Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un avis du 4 mai 2011 sur le rôle des politiques familiales, le Comité économique et social européen a énuméré un certain nombre d’éléments clés de leur succès. Ainsi, les politiques qui réussissent en Europe ont pour points communs la pérennité et l’universalité, la reconnaissance de la famille et la valorisation de son rôle, la prise en compte de la situation particulière des familles nombreuses et la mise en œuvre de dispositifs permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. Je partage pleinement cette analyse.
La France a fait le choix d’une politique familiale forte reposant sur de multiples outils. Cette politique se caractérise par un certain nombre de choix pertinents : combinaison de dispositifs universels et ciblés, encouragement au libre choix des familles en matière d’accueil des jeunes enfants, articulation de dispositifs fiscaux et sociaux. Le Haut Conseil de la famille, dont je suis membre, estime que la politique familiale a jusqu’ici donné des résultats globalement positifs.
Soutien à la natalité et soutien au niveau de vie des familles ont toujours fait partie de nos objectifs. Avec deux enfants par femme, notre taux de fécondité, qui est l’un des plus élevés d’Europe, ne nous empêche pas d’enregistrer un taux d’activité professionnelle des femmes relativement élevé. C’est précisément l’une des réussites de la politique familiale française. À ce titre, l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle doit constituer aujourd’hui un axe majeur de notre politique familiale.
Par une lettre de saisine en date du 23 janvier dernier, le Premier ministre a demandé au Haut Conseil de la famille de proposer des scénarios de retour à l’équilibre financier de la branche famille au plus tard en 2016, tout en améliorant l’efficacité et l’équité des différents dispositifs. Certes, il existe un problème d’équilibre financier. C’est pourquoi je regrette l’abandon de la TVA sociale, telle qu’elle avait été décidée par le précédent gouvernement, car elle mettait fin au financement de la politique familiale par les cotisations salariales. Pour diminuer les inégalités entre les ménages de même composition familiale, il convient notamment de prendre en compte l’impôt sur le revenu, le quotient familial, les aides au logement et les prestations familiales, sur lesquelles je m’attarderai spécialement.
Accroître le financement de services nécessaires aux familles est l’une des pistes de réformes étudiées. Il existe un fort consensus en faveur de la politique de développement des établissements d’accueil du jeune enfant, les EAJE, et de la politique d’accompagnement de la parentalité. Ces dispositifs contribuent à une bonne articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Le financement des établissements d’accueil du jeune enfant mobilise 51 % du Fonds national d’action sociale. Je rappelle que le financement du fonctionnement de ces établissements est assuré à hauteur de 45 % par la branche famille et de 27 % par les communes. Quant aux familles, elles participent à hauteur de 20 %. La part restante du financement est assumée par les conseils généraux, les entreprises ou encore les hôpitaux.
Afin de poursuivre le développement des modes d’accueil des jeunes enfants, le budget du Fonds national d’action sociale de la Caisse nationale des allocations familiales devrait augmenter à un rythme de 7,5 % par an sur la durée de la prochaine convention d’objectifs et de gestion pour la période 2013-2016, soit une hausse de 25 % des crédits.
Le renforcement de l’incitation des communes à développer des projets destinés à réduire des inégalités territoriales en matière d’offre de services aux familles doit porter sur plusieurs points : tout d’abord, poursuivre l’indexation de la prestation de service et des contrats « enfance et jeunesse » sur un indice mixte « prix-salaire » ; ensuite, conserver le caractère non limitatif des crédits affectés aux établissements d’accueil du jeune enfant ; enfin, assurer la continuité des plans pluriannuels d’investissement de la branche famille pour la création de ces établissements.
On le sait, le reste à charge des familles, selon qu’elles ont recours à l’accueil de leur enfant par un EAJE ou par un assistant maternel, est très variable. La superposition de deux dispositifs, à savoir les aides des CAF et des communes, d’une part, et le crédit d’impôt, d’autre part, est discutable, puisqu’ils ne respectent ni le même calendrier ni la même logique. Quant au complément de libre choix du mode de garde, le CMG, son barème recèle des effets de seuil trop prononcés et il ne respecte pas le même profil que celui retenu pour les EAJE.
