M. Jean-Louis Carrère. Oh, je vous en prie !
Mme Christiane Kammermann. Surtout, permettez-moi d’appeler votre attention sur la situation en Algérie et, plus généralement, en Afrique du Nord. Le vent des printemps arabes souffle encore sur tout le Maghreb.
Mme Marie-France Beaufils. Et alors ?
Mme Christiane Kammermann. Nul ne peut nier que les braises des révolutions en Tunisie et en Égypte ont ébranlé les démocraties voisines.
C’est valable pour l’Algérie, où la succession du Président Bouteflika est ouverte. Chacun, ici, doit bien mesurer et tenter d’envisager le climat politique qui règne dans ce pays, où, déjà, les grands leaders politiques sont entrés en campagne. D’ailleurs, en commission, il aurait été intéressant de prendre l’attache du groupe d’amitié France-Algérie sur la question du 19 mars.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré dans une interview, le 21 octobre : « Il ne faut pas être dans une course qui soit perçue comme une provocation et ravive les conflits. » Alors, mes chers collègues, je vous le demande, que faisons-nous ici même ?
M. Jean-Louis Carrère. On vote !
M. Jean-Jacques Mirassou. On va voter, en effet !
Mme Christiane Kammermann. Si la France et l’Algérie doivent tourner la page et écrire un nouveau chapitre de leur relation, cela ne peut se faire en sacrifiant les mémoires d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Christiane Kammermann. Pour une fois, vous me félicitez, merci !
M. Jean-Louis Carrère. C’est parce qu’il est l’heure de conclure !
M. David Assouline. Le temps est dépassé !
Mme Christiane Kammermann. Il s’agirait plus, pour de vrais responsables politiques, de trouver de nouvelles synergies entre nos deux pays plutôt que d’emprunter le chemin d’une repentance qui paralyse l’avenir de nos pays et entretient des rancœurs tout à fait stériles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, sur l’article.
M. Gaëtan Gorce. J’ai écouté attentivement les différents orateurs, en particulier ceux de l’opposition. J’ai été très frappé par la manière dont ces derniers abordent le débat. Ils en appellent au consensus, à une approche apaisée de notre histoire et de ses événements. Pourtant, ils ne cessent d’en faire une description extrêmement brutale, parfois presque violente. Nous venons d’en avoir un exemple avec l’intervention malheureuse de Mme Joissains, qui a à ce point déplacé le débat qu’elle est allée jusqu’à mettre en cause un ancien Premier ministre, ce qui n’avait rien à voir.
Au fond, cette attitude montre une perte de sang-froid ; elle traduit bien une évolution que je ne peux pas manquer de pointer à l’attention de tous ceux qui siègent sur les travées de l’opposition et qui sont fidèles à une mémoire, celle de la nation et du gaullisme.
Au cours du débat, certains ont parlé de la guerre d’Algérie comme s’ils nourrissaient le regret de la perte de la puissance et de l’influence coloniales de la France,…
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. … comme s’ils nourrissaient le regret d’une époque où la France pensait construire son avenir sur l’oppression d’un peuple.
Beaucoup ont dit que commémorer le 19 mars reviendrait à célébrer une défaite. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le 11 novembre, par exemple, nous commémorons non pas une victoire, mais la fin d’une guerre, qui a représenté un moment terrible pour tous ceux qui ont été impliqués entre 1914 et 1918 ; cette guerre a saigné nos nations, nos peuples et mis l’Europe à genoux, et nous en ressentons encore aujourd’hui les effets.
En faisant référence à la date du 19 mars 1962, dont nous voulons célébrer le souvenir, nous n’évoquons ni une victoire ni une défaite ; nous saluons l’acte courageux pris par un gouvernement et un Président de la République, approuvé par l’essentiel de la représentation nationale, pour mettre un terme à un conflit choquant et qui n’avait plus aucun sens.
