M. Éric Bocquet. Tout à fait !
M. Jean Desessard. On assiste donc à une inflation spéculative, alors même que les entreprises ne trouvent pas à se financer.
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous connaissez certainement l’expérimentation du Labo de l’économie sociale et solidaire en Franche-Comté. Elle montre ainsi qu’environ 60 % de la demande spontanée de financement émanant d’auto-entrepreneurs et de TPE n’est pas satisfaite par les banques du territoire.
Que font ces banques ? Pourquoi devrions-nous accepter qu’elles prêtent aux hedge funds plutôt qu’aux entreprises ? Pourquoi les PME devraient-elles aller elles-mêmes se financer sur le marché ? Pourquoi les TPE et les auto-entrepreneurs devraient-ils se contenter de crédits aux particuliers, faute d’avoir accès aux crédits aux entreprises ?
Les banquiers nous expliquent que c’est le développement des activités de marché qui permet de répondre aux besoins de l’économie. Mais les bilans bancaires ont crû deux fois et demie plus vite que le PIB mondial au cours des dix dernières années. Le développement des produits dérivés, censés couvrir les risques réels, est devenu le véhicule de la spéculation.
En d’autres termes, mes chers collègues, il est aujourd’hui beaucoup plus rentable de jouer sur les produits dérivés que de financer l’économie !
Sans séparation des activités et sans régulation, pas de maîtrise des choix économiques pour l’avenir ! D’autant que la créativité des établissements de crédit n’est plus à démontrer. Revenons sur l’une de ses manifestations emblématiques : la spéculation sur les matières premières agricoles.
Au départ, le développement des marchés à terme a permis aux acheteurs et vendeurs de s’assurer face au risque commercial, risque lui-même lié à une production soumise aux aléas climatiques ou aux enjeux politiques. L’apport de liquidités par des spéculateurs fluidifiait alors le marché en évitant les prises de position majoritaires de gros opérateurs et les effets de distorsion qui en résultent. Mais les purs spéculateurs financiers, qui ont largement investi ce nouvel eldorado à partir des années 2000, se sont contentés de jouer sur les fluctuations de prix de manière si disproportionnée qu’ils ont créé des bulles spéculatives. Cela a abouti aux émeutes de la faim de 2008, qui ont marqué les esprits. La FAO avait alors dressé une liste de trente-sept pays touchés.
Mais les banques avaient-elles compris ? Avait-on ralenti la spéculation sur les matières agricoles ? Eh bien, non ! Tout au contraire ! Les fonds indiciels qui, basés sur les matières premières agricoles, sont proposés par les banques françaises ont été créés après la crise alimentaire de 2008 !
Jouer sur l’alimentation, voilà donc ce que l’on propose aux investisseurs, et notamment aux investisseurs institutionnels que sont les fonds de pension, les caisses de retraite, etc.
Bref, sans le savoir, à l’insu de notre plein gré, en quelque sorte, nous sommes potentiellement très nombreux à parier sur les cours du riz ou du blé !
Nous proposerons des amendements pour que ne soient autorisées que les opérations de couverture de risque pour des opérateurs physiques ― agriculteurs, coopératives agricoles, industries agro-alimentaires, négociants.
Enfin, le projet de loi s’attache à répondre à des situations d’urgence en matière de protection des consommateurs. Nous proposerons également des amendements renforçant l’accessibilité bancaire et l’exercice du droit au compte.
En conclusion, ce projet de loi nous offre l’occasion de poser à nouveau la question, essentielle, du rôle des banques dans l’économie. L’économie et la finance doivent être au service des hommes et des femmes, non pas de quelques traders, mais bien de l’ensemble de la société.
Ce projet de loi est une étape, s’inscrivant dans le cadre européen, sur la voie de la régulation de la finance. Sans faire de la finance l’ennemi, nous devons lutter contre ses dérives ! En votant pour cette loi, en proposant des amendements, les élus écologiques s’inscrivent dans cette dynamique ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, chers collègues, il y a deux lectures possibles de ce projet de loi volumineux qui, en réalité, porte diverses dispositions d’ordre économique et financier.
Une première lecture politique s’impose. Beaucoup de vos amis reprochent à votre Gouvernement un nouveau changement de cap, monsieur le ministre. On doit, objectivement, leur en donner acte.
