Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Catherine Procaccia.
MM. le président, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
3. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
4. Communication du Conseil constitutionnel
5. Débat sur les déserts médicaux
M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail de la commission du développement durable sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire.
6. Mise au point au sujet d'un vote
MM. Jean-François Husson, le président.
7. Débat sur les déserts médicaux (suite)
M. Hervé Maurey, rapporteur du groupe de travail ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
MM. Stéphane Mazars, Pierre Camani, Jean-François Husson, Daniel Laurent, Mme Évelyne Didier, MM. Henri Tandonnet, Ronan Dantec, Mme Muguette Dini, MM. Robert Tropeano, Jean-Noël Cardoux, Georges Labazée, René-Paul Savary, Mme Odette Herviaux, M. le président, Mmes Josette Durrieu, Delphine Bataille.
Mme Marisol Touraine, ministre.
9. Demande d’un avis sur un projet de nomination
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; Mme Dominique Gillot, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; M. Ambroise Dupont, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
M. Jacques Mézard, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean-Léonce Dupont, Michel Le Scouarnec.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
MM. Pierre Bordier, Maurice Vincent, Jacques-Bernard Magner, Jean Germain, Daniel Percheron.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Suspension et reprise de la séance
MM. Jacques Mézard, rapporteur de la commission d’enquête ; Alain Milon, président de la commission d’enquête.
Mmes Hélène Lipietz, Catherine Génisson, Laurence Cohen, Muguette Dini, Catherine Deroche, MM. Stéphane Mazars, Yannick Vaugrenard.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage à Pierre Mauroy
M. le président. (M. le Premier ministre, Mmes et M. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.) Monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, la disparition de Pierre Mauroy a soulevé une profonde émotion.
En ce moment, devant la Haute Assemblée, je veux m’incliner devant la mémoire de l’homme d’État, saluer le militant, rendre hommage à l’homme, à sa générosité, à son humanisme.
Pierre Mauroy était d’abord un homme de cœur, d’engagement et de fidélité ; une fidélité à l’idéal et une volonté inébranlable de changer la vie.
Pierre Mauroy, chacun ici comprendra que j’y fasse référence, c’est, dès le début, l’engagement dans la famille socialiste. Pour lui, fils d’instituteur, issu d’une lignée de bûcherons journaliers et de mineurs, élevé dans les valeurs d’humilité et de partage, l’engagement à gauche est une évidence.
Il grandit dans le Cambrésis, en découvrant « la vie et ses injustices, au milieu du monde ouvrier ».
Porté par les figures qu’il admire le plus – Léo Lagrange, Léon Blum, Jean Zay –, il adhère aux Jeunesses socialistes.
Élu député du Nord et maire de Lille en 1973, il puise dans l’exemple de Roger Salengro, figure du Front populaire, le courage et l’énergie nécessaires pour accomplir sa tâche.
Pierre Mauroy, c’est aussi la fidélité à Lille et au Nord.
Lui qui venait de la campagne, il voulait transformer sa ville. Il en a fait une grande métropole.
Idéaliste et pragmatique, devenant Premier ministre de François Mitterrand, il met en œuvre la même volonté de transformation de la société, à partir d’« un programme dont le contenu explore le possible ».
« L’économie, » disait-il, « doit se faire à la mesure de l’homme et pour l’homme. »
« On peut être homme d’État et demeurer homme du peuple », disait à son propos, ce matin aux Invalides, le Président de la République.
C’est vrai qu’il aimait utiliser ces mots auxquels il tenait : le peuple, les travailleurs, la classe ouvrière…
En trois ans, il conduit des réformes fondatrices pour les droits et libertés des citoyens – l’abolition de la peine de mort et la libération des ondes –, des avancées sociales, avec la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures, la retraite à 60 ans et les nouveaux droits des salariés.
Attentif à la situation des femmes, il crée un ministère des droits de la femme et met en œuvre le remboursement de l’IVG.
Parmi les nombreuses réformes qu’il a menées en tant que Premier ministre, il était particulièrement fier des lois de décentralisation.
Ces lois ont posé les fondements d’une nouvelle citoyenneté. Elles ont donné lieu à une véritable révolution silencieuse.
« Une France responsable, » expliquait Pierre Mauroy dans sa déclaration de politique générale du 8 juillet 1981, « c’est aussi un pays qui doit désormais enraciner l’unité de la République dans la diversité et la responsabilité de ses collectivités locales. »
Ce mouvement a rapproché le pouvoir des citoyens. Il a en quelque sorte permis à ceux-ci, ainsi qu’aux territoires, de prendre leur destin en main.
Trente ans après les lois de décentralisation, notre cohésion nationale repose également sur ces communautés concrètes que sont les collectivités territoriales et sur les services publics de proximité dont elles assurent la pérennité.
La décentralisation est progressivement devenue un héritage républicain, inscrit depuis 2003 dans notre Constitution.
Pierre Mauroy fut sénateur pendant près de vingt ans, de 1992 à 2011. Il avait en permanence le souci de la vérité, de la réalité, de la subtilité et de la nuance.
Il a achevé son mandat au moment où le Sénat a connu l’alternance.
Auparavant, pendant sept ans, j’ai présidé le groupe auquel il appartenait. Je garde de cette période le souvenir de longs moments passés à parler ensemble, des moments précieux au cours desquels j’ai pu mesurer les qualités d’un homme qui incarnait à lui seul une partie de l’histoire de notre pays.
À l’estime, à l’admiration que lui portaient ceux qui, ici, le côtoyaient, se sont ajoutées une grande proximité et même, oserais-je dire, de l’affection.
Courtois, épris de modernité, visionnaire, Pierre Mauroy était un homme pour lequel nulle aventure ne vaut si elle n’est pas collective.
Il était aussi un orateur remarquable : chacun ici se souvient de sa dernière intervention en séance publique pour défendre notre système de retraite, « cette ligne de vie, cette ligne de combat » pour les salariés usés par des travaux pénibles.
La densité de ses réformes et son parcours politique exceptionnel ont fait de lui l’incarnation des valeurs de progrès et de justice sociale.
Il voulait beaucoup pour les autres ; quant à nous, il nous demandait d’être les « héritiers de l’avenir ».
La politique était aussi, pour Pierre Mauroy, une recherche du bonheur partagé.
« L’essentiel est de semer les bonnes graines, que l’on soit encore au pouvoir au moment de la récolte n’a aucune importance. Les hommes passent avec le reste. Les justes causes, elles, ne meurent jamais », écrivait-il.
Non, l’œuvre de Pierre Mauroy ne s’en ira pas.
J’adresse à son épouse Gilberte et à sa famille, en mon nom personnel, en votre nom à tous, notre amitié et notre plus profonde sympathie.
Monsieur le Premier ministre, je vous donne la parole.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Pierre Mauroy avait choisi le Sénat pour y exercer l’ultime mandat confié à lui par le peuple français.
J’ai toujours eu le sentiment que, à travers sa manière d’être sénateur, il s’inscrivait, au crépuscule de sa vie, dans la très longue histoire des institutions occidentales, celle qui prend naissance avec le Sénat de la République romaine. De fait, il y avait dans ce grand homme du Nord une manière toute romaine d’exercer son mandat de sénateur.
Il était une vigie, il était une mémoire vivante, et il exerçait une force de garant.
Il était un protecteur : protecteur des principes et des valeurs de la République, protecteur des gens, particulièrement des plus modestes, des travailleurs – qui mieux que lui savait trouver les mots pour parler de la pénibilité au travail ? –protecteur de la France, à travers sa volonté de susciter et d’accompagner les changements de notre pays.
Il était un sage, en lui vibrait la liberté de penser et d’imaginer que donnent parfois la vieillesse et l’âge aux hommes d’exception.
Parmi les nombreux hommages qui lui sont rendus depuis vendredi, peut-être en manque-t-il un : Pierre Mauroy était un homme libre, qualité première requise d’un homme d’État dans une démocratie pour décider et agir. Car la liberté est nécessaire pour imaginer les chemins de l’avenir ; difficile liberté, indispensable à l’homme qui projette son action dans le temps.
Pour n’évoquer qu’un seul des chemins de liberté imaginés par Pierre Mauroy, il me semble naturel de dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, un mot des lois de décentralisation.
Ces lois, il les a voulues, en très grand maire qu’il était, parce qu’il savait que l’avenir de la France se jouerait aussi dans l’alliance entre l’État et les collectivités territoriales. Trente ans plus tard, nous mesurons combien il a eu raison.
Il en a fallu, de la liberté, pour imaginer, dans un vieux pays centralisateur comme la France, pouvoir reconfigurer de fond en comble la place des collectivités locales dans l’État.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, s’exprimant au sujet de la mort, Pierre Mauroy l’avait comparée à la mer : « la fin de vie, je la vois un peu comme la mer, comme quelque chose qui s’impose à vous majestueusement, avec solennité, beaucoup de force et une très grande beauté ».
« Qui s’impose à vous majestueusement, avec solennité, beaucoup de force et une très grande beauté » : c’est de lui, en tant qu’homme, qu’il s’agit là !
C’est sur la beauté singulière de son verbe, devant vous qui l’avez connu particulièrement, dans l’instance de la République qui la respecte le plus, le Sénat, que je veux conclure l’hommage que je lui rends, au nom du Gouvernement et en mon nom personnel.
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, je vous demande d’observer une minute de silence. (M. le Premier ministre, Mmes et M. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures quarante, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 7 juin 2013, les décisions du Conseil sur deux questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur :
- les articles L. 3123-1, L. 3123-2 et L. 3124-9 du code des transports (transports publics particuliers) (2013-318 QPC) ;
- l’alinéa 6 de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 (diffamation et liberté de la presse) (2013-319 QPC).
Acte est donné de ces communications.
4
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le lundi 10 juin 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986 et sur le premier alinéa de l’article L. 442-9 du code du travail (participation des salariés aux résultats de l’entreprise) (2013-336 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
5
Débat sur les déserts médicaux
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les déserts médicaux, organisé à la demande de la commission du développement durable.
La parole est à M. le président du groupe de travail sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire.
M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail de la commission du développement durable sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une question est au cœur des préoccupations des élus locaux : celle de la santé de leurs administrés.
Quand ces élus ont constaté que bientôt il n’y aurait plus de médecins, que la pharmacie fermerait ses portes et que, dans le meilleur des cas, il ne resterait qu’un cabinet infirmier, ils se sont inquiétés. J’ai relayé leurs inquiétudes dès 2009, au moment de l’élaboration de la loi HPST – portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires –, auprès de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la santé, mais en vain…
La désertification médicale touche le monde rural, mais aussi certaines villes moyennes et des quartiers périurbains. Les services de santé, comme les services publics en général, sont des atouts majeurs et cruciaux de l’attractivité d’un territoire et un facteur essentiel pour la survie des zones rurales ou périurbaines.
À la suite de l’appel au secours lancé par l’Association des maires de France, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a décidé de se saisir de cette question. J’ai eu l’honneur, en juin 2012, d’être nommé président du premier groupe de travail constitué à cette fin.
Nous avons auditionné, pendant huit mois, l’ensemble des acteurs concernés : professionnels de santé, associations de malades, ordres professionnels, institutions… Nous nous sommes déplacés dans les régions et à l’étranger.
Voilà quelques mois, mon collègue Hervé Maurey, rapporteur, et moi-même avons rendu notre travail. Notre rapport a eu un large écho dans les médias, ainsi qu’auprès de nos collègues élus. C’est ainsi que j’ai eu la chance, depuis lors, de débattre, dans ma région et au-delà, avec l’association Bretagne rurale et rurbaine pour un développement durable, l’agence régionale de santé de Bretagne, la Conférence des villes de Bretagne, l’URPS médecins libéraux des Pays de la Loire, des élus et des citoyens intéressés par cette question, ainsi qu’au cours du colloque Paris-Santé « nouveaux besoins ».
Pas plus tard que vendredi dernier, l’Association des maires du Finistère et l’ARS de Bretagne m’ont invité à échanger avec elles sur la permanence des soins ambulatoires et sur les réponses apportées par les dispositifs mis en place, ainsi que sur les problèmes restant en suspens.
Preuve est faite par ces diverses rencontres que le travail mené au Sénat répond, pour les collectivités territoriales, à un vrai souci et constitue, pour les Français, un sujet d’actualité.
Alors que le nombre total de médecins n’a jamais été aussi élevé en France, l’on a assisté, ces dernières années, à la formation de zones sous-médicalisées, au sein desquelles les patients éprouvent des difficultés à accéder aux soins dans des conditions de proximité et de délai satisfaisantes.
Les derniers rapports sur la question montrent que la situation risque de perdurer. Ainsi, le Conseil national de l’Ordre des médecins a évoqué la semaine dernière un avenir en demi-teinte pour l’accès aux soins. En Bretagne, par exemple, s’il y aura proportionnellement plus de médecins, les disparités resteront fortes au sein d’un même territoire, mais aussi entre professions. Ceux qui attendent déjà plus d’un an un rendez-vous chez un ophtalmologiste devront prendre leur mal en patience si rien ne change rapidement.
Madame la ministre, vous avez pris toute la mesure de cette problématique en faisant de son traitement l’un des premiers axes de votre politique de santé.
C’est ainsi que vous avez mis en place le pacte territoire-santé, comprenant douze engagements concrets, pour l’essentiel mis en œuvre dès 2013. Ce pacte se décline selon trois axes, qui viennent compléter et renforcer les conclusions auxquelles est arrivé notre groupe de travail sénatorial : faire évoluer la formation des jeunes médecins, faciliter leur installation et veiller à mieux les informer sur tous les dispositifs les concernant ; transformer leurs conditions d’exercice et répondre à leur souhait de n’être plus seuls dans l’exercice d’une profession exigeante et de pouvoir bénéficier de meilleures conditions de vie ; investir dans les territoires isolés.
L’objectif à terme du pacte proposé est d’avoir au minimum un pôle de santé par territoire. Cet objectif correspond d’ailleurs à l’un des soixante engagements du Président de la République.
Le concept du contrat de praticien territorial constitue une avancée considérable.
Le travail que nous avons mené au Sénat s’est fait en lien avec vous, madame la ministre. Nous avons eu l’honneur de vous auditionner, ainsi que Mme Cécile Duflot, ministre chargée de l’égalité des territoires.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail. Ainsi, les propositions de notre rapport s’inscrivent parallèlement à ces avancées. Elles apportent des réponses pragmatiques et complémentaires à la problématique des déserts médicaux.
Après avoir dressé un constat, que j’espère exhaustif, de la situation, nous avons relevé une insuffisance des dispositifs existants de lutte contre les déserts médicaux. Nous avons rendu un rapport d’information sans tabous, qui présente des solutions.
Je laisserai à mon collègue rapporteur Hervé Maurey le soin d’exposer l’ensemble des mesures que nous préconisons, mais je souhaite néanmoins aborder quelques points.
Nous avons observé un imbroglio total s’agissant des systèmes incitatifs existants, d’une inefficacité évidente, mis à part quelques effets d’aubaine profitant à certains professionnels bien informés. De surcroît, la communication en direction des jeunes médecins est inexistante : ces derniers, ignorant tout des dispositifs en place, choisissent le plus souvent la voie hospitalière, plus sécurisante.
Il est également nécessaire de clarifier qui fait quoi et au moyen de quel dispositif.
Aujourd’hui, les pharmaciens, les infirmières, les kinésithérapeutes doivent prendre en compte l’offre existante dans les territoires avant leur installation et orienter leur projet vers les zones en situation de besoin. C’est ce même esprit qui peut nous guider pour améliorer l’offre médicale dans les secteurs en difficulté, tant en milieu rural que dans les zones périurbaines.
Par ailleurs, j’insisterai auprès du Gouvernement sur la nécessité de donner un coup d’accélérateur aux transferts de compétences entre professionnels de santé, qui sont des outils majeurs pour répondre aux attentes des malades.
Je dirai également un mot, mes chers collègues, des maisons de santé. Si la présence médicale est une grande préoccupation des élus, au premier chef des maires, c’est parce que c’est vers eux que se tournent les administrés quand le service public de la santé est mis à mal. Ce sont eux qui tentent d’apporter des solutions, en investissant dans des pôles ou des maisons de santé, qui doivent être de vraies solutions pérennes.
J’insisterai sur un point : la création des maisons de santé doit avoir pour origine un projet médical, et non un projet immobilier. Ce sont des structures qui mettent du temps à se mettre en place, car elles doivent être le fruit d’une association entre professionnels. Les collectivités territoriales, aidées dorénavant, grâce à votre action, madame la ministre, par les agences régionales de santé, doivent trouver le juste accompagnement pour prendre les bonnes initiatives.
Enfin, permettez-moi de dire combien votre action de soutien aux hôpitaux de proximité et aux centres hospitaliers locaux est appréciée des élus. C’est une dimension essentielle du dispositif de lutte contre les déserts médicaux.
Que de temps perdu, les années passées, à ferrailler pour tenter de sauver tel ou tel pôle hospitalier de proximité qui, si l’on y avait regardé de plus près, comme vous l’avez fait, madame la ministre, aurait montré son efficacité et l’excellence d’un modèle économique bien moins coûteux que d’autres !
En conclusion, la question des déserts médicaux est très large, puisqu’elle recouvre celle de la présence des professionnels paramédicaux, des hôpitaux, des maternités et, bien évidemment, des pharmacies. C’est à toute la chaîne de soins, qui ne peut vivre sans le médecin prescripteur, que nous devons apporter des réponses. Les communes nous alertent sur ce point ! J’estime donc nécessaire de faire rapidement, d’ici à un an, le bilan de l’application des mesures du pacte territoire-santé que vous avez mis en place, madame la ministre. Si ce bilan ne révèle pas de réelles avancées, nous devrons réfléchir ensemble, avec les médecins, à d’autres dispositions, le cas échéant coercitives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
6
Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, lors du scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, j’ai été déclaré comme votant contre, alors que je souhaitais m’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné, mon cher collègue, de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Débat sur les déserts médicaux (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat sur les déserts médicaux, organisé à la demande de la commission du développement durable.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le rapporteur du groupe de travail sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire.
M. Hervé Maurey, rapporteur du groupe de travail de la commission du développement durable sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier M. le président Vall d’avoir accepté la création, au sein de la toute nouvelle commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, de ce groupe de travail sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire. Cela montre l’intérêt que porte notre commission à ce sujet.