Comme cela a été très bien dit par l’un de nos collègues, évoquant les événements auxquels il avait lui-même participé, la date du 19 mars 1962 mérite d’être commémorée parce qu’elle marque, au fond, la libération des peuples de l’emprise coloniale qui avait débouché sur une guerre et un affrontement sans issue.
Si vous parlez de défaite, comme l’a fait M. Legendre, si vous entrez dans cette logique, alors, vous remettez en cause non seulement la lecture que font la majorité des Français de cette période, mais également celle que faisait le général de Gaulle.
Ce qui m’inquiète dans l’approche qui est la vôtre, c’est de voir peu à peu s’éloigner de vous la mémoire du gaullisme de la Résistance, la mémoire de la guerre pour libérer notre pays et reconstruire la République – sur des bases que l’on peut discuter, mais qui étaient tout de même celles de la démocratie – et de voir resurgir une mémoire de la revanche, qui distincte entre les Français, entre les peuples, entre les nations pour distiller toujours la même idéologie, celle de la haine et de l’affrontement. Ce n’est pas là l’apanage d’une France rassemblée, d’une France démocratique.
Prenez garde à l’évolution vers laquelle certains d’entre vous essaient de vous amener. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, sur l’article.
M. François-Noël Buffet. J’ai du mal à accepter ce qui a été dit par notre collègue Jean-Jacques Mirassou, qui a laissé entendre que, du côté gauche de l’hémicycle, il y avait à la fois lucidité, intelligence et sincérité,….
M. Jean-Jacques Mirassou. J’ai effectivement dit cela !
M. François-Noël Buffet. … ce qui donne à penser que, de notre côté, ces qualités n’existent pas.
M. David Assouline. On n’a pas dit ça !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est une extrapolation !
M. François-Noël Buffet. Cela étant, je rappelle à notre collègue Gaëtan Gorce que le référendum organisé à la demande du général de Gaulle portait sur l’autodétermination de l’Algérie et que les Français ont massivement répondu oui. Il n’y a donc plus à discuter de ce sujet, et ce n’est d’ailleurs pas le débat d’aujourd’hui.
Dans la commune dont je suis maire depuis quinze ans, il existe un square du 19 mars. Voilà quelques années, nous y avons d’ailleurs érigé un petit monument avec l’association locale de la FNACA, et je me rends à toutes les manifestations.
J’écoutais M. le rapporteur dire tout à l’heure qu’il n’y a plus personne, en tout cas, peu de monde aux manifestations patriotiques et que seules les manifestations du type de celles dont nous parlons aujourd’hui regrouperaient une présence nombreuse. Or sachez, mes chers collègues, que la cérémonie du 11 novembre est toujours un succès dans ma commune. Tous les anciens combattants sont là, d’où qu’ils viennent, parce qu’ils sont frères d’armes. En revanche, pour les cérémonies du 19 mars, il y a moins de monde parce que les anciens combattants, volontaires ou non, portent un regard un peu différent sur la façon dont se sont déroulés ces événements.
Comme élu local, j’ai toujours veillé à ce que l’unité soit assurée et à ce que chacun, au cours de ces manifestations, puisse dire ce qu’il avait envie de dire.
M. Jean-Louis Carrère. C’est bien ! C’est pour cela que vous avez été réélu !
M. François-Noël Buffet. C’est le souci normal de rassemblement de la part d’un élu qui, de surcroît, a eu la chance de ne pas avoir été engagé dans un conflit.
Comme l’a rappelé M. Guerriau, choisir une date qui va engager la nation alors qu’une partie de ceux qui ont participé à ces événements sont fortement divisés pour toutes les raisons évoquées précédemment, y compris reconnues par vous-même – et c’est tant mieux, d’ailleurs ! –, c’est prendre le risque de diviser. Or, en tant qu’élus, notre rôle, quelle que soit la vision que nous pouvons avoir des choses, est d’assurer l’unité, et cette unité est absolument nécessaire.