Ainsi, notre collègue Christian Bourquin n’a pas eu tort de relever en commission, à propos de ce projet, qu’on « envoyait des messages d’intention » mais qu’en réalité « on agissait très peu sur la masse financière », ajoutant qu’il ne s’agissait que d’un « léger encadrement ».
La liste des évolutions du Gouvernement est longue, nous souhaitons qu’elle s’allonge encore !
Ce fut d’abord l’adoption du traité budgétaire européen, dans les termes mêmes dans lesquels il avait été conclu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Ce fut ensuite l’accord sur le budget européen conclu début février à Bruxelles par le Président de la République. Loin de financer la politique de relance que vous prétendiez imposer au reste de l’Europe, cet accord consacre le recul des interventions européennes pour les sept prochaines années. Ce furent encore les 30 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires décidés depuis votre arrivée.
Il y eut aussi la suppression, toutes affaires cessantes, de la TVA anti-délocalisation, remplacée, au vu du rapport Gallois, par une réforme analogue (On le conteste sur les travées du groupe socialiste), selon d’autres modalités, il est vrai.
M. Jean-Pierre Caffet. On est dans le sujet ?...
M. Philippe Bas. Je citerai également l’introduction, malgré l’opposition de la CGT et de FO, de plus de flexibilité dans le code du travail – une flexibilité voulue par le MEDEF –, avec l’accord courageux, quoique minoritaire, de la CFDT, de la CGC et de la CFTC.
Demain, vous demanderez sans aucun doute de nouveaux efforts à chacun, notamment aux retraités et aux familles, pour poursuivre la réduction nécessaire des déficits publics, commencée par vos prédécesseurs.
Aujourd'hui, voici une réforme bancaire a minima, qui arrive à point nommé pour solder les comptes de la campagne de 2012.
Je veux être clair : que vous ne fassiez pas la politique sur laquelle François Hollande a été élu ne nous cause aucune contrariété, …
M. Albéric de Montgolfier. C’est plutôt bien !
M. Philippe Bas. … bien au contraire !
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Philippe Bas. Nous n’avons cessé d’en dénoncer le danger et l’irréalisme.
M. Charles Revet. Voilà un vrai discours !
M. Philippe Bas. Nous considérons, comme vous désormais, qu’une réforme bancaire qui se traduirait à la fois par une hausse du loyer de l’argent et par une diminution de la disponibilité du crédit, une réforme qui affaiblirait gravement les groupes bancaires français et leurs 400 000 salariés face à leurs concurrents serait une faute,…
M. Pierre-Yves Collombat. Sauver les banques, il n’y a que cela qui vous intéresse !
M. Philippe Bas. … une faute contre l’économie française, un facteur de récession et une nouvelle cause d’aggravation du chômage.
M. Jean-Pierre Caffet. Pourquoi cela les affaiblirait-il ?
M. Philippe Bas. C’est d’ailleurs pourquoi vous y avez heureusement renoncé !
Vous nous excuserez, cependant, de considérer qu’il ne suffit pas que vous ayez réussi à éviter cette sottise pour que nous approuvions aussitôt avec soulagement votre projet. (M. le rapporteur s’exclame.)
Et vous ne nous en voudrez pas non plus de penser que nombre de Français auront le sentiment d’avoir été abusés.
Les paroles ne s’envolent pas comme feuilles au vent ; elles engagent, elles obligent même.
Personne ne peut oublier le vigoureux propos tenu par le candidat François Hollande le 22 janvier 2012, un propos que je répéterai, car nos collègues qui l’ont déjà cité n’ont, curieusement, suscité aucun applaudissement sur les travées de la majorité : « Mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, »…
Mme Laurence Rossignol. C’est un beau texte !
M. Philippe Bas. … « il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. »
« Cet adversaire, c’est le monde de la finance ! », disait-il. Et, pour « mettre la finance au pas », selon l’expression martiale du candidat devenu Président de la République, celui-ci s’était engagé avec audace à « séparer les activités des banques qui sont utiles à l’économie et à l’emploi de leurs opérations spéculatives ».