Je souhaite en outre féliciter M. Jean-Luc Fichet d’avoir su présider ce groupe de travail avec beaucoup de rigueur et d’indépendance d’esprit, ce qui n’est pas facile lorsque l’on est membre de la majorité…
En tant que rapporteur, il me revient de vous présenter nos travaux. Je rappellerai tout d’abord le constat que nous avons établi, avant d’exposer nos principales propositions, qui ont été approuvées à l’unanimité par le groupe de travail, puis par l’ensemble de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Le premier élément du constat est la réalité de l’existence de déserts médicaux, qui, contrairement à ce que prétendent certains, ne sont pas des déserts « tout court ». Il en existe aujourd’hui à peu près partout, dans les zones rurales mais aussi dans les zones urbaines, où l’on trouve néanmoins un certain nombre de services publics et d’activités économiques. Dans les faits, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à être privés d’accès aux soins en raison d’un manque de médecins.
Une telle situation est paradoxale, car la démographie des professions de santé est globalement suffisante à l’échelon national : avec 330 médecins pour 100 000 habitants, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.
Le problème vient donc des inégalités dans la répartition entre les territoires, la densité départementale variant de un à deux pour les médecins généralistes libéraux et de un à huit pour les médecins spécialistes libéraux.
Les écarts sont encore plus marqués à l’échelon infra-départemental, puisque, même dans les départements en apparence les mieux dotés, en particulier les départements maritimes, il existe des déserts médicaux. Cette problématique concerne donc bien tous les territoires.
Le deuxième élément du constat, qui découle du premier, est que l’accès aux soins devient de plus en plus difficile pour nos concitoyens.
Certes, on nous objecte volontiers que 95 % des Français habitent à moins d’un quart d’heure d’un médecin, mais, outre que cela signifie que 5 % d’entre eux, soit 3 millions de personnes, ne sont pas dans ce cas, il nous semble que le critère le plus pertinent est le délai d’obtention d’un rendez-vous chez un médecin, lequel ne fait que s’allonger. Ainsi, les délais peuvent atteindre dix-huit mois pour certaines spécialités, ce qui n’est bien sûr pas sans conséquences pour la santé des patients et crée de véritables inégalités entre les Français selon le lieu de résidence.
Madame la ministre, vous nous avez indiqué, en commission, que la régulation ne serait pas juste. Mais où est la justice quand, selon l’endroit où l’on réside, il faut attendre dix-huit mois ou moins de dix-huit jours pour obtenir un rendez-vous ? Je ne crois pas que l’on puisse parler d’égalité républicaine dans ces conditions ! Une enquête a d’ailleurs montré que 58 % des Français ont déjà renoncé à des soins en raison de la difficulté à obtenir un rendez-vous.
Troisième élément du constat : les perspectives d’évolutions spontanées sont inquiétantes.
D’un côté, la demande de soins tend à augmenter avec la croissance et le vieillissement de la population, de l’autre, les projections en matière de démographie médicale annoncent une diminution de près de 10 % du nombre des médecins entre 2010 et 2020. Nous le voyons dans nos territoires : un nombre croissant de médecins prenant leur retraite ne trouvent pas de successeur.
Les effets de cette diminution du nombre des médecins sont amplifiés par la réduction du temps d’exercice médical. Les jeunes médecins, on peut le comprendre, ne sont plus disposés à travailler 60 ou 70 heures par semaine. En outre, leur temps d’exercice médical se trouve de plus en plus réduit par les tâches administratives, qui absorbent en moyenne 7 % du temps de travail d’un généraliste.
Un dernier facteur d’évolution préoccupant tient aux critères de choix du lieu d’installation des médecins. En effet, 63 % des étudiants en médecine n’envisagent pas d’exercer en zone rurale, tandis que 62 % n’envisagent pas de s’installer dans une banlieue populaire.
Face à cette situation, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont pris depuis le début des années quatre-vingt-dix des mesures tout à fait insuffisantes : des mesures structurelles trop limitées ont été adoptées, les gouvernements préférant miser sur des mesures incitatives dont l’efficacité n’a pas été démontrée.
Sur le plan structurel, des dispositifs de régulation de l’installation de certains professionnels de santé ont été progressivement mis en place par voie conventionnelle à partir de 2008 pour les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les orthophonistes. Ces dispositifs donnent des résultats intéressants, mais ils ne s’appliquent pas aux médecins. Les pharmaciens, quant à eux, sont soumis, depuis plusieurs décennies, à un régime réglementaire contraignant de régulation de l’installation.
Toujours sur le plan structurel, il existe bien une planification régionale de l’offre de soins, mais seul son volet hospitalier est juridiquement opposable aux professionnels de santé.
Concernant les mesures incitatives – Jean-Luc Fichet en a parlé –, nous avons été surpris de l’absence de toute évaluation sérieuse du coût financier et de l’efficacité des nombreux dispositifs qui ont été mis en place. Même la Cour des comptes n’est pas parvenue à dresser un bilan précis et exhaustif.
Mme Évelyne Didier. C’est dire !
M. Hervé Maurey, rapporteur du groupe de travail. C’est dire, en effet !
Elle a néanmoins souligné l’absence de lisibilité de ces dispositifs, leur coût élevé et le fait qu’ils n’avaient le plus souvent que des effets d’aubaine.
Quant aux agences régionales de santé, que nous avons interrogées sur les dispositifs mis en place par les collectivités locales sur leurs territoires, elles n’ont pas été en mesure de nous répondre.
L’incapacité des politiques mises en œuvre depuis deux décennies à enrayer la désertification médicale représente donc un véritable défi pour le système de santé français et pour nos territoires. Pour le relever, madame la ministre, il faut désormais faire montre de volonté, de persévérance et de courage. Il faut agir sans tabou ni a priori, dans le seul souci de l’intérêt général. Il est donc aujourd’hui nécessaire d’agir sur tous les registres. C’est pourquoi notre groupe de travail a formulé pas moins de seize propositions, structurées selon les quatre axes suivants : revoir la conception des études de médecine ; appréhender différemment les modes d’accès aux soins ; clarifier et promouvoir les incitations financières existantes ; mieux réguler les choix d’installation des professionnels de santé.
En ce qui concerne le premier axe, nous avons constaté que l’on forme aujourd’hui davantage des praticiens hospitaliers que de futurs médecins de ville ou de campagne. Il faut donc s’interroger sur la sélection pour l’accès aux études de médecine. Actuellement, cette sélection s’effectue au terme d’une première année commune, très intensive, qui favorise les étudiants de formation scientifique. Il serait concevable soit de supprimer le concours en fin de première année pour mettre en place une orientation sur plusieurs années, soit, au contraire, de mettre en place une sélection sur dossier ou par concours à l’issue du baccalauréat. Il convient de mener une réflexion approfondie sur ce point, ce que n’a pas fait notre groupe de travail puisque telle n’était pas sa mission.
Il faut ensuite diversifier l’enseignement dispensé aux étudiants en médecine. Il convient d’introduire ou de renforcer un certain nombre de matières telles que la gestion, la communication, la psychologie, l’éthique ou l’économie de la santé, pour que les futurs médecins soient de véritables acteurs de santé, autonomes et responsables. Ils ne doivent pas être sur des rails qui les conduiraient tout droit à l’exercice hospitalier.
Nous proposons également que les stages, théoriquement obligatoires, le deviennent réellement. Vous le savez, madame la ministre : moins de la moitié des étudiants effectuent réellement un stage d’initiation à la médecine générale, alors qu’il s’agit en principe d’une obligation.
Notre rapport présente des propositions pour que ces stages d’initiation se développent et que, à brève échéance, leur accomplissement conditionne la validation du deuxième cycle des études médicales.
Pour l’accès au troisième cycle, nous suggérons de régionaliser les épreuves classantes, pour que le nombre de postes ouverts soit fonction des besoins des territoires concernés.
Nous suggérons en outre d’instaurer une quatrième année professionnalisante en fin de troisième cycle pour les étudiants en médecine générale, devant être accomplie de préférence en zones sous-dotées.
Le deuxième axe de la lutte contre les déserts médicaux repose sur une appréhension différente des modes d’accès aux soins.
Ainsi, nous préconisons la mise en place d’une commission de la démographie médicale associant agence régionale de santé, médecins et assurance maladie, comme cela se pratique dans certains départements, par exemple dans le Lot-et-Garonne. Cette commission aurait pour objectif de découper le territoire départemental en « aires de santé » et d’examiner pour chacune d’entre elles les mesures à mettre en place pour couvrir les besoins en termes d’accès aux soins.
Pour améliorer l’accès aux soins, il faut aussi mieux répartir les tâches entre les professionnels de santé et, par là même, favoriser le transfert de tâches vers d’autres professions de santé. Nous le savons tous, certains actes aujourd’hui accomplis par des médecins pourraient l’être par d’autres professionnels, ce qui redonnerait du temps d’exercice médical aux médecins.
Chacun en convient, il faut également favoriser l’exercice regroupé pluriprofessionnel. Cela nécessite de mettre en place, de manière pérenne et non plus seulement expérimentale, de nouveaux modes de rémunération forfaitaire, en complément de la tarification à l’acte. Ces « forfaits équipe coordonnée » ou ces « forfaits structure » seraient modulés en fonction d’un cahier des charges ouvrant droit à labellisation.
Notre groupe de travail a par ailleurs estimé qu’il était souhaitable d’améliorer le statut du médecin « retraité actif » en allégeant les charges sociales qui pèsent aujourd’hui sur lui, mais seulement dans les zones caractérisées par une offre médicale insuffisante.
Nous avons en outre souligné, dans notre rapport, l’intérêt que peuvent présenter, dans certains cas, les centres de santé communaux, qui fonctionnent avec des médecins salariés et répondent ainsi aux attentes actuelles de beaucoup de médecins. C’est ce dispositif que je suis en train de mettre en place dans ma commune.
Enfin, la télémédecine peut constituer une réponse partielle à la raréfaction des praticiens libéraux. Madame la ministre, il ne faut pas se contenter de multiplier les expérimentations, comme vous proposez encore de le faire pour la dermatologie ; il faut dès maintenant déployer la télémédecine à grande échelle. Cela suppose de clarifier le code de déontologie médicale, d’établir une cotation tarifaire spécifique aux actes de télémédecine et de développer la couverture numérique de nos territoires.
Le troisième axe de réflexion porte sur la clarification et la promotion des mesures incitatives existantes.
Aujourd’hui, nous l’avons dit, il est très difficile d’y voir clair. Les aides ne sont pas adaptées et sont coûteuses ; il est donc nécessaire de procéder à leur audit pour ne conserver que celles qui apparaissent comme pertinentes, en réorientant les moyens, notamment, vers les maisons de santé.
Il faut aussi que ces mesures soient connues de leurs destinataires, ce qui n’est pas le cas à ce jour. L’ARS doit devenir le point unique d’accès à toutes les aides. De ce point de vue, madame la ministre, la création d’un « référent installation » que vous proposez va dans le bon sens. Il importe que l’information soit diffusée dès l’université, en particulier sur les dispositifs destinés aux étudiants en médecine : je pense au contrat d’engagement de service public, créé par la loi HPST, qui n’est pas du tout connu des étudiants en médecine, pour la simple raison que personne n’en parle dans les universités.
Quatrième axe : il faut mettre en place des mesures de régulation plus volontaristes.
Les gouvernements successifs ont jusqu’à présent refusé d’aller au-delà de mesures purement incitatives, craignant l’opposition des syndicats de médecins. J’observe d’ailleurs que lorsque l’on discute avec ces derniers, ils apparaissent beaucoup plus ouverts que leurs organisations représentatives aux évolutions possibles en la matière.
De plus en plus d’acteurs appellent à la mise en place de mesures de régulation. Ainsi, dès 2008, le rapport de notre ancien collègue Jean-Marc Juilhard sur la démographie médicale ou celui de l’ancien député Marc Bernier évoquaient la possibilité de recourir à un conventionnement sélectif dans les zones surmédicalisées.
En février 2011, la proposition de loi pour l’instauration d’un bouclier rural, déposée par Jean-Marc Ayrault et dont vous étiez cosignataire, madame la ministre, préconisait d’aller beaucoup plus loin que nous ne le proposons : elle prévoyait de subordonner à une autorisation des ARS l’installation dans les zones surdenses déterminées par les schémas régionaux d’organisation des soins. Pourquoi avez-vous oublié cette bonne idée, madame la ministre ?
L’Association des maires ruraux de France s’est également prononcée en faveur de mesures de régulation.
En octobre 2012, une proposition de loi déposée par notre collègue député Philippe Vigier visait également à instaurer un dispositif d’autorisation pour l’exercice de la profession de médecin.
Plus récemment encore, postérieurement à la publication de notre rapport, la Fédération hospitalière de France a souhaité « que l’on sorte enfin de la sacro-sainte liberté d’installation », préconisant à son tour une régulation de l’installation, pour la simple raison que les services des urgences des hôpitaux sont submergés par l’afflux de patients ne sachant plus vers qui se tourner.
Les esprits semblent donc évoluer à l’égard de la régulation. Jean-Luc Fichet et moi-même nous sommes rendus à Berlin pour étudier le fonctionnement du système allemand de régulation de l’installation des médecins mis en place en 1992.
En Allemagne, depuis cette date, il n’est plus possible à un médecin d’être conventionné par l’assurance maladie dans les zones où les quotas, établis par catégorie de médecins, ont été atteints, hors cas de reprise d’un cabinet médical existant. Le dispositif fonctionne et personne n’envisage aujourd’hui de le remettre en cause, pas même les médecins, qui, à l’origine, avaient pourtant saisi la Cour constitutionnelle. Celle-ci avait donné raison au gouvernement, bien que la liberté d’installation soit inscrite dans la constitution allemande : elle a en effet considéré que l’intérêt général devait primer. Notons que les pouvoirs publics ont souhaité compléter ce dispositif par un volet incitatif.
C’est ce système que nous proposons d’étendre aux médecins. Je le rappelle, il s’applique déjà aux principales autres professions de santé, qui ne comprennent pas que seuls les médecins échappent à toute régulation.
Ce dispositif a fait ses preuves, puisque, en trois ans seulement, l’effectif des infirmiers libéraux a augmenté de 33 % en zones sous-dotées.
Une autre mesure suggérée par certains acteurs, comme l’Académie de médecine, en 2007, consisterait à obliger les médecins en début de carrière à s’installer dans les zones sous-dotées. Nous n’avons pas, à ce stade, retenu cette proposition. Nous souhaitons toutefois sensibiliser les étudiants en médecine, compte tenu de la durée de leurs études, au fait que sa mise en œuvre constituerait une éventualité si, au terme de la présente législature, les autres mesures prises n’apparaissaient pas suffisantes pour lutter contre l’extension des déserts médicaux.
En revanche, nous préconisons d’instaurer dès à présent, pour les médecins spécialistes, une obligation d’exercer pendant deux ans, à la fin de leurs études, dans les hôpitaux de chef-lieu de département identifiés par l’ARS comme étant sous-dotés. Il s’agirait non pas d’une obligation d’installation, mais d’une obligation d’assurer un service public, éventuellement à temps partiel. Il nous semble impossible de laisser plus longtemps des départements entiers en situation de risque sanitaire.
Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les principales mesures préconisées par notre groupe de travail et notre commission.
La gravité de la situation, ainsi que ses perspectives d’évolution, exigent que désormais seul l’intérêt général soit pris en compte. Elles imposent de faire preuve de courage, quel que soit le poids des corporatismes.
Je sais, madame la ministre, que nous sommes d’accord sur le constat ; c’est sur le remède que nous divergeons, ou plutôt sur l’ampleur du remède. Vous pensez, ou plutôt vous dites, que les mesures incitatives seront suffisantes. Je ne suis pas certain que vous en soyez vraiment persuadée. Pour notre part, nous sommes convaincus du contraire.
Il faut certes des mesures incitatives, elles sont utiles, mais il faut aussi des mesures de régulation : ces deux piliers sont indispensables. Nous vous le disons solennellement, et ces propos seront gravés dans le marbre du compte rendu de nos débats : à défaut de mesures de régulation, la situation ne fera qu’empirer et le Gouvernement en portera la responsabilité. Nos concitoyens seront de moins en moins nombreux à accéder à des soins de qualité dans des délais raisonnables. Les inégalités devant l’accès aux soins s’amplifiant, des drames humains se produiront et, un jour, un gouvernement, de quelque orientation qu’il soit, devra prendre des dispositions beaucoup plus drastiques et difficiles à faire accepter que celles que nous proposons aujourd’hui.
Madame la ministre, souvenez-vous de ce que vous proposiez voilà seulement deux ans. Nous vous en conjurons, dans l’intérêt de nos concitoyens, faites enfin preuve de courage. Le Sénat vous y invite et il vous soutiendra si vous vous engagez dans cette voie ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis un an, le groupe de travail présidé par M. Fichet a procédé à de très nombreuses auditions, effectué de fréquents déplacements sur le terrain. Je tiens à saluer sa démarche et la qualité de sa réflexion sur la question difficile et assurément sensible de la présence médicale et paramédicale sur l’ensemble du territoire. À cet égard, il serait erroné de limiter le champ de la problématique à la seule implantation des médecins : c’est bien la répartition sur le territoire de l’ensemble des professionnels de santé que nous devons envisager.
La santé est l’une des premières préoccupations de nos concitoyens. Elle est un marqueur des progrès de l’égalité dans notre société. C’est pourquoi assurer l’accès aux soins pour tous est à l’évidence l’un des grands enjeux du quinquennat.
Je veux remercier les membres du groupe de travail, son président et son rapporteur, des propositions qu’ils ont formulées. M. Fichet a tenu des propos positifs, soulignant de nombreux points de convergence entre les préconisations du groupe de travail et les réflexions de mon ministère.
Monsieur Maurey, je ne suis pas certaine d’avoir de leçons de courage à recevoir de la part de quelqu’un qui, pendant des années, a soutenu un gouvernement qui n’a rien fait sur cette question. (Protestations sur les travées de l’UMP. – M. Jacky Le Menn applaudit.)
M. Hervé Maurey, rapporteur. Pas sur ce sujet, madame la ministre ! Relisez les débats sur la loi HPST !
M. Jean-Paul Emorine. Vous n’en avez pas à donner non plus !
Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne suis pas disposée à recevoir des leçons sur ce qu’est l’intérêt général. Il n’est pas de coutume, dans cet hémicycle, de manquer de mesure : depuis maintenant un an que je participe à des débats dans cette enceinte, je n’ai pas encore entendu un sénateur affirmer que le Gouvernement ne se soucie pas de l’intérêt général. Vous pouvez bien sûr être en désaccord avec la politique que je mène, mais vous n’avez pas le monopole de la défense de l’intérêt général !
