M. Jean-Vincent Placé, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’écologie est, bien entendu, l’une des préoccupations principales de mon groupe.
Je me réjouis donc d’engager, pour la première fois dans une assemblée parlementaire, un débat sur un sujet aussi crucial pour l’environnement et pour le consommateur que celui de l’obsolescence programmée.
Sous ce terme complexe, sinon barbare, se cache un stratagème industriel qui a de graves répercussions écologiques et sociales. Je suis fier que notre groupe existe enfin et puisse engager le débat sur cette question, restée trop longtemps taboue.
Permettez-moi, mes chers collègues, pour bien mettre en perspective les termes du débat qui nous occupe aujourd’hui, de dresser rapidement un tableau général de la situation.
Vous le savez, notre planète dispose de ressources finies. Ces ressources, il faut de plus en plus apprendre à s’en passer, à mieux les partager et à les préserver, puisque la population mondiale ne cesse de s’accroître. Aujourd’hui, nous sommes réellement confrontés à une crise systémique qui repose, avant tout, sur une crise écologique : notre système de production et de consommation s’appuie sur des méthodes d’extraction de matières premières, d’exploitation de terres et de ressources qui arrivent à leurs limites. Les impacts ne sont pas uniquement environnementaux ; je ne parle pas là seulement des petites fleurs et des oiseaux, je parle de conflits géopolitiques, de misère humaine, de déclin de civilisation.
Nous entrons, si tant est que nous n’y soyons pas déjà depuis un moment, dans un monde de la rareté, dans lequel la course à l’abondance est chimérique. Désormais, c’est la pénurie qu’il faudra gérer, avec sobriété.
Certes, pendant plus de cinquante ans, les Français, les Européens et les habitants du monde occidental en général ont pu consommer à volonté. Les Trente Glorieuses ont marqué le passage à une consommation de masse, qui s’est traduite par l’équipement progressif des ménages, mais, une fois le marché saturé, la consommation n’a pas pour autant diminué, et l’on est passé à un mode dangereux de surconsommation effrénée. Les achats d’équipements électriques et électroniques ont été multipliés par six depuis le début des années quatre-vingt-dix.
Le revers de la médaille, c’est le rejet de seize à vingt kilogrammes de déchets d’équipements électriques et électroniques – les fameux DEEE – par personne et par an en France. La croissance économique évaluée selon le PIB stagne, mais pas celle des déchets, puisque, chaque année, elle augmente de 2 % à 3 % dans notre pays. Il faut savoir qu’environ 70 % des DEEE finissent incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles.
D’après le Centre européen de la consommation, « les appareils électroménagers nécessitent énormément de terres rares, c’est-à-dire des minerais et métaux difficiles à extraire, qui sont présents dans la plupart des produits électriques ou électroniques en raison de leur propriété magnétique permettant la miniaturisation ». Il est sidérant que les téléphones portables puissent contenir jusqu’à douze métaux différents, représentant 25 % de leur poids total.
Partant des niveaux connus en 1999, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, affirme que, en retenant un taux de croissance annuel de 2 %, les réserves de cuivre, de plomb, de nickel, d’argent, d’étain et de zinc ne dépasseraient pas trente années de consommation, tandis que celles d’aluminium et de fer s’établiraient entre soixante et quatre-vingts ans de consommation en moyenne.
Ce problème des déchets, une fois encore, n’est pas seulement dramatique pour l’environnement ; c’est aussi un sujet de santé publique. L’incinération, tout comme l’enfouissement, engendre la diffusion dans l’atmosphère et dans les sols de polluants toxiques qui s’accumulent, notamment dans la chaîne alimentaire, sans parler du caractère cancérigène de ces molécules, reconnu depuis 1997 par l’Organisation mondiale de la santé. Nous sommes directement concernés.
Toutefois, les populations du Sud le sont davantage encore que nous. L’empreinte écologique des pays à hauts revenus est cinq fois supérieure à celle des pays à bas revenus. Non seulement nous vivons au-dessus des moyens de la Terre, mais la répartition des fruits récoltés est inéquitable. Les pays du Sud récoltent, eux, les déchets électriques et électroniques envoyés par conteneurs entiers depuis les pays industrialisés.