M. Jean Desessard. C’est bien !
M. Jean-Pierre Caffet. Vous avez oublié le discours de Toulon !
M. Philippe Bas. Heureusement pour vous, personne ne sachant exactement ce qui distingue a priori un bon placement d’une opération spéculative, comme l’a rappelé avec franchise notre collègue Yannick Vaugrenard, au nom de la commission des affaires économiques, vous parvenez à en tirer argument pour opérer un rétablissement acrobatique en jouant sur les mots, espérant que vos amis et vos alliés vous permettront ainsi de cocher la case « banques » sur la liste des engagements tenus.
Certains salueront l’habileté. Mais la politique n’est pas un jeu de l’oie où l’on passe d’une case à l’autre en se mettant en règle. Beaucoup de Français – j’en fais partie – vous diront qu’ils ne sont pas dupes de ces artifices.
On peut aussi faire une lecture économique de votre projet. Je dis « votre projet », car j’hésite maintenant à parler de réforme. Cette lecture est heureusement un peu moins désagréable, et c’est l’essentiel.
Sur le plan économique, ce texte a au moins le mérite d’imprimer au débat un réalisme qui lui avait d’abord fait gravement défaut.
Les banques doivent être encadrées, la cause est entendue, mais il faut cesser de les désigner aux Français et aux entreprises françaises comme les boucs émissaires pour les difficultés qui sont les leurs aujourd’hui.
Nos banques en particulier ne sont nullement à l’origine de la crise financière de 2008 et des difficultés qu’ils rencontrent. La seule banque universelle qui ait coûté de l’argent au contribuable français au cours des trente dernières années, c’est le Crédit Lyonnais, du temps où il était nationalisé – et ce n’est pas nous qui avions pris cette décision !
Dans les années récentes, l’État a dû secourir deux établissements bancaires, le Crédit immobilier de France et Dexia. Or aucun des deux ne collectait de dépôts des Français. La séparation des activités économiques et des activités spéculatives aurait donc été sans aucun effet sur les difficultés qu’ils rencontraient.
M. Richard Yung, rapporteur. Les contribuables ont quand même payé !
M. Philippe Bas. L’activité bancaire doit, certes, être régulée. Nous ne vous avons d’ailleurs pas attendus pour le faire, tant avec les règles de Bâle qu’avec l’organisation progressive de la supervision bancaire, sous l’autorité de la Banque centrale européenne et, bien sûr, la loi de 2010.
La fonction bancaire est utile à l’économie, aux ménages et aux entreprises, mais elle l’est aussi – elle est même indispensable – aux États comme le nôtre, dont les déficits excessifs lui imposent de se financer auprès d’investisseurs nationaux et internationaux.
Nos institutions bancaires, au travers de leur rôle de teneurs de marché, garantissent à ces investisseurs qu’elles sont capables de solliciter partout dans le monde, et rapidement, le placement et la liquidité de notre dette.
Comme le ministre de l’économie et des finances a dû le rappeler à certains de ses alliés, la tenue de marché est donc, par essence, une activité non pas spéculative, mais économique, qui est évidemment très importante. Obliger nos banques à la cantonner dans une filiale aurait pour seul effet d’accroître l’appel à des banques étrangères et de renchérir le coût de notre dette à un moment où, hélas ! nous n’arrivons déjà pas à respecter nos engagements en matière de réduction des déficits publics.
C’est pourquoi je serai particulièrement attentif, monsieur le ministre, à l’avis que vous réserverez à l’amendement que j’ai déposé pour prévoir une proposition obligatoire de l’autorité de régulation avant toute décision réglementaire définissant les critères pour imposer une séparation d’activités.
En 2012, les administrations publiques françaises ont levé 250 milliards d’euros sur le marché obligataire, contre 70 milliards d’euros pour les entreprises ; c’est dire combien la part du secteur public est importante.
Si la régulation du système bancaire est nécessaire, il ne saurait évidemment être question de créer de nouvelles entraves, car cela compliquerait tout à la fois l’accès des Français au crédit, le redémarrage de l’économie et la gestion de la dette publique. C’est toute la difficulté de l’exercice auquel s’est livré, avec le talent et la compétence qu’on lui connaît, le ministre de l’économie et des finances, qui n’est malheureusement plus là pour m’entendre. (M. Yann Gaillard rit. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est élégant !
M. Philippe Bas. Il faut en prendre conscience, les nouvelles exigences réglementaires imposées par les accords de Bâle III s’ajoutent aux effets des accords précédents : les banques ont été obligées de doubler leurs fonds propres au cours des trois dernières années, ce qui limite fortement la possibilité pour elles de transformer des dépôts à court terme en prêts à long terme.