M. Michel Delebarre. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. En cinq ans, ce sont 2 millions de Français supplémentaires qui ont été confrontés à la désertification médicale, laquelle touche désormais tant les zones rurales que certains quartiers de nos villes. L’accès aux soins serait d’ailleurs grandement facilité si davantage de médecins et de professionnels de santé ne pratiquaient pas les dépassements d’honoraires. J’aurais aimé vous entendre en appeler à la justice et à l’intérêt général lorsque j’ai engagé, au nom du Gouvernement, la lutte contre les dépassements d’honoraires !
J’ai lancé le pacte territoire-santé au mois de décembre dernier. Il me paraît important de vous rendre compte aujourd’hui de ses résultats, mesdames, messieurs les sénateurs. En effet, en tant qu’élus locaux, vous savez mieux que quiconque que la lutte contre les déserts médicaux, c’est aussi un combat pour l’attractivité et la vitalité de nos territoires.
Toutes les régions sont touchées. Il y a celles qui connaissent des difficultés depuis plusieurs années, telles la Champagne-Ardenne, la Picardie ou la région Centre. Il y a aussi celles dont on pensait qu’elles seraient épargnées, comme l’Île-de-France.
Toutefois, les inégalités les plus flagrantes sont celles qui existent au sein des régions, et même des départements, puisqu’on observe des écarts de densité médicale entre les territoires allant de un à quatre.
Si les pouvoirs publics n’agissent pas, il est certain que la situation se dégradera plus encore pour nos concitoyens, qui nous interpellent et vous interpellent régulièrement sur ce sujet. Concrètement, vivre dans un « désert médical », cela signifie rencontrer des difficultés pour trouver un généraliste ou un professionnel paramédical près de chez soi, disposé à accepter un nouveau patient, ou devoir attendre trois ou six mois, parfois davantage, pour obtenir une consultation chez un spécialiste, en particulier dans certaines spécialités, ce qui est insupportable.
Dans le même temps, il nous faut faire face à l’évolution des demandes des professionnels, qui ne veulent plus d’un exercice isolé. Cela nous oblige à réorienter notre action vers la constitution de pôles de santé et à dire clairement à nos concitoyens que le temps où il y avait un médecin dans chaque commune est révolu. C’est par territoire que nous devons désormais raisonner : il faut déterminer quelle est l’échelle pertinente.
Quelles sont donc la logique et la méthode suivies par le Gouvernement ?
D’abord, nous avons souhaité proposer un ensemble de mesures. Il ne s’agit pas d’une liste dans laquelle on pourrait piocher au hasard. Il ne s’agit pas non plus de considérer que les douze engagements qui ont été pris doivent être mis en œuvre en même temps, de la même façon, partout sur le territoire. Il faut étudier la manière dont ces mesures peuvent se conjuguer et être mises en place dans un territoire donné, en fonction des besoins qui s’y expriment.
Le deuxième élément fondateur de ce pacte, c’est la mobilisation, en particulier des administrations et des agences régionales de santé, dont je rencontre les responsables tous les mois pour qu’ils me rendent compte de la mise en place des mesures qui ont été décidées.
Autre élément important, nous avons fait le choix de l’incitation plutôt que celui de la coercition. Mais la notion d’incitation est marquée par une certaine ambiguïté. Je ne crois pas qu’une incitation uniquement financière permettra de régler le problème des déserts médicaux. Jusqu’à présent, on a tenté de mettre en place des mesures d’incitation financière sans les inscrire dans une politique d’ensemble. Cela n’a pas fonctionné et ne fonctionnera pas. C’est la raison pour laquelle, parmi les douze mesures figurant dans le pacte territoire-santé, une seule est d’ordre financier. Considérée isolément, elle n’a pas de sens : elle ne se conçoit que comme élément d’un dispositif global.
Mener une démarche d’incitation, c’est aussi prendre en considération les conditions d’exercice des professionnels de santé, mettre en place une manière de travailler qui réponde mieux aux besoins et aux demandes des professionnels.
Monsieur Fichet, sachez que je suis prête à revenir devant le Sénat avant décembre prochain pour vous présenter un bilan plus complet de la mise en œuvre du pacte territoire-santé. Pour l’heure, je voudrais faire le point sur la situation actuelle.
Le pacte territoire-santé s’organise selon trois grandes orientations : mieux former, mieux aider à la mise en place de conditions d’exercice favorables et mieux soutenir les territoires sous-dotés.
En ce qui concerne la formation, j’avais annoncé qu’il nous faudrait dans un premier temps garantir le suivi d’un stage en médecine générale par 100 % des étudiants. Je n’ai pas entendu s’exprimer de désaccord sur cette mesure.
On estime que, voilà six mois, lors du lancement du pacte, moins de la moitié des étudiants effectuaient ce stage. L’objectif des 100 % aura déjà été atteint dans sept régions à la fin de la présente année universitaire. Les autres agences régionales de santé tirent les leçons de ces premiers succès et appliquent les pratiques qui donnent de bons résultats. Elles ont lancé des campagnes pour recruter des maîtres de stage et interviennent désormais directement dans les facultés.
Sur le plan national, j’ai pris la décision de mettre en place une indemnité compensatrice pour les déplacements des étudiants et des internes qui réalisent leur stage en secteur ambulatoire à plus de quinze kilomètres de leur université. Ils recevront une aide forfaitaire de 130 euros par mois pendant la durée du stage.
Atteindre l’objectif des 100 %, c’est permettre chaque année à plus de 3 000 étudiants de découvrir la discipline de la médecine générale. Pour que des médecins acceptent de s’installer en qualité de généralistes, il faut qu’ils aient suivi des stages en médecine générale. Nous sommes donc sur la bonne voie.
Le deuxième engagement est de donner un nouvel élan aux bourses d’engagement de service public, dispositif qui n’a pas produit, jusqu’à présent, les résultats escomptés : ainsi, 1 500 de ces bourses seront attribuées d’ici à 2017.
Les dispositifs en vigueur sont trop complexes. De ce fait, seulement 200 contrats sont signés chaque année. Une simplification réglementaire est prévue : le décret sera transmis au Conseil d’État à la fin du mois de juin et les zones d’application des contrats seront élargies.
Parallèlement, les agences régionales de santé renforcent leur communication concernant ce dispositif. Les premiers résultats sont là : en Poitou-Charentes, par exemple, l’ensemble des contrats proposés aux étudiants cette année ont été signés, alors que le taux de signature ne s’élevait qu’à 38 % en 2011 et à 43 % en 2012.
Le troisième engagement consiste à installer 200 praticiens territoriaux de médecine générale dès 2013. C’est la seule mesure à caractère strictement financier de ce pacte ; elle doit, je le redis, être considérée dans un ensemble plus vaste.
La création du statut de praticien territorial de médecine générale a pour objet de sécuriser le moment de l’installation, qui constitue souvent une période difficile pour de jeunes professionnels.
Ce dispositif a été conçu en associant l’ensemble des parties prenantes, au premier rang desquelles les jeunes médecins, bien sûr, mais aussi leurs aînés. Pour que les démarches soient le plus simples possible, nous avons défini un certain nombre de règles : la rédaction du décret étant achevée, il sera bientôt transmis au Conseil d’État.
Plusieurs sujets étaient à traiter : définition des modalités de calcul de la garantie de rémunération, comptabilisation des congés, prise en compte des arrêts maladie, des congés maternité et des cotisations de sécurité sociale.
Dès la rentrée, les premiers recrutements commenceront, ciblés sur les territoires dans lesquels les besoins sont les plus importants.
Pour cela, nous avions besoin de repérer et de commencer à approcher de jeunes médecins. Tel est notamment le sens du quatrième engagement : mettre en place un « référent installation » unique dans chaque région.
Depuis le 1er février dernier, toutes les régions se sont dotées d’un « référent installation » qui connaît bien leur territoire et les procédures administratives. Cette démarche a été saluée par l’ensemble des organisations syndicales de jeunes médecins, qui trouvent ainsi un interlocuteur unique.
Par ailleurs, en Île-de-France, des permanences locales auxquelles participent des représentants de l’ARS, des unions professionnelles, des ordres et de l’assurance maladie ont d’ores et déjà été mises en place dans chaque département. Ces permanences proposent un accueil à tout étudiant, interne ou professionnel de santé porteur d’un projet d’installation. À ce jour, entre vingt et vingt-cinq professionnels sont reçus chaque mois dans la région.
Le deuxième pilier du pacte territoire-santé vise à transformer les conditions d’exercice pour répondre à la demande des professionnels de santé de pouvoir travailler en équipe.
Le cinquième engagement a précisément pour objet de développer le travail en équipe. Pour cela, les ARS se mobilisent. Voilà un an, nous comptions en France un peu plus de 200 maisons de santé : je ne suis pas en mesure de faire la distinction entre celles qui correspondaient à des projets immobiliers et celles qui concrétisaient de véritables projets de santé. Plus de 50 maisons de santé réorientées autour de projets médicaux ont déjà été créées cette année, et il y en aura plus de 300 d’ici à la fin de l’été. Plus de 300 projets de pôle de santé pluridisciplinaire sont par ailleurs en cours de concrétisation.
À ce travail en équipe doit correspondre une rémunération adaptée. Il ne s’agit pas d’en rester à l’expérimentation, monsieur Maurey, puisque la loi de financement de la sécurité sociale de 2013 a prévu la généralisation de ce mode de rémunération à l’ensemble des équipes qui se mettent en place.
Le sixième engagement est de rapprocher les maisons de santé des universités.
Là encore, nous faisons des progrès. Des jeunes qui effectuent des stages dans des maisons de santé doivent être considérés comme étant en formation et des internes ou des chefs de cliniques doivent pouvoir travailler dans ces structures : c’est d’ores et déjà le cas dans neuf régions.
Le septième engagement consiste à développer la télémédecine.
En facilitant les coopérations à distance, le développement de la télémédecine permettra de libérer du temps médical et de garantir une proximité du spécialiste sur chaque territoire. Monsieur Maurey, il ne s’agit pas d’en rester à la dermatologie, que j’ai citée à titre d’exemple.
En Aquitaine, la télémédecine permet de suivre l’évolution des plaies chroniques et des escarres dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
En Poitou-Charentes, un dispositif de télécardiologie a été lancé le mois dernier et un projet de téléexpertise en ophtalmologie est en cours d’élaboration. L’ophtalmologie est sans doute l’une des spécialités qui peut le plus bénéficier du développement de la télémédecine.
En Rhône-Alpes, le dépistage du mélanome est amélioré par un dispositif de télémédecine mis en place par l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon.
Je pourrais aussi évoquer un projet qui a été mis en œuvre au cours des derniers mois dans la région Centre afin de procéder à des communications d’imagerie médicale entre une maison pluridisciplinaire de santé et le CHU de référence.
Ces expérimentations sont prometteuses et montrent que la télémédecine est un instrument essentiel pour remédier aux difficultés rencontrées par nos concitoyens en matière d’accès aux soins.
Il est par ailleurs nécessaire d’accélérer les transferts de compétences. Il s’agit là encore de libérer du temps médical disponible, notamment en ophtalmologie, mais des professionnels de santé ne peuvent bien sûr pas assumer du jour au lendemain des tâches qui ne relèvent pas de leur compétence initiale. C’est pourquoi nous devons formaliser la coopération entre les professionnels, sous l’égide de la Haute autorité de santé. Les choses avancent sur ce point.
En Rhône-Alpes, par exemple, deux protocoles ont déjà été autorisés, portant en particulier sur la réalisation d’échocardiographies par des infirmières diplômées d’État, et six autres sont actuellement en cours d’instruction ou d’accompagnement par l’ARS.
En Martinique, un protocole relatif au dépistage de la rétinopathie diabétique a été signé le 22 février dernier. Compte tenu de l’importance du dépistage de cette affection, il pourrait être étendu à l’ensemble du territoire national. Au cours des six prochains mois devrait être accélérée la mise en œuvre de nouveaux protocoles qui nous permettront d’aller de l’avant, en particulier en ophtalmologie.
Enfin, le troisième pilier du pacte territoire-santé concerne directement nos territoires : l’objectif est d’investir et d’agir dans les zones sous-dotées en médecins.
À cet égard, le neuvième engagement est de garantir un accès aux soins urgents en moins de trente minutes d’ici à 2015.
Les diagnostics sont achevés. Ils ont montré que les situations auxquelles nous avons à faire face sont très hétérogènes. Dans quelques régions, certes en nombre limité, une part non négligeable de la population reste éloignée de plus de trente minutes de structures de soins d’urgence.
L’implantation de nouveaux services mobiles d’urgence et de réanimation est envisageable, mais encore faut-il trouver des professionnels pour y travailler. Des réorganisations du maillage sont aussi à l’étude.
En tout état de cause, nous avons avancé. Un SMUR a été créé à Saint-Yrieix. Nous avons renforcé celui de la ville d’Agde. Dans certaines régions, en particulier en Bourgogne, nous avons mis en place des transports héliportés qui permettront d’atteindre l’objectif des trente minutes. Les ARS ont d’ores et déjà prévu de mobiliser plus d’une centaine de nouveaux médecins correspondants de SAMU d’ici à la fin de l’année, notamment en Auvergne, en Rhône-Alpes ou en Languedoc-Roussillon.
Les professionnels de santé qui sont implantés dans nos territoires doivent être appuyés par les structures hospitalières.
Aujourd’hui, de nombreux freins limitent la possibilité de recourir aux professionnels salariés et hospitaliers dans la lutte contre la désertification médicale. Le travail réglementaire à réaliser étant particulièrement long, il n’aboutira qu’au cours du second semestre.
Pour le reste, il faut faire en sorte que les hôpitaux de proximité jouent vraiment leur rôle d’appui et que les CHU assument leurs responsabilités à l’égard de l’ensemble du territoire de référence.
C’est ainsi que j’ai choisi d’étudier le maintien des hôpitaux de proximité au cas par cas, en fonction des besoins territoriaux. Il ne s’agit pas de dire que, par principe, toutes les structures de proximité ont vocation à rester telles qu’elles sont aujourd’hui, ni qu’elles doivent être fusionnées ou rationalisées. Il a été montré par divers rapports que, au cours des dernières années, des restructurations réalisées sur des bases purement financières avaient abouti à des résultats plutôt négatifs. C’est donc bien en fonction des projets de santé que nous nous prononcerons. Ainsi, j’ai maintenu la maternité de Die, que l’on m’avait pourtant recommandé de fermer : j’estime en effet qu’elle répond à un besoin que ne satisfont pas les autres structures de soins existantes. Nous examinons actuellement la situation d’autres structures avec le souci d’apporter des réponses aux besoins de la population en matière de santé.
Concernant la responsabilisation des centres hospitaliers de niveau régional, nous avons fait des progrès. Je pense au CHU de Rennes, qui a commencé à nouer des liens étroits avec les hôpitaux de proximité. Dans diverses régions, plusieurs dizaines de postes d’assistant spécialiste à temps partagé ont été créés.
Enfin, nous devons conforter les centres de santé, qui constituent une solution intéressante, notamment dans les territoires urbains. Les ARS y ont déjà eu recours dans certaines régions. Il convient de poursuivre dans cette voie ; pour cela, le modèle de financement de ces centres doit être revu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le sais bien, un certain nombre d’entre vous souhaiteraient que nous nous orientions vers des mesures de coercition ou de contrainte.
L’ensemble des dispositions que j’ai présentées nous permettront, je le pense, de progresser vers notre objectif commun.
Si je ne crois pas à la coercition, c’est d’abord parce que les jeunes professionnels y voient une injustice à leur égard. C’est ensuite parce qu’il faudrait, pour que ces mesures soient efficaces, qu’elles puissent entrer en vigueur immédiatement, ce qui constituerait une rupture de contrat. Or nous n’avons pas le temps d’attendre dix ans que les mesures produisent leurs effets : c’est dès maintenant que nous devons avancer. La proposition de loi Vigier à laquelle vous faisiez référence, monsieur le rapporteur, ne prévoyait la mise en place de mesures contraignantes qu’après 2020.
Enfin, il se trouve que les représentants des jeunes médecins ou des étudiants en médecine sont unanimement opposés à la prise de mesures contraignantes et souhaitent voir privilégier l’incitation. Dès lors, les risques de contournement des mesures ou des règles qui pourraient être imposées sont extrêmement forts.
Pour autant, devons-nous nous résigner ? Évidemment non ! La résignation ne serait pas acceptable. Je le dis tout aussi clairement aux jeunes médecins. Ils doivent entendre la demande d’égalité de nos concitoyens, comprendre la nécessité d’assurer une présence médicale sur l’ensemble des territoires. Je veux croire que c’est en faisant le pari de la confiance, de la coopération, que nous pourrons avancer ensemble. Ce qui a manqué, au cours des années passées, c’est du volontarisme, la volonté de mettre en place une politique résolue et de faire de la lutte contre les déserts médicaux un enjeu national. Cette volonté, monsieur le rapporteur, sachez que je n’en manque pas, non plus que de courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le diagnostic est connu et partagé : certains de nos territoires sont véritablement malades de l’absence de médecins. Dans l’Aveyron, mon département, plusieurs bassins de vie accusent une faible densité médicale : je pense à de petites villes comme Mur-de-Barrez ou Bozouls, au nord du département, mais aussi à des territoires beaucoup plus importants et peuplés, comme Espalion, Saint-Affrique ou encore Decazeville.
De surcroît, les perspectives d’évolution sont particulièrement inquiétantes : plus de la moitié des médecins qui exercent en Aveyron ont plus de 55 ans et, dans la plupart des cas, la relève n’est pas assurée, en particulier pour ce qui concerne les secteurs ruraux.
Madame la ministre, après avoir posé un tel diagnostic, reste à rédiger l’ordonnance. C’est sans doute le plus difficile, car si l’objectif de la « santé pour tous » fait l’unanimité, il n’en va pas de même des moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre.
Bien sûr, certaines pistes font consensus : stage de médecine générale obligatoire pendant les études, transfert de missions vers d’autres professionnels de santé, notamment paramédicaux, exercice regroupé, développement du salariat, promotion de la télémédecine, etc. Ces mesures consensuelles sont d’ailleurs, pour la plupart, d’ores et déjà incluses dans le pacte territoire-santé que vous avez présenté en décembre dernier, madame la ministre.
