M. Jean-Jacques Mirassou. Exactement !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Delphine Batho, ministre. Par ailleurs, vous reprochez au texte de courir deux lièvres à la fois : l’application des tarifs sociaux et la maîtrise de la consommation d’énergie.
Or l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas ! Pour le Gouvernement, il existe donc bien un lien entre pouvoir d’achat et économies d’énergie. Notre politique vise à l’extension du champ d’application des tarifs sociaux, mais en l’accompagnant d’une responsabilisation des consommateurs, y compris par le biais d’un système de bonus-malus adapté. Comme en matière d’assurance automobile, il y a aussi un bonus.
M. Jean-Claude Lenoir. Si vous parvenez à l’obtenir, je vous félicite !
Mme Delphine Batho, ministre. En ce qui concerne les amendements du Gouvernement relatifs à l’éolien, je rappelle qu’ils ont été déposés le lundi, pour être discutés le jeudi. La procédure parlementaire a été parfaitement respectée, et il ne s’agit en rien de cavaliers. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de citer les articles de référence de la Constitution.
Vous dites qu’il n’est pas besoin de mesure législative pour étendre l’application des tarifs sociaux.
M. Jean-Claude Lenoir. Exact !
M. Jean-Claude Lenoir. Non !
Mme Delphine Batho, ministre. Concernant les tarifs sociaux, l’intervention de la loi est nécessaire pour rendre effective l’augmentation du nombre de bénéficiaires. Sans elle, il ne peut y avoir d’automatisation de l’attribution des tarifs sociaux.
À cet égard, j’observe que la proposition de loi prévoit un mécanisme de croisement des données : il est étonnant de constater que la mise en jeu d’un tel mécanisme suscite beaucoup moins de réactions pour les tarifs sociaux que pour le système de bonus-malus.
La loi est également nécessaire pour permettre aux clients des fournisseurs alternatifs d’électricité ou aux habitants des foyers-logements de bénéficier eux aussi des tarifs sociaux. Un décret seul ne le permettrait pas, des mesures législatives sont indispensables.
En ce qui concerne la compatibilité avec les règles européennes, permettez-moi de rappeler que le système de bonus-malus ne modifie en rien la construction tarifaire et les tarifs réglementés. Ce dispositif ne fausse pas la concurrence, car il s’applique, pour les particuliers, aux tarifs réglementés comme aux offres de marché. Selon la direction générale de l’énergie et du climat, le système de bonus-malus pourrait tout au plus, le cas échéant, être considéré comme une obligation de service public s’appliquant aux fournisseurs, au sens de la directive de 2009 sur le marché intérieur de l’électricité. Dans ce cas, le mécanisme prévu est celui d’une obligation d’information après la promulgation de la loi. Cela ne pose pas de problème particulier.
Madame Schurch, vous contestez l’idée que les comportements individuels seraient un levier en matière d’économies d’énergie. C’est un point de débat entre nous, qui mériterait d’être approfondi.
Par ailleurs, la politique du Gouvernement concernant les réhabilitations et les rénovations de logements pour l’isolation thermique ne sera pas réservée aux plus fortunés, tant s’en faut, puisque nous allons au contraire cibler les personnes à revenus modestes dont le logement est une « passoire thermique ».
Vous avez également critiqué les dispositions du texte relatives à l’effacement. La logique de marché veut que l’on produise toujours plus pour accroître les profits. Il n’y a donc pas d’autre solution, aujourd’hui, que de donner une valeur aux économies d’énergie pour aller à l’encontre de cette logique du laisser-aller libéral.
M. Jean-Pierre Plancade. Tour à fait !
M. Jean Desessard. Bravo ! Excellent !
Mme Delphine Batho, ministre. Enfin, j’ai relevé dans vos remarques sur le travail parlementaire une contradiction entre votre volonté affirmée d’approfondir les débats et le vote en commission d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, qui vous amène aujourd’hui à examiner le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Monsieur Capo-Canellas, vous vous interrogez sur la position du Gouvernement. Je le redis, il soutient sans réserve cette proposition de loi.
M. Jean-Claude Lenoir. Ah bon !
Mme Delphine Batho, ministre. J’ai aussi indiqué, en commission, qu’il était ouvert à des améliorations, conformément à la vocation du débat parlementaire.