Couper les banques en deux pour sécuriser le système financier était donc une fausse bonne idée. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) D’ailleurs, aucun pays ne l’a fait !
Je comprends, en revanche, que vous ayez souhaité limiter les activités de trading pour compte propre, c'est-à-dire les opérations que les banques accomplissent pour elles-mêmes et non pour le compte de leurs clients.
J’observe que les accords de Bâle ont déjà durci les conditions de telles interventions. La part des activités des banques françaises pour compte propre s’est d’ailleurs réduite à 5 % de leurs revenus d’activité de marché, contre 15 %, en moyenne, pour les banques anglo-saxonnes.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les banques universelles françaises préfèrent déjà massivement l’activité « clients » aux opérations « spéculatives ».
M. Pierre-Yves Collombat. C’est faux !
M. Philippe Bas. Il n’y a donc pas de nécessité impérieuse, ni d’utilité majeure, mais pas d’objection fondamentale non plus, à prendre les mesures que vous proposez, dont certaines peuvent d’ailleurs paraître opportunes. C’est pourquoi, si la discussion des amendements permet d’écarter toute surenchère démagogique et de préciser un certain nombre de mesures techniques, je ne vois pas de raison majeure de s’y opposer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Beau rétablissement !
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je fais partie de ceux qui, et ils sont nombreux ici, se félicitent d’avoir aujourd'hui une discussion parlementaire d’avant-garde avec ce projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.
Alors même que l’Europe est en train de finaliser ses discussions, la France se prépare, elle, à engager l’action nécessaire. À cet égard, je veux répondre à ceux de nos collègues qui, non sans sarcasmes, ont évoqué précédemment le discours du Bourget du candidat François Hollande à la présidence de la République en leur rappelant certain discours de Toulon, de septembre 2008.
M. Jean-Pierre Caffet. Eh oui !
M. François Marc. Le Président de la République d’alors avait annoncé qu’il fallait s’occuper du secteur bancaire et agir en urgence, en luttant contre la spéculation et en élevant des barrières étanches.
M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’était pas martial, c’était guerrier ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Les résultats ont été terribles !
M. François Marc. On nous dit aujourd'hui que le Président de la République se sent obligé d’agir. Incontestablement, il y a une volonté de remettre en ordre le secteur bancaire au service de notre économie. Je ne reviendrai pas sur les grands principes, avec la séparation entre les activités bancaires traditionnelles et les activités financières spéculatives ainsi que le renforcement du contrôle de l’activité bancaire, afin de mettre fin à l’« aléa moral », évoqué à plusieurs reprises, créé par le principe bien connu du « too big to fail », dont l’anticipation des conséquences a provoqué, ces dernières années, l’engagement de fonds publics énormes.
À cet égard, j’en profite pour me féliciter des apports de nos collègues députés concernant l’obligation de transparence quant aux implantations internationales des banques, car cela permettra de connaître leurs liens avec les paradis fiscaux.
Enfin, je n’oublie pas les dispositions proposées en faveur d’une amélioration de la protection et de l’information des clients des banques, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités locales.
Alors, non, mes chers collègues, vraiment, ce projet de loi ne vient pas trop tôt ! Il vient à point nommé.
Permettez-moi d’ailleurs de répondre, à ceux d’entre vous qui se sont demandé si ce projet de loi n’était pas trop timoré eu égard aux exigences du moment, que nous avons trouvé un équilibre tout à fait satisfaisant.
On ne saurait l’ignorer, le secteur bancaire pèse très lourd dans l’économie française : les actifs bancaires français représentent 400 % du PIB de notre pays, contre seulement 85 % aux États-Unis. Quant à l’Allemagne, elle n’a qu’une banque universelle « systémique », la Deutsche Bank, dont les activités représentent « seulement » 85 % du PIB allemand.
On peut donc considérer que nos banques universelles constituent un levier important en matière d’économie, de croissance et d’emploi.
Toutefois, comment mieux encadrer aujourd'hui les activités bancaires ?
La question est posée à tous les pays, notamment à ceux du G20. C’est dans cette perspective que le Dodd-Frank Act a imposé en 2010 la règle Volcker.