Toutefois, au-delà de ces réponses pragmatiques et consensuelles, certains considèrent aujourd’hui qu’il faut réguler, voire contraindre, l’installation des médecins. Le rapport de notre collègue Hervé Maurey, dont je salue le travail approfondi, est à ce titre courageux : il préconise notamment d’étendre aux médecins le conventionnement sélectif, qui existe déjà pour d’autres professions de santé, et d’instaurer une obligation d’exercer en zone sous-dotée pendant deux ans à l’issue des études.
C’est vrai que la coercition est tentante. Combien de gouvernements, combien de ministres ne se sont pas lancés dans la mise en place de dispositifs seulement incitatifs, souvent onéreux, parfois redondants, et dont on attend encore les effets ? Pendant ce temps, l’activité des services départementaux d’incendie et de secours a progressé, en raison du manque de médecins, et ce aux frais des conseils généraux, tandis que les déserts médicaux ont continué à gagner du terrain.
L’idée d’instaurer une sorte de service médical n’est pas scandaleuse eu égard au coût de la formation des médecins et au fait que notre système collectif de sécurité sociale finance et solvabilise l’exercice médical. Néanmoins, il faut entendre les attentes des jeunes médecins qui s’installent dans nos territoires. Leurs préoccupations ne sont pas différentes de celles des autres jeunes actifs débutant leur parcours professionnel.
Instaurer une telle obligation n’est sans doute pas le meilleur moyen de susciter des vocations, notamment pour l’exercice libéral. Or nous avons besoin de praticiens libéraux : aujourd’hui, nombreux sont les jeunes médecins qui choisissent d’être salariés ou remplaçants plutôt que de s’installer et d’exercer directement leur métier. Dans l’Aveyron, la quasi-totalité des nouveaux inscrits à l’ordre en 2010, dont 57 % ont obtenu leur diplôme hors de France, ont fait ce choix.
Aussi, sans aller encore jusqu’à la coercition, ne pourrait-on pas conditionner l’installation en zone « surdotée » à un engagement du médecin à pratiquer les tarifs de l’assurance maladie ? De fait, les dépassements d’honoraires sont au moins autant responsables de la fracture sanitaire que l’inégale répartition des médecins sur le territoire. Madame la ministre, vous avez mené des discussions avec les médecins et obtenu une première avancée en ce sens ; il faut continuer et aller plus loin.
À ce stade, le Gouvernement entend donner toutes ses chances au dialogue et à l’incitation, en particulier à travers la création de praticiens territoriaux, la rémunération forfaitaire d’équipe ou le renforcement des hôpitaux de proximité, qui sont au cœur des territoires. Nous soutenons cette action, car le débat et la contractualisation sont toujours préférables à la contrainte. Évitons de trop stigmatiser les médecins : ils sont nombreux à agir quotidiennement, dans des conditions difficiles, avec compétence et un sens aigu de leur responsabilité. Essayons encore de convaincre les praticiens de demain !
Pour gagner ce pari, il faut créer une nouvelle organisation qui valorise les professionnels. Il faut également agir pour renforcer l’attractivité de nos territoires, en permettant le maintien de services publics locaux de qualité, en répondant aux besoins en matière de transports, de garde d’enfants, d’éducation, de logement ou de loisirs. Cela suppose une véritable mobilisation générale et une politique d’ensemble.
L’égalité pour tous en matière d’accès aux soins est consubstantielle du droit à la santé. Ni l’inertie ni l’inaction ne nous seront pardonnées. Nous voulons croire que les mesures proposées par le Gouvernement porteront leurs fruits. Si tel n’était pas le cas – nous devrons être sans complaisance quand l’heure sera venue de dresser le bilan –, nous ne pourrons sans doute plus faire l’économie de dispositions plus contraignantes. En attendant, nous comptons sur vous pour que les priorités du pacte territoire-santé soient mises en œuvre rapidement et pour que l’implication des acteurs soit bien au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Camani.
M. Pierre Camani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la désertification médicale qui affecte notre pays depuis plusieurs années prend aujourd’hui des proportions inquiétantes dans certains territoires, souvent ruraux, parfois urbains.
Ce phénomène, nous le connaissons tous : nous l’avons identifié, nous en avons analysé les causes et les conséquences, notamment lors des échanges menés dans le cadre du groupe de travail mis en place sur l’initiative de MM. Jean-Luc Fichet et Hervé Maurey, dont je salue l’action.
Nous le savons, la difficulté ne réside pas dans une insuffisance du nombre des médecins, mais dans leur inégale répartition sur le territoire, qui reproduit les déséquilibres territoriaux et les accentue. Ainsi, la diagonale de la ruralité qui traverse la France des Pyrénées aux Ardennes est également celle de la pauvreté et de la désertification médicale.
Les littoraux et les centres-villes regorgent de médecins, alors que les zones rurales, les zones de montagne et certains quartiers urbains sensibles doivent faire face à une pénurie de professionnels de santé. Ces disparités se traduisent par des inégalités de santé, et l’on constate que la situation sanitaire est meilleure en ville qu’à la campagne, dans les grandes agglomérations que dans les petites.
Les raisons de cette évolution sont nombreuses : crise des vocations pour la médecine de premier recours ; aspiration des jeunes médecins à exercer en ville, à travailler en groupe ; héliotropisme ; féminisation, qui va de pair avec un attrait plus fort du salariat.
Toutefois, à ces multiples facteurs s’ajoutent les réponses insuffisantes des gouvernements qui se sont succédé depuis dix ans.
Madame la ministre, vos prédécesseurs n’ont pas pris la mesure de l’enjeu. Aujourd’hui, il y a urgence, car le phénomène de désertification est cumulatif. Dans les territoires concernés, il va s’amplifier de manière considérable si rien n’est fait rapidement.
En Lot-et-Garonne, département rural de 330 000 habitants, 110 des 277 médecins généralistes ont plus de 60 ans. Un quart d’entre eux devraient prendre leur retraite dans les trois ans à venir.
Il y a urgence à agir, et le pacte territoire-santé que vous avez mis en place afin d’enrayer la désertification médicale va dans le bon sens, même si, comme nos collègues Jean-Luc Fichet et Hervé Maurey, je crois nécessaire d’aller un peu plus loin dans la régulation.
Au travers du pacte territoire-santé, vous prônez la voie de l’incitation plutôt que celle de la contrainte, via des mesures ciblées qui modifient la formation et facilitent l’installation des jeunes médecins, accompagnent la transformation des conditions d’exercice des professionnels de santé et mettent en place des investissements dans les territoires isolés.
Ces dispositifs viennent compléter et conforter les nombreuses mesures déjà mises en œuvre par les collectivités territoriales. De fait, garantir une couverture médicale suffisante est non seulement un objectif de santé, mais aussi un enjeu stratégique d’aménagement du territoire. La présence médicale est un élément essentiel de l’attractivité de nos régions. Elle constitue un facteur déterminant pour le maintien des populations.
Dans cette perspective, les collectivités locales ont lancé de multiples initiatives pour lutter contre la désertification médicale. Les conseils généraux sont particulièrement concernés, et ils se sont impliqués, avec les collectivités infradépartementales, dans de nombreuses actions visant à maintenir la couverture médicale des territoires.
Le développement des maisons et des pôles de santé est le fruit du foisonnement des initiatives locales, mais ces infrastructures apportent parfois des réponses partielles, concurrentes, voire inadaptées. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’encadrer ces initiatives afin de les rendre plus efficientes. C’est le sens de la proposition n° 6 du rapport d’Hervé Maurey. Je m’attarderai quelques instants sur cette piste, car elle s’inspire directement de l’initiative que j’ai prise dans mon département, le Lot-et-Garonne.
Notre collègue Hervé Maurey propose de créer, à l’échelle départementale, une commission de la démographie médicale qui délimitera des aires de santé, tout en définissant et en organisant les moyens d’accéder aux soins dans ces territoires.
En 2009, le conseil général de Lot-et-Garonne a mis en place une commission départementale de la démographie médicale regroupant l’ensemble des acteurs concernés par le sujet dans le département : services du conseil général, préfecture, agence régionale de santé, représentants de l’ordre des médecins et des autres ordres professionnels, ainsi que des professionnels de santé, responsables de l’assurance maladie.
Cette commission, qui a vocation à fédérer l’ensemble des acteurs concernés, constitue l’instance de validation des projets de pôle de santé. Elle a défini un cadre précis en découpant le territoire départemental en quinze aires de santé dans lesquelles les projets animés par les collectivités et les acteurs de santé devront être coordonnés, ce qui évitera toute concurrence entre projets et entre collectivités.
Par ailleurs, la commission départementale de démographie médicale a constitué en son sein un comité technique qui apporte son soutien opérationnel à l’élaboration des projets dans les aires de santé.
Un projet de santé de territoire, mené par les professionnels de santé avec le soutien des élus, doit être élaboré puis validé par ladite commission pour obtenir les financements de l’État, de la région et du conseil général.
Ce cadre départemental a ainsi permis d’organiser les réseaux de professionnels médicaux dans chaque aire de santé, de coordonner les actions, de rationaliser les financements des maisons de santé. Il répond au souhait des nouvelles générations de médecins de passer d’un exercice individuel isolé à un travail en équipe pluriprofessionnelle. Il a permis de créer une dynamique entre les professionnels de santé, qui, dans plusieurs zones du département, ont relevé le défi et décidé de moderniser leur manière d’exercer afin de la rendre plus attractive, en alliant prévention et coordination des soins, et de répondre aux besoins de la population grâce à un projet territorial concerté et adapté.
Comme dans de nombreux autres territoires de notre pays, des mesures incitatives spécifiques et moins originales complètent ce dispositif. Elles visent notamment à augmenter le nombre de médecins généralistes maîtres de stage et à améliorer les conditions matérielles d’accueil des stagiaires.
À ce jour, neuf aires de santé sur quinze ont vu leur projet de santé validé, et les collectivités maîtres d’ouvrage lancent leurs investissements. À ce propos, les crédits du programme national visant à financer les 250 maisons de santé pluridisciplinaires sur la période 2010-2013 sont aujourd’hui consommés, ce qui donne un coup de frein à de nombreux projets en cours.
Aussi apparaît-il nécessaire, madame la ministre, de prolonger ou de renouveler ce dispositif d’aide à la création de maisons de santé pluridisciplinaires et de pôles de santé, pour assurer une présence médicale de premier recours équilibrée sur l’ensemble de notre territoire. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier la commission du développement durable d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat, sur un sujet qui est au cœur des préoccupations de nombre de nos concitoyens.
La désertification médicale est un véritable problème, et les solutions proposées pour le résoudre ne font pas l’objet d’un consensus. La France se trouve aujourd’hui face à une question difficile : la situation des zones dites « sous-dotées » risque de s’aggraver au cours des années à venir, les professions médicales et de santé sont réticentes à toute forme de coercition et les mesures incitatives se révèlent souvent inopérantes ou inadaptées.
Cela a déjà été souligné, la désertification médicale ne touche pas uniquement des territoires ruraux. Elle est souvent corrélée à d’autres phénomènes : réduction de l’offre de services publics et privés, déclin démographique, atonie du développement économique. Certaines zones sous-médicalisées recoupent des territoires en déprise situés sur la fameuse « diagonale du vide ». Des zones urbaines sensibles sont ainsi touchées ou menacées. Il convient donc de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’offre médicale et de santé disparaît dans certains territoires.
La nouvelle organisation des réseaux de soins issue de la loi HPST de 2009 a abouti à la fermeture de certains établissements, à la transformation et au renforcement de certains centres hospitaliers, qui concentrent ainsi davantage de professionnels et s’apparentent parfois à de véritables « usines à soins », en raison d’une forme de gigantisme.
Mme Évelyne Didier. Merci de le souligner !
M. Jean-François Husson. La concentration de l’offre de soins s’en trouve accentuée, ce qui crée des tensions entre les territoires, dont les équilibres de vie se trouvent altérés ou menacés.
Pour autant, il est bon que les différentes spécialités médicales se regroupent en pôles, au sein par exemple des maisons de santé. Je n’adopterai pas, pour évoquer ce sujet, le ton polémique que vous avez employé, madame la ministre. L’exercice au sein de ces structures est plus attractif pour les médecins et la visibilité de l’offre de soins se trouve améliorée pour les patients. Il convient de préserver, en en faisant une priorité, la qualité de l’accueil, qui doit rester humain. Le fonctionnement en réseau peut et doit y contribuer. Aucune piste d’évolution ne saurait être écartée. Le développement de la télémédecine doit être encouragé, car elle constitue sans aucun doute une réponse d’avenir, permettant d’apporter en tout point du territoire national un même niveau de service médical, sans considération des distances et de l’éloignement géographique.
Les études que suivent les futurs médecins sont longues et ardues. Elles représentent un investissement personnel considérable ; en contrepartie, la liberté d’installation a été reconnue jusqu’à présent comme un principe fondamental. Il paraît difficile d’envisager des mesures coercitives. La qualité des études de médecine en France est unanimement reconnue, y compris à l’échelle internationale. Cela étant, leur coût est très largement supporté par la solidarité nationale. Il convient, dès lors, que la politique nationale de santé ne laisse aucun territoire de côté.
Par ailleurs, certaines mesures incitatives semblent excessives. Ainsi, je m’interroge quand je vois certaines régions accorder des primes à l’installation aux jeunes médecins, à la seule condition qu’ils daignent ouvrir leur cabinet dans un territoire donné. Cette pratique ne doit pas prospérer : elle est inéquitable et coûteuse pour les collectivités.
Faut-il enfin aller jusqu’à élaborer un grand schéma national d’implantation et d’organisation de l’offre de services médicaux, de soins et de santé, avec une déclinaison territoriale ? C’est probablement souhaitable. Ma conviction est qu’une telle initiative entre parfaitement dans le cadre des missions régaliennes et d’aménagement du territoire de l’État. Cet élément de réflexion doit alimenter la stratégie nationale de santé que le Gouvernement conçoit et conduit. J’y serai, madame la ministre, particulièrement attentif.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur les déserts médicaux est extrêmement important. Cette question préoccupe notre assemblée depuis de nombreuses années, comme en témoigne la littérature pléthorique qu’elle a suscitée, en particulier le rapport de notre collègue Hervé Maurey intitulé « Déserts médicaux : agir vraiment ».
La situation, madame la ministre, s’aggrave tous les jours. Garantir l’accès à des soins de qualité et de proximité pour l’ensemble de nos concitoyens est une priorité absolue, le principe de « protection de la santé » étant inscrit à l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946.
Poser la question de l’accès aux soins revient à s’interroger sur l’organisation globale de notre système de santé, depuis la formation jusqu’aux conditions d’exercice et aux modes de la rémunération, en passant par la répartition des praticiens et son articulation avec le reste de l’offre de soins et l’aménagement du territoire. Par « praticiens », j’entends non seulement les médecins généralistes, les kinésithérapeutes, les dentistes, les ophtalmologistes, les pédiatres ou les gynécologues, mais également les pharmaciens d’officine.
En effet, le maillage officinal français est indispensable à notre système de santé. Les officines constituent souvent le premier relais de santé pour la population, notamment dans les zones rurales. Compte tenu de ce rôle, au plus près des patients, les pharmaciens devraient être davantage intégrés aux équipes de soins de proximité.
Nous disposons ainsi, me semble-t-il, d’une vision assez claire de la situation de l’offre de soins dans nos territoires.
Des mesures ont été mises en œuvre au cours de ses dernières années : augmentation du nombre de médecins, avec le rééquilibrage des numerus clausus, visant à une meilleure régulation territoriale des flux de formation des professionnels de santé, répartition quinquennale des postes d’interne par spécialité et par région, quotas paramédicaux, dispositions tendant à faciliter l’exercice professionnel, notamment en milieu rural.
Pour améliorer la situation, des solutions législatives ont été proposées : je citerai à cet égard la loi relative aux territoires ruraux, comportant des dispositions en faveur du maintien et du développement de l’activité des professions de santé dans les zones déficitaires, la loi HPST et les lois de financement de la sécurité sociale.
Même s’il est sans doute encore trop tôt pour évaluer pleinement leur efficacité, force est de reconnaître que toutes ces mesures d’incitation, telles les exonérations fiscales diverses pour les médecins s’installant dans les zones déficitaires ou les possibilités offertes aux collectivités de financer le parcours des étudiants sous réserve d’un engagement à s’installer dans les zones en tension, ne suffisent pas à attirer les jeunes praticiens.
Je souhaiterais exposer brièvement la situation de mon département, la Charente-Maritime : certaines zones rurales sont éloignées des centres hospitaliers, la zone côtière voit sa population multipliée par dix en période estivale, le nord et l’ouest du département consomment les deux tiers des actes de permanence de soins.
Le conseil général de la Charente-Maritime, dont je suis membre, œuvre, en collaboration avec le conseil de l’Ordre des médecins et l’ARS, en vue d’« agir vraiment », pour reprendre le titre du rapport.
Depuis deux ans, nous menons une politique incitative visant à attirer des étudiants en médecine générale. Nous avons ainsi créé une bourse d’un montant évolutif pour les étudiants de troisième cycle, attribuée en contrepartie d’un engagement du jeune médecin de s’installer dans une zone déficitaire pour au moins quatre ans. Sept étudiants sont aujourd’hui engagés dans ce parcours. Madame la ministre, l’incitation fonctionne donc bien sur certains territoires !
La question de l’accessibilité mérite également d’être traitée, notamment pour les populations vieillissantes ou fragiles qui ne peuvent se déplacer. Afin de ne pas aggraver les inégalités territoriales en termes d’accès aux soins, le département de la Charente-Maritime offre un service de transport à la demande, assorti d’une tarification sociale pour les personnes à faibles ressources. Ce dispositif vise non seulement à faciliter les déplacements des patients, mais également à réduire le nombre des visites à domicile sans caractère d’urgence, chronophages pour les praticiens et coûteuses pour la sécurité sociale.
Aujourd’hui, nous savons que la grande majorité des jeunes médecins ne veulent plus travailler de façon isolée. La question de la formation et des conditions d’exercice est cruciale. De même, l’accès aux soins est intrinsèquement lié à l’accès aux services publics de proximité : la poste, l’école, les activités de loisirs, les crèches, etc.
La proposition n° 8 du rapport, qui est de favoriser l’exercice regroupé pluriprofessionnel en apportant un financement incitatif à l’installation en maisons et pôles de santé, mérite qu’on s’y attarde. On peut s’interroger sur la pertinence de la validation par l’État de projets de maison de santé pluridisciplinaire dans des secteurs ou des quartiers périurbains où la désertification est moins flagrante, compte tenu de l’existence d’un réseau de transport urbain.