Pourquoi ce texte est-il présenté maintenant, alors que le dispositif du bonus-malus n’est applicable que dans un an, contrairement aux dispositions relatives aux tarifs sociaux, d’application immédiate ? Nous avons tout simplement besoin de temps pour préparer les dispositions réglementaires. Je rappelle que, concernant les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité, il avait fallu deux ans au précédent gouvernement pour prendre les décrets…
M. Jean-Claude Lenoir. Vous ne les aviez pas pris !
M. Jean-Jacques Mirassou. Et vous, qu’avez-vous fait ?
Mme Delphine Batho, ministre. S’agissant d’une telle réforme structurelle, nous avons besoin d’un certain temps pour étudier la question de la collecte des données ou celle du calcul des volumes de référence. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons toujours dit que cette réforme devait être faite en début de législature.
Concernant l’injustice que subiraient les occupants du dernier étage, je ferai observer qu’ils bénéficient déjà aujourd’hui d’une isolation moindre que leurs voisins des étages inférieurs : ce n’est donc pas le dispositif de cette proposition de loi qui les pénalise au regard de leurs dépenses de chauffage, contrairement à ce que vous laissez entendre. (M. Vincent Capo-Canellas s’étonne.)
M. Requier a défendu l’idée d’une complémentarité entre le nucléaire et les énergies renouvelables. C’est aussi dans cette perspective que s’inscrit la volonté de François Hollande de faire évoluer notre mix électrique, avec une réduction de la part du nucléaire à 50 % et le développement des énergies renouvelables.
S’agissant du diagnostic de performance énergétique, sachez qu’il fait actuellement l’objet d’un plan de fiabilisation, car il est vrai qu’il existe de fortes disparités, pour ne pas dire plus.
M. Jean-Pierre Plancade. C’est vrai !
Mme Delphine Batho, ministre. Il faudra en tirer tous les enseignements, sans doute pour aller vers un dispositif beaucoup plus normé.
En ce qui concerne le partage entre le domaine de la loi et celui du règlement, nous avons suivi scrupuleusement les règles constitutionnelles lors de la discussion à l’Assemblée nationale.
Enfin, s’agissant de la réforme de la CSPE, dont vous avez rappelé le déficit, laissé par le précédent gouvernement, j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer que ce serait un des éléments essentiels du débat sur la transition énergétique.
Je voudrais remercier Jean-Jacques Mirassou de sa volonté d’améliorer le texte et de son soutien.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est bien, il y en a au moins un ! C’est un bon point ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Delphine Batho, ministre. Il a bien montré le paradoxe qu’il pouvait y avoir à vouloir couper court au débat en commission tout en affirmant une volonté d’améliorer un texte, par définition toujours perfectible.
Je remercie Jean-Pierre Vial de ses propos sur l’effacement. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Je signerai dans les prochaines semaines le décret relatif au mécanisme de capacité.
En ce qui concerne le problème de la ressource en biomasse, il fait l’objet, dans les cellules préfectorales, d’un travail portant sur le plan d’approvisionnement d’un certain nombre d’installations. Je rappelle en outre que la CRE ne recourt plus à des procédures d’appel d’offres pour des grandes centrales de cogénération biomasse. Aujourd’hui, les projets portent davantage sur l’utilisation de la biomasse pour produire de la chaleur, notamment en milieu rural, avec les réseaux de chaleur.
M. Michel Bécot. Très bien !
Mme Delphine Batho, ministre. Je remercie Yannick Vaugrenard de son intervention. Il a notamment souligné que les dispositions portant sur les tarifs sociaux répondaient à une urgence sociale, en insistant sur la nécessité de garantir l’effectivité des dispositions adoptées. Cela renvoie à la question de l’automaticité de l’attribution des tarifs sociaux et à celle des échanges de données croisés, mesures nécessaires pour que les 8 millions de Français en situation de précarité énergétique bénéficient effectivement du dispositif.
Xavier Pintat a évoqué le caractère bureaucratique du dispositif. Je le renvoie au passif laissé par les gouvernements précédents.