Mais, compte tenu des récentes déclarations de M. Volcker, la mise en œuvre effective de ces mesures ne semble pas, à ce jour, acquise aux États-Unis.
Du côté du Royaume Uni, le rapport Vickers qui, résultant des travaux d’un groupe d’experts, préconise une filialisation des activités de dépôts, ne connaîtra de mise en place qu’à l’échéance de 2019.
Comparativement aux pays qui nous entourent, la France va donc incontestablement plus vite. Elle va même au-delà du contrôle micro-prudentiel, en instaurant, à une échelle macro-économique, un contrôle au service de l’économie productive et de la protection des épargnants.
Mes chers collègues, permettez-moi, pour terminer, d’insister sur un aspect essentiel de ce projet de loi, je veux parler de la protection des clients bancaires, qu’il s’agisse des particuliers, des entrepreneurs et, surtout, des collectivités territoriales, dont il important de sécuriser et de faciliter l’accès au crédit.
En effet, victimes du développement incontrôlé des produits structurés pour leurs emprunts, de nombreuses collectivités territoriales ont subi de plein fouet les effets de la crise financière et bancaire, dans un contexte déjà difficile pour elles.
Je vous rappelle que, dans le rapport relatif aux emprunts structurés des collectivités territoriales et organismes publics, remis au Parlement en juillet dernier, le Gouvernement évaluait à près de 14 milliards d’euros, sur un endettement total de l’ordre de 160 milliards d’euros, l’encours des emprunts à risque.
Pour prévenir ces problèmes à l’avenir, le projet de loi prévoit d’encadrer sérieusement l’emprunt des collectivités territoriales. Plus généralement, il doit permettre de sécuriser, mais aussi de faciliter leur accès au crédit. À cet égard, comme le Président de la République l’a annoncé lors du dernier congrès des maires, une enveloppe de 20 milliards d’euros sur cinq ans permettra de financer les collectivités territoriales sur les fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je me réjouis que le Gouvernement ait décidé de présenter un amendement pour créer les conditions nécessaires à la naissance de cette fameuse agence de financement que les collectivités territoriales appellent de leurs vœux. Cette agence offrira aux collectivités adhérentes un nouveau moyen de financer leurs investissements locaux sur les marchés grâce à un système fondé sur la mutualisation des risques, un principe dont nous avons bien besoin.
Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais porter à votre connaissance sur le présent projet de loi. J’espère que nos débats permettront de l’améliorer encore largement, car il vient à point pour appuyer utilement l’action que mène le Gouvernement afin de stabiliser le secteur bancaire, restaurer la confiance et, partant, donner du souffle à notre économie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je consacrerai mon intervention au titre VI du projet de loi, principalement au problème du surendettement.
Je vous rappelle que plus de 220 000 dossiers ont été déposés en 2012 auprès des commissions de surendettement et que près de 195 000 d’entre eux ont été déclarés recevables. La Banque de France souligne que plus de 926 000 dossiers ont été déclarés éligibles aux procédures de surendettement depuis janvier 2008 et sont toujours en cours de traitement. Ainsi, près de 5 % des ménages payant l’impôt sur le revenu sont concernés, sans parler du « mal-endettement », qui est source également de très grandes difficultés sociales.
Longtemps, le surendettement a principalement concerné des consommateurs qui s’engouffraient dans une spirale d’achats et, parallèlement, de demande de crédits. Depuis dix ans, le problème s’est étendu pour atteindre une population qui, même en l’absence d’accidents de la vie, est très fragilisée ; autrement dit, des personnes qui disposent structurellement de ressources trop faibles pour faire face à leurs charges courantes.
Devant ces deux réalités statistique et typologique, il était impératif de mettre l’accent sur l’accompagnement des ménages en difficulté. La loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a largement servi cet objectif.
Cependant, dans le rapport d’information intitulé Crédit à la consommation et surendettement : une réforme ambitieuse à compléter que nous avons publié, Anne-Marie Escoffier et moi-même, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, nous avons signalé que, malgré la loi de 2010, un certain nombre de problèmes procéduraux demeuraient et nuisaient à la fluidité du traitement des situations de surendettement. Ce constat nous a conduites à énoncer dix recommandations ; je remercie M. le ministre d’en avoir intégré quelques-unes au projet de loi et je me félicite que certains amendements de nos collègues du groupe socialiste reprennent certaines de nos propositions.