En forçant le passage à tout prix,…
M. Jean-Louis Carrère. Non, c’est la démocratie !
M. François-Noël Buffet. … de surcroît dans des conditions constitutionnelles rappelées à plusieurs reprises, vous allez semer la discorde. C’est regrettable ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Garriaud-Maylam, M. Retailleau et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je retire cet amendement pour les raisons déjà exposées par notre collègue René Garrec.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.
La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote sur l’article 2.
M. Christian Cointat. Je ne vous cacherai pas que ce débat me laisse un goût amer. Peut-être suis-je un peu trop vieux jeu, mais, pour moi, le devoir de mémoire envers ceux qui sont morts au champ d’honneur doit engager la nation tout entière et se dérouler dans la dignité, la sérénité, le calme.
« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants », disait Cocteau. Si l’on veut que les vivants rendent véritablement hommage aux morts, encore faut-il que leur cœur soit serein. Tel n’est pas le cas avec ce texte.
M. Jean-Louis Carrère. C’est la démocratie !
M. Christian Cointat. Non, la démocratie, c’est une voix de plus. L’hommage aux morts doit être rendu non pas par une partie de la France, mais par la nation réunie.
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes minoritaires !
M. Christian Cointat. Peu importe ! Le problème n’est pas là. Il est dans l’unité qui fait défaut.
M. Jean-Louis Carrère. Alors, ralliez-vous à nous !
M. Christian Cointat. Je dois dire que j’ai trouvé tous les arguments, qu’ils viennent de gauche ou de droite, honorables.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Christian Cointat. Chacune des interventions contenait des éléments particulièrement pertinents. Mais, qu’on le veuille ou non, même si la date du 19 mars était la plus légitime, on est obligé de constater qu’elle ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut. Comment voulez-vous rendre hommage à ceux qui sont morts si la date retenue crée des conflits ? Ce n’est pas convenable !
M. Jean-Louis Carrère. Elle n’en crée pas !
M. Christian Cointat. Pour la seule et unique raison que cette date, ou une autre d’ailleurs, ne recueille pas le consensus dont nous avons besoin pour rendre hommage à ceux qui sont morts pour nous, je voterai contre l’article 2. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. Parlementaire depuis de nombreuses années, j’ai, de plus, le privilège de présider une commission au Sénat.
Sachez, mes chers collègues, que je n’ai pas d’attachement plus fort que celui qui me lie à la démocratie et, dans une démocratie, je n’ai pas trouvé de meilleur système que le suffrage universel, que le vote. Or sanctionner un débat, dont il vient d’être dit qu’il avait été honorable et étayé par de bons arguments – je partage d’ailleurs cette analyse –, par un vote est tout à fait représentatif de la démocratie.
Être minoritaire ou majoritaire à l’issue du vote ne me posera pas de problème. Je n’aurai donc pas d’état d’âme.
M. Christian Cointat. Mais ce texte ne crée pas la sérénité !
M. Jean-Louis Carrère. Telle est ma conception de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur Carrère, qui conteste votre conception de la démocratie ? Nous la partageons tous !
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. Philippe Bas. La représentation nationale est souveraine.
M. Jean-Louis Carrère. Je préfère ça !
M. Philippe Bas. Elle vote les lois qu’elle entend voter. Personne, ici, ne pourrait avoir la moindre divergence avec vous sur le sujet.
M. Jean-Louis Carrère. Merci !
M. Philippe Bas. Mais vous n’avez eu de cesse de dire que le 19 mars était une date consensuelle permettant de rassembler les Français pour célébrer la mémoire de nos compatriotes tombés au champ d’honneur. Nous, nous nous bornons à vous répondre que cela est faux.
M. Christian Cointat. Absolument !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bravo !
M. Philippe Bas. Nous ne doutons pas de vos bonnes intentions, mais il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions pour que la réalité s’y plie.
M. Jean-Louis Carrère. Pas plus qu’aux vôtres !
M. Philippe Bas. Or, la réalité, quelle est-elle ? Vous ne l’avez pas niée non plus ! La réalité, c’est celle de la division autour de la date du 19 mars.
