densification urbaine dans les communes et établissements de coopération intercommunale visés au premier alinéa du I.
« Dans le cadre de ce débat, elle détermine les secteurs situés en zone urbaine à l’intérieur desquels s’appliquera la majoration visée au I du présent article, dans le respect des dispositions mentionnées à l’article L. 121-1 et au regard de l’équilibre entre l’offre et la demande de logements, en particulier en matière de logement social.
« Dans un délai d’un mois après ce débat, elle met à la disposition du public une note d’information présentant le contenu, l’impact et la sectorisation de l'application de la majoration des droits à construire.
« Le public dispose d’un délai d’un mois pour formuler ses observations à compter de la mise à disposition.
« Les modalités de la consultation du public et du recueil et de la conservation de ses observations sont précisées par le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent et portées à la connaissance du public au moins huit jours avant le début de cette consultation. Elles peuvent prendre la forme d'une mise en ligne du dossier de consultation ou d'une présentation au cours d'une réunion publique.
« Dans un délai d’un mois à l'issue de la consultation du public, le président de l'établissement public ou le maire présente la synthèse des observations du public à l'organe délibérant qui fixe les secteurs dans lesquels la majoration s’appliquera. Cette synthèse est publiée dans les conditions prévues pour la publication des documents modifiant les règles d'urbanisme.
« III. - La majoration mentionnée au premier alinéa du I est applicable dans les secteurs définis par la délibération visée aux précédents alinéas, huit jours après la date de la séance au cours de laquelle la synthèse des observations du public a été présentée à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou au conseil municipal.
« À tout moment, le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent peut adopter une délibération mettant fin à l'application de la majoration prévue au I sur tout ou partie du territoire de la commune ou des communes concernées. Il en est de même s'il décide d'adopter la délibération prévue au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11. Dans les deux cas, cette délibération est précédée de la consultation du public prévue, respectivement, au II du présent article ou au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.
« IV. - Le présent article s'applique aux demandes de permis et aux déclarations déposées en application de l'article L. 423-1 avant le 1er janvier 2016. »
III. - L'article L. 128-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il en est de même de l'application combinée des articles L. 123-1-11-1, L. 127-1, L. 128-1 et L. 128-2. »
La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Cet amendement vise à rétablir la majoration des droits à construire initialement proposée par le Gouvernement, en modifiant quelque peu le dispositif, notamment pour limiter son application aux secteurs tendus. En effet, pourquoi imposer des procédures complexes et coûteuses à des collectivités lorsqu’une densification n’est pas nécessaire ?
Par ailleurs, préalablement à la concertation avec la population, il est important qu’un débat puisse avoir lieu en conseil municipal en vue d’adopter une délibération établissant, en conformité avec le PADD, où et dans quelles conditions une densification est envisageable. Notre amendement vise également à instaurer une telle procédure, qui permettra de respecter l’esprit de l’urbanisme de projet tel qu’il a notamment été défini par la loi SRU.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Lors de la discussion générale, plusieurs orateurs ont exposé pourquoi le dispositif proposé par le Gouvernement n’était pas judicieux.
Il a été élaboré de manière précipitée, sans consultation, il est redondant avec le droit existant et sa mise en œuvre ferait courir de lourds risques de contentieux aux particuliers et aux collectivités territoriales, en particulier du fait des incertitudes qui entourent les modalités de consultation du public. Il va à l’encontre d’une démarche urbanistique de qualité. Enfin, il place les communes en position d’accusées.
La commission est donc totalement défavorable à l’amendement n° 3, qui vise à le rétablir.
Quant à l’amendement n° 5, il tend à éliminer certaines scories du texte du Gouvernement et à améliorer son dispositif en en limitant le champ d’application à certains secteurs tendus, en rendant plus cohérent le processus d’information et de délibération et en supprimant une disposition totalement incompréhensible qui permet à une commune d’appliquer éventuellement la majoration des droits à construire alors même que l’EPCI dont elle est membre aurait pris une décision contraire !
Cela étant, dans la mesure où il s’agit seulement d’améliorer quelque peu un mauvais texte, la commission émet un avis défavorable.
Néanmoins, je précise à notre collègue Jarlier, dont l’une des motivations, je le sais, est d’ouvrir un débat sur la densification à l’occasion de l’examen de ce texte, qu’il existe dans la loi MOLLE une disposition, hélas ! trop méconnue des maires et de nos concitoyens, permettant d’ores et déjà d’augmenter la densité des constructions. Cette méconnaissance procède sans doute d’un manque de « service après-vote » de la part du Gouvernement.