Dans le même esprit, il convient de veiller à ce que les financements publics destinés au regroupement pluriprofessionnel soient réservés aux zones véritablement sous-médicalisées et ne créent pas de concurrence à des cabinets de praticiens déjà installés sur fonds privés.
La question se pose alors de la clarification des mesures incitatives existantes et de la régulation de l’installation des professionnels de santé, qui fait l’objet de plusieurs propositions dans le rapport de notre collègue.
D’aucuns estiment inévitable le recours à une répartition démo-géographique organisée et concertée des professionnels de santé, incluant, le cas échéant, le conventionnement d’un nombre déterminé de praticiens par département. Or, jusqu’à présent, les mesures coercitives sont considérées par les médecins et les étudiants comme le dernier recours pour résoudre la problématique des déserts médicaux.
Avant de conclure, je souhaite mettre en exergue une difficulté spécifique rencontrée par les maires de communes situées dans des zones à sous-densité médicale : l’établissement des certificats de décès.
L’établissement du certificat de décès au domicile du défunt ne relève pas explicitement de la mission impartie au médecin de garde dans le cadre de la permanence des soins, et il n’est pas rare que celui-ci refuse de se déplacer, notamment en fin de semaine ou quand il n’est pas le médecin de la famille endeuillée. On peut parfaitement le comprendre, ces actes ne faisant l’objet d’aucune rémunération spécifique.
L’agence régionale de santé de Poitou-Charentes a donc réformé les modalités d’établissement des certificats de décès lorsque celui-ci répond à certains critères – décès survenant durant le week-end, par exemple – et indemnise les médecins d’astreinte volontaires par le biais du fonds d’intervention régional.
Ce cas de figure vous semblera peut-être anecdotique, mais lorsque les familles endeuillées ne parviennent pas à contacter de médecin, elles se tournent naturellement vers le maire de leur commune, lequel se heurte aux mêmes difficultés. Je présume qu’un bilan de cette expérimentation sera prochainement élaboré, car, aujourd’hui encore, des maires nous interpellent à ce sujet.
Enfin, je souhaite attirer l’attention du Sénat sur un aspect rarement abordé de la problématique de l’accès à la santé : la médecine du travail et la protection maternelle et infantile, la PMI.
Les conseils généraux sont confrontés à de véritables difficultés pour recruter des médecins de PMI, qui ont une mission de prévention et de protection des jeunes enfants.
Quant à la médecine du travail, sa situation est tout aussi délicate et elle peine à accomplir ses missions : les départs à la retraite massifs et le manque de praticiens ne permettent plus d’assurer un contrôle efficace et régulier de la santé des salariés. Les entreprises privées, les professions libérales, les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficultés à respecter leurs obligations légales envers leurs salariés, alors que la cotisation au forfait est versée à des organismes qui ne sont pas toujours en mesure d’honorer les prestations.
Mon collègue et ami Michel Doublet a rencontré récemment les responsables de la Mutualité sociale agricole de la Charente-Maritime, qui lui ont fait part des difficultés de l’Association de santé au travail en agriculture : faute de candidatures, celle-ci souffre d’un sous-effectif de médecins du travail, qui n’est pas sans conséquences sur la surveillance médicale des agents des collectivités territoriales, avec lesquelles cette association a signé une convention.
Madame la ministre, la santé publique est un enjeu majeur, qui appelle une forte implication des professionnels de santé, des partenaires sociaux, des pouvoirs publics et des élus pour élaborer ensemble les solutions les mieux adaptées à la réalité de chaque territoire.
Mes chers collègues, telles sont les quelques observations que je souhaitais formuler dans ce débat. J’y associe mes collègues de la Charente-Maritime, Claude Belot et Michel Doublet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis moi aussi de la tenue de ce débat, qui nous permet d’échanger sur l’excellent rapport de nos collègues Jean-Luc Fichet et Hervé Maurey.
Ce rapport traite de la question des déserts médicaux et de l’accès aux soins pour nos concitoyens, que la Haute Assemblée ne saurait ignorer. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’elle fasse l’objet d’un rapport de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, alors qu’elle relève a priori du champ de compétence de la commission des affaires sociales. Nous pouvons y voir le signe de l’attachement de notre commission et de son président à veiller à ce que tous nos concitoyens, indépendamment de leur lieu de résidence, soient traités sur un pied d’égalité. Cela témoigne également de notre volonté commune de développer nos territoires et de les aménager dans le respect des besoins de celles et ceux qui ont choisi d’y vivre, et que nous représentons.
Madame la ministre, j’observe que nous héritons d’un système mis en place voilà une dizaine d’années : vous n’avez donc de leçon à recevoir de personne en l’occurrence.
C’est avec la préoccupation de répondre aux besoins de nos concitoyens que j’ai participé aux auditions menées par le groupe de travail et que j’ai finalement fait le choix, en concertation avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, d’approuver les conclusions de son rapport, malgré quelques réserves sur lesquelles je ne m’étendrai pas.
Nous partageons le constat que nos collègues ont dressé et approuvons pour l’essentiel les seize propositions qu’ils ont formulées, ainsi que, d’une manière générale, l’esprit dans lequel ils ont travaillé.
Intitulé « Déserts médicaux : agir vraiment », le rapport d’information souligne l’inefficacité des mesures mises en œuvre jusqu’à présent et appelle à l’adoption de dispositions plus audacieuses, mais aussi, tout simplement, plus efficaces. Madame la ministre, nous vous donnons acte de votre volonté de résoudre la problématique de la désertification médicale.
Le premier constat que nous avons établi durant nos travaux est celui de la situation quelque peu paradoxale dans laquelle nous nous trouvons : si les décennies à venir seront assurément marquées par un déficit démographique, du fait d’un taux insuffisant de remplacement des nombreux médecins partant à la retraite, tel n’est pas le cas actuellement.
Aujourd'hui, malgré trente années de politiques incitatives reposant presque exclusivement sur des aides financières à l’installation, les déserts médicaux progressent et l’accès aux soins pour nos concitoyens ne cesse de se réduire, en raison, essentiellement, d’une mauvaise répartition des personnels médicaux.
Nos collègues estiment, dans leur rapport d’information, que 5 % de la population, soit 3 millions de nos concitoyens, connaît d’importantes difficultés pour accéder aux soins. Ce nombre, déjà inquiétant, est appelé à croître si aucune mesure sérieuse n’est prise, et cette évolution posera un problème majeur pour l’avenir de nos territoires.
Nous ne pouvons nous résoudre à cette situation et nous refusons tout discours pessimiste selon lequel rien, au fond, ne serait possible.
Les mesures que vous avez annoncées, madame la ministre, ont le mérite de reposer sur une série de constats que la majorité précédente ignorait. Je pense particulièrement à la reconnaissance de l’attrait de plus en plus grand du salariat aux yeux des jeunes médecins. Je me souviens que, lors de l’élaboration de la loi HPST, Xavier Bertrand et un certain nombre de nos collègues avaient repoussé nos amendements, considérant qu’il fallait préserver à tout prix le modèle dit libéral et éviter le salariat, qu’ils réduisaient, avec un certain mépris, à une médecine de caisse.
Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreux à reconnaître cette aspiration des jeunes médecins, et particulièrement des femmes ; nous entendons celles et ceux, aujourd’hui majoritaires, qui plaident pour l’exercice collectif.
Nous souscrivons donc pleinement à la proposition n° 8 du rapport de favoriser et de soutenir financièrement l’exercice regroupé, même si nous souhaitons que l’attribution de fonds publics soit conditionnée au respect des tarifs opposables.
Nous sommes également d’accord avec la proposition n° 10, concernant le développement de la médecine salariée via notamment le renforcement des centres de santé. Aussi nous interrogeons-nous, madame la ministre, sur les raisons pour lesquelles l’accord national destiné à organiser les rapports entre les centres de santé et les caisses nationales d’assurance maladie, conclu en 2003 et reconduit une première fois en 2008, a été confirmé tacitement en l’état, alors même que la Fédération nationale des centres de santé et la majorité des acteurs de ce secteur appelaient à une renégociation, afin que les dispositions s’appliquant aux médecins libéraux puissent être étendues aux centres de santé, qui demeurent aujourd’hui exclus du champ de certains dispositifs utiles à leurs patients, comme le forfait ALD, les tests de diagnostic rapide des angines ou le dépistage de certains cancers.
M. Dominique Watrin. Très bien !
Mme Évelyne Didier. Madame la ministre, quelles mesures concrètes entendez-vous prendre pour soutenir les centres de santé ?
Puisque notre collègue Hervé Maurey nous invite à réfléchir sur la notion de salariat, pourquoi ne pas envisager clairement la création d’un service public de santé de premier recours, qui pourrait être assumé tant par les centres de santé que par des médecins exerçant en dehors des structures collectives ? Sans doute faudrait-il alors sortir de la logique de la rémunération à l’acte, particulièrement inadaptée dans certains territoires, pour créer enfin une rémunération forfaitaire, qui intégrerait clairement une dotation pour l’accomplissement de cette mission de service public de garantie de l’accès aux soins de premiers recours.
Mme Annie David et M. Dominique Watrin. Très bonne piste !
Mme Évelyne Didier. Cette mesure nous apparaît d’autant plus légitime que notre pays investit beaucoup d’argent – à bon droit – dans la formation de ses médecins, lesquels bénéficient, même à titre libéral, pour leurs consultations à tarifs opposables, d’une garantie totale de leurs salaires par la sécurité sociale. J’ai coutume de taquiner un peu les médecins que je connais en leur disant que leur exercice n’a de libéral que le nom et qu’ils assurent en réalité une mission de service public, dont la rémunération est garantie par la collectivité.
Naturellement, nous soutenons la proposition n° 6, qui est de créer, à l’échelle départementale, une commission de la démographie médicale, chargée d’évaluer au plus près les besoins. Cela est cohérent avec la position du groupe CRC, qui a constamment plaidé en faveur de la régionalisation des épreuves classantes, tout simplement parce que les étudiants s’installent généralement dans la région où ils ont suivi leurs études.
Enfin, le groupe CRC approuve les deux dernières propositions de nos collègues, qui sont sans doute celles qui ont fait le plus parler d’elles : l’une est d’instaurer, pour les médecins spécialistes, une obligation temporaire d’exercice dans certains territoires déficitaires, l’autre est d’informer dès à présent les étudiants en médecine de la possible création, à l’issue de la présente législature, d’une obligation temporaire d’exercice dans des zones sous-denses.
Il s’agit clairement, comme le groupe CRC le propose depuis des années, de passer d’une politique incitative à une politique que je qualifierai non pas de coercitive, mais plutôt de solidaire. La mesure consistant à garantir un revenu aux médecins généralistes qui s’installeraient dans des zones sous-dotées pour une durée limitée de deux ans valide notre analyse. Cette disposition, vous la concevez, monsieur le rapporteur, comme une aide temporaire allouée aux médecins, ceux-ci étant censés, après deux ans, avoir réussi à attirer et en quelque sorte à fidéliser une patientèle.
Nous préférons, quant à nous, inverser la logique en partant des besoins des patients. C’est la raison pour laquelle nous soutenons le principe d’une période minimale d’exercice obligatoire dans des territoires sous-dotés pour les jeunes diplômés. Une telle obligation existe déjà pour certaines professions médicales, y compris libérales, comme celle d’infirmier. Je souligne d’ailleurs que les instituteurs s’engageaient à servir l’État durant dix ans à l’issue de l’école normale, et mon expérience personnelle me permet de vous assurer qu’ils n’en mouraient pas !
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Évelyne Didier. L’enjeu est clairement de concilier les désirs légitimes des jeunes médecins et les besoins de nos concitoyennes et concitoyens, même si, on le voit bien, la question de la démographie médicale met en jeu toute notre politique d’aménagement du territoire. Tous ensemble, nous devons absolument trouver des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la demande de soins primaires ne cesse d’augmenter sous l’effet du vieillissement de la population, la présence médicale telle que mise en perspective par notre groupe de travail témoigne d’inégalités profondes dans la répartition territoriale de l’offre de soins.
Comme l’ont déjà souligné mes collègues, ce phénomène inquiétant menace certaines zones, notamment les bassins ruraux, tels que le Lot-et-Garonne, et les perspectives d’amélioration spontanée de la situation sont quasiment nulles.
Il existe aujourd’hui des écarts énormes entre les départements en matière d’installation des médecins, pouvant aller de un à huit pour les médecins spécialistes. Autre chiffre préoccupant, 63 % des étudiants en médecine n’envisagent pas d’exercer dans les zones rurales.
Cette situation prouve qu’il importe d’agir rapidement et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. À cet égard, je salue les propositions formulées par mon collègue centriste Hervé Maurey dans son rapport d’information sur les déserts médicaux.
De ce dernier, je retiens essentiellement que la solution ne viendra que d’une évolution volontariste de la formation des étudiants en médecine, qui doit constituer l’axe majeur de réflexion face à la situation actuelle. Tant que les étudiants resteront concentrés dans les CHU, et donc dans les métropoles, durant leur phase d’apprentissage, l’objectif de rééquilibrage entre les territoires ne pourra pas être atteint.
Si un effort a été réalisé pour valoriser la médecine générale comme une spécialité à part entière, on ne lui a pas donné une place correspondant aux besoins en instituant un corps professoral suffisant et une formation initiale généralisée à tous les étudiants dans les premières années.
La formation doit être dispensée en situation réelle, c’est-à-dire dans les hôpitaux régionaux ou chez les généralistes formateurs, avec des stages professionnalisants dans des cabinets médicaux en milieu rural.
En matière de formation, le deuxième volet consiste à engager un solide effort de communication en direction des jeunes médecins sur les mesures existantes, qui demeurent peu lisibles pour la profession.
En effet, des dispositifs intéressants existent, mais ils ne sont pas connus des étudiants. Je pense notamment à celui de la loi Fourcade du 10 août 2011 : celle-ci, en créant les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires, les SISA, a ouvert un nouveau cadre juridique favorisant l’exercice regroupé pluri-professionnel, dans des maisons de santé par exemple. Ces mesures, trop peu connues, sont de nature à lever les réticences des jeunes médecins à s’installer en zone rurale.
L’exercice individuel de la médecine en zone rurale est dépassé. Le médecin de campagne indépendant, notable local, n’existe plus. C’est pourquoi la constitution d’un réseau de professionnels de santé pour assurer une bonne prise en charge des patients devient essentielle. Les pôles et maisons de santé sont, à ce titre, des structures à multiplier. Favoriser la coopération entre le médical et le paramédical permettra aux médecins de sortir de l’isolement et aux patients de bénéficier de soins adaptés à leurs besoins. Il faut tendre vers un parcours de soins allant de la prévention à l’accompagnement, afin de permettre le maintien à domicile.
Face à la crise de la démographie médicale, les collectivités territoriales se trouvent confrontées à une sollicitation très forte de la population. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux, elles sont autorisées à attribuer des aides aux maisons médicales, mais ce système peine à trouver une réelle efficacité. Il montrera rapidement ses limites devant la pénurie de médecins généralistes.
Mon collègue Pierre Camani et moi-même devons inaugurer dans quinze jours une maison de santé à Duras. Ce projet s’inscrit dans la démarche vertueuse de la CODEM, la commission départementale de la démographie médicale. Cette structure regroupera un dentiste, des aides à domicile, des infirmières, mais pas, pour l’instant, de médecin…
Les investissements immobiliers nécessaires sont très élevés, tandis que les solutions apportées par les collectivités s’avèrent parfois précipitées et ne sont pas toujours adaptées. Il faut un véritable projet de santé. Il me semble nécessaire que les professionnels prennent part à ces investissements immobiliers et que les collectivités ne soient pas les acteurs uniques des projets, mais jouent plutôt un rôle de facilitateurs entre les professionnels et les patients.
La création de maisons médicales sera une solution pertinente lorsqu’elle permettra de mutualiser des moyens, afin par exemple de décharger les médecins de tâches administratives jugées très contraignantes ou de partager les dossiers médicaux et administratifs. Ces outils ne pourront, bien entendu, être mis en place sans une bonne couverture numérique de nos territoires par fibre optique.
M. Hervé Maurey, rapporteur. Eh oui !
M. Henri Tandonnet. Cela permettrait aux médecins ruraux d’être moins seuls, puisqu’ils auraient la possibilité d’échanger et de s’appuyer, en cas de besoin, sur l’expertise de confrères ou de médecins spécialistes.
Pour conclure, j’indique que je partage pleinement les propositions de notre collègue Hervé Maurey. Madame la ministre, il est essentiel d’ouvrir le chantier de la formation des médecins généralistes dans les conditions réelles de leur exercice futur pour remédier à la gravité de la situation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer à mon tour la qualité et l’importance du travail accompli par la mission d’information sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire.
Il s’agit de garantir l’accès de tous aux soins médicaux, qui est un droit fondamental et un enjeu majeur d’aménagement du territoire. Le rapport d’information met au jour un paradoxe français : notre pays consacre des sommes très importantes aux dépenses de santé, le nombre de médecins y est élevé et, pourtant, nous avons vu apparaître des fractures territoriales, des « déserts médicaux », remettant en cause l’accès de tous aux soins, y compris dans des départements dont le nombre d’habitants croît, comme la Loire-Atlantique, où le phénomène se manifeste déjà à cinquante kilomètres de Nantes.
Après avoir dressé un constat et établi des prévisions qui ont de quoi inquiéter, les auteurs du rapport d’information formulent des propositions fortes pour alimenter le débat. Si elles ne sont pas en contradiction avec le pacte territoire-santé que vous avez présenté à la fin de l’année 2012, madame la ministre, elles posent sans tabou la question de la liberté d’installation des médecins, ce qui n’était pas si évident.
Nous avons noté les paroles fortes du président Jean-Luc Fichet, qui n’écarte pas l’option de mesures coercitives, ou encore celles du rapporteur Hervé Maurey sur la régulation.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une répartition inégale des professionnels de santé sur le territoire. Or le rapport d’information rappelle à juste titre que les dispositifs actuels, fondés sur l’incitation, ne fonctionnent pas.
Hervé Maurey a également insisté sur la faiblesse de l'évaluation des mesures prises – une faiblesse évidente dans la conduite de l'action publique. Elle ne se résume pas à ce sujet, mais ne perdons pas une occasion de le souligner.
Cela étant, nous nous retrouvons dans les propositions du rapport, dont la diversité permet de répondre à différents aspects du problème. Il y aurait évidemment beaucoup à dire, mais je centrerai mon propos sur quelques points.