Loin de moi l’idée de faire du catastrophisme, mais ne tombons pas non plus dans la paresse intellectuelle consistant à ne pas remettre en cause un modèle qui a porté ses fruits pendant longtemps, mais qui ne fonctionne plus, et ne fonctionnera plus. Il faut désormais innover, proposer, prendre ses responsabilités.
Les hommes et les femmes politiques vivent, le plus souvent, dans le temps court d’une élection, ce que l’on peut parfois regretter. En effet, les défis auxquels nous sommes confrontés, les projets de société que nous voulons construire nécessitent une vision à long terme. Les décisions d’aujourd’hui ont une incidence significative sur l’avenir, même si les effets sur le très court terme ou sur des intérêts catégoriels ne sont pas visibles.
Le Sénat est connu pour prendre le temps de la réflexion. Nous sommes donc, à n’en pas douter, dans le lieu idéal pour aborder des questions de fond. Pour autant, les recommandations formulées au sein de la chambre haute ne doivent pas rester entre ses murs ; elles doivent se transformer en actions, c’est pourquoi je suis très heureux de constater l’intérêt de M. le ministre pour ce sujet. Dans la Ve République, on le sait, c’est trop souvent l’exécutif qui possède véritablement le pouvoir de changer les choses, s’il en a la volonté…
Eu égard au diagnostic que je viens de poser, je suis persuadé qu’il est, en effet, urgent d’agir. Ce débat soulève une question simple et précise, mais dont la portée générale est très importante : que fait-on face à l’obsolescence programmée des produits ?
Tout d’abord, rappelons ce que signifie cette expression : l’obsolescence programmée recouvre l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Il existe une obsolescence technologique : l’innovation rend les objets rapidement obsolètes, car apparaît un objet plus performant, plus sophistiqué, incompatible avec l’ancien matériel. Il existe également une obsolescence psychologique, ou esthétique, résultant des phénomènes de mode. Il existe enfin une obsolescence technique, liée au fait de concevoir un produit en anticipant sa fin de vie. Les fabricants rendent aussi les produits irréparables : soit parce qu’on ne peut pas les désassembler, soit parce qu’il n’existe plus de pièces détachées ou qu’elles s’avèrent trop coûteuses.
L’obsolescence programmée, c’est l’illustration parfaite du modèle économique insoutenable et défaillant que je vous exposais en introduction. Elle appelle une réflexion sur les modes de surproduction et sur l’impact environnemental de notre modèle de développement. Ces procédés industriels malhonnêtes maintiennent un système économique en déclin sous perfusion artificielle. Le stratagème permet l’écoulement des stocks et le renouvellement illimité des biens.
L’idée a émergé en 1924, car on a vite compris les limites d’un modèle linéaire de consommation. Alors que les ampoules électriques sont conçues pour fonctionner au minimum 2 500 heures, les fabricants, confrontés à la chute des ventes, se sont mis d’accord pour limiter leur durée de vie à 1 000 heures. Cet accord, connu sous le nom de « cartel de Phoebus », est sûrement l’un des exemples les plus parlants d’obsolescence programmée.
Depuis, les cas n’ont cessé de se multiplier. J’évoquerai les bas en nylon,…
Mmes Marie-Christine Blandin et Laurence Rossignol. Les collants !
M. Jean-Vincent Placé. … qui filent après quelques utilisations. Je suis certain, mesdames, que vous connaissez le problème mieux que moi ! Personnellement, je suis davantage confronté, comme beaucoup de monde, à l’obsolescence programmée des chargeurs de téléphone, qui diffèrent selon les modèles, pourtant presque identiques, ou encore, au bureau, avec mes collaborateurs, à celle des tambours d’imprimantes, qu’il faut remplacer après 1 000 copies et qui coûtent plus de 100 euros, ou des cartouches d’encre noire à 70 euros, qu’il faut renouveler tous les deux mois…
Bien souvent, les matériels électroménagers comme les chauffe-eau ou les machines à laver subissent également cette obsolescence programmée : tous les ménages l’ont constatée. C’est, par exemple, une petite pièce d’usure qui ne fonctionne plus, mais qui s’avère impossible à changer, car l’ensemble est moulé de façon à ne pas être réparable. Il faut alors acheter un nouvel appareil.