En effet, l’article L. 123-1-1 du code de l’urbanisme, tel que modifié par cette loi, dispose que le conseil municipal peut délibérer sur l’opportunité d’une application des dispositions prévues au sixième alinéa, c'est-à-dire du dispositif de majoration des droits à construire créé par l’article 10 de la loi MOLLE. De nombreuses communes ignorent l’existence de cette disposition, qui a été adoptée en 2009. Les services décentralisés de l’État devraient diffuser l’information nécessaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, ministre. Si la Haute Assemblée devait ne pas adopter l’amendement du Gouvernement, ce que je ne saurais imaginer (Sourires.), l’amendement de M. Jarlier constituerait une solution de repli opportune. Le Gouvernement y est donc favorable.
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Nous voterons l’amendement du Gouvernement.
Cela étant dit, je voudrais revenir sur les propos qu’a tenus M. Dubois sur la méthode de discussion des amendements en commission.
Pourquoi, monsieur le rapporteur, avez-vous présenté un amendement, qui a été adopté par la majorité de la commission, visant à prévoir que l’État mette du foncier à disposition pour la construction de logements, avant de rejeter nos amendements tendant à instaurer, sous une autre forme, des dispositifs ayant un objet analogue, au motif qu’ils étaient, selon vous, hors sujet ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Où sont ces amendements ? Vous pouviez les redéposer !
M. Charles Revet. J’aimerais comprendre la logique de votre démarche. Manifestement, il y a deux poids, deux mesures, ce qui n’est pas acceptable.
J’en reviens à l’amendement du Gouvernement.
À l’évidence, son dispositif ne suffira pas, à lui seul, à provoquer la relance que tout le monde attend et qui permettrait de répondre aux besoins de nos concitoyens. Cela étant, il présente l’avantage, à mes yeux très important, d’ouvrir à de nombreuses familles la possibilité d’agrandir leur logement. En effet, à l’heure actuelle, elles ne peuvent le faire si le COS est saturé, alors qu’elles en auraient grand besoin quand elles accueillent un nouvel enfant ou comptent en leur sein une personne handicapée, par exemple. Tous les maires ont été un jour confrontés à de tels cas.
Certes, monsieur le rapporteur, il existe déjà, dans la législation actuelle, des dispositifs permettant aux collectivités d’adopter une délibération afin de majorer le COS. Toutefois, cela prend du temps et tous les ménages ne sont pas placés sur un pied d’égalité, puisqu’il s’agit là d’une simple faculté ouverte aux communes.
Nous soutenons donc l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thierry Repentin, rapporteur. S’agissant tout d’abord de la méthode, je vous renvoie, monsieur Revet, au compte rendu des travaux de la commission. Les choses ont été très claires : la liasse des dix amendements déposés a été distribuée la veille de la réunion de la commission et, lors de celle-ci, j’ai indiqué que je proposerais l’insertion d’un article additionnel et que je demanderais la suppression de l’article unique adopté par l’Assemblée nationale. Il ne pouvait donc pas y avoir d’ambiguïté. Je le redis, afin que mes propos figurent au Journal officiel.
Par ailleurs, je répète que le code de l’urbanisme permet déjà de répondre à la situation que vous avez évoquée : le conseil municipal peut prendre une délibération autorisant le propriétaire d’un pavillon à procéder à des travaux d’agrandissement même si le potentiel de construction offert par le COS a déjà été entièrement utilisé. Cette procédure est simple et rapide, puisque le délai est d’un mois.
Par conséquent, la disposition présentée par le Gouvernement est redondante par rapport au droit existant.
M. le président. En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Amoudry et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les communes touristiques et stations classées de tourisme couvertes par un plan local d'urbanisme, l’organe délibérant compétent peut décider de la majoration de 30 % des droits à construire, et conditionner le bénéfice de cette mesure au versement par les bénéficiaires au profit de la collectivité d’une contribution affectée obligatoirement au financement de logements sociaux.
Dans un délai d’au moins deux mois avant cette décision, l’assemblée délibérante établit, en conformité avec son projet urbain tel qu’il résulte de l’application de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, une proposition de zonage et les modalités d’application de la majoration des droits à construire, et le cas échéant de sa contrepartie financière.
Cette proposition fait l’objet d’une note d’information mise à la disposition du public.
Au moins un mois après cette mise à disposition, et préalablement à la décision mentionnée au premier alinéa du présent article, l’assemblée délibérante examine la synthèse des observations du public et la publie dans les conditions prévues pour la publication des documents modifiant les règles d’urbanisme.
La majoration de 30 % prévue au premier alinéa n'est applicable ni dans les zones A, B et C des plans d'exposition au bruit mentionnées à l'article L. 147-4, ni dans les secteurs sauvegardés. Elle ne peut avoir pour effet de modifier une règle édictée par l'une des servitudes d'utilité publique prévues à l'article L. 126-1, ni de déroger aux chapitres V et VI du titre IV du livre Ier.