Pour assurer la couverture du territoire, nous, écologistes, proposons de définir une véritable mission de service public de la médecine générale et soutenons la logique du conventionnement sélectif. Nous saluons donc le ton volontariste du rapport, qui énonce des propositions en vue « du seul intérêt général », alors que « le souci de ne pas heurter les médecins et les futurs médecins a jusqu'à présent paralysé nos gouvernants ».
Le rapport nous apprend que 60 % des jeunes médecins n’envisagent pas de s’installer en zone rurale. Le choix pour un médecin de s’installer dans un certain lieu implique non seulement la proximité d’un plateau technique, mais aussi, potentiellement, un emploi pour son conjoint, une école pour ses enfants et, plus globalement, la présence de services publics.
C’est là que le problème des déserts médicaux rejoint la problématique plus transversale de l’aménagement du territoire. Pour les écologistes, cette question englobe aussi le problème de l’accessibilité territoriale et celui de l’accessibilité financière. En réalité, les déserts médicaux ne se trouvent pas que dans des zones rurales délaissées, mais également dans certains quartiers populaires ou certaines banlieues. Je tiens à signaler que, à l’intérieur même de Paris, l'agence régionale de santé identifie trois zones fragiles ou déficitaires en termes d’accès aux soins.
Les déserts médicaux ne souffrent pas que du manque de médecins. Un désert médical peut aussi, évidemment, être le signe d'une souffrance économique.
Nous avons eu la semaine dernière un intense débat autour de la question métropolitaine. Nous considérons que si l’opposition entre urbain et rural n’a plus cours dans notre pays – c’est une profonde mutation dont il nous reste encore à cerner toutes les implications –, des solidarités nouvelles doivent se faire jour via une organisation des territoires en réseau. Cela recoupe la question qui est posée aujourd'hui.
À cet égard, les écologistes continueront de se battre pour le maintien, dans les villes petites et moyennes, de services publics de qualité, aux premiers rangs desquels se trouvent des hôpitaux, qui permettent justement de renforcer l'attractivité de certains territoires. Ainsi, dans le débat sur le maintien des petits hôpitaux – le Finistérien Fichet connaît bien la mobilisation à Carhaix, qui a même inspiré un film de fiction –, il ne faut plus se limiter à une approche comptable ou technique : il convient d’intégrer le rôle de l'hôpital local dans le maintien alentour d'un tissu de médecins généralistes ou spécialistes.
Plus largement, le rapport est en phase avec la vision des écologistes selon laquelle il conviendrait d’établir avec la profession de nouvelles missions pour la médecine générale : suivi du dossier médical ainsi que des avis spécialisés, coordination avec les intervenants sanitaires et sociaux, participation à des actions de prévention et d’éducation. En clair, une culture générale plus large sur ces questions s’impose. En amont, comme le dit très justement le rapport, cela implique une évolution de la formation des médecins. Hervé Maurey a parfaitement défini l’enjeu d'une formation plus large, qui ne peut se résumer à une formation technique, aussi pointue soit-elle.
Nous souscrivons également aux propositions du rapport visant à favoriser le regroupement des activités, mesure qui est demandée par les professionnels.
La création de maisons de santé et de l’autonomie prioritairement dans les zones déficitaires doit, selon nous, être soutenue par les pouvoirs publics, mais à certaines conditions : les médecins doivent être conventionnés en secteur 1, le projet de santé proposé doit être solide et ces maisons de santé doivent comprendre d’autres professionnels de santé – car les déserts paramédicaux existent aussi ! – ainsi qu’un poste spécialisé en éducation pour la santé et la santé environnementale. Sur ce dernier point, vous connaissez notre sensibilité, et il est essentiel – dans un débat qui, justement, cherche une approche sanitaire plus globale – que nous intégrions tout de suite, en amont, ces questions cruciales de la prévention qui sont le parent pauvre du système de santé français.
Pour améliorer l'accessibilité financière, nous appelons à mener un bilan approfondi de la tarification à l’acte et à faire cesser les dépassements d’honoraires des spécialistes, qui entraînent un report de consultations non urgentes vers les urgences des hôpitaux, aboutissant à un engorgement des hôpitaux publics extrêmement coûteux et préjudiciable à leur bon fonctionnement.
Bref, les problèmes sont nombreux, et je voulais insister, au cours de ces quelques minutes, sur le fait que nous ne pouvons pas dissocier cette accessibilité géographique de l'accessibilité financière.
Je souhaiterais conclure en soulignant que nos déserts médicaux peuvent aussi s’exporter. Ainsi, nous savons tous que beaucoup de médecins étrangers, notamment roumains, s’installent en France. Ces derniers sont des milliers, dont l'arrivée est souvent ardemment souhaitée dans des territoires confrontés au départ à la retraite de leurs médecins généralistes. Il se trouve même aujourd'hui, en France, des « chasseurs de têtes spécialisés » qui prospectent pour des communes qui ne trouvent pas de solution.
Se pose-t-on vraiment la question de l'impact de cette situation sur la santé en Roumanie ? On parle aujourd'hui d'un déficit de 40 000 médecins dans un pays où le système de santé est très dégradé. Certes, la France n’est pas la seule responsable de cette situation, l'Allemagne l’est aussi. En Roumanie, une partie de la réponse passe d'ailleurs par le renforcement des services d'urgence, et je crois que cela fait écho à notre propre débat.
Au total, nous avons à répondre à l’enjeu de la désertification médicale, non seulement pour nos territoires, mais aussi pour ne pas exporter nos propres problèmes vers des territoires plus lointains et plus fragiles. Nous avons donc une responsabilité très importante. Il appartient au Gouvernement, au Parlement, aux professionnels de santé de l’affronter ensemble, sans demi-mesure. (Mme Évelyne Didier et M. le rapporteur applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’emblée à souligner l’excellence du travail de nos collègues, en particulier celui du rapporteur, Hervé Maurey.
Lors de l’examen de la loi HPST, notre groupe avait porté nombre des seize propositions du groupe de travail. Cependant, nous n’avions obtenu le soutien ni du gouvernement de l’époque ni de la majorité actuelle.
Quatre ans plus tard, nous faisons le même constat et les mêmes propositions. Alors permettez-moi d’insister, une nouvelle fois, sur quatre propositions qui sont, pour le groupe UDI-UC, essentielles.
La première a trait à la promotion de la formation au métier de médecin généraliste.
Il est indispensable de promouvoir la médecine générale auprès de tous les étudiants engagés dans le cursus des études médicales. Il convient surtout de revaloriser le métier de médecin généraliste de premier recours, en portant à quatre ans la spécialité de médecine générale, soit la durée des autres spécialisations.
La deuxième proposition vise à faire évoluer les modalités d’exercice des professionnels de santé en médecine de ville.
Les maisons de santé pluridisciplinaires doivent devenir une réalité, en priorité dans les zones médicalement sous-dotées. Ce regroupement de professionnels médicaux et paramédicaux sur un même lieu permettra – chacun le sait ! – la prise en charge d’une demande de soins primaires en augmentation ainsi que la permanence de l’offre de soins.
La troisième proposition porte sur la rénovation du cadre de la coopération entre professionnels de santé.
Il est nécessaire d’envisager une nouvelle répartition des activités ou des actes existants entre les différents professionnels de santé actuels et surtout la répartition d’actes émergents entre de nouveaux métiers de soins. Il s’agit concrètement de transférer de nouvelles compétences médicales vers d’autres professionnels de santé.
Nos collègues Catherine Génisson et Alain Milon travaillent sur le sujet au sein de notre commission des affaires sociales. Pour sa part, le professeur Yvon Berland, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, insiste sur la nécessité de « recentrer les médecins sur le cœur de leur métier » ou encore de « libérer du temps médical ».
Cela me conduit à la question du numerus clausus, qui doit impérativement être repensée en fonction de ce temps médical. C’est là ma quatrième observation.
Bien sûr, le temps est fini où les médecins étaient corvéables à merci, jour et nuit, dimanches et fêtes… La dernière étude de l'IRDES, l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé, parle d'une durée moyenne de travail de 52 heures par semaine, dont 61 % seulement de ce temps est consacré aux activités de soins. En effet, beaucoup de jeunes médecins n’envisagent pas de sacrifier vie de famille et vie personnelle à l’exercice de leur profession, particulièrement les jeunes mères de famille, qui, du moins en début de carrière, souhaitent exercer leurs missions à temps partiel. Je rappelle que, en 2013, 58 % des médecins sont des femmes.
Il conviendrait donc de décider du nombre de médecins à former, non pas en appliquant un ratio idéal par rapport au nombre d'habitants, mais plutôt en fonction du temps moyen consacré par chaque médecin au temps médical.
Je terminerai mon propos en évoquant une réalité pointée du doigt dans le dernier atlas de la démographie médicale publié par le Conseil national de l’Ordre des médecins : les praticiens à diplômes étrangers sont de plus en plus nombreux. On compte ainsi 21 111 médecins à diplôme étranger inscrits au tableau de l’Ordre au 1er janvier 2013, soit 7,8 % de l’ensemble des médecins. Sur ces médecins à diplôme étranger inscrits au tableau, 46,8 % ont obtenu leur diplôme en Europe.
On sait que certains de ces médecins parlent à peine français et sont parfois aidés à s’installer par les collectivités, sans aucune contrepartie.
Par ailleurs, je m’interroge sur ces jeunes étudiants français, qui, après le bac, partent faire leurs études de médecine dans d’autres pays européens. C’est ainsi que, en Roumanie, des médecins français donnent des cours, en français, à nos jeunes compatriotes. Si l'on peut faire confiance à la qualité de l’enseignement et au sérieux des critères d’équivalence, qu’en est-il du numerus clausus auquel ces jeunes Français et les autres Européens échappent ?
Madame la ministre, améliorer la répartition géographique des médecins, encourager le travail en équipe, favoriser la coopération entre les différents professionnels de santé, optimiser le temps médical, revoir les études médicales et le numerus clausus sont autant d’enjeux de taille, de chantiers à mener, sur lesquels le groupe UDI-UC vous demande de vous engager. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, il fut un temps où notre système de santé était cité en exemple dans de nombreux pays. Il faut admettre que ce temps est malheureusement révolu.
La crise que nous traversons a créé de fortes inégalités entre nos concitoyens. Ainsi, on a assisté à une forte augmentation des inégalités, non seulement sociales, mais également territoriales en matière de santé, engendrant une fracture sanitaire importante. Depuis cinq ans, 2 millions de Français supplémentaires ont été touchés par la désertification médicale. Les inégalités entre les territoires ne cessent d’augmenter : les délais pour obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste sont de plus en plus longs.
Il était donc urgent de prendre des mesures pour donner à tous les Français un accès aux soins de qualité sur l’ensemble du territoire national. Aussi, je salue l’initiative du Gouvernement, prise en décembre 2012, de mettre en place un plan global de lutte contre les déserts médicaux.
En Languedoc-Roussillon, l’agence régionale de santé vient de mettre en place un projet régional de santé qui fixe pour cinq ans les orientations et les actions visant à améliorer la santé sur ce territoire. Le diagnostic préalablement réalisé a révélé les faiblesses et les menaces que j’ai relevées à plusieurs reprises, notamment dans le département de l’Hérault. J’entends par là une désertification médicale dans les territoires ruraux et des faiblesses en matière de politique de prévention dans le Haut-Languedoc et dans le pays Cœur d’Hérault.
Gardons à l’esprit que le Languedoc-Roussillon se caractérise par un niveau de précarité significatif dans l’ensemble des départements de cette région, qui est la première en termes de nombre de bénéficiaires de la CMU complémentaire. Aussi, permettre à tous d’accéder au système de santé, d’un point de vue non seulement financier, mais aussi géographique est un objectif que nous devons atteindre.
Le paradoxe de l’Hérault est de présenter une démographie médicale importante, mais inégalement répartie sur son territoire. Par ailleurs 60 % des médecins de ce département ont plus de soixante ans. Le renouvellement des générations de praticiens doit également être pris en compte dans les projets mis en place.
Dans l’arrière-pays, les difficultés d’accès aux soins de médecine générale – je ne parle même pas d’accès aux spécialistes – sont une réalité à laquelle les Héraultais sont confrontés quotidiennement. Le regroupement de médecins et autres professionnels médicaux ou paramédicaux en un même lieu, par exemple dans les maisons de santé, nécessaires en milieu rural, peut permettre un progrès, mais à la condition incontournable que les territoires concernés présentent des attraits, c’est-à-dire qu’ils offrent des services publics de qualité. Aussi, je souhaite que le pacte territoire-santé décliné par les agences régionales de santé permette de lutter de manière efficace contre les déserts médicaux.
Des démarches ont été engagées concernant la formation des étudiants ou la transformation des conditions d’exercice des professionnels de santé par la généralisation du travail en équipe.
La création d’un nouveau statut de praticien territorial de médecine générale doit voir le jour. Ce projet a remplacé l’ancien, beaucoup plus coercitif, qui prévoyait d’imposer aux jeunes médecins généralistes sortant de l’internat de s’installer pendant une certaine période dans le ressort de celui-ci. Ce principe venait à remettre en cause le principe de la liberté d’installation des praticiens, codifié à l’article L. 162-2 du code de la sécurité sociale.
Enfin, je souhaiterais intervenir au sujet de l’hôpital d’Agde. En effet, cet hôpital, qui fait partie des hôpitaux du bassin de Thau, a fonctionné depuis 2006 avec des activités limitées et sans accueil d’urgence en raison de la proximité des urgences de Sète, de Béziers et de Montpellier. Or, durant la saison estivale, la population de la ville est multipliée par dix et la durée du trajet pour se rendre aux urgences excède trente minutes. Il serait donc tout à fait légitime d’installer un service d’urgence à Agde, ce qui, semble-t-il, vient d’être réalisé. En effet, l’organisation territoriale de la santé doit aussi tenir compte des mouvements migratoires liés à la saisonnalité.
L’objectif des dispositions réunies dans le pacte territoire-santé est de lutter contre la désertification médicale et d’inciter les jeunes médecins à s’installer dans les zones déficitaires en offre de soins. Aussi, madame la ministre, il me paraît important qu’un suivi précis de ce dispositif soit engagé afin d’y apporter, si besoin est, les corrections ou les ajustements nécessaires. (M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour m’associer aux félicitations adressées au rapporteur et au président du groupe de travail pour avoir réalisé, au nom de la commission du développement durable, un rapport à la fois complet et objectif, comprenant une description exacte de la situation.
La question des déserts médicaux se pose depuis maintenant quinze ans – je suis bien placé pour le savoir puisque le département du Loiret, dans la région Centre, est l’un des moins bien dotés en matière de médecins – et a donné lieu à de multiples initiatives disparates, voire désordonnées, de la part des collectivités qui n’ont pas toujours eu les résultats escomptés.
Certains ont fait référence, à cet égard, à des incitations financières trop élevées. Je souligne au passage que personne n’a abordé, si je ne me trompe, l’échec du démarchage de médecins d’origine étrangère organisé sur l’initiative de collectivités, lesquels, pour la plupart, sont repartis dans l’année, voire dans les six mois qui ont suivi leur venue en France. Les mesures incitatives étaient insuffisantes et quelque peu désordonnées, vous l’avez souligné, madame la ministre ; elles doivent donc être canalisées. J’ajoute que les ARS sont actuellement incapables de dresser un état des aides et des initiatives prises en la matière, comme le souligne le rapport.
Face à une telle situation, l’intitulé du rapport du groupe de travail, agir vraiment, est tout à fait approprié. Sans entrer dans le détail, je retiendrai deux axes qui me paraissent fondamentaux dans ce rapport.
Le premier, tout le monde l’a dit, c’est le fait que les gouvernements successifs ont hésité à prendre des mesures coercitives d’obligation d’installation en fonction des besoins de chaque région, et je soutiens la défense de l’exercice libéral de la profession. En revanche, il ne faut pas oublier, comme l’a fait remarquer ma collègue du groupe CRC dont je retiens l’affirmation, une fois n’est pas coutume, que l’employeur des médecins, la sécurité sociale, c’est la collectivité nationale. Il est donc légitime que cette dernière veuille réguler les installations par des moyens financiers.
Il convient donc de trouver des solutions de conventionnement à plusieurs vitesses, de suppression des dépassements d’honoraires dans les zones surdotées. Avec ces éléments d’incitation financière et de renégociation des conventions en fonction des objectifs de la sécurité sociale, je pense que nous pourrions, à terme, obtenir des résultats.
Le deuxième axe, également évoqué par tous les intervenants, c’est la réforme des études médicales.
Chacun peut souscrire, je pense, à la plupart des orientations qui ont été présentées ou formulées dans le rapport. Sans aller jusqu’à l’obligation d’exercer en zone sous-dotée pendant trois ans en début de carrière, ne faudrait-il pas réfléchir à l’instauration d’un numerus clausus à l’entrée de l’université en fonction des besoins de la région dans laquelle celle-ci est située ? La plupart des jeunes médecins formés dans une université cherchent en effet à s’installer dans un périmètre relativement rapproché. C’est en tout cas le constat que nous faisons en région Centre : la majeure partie des médecins généralistes s’installent près de Tours alors qu’Orléans, qui n’abrite pas de faculté de médecine, continue d’être sous-dotée.
J’en ai parlé à quelques confrères libéraux exerçant en milieu rural ; ils souhaiteraient que puissent être organisés, un peu sur le mode des formations en alternance, des stages pratiques adossés aux hôpitaux locaux de proximité à partir de cellules décentralisées des universités, de manière à être sous le contrôle d’une équipe médicale locale et de s’intégrer dans la vie d’une commune, afin d’inciter les médecins, par la suite, à y demeurer.
Ces deux orientations – la modulation de l’installation par des différenciations de conventionnement sans remettre en cause la liberté d’installation et une réforme des études médicales dans un sens beaucoup plus pragmatique pour se rapprocher du terrain – me paraissent fondamentales. Aussi nécessaires soient-elles, ces mesures, qui devraient être mises en œuvre, à quelques nuances près, ne produiront cependant leurs effets qu’à moyen terme. Elles doivent donc être complétées.