Je ne peux pas laisser dire que ce texte tend à mettre fin à la péréquation tarifaire : c’est absolument faux ! Le prix de l’électricité ou du gaz restera le même sur tout le territoire national après le vote de cette proposition de loi, …
M. Jean-Claude Lenoir. Ah non ! C’est extraordinaire !
Mme Delphine Batho, ministre. … et l’instauration d’un système de bonus-malus ne modifiera pas les tarifs réglementés.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est faux !
Mme Delphine Batho, ministre. Je remercie Delphine Bataille d’avoir rappelé les enjeux liés au réchauffement climatique, qui doivent être au cœur de nos préoccupations, comme le montrent un certain nombre d’événements météorologiques traumatisants survenus ces dernières heures.
Claude Bérit-Débat a eu raison de défendre la possibilité d’améliorer le texte.
Enfin, je remercie Laurence Rossignol de son soutien engagé et déterminé. J’ai notamment apprécié ses propos sur les dispositions relatives à l’éolien, qui sont très attendues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi par M. Raoul, au nom de la commission des affaires économiques, d'une motion n° 11.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre (n° 19, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Daniel Raoul, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la commission des affaires économiques, réunie le mardi 23 octobre, a adopté une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre.
Cette motion, sur laquelle M. Courteau, notre vedette de ce soir (Sourires.), avait émis un avis défavorable, a été adoptée par vingt voix contre dix-neuf.
C’est donc cette motion que je vous présente maintenant au nom de la commission, avec une certaine sobriété énergétique. (Rires.)
Il a été considéré que le dispositif central de la proposition de loi était contraire à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au motif qu’il constituait une rupture d’égalité devant l’accès à l’énergie. Il se fonde en effet sur des critères contestables et risque de ne pas permettre d’atteindre les objectifs de réduction des consommations énergétiques envisagés.
M. Bruno Retailleau. Plus fort ! Un peu plus de conviction ! (Nouveaux rires.)
M. Daniel Raoul, rapporteur. En outre, comme le texte introduit une différenciation territoriale, selon des critères et des « volumes de base » difficiles à mettre en œuvre, la commission a considéré qu’il rompait avec le principe de la péréquation tarifaire.
Ainsi, la proposition de loi prend en compte certains critères, tels que le nombre de personnes dans le foyer, l’âge ou la localisation géographique, à l’exclusion d’autres situations particulières, par exemple la situation des logements anciens nécessitant des rénovations que les occupants ne peuvent assumer, faute de moyens. Ces usagers seront donc pénalisés par rapport à ceux qui ont les moyens de procéder aux travaux.
Il a également été rappelé qu’en application de l’article 34 de la Constitution il appartient au législateur de ne pas se déposséder de son pouvoir au profit, dans les domaines qui relèvent de sa compétence, d’un renvoi au pouvoir réglementaire. Or, il faut bien constater que le texte est souvent imprécis, par exemple dans la définition des « volumes de référence », qui, je cite, correspondent « aux consommations domestiques d’énergie permettant de couvrir les besoins essentiels des ménages ». En l’occurrence, il renvoie de manière sans doute exagérée au pouvoir réglementaire.
Enfin, il a été considéré que l’instauration d’une tarification progressive, qui s’apparente à une taxe, était contraire à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au motif que le dispositif proposé ne respecte pas le principe de proportionnalité de l’effort fiscal : certaines familles qui n’ont pas les moyens de procéder aux travaux d’isolation de leur maison subiront des malus « contraints ».
D’une manière générale, les grandes difficultés résultant de la mise en application de ce mécanisme de bonus-malus ont été soulignées : comment des données fiables pourront-elles être collectées pour plus de 30 millions de foyers ? Comment éviter les injustices ? Ont également été regrettés l’absence d’étude d’impact et le manque d’explications sur les effets concrets en termes d’économies d’énergie.
La commission des affaires économiques s’est enfin interrogée sur l’éventuel caractère de cavaliers législatifs de certains dispositifs ajoutés en cours de discussion par les députés, concernant notamment le mécanisme de capacité, la valorisation de l’effacement et les règles d’implantation des éoliennes.
En effet, en première lecture, tout amendement doit présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé.