La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Cet amendement concerne tout particulièrement les communes touristiques, qui sont soumises à une forte pression immobilière et où l’accès des résidents permanents et des travailleurs saisonniers au logement représente un grave problème, tant humain que sociologique.
En effet, dans les stations de montagne et les stations balnéaires, le développement du marché de la résidence secondaire, souvent dopé par l’existence d’une clientèle aisée, engendre une hausse très importante des prix du foncier et de l’immobilier.
En conséquence, les actifs, notamment les saisonniers, ne peuvent plus se loger et les politiques publiques mises en œuvre ne permettent pas de contenir la raréfaction du foncier constructible et la hausse des prix.
En outre, l’augmentation des droits à construire pour des habitats mixtes s’exerce plus difficilement dans les communes touristiques que dans les grandes cités, en raison de la nature et de la destination des projets immobiliers, souvent de haut de gamme, éloignés des transports et des commodités.
C’est pourquoi le présent amendement vise à permettre la majoration de la constructibilité dans ces communes, tout en la subordonnant au versement d’une contribution au profit de la collectivité. Le montant de cette contribution serait affecté obligatoirement au financement de logements sociaux, dissociés de l’habitat résidentiel touristique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thierry Repentin, rapporteur. Monsieur Amoudry, votre proposition, qui vise à faire participer les bénéficiaires de droits à construire majorés au financement du logement social, est intéressante et j’y suis très sensible. Toutefois, je le répète une nouvelle fois, il existe déjà des dispositifs permettant d’augmenter les droits à construire, et ce jusqu’à 50 % s’il s’agit de construire des logements sociaux.
Plutôt que de créer une nouvelle taxe, il serait plus efficace de s’assurer que la contrepartie de l’augmentation des droits à construire soit affectée en totalité au logement social.
Cela étant, je connais bien le sujet du logement des travailleurs saisonniers. Peut-être pourrons-nous trouver un jour, au sein du groupe d’études sur le développement économique de la montagne, un consensus sur une réponse efficace, pour l’ensemble des massifs, à cette difficile question.
J’émettrai un avis défavorable sur cet amendement s’il est maintenu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, ministre. Le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement.
La problématique de la production de logements dans les communes touristiques et dans les zones de montagne est en effet très particulière. Il me semble toutefois que la mesure présentée par le Gouvernement, qui est pleinement applicable à ces zones, constitue une réponse intéressante, et je ne crois pas souhaitable d’instaurer un dispositif spécifique.
En outre, le Gouvernement n’est pas favorable à la création de la taxe proposée, d’autant qu’une augmentation des droits à construire implique mécaniquement une majoration de la taxe d’aménagement. Je rappelle que la taxe d’aménagement a fait l’objet d’une réforme d’ampleur à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, offrant d’importantes marges de manœuvre aux collectivités locales.
M. le président. Monsieur Amoudry, l'amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Paul Amoudry. La mesure que je propose est indispensable pour débloquer la situation. Certes, un certain nombre de dispositifs figurent déjà dans la loi MOLLE, mais, pour diverses raisons, ils ne fonctionnent pas.
D’une part, la densification n’est pas une solution pertinente s’agissant d’immeubles résidentiels situés à trois ou quatre kilomètres des centres de vie et des moyens de transport. En effet, de telles constructions sont destinées à accueillir des vacanciers à la recherche de repos et de contact avec la nature. Les actifs, surtout les saisonniers, ont besoin, eux, d’être à proximité des transports et des services au public. Il faut donc dissocier le cas des logements destinés aux actifs de celui des résidences touristiques.
D’autre part, la mesure proposée, qui est attendue par des milliers de salariés en quête de logement, est indolore pour les finances publiques. Pourquoi, dès lors, ne pas la mettre en œuvre ?
Vous avez évoqué l’existence d’un certain nombre de dispositifs, monsieur le ministre. Beaucoup de maires de ma connaissance, qui participent aux travaux des associations d’élus, devraient normalement être bien informés par vos services. Or je n’en ai jamais entendu un seul déclarer qu’il avait trouvé une solution adéquate dans la législation existante.
J’ajoute enfin que majorer de 30 % les droits à construire, comme le propose le Gouvernement, sans faire en même temps un effort en faveur du logement des travailleurs saisonniers serait impossible à justifier politiquement ou même au regard du simple bon sens, surtout dans des zones où la densité est déjà forte.
Je maintiens donc mon amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Intitulé du projet de loi
M. le président. Je rappelle que l’intitulé du projet de loi, dans le texte de la commission, est ainsi rédigé : « projet de loi de mobilisation du foncier en faveur du logement ».
L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, tend à le rédiger ainsi :
Projet de loi relatif à la majoration des droits à construire
Je constate que cet amendement n’a plus d’objet.
En conséquence, l’intitulé du projet de loi, dans le texte de la commission, demeure inchangé.
Vote sur l'ensemble