Dans son Livre vert sur une stratégie européenne en matière de déchets plastiques dans l’environnement, la Commission européenne dénonce ces stratagèmes de façon explicite : « Pour assurer la durabilité de la production et de la consommation des produits en matière plastique, et éviter la perte de ressources naturelles non renouvelables, il importe que ces produits soient conçus avec une durabilité optimale. Plusieurs facteurs contrarient la réalisation de cet objectif, tels que l’obsolescence technique ou programmée, et des conceptions rendant la réparation des produits en matière plastique non rentable ou même techniquement impossible. »
Certes, ces exemples sont triés sur le volet, mais le phénomène se développe de plus en plus et affecte le pouvoir d’achat des ménages, dont le budget est déjà assez serré. La crise écologique et économique que nous connaissons aujourd’hui s’accompagne aussi d’une crise sociale. Les Français et les Françaises n’ont plus les moyens de racheter continuellement les mêmes produits parce que les fabricants les y contraignent. Je parle ici non pas de l’obsolescence « esthétique », qui relève d’un choix du consommateur, bien que ce choix soit largement orienté par la publicité et les stratégies marketing, mais bien de l’obsolescence programmée « technique », qui alimente un système inégalitaire opposant les plus aisés aux plus précaires.
Étant donné ses incidences environnementales, sociales et économiques, ce sujet n’a pas manqué d’éveiller la curiosité de nombreux experts, rendant caduque l’affirmation des industriels selon laquelle l’obsolescence programmée serait un mythe. Elle représente malheureusement une réalité bien concrète pour tous les consommateurs qui en sont victimes.
Le Sénat belge s’est emparé de la question et a voté, au mois d’octobre 2011, une proposition de résolution en vue de lutter contre l’obsolescence programmée des produits liés à l’énergie. Tout récemment, le Centre européen de la consommation a publié une étude intitulée « L’obsolescence programmée, dérive de la société de consommation ». L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, quant à elle, analyse le phénomène dans son étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques. Terra Nova, grand think tank bien-pensant (M. le ministre s’étonne.), évoque aussi le problème dans sa contribution publiée sous le titre « Réinventer l’abondance : pour une politique des consommations », tandis que les Amis de la Terre et le CNIID, le Centre national d’information indépendante sur les déchets, avec lesquels nous avons effectué un très bon travail, ont publié plusieurs rapports très détaillés, dont celui qui est intitulé « L’obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage ». Par ailleurs, le Conseil économique et social européen rendra en juillet un avis sur ce sujet, qui sera soumis à la Commission européenne et au Parlement européen au mois d’octobre.
Les médias se sont fait le relais de ces préoccupations citoyennes. Je pense notamment à un célèbre documentaire d’Arte, « Prêt à jeter », ainsi qu’à d’autres reportages, comme « Cash investigation », diffusé sur France 2, sans parler des nombreux articles de presse qui ont achevé de me convaincre qu’il fallait se mobiliser sur le sujet.
Je ne suis d’ailleurs pas seul à m’être engagé dans cette démarche, puisque, en 2010, des membres du groupe socialiste, radical et divers gauche de l’Assemblée nationale, dont l’actuel ministre du redressement productif, avaient déposé un amendement, qui fut malheureusement rejeté, visant à demander l’établissement d’un rapport sur la mise en application du principe d’obsolescence programmée par les entreprises françaises.
Mon collègue Joël Labbé a, quant à lui, déposé, au mois de décembre 2011, un amendement tendant à prévoir l’extension de la garantie jusqu’à cinq ans. Enfin, François Hollande, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, a indiqué, en réponse à un questionnaire adressé par le CNIID, vouloir agir sur la durée de vie des produits et s’est engagé à lutter contre l’obsolescence programmée par l’instauration progressive – je vous soumets cette citation, monsieur le ministre, car je sais votre soutien loyal au Président de la République (Sourires.) – « d’une garantie longue de cinq ans, puis de dix ans pour les biens de consommation durables et la modulation de l’écotaxe selon la durée de vie garantie du produit ».
Ces engagements forts du Président de la République, les divers rapports évoqués et l’impérieuse nécessité d’agir devant l’ampleur des enjeux m’ont conduit à rédiger, avec le soutien de mes collègues du groupe écologiste, une proposition de loi. En tant que consommateurs, citoyens et sénateurs écologistes, nous ne pouvions pas rester inactifs face à une telle situation. Le droit d’utiliser des produits durables, de qualité et réparables doit être garanti pour tous les consommateurs.