Notre système de prestations familiales est donc complexe, défaut bien français ! Un schéma de réforme qui regrouperait les grandes prestations d’entretien – les allocations familiales, l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant et le complément familial – pourrait-il dégager des économies substantielles ? La question se pose. La mesure analysée par le HCF consiste à fusionner les grandes prestations d’entretien dans une prestation unique, afin d’atteindre un triple objectif, à savoir créer un système plus redistributif, dégager un montant élevé d’économies et simplifier le dispositif actuel en fusionnant trois prestations en une seule.
Cette réforme préserverait certes deux grands principes de la politique familiale : l’universalité, dans le sens où la prestation « socle » est ouverte à toutes les familles, et la progressivité du montant de la prestation en fonction de la taille de la famille. Madame la ministre, quelles suites comptez-vous donner à cette réflexion ?
Le second point de mon intervention porte sur l’avenir des allocations familiales.
Sur ce sujet, je tiens à rappeler ma ferme opposition à la remise en cause de l’universalité des allocations familiales et à leur mise sous condition de ressources. Trois pistes de réformes sont possibles.
La première consiste à supprimer les allocations familiales pour les ménages dont les revenus se situent au-dessus d’un plafond de ressources. Il s’agirait d’une atteinte au principe d’universalité, et les effets de seuil seraient trop importants. Bien entendu, je suis opposée à une telle mesure. À la perversité reconnue des effets de seuil, il convient d’ajouter que les premiers chiffres annoncés révélaient que c’est le cœur des familles des classes moyennes qui serait touché.
La deuxième piste envisageable est l’imposition des prestations familiales, y compris des allocations familiales. Là encore, je n’y suis pas favorable.
Fiscaliser les allocations familiales signifierait augmenter les impôts, alors même que la Cour des comptes demande de stabiliser les prélèvements obligatoires et de baisser la dépense publique. Il serait suicidaire d’accroître encore la pression fiscale en France, où les niveaux de dépense publique et de prélèvements obligatoires sont déjà les plus élevés parmi les pays développés.
Fiscaliser les allocations familiales reviendrait à frapper une fois de plus les classes moyennes, déjà fortement touchées par la politique menée depuis un an. Les bénéficiaires des allocations ne sont pas seulement les familles aisées : cinq millions de familles seront inévitablement concernées. Selon leurs revenus, ces familles pourraient perdre entre 142 euros et 656 euros par an.
Fiscaliser les allocations familiales fragiliserait également notre politique de la famille, qui est pourtant enviée dans toute l’Europe pour son efficacité, notamment en Allemagne. La France est le pays d’Europe où la natalité est la plus forte, après l’Irlande. Cette vitalité démographique est un atout pour l’avenir, elle est liée à une politique familiale généreuse dotée d’un cadre institutionnel stable et protecteur. Elle vise, autant que possible, à supprimer les freins matériels qui empêchent les familles d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent.
En fait, cela ne pourrait se faire que dans le cadre d’une refonte totale et globale de la fiscalité française, refonte que j’appelle de mes vœux, mais sans cesse reportée !
Une dernière piste, la modulation des allocations familiales en fonction des ressources, a également été analysée. Elle conduirait à réduire progressivement le montant des allocations lorsque le revenu des familles excède un certain plafond. À titre personnel, je n’y suis pas non plus favorable, car moduler les allocations reviendrait à mettre fin, nonobstant toutes les allégations contraires, à leur universalité. En effet, les familles, à nombre d’enfants égal, ne toucheraient pas la même allocation. Ce serait donc bien une rupture du principe d’universalité, qui fonde l’ensemble de notre système de protection sociale.
Par ailleurs, cette modulation serait complexe à mettre en œuvre et alourdirait le travail des caisses d’allocations familiales déjà surchargées. Elle serait contraire au « choc de simplification » annoncé par le Président de la République, car un tel projet impliquerait non seulement une adaptation du système d’information, mais aussi le traitement régulier par les agents des caisses des dossiers de revenus de tous les bénéficiaires d’allocations familiales. De plus, cela créerait de nombreux indus, comme pour toutes les prestations soumises à une prise en compte des ressources.