Je voudrais insister plus spécifiquement, après mon collègue Daniel Laurent, sur les problèmes rencontrés en milieu rural. Les maisons et pôles de santé sont nécessaires, mais ils ne sont pas suffisants, ne serait-ce que parce qu’ils ne peuvent s’implanter que dans des villes importantes, au minimum des chefs-lieux de canton, sans compter le parcours du combattant que représente leur financement, avec le projet de santé, qui permet rarement d’aboutir rapidement. En l’espèce, Daniel Laurent et Jean-Luc Fichet l’ont souligné, il faudrait faire confiance aux initiatives des maires, car ce sont eux qui reçoivent les doléances de leurs administrés lorsque se pose un problème de désertification médicale.
L’une des préconisations du rapport n’emporte pas mon assentiment : je veux parler du développement de formes de médecine salariée dans des communes moyennes ou rurales. Je ne pense pas que ce soit une bonne solution, conforme à la façon dont on conçoit l’exercice en milieu rural.
En revanche, il faut développer, en les encadrant bien sûr, certaines pratiques comme les maisons médicales de garde, qui permettent de mutualiser les gardes de week-end et de nuit sur un même territoire. Il est rédhibitoire pour un médecin de devoir assurer une permanence tous les deux jours ; si les permanences sont espacées tous les huit, dix ou douze jours ou tous les dix ou douze week-ends grâce aux maisons médicales de garde, c’est tout de même un progrès important.
Il convient également d’envisager des transferts d’actes médicaux simples vers d’autres professions de santé, en particulier en milieu rural : les infirmiers, bien sûr, mais aussi les pharmaciens peuvent, dans certains cas, pallier l’insuffisance de médecins.
Le développement de la télémédecine est une évidence, ce qui implique évidemment la couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit. Mais nous savons que le Gouvernement s’est engagé dans cette voie.
Au-delà des maisons de santé pluridisciplinaires, il serait utile, comme nous l’avons fait dans le département du Loiret, d’aider les communes à aménager de petits locaux destinés à héberger un centre de télémédecine géré par un opérateur – une infirmière, par exemple – capable de le faire fonctionner, ou encore un secrétariat assurant les tâches administratives souvent perçues comme rébarbatives par les médecins. Et puis, lorsqu’une infirmière, un kinésithérapeute, un podologue sont regroupés dans un même lieu, cela ne peut qu’inciter un médecin généraliste à venir s’installer, comme cela s’est produit dans mon département.
Par ailleurs, il faudrait permettre à ces collectivités, sous la responsabilité du conseil général, d’organiser les transports afin que les personnes âgées ou isolées puissent se rendre dans ces maisons pluridisciplinaires ou ces petites unités.
C'est l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas en phase avec le rapport lorsqu’il préconise de faire des ARS le portail d’entrée unique des aides. Certes, les agences régionales de santé doivent réguler, mettre en œuvre un projet commun à partir des textes élaborés par le Gouvernement, mais elles doivent aussi laisser l’initiative aux collectivités locales, en particulier aux communes et aux communautés de communes, qui connaissent leur territoire. La rigidité de la démarche de certaines ARS – ce n’est pas une critique, c’est un constat – fera mauvais ménage avec des aménagements ou des initiatives en milieu rural.
En conclusion, à ces deux détails près, qui ont toutefois leur importance, il faut faire confiance aux communes pour apporter des solutions dans le cadre déterminé par la loi. Comme les élus de terrain ont montré leur capacité à agir d’une manière désordonnée, coordonnons leur action, mais laissons libre cours à leurs propositions, car je pense que nous aurons à y gagner. Le moment est venu de dépasser la polémique et les clivages politiques pour essayer de travailler en bonne intelligence sur le sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la ministre de la santé, je suis heureux de pouvoir m’adresser à vous une nouvelle fois dans cet hémicycle – nous commençons à bien nous connaître (Sourires.) –, mais le sujet qui nous réunit relève également de l’égalité des territoires. Il me semble que cela aurait été un signal fort que Mme Duflot soit parmi nous cet après-midi.
Comment est-il possible que se forment régulièrement des déserts médicaux dans un pays qui dispose d’un nombre globalement suffisant de médecins et consacre une fraction considérable de sa richesse aux dépenses de santé ? Pourquoi les mesures mises en place, lorsqu’elles l’ont été, se sont-elles révélées insuffisantes, voire inefficaces ? Prudence, c’est le mot que notre rapporteur a employé… Madame la ministre, je crois qu’il est temps, comme vous le faites, de continuer à faire preuve d’audace et de courage.
Une série de propositions relatives en particulier à la prise en compte de l’échelle territoriale pour mettre en œuvre une politique d’accès aux soins a retenu mon attention : la proposition n° 8, notamment, qui consiste à « favoriser l’exercice regroupé pluriprofessionnel en apportant un financement incitatif à l’installation en maisons et pôles de santé ». Pour illustrer comment une telle proposition peut être généralisée, laissez-moi vous expliquer la démarche de projet territorial de santé mise en œuvre par le département des Pyrénées-Atlantiques.
Face aux enjeux précédemment décrits par nos collègues, il est apparu que la création de maisons de santé pluridisciplinaires n’était pas forcément la seule solution au problème de désertification médicale. C’est néanmoins une première réponse. Notre conseil général a donc soutenu de nombreuses initiatives de maisons de santé pluridisciplinaires et de nombreux territoires se sont mobilisés autour de cette organisation, décrite dans un cahier des charges élaboré au niveau national. Cette organisation suppose un niveau élevé d’intégration des soins, ce qui est éloigné de la pratique actuelle de nos professionnels.
Par ailleurs, si la qualité du bâti peut être un élément d’attractivité pour les jeunes générations, c’est essentiellement la qualité de l’exercice professionnel proposé qui convainc aujourd’hui de l’installation. Je pense notamment aux regroupements, aux secrétariats médicaux ou aux systèmes d’information, autant d’éléments déjà évoqués par de nombreux collègues.
Parce qu’il faut repenser l’organisation collective des professionnels et déterminer ce qui peut les pousser à s’engager dans de nouveaux dispositifs attrayants, notre département a souhaité soutenir des projets au cœur desquels se trouvait l’innovation, non plus seulement en termes de bâti, mais aussi en termes d’organisation. Cette innovation passe par des dispositifs capables de faire levier auprès des professionnels libéraux et de susciter une dynamique locale en mobilisant les acteurs et professionnels de santé : les médecins, les infirmières, les professions paramédicales, les pharmaciens, mais également les services de soins infirmiers à domicile, les centres locaux d’information et de coordination et les pôles gérontologiques. Le but de ces dispositifs est de nous permettre réellement de répondre au défi de la transition démographique.
Nous soutenons donc des dispositifs innovants comme la PAIS, la plateforme alternative d’innovation en santé, débutée en 2009 dans le Loir-et-Cher et qui a permis de montrer l’intérêt de soutenir l’organisation collective de la médecine libérale.
Nous souhaitons également que notre département puisse expérimenter les nouvelles modalités de rémunération liées à l’organisation collective, et non plus individuelle, des médecins.
La dernière loi de financement de la sécurité sociale, présentée par vos soins, madame la ministre, met en place deux dispositifs expérimentaux pertinents, auxquels nous souhaitons participer.
L’article 45, portant sur les accords conventionnels interprofessionnels et les soins de proximité, propose de verser aux maisons, centres ou professionnels de santé s’engageant sur un objectif de coordination des soins de proximité des rémunérations spécifiques forfaitaires à négocier dans un cadre interprofessionnel.
L’article 48, traitant de l’expérimentation de parcours de santé des personnes âgées, dispose que, à compter du 1er janvier 2013 et pour une durée n’excédant pas cinq ans, des expérimentations peuvent être menées dans le cadre de projets pilotes mettant en œuvre de nouveaux modes d’organisation des soins destinés à optimiser le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie, en coordonnant des acteurs très divers, en dégageant des marges de manœuvre financières, en diminuant le recours à l’hospitalisation et sa durée.
Telles sont les dynamiques locales que je tenais à évoquer cet après-midi. Elles s’expriment au travers d’une mobilisation collective de tous les acteurs professionnels de santé d’un territoire donné et soulignent le besoin d’une organisation territorialisée, permettant de mettre en réseau l’ensemble des acteurs de santé et d’aborder de nouvelles pratiques.
Madame la ministre, nous comptons sur vous pour donner aux mesures incitatives la force dont elles ont besoin pour être efficaces.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais vous faire part, comme d’autres l’ont fait avant moi, de remarques tirées de mon expérience personnelle de médecin et de président de conseil général.
L’expression « déserts médicaux » me paraît trop générique. Les exemples locaux que je vais citer démontrent bien la diversité des situations.
Dans le canton de Montmirail, où il existe encore un hôpital local, même sans service actif, les postes de médecins hospitaliers sont pourvus, alors que les postes de médecins généralistes ne le sont pas. Les arguments sur l’attractivité du territoire, la nécessité de trouver un travail au conjoint ou l’éloignement d’un CHU sont battus en brèche dans ce cas de figure.
Certaines maisons de santé pluridisciplinaires qui ne trouvent pas de médecins libéraux font appel à des médecins étrangers, avec toutes les vicissitudes que cela engendre parfois, mais trouvent aussi une réponse en proposant des postes salariés. Il y a là une évolution des mentalités qui, d’une certaine manière, doit nous interpeller.
La maison de santé de Fère-Champenoise, établie sans projet médical, sans implication des médecins locaux, a trouvé très rapidement des médecins heureux de s’installer en milieu rural et désormais prêts à bâtir un projet médical adapté aux besoins de la population locale.
Le cas de la maison de santé de Dormans fait figure de contre-exemple : les professionnels étaient volontaires, mais il a fallu se battre comme un diable pour avoir la reconnaissance, le label et les subventions de l’État.
Tous ces exemples montrent bien que les situations locales sont très différentes. Françoise Férat pourrait citer son propre exemple : à Châtillon-sur-Marne, le projet de maison de santé, qui vise le label pôle d’excellence rurale, a été construit dans le plus grand consensus.
Mme Françoise Férat. Absolument !
M. René-Paul Savary. Par ailleurs, madame la ministre, je voudrais vous faire part de quelques réflexions précises, pouvant déboucher sur des propositions.
En matière de formation, plusieurs doyens de faculté de médecine française ont affirmé que le cursus médical dans certains pays était inférieur à celui qui est dispensé en France. Cela interpelle, compte tenu de la reconnaissance européenne des diplômes. Pendant ce temps, les médecins les mieux formés en France partent exercer dans d’autres pays, notamment au Canada et en Allemagne. C’est le « grand mercato » des médecins, comme l’écrivait récemment une analyste dans un journal bien connu.
Nos étudiants, quant à eux, lorsqu’ils se trouvent recalés en première année malgré des notes satisfaisantes, sont contraints de choisir un autre cursus en France – cela ne les empêche pas de réussir bien entendu –, tandis qu’ils peuvent s’inscrire dans des établissements de proches pays européens pour suivre des études de médecine non sélectives, moyennant finances. Il faut compter en général 5 000 euros de droits d’entrée.
En ce qui concerne le numerus clausus, les gouvernements successifs ont adopté depuis trop longtemps – j’ai été moi-même formé du temps du numerus clausus, ce qui remonte à un certain nombre d’années – l’idée selon laquelle plus les médecins étaient nombreux, plus cela coûterait cher à la sécurité sociale, donc à la nation.
Or la féminisation de la profession, la réduction du temps de travail, l’évolution des mentalités, la conciliation légitimement réclamée entre vie professionnelle et vie familiale, l’évolution du secteur médico-social, la protection maternelle et infantile, la pédopsychiatrie, les programmes de médicalisation des systèmes d’information dans les hôpitaux, les médecins spécialisés dans la reconnaissance du handicap, l’alourdissement des tâches administratives, les récupérations obligatoires des gardes de nuit – et j’en oublie sûrement – auraient dû inciter à pratiquement doubler le numerus clausus pour mettre en œuvre la politique nationale de médecine et répondre aux besoins de la population.
Enfin, en matière de gestion des cabinets médicaux, l’évolution informatique est nécessaire et évidente, mais les logiciels sont de plus en plus complexes, au nom de la sécurisation. De plus, la conformité des réponses médicales et les statistiques de suivi impliquent que les médecins généralistes soient en première ligne pour remonter les données exploitables. Mais pendant qu’ils font cela, ils ne soignent pas les malades !
En outre, la gestion du personnel au sein d’un cabinet médical de groupe est contraignante et peu adaptable. Les remplaçants, futurs associés, qui viennent travailler dans les cabinets médicaux ruraux sont toujours effarés par les frais de cabinet, les charges sociales, les assurances, les cotisations à la CARMF – la Caisse autonome de retraite des médecins de France –, les charges d’exploitation, la répartition de la cotisation foncière des entreprises ou les charges informatiques. II convient donc de mieux former les jeunes à ce type d’exercice et de réduire les contraintes de gestion, si l’on souhaite que ceux-ci s’investissent, notamment en milieu rural.
Pour conclure, je voudrais avancer, à titre tout à fait personnel, quelques propositions.
Afin de permettre à des jeunes de s’implanter sans avoir à s’associer à travers une société civile de moyens, ce qui est particulièrement contraignant, il est important de promouvoir, pour les médecins ayant soutenu leur thèse, le statut de collaborateur avec carte professionnelle de santé ou, pour les autres, le statut de remplaçant permanent avec utilisation de la carte professionnelle du médecin remplacé pour télétransmettre. En effet, par définition, s’il y a un remplaçant, le médecin attitré ne peut pas exercer et, par conséquent, une seule carte professionnelle suffit.
Il me semble également nécessaire de respecter la liberté d’installation individuelle pour permettre à un médecin généraliste motivé d’exercer sa vocation de médecin de famille là où il le souhaite, mais de soumettre à appel d’offres des conventions de secteur 1 pour des activités libérales ou salariées, à disposition des maisons de santé pluridisciplinaires sous-équipées. Il s’agirait là d’une mesure intermédiaire non contraignante, qui pourrait peut-être répondre aux besoins locaux.
Je ne reviens pas sur la nécessité d’ouvrir le numerus clausus.
Il faut par ailleurs reconnaître, dans le cadre des remboursements de la sécurité sociale, les transports à la demande dans les secteurs ruraux, ce qui n’est pas toujours le cas. Ces remboursements portent plus sur quelques euros que sur des dizaines d’euros !
Il m’apparaît souhaitable d’uniformiser, en Europe, les entrées dans la formation médicale, en plus de la reconnaissance du diplôme.
Tout en maintenant la médecine à l’acte, il convient de renforcer les mesures actuelles prévoyant des rémunérations complémentaires liées aux résultats épidémiologiques, aux équilibres biologiques et aux frais informatiques. Ce sont, me semble-t-il, de bonnes mesures.
En outre, madame la ministre, les décrets portant création d’une structure spécifique adaptée à l’exercice en groupe doivent être publiés. À ma connaissance, cette mesure avait été décidée dans le cadre de la loi HPST, mais n’a toujours pas été mise en œuvre.
Il faut faire confiance aux territoires pour proposer une solution plus adaptée aux besoins de la population locale qu’aux exigences nationales des ARS.
Enfin, il peut être utile d’autoriser le rattachement des maisons de santé pluridisciplinaires aux hôpitaux locaux, cette solution constituant une voie intéressante de conciliation entre secteurs public et privé.
Voilà donc quelques propositions, fondées sur trois principes : le compromis, la liberté et la souplesse.
Le compromis s’entend entre les territoires et la politique de santé.
La liberté d’installation est l’un des fondements du modèle médical français et sa remise en cause entraînerait fatalement des départs plus nombreux vers l’étranger. Toutefois, des incitations ou des adaptations territoriales peuvent s’envisager.
La souplesse du type d’exercice, enfin, est aussi à promouvoir. Comme le disent certains économistes, si la médecine à l’acte produit trop, la médecine salariée ne produit pas assez. La complémentarité des deux est peut-être la voie du consensus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Josette Durrieu applaudit également.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Jean-Luc Fichet, dont je salue le travail, ainsi que celui de M. le rapporteur, j’interviens en tant qu’élue d’un département plus marqué par de fortes disparités territoriales entre le littoral et l’intérieur des terres que par son appartenance, ou pas, à la ruralité. Et c’est sans parler des territoires insulaires qui subissent d’importantes variations saisonnières et souffrent de handicaps bien plus importants !
Avant d’aborder la situation spécifique de deux îles qui me sont chères, parce que proches et jumelées – Belle-Île-en-Mer et Marie-Galante –, j’interviendrai sur deux points déjà abordés au cours de ce débat, mais qui s’avèrent structurants pour nos élus et nos concitoyens : le renouvellement et l’installation des professionnels de santé.
Nous constatons les difficultés récurrentes à garantir la présence en nombre suffisant de médecins et de professionnels de santé dans certains territoires, même lorsque ces derniers sont dynamiques, bien dotés en infrastructures et situés à des distances raisonnables de villes moyennes. Malgré la mobilisation quotidienne des élus locaux, la recherche de nouveaux praticiens s’apparente à un véritable chemin de croix.
D’autres l’ont dit avant moi, plusieurs facteurs peuvent nous aider à comprendre ce phénomène : peur de l’installation et de la surcharge de travail pour des générations attachées à l’équilibre des temps de la vie – tout du moins à une certaine idée de la qualité de la vie – et prise en compte de la situation des conjoints. Autant de critères qui compromettent la durabilité des implantations et favorisent au contraire les remplacements et les temps partiels. Ces perspectives sont aggravées par le vieillissement des professionnels de santé, que l’augmentation récente du numerus clausus ne permettra pas de compenser.
Conformément à la démarche initiée par le Gouvernement, l’ARS de Bretagne a élaboré un pacte territoire-santé autour de douze engagements afin de lutter contre les déserts médicaux, trois mois après le lancement de cette réflexion collective le 25 février dernier, à Brest, en votre présence, madame la ministre.
Ces douze engagements font en partie écho aux propositions de l’excellent rapport de nos collègues dont je retiendrai deux mesures phares susceptibles d’apporter des réponses concrètes aux besoins de nos territoires, trop souvent confrontés à des candidatures exclusivement issues de pays étrangers ou obligés de faire appel, à un prix souvent prohibitif, à des cabinets de recrutement débordés.
La première mesure est que, face aux déficits constatés en matière de démographie médicale, le stage en médecine générale doit effectivement être généralisé à l’ensemble des étudiants en médecine. Vous l’avez dit, madame la ministre, si à peine 37 % des étudiants en deuxième cycle ont pu bénéficier d’un stage d’initiation à la médecine générale sur le plan national, certains CHU, tel celui de Brest par exemple, connaissent des taux allant jusqu’à 100 %. Il est donc temps de mettre un terme à ces disparités.