J’ai voulu m’engager dans une démarche positive, c’est-à-dire visant à l’allongement de la durée de vie des produits, plutôt qu’à la diabolisation des entreprises. Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail de réflexion et d’audition des différents acteurs concernés. Je souhaite vous exposer nos propositions afin de faire avancer ce débat et de mettre en évidence des alternatives possibles qui, j’en suis sûr, ne manqueront pas d’intéresser M. le ministre, notamment au regard de l’élaboration du projet de loi sur la consommation à venir.
Tout d’abord, il faut définir un cadre juridique, afin de sanctionner les pratiques malhonnêtes de certains fabricants et d’offrir un recours aux consommateurs lésés, notamment dans le cadre des class actions, dont nous avons parlé ensemble, monsieur le ministre.
Je vous propose de retenir la définition juridique suivante : « L’obsolescence programmée est l’ensemble des techniques par lesquelles un fabricant ou un importateur de biens vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. »
Ensuite, l’une des mesures phares, c’est l’extension progressive de la durée légale de conformité à cinq ans, au lieu de deux ans actuellement. L’objectif serait même, à terme, de porter cette durée à dix ans, comme le souhaitait le Président de la République. Le fabricant aura ainsi intérêt à produire des biens plus durables, tandis que le consommateur n’aura pas intérêt à renouveler l’achat avant la date d’expiration de la garantie.
La loi française en vigueur résulte de la transposition d’une directive européenne, votée en 1999, aux termes de laquelle la responsabilité du vendeur est engagée lorsqu’un défaut de conformité apparaît dans les deux ans à compter de la vente du bien.
Cette même directive autorise les États qui le souhaitent à adopter des mesures plus strictes, afin d’assurer un niveau de protection plus élevé du consommateur. Les dispositions de notre proposition de loi ne sont donc pas en conflit avec la réglementation européenne, au contraire. D’ailleurs, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Finlande proposent des garanties supérieures, respectivement de six ans et de trois ans.
Nous pourrions également allonger de six mois à deux ans la durée de la garantie légale pendant laquelle le consommateur n’a pas à fournir la preuve de la panne, pour une meilleure lisibilité de la garantie et une plus grande protection des consommateurs.
L’augmentation de la durée de vie des produits passe également par la réparation, qui est une importante source d’emplois non délocalisables, devant être étudiée avec la plus grande attention. Ce secteur doit être encouragé par la mise à disposition de pièces détachées essentielles au fonctionnement des produits dans un délai d’un mois, pendant une période de dix ans. De manière générale, il est primordial que les utilisateurs d’équipements électriques et électroniques soient mieux informés sur le réemploi, le recyclage et toutes autres formes de valorisation de ces produits, au travers de la notice d’utilisation, par exemple.
Je propose également de moduler l’éco-contribution, tel un bonus-malus, en fonction de critères permettant un allongement de la durée de vie du produit. Ce point relève du thème plus large de la fiscalité écologique.
Enfin, je souhaite que le Gouvernement présente un rapport sur le développement et les perspectives, en France, de l’économie de la fonctionnalité, forme d’économie complémentaire de l’économie circulaire. En remplaçant la vente du bien par la vente de l’usage de celui-ci, les entreprises sont incitées à concevoir des produits ayant une plus longue durée de vie, sous peine d’avoir à subir des frais de réparation importants.
Dans le même temps, les coûts de production diminuent, grâce à une économie en termes d’utilisation de matières premières. Les entreprises peuvent ainsi profiter de cette baisse pour créer des emplois, diminuer les prix et gagner en compétitivité. Voyez le succès du Vélib’ à Paris ou de la musique en ligne : nos concitoyens n’ont plus nécessairement besoin d’être propriétaires des biens pour être satisfaits.
Mes chers collègues, des solutions alternatives alliant responsabilité écologique, viabilité économique et bénéfice social existent pour répondre au problème de l’obsolescence programmée et, plus généralement, aux enjeux de la conversion écologique de notre économie.