M. Philippe Bas. Vous n’effacerez pas cette division en adoptant cette loi qui s’imposera, en effet, à tous. En tout cas, vous ne pouvez pas à la fois voter ce texte et prétendre qu’il va faire l’unité des anciens combattants. En disant cela, je me contente de faire un constat, sans porter de jugement.
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes à la limite de la rhétorique !
M. Philippe Bas. Je crois que vous commettez une erreur en voulant faire passer en force le choix du 19 mars, qui est une date de division et non de consensus et de rassemblement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Avant de procéder au vote sur l’article, je tiens à saluer M. le ministre de l’intérieur, qui nous fait l’honneur d’assister à ce débat qui prend quelque retard. Mais on ne consacre jamais trop de temps à la démocratie…
Je mets aux voix l’article 2.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 19 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté.
Mise au point au sujet d’un vote
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin public n° 18 portant sur l’article 1er.
En effet, Mme Leila Aïchi souhaitait s’abstenir sur cet article et M. Jean-Vincent Placé voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Robert Tropeano, pour explication de vote.
M. Robert Tropeano. En 2002, grâce à la ténacité de plusieurs familles politiques, dont celle des radicaux de gauche, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Aujourd’hui, au Sénat, nous sommes face à nos responsabilités. Pour ma part, je considère qu’il est temps de dépasser le tabou, le déni, le silence que l’État a trop longtemps entretenu sur la question de la guerre d’Algérie.
À l’échelon local, nous sommes nombreux à avoir choisi depuis longtemps la date du cessez-le-feu pour rendre hommage à tous les acteurs, à toutes les victimes de ce conflit. Chaque année, le 19 mars, dans de nombreuses communes, notamment la mienne, les élus et les associations d’anciens combattants laissent de côté les clivages et les passions pour permettre ce rassemblement du souvenir.
Oui, c’est vrai, les hostilités se sont malheureusement poursuivies après le 19 mars 1962. Personne ne souhaite oublier les blessures indélébiles infligées aux rapatriés et aux harkis. Terre natale pour les uns, terre ancestrale pour les autres, l’Algérie est encore une plaie ouverte pour beaucoup d’entre eux. On peut et on doit le comprendre. À mon sens, le choix du 19 mars ne retire rien au respect que la France leur doit éternellement.
Désormais, il faut avancer pour acter la réconciliation nationale. C’est l’objectif tacite de la proposition de loi.
Cette réconciliation, nous la devons tout d’abord à la troisième génération du feu, qui a besoin de se retrouver, de se rassembler autour d’une date symbolique ayant du sens et rappelant son retour définitif en métropole. Tous les anciens combattants qui ont été marqués dans leur chair et dans leur cœur par un conflit qui leur était à l’époque souvent étranger, mais néanmoins imposé par le sens du devoir, attendent désormais depuis trop longtemps.
Cette réconciliation, nous la devons aussi aux jeunes générations. Nous, leurs aînés, avons la charge de garantir la transmission d’une mémoire de vérité dépassionnée et objective. Cette exigence que nous devons toujours avoir pour l’histoire de notre pays est aussi, en l’espèce, le moyen de ne pas laisser naître de nouvelles incompréhensions, qui se manifestent parfois là où on ne les attend pas.
Enfin, cette réconciliation, nous la devons aussi à l’Algérie contemporaine. Un passé assumé est la condition de l’approfondissement des relations entre Alger et Paris. Cela vaut dans les deux sens. C’est d’ailleurs le vœu du gouvernement actuel, comme l’a récemment rappelé François Hollande à Dakar. C’était déjà celui de François Mitterrand, lorsqu’il déclarait à Alger, le 1er décembre 1981 : « Le passé est le passé. Regardons maintenant et résolument vers l’avenir. »
Mes chers collègues, en 1999, la guerre d’Algérie a retrouvé son nom. En votant cette proposition de loi aujourd’hui, cinquante ans après ce conflit, nous lui rendons sa mémoire, une mémoire dépouillée de ses traumatismes et commune à toutes les victimes, qu’elles soient militaires ou civiles.