M. Bruno Retailleau. Eh oui !
M. Daniel Raoul, rapporteur. Mes chers collègues, la commission des affaires économiques vous propose donc, en application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, de déclarer irrecevable la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, contre la motion.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je suis plein d’admiration pour Daniel Raoul, car l’exercice auquel il vient de se livrer…
M. Bruno Retailleau. Avec quelle conviction !
M. Roland Courteau. … n’était pas des plus faciles…
Mme Éliane Assassi. Il assume ses responsabilités !
M. Roland Courteau. La commission des affaires économiques a adopté à une voix de majorité, mardi 23 octobre, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la présente proposition de loi.
J’ai alors présenté ma démission du poste de rapporteur, car l’adoption de cette motion m’empêchait d’exposer à la commission le travail qu’elle m’avait demandé de réaliser.
Je remercie le président Raoul d’avoir accepté de reprendre cette charge et, d’une manière plus générale, de m’avoir apporté, tout au long de mon travail de rapporteur, un soutien constant et indispensable.
Présentée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen, cette motion a également été votée par les sénateurs de l’UDI-UC et de l’UMP.
M. Jean-Pierre Plancade. Ce sont des compagnons de route !
Mme Éliane Assassi. On pourrait en dire autant de vous pour ce qui est du vote du traité européen et du dernier projet de loi organique !
M. Roland Courteau. Cette majorité de circonstance ne facilite pas la compréhension des motivations qui ont conduit à l’adoption de cette motion. Je ne suis pas sûr, en effet, que tous l’aient votée pour les mêmes raisons.
M. Bruno Retailleau. Bonne réponse !
M. Roland Courteau. Je partage, cela étant, l’insatisfaction ressentie par beaucoup devant le mécanisme proposé par l’Assemblée nationale, notamment à l'article 1er. Je n’insisterai pas davantage sur ce point, par respect pour nos collègues députés.
Ceux qui soutiennent cette motion ont toutefois oublié que les textes transmis au Sénat ne sont pas « à prendre ou à laisser ». Certains trouveraient sans doute plus simple que nous nous contentions soit d’adopter les textes sans modification, soit de nous abstenir purement et simplement de les discuter.
Ce n’est pas là ma conception du travail parlementaire. Ce n’est pas le rôle qu’a assigné au Sénat la Constitution, notamment son article 45, dont je rappelle les termes : « Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. »
Curieux examen que celui qui conduit à déclarer que nous n’allons pas discuter du texte sur le fond !
Je connais les qualités de cette proposition de loi, ainsi que quelques-unes de ses imperfections. J’ai rencontré plus de quatre-vingts personnes, au cours de trente-trois auditions, qui ont été ouvertes à tous les membres de la commission des affaires économiques. Je remercie ceux qui, par leur présence, ont montré qu’ils cherchaient à être le mieux informés possible sur ce texte.
J’ai également échangé avec nos collègues de l’Assemblée nationale et les différents cabinets ministériels concernés. J’étais donc prêt à fournir tous les éléments nécessaires à la Haute Assemblée pour qu’elle puisse se déterminer en toute connaissance de cause et faire entendre sa voix sur une réforme qui concerne l’ensemble de nos concitoyens.
J’étais donc prêt, mes chers collègues, à vous présenter, à l’article 1er, un mécanisme de remplacement. Cela n’a pas été possible en commission, à la suite de l’adoption de la motion de procédure. Cela ne le sera pas non plus en séance publique si cette motion est de nouveau votée ce soir.
De surcroît, nous ne pouvons ignorer que l’adoption d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ne bloque la discussion que si elle intervient dans l’assemblée où le texte a été déposé. Si elle est adoptée dans la seconde assemblée saisie, en l’occurrence le Sénat, le processus n’est en rien interrompu. En fait, si le Sénat adoptait cette motion, nous laisserions simplement aux députés ou à la commission mixte paritaire le soin de discuter de nouveau du texte de l’Assemblée nationale : c’est comme si nous adoptions son texte sans le modifier ; est-ce là l'objectif recherché ?
Les auteurs de la motion rappellent les termes de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, » à la formation de la loi.
Or, en votant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, nous réserverions en pratique la discussion à une moitié seulement de la représentation nationale, puisque seuls les députés participeraient à l’élaboration de la loi.