Certains me rétorqueront que l’extension de la garantie va entraîner une augmentation des prix. Mais si, pour une télévision valant 200 euros, les consommateurs doivent dépenser au maximum 20 euros supplémentaires pour obtenir une garantie de cinq ans, ils seront gagnants, surtout lorsque l’on observe les marges impressionnantes réalisées par les distributeurs sur les extensions de garantie payantes.
D’autres alerteront sur le risque de mettre en péril des emplois. Dès que l’on veut mettre en place une mesure sociale ou environnementale, les lobbies industriels agitent toujours la menace de la perte de nombreux emplois. Cela dit, cette question est légitime. Mais, croyez-moi, les créations d’emplois dans le secteur de la réparation et dans toutes les activités de services seront bien plus considérables que les pertes. Sur ce point, il serait cependant intéressant de disposer d’une étude d’impact. Vous le savez bien, mes chers collègues, malgré toute notre bonne volonté et celles de nos collaborateurs, nous, parlementaires, n’avons que peu de moyens pour réaliser de telles études, à la différence du ministre : je souhaiterais donc qu’il y réfléchisse.
Naturellement, je souhaite que ces propositions aient une portée européenne, mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir en France. Au contraire, c’est grâce aux différentes initiatives prises en France, avec ma proposition de loi et divers rapports, en Belgique et dans d’autres pays que l’Union européenne se mobilisera ; j’en veux pour preuve l’avis que va rendre prochainement le Conseil économique et social européen.
Le modèle économique que je vous propose a fait ses preuves : une entreprise comme Patagonia, qui vend des vêtements techniques éco-conçus, est particulièrement exemplaire à cet égard, tandis que Miele, Dyson, Ikea ou le constructeur de voitures Kia font la promotion de produits durables, pour lesquels la garantie atteint cinq, sept, voire vingt ans.
Indéniablement, la France a tout à gagner à jouer sur la qualité de ses produits et sur le service aux clients pour se démarquer dans un univers de forte concurrence par les prix. À cet égard, si les voitures allemandes se vendent si bien malgré leur coût plus élevé, c’est parce que leur qualité est reconnue. Loin de moi l’idée d’encourager l’usage de la voiture – je vous invite tous, mes chers collègues, à prendre les transports en commun ou à circuler en vélo –, mais vous aurez compris l’idée que je défends.
Il est vraiment nécessaire de réorienter notre modèle économique dès maintenant. On ne peut plus attendre : l’économie de la qualité, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité sont notre avenir. La Chine, l’Allemagne ou les États-Unis l’ont bien compris et se réorientent vers ces formes novatrices. Qu’attendons-nous pour prendre le leadership sur ce marché ?
Le présent débat me donne l’occasion d’en appeler à l’audace face aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux. L’obsolescence programmée est une aberration, une impasse ; elle nous mène droit dans le mur. Il faut réagir dès à présent en formulant des propositions concrètes, et non en demandant un énième rapport sur le sujet. Nos concitoyens et concitoyennes, qui ne supportent plus de se faire avoir et se tournent, de plus en plus, vers des modèles responsables de consommation et vers la réparation, manifestent une véritable attente.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, mon investissement sur ce problème est entier. Je souhaite avoir votre avis sur les propositions que je vous ai présentées. Elles concernent, à tous les égards, la consommation et l’économie sociale et solidaire. Je vous remercie des réponses que vous pourrez nous apporter quant à la stratégie du Gouvernement sur cette question. Je serai très attentif aux interventions des orateurs de l’ensemble des groupes, de la majorité comme de l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.
Mme Hélène Masson-Maret. Il est difficile de prendre la parole après un orateur aussi enthousiaste que notre collègue Jean-Vincent Placé… Je souhaite néanmoins attirer l’attention sur certains points bien précis et formuler quelques remarques.
Tout d’abord, le concept d’obsolescence programmée évoqué par notre collègue doit être distingué de celui d’obsolescence d’un produit.
L’obsolescence en elle-même, telle que l’on peut la définir, est le fait, pour un produit, d’être technologiquement dépassé et de perdre ainsi une partie de sa valeur. Cette obsolescence concerne également le produit de bonne qualité que le consommateur remplace par un produit neuf tout simplement parce qu’il lui paraît désuet ou démodé.
On a parfois qualifié d’« esthétique » ce type d’obsolescence subjective, le consommateur étant amené à jeter un produit encore fonctionnel pour des raisons psychologiques.
On peut évidemment voir dans cette attitude, aujourd’hui poussée à l’extrême, une dérive de notre société de consommation, qui incite à consommer toujours plus. Mais il s’agit là d’un état d’esprit sur lequel il serait bien difficile, pour le législateur, d’intervenir.
Très différente est l’obsolescence programmée, qui, comme vous l’avez souligné, monsieur Placé, consiste pour un fabricant à utiliser un ensemble de techniques ou de technologies visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement, cela pour des raisons purement économiques. Selon la technique utilisée, on parle d’obsolescence par défaut fonctionnel, d’obsolescence par incompatibilité, d’obsolescence indirecte, d’obsolescence par notification ou encore d’obsolescence par péremption.
Il est bien évident que c’est cette dernière forme d’obsolescence, consistant à programmer, grâce à un éventail de techniques frauduleuses, la durée de vie d’un produit qui doit être dénoncée, d’un point de vue tant économique qu’écologique. Jusque-là, nous sommes d’accord, monsieur Placé.
Du point de vue économique, l’initiative de notre collègue est tout à fait honorable (Ah ! sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.),…
M. Jean-Vincent Placé. Mais… (Sourires.)
Mme Hélène Masson-Maret. … puisqu’elle a pour objet de lutter contre cette pratique que l’on peut considérer comme frauduleuse et qui semble pénaliser gravement, sur le plan financier, les ménages, qui doivent acheter des produits de remplacement. Cependant, à mon sens, s’il convient évidemment de mieux protéger les consommateurs, il ne faut pas pour autant réduire leur pouvoir d’achat : les produits visés doivent rester accessibles à tous en termes de prix. Par conséquent, si l’on modifie les règles économiques par des textes législatifs ou réglementaires, il ne faut en aucun cas engendrer, du même coup, une augmentation significative du prix des produits liée à de nouvelles contraintes de fabrication.
Du point de vue écologique, il est évident que la mise en pratique de l’obsolescence programmée par les entreprises privées va dans le sens d’une surconsommation des ressources utilisées pour la fabrication des produits concernés – je vous rejoins également sur ce point, monsieur Placé – et d’une augmentation constante de la masse des déchets. Soulignons que l’obsolescence programmée concerne principalement les produits manufacturés, particulièrement les appareils électriques et électroniques. On peut toutefois recourir à cette pratique pour bien d’autres types d’objets : vêtements, mobilier, etc. Nous y reviendrons, car ce point est vraiment important.
Si nous souhaitons tous limiter le recours à l’obsolescence programmée et donc au renouvellement systématique des produits, il me semble important de prendre en compte deux considérations majeures : premièrement, il faudrait modifier les comportements des entreprises privées, sans pour autant pénaliser celles qui ont déjà créé des filières de recyclage ; deuxièmement, pour les entreprises qui vivent des filières de recyclage, il conviendrait que l’application d’une interdiction rigoureuse de l’obsolescence programmée ne soit pas génératrice de pertes ou d’un manque à gagner.
Mme Laurence Rossignol. Des pertes pour qui ?
Mme Hélène Masson-Maret. Sans ces deux préalables, vouloir endiguer la mise en œuvre de l’obsolescence programmée serait voué à l’échec, sauf si les textes législatifs devenaient véritablement contraignants en la matière. Mais, si une telle contrainte était exercée, le risque serait alors que la compétitivité de nos entreprises à l’échelle internationale soit dégradée, et du même coup se poserait la question de leur évolution, voire celle de leur survie.
En effet, notre pays évolue dans un marché réglementé et ne peut donc adopter des mesures qui seraient considérées comme un frein, une entrave aux échanges entre États membres. N’oublions pas que, en outre, la France est membre de l’Union européenne et que le droit interne français découle presque systématiquement du droit communautaire. À ce jour, la France a transposé les deux directives européennes relatives aux DEEE et la directive-cadre « déchets ».
La proposition de loi de Jean-Vincent Placé a le mérite de poser la question de la nécessité d’un texte pour lutter contre l’obsolescence programmée ; pour le moment, aucun texte national ne traite spécifiquement de ce concept. Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée du travail réalisé en Belgique, où une proposition de loi similaire a été déposée en 2011, ou dans des pays du Nord tels les Pays-Bas ou la Finlande qui, sans interdire le recours à l’obsolescence programmée, y apportent des restrictions.