Je rappellerai pour conclure, à la suite de Jean-Jacques Mirassou et de notre rapporteur Alain Néri, que c’est notamment grâce aux appelés du contingent, et à la demande du général de Gaulle, que le putsch d’avril 1961 fomenté par un quarteron de généraux n’a pas abouti. Comme notre collègue René Garrec, je faisais partie de ces appelés d’Algérie qui ont passé vingt-huit mois dans les Aurès.
Oui, ces appelés ont sauvé nos institutions républicaines, et ce serait leur rendre hommage que de reconnaître le 19 mars comme date officielle de la fin de la guerre d’Algérie ! Aussi, le RDSE votera-t-il majoritairement pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à mes yeux, ce texte a uniquement pour objet de rendre un hommage. Il ne supprime pas celui du 5 décembre, comme d’aucuns l’ont laissé penser, mais en ajoute simplement un nouveau, celui du 19 mars.
Pour l’instant, que se passe-t-il ? Seuls ceux qui se retrouvent le 5 décembre ont droit au drapeau et à la présence de M. le préfet ou de Mme la préfète. Ceux qui se retrouvent le 19 mars n’ont droit, quant à eux, qu’à leurs seuls souvenirs. Ils peuvent certes se recueillir devant le monument aux morts, qui est un lieu public, mais ils n’ont pas droit au décorum bouleversant de la cérémonie à laquelle nous avons assisté ce matin au Sénat, par exemple.
J’estime que cette proposition de loi n’encombrera pas notre calendrier. Notre histoire est déjà tellement encombrée de guerres gagnées ou perdues ! Comment intégrer en 365 jours une histoire de plus de 1 300 ans ? Nous n’aurons jamais assez de jours pour rappeler avec le poète Jacques Prévert « Quelle connerie la guerre ! »
Je voterai cette proposition de loi, avec onze autres sénateurs écologistes, pour que tous puissent se recueillir à une date qui fasse sens. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout a été dit sur ce texte. Il n’en demeure pas moins que les positions des uns et des autres, malgré le temps consacré à ce débat, n’ont pas beaucoup évolué.
Le groupe UMP votera contre ce texte, à l’exception de quelques collègues. Je veux le rappeler, nous tenons à ce qu’il reste primordial pour notre République de rassembler nos concitoyens autour de notre patrimoine historique et mémoriel, sans clivage et surtout sans offense.
En conclusion, nous souhaitons rendre hommage aux associations qui continueront à honorer la mémoire de tous ceux ayant fait le sacrifice de leur vie pour la nation et le souvenir de toutes les générations du feu de 1918 à nos jours. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Bas. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. À l’issue de ce débat passionné, et parfois passionnel, mais en tout état de cause de bonne tenue, à quelques exceptions près, le groupe socialiste tient à réaffirmer que le 19 mars est une date mémorielle incontournable de notre pays. À cela, deux raisons : la troisième génération du feu le mérite et c’est la première fois depuis un demi-siècle que notre pays n’est pas engagé dans une guerre.
Une fois la précaution prise d’associer, dans un geste de solidarité et de compassion, toutes les victimes qui ont eu à subir les exactions postérieures au 19 mars, nous pouvons établir une ligne de partage entre ceux qui s’apprêtent à voter ce texte avec sincérité et ceux qui ne le voteront pas. Ceux-là donnent l’impression d’être animés par une forme de nostalgie, le désir d’entretenir une ambiguïté que nous déplorons tous.
Nous faisons, pour notre part, le pari de l’avenir. Dès l’instant où cette date sera inscrite dans le patrimoine mémoriel de notre pays, rien ne s’arrêtera pour autant, mais cela servira peut-être d’outil éminemment pédagogique aux jeunes générations, qui méritent de connaître la vérité sur l’histoire de notre pays.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera ce texte de loi avec sincérité et détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais, pour conclure ce débat, réfuter les arguments que nous avons entendus tendant à opposer à la date du 19 mars celles du 5 décembre et du 11 novembre. Selon nous, ces deux dernières dates ne sont pas légitimes s’agissant de la guerre d’Algérie.