Ce stage doit permettre de déconstruire les représentations sur l’exercice libéral en zone rurale et faciliter la recherche de successeurs ou de renforts pour les médecins déjà installés. Dans cette perspective, il conviendra de poursuivre la mobilisation des médecins généralistes pour les inviter à accueillir les stagiaires et accroître les aides au logement et au transport pour inciter les étudiants à sortir des grandes villes ou des zones côtières.
S’il s’agit bien d’un enjeu national, n’oublions pas les responsabilités de chacun, en particulier celles des médecins en place qui doivent développer cette culture de l’anticipation et de l’accueil qui leur permettrait aussi d’actualiser leurs connaissances et leurs pratiques.
La seconde mesure prioritaire concerne le développement de stratégies collaboratives et le travail en équipe en garantissant notamment les moyens en faveur de l’accompagnement méthodologique et financier des pôles et des maisons de santé pluriprofessionnelles.
Les collectivités, vous le savez, madame la ministre, s’engagent massivement dans cette dynamique. Je pense tout particulièrement à une commune proche de la mienne, celle de Josselin, qui a fait construire une maison pluridisciplinaire de santé aux normes HQE et BBC, ouverte depuis l’été 2012, pour un coût de 1,5 million d’euros et qui accueille cinq cabinets médicaux et paramédicaux. Je pense encore à la commune de Le Palais, à Belle-Île-en-Mer, qui met à disposition un logement pour stagiaires et remplaçants, déboursant ainsi 7 000 euros par an en soutien des deux médecins agréés pour accueillir ces stagiaires.
Tout comme celui de son île jumelée, Marie-Galante, le cas de Belle-Île-en-Mer, dont la population explose pendant les périodes de congés, est particulièrement éclairant.
Après deux ans de travaux – je sais que vous ne l’ignorez pas – et de réflexions partagées entre l’ARS, le conseil général, le centre hospitalier Bretagne-Atlantique et tous les professionnels concernés – pompiers, sécurité civile, médecins, paramédicaux, sans oublier, s’agissant d’une île, la SNSM –, la signature du contrat local de santé, en janvier 2013, a permis de mettre un terme à la dégradation de la situation insulaire en ciblant trois besoins prioritaires : la permanence des soins, la prévention des addictions et le maintien à domicile.
L’implication de l’hôpital s’est révélée décisive pour organiser la venue de praticiens hospitaliers, et ce, je le rappelle, en remplacement des médecins « volants », ou remplaçants, rémunérés à l’époque 1 000 euros pour vingt-quatre heures de garde. Grâce à ce projet local de santé, un nouveau médecin est venu s’installer sur l’île en avril et un autre devrait suivre.
Si nous enregistrons donc de notables progrès pour Belle-Île-en-Mer, mon collègue Jacques Cornano, sénateur de Marie-Galante, déplore quant à lui la situation toujours très difficile de son île. L’avenir de l’hôpital pose problème et les pannes très fréquentes de l’hélicoptère assurant les rotations risquent de mettre à mal nos concitoyens ultramarins parfois en danger.
Quoi qu’il en soit, ces démarches volontaristes démontrent la nécessité et l’urgence d’une véritable territorialisation de la lutte contre les déserts médicaux, dans laquelle chacun devra assumer pleinement ses responsabilités - surtout l’État -, tant en matière de pilotage que de financement dans la durée afin de garantir la visibilité attendue par les professionnels, les élus et la population. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Compte tenu de nos contraintes horaires, liées à un ordre du jour comportant trois débats, je demanderai aux deux derniers orateurs inscrits de respecter leur temps de parole et à Mme la ministre de bien vouloir être très synthétique. Je vous remercie de votre compréhension.
La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, plutôt que de désert médical, je préfère parler de « fracture médicale » entre zone urbaine et zone rurale : déficit de généralistes, chacun s’est employé à le dire, mais aussi déficit grave de spécialistes - radiologues, ophtalmologistes, gynécologues,...
Permettez-moi d’évoquer ma propre expérience – ce que l’on connaît le mieux, c’est encore ce que l’on fait ! – dans le département des Hautes-Pyrénées, territoire rural et de montagne, qui compte seulement 230 000 habitants. Pour cette population vieillissante, nous manquons d’ophtalmologistes. Nous sommes également un département très touristique : notre population est multipliée par quatre en hiver et en été. Nous accueillons alors un million de vacanciers dans quatorze stations de ski et dix stations thermales. Or les touristes sont exigeants : disposer de médecins et d’un hôpital n’est plus un atout mais une condition à leur venue, et nous manquons aussi de radiologues et de chirurgiens traumatologistes.
Pour entrer un peu plus dans le détail, je voudrais dire un mot de l’hôpital psychiatrique de Lannemezan - qui est aussi un hôpital général -, dont j’ai la chance de présider le conseil de surveillance depuis longtemps. J’allais dire qu’il s’agit d’un petit hôpital, mais 1 500 lits, ce n’est tout de même pas tout petit !
Le bassin de vie de Lannemezan compte seulement 50 000 habitants, mais, avec cinq stations de ski et deux stations thermales, ce chiffre peut être multiplié par quatre : chaque année, 200 000 personnes passent dans ce bassin de vie.
Dans ces conditions, madame la ministre, et je confirme en cela les propos de M. Savary, nous avons essayé de faire face en créant, il y a maintenant quatre ans, un groupement de coopération sanitaire : dix-sept spécialistes et chirurgiens viennent de Toulouse – cela montre que rien n’est impossible et qu’il n’y a pas de fatalité absolue – et pratiquent, sans dépassement d’honoraires, une chirurgie ambulatoire essentiellement dans le domaine de la traumatologie. Nous avions fait un pari : c’est un pari gagné ! Il s’agit d’un succès étonnant : on peut venir à Lannemezan, même de Toulouse !
Je voudrais rappeler, même si cela fait mal, que, dans le même temps où était créé ce groupement - en 2008 -, la maternité fermait pour des raisons comptables, comme vous l’avez dit tout à l'heure. Or le fond des vallées n’a pas bougé : il est toujours à une heure de route, pas à trente minutes, et quinze accouchements en urgence ont eu lieu.
Je vous remercie, madame la ministre, pour le pacte territoire-santé et les douze engagements. Beaucoup de choses ont été dites, mais quelques questions demeurent sur le déficit des spécialistes, notamment sur le numerus clausus et les incitations. Peut-on renforcer encore les missions de l’hôpital public de proximité ? La consultation délocalisée permettra seulement de déployer les moyens dont nous disposons déjà. Les cabinets libéraux, avec conventions bien sûr, seront-ils concernés par ce dispositif ? Cette solution rassurerait certains.
Je voudrais également insister sur l’utilisation des nouvelles technologies. Je suis étonnée, cher collègue Hervé Maurey, vous qui êtes ici le spécialiste du numérique, que vous ne voyiez en elles que des réponses partielles. Il ne s’agit pas d’une évolution mais d’une révolution ! Nous avons beaucoup parlé de télémédecine, mais pourquoi ne pas aller plus loin et parler de télé-radiologie et de télé-échographie ? Je pense de manière incontestable que nous allons puiser là des réponses.
Je voudrais encore faire part de mon engagement personnel et évoquer ce « petit » hôpital depuis longtemps à la pointe en matière de télémédecine, avec Louis Lareng, puisqu’il se positionne juste derrière le CHU de Purpan à Toulouse.
Nous sommes porteurs d’un projet e-santé, sur le point d’être finalisé, qui s’appuie à la fois sur les usages du numérique et sur les technologies spatiales. La région Midi-Pyrénées vient de lancer un programme ambitieux et veut être au cœur de l’utilisation des technologies spatiales. Elle a choisi notre zone du piémont des Pyrénées, autour de l’hôpital de Lannemezan, comme zone pilote et de référence. Nous avons accepté cette proposition et élargi la zone à la chaîne des Pyrénées. Ce projet est engagé ; il sera finalisé d’ici à quelques semaines, en tout cas avant la fin de 2013. J’espère, madame la ministre, avoir suscité votre intérêt.
Pour finir, je voudrais vous interroger sur une autre expérience pilote en matière de télémédecine et de télé-radiologie pénitentiaires – car nous disposons aussi d’une centrale pénitentiaire ! –, qui vise bien évidemment à éviter les extractions de détenus, souvent compliquées à mettre en œuvre. Où en est-on de l’évaluation ? Une plus-value est-elle ressortie de cette expérimentation ? Quels seraient les crédits spécifiques – car tout passe par là - permettant d’intégrer cette technologie ?
Je conclurai en disant que nous disposons d’outils nouveaux qui resteront inertes si manquent la volonté et les crédits. « Faisons le pari de la confiance », avez-vous dit, madame la ministre. Nous vous faisons confiance ! (Mme Odette Herviaux et M. Michel Teston applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accès à la médecine de proximité est inégal en France, tout le monde l’a dit. Les territoires ruraux sont, plus que les autres, confrontés à cette inégalité en matière d’offre de soins.
En matière de désertification médicale, se référer à la densité de praticiens par territoire permet de cibler les zones les plus fragiles. Toutefois, on ne peut restreindre l’accès aux soins de la population à ce seul facteur de densité de l’offre médicale : il faut également tenir compte de facteurs économiques, sociaux et culturels.
Si le nombre de praticiens a globalement augmenté depuis trente ans, les zones dans lesquelles on ne trouve quasiment pas de médecins se sont paradoxalement étendues, notamment dans les territoires ruraux. Les écarts de couverture de la population sont ainsi de un à deux pour les généralistes et de un à huit pour les spécialistes.
Dans le département du Nord, le secteur rural du Cambrésis et de l’Avesnois - où a grandi Pierre Mauroy -, à l’amplitude géographique importante, souffre de ce phénomène alors que les secteurs urbains et particulièrement le centre de la métropole lilloise sont couverts de façon satisfaisante.
Cette situation était prévisible du fait de l’iniquité de la politique de santé publique menée ces dernières années, laquelle a participé à l’accroissement des inégalités infrarégionales, pourtant contenues grâce à l’engagement volontariste des collectivités locales dans le domaine de l’accès aux soins.
Cette situation, déjà inquiétante du fait que les étudiants en médecine, tout du moins deux tiers d’entre eux, n’envisagent pas d’exercer en milieu rural, devient franchement alarmante pour ces secteurs dans lesquels l’allongement de la durée de vie et le vieillissement de la population nécessitent des traitements adaptés.
Si de nombreux usagers sont concernés par des soins de premier recours, une approche plus globale d’aménagement médical du territoire doit être envisagée sur le long terme, permettant d’éviter les ruptures de prise en charge des patients, par exemple pour les personnes âgées ou celles en situation de handicap, et ainsi freiner le développement des déserts.
De plus, la désertification médicale étant aggravée par l’éloignement ou la disparition des petits établissements hospitaliers, la création de maisons de santé compte parmi les réponses adaptées pour équilibrer la densité médicale.
Je veux souligner votre volonté, madame la ministre, de vous attaquer aux déserts médicaux, à travers les douze engagements que vous avez présentés dans votre pacte territoire-santé et saluer le travail de nos collègues dont témoignent les propositions contenues dans le rapport d’information.
Dans tous les cas, le pragmatisme doit être privilégié. Cela permettra d’appréhender les difficultés en matière d’accès aux soins en fonction des contextes locaux et d’organiser ainsi une meilleure répartition des moyens dans les bassins de vie.
Cependant, il persiste une contradiction entre la nécessité de mettre en œuvre, après concertation, une carte médicale organisant la présence des médecins dans les zones désertifiées et l’attachement de la profession médicale à son caractère libéral et à sa liberté d’installation, qui conduisent à la surpopulation médicale à Paris ou sur la Côte d’Azur et à la disparition progressive des médecins de campagne, par exemple dans le sud du département du Nord. Dans cette zone, en effet, les perspectives en matière de démographie médicale sont tellement préoccupantes que des maires ont constitué un collectif sur le sujet. Ils m’ont même adressé un appel au secours, après l’annonce du départ des deux seuls médecins qui exerçaient conjointement sur huit communes, au cœur d’un même bassin de vie.
Plus de deux mille foyers sont concernés. Les habitants refusent d’avoir recours de manière systématique aux services des urgences de l’hôpital, aux services mobiles d’urgence et de réanimation, les SMUR, ou aux pompiers, dont le coût reste plus élevé que celui des solutions de proximité adaptées.
Les élus soulignent que des mesures financières d’incitation à l’installation de jeunes médecins généralistes ont déjà été prises, sans qu’elles aient d’incidence dans leur secteur, car le nombre de patients potentiels y est suffisant pour assurer des revenus réguliers et plus élevés que les 4 600 euros mensuels garantis par l’État. De surcroît, les médecins de communes voisines mais plus éloignées, déjà débordés, refusent d’accepter de nouveaux patients.
Des discriminations importantes existent donc selon le lieu de résidence. J’y suis moi-même confrontée avec Médi’ligne. Après un diagnostic réalisé en ligne, ce service téléphonique de régulation, situé à Lille, à plus de quatre-vingts kilomètres de mon domicile, peut donner un simple conseil au malade, lui proposer d’aller chez le médecin de permanence ou à la maison médicale, quand ils existent à proximité, de se rendre aux urgences de l’hôpital ou bien d’appeler le 15. Cela contribue, hélas ! à la surcharge de l’hôpital public le week-end ou la nuit, alors qu’il peut s’agir de pathologies simples, qui, si elles ne requièrent pas d’hospitalisation, viennent encombrer les services d’urgence.
Dans la plupart des cas, il appartient au patient de se déplacer, quel que soit son état de santé, sur des distances qui demandent bien souvent plus de trente minutes – la durée de trajet maximale que vous avez évoquée, madame la ministre – pour être parcourues.
Les territoires ruraux et déserts doivent donc faire l’objet d’une attention bienveillante de la part des pouvoirs publics, dans la perspective d’un rééquilibrage de l’offre médicale.
Pour résumer la situation, j’ai constaté qu’il était désormais plus facile de trouver un vétérinaire d’astreinte qu’un médecin de permanence.
M. Roland du Luart. C’est vrai !
Mme Delphine Bataille. C’est pourquoi l’égalité d’accès aux soins doit être envisagée de manière urgente, dans le cadre d’une politique globale d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. J’ai bien compris, monsieur le président, que mon intervention devait être brève en raison d’un ordre du jour chargé. Je prie donc par avance le Sénat de bien vouloir m’excuser si mes réponses lui paraissent trop schématiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat très riche éclaire les enjeux qui s’attachent à la présence médicale de professionnels de santé sur l’ensemble de nos territoires. Vous me permettrez cependant de ne pas apporter de réponses aux questions locales que vous avez évoquées. Mon cabinet se tient bien entendu à votre disposition pour poursuivre des débats que nous avons, pour l’essentiel, largement engagés, portant sur les structures présentes au sein de vos départements.
Je tiens à le souligner, nous faisons face à un enjeu de service public au sens large, puisqu’il peut être assumé par des professionnels libéraux ou par des professionnels salariés d’un service du secteur public.
L’idée de service public doit trouver son prolongement dans l’ancrage territorial, qui, si nous voulons penser l’avenir de notre système de santé, m’apparaît absolument nécessaire. C’est dans cet esprit que je présenterai, l’année prochaine, un projet de loi de santé publique, qui précisera la notion même de service public territorial de santé. C’est bien à l’échelle d’un territoire, dont il faut d’ailleurs déterminer les limites, que nous devons concevoir la mise en place des politiques de santé et de l’offre de soins, notamment. Je le répète, c’est dans cet esprit que sera élaborée la stratégie nationale de santé. Elle devra s’attacher à concevoir une offre de soins capable de prendre en compte les besoins d’une population donnée sur un territoire précis.
Comme je l’ai déjà dit, nous devons être conscients que le temps où il y avait un médecin par village est révolu. Il nous faut donc étudier la question des pôles de santé de proximité ou des maisons de santé pluriprofessionnelles – des lieux de relations entre professionnels de premier recours – et celle de leur articulation avec les hôpitaux, afin que leur action puisse correctement irriguer un bassin de vie.
Il faut que ces lieux soient accessibles : les malades doivent pouvoir s’y rendre et obtenir un rendez-vous rapidement. Je souscris pleinement à l’analyse qui a été faite au cours du débat : l’accessibilité de ces lieux ne se résume pas au nombre de kilomètres à parcourir pour s’y rendre, elle se mesure également au temps nécessaire pour y obtenir un rendez-vous. Cet enjeu me paraît tout à fait important.
J’ai entendu vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, et j’ai pu constater que de nombreuses mesures proposées dans le rapport rédigé par M. Maurey recoupaient celles du pacte territoire-santé. Vous avez plus particulièrement insisté sur certaines d’entre elles, que je mentionne pour mémoire.
La formation des médecins généralistes a été évoquée. Elle implique toute une série de transformations, y compris dans la manière de concevoir les maisons de santé pluriprofessionnelles.
Le travail en équipe a également été mentionné. J’y insiste à mon tour, car je suis convaincue qu’il y a là un enjeu majeur. Pour attirer les professionnels, il faut transformer les conditions d’exercice des métiers ; c’est ce que demandent les plus jeunes d’entre eux.
La question de la présence des hôpitaux de proximité a été abordée, qui ne se réduit pas à celle de l’implantation de la structure en tant que telle. Elle a également trait à la manière dont s’articule la prise en charge des malades entre les soins de premier recours, l’hôpital de proximité et le CHU pour les interventions plus lourdes.
Enfin, il a été discuté de la place de la télémédecine, qui est l’un des éléments de l’articulation que je viens d’évoquer, et de la coopération entre professionnels. Je ne m’attarderai pas davantage sur ces sujets, même s’ils me paraissent tout à fait essentiels.
D’autres points ont été soulevés, qui méritent sans doute d’être approfondis.
Vous avez indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il était nécessaire de garantir le rôle de la puissance publique régulatrice dans le choix des lieux d’installation des maisons de santé. Je crois tout à fait en cela. J’ai entendu les interrogations portant sur la pérennité du fonds chargé de financer ces projets. Je tiens à vous dire que nous avons mis en place un schéma régional d’investissement, qui doit pouvoir s’appliquer aussi aux maisons de santé.
L’idée, c’est que l’agence régionale de santé doit pouvoir identifier les territoires et investissements prioritaires, qu’ils soient hospitaliers ou de médecine de premier recours, de manière à s’attaquer au problème de la répartition territoriale, que j’évoquais il y a un instant. Il ne sert pas à grand-chose, en effet, de construire trois maisons de santé, ici considérées comme de simples projets immobiliers, