M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’était pas si mal !
M. Philippe Kaltenbach. J’ai entendu l’opposition qualifier le scrutin binominal de système pittoresque, ou baroque… Que dire, alors, du conseiller territorial ! (M. Roland Courteau acquiesce.)
M. Bruno Sido. Au contraire, c’était un système limpide !
M. Philippe Bas. Avec le conseiller territorial, la question posée n’était pas celle du mode de scrutin !
M. Philippe Kaltenbach. Un élu siégeant dans deux assemblées différentes, cela n’existe nulle part dans le monde !
M. François Grosdidier. Et deux élus pour un seul siège ? C’est votre couple qui est baroque !
M. Philippe Kaltenbach. Ce statut bien curieux n’avait, à la vérité, qu’un objectif politicien : permettre à l’UMP, qui était à l’époque majoritaire, de gagner des sièges !
Après avoir combattu ce système, nous sommes aujourd’hui très heureux de pouvoir l’enterrer définitivement et le remplacer par un nouveau mode de scrutin.
Le système du conseiller territorial était d’autant plus discutable que sa création était justifiée par des raisons financières : les élus coûtaient trop cher ! Stigmatiser ainsi les élus locaux était vraiment de la dernière habileté !
M. Bruno Retailleau. Il est vrai que ce n’était pas le meilleur argument.
M. Philippe Kaltenbach. Alors que le conseiller territorial ne répondait à aucune attente de nos concitoyens, la création du conseiller départemental va permettre la parité, la proximité et l’égalité devant le suffrage.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bruno Sido. Tout ce que vous voulez, mais pas la proximité !
M. Philippe Kaltenbach. Le Gouvernement a cherché à concilier ces trois objectifs ; la tâche était d’autant moins aisée qu’ils peuvent être contradictoires.
De fait, il a fallu beaucoup d’ingéniosité pour concevoir le nouveau mode de scrutin, de type binominal. Je crois que nous pouvons féliciter celles et ceux dont la réflexion a conduit à cette innovation. (M. Bruno Sido s’esclaffe.) En effet, je répète qu’il permet de concilier les trois objectifs auxquels le groupe socialiste est attaché : la parité, la proximité et l’égalité devant le suffrage.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour la proximité, c’est raté !
M. Bruno Sido. En effet !
M. Philippe Kaltenbach. Avant de revenir sur ces trois objectifs, je souligne que les conseils départementaux seront désormais renouvelés intégralement tous les six ans. Je crois que nous pouvons tous tomber d’accord sur cette réforme, qui améliorera la lisibilité du système pour l’électeur et permettra de renforcer la place et le rôle du département dans l’organisation territoriale de notre pays.
M. Bruno Sido. Et à quand le Sénat ?
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur Sido, c’est une question que vous aurez l’occasion de poser prochainement puisque le mode de scrutin pour les élections sénatoriales sera peut-être revu.
Le premier intérêt du mode de scrutin binominal majoritaire est de favoriser la parité.
Comme certains orateurs l’ont souligné, la parité dans les assemblées départementales sera une véritable révolution puisque, malheureusement, il n’y a aujourd’hui que 13 % de femmes dans les conseils généraux. Cette situation est bien sûr inacceptable. Qui peut admettre, quand l’objectif de parité est inscrit dans la Constitution, qu’il y ait seulement 13 % de femmes élues dans les assemblées départementales ?
M. Philippe Bas. C’est vous qui avez la majorité dans la plupart de ces assemblées !
M. Philippe Kaltenbach. J’ajoute que, dans trois assemblées départementales, il n’y a même aucune femme ! Je les mentionne pour que cela figure au Journal officiel : la Haute-Corse, le Tarn-et-Garonne et les Deux-Sèvres. De telles situations sont-elles acceptables dans la France de 2013 ?
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Trois départements détenus par la gauche !
M. Philippe Kaltenbach. Chers collègues de l’opposition, je vous rassure : il y a aussi des élus de droite qui siègent dans ces départements !
Du reste, s’agissant de la parité dans les conseils généraux, je pense que la gauche et la droite sont également responsables de la situation actuelle. Ce n’est pas une question politique, mais une question de mode de scrutin.
Mme Éliane Assassi. La parité, c’est aussi une affaire de volonté politique !
M. Philippe Kaltenbach. Le mode de scrutin binominal majoritaire nous assure de parvenir à la parité. Je crois que c’est une exigence forte, qui pourrait être partagée sur l’ensemble des travées de notre assemblée.
Si le scrutin binominal majoritaire a été privilégié, c’est aussi parce qu’il permet la proximité.
M. Bruno Sido. Sûrement pas !
M. Philippe Kaltenbach. Ce fait est contesté. Pourtant, on conçoit que, la parité devant être assurée, il n’y avait de choix qu’entre le scrutin binominal majoritaire et le scrutin proportionnel. Or, si ce dernier comporte de nombreux avantages, il éloigne tout de même l’élu de son territoire. L’avantage, pour un représentant, d’être élu dans une circonscription, c’est qu’il est complètement identifié à son territoire.
M. Philippe Bas. C’est vrai aussi pour les régions !
M. Philippe Kaltenbach. Certes, les nouveaux cantons seront plus vastes ; mais ce seront quand même des territoires. Je considère pour ma part que de grands cantons valent mieux qu’un scrutin proportionnel départemental, dans lequel l’élu ne serait ancré sur aucun territoire. Le scrutin binominal majoritaire permettra le maintien d’un lien fort entre l’élu départemental et son territoire.
M. Alain Bertrand. Il a raison !
M. Philippe Kaltenbach. S’agissant, enfin, de l’égalité devant le suffrage, nos désaccords avec l’opposition sont nettement marqués.
L’égalité devant le suffrage est un principe garanti par la Constitution : la voix de chaque électeur doit avoir le même poids, qu’il vote à la campagne ou en ville, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel. (M. Philippe Bas fait un signe de dénégation.) Dans un même département, des voix ne peuvent pas peser quarante-sept fois moins que d’autres ! Un tel déséquilibre est inacceptable. C’est pourtant la situation qui prévaut aujourd’hui puisque, comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, les différences sont considérables, au sein d’un même département, entre les tailles des différents cantons. C’est ainsi que, dans pratiquement tous les départements, il y a un rapport de 1 à 5 entre le canton le moins peuplé et le canton le plus peuplé ; parfois, ce rapport est de 1 à 10, voire de 1 à 20. Mes chers collègues, songez que, dans l’Hérault, il est même de 1 à 47 !
M. François Grosdidier. Entre 500 % et 20 %, il y a peut-être un moyen terme…
M. Philippe Kaltenbach. Mes chers collègues, de tels déséquilibres sont-ils acceptables ? Ils me rappellent le système anglais des rotten boroughs, les bourgs pourris, qui était en vigueur dans l’Angleterre du XIXe siècle : de petites circonscriptions avec peu d’électeurs envoyaient à la Chambre des communes des représentants conservateurs, tandis que de grands territoires avec de nombreux électeurs y envoyaient des élus d’opposition.
M. François Grosdidier. Un peu comme pour les arrondissements de Marseille !
M. Philippe Kaltenbach. Mes chers collègues, nous voyons bien que ces déséquilibres font peser des risques inacceptables d’inégalité devant le suffrage.
À cet égard, le Gouvernement a suivi les recommandations du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Si nous en tenons compte, c’est parce que nous sommes attachés à la République et à sa devise : dans « Liberté, Égalité, Fraternité », il y a l’égalité, qui exclut l’inégalité devant le suffrage !
Quant à la marge de plus ou moins 20 %, elle résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Mme Catherine Troendle et M. Bruno Retailleau. Pour les législatives !
M. Philippe Kaltenbach. Elle aurait pu être fixée à 25 % ou à 15 %. Il se trouve qu’elle l’a été à 20 % ; nous devons nous en accommoder.
Mes chers collègues, nous aurions dû, dans tous les cas, redécouper les cantons. (M. Bruno Sido en convient.) Dans ce redécoupage, nous aurions dû appliquer cette règle du plus ou moins 20 %. Le groupe socialiste s’est longtemps demandé s’il pouvait être possible d’y déroger, mais les arguments de nos éminents juristes nous ont convaincus qu’en nous en affranchissant nous prendrions le risque de voir le projet de loi censuré par le Conseil constitutionnel. Je suis certain que l’opposition ne le souhaite pas davantage que les socialistes !
Reste qu’il fallait tenir compte des zones rurales. C’est pourquoi l’alinéa 11 de l’article 23 du projet de loi autorise, à titre exceptionnel, des exceptions à la règle des 20 %, « justifiées par des considérations géographiques ou par d’autres impératifs d’intérêt général ». Le groupe socialiste a déposé un amendement visant à préciser la notion de « considérations géographiques », en mentionnant l’insularité, l’enclavement, le relief et la superficie du territoire. Toujours est-il que les exceptions ne pourront exister qu’à la marge, la règle devant être l’égalité des citoyens devant le suffrage.
À propos du scrutin binominal majoritaire, j’ai entendu les qualificatifs de « pittoresque », de « baroque » et même d’« exotique »… Pour ma part, je trouve qu’il est ingénieux parce qu’il permet d’atteindre simultanément les trois objectifs que j’ai mentionnés. Son instauration, qui est sans doute la dimension la plus révolutionnaire du projet de loi, nous permettra de faire évoluer nos départements et de les moderniser durablement.
Le projet de loi apporte aussi des améliorations au scrutin municipal en abaissant à 1 000 habitants le seuil d’application de la proportionnelle. Faudrait-il préférer 1 500, 2 000 ou 500 habitants ? Il y a un débat. Il me semble que le seuil de 1 000 habitants constitue un point d’équilibre.
L’extension de la proportionnelle aura des effets considérables dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants, dont les conseils municipaux deviendront paritaires. Décidément, les femmes ont beaucoup à gagner à l’adoption de ce projet de loi !
Avec la proportionnelle, l’opposition sera également mieux représentée dans ces conseils, ce qui marquera un progrès démocratique.
Enfin, dans les plus petites communes, le panachage donnera plus de souplesse. Les sénateurs du groupe socialiste ont néanmoins déposé un amendement tendant à prévoir l’obligation de déposer sa candidature, afin de mettre un terme au système actuel dans lequel des personnes non-candidates peuvent être élues, ce qui n’est pas conforme à un bon fonctionnement démocratique.
J’en viens au fléchage pour l’élection des conseillers communautaires, qui constitue aussi un progrès démocratique, comme cela a largement été expliqué.
De plus, pour que les élus municipaux délégués au conseil communautaire ne soient pas forcément en début de liste, Alain Richard a trouvé un système particulièrement ingénieux. Sans doute est-il complexe, mais il évite que les élus appelés à siéger au conseil communautaire soient nécessairement ceux qui figurent au début de la liste.
Les modifications apportées au calendrier électoral semblent déchaîner les foudres de l’opposition, mais il faut être raisonnable : comment peut-on organiser cinq élections la même année ? Techniquement, ce serait possible, car les élus et les employés municipaux sont capables d’organiser cinq scrutins. Mais quelle serait la lisibilité pour les électeurs ? Les campagnes électorales s’entrecroiseraient ; cela complexifierait tous les débats. Au final, le risque serait bien de voir les électeurs ne voter que lors du premier scrutin et s’abstenir ensuite !
Pour assurer à la fois des campagnes électorales suivies par les électeurs et une participation forte, il semblait donc indispensable de décaler une partie des élections.
S’agissant des élections départementales, c’est indispensable, en raison du temps que va prendre le redécoupage. Comme les mandats régionaux avaient une durée limitée à quatre ans, justement pour permettre d’élire en même temps le conseiller territorial qui devait aussi siéger à l’assemblée départementale, il n’était pas incongru de faire en sorte que les deux scrutins se déroulent en 2015. Ainsi nos concitoyens auront-ils la possibilité de s’exprimer en même temps pour les régionales et les départementales. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Par conséquent, ce texte apporte des réponses claires à la fois sur les modes de scrutin et sur le calendrier électoral.
Pour sa part, le groupe socialiste a auditionné les représentants des principales associations d’élus. Si, bien sûr, des remarques ont été formulées ici ou là pour améliorer l’architecture générale du texte, il semble malgré tout que tous les points qui ont été évoqués font l’objet d’un consensus.
Pour conclure, je souhaite remercier le ministre de son écoute. Il a, je crois, montré qu’il était capable de faire évoluer le texte pour valoriser ce projet qui, j’en suis certain, constituera une avancée importante pour notre démocratie territoriale. Une nouvelle fois, le Sénat a su mettre son expertise au service des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Paul Vergès.
M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rendez-vous d’aujourd’hui est important : il n’a échappé à personne que les deux projets que nous étudions préfigurent l’acte III de la décentralisation.
Nous prenons acte du fait que, pour son application dans la France hexagonale, ce projet de loi est marqué par une double volonté du Gouvernement : d’une part, ne pas toucher à l’architecture actuelle de l’organisation administrative en maintenant le conseil régional et le conseil général et, d’autre part, réaménager les compétences qui leur sont actuellement dévolues.
Le Gouvernement a donc décidé de maintenir un conseil général par département et un conseil régional regroupant plusieurs départements. Pour la France, il s’agit d’une adaptation à une nouvelle situation économique et sociale, mais aussi de son intégration à l’Europe.
Concernant la Réunion, la situation est tout à fait différente. Le problème fondamental tient à ce qu’elle est située à 10 000 kilomètres de la France et de l’Union européenne. Nous nous acheminons vers une rupture économique et historique de l’outre-mer !
Les quatre départements d’outre-mer issus de la loi du 19 mars 1946 sont également régis par la loi intégrant les régions d’outre-mer, elles-mêmes devenues régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Or, parmi ces régions, la Martinique et la Guyane sont désormais en dehors du projet actuel, tandis que la Guadeloupe et la Réunion sont concernées.
Ainsi, s’agissant des départements d’outre-mer, la situation actuelle se traduit par une division entre, d’une part, ceux qui comme la Martinique et la Guyane ont opté pour une collectivité unique et, d’autre part, la Guadeloupe et la Réunion, qui garderaient, sur le même territoire, un conseil général et un conseil régional.
Cette réforme va donc diviser institutionnellement le bloc des quatre « vieilles colonies » devenues départements et régions d’outre-mer.
Comment réformer ces collectivités territoriales issues de l’intégration actuelle dans la République française et comment les placer dans une perspective de cohérence plus large et d’avenir ?
L’essence même de la réforme nous pose un problème : logiquement, les régions françaises regroupent plusieurs départements. Mais les quatre régions d’outre-mer sont monodépartementales. Comment donc répondre à la philosophie de la réforme qui vise à regrouper plusieurs départements, alors que nous-mêmes n’en avons qu’un seul ?
Outre-mer, c’est la double représentation institutionnelle du département et de la région sur un même territoire qui est en cause. La Martinique et la Guyane en ont tiré les conséquences.
Par ailleurs, les régions de la France continentale s’intègrent dans une unité géographique, elle-même intégrée à l’Europe.
Comment, à la Réunion, à 10 000 kilomètres de la France et de l’Europe, pouvons-nous nous intégrer dans une telle réforme et nous intégrer à l’Europe ?
En revanche, l’intégration de différents pays de l’Afrique orientale est en marche : les îles de l’océan Indien – Maurice, Madagascar, les Seychelles et les Comores –, toutes voisines de la Réunion, participent à un regroupement qui comptera plusieurs centaines de millions habitants dans quelques décennies. Ce regroupement sera lié à l’Union européenne, donc à la France, par des accords de partenariat économique, ou APE, qui seront tout prochainement signés.
C’est donc un grand défi qui se trouve devant nous : comment, à 10 000 kilomètres, concilier les siècles d’intégration de la Réunion dans la France et les décennies d’intégration dans l’Union européenne, d’une part, et notre intégration dans notre environnement géographique, d’autre part ? Voilà le problème qui nous est posé et il ne peut être résolu par une loi électorale élaborée pour un contexte très différent du nôtre.
La Guadeloupe et la Réunion sont toutes deux confrontées à l’application de cette loi, mais elles le sont d’une façon différente. En effet, contrairement à la Guadeloupe, qui dispose d’un congrès, la Réunion, par une disposition spécifique et particulière, se trouve interdite du droit de faire connaître son opinion.
Il faudrait parvenir à une réforme institutionnelle dont le Gouvernement prendrait l’initiative.
La Réunion était une colonie. Compte tenu de la modestie de son territoire et de l’importance de sa population, il y a eu une assemblée unique ; ce fut l’assemblée législative sous le régime colonial, puis le conseil général.
Dans la période de l’intégration départementale et de l’avènement de la décentralisation, sur l’initiative du président François Mitterrand, une loi a été votée en 1981 instituant une assemblée unique dans les quatre départements d’outre-mer, comme en Martinique et en Guyane aujourd’hui. Seule une erreur de référence sur un article constitutionnel a fait annuler la loi votée.
Depuis, la situation géoéconomique et institutionnelle de ces départements d’outre-mer a évolué par rapport à l’Europe, avec la création des régions ultrapériphériques, ou RUP, et du fait de l’intégration économique des pays de l’Afrique de l’Est et des îles de l’océan Indien.
Le simple principe de précaution exige que ce problème soit discuté par les intéressés eux-mêmes, comme en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe.
C’est pourquoi, en l’absence à la Réunion de dispositif organisant, par un congrès, l’expression des conseillers généraux et régionaux, il appartient au Gouvernement de prendre une initiative aboutissant à la consultation de la population sur les modalités et les objectifs de la réforme.
En un mot, faut-il privilégier la vision d’avenir de la Martinique et de la Guyane, à savoir maintenir la citoyenneté française de leurs habitants tout en adaptant leurs politiques et leurs institutions à leur développement et à leur environnement géoéconomique, ou, au contraire, se maintenir dans une région monodépartementale au sein de laquelle coexistent une région et un département sur un petit territoire ?
Il ne faut entretenir aucune confusion sur l’objet de cette réforme outre-mer. Qui peut oser dire qu’il est plus Français qu’un Martiniquais ou qu’un Guyanais à la suite de cette réforme, qui est respectueuse de la Constitution et qui les concerne ?
Il s’agit donc d’un appel au Gouvernement et à la population, pour examiner une situation concrète, concilier le passé historique et l’avenir, réfléchir sur la réforme instaurée en Guyane et en Martinique.
Tout cela explique pourquoi, sur ce projet de loi, à notre grand regret, nous ne pourrons participer au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trente ans, la France a rompu avec sa tradition centralisatrice pour engager une mutation profonde de son mode d’organisation institutionnelle et administrative.
La nécessité d’entreprendre la décentralisation est établie par le général de Gaulle dès les années soixante.
Le passage de cette France étatique à la France des territoires, nous le devons aux lois Defferre. Ces dernières marquent l’émancipation des collectivités territoriales de la tutelle préfectorale, reconnaissent pleinement le principe constitutionnel de libre administration et donnent ainsi un sens et un véritable enjeu aux élections cantonales, puisque nos concitoyens choisissent des élus de proximité pour changer la vie quotidienne et pour moderniser le territoire.
Trente ans après, ces deux projets de loi que vous présentez au Sénat, monsieur le ministre, comportent des dispositions qui fragilisent l’édifice bâti par nos deux familles politiques et contredisent même l’exposé des motifs qui les introduit, c’est-à-dire l’esprit même des textes que vous souhaitez pourtant voir adoptés.
Parce que l’opposition doit être constructive pour exister, au-delà des petites phrases, parce que la crédibilité de la parole publique suppose de dépasser les effets de manche, je vais tout simplement utiliser le temps de parole dont je dispose non seulement pour souligner les limites et les dangers concrets de ces textes pour la vitalité de la démocratie locale, mais aussi pour proposer des pistes de progrès.
Localement, en tant que président de conseil général, et ici, à Paris, comme membre du Parlement et président du groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants à l’Assemblée des départements de France, je mesure au quotidien l’impact du mode de scrutin, c’est-à-dire de la manière de choisir les responsables politiques, sur le fonctionnement de la démocratie locale, dans les conseils généraux en particulier.
C’est donc, mes chers collègues, une question de la plus haute importance qui nous est soumise au travers de ces deux projets de loi. Je limiterai volontairement mon propos au titre Ier, dédié au futur conseil départemental.
À en croire l’exposé des motifs, « le projet de texte vise à prendre en compte les évolutions qu’ont enregistrées les territoires en adaptant les modalités d’élection ». Une telle adaptation doit « conserver […] le lien étroit entre l’élu et son territoire » et « ne procéder qu’aux aménagements strictement nécessaires ».
L’esprit du texte consisterait donc simplement à moderniser un bon mode de scrutin, en l’occurrence uninominal majoritaire à deux tours, dont la « remarquable stabilité », depuis la loi du 10 août 1871, est d’ailleurs saluée. Il ne s’agirait pas de remettre en cause ce qui fonctionne bien, mais de l’adapter aux temps présents.
Telle n’est malheureusement pas la réalité de ce texte, qui remet au contraire totalement en cause les avantages du mode de scrutin majoritaire.
D’abord, d’un seul candidat, nous passons à deux et, d’uninominale, l’élection devient binominale pour – et c’est là tout le problème – un seul et même territoire.
Une offre de candidatures individuelles pour que les électeurs choisissent un élu pour un territoire, c’était sans doute trop évident, trop facile et trop peu subtil pour ce gouvernement. Alors, on nous propose deux points de vue, deux analyses, deux approches, pour informer les mêmes habitants d’un même territoire au nom d’une seule et même collectivité !
Que se passera-t-il si ces deux voix cessent de parler à l’unisson ? Quelle crédibilité aura le conseil général – pardon, le conseil départemental – si la loi est votée ?
J’ai passé l’âge de la candeur et, à l’inverse de Candide, au risque de vous décevoir, je ne crois plus depuis longtemps que tout, dans la vie politique, soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est Pangloss, et non Candide, qui dit cela !
M. Bruno Sido. J’ai précisément dit que je n’étais pas Candide, monsieur Sueur !
Rien ne garantit que l’entente entre la femme et l’homme qui composeront ce binôme durera dans le temps, une fois passé le bonheur partagé de la victoire électorale, d’autant que la solidarité juridique cessera entre eux une fois l’élection acquise, puisque chacun votera bien comme il ou elle le souhaitera au sein de l’assemblée départementale.
La dimension binominale – deux élus pour un canton – et la dimension binomiale – l’élection de l’un entraîne obligatoirement celle de l’autre – font de cette « innovation politique », comme on peut le lire dans le projet de loi, une expérimentation hasardeuse pour la vie politique locale, source de confusion sur le terrain comme dans les assemblées.
L’abaissement du seuil requis pour accéder au second tour constituera également une source de confusion : on passe de 12,5 % des inscrits à 10 % seulement, ce qui ne manquera pas d’entraîner des triangulaires et de brouiller la lisibilité du scrutin. D’ailleurs, ne vous y trompez pas, mes chers collègues, la droite et le centre n’en seront pas les seules victimes : le Front de gauche, vos amis écologistes ou encore vos fidèles soutiens communistes pourraient créer d’autant plus facilement la surprise que la popularité du Gouvernement risque de se réduire comme peau de chagrin d’ici à 2015.
La dimension paritaire de ce binôme ne me pose en elle-même aucune difficulté, bien au contraire. Le chiffre de 13,5 % de femmes élues dans les conseils généraux est très insatisfaisant au regard de l’objectif de représentativité du corps électoral. Je pense que c’est un constat que nous partageons tous.
Depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, l’article 1er de la Constitution fixe un objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Il s’agit d’un objectif, c’est-à-dire d’un but à atteindre, et non pas d’une obligation constitutionnelle à mettre en œuvre séance tenante et coûte que coûte. Autrement dit, le législateur reste libre des modalités d’application pour tendre vers cet objectif, vers cet idéal dirais-je même, comme il reste seul compétent sur la question du calendrier.
Comme trop souvent dans notre pays, un excès est corrigé non par une mesure équilibrée mais par un excès en sens inverse. Faut-il passer, dès 2015, c’est-à-dire dès demain, de 13,5 % à 50 % de femmes conseillères départementales, soit une multiplication par quatre de leur nombre ?
Avant d’être un homme ou une femme, nous sommes simplement des personnes qu’il convient de respecter. Disons-le clairement, les conseillers généraux actuels qui resteront sur le bord du chemin lors des élections de 2015 ne sont pas moins méritants ni moins talentueux que les femmes conseillères départementales qui seront élues à leur place.
Prend-on conscience de l’ampleur de la recomposition des assemblées départementales qui va découler de cette disposition ? Ces sujets sont moins simples qu’il n’y paraît lorsque l’on quitte les grands principes pour la réalité humaine.
Encore une fois, je soutiens l’objectif de composition paritaire des futurs conseils départementaux, mais je regrette la méthode du Gouvernement, qui confond vitesse et précipitation.
Au sein des conseils départementaux, les exécutifs devront aussi être composés de manière strictement paritaire. À ce jour, chaque vice-président peut être élu séparément du reste des membres du bureau, de telle sorte que son élection constitue une véritable élection interne, ne résultant ni du bon plaisir du président ni d’une simple formalité.
Je considère qu’abandonner la possibilité de se faire élire vice-président sur son nom et ses qualités pour figurer – je dis bien « figurer » – sur une liste que le chef de l’exécutif déposera et qu’évidemment la majorité ratifiera, sans panachage ni vote préférentiel possible, affaiblit la démocratie locale.
Avant d’être homme ou femme, les élus sont des citoyens à qui le corps électoral a témoigné sa confiance pour leurs capacités personnelles présumées ou reconnues. Le principal bénéficiaire de ce mode de scrutin peu lisible sera sans doute, malheureusement, l’abstention.
Le lien entre l’élu et le territoire, qui continuera d’ailleurs de s’appeler « canton », est, comme le reconnaît le Gouvernement, l’un des avantages principaux du mode de scrutin majoritaire. Renforcer ce lien, du moins le préserver, fait partie des objectifs affichés dans le projet de loi. C’est tout le contraire qui va se produire dans les nouveaux cantons ruraux en raison des modalités du remodelage électoral.
Qu’est-ce qu’un conseiller général aujourd’hui dans le monde rural ? C’est l’élu de proximité par excellence, celui ou celle que tous les habitants des communes du canton connaissent et identifient comme un « relais » de confiance pour toutes les questions qui concernent la collectivité départementale, bien sûr, mais aussi comme un relais vers les sous-préfectures et la préfecture, voire vers la région, tant les élus régionaux restent, à quelques exceptions près, peu connus de nos concitoyens.
Loin d’être les élus du seul conseil général, dont le rôle se limiterait à la mise en œuvre des politiques publiques menées par leur collectivité, les conseillers généraux sont en prise directe avec tous les sujets de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Ce nouveau mode de scrutin va laminer la représentation des cantons ruraux et éloigner les élus des électeurs. Après avoir vu disparaître la gendarmerie, La Poste, la trésorerie et l’école, va-t-on voir partir demain le conseiller général de proximité au profit d’un conseiller départemental qui ressemblera davantage à un député en miniature ?
Le Gouvernement prévoit de remodeler, pour ne pas dire redécouper, la carte cantonale, afin de réduire les écarts de représentation entre les cantons au nom du respect du principe d’égalité des suffrages.
L’intention est louable ; le constat, partagé : les trois cinquièmes des cantons de France n’ont pas connu de modification de leurs limites administratives depuis 1801, alors que, depuis deux siècles, les évolutions démographiques internes aux départements sont évidemment considérables.
Le gouvernement de François Fillon avait non seulement dressé ce constat, mais surtout apporté une réponse appropriée avec la création du fameux conseiller territorial. Celui-ci était lui aussi l’élu d’un territoire remodelé pour limiter les écarts de représentation. Oui, il est anormal que, dans l’Hérault, l’écart de population d’un canton à l’autre puisse varier de 1 à 47, comme il est injuste que, en Haute-Marne, le canton de Chaumont-Sud et ses presque 18 000 habitants aient autant de poids dans l’assemblée que le certes très charmant canton d’Auberive et ses 1 500 habitants.
Encore une fois, nous sommes d’accord sur le constat, mais en aucune façon sur la solution proposée.
Le Gouvernement autorise une variation de plus ou moins 20 % autour de la moyenne, un tunnel en quelque sorte, dans lequel doivent absolument s’inscrire tous les remodelages à venir.
Ainsi, le plus petit canton de mon département comptera demain 9 202 habitants au minimum contre 1 440 aujourd’hui. La densité de population au kilomètre carré atteint à peine cinq habitants dans ce secteur, si bien que, pour atteindre 9 202 habitants, la nouvelle circonscription s’étendra sur 1 840 kilomètres carrés, monsieur Mézard ! C’est tout simplement immense !