Le 5 décembre est une imposture due au hasard d’un calendrier, fût-il celui d’un Président de la République. J’estime que toutes les victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie méritent une date ayant un lien avec ce qu’elles ont vécu. Vous le savez, une date qui n’a pas de sens ne mobilise pas, ne procure de réconfort à personne, ne sert pas la mémoire.
Quant au 11 novembre, je vous en prie, laissons-le aux héros et victimes de la Grande Guerre. Ne mélangeons pas tout !
M. Jean-Jacques Mirassou. Absolument !
M. Guy Fischer. L’ancien gouvernement nous a fait adopter à la sauvette un projet de loi, qui plus est en procédure accélérée, prévoyant de rendre hommage à tous les morts pour la France à l’occasion du 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918. Ce texte était prémédité pour faire obstacle à l’adoption de la date du 19 mars et pour en venir au bout du compte à une date unique dont certains souhaiteraient l’avènement.
En confondant les mémoires et les événements, en amalgamant des engagements qui n’ont pas la même portée historique et humaine, le risque est grand d’aboutir à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permette plus de comprendre le passé ni de construire lucidement l’avenir.
S’agissant du 19 mars, j’affirme que les auteurs de la proposition de loi dont nous défendons l’adoption ne prétendent en aucun cas privilégier certaines catégories de victimes ou instaurer une sorte de hiérarchie dans la perte, la mort, la souffrance. Les historiens s’accordent sur le fait que cette guerre aura fait 25 000 morts et 65 000 blessés dans les rangs de l’armée française, essentiellement composée d’appelés du contingent, des dizaines de milliers parmi les harkis, 150 000 morts dans les rangs du FLN et de l’ALN. La population française ne fut pas épargnée et la population algérienne paya le lourd tribut de 300 000 à 400 000 victimes. Je n’omettrai pas non plus les psychotraumatismes de guerre, non pris en compte et non traités, qui ont durablement marqué nos jeunes appelés – toute une génération ! – dès leur retour en France.
Je souhaite enfin évoquer les victimes de l’OAS, dont le symbole est pour moi le commissaire central d’Alger, M. Roger Gavoury, assassiné le 31 mai 1961 par les sicaires de cette association criminelle et antirépublicaine. Son fils Jean-François Gavoury, présent dans les tribunes, a relevé le flambeau et se bat avec une ténacité qui force l’admiration pour faire reconnaître le tribut payé par les forces de l’ordre durant la guerre d’Algérie pour que ne soit pas occultée, comme elle l’est souvent, la responsabilité de l’OAS dans les événements de l’après-19 mars, et enfin pour que les nostalgiques, revanchards et autres tenants de l’Algérie française ne réécrivent pas impunément l’histoire et n’érigent pas des mausolées aux bourreaux.
Toutes ces victimes, à des titres divers, méritent une date unique pour se recueillir et panser leurs plaies. La mémoire a besoin d’un point d’ancrage.
Des deux côtés, des exactions furent commises après le 19 mars 1962, nous en sommes tous d’accord. De même, il y eut des victimes à déplorer après le 11 novembre 1918 et le 8 mai 1945.
Je suis convaincu que toutes les familles de victimes civiles ou militaires peuvent se recueillir et se souvenir à la même date, si celle-ci est véritablement en lien avec les événements vécus. Sauf peut-être ceux qui attisaient les braises et ne voulaient pas la fin de cette guerre…
Oui, en vertu de ce parallélisme des formes, le 19 mars est, qu’on le veuille ou non, la date que l’histoire légitime ! Le 19 mars doit être la date de la troisième génération du feu, et c’est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen adoptera cette proposition de loi identique à celles qu’il avait si souvent déposées sur le bureau de notre assemblée par le passé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)