Les principes fondamentaux de notre politique familiale sont ceux de notre système de protection sociale par répartition, à savoir l’universalité, la liberté de choix et la pérennité. Telles ont été les positions défendues sous le précédent quinquennat. La politique familiale constitue un ensemble qui inspire particulièrement confiance aux Français, confiance qu’il est indispensable de conforter.
Madame la ministre, quelle politique entendez-vous mener concernant les prestations familiales liées aux modes de garde ? Quelles suites comptez-vous donner aux pistes de réformes étudiées par le Haut Conseil de la famille ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays se caractérise par une forte solidarité sociale à l’égard des familles. Cette politique a pleinement joué son rôle de soutien aux ménages, puisque notre pays maintient un haut niveau de natalité conjugué à un taux d’activité professionnelle des femmes très élevé. Toutefois, ce système construit dans l’élan collectif de l’après-guerre, visant à la sécurité sociale pour toutes et tous, s’est étoffé et complexifié au fil du temps, au risque de perdre en lisibilité et en cohérence. Le rapport rendu par la Cour des comptes à la fin de 2012 invite d’ailleurs à revoir son architecture d’ensemble, afin d’atteindre l’objectif fondamental et premier des prestations familiales, à savoir la redistribution en vue d’une réduction des inégalités.
Les besoins des familles évoluent, nos réalités budgétaires aussi. Il nous faut donc redéfinir les priorités de la politique familiale dans le contexte économique et financier que nous connaissons. Tel est le sens du travail réalisé par le Haut Conseil de la famille à la demande du Premier ministre.
Notre dispositif d’aide combine trois logiques : des prestations universelles, des aides dont l’accès est lié à un plafond de ressources et celles dont le montant est modulé en fonction des revenus du ménage. Force est de constater une absence de lisibilité globale des prestations pour les ménages, malgré des tentatives de simplification. Cette observation est d’autant plus vraie que les aides aux familles ne se résument pas aux seules prestations familiales, puisque les prestations liées au logement, les tarifications basées sur le quotient familial ainsi que les règles régissant l’imposition des revenus y contribuent également. Cependant, l’analyse du profil des bénéficiaires par mesure tend à démontrer que certaines d’entre elles favorisent relativement plus les ménages aisés, notamment en ce qui concerne les compléments de libre choix du mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant.
Nous devons maintenant redéfinir, à partir des scénarios élaborés par le Haut Conseil de la famille, les priorités et modalités d’aides aux familles, afin de maintenir une aide significative aux plus modestes d’entre elles et de poursuivre le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance, malgré le contexte budgétaire contraint.
Il nous faudra aussi aller plus loin dans la satisfaction de certains besoins des ménages.
Ainsi, il convient de poursuivre le développement quantitatif et qualitatif des modes d’accueil de la petite enfance, afin de permettre aux familles qui le souhaitent d’assumer une activité professionnelle sur l’ensemble du territoire français de métropole et d’outre-mer. Il nous faut porter une attention particulière à l’accueil d’enfants souffrant de handicaps dont les parents, le plus souvent les mères, sont contraints au report ou à l’abandon de leur activité professionnelle, faute de trouver un mode d’accueil adapté.
De même, l’accès aux modes d’accueil doit pouvoir remplir une fonction « incluante » des familles les plus vulnérables, y compris en l’absence d’activité professionnelle des parents.
Il me paraît également urgent de faire évoluer notre dispositif redistributif dans le sens d’un meilleur soutien financier aux familles les plus modestes et confrontées à la précarité, voire à la pauvreté. Il s’agit principalement des familles monoparentales et des familles nombreuses, comme l’a souligné la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui s’est tenue en février dernier. Nous ne pouvons plus accepter cette situation en 2013, car il y va de l’avenir immédiat de plus de deux millions et demi d’enfants. En ce sens, je suis favorable au versement de prestations familiales dès la naissance du premier enfant.
Les actions de soutien à la parentalité ont démontré leur intérêt. Nous devons favoriser tout ce qui vient soutenir le rôle parental, le dialogue au sein des familles, dès la grossesse et l’arrivée de l’enfant, ou en cas de crise familiale, car ces politiques d’aide à la construction des premiers liens parents-enfants contribuent indéniablement à la protection de l’enfance. Ces actions s’adressent à toutes les familles.