Quels sont donc les arguments énoncés par les auteurs de la motion ?
Ils invoquent, dans leur exposé des motifs, rien de moins que l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,…
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Roland Courteau. … rien de moins que l’article XIII de celle-ci, rien de moins que le Préambule de 1946, rien de moins que l'article 34 de la Constitution, rien de moins que les acquis issus du programme du Conseil national de la Résistance.
Je partage, vous le savez bien, les valeurs qui sous-tendent ces textes, mais je ne comprends pas en quoi elles justifieraient de prononcer l’irrecevabilité de la présente proposition de loi.
Les auteurs de la motion mettent en cause une rupture du principe d’égalité dans le droit d’accès à l’énergie. Or le mécanisme du bonus-malus a ceci d’original qu’il va justement dans le sens d’une plus grande égalité dans ce domaine.
L’un des arguments les plus surprenants, qui relève, je l’espère, d’une mauvaise compréhension du mécanisme proposé, est en effet que le système du bonus-malus porterait atteinte au principe de péréquation, auquel le Sénat, représentant des territoires, est particulièrement attaché. Je ferai observer qu’un tel mécanisme n’opère pas, contrairement à ce qui a été dit et écrit, de différenciation des factures d’énergie sur le territoire national : il sera, au contraire, calibré pour que le montant des bonus et des malus inscrits sur les factures soit, pour des ménages similaires, identique à travers tout le pays.
La réalité, la voici : si l’on n’adaptait pas les volumes de base en fonction des conditions climatiques, les consommateurs du Midi, dont je fais partie, qui ont besoin d’un peu moins de chauffage l’hiver, bénéficieraient de bonus financés par les malus payés par les consommateurs des départements situés plus au Nord, où le climat, si j’en crois Météo France, est un peu moins clément pendant l’hiver… Je ne suis pas sûr que ces derniers soient tout à fait d’accord avec une telle conception de la péréquation.
Les nombreux cas particuliers que les débats à l’Assemblée nationale ont fait apparaître, qui ont conduit certains à craindre une rupture d’égalité dans l’application du dispositif, ne traduisent pas un vice inhérent au principe de la tarification progressive, de nature à justifier que le texte soit déclaré irrecevable au regard de notre Constitution.
À mon sens, les difficultés soulevées sont plutôt liées aux modalités retenues pour la mise en œuvre du mécanisme et à leur manque de flexibilité. Ainsi, la tranche intermédiaire retenue par les députés, au-delà de laquelle sont appliqués les malus, est sans doute beaucoup trop étroite.
C’est pourquoi j’ai travaillé sur un dispositif, que j’ai repris, par voie d’amendement, avec les membres du groupe socialiste et apparentés, dans lequel les malus seraient appliqués au-delà du triple du volume de référence, des dispositions spécifiques étant prévues, même à ce niveau de consommation, pour les ménages précaires et les familles nombreuses.
Je serais heureux, mes chers collègues, de pouvoir vous exposer comment un tel dispositif répondrait à la plupart des interrogations des opposants au principe du bonus-malus, mais cette motion de procédure risque de m’en empêcher…
Pour ce qui concerne la nécessité de définir plus précisément dans la loi elle-même la définition des volumes de référence, les auteurs de la motion ont raison : le Parlement ne peut, en effet, se reposer sur le pouvoir réglementaire. Cela étant, le dispositif que j’entendais proposer apporte, justement, une définition beaucoup plus précise du volume de référence, qui, à mon sens, satisfait pleinement aux critères définis par la Constitution.
D’après les études qu’a réalisées Bercy à ma demande, ce volume pourrait être – c’est un ordre de grandeur – de 6 mégawattheures pour l’électricité et de 15 mégawattheures pour le gaz.
C’est précisément pour tenir compte du poids que le mécanisme voté à l’Assemblée nationale ferait peser sur les ménages qui ne pourraient réaliser des travaux d’amélioration de la performance énergétique que je souhaitais proposer que les sommes dégagées grâce à l’application du malus soient utilisées pour l’amélioration de la performance énergétique des logements. En bénéficieraient en priorité les personnes à revenus modestes, et non celles qui ont la chance de vivre dans un logement déjà bien isolé, ces dernières comptant d’ailleurs rarement parmi les plus défavorisées.