Aujourd’hui, il est important de savoir ce que l’on veut faire et quelle inflexion on entend donner à cette proposition. À la lecture da la question orale de Jean-Vincent Placé, il apparaît que ce texte relève de bonnes intentions (Exclamations ironiques sur les travées du groupe écologiste.),…
M. Jean-Jacques Mirassou. Ça va se gâter !
Mme Hélène Masson-Maret. … qu’il va dans le bon sens d’un point de vue tant écologique que social. Toutefois, ne risque-t-il pas de provoquer une véritable levée de boucliers des lobbies et des constructeurs qui mettent sur le marché des produits à durée de vie limitée dans une logique d’obsolescence programmée ? (MM. Ronan Dantec et Joël Labbé s’exclament.)
Notons tout d’abord qu’il existe déjà des filières à l’échelon national pour la récupération d’une large partie de ces produits de grande consommation. Force est de constater que le traitement et la récupération des différentes matières premières ayant servi à l’élaboration des produits permettent de les réutiliser et, par conséquent, de réaliser des économies en matière de ressources naturelles.
Je souhaite également attirer votre attention sur le fait que ces filières de recyclage fonctionnent, qu’elles ont été créatrices d’emplois et qu’abonder dans le sens de M. Placé sans faire preuve d’une grande vigilance entraînerait le transfert de certains emplois d’un secteur à un autre. Ce transfert ne se ferait pas sans difficulté, bien au contraire, puisqu’il faudrait en définitive réfléchir sur les fondements de notre système de production actuel, mais aussi sur nos modes de consommation.
Pour étayer cette remarque, je prendrai l’exemple des DEEE, en me fondant sur les chiffres avancés par l’ADEME, même s’ils sont parfois contestés. Selon l’ADEME, en 2010, 434 000 tonnes de DEEE ont été collectées via les collectivités territoriales, les distributeurs, les acteurs de l’économie solidaire ou les producteurs eux-mêmes. En 2010 toujours, 423 600 tonnes de DEEE ont été traitées et 334 600 tonnes recyclées, soit environ 75 % du total.
Par conséquent, même si l’on comprend que la pratique de l’obsolescence programmée, qui tend effectivement à se développer, ait suscité une prise de conscience de Jean-Vincent Placé et qu’il souhaite légiférer sur le sujet, instaurer des sanctions financières mais aussi pénales, il ne faut pas mésestimer totalement les risques d’une telle démarche.
Enfin, sans tomber dans l’amalgame, je tiens à faire une dernière remarque, qui peut avoir son importance.
Un texte de loi interdisant l’obsolescence programmée pourrait avoir un effet pervers pour notre économie, car l’avenir réside peut-être dans les produits programmés pour avoir durée de vie limitée, destinés à être renouvelés si leur coût est bas et s’ils sont biodégradables ou recyclables. En effet, quid des entreprises qui ont eu l’intelligence de créer des sacs plastiques biodégradables, et donc à courte durée de vie ? N’est-ce pas de l’obsolescence programmée ? Mais, dans ce cas, n’est-ce pas de l’obsolescence programmée intelligente ?
M. Jean-Vincent Placé. Ce n’est pas le sujet !
Mme Hélène Masson-Maret. Or c’est bien ce type de démarche qui pourrait être touché par une loi trop contraignante.
Aussi me paraît-il fondamental de distinguer l’obsolescence programmée à but mercantile et l’obsolescence programmée à but environnemental. En effet, cette seconde forme d’obsolescence programmée est favorable non seulement à la créativité de nos entreprises, mais également à la défense de l’environnement. Or je constate que le texte de Jean-Vincent Placé n’opère pas cette distinction. Il serait pourtant important de l’introduire afin d’éviter des effets pervers : à défaut, nous risquerions de pénaliser tous les fabricants et toutes les entreprises qui œuvrent pour la défense de l’environnement. Le concept d’obsolescence programmée ne doit pas être réduit au seul champ des équipements électriques et électroniques, car il concerne un grand nombre de produits, et une loi trop stricte pourrait avoir de graves conséquences d’un point de vue tant économique que social. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.