De mon côté, je défendrai deux amendements complémentaires.
Le premier vise à rendre obligatoire la présence du conseil général et de la caisse d’allocations familiales au sein des commissions de surendettement. Cette présence permettra de développer la coordination de leurs actions respectives et de faciliter la mise en place de mesures d’accompagnement social ou budgétaire.
Le second prévoit qu’un débiteur qui saisit de nouveau la commission de surendettement après avoir bénéficié d’une première mesure de rétablissement personnel pourra se voir imposer un suivi budgétaire ou social.
Au cours de notre mission de contrôle, Anne-Marie Escoffier et moi-même avions également travaillé sur l’assurance-emprunteur. À cet égard, je vous rappelle que la loi Lagarde a délié l’assurance-emprunteur du crédit en interdisant aux prêteurs de refuser une assurance-emprunteur souscrite auprès d’un autre établissement, pourvu que ses garanties soient équivalentes à celles de l’assurance proposée par le prêteur lui-même.
Dans la pratique, l’emprunteur ne peut entreprendre cette démarche que s’il a été informé au préalable qu’il en a la possibilité. Or cette information passe généralement par le prêteur, qui n’a pas intérêt à la donner. Les services de contrôle ont donc constaté un nombre très faible d’anomalies, car ils ne peuvent pas vérifier le respect d’une obligation essentiellement orale. C’est pourquoi je propose d’aller plus loin et présenterai un amendement prévoyant une information écrite de l’emprunteur.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les frais de recouvrement amiable réclamés de façon illicite aux débiteurs. Vous avez déjà été interpellé sur cette question par ma collègue Chantal Jouanno. Je vous propose de préciser notre arsenal législatif dans ce domaine.
Pour finir, je tiens à remercier notre rapporteur, Richard Yung, pour l’excellence de son travail et la grande qualité de son écoute. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Plusieurs sénateurs du groupe écologiste applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « les banques, sauvées par les États, mangent désormais la main qui les a nourries […] ; ainsi, la finance s’est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle ». J’imagine la réaction des citoyens qui ont entendu ces propos enflammés au Bourget, placés aujourd’hui devant ce tout petit cantonnement des activités spéculatives, en même temps sans doute que de leurs espérances !
M. Claude Bérit-Débat. Visiblement, Le Bourget vous a marqué !
M. Francis Delattre. Le fait est que ce projet de loi est une coquille d’intentions inabouties qui rassemble au moins autant de mesures à caractère purement réglementaire que de dispositions proprement législatives – il fallait bien le meubler un peu, et M. le rapporteur a déployé ici tout son talent pour ce faire !
Monsieur le rapporteur, vous dites que la crise de 2008 ne doit pas se reproduire ; pour cela, nous sommes tous d’accord. Il faut cependant rappeler que, contrairement à ce qui est régulièrement affirmé, les banques françaises aidées par l’État en 2008 n’ont rien coûté aux contribuables, puisque l’État a été remboursé intégralement et avec les intérêts ; du reste, M. Moscovici en est convenu en commission. En outre, comme mon collègue Philippe Bas l’a justement signalé, la plupart des banques qui ont fait faillite étaient des établissements spécialisés. C’est ainsi que Lehman Brothers, dont on parle beaucoup, était une banque de détail.
En réalité, la régulation ne nous est pas étrangère.
En 2008, alors que les liquidités interbancaires étaient gelées par la méfiance des banques les unes envers les autres, un dispositif bien plus efficace que le système ici proposé avait été mis en place : il s’agissait de redoter en fonds propres un certain nombre de banques par le biais de la société de prise de participations de l’État, la SPPE. Je rappelle qu’à l’époque la gauche n’avait pas voté pour.
Que les activités bancaires doivent être régulées, c’est évident pour tous. Nous en sommes d’autant plus d’accord sur ces travées que nous avons mis en place des régulations lorsque nous avons été aux prises avec le gros des difficultés, entre 2008 et 2010. En effet, la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a créé l’Autorité de contrôle prudentiel et le Conseil de régulation financière et du risque systémique. En fin de compte, ce que l’on nous propose aujourd’hui n’est qu’une prolongation de ce qui a été fait – je n’ose parler d’amélioration.