Dans le même esprit, nous devons stabiliser le financement des « Espaces rencontres », qui permettent, dans les cas de séparations conflictuelles et sur décision judiciaire, de maintenir le lien entre l’enfant et le parent avec lequel il ne vit plus. Ces 180 espaces rencontres répartis sur l’ensemble du territoire français ont accueilli 14 000 enfants en 2011. Il nous faut les soutenir et renforcer leurs capacités d’intervention. Ces mesures s’adressent aussi, potentiellement, à toutes les familles.
Je souhaite aussi souligner d’autres besoins insatisfaits et qui méritent notre attention.
Aujourd’hui, des femmes exerçant une activité professionnelle n’accèdent pas au congé de maternité, du fait de l’insuffisance de leurs cotisations salariales au regard du droit au versement d’indemnités journalières. En effet, le congé de maternité est assimilé à un congé de maladie. Dans mon département, une première estimation fait état de 6 % à 9 % de femmes concernées par la non-ouverture de droits en raison de leurs trop faibles cotisations, sur le total des 23 % à 25 % de femmes qui ne perçoivent pas d’indemnités journalières de maternité pour diverses raisons, notamment de statut – il s’agit d’étudiantes, d’ayants droit, etc.
Cette situation m’amène à m’interroger sur le financement du congé de maternité dans son principe même, mais également sur le difficile accès des jeunes au marché du travail, en particulier des femmes, confrontées au temps partiel, aux stages, aux petits boulots. J’y vois une injustice qui aggrave la précarité des ménages modestes ou pauvres et renforce les discriminations entre les femmes et les hommes.
Je souhaiterais qu’une réflexion s’engage sur le sujet, afin de pouvoir redessiner la logique d’ensemble de l’accès au congé de maternité et de son financement, afin de décider si ce dernier doit relever de la branche famille ou de la branche maladie, car une grossesse n’est pas une maladie !
Le plafonnement des indemnités journalières pour les femmes cadres pose un problème de principe similaire, même si une partie d’entre elles bénéficient de compléments de salaire versés par leur entreprise, du moins pour celles qui sont en contrat à durée indéterminée.
Une autre situation me paraît mériter notre attention. Il s’agit du mode d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés, qui ne relève pas directement de la politique familiale, mais qui a des effets sur les relations conjugales et familiales. En effet, le versement de l’AAH est subordonné au niveau de ressources du ménage. Une personne handicapée, qu’elle soit homme ou femme, qui vit seule, perçoit l’AAH. Elle peut en perdre le bénéficie lorsqu’elle vit en couple et a fortiori lorsque le couple a des enfants. Or le handicap ne disparaît pas pour autant, ni les besoins en compensations diverses. La personne handicapée devient alors dépendante de son conjoint. Il me semble qu’une réflexion doit pouvoir être conduite en lien avec les politiques sur le handicap afin de corriger, à terme, cette situation préjudiciable à l’équilibre conjugal et familial.
J’ai souhaité, par ces quelques exemples un peu annexes, souligner la nécessité de rester en phase avec les besoins des ménages pour élaborer les politiques familiales et rechercher l’adaptation des dispositifs d’aide. La démarche intitulée « Au tour des parents », que vous avez récemment initiée, madame la ministre, y a fortement contribué. En effet, des parents de plusieurs régions de France, dont la mienne, ont pu exprimer leur vécu et émettre des propositions en matière d’aide aux familles. La réflexion actuellement en cours représente, en ce sens, une véritable opportunité pour prolonger ces constats et élaborer des réponses adaptées.
Je suis évidemment favorable à une révision des modalités de redistribution des prestations familiales afin que notre politique familiale retrouve des marges de manœuvre financières lui permettant de jouer pleinement son rôle redistributif à l’égard des plus exposés. Car investir sur l’enfant et sa famille, c’est miser sur l’avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ma collègue Isabelle Pasquet a eu l’occasion de le dire dans ses propos introductifs, notre groupe est attaché à la construction d’une politique familiale qui n’est pas familialiste. Disant cela, il s’agit pour nous de poser un principe fondamental selon lequel il y a non pas un modèle de familles, mais des familles.
M. Ronan Kerdraon. C’est vrai !
Mme Laurence Cohen. Rappelons-nous d’ailleurs le tout récent débat sur le mariage pour toutes et tous !
Sans doute faudrait-il, au demeurant, faire évoluer le vocabulaire pour qu’il corresponde mieux aux réalités de notre société. Le ministère que vous occupez, madame la ministre, n’est plus le ministère « de la famille » mais celui « des familles ».
Cela étant précisé, il n’est pas inutile de redire que, pour notre groupe, la famille n’est ni le fondement de notre société ni un objectif politique pour notre pays. Créer une famille, c’est un choix respectable que nous sommes des millions à faire, mais il convient de respecter celles et ceux qui vivent seuls. Le fondement de la société, ce socle commun à notre République, ce sont les citoyennes et les citoyens qui la composent.
Nous sommes convaincus que les allocations familiales doivent réaffirmer le principe selon lequel elles sont attribuées aux enfants et versées aux parents, et non l’inverse, puisque, aux yeux de notre République, chaque enfant se vaut. C’est l’enfant, et non l’entité famille, qui est au cœur de ces allocations.
Nous souhaitons renforcer ce mécanisme en permettant le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Sans doute faudrait-il, là encore, faire évoluer le nom de ces allocations pour qu’elles fassent explicitement référence aux enfants en lieu et place de la famille. Certaines associations, l’Union des familles laïques, par exemple, proposent que soit substitué à ces allocations un revenu social de l’enfant. Il lui serait garanti de sa naissance à son entrée dans la vie active et permettrait ainsi de répondre aux attentes des organisations de jeunesse et des syndicats étudiants qui demandent la création d’une allocation d’autonomie jeunesse. Cette évolution de la politique familiale s’inscrirait dans un processus de renforcement des droits sociaux, de sécurisation des parcours de vie, de la petite enfance à l’âge adulte.
Au-delà de cette projection politique, ambitieuse, j’en conviens, force est de constater que des chantiers importants restent ouverts. Ils sont d’autant plus importants que dans l’état actuel de notre société, les travaux ménagers sont encore particulièrement mal répartis entre les femmes et les hommes, que le travail des femmes est toujours plus précaire que celui des hommes et continue à être considéré comme une activité complémentaire, voire d’appoint. En effet, il n’est pas acceptable que des femmes soient aujourd’hui contraintes de se retirer du marché du travail au seul motif que les familles ne sont pas parvenues à trouver une solution d’accueil de leurs enfants. Pour notre groupe, il est essentiel que chacune et chacun puisse avoir le choix du mode de garde de son enfant, d’où l’importance du respect de chacun de ces modes de garde, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.
Toutes les études s’accordent pour le dire, les crèches, quelles que soient leurs formes, constituent le lieu où l’enfant vit sa première expérience de socialisation et construit son rapport à l’altérité en dehors du giron familial. C’est un élément majeur pour sa construction en tant qu’individu. Il y va également de l’intérêt de ses parents. Ils savent qu’en disposant d’une solution d’accueil public pour leurs enfants, ils bénéficieront de tarifs adaptés à leur réalité sociale – les prix de journée sont en effet fonction des revenus – et d’un outil leur permettant de concilier leur rôle parental et leur vie professionnelle.
Or, malgré votre volonté affichée, madame la ministre, il n’en demeure pas moins qu’il manque encore aujourd’hui 300 000 places de crèches pour répondre aux besoins. En février dernier, dans un communiqué de presse, vous avez annoncé la création de nouvelles places en crèche, la mise en place de schémas territoriaux pour accroître l’offre d’accueil et lutter contre les inégalités territoriales. Je m’en réjouis, même si, à l’image du collectif « Pas de bébés à la consigne », nous redoutons que les moyens financiers ne soient pas au rendez-vous. Le taux de reconduction du Fonds national d’action sociale, s’il n’est pas largement supérieur à celui des années précédentes, ne vous permettra pas de mener la politique ambitieuse que vous avez annoncée.
Concilier la vie professionnelle et la vie privée est, on le voit bien, un souci permanent des salariés, plus particulièrement des femmes. Je voudrais donc en venir au complément de libre choix d’activité.
Bien que la loi garantisse aux femmes ayant fait le choix d’un congé parental d’éducation un retour dans l’entreprise à un niveau de rémunération et de responsabilité identique à celui précédant la grossesse, on sait que tel n’est pas toujours le cas. Or, si nous partageons le constat, les pistes de réponses envisagées par le Gouvernement nous interrogent. En effet, il serait question de modifier le complément de libre choix d’activité de deux manières : tout d’abord, en le réduisant de six mois ; ensuite, en instaurant une période supplémentaire de six mois réservée au deuxième parent, généralement l’homme.
Cette proposition, le Gouvernement la justifie par deux arguments : le premier repose sur le fait, avéré, que, pour l’essentiel, les bénéficiaires actuelles du CLCA sont des femmes ; le second est fondé sur l’idée qu’il faudrait réduire la durée de ce droit au motif qu’il éloignerait le retour des femmes du marché du travail.
Ce dernier argument, madame la ministre, ne nous convainc pas. Nous ne pouvons accepter que les droits de nos concitoyens soient réduits au motif que les employeurs ne respecteraient pas leurs obligations légales. Si je parle de réduction, c’est à dessein. On sait pertinemment que dans la mesure où les hommes ont des salaires supérieurs à ceux des femmes, rares seront ceux qui feront le choix d’opter pour les six mois supplémentaires de congé parental. Or, plutôt que de combattre les inégalités salariales, le Gouvernement en instaure une nouvelle puisque les six mois complémentaires bénéficieront d’une revalorisation financière, ce qui revient, au final, à indemniser davantage les périodes de congé prises par les hommes plutôt que par les femmes !
Qui plus est, nous ne pouvons accepter que la proposition de rallonger la durée du CLCA de six mois pour le deuxième parent dès le premier enfant soit financée par les économies attendues du fait du renoncement des parents de deux enfants et plus. Cela revient à faire financer une mesure à destination des familles composées d’un seul enfant par des familles composées de deux ou trois enfants. Nous ne pouvons l’admettre !
En réalité, la solution la plus juste serait de permettre progressivement un partage total de la durée du congé parental dès le premier enfant entre les deux parents, mais dans un cadre radicalement différent de celui que nous connaissons. Cela suppose que l’égalité salariale et professionnelle soit enfin réalisée et que toute précarité soit combattue. Cela va à l’encontre de l’article 8 du projet de loi de sécurisation de l’emploi, qui favorise les temps partiels contraints principalement supportés par les femmes, contrairement à ce qui a été avancé par le Gouvernement.
Tout cela nous conduit, madame la ministre, à être plus que réservés sur cette mesure et à rappeler qu’il ne peut y avoir de politique utile aux familles sans un combat acharné pour l’égalité pleine et entière des femmes et des hommes dans tous les domaines de la vie, notamment dans la lutte contre la précarité de l’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la sortie du rapport Fragonard, le 8 avril dernier, la politique familiale est clairement dans le viseur du Gouvernement, plus précisément les allocations familiales, qu’il serait question de placer sous condition de ressources. Cette décision pourrait sonner le glas du principe d’universalité auquel nous demeurons viscéralement attachés, et ce à l’heure où les caisses d’allocations familiales ont de plus en plus de difficultés à assumer leurs charges et où l’offre d’accueil des jeunes enfants demeure encore singulièrement insuffisante.
Dans ces conditions, la question du devenir de la politique familiale se pose, et nous remercions notre collègue, Mme Isabelle Pasquet, d’avoir proposé d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, d’autant qu’il est toujours délicat de réformer un système qui fonctionne.
Oui, la politique familiale française est un succès ! De cela, je crois que personne ne disconviendra. La France ne souffre pas de la crise de natalité qui affecte toute l’Europe. Nous ne connaissons pas les difficultés démographiques de nos plus proches voisins, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne. Notre pays renouvelle ses générations et jouit du plus haut niveau de fécondité européen, avec l’Irlande.
La politique familiale, dans son ensemble, est largement comptable de ce dynamisme qui, de plus, se conjugue avec un taux d’activité des femmes relativement élevé.
Pourquoi ce succès ? Tout simplement parce que l’on trouve dans notre pays des solutions d’accompagnement des parents et des enfants qui n’existent pas ailleurs. Dit de manière plus abrupte, contrairement à une femme allemande, une femme française a moins à choisir entre travailler et avoir des enfants, même si ce n’est pas facile à concilier.