Mieux vaut en effet, me semble-t-il, utiliser ces sommes de manière ciblée sur les ménages qui en ont besoin : cela leur apportera, à la fois, une réduction de leur facture et un bien-être supplémentaire
Je me réjouis d’ailleurs que certains sénateurs centristes partagent mes vues. Ceux-ci ont en effet déposé un amendement, à l’article 6, tendant à ce que le service public de la performance énergétique soit financé en partie par les recettes issues de la tarification progressive. Ils ne pourront malheureusement pas avoir satisfaction sur ce point si la motion est adoptée.
M. Jean-Claude Lenoir. « Si »…
M. Roland Courteau. Mes chers collègues, alors que l’exposé des motifs de la motion, lors de son dépôt en commission, n’évoquait que l’article 1er, ses auteurs ont mentionné par la suite, lorsqu’ils l’ont présentée oralement, d’autres motifs d’irrecevabilité.
Selon eux, un certain nombre de dispositions ajoutées à l’Assemblée nationale, concernant notamment l’effacement, le marché de capacité et l’éolien, seraient des cavaliers législatifs.
On peut s’interroger : si ces dispositions n’ont pas de lien avec le texte déposé, comment peuvent-elles l’affecter au point de le rendre juridiquement irrecevable ? S’il s’agit de cavaliers, pourquoi ne pas avoir proposé simplement leur suppression en commission ?
C’est justement ce qui me gêne le plus dans cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité : pourquoi vise-t-elle l’ensemble du texte ?
Je le rappelle, la proposition de loi comprend – c’est bien la mesure la plus urgente à mes yeux – une extension de l’application des tarifs sociaux et la généralisation de la trêve hivernale, monsieur Lenoir !
M. Jean-Claude Lenoir. Je n’ai rien dit !
M. Roland Courteau. Rappelons que le Sénat a déjà adopté, le 21 décembre dernier, le principe de cette généralisation de la trêve hivernale, sur proposition du groupe communiste républicain et citoyen.
Mmes Éliane Assassi et Mireille Schurch. Eh oui !
M. Roland Courteau. Mais aujourd'hui, par le biais de cette motion de procédure, le Sénat est invité à reporter la mise en œuvre de cette disposition à une date indéterminée, alors que l’hiver approche à grands pas !
En effet, l’adoption de la présente motion signifierait probablement qu’aucun accord n’est possible entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur ce texte. Les termes de notre Constitution permettent, certes, à l’Assemblée nationale de l’adopter tout de même, mais au terme d’une procédure qui sera beaucoup plus longue que si un compromis avait pu être trouvé entre les deux assemblées.
L’adoption de la motion ne bloquera donc pas le processus qu’elle prétend combattre, notamment la mise en place du système de bonus-malus, mais elle retardera l’adoption de la proposition de loi, et donc des dispositions sociales les plus urgentes, en faveur des personnes les plus en difficulté, en situation de précarité énergétique.
En conclusion, je suis sensible à l’origine parlementaire de ce texte. J’aurais aimé que nous travaillions ensemble pour aboutir à un dispositif utile et reconnu par nos concitoyens. Telle a été l’unique motivation de mes efforts. Mais cette motion de procédure ne m’a pas laissé la possibilité, en commission, de présenter le mécanisme alternatif de bonus-malus sur lequel j’ai travaillé avec les services de la commission et qui avait, je le sais, suscité un certain intérêt parmi vous, mes chers collègues, y compris parmi les partisans de ladite motion.
Qu’en sera-t-il aujourd’hui, en séance publique ? Si cette motion est encore une fois adoptée, l’Assemblée nationale sera à nouveau saisie de son propre texte et le Sénat sera dans l’impossibilité de faire entendre sa voix.
Plus grave encore, la mise en œuvre de certaines des mesures sociales tendant à favoriser l’accès de tous à l’énergie sera considérablement retardée.
De surcroît, cette proposition de loi ne présente aucun défaut rédhibitoire qui la rendrait irrecevable. D’ailleurs, les griefs des auteurs de la motion portent sur une partie seulement de son dispositif.
Je propose donc au Sénat, avec les membres du groupe socialiste et apparentés, de rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)