Pour autant, cela veut-il dire qu’il ne faut absolument pas toucher à la politique familiale ? Je n’en suis pas sûr ! Cependant, il faut le faire avec précaution et uniquement pour remédier autant que possible à ses insuffisances.
En cinquante ans, la politique familiale française s’est vue assigner de plus en plus d’objectifs.
Deux objectifs sont présents depuis l’origine : le soutien à la natalité et le soutien au niveau de vie des familles. Deux objectifs plus récents sont apparus : l’aide à l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, d’une part, et l’accompagnement de la parentalité, d’autre part.
Si ces objectifs ne sont pas toujours faciles à concilier, il ne saurait pour autant être question d’en sacrifier. Pour les atteindre, nous nous sommes dotés d’une multiplicité d’outils, combinaison de dispositifs universels et ciblés, de compensation du coût de l’enfant et de prestations sous condition de ressources, d’encouragement au libre choix des familles en matière d’accueil des jeunes enfants, d’articulation de dispositifs fiscaux et sociaux, d’aides en espèces et en nature. Cela va des allocations familiales au quotient familial, en passant par la PAJE ou le congé maternité.
La politique familiale est donc un tout à prendre dans son ensemble. Quant à ses limites, elles sont connues.
Premièrement son financement pourrait être qualifié d’antiéconomique. Alors que la politique familiale est universelle et obéit donc à une logique de solidarité nationale, elle demeure financée sur une base assurantielle par des cotisations sociales qui pèsent sur la production.
Deuxièmement, je l’ai déjà évoqué, l’offre de garde des enfants de moins de trois ans demeure globalement insuffisante. Il manquerait, semble-t-il, 300 000 places.
Troisièmement, les transferts globaux de la politique familiale seraient anti-redistributifs. C’est la question la plus délicate à appréhender : cette politique profiterait surtout aux plus modestes, mais également aux ménages les plus aisés.
Quatrièmement, depuis peu, la branche famille est déficitaire. Face à ce constat, notre inquiétude est double : d’une part, nous ne voyons pas se profiler de solution satisfaisante aux deux premiers problèmes, celui du financement et de l’insuffisance de l’offre de garde ; d’autre part, avec le rapport Fragonard, le Gouvernement entretient une confusion entre équité et comptabilité.
Je reviens sur chacun de ces points. Nous ne voyons pas se profiler de solution digne de ce nom à la question du financement et à celle de l’offre d’accueil.
Vous le savez, nous défendons une fiscalisation des branches à prestations universelles que sont la branche famille et la branche santé, l’une étant d’ailleurs liée à l’autre via la prise en charge des soins de maternité et le congé maternité. Or, en rejetant la TVA sociale ou toute autre solution fiscale, le Gouvernement semble avoir définitivement tourné le dos à cette solution, pourtant à nos yeux la seule capable d’impulser le choc de compétitivité dont notre pays a tant besoin.
Du côté de l’offre d’accueil, la prochaine convention d’objectifs et de gestion reprendra le même objectif de création de 100 000 nouvelles places, ce qui ne fait pas montre d’un volontarisme si fort ! Cela se comprend : certes, le Fonds national d’action sociale devrait augmenter de 7,5 % par an au cours des cinq prochaines années, mais il devra, sur ses ressources, prendre en charge le coût lié à la réforme des rythmes scolaires, ce qui ne permet pas de dégager plus de crédits pour l’offre d’accueil.
Seule perspective d’augmentation véritable de crédit en la matière, la restriction du complément de libre choix d’activité, qui passera de trente-six à trente mois pour un parent, plus, éventuellement, six mois supplémentaires pour l’autre. Voilà un recul social pour une économie sans commune mesure avec les besoins en matière d’offre de garde ! À moins, madame la ministre, que vous n’ayez d’autres annonces à nous faire…
J’en arrive au rapport Fragonard. Ce qui le justifie, c’est le déficit de la branche. Or, chacun le sait, si la branche est aujourd’hui en déficit, c’est parce qu’on lui a fait supporter des charges qui ne devaient pas lui incomber : les majorations de durée de cotisation et de pension pour enfants, qui incombent normalement au Fonds de solidarité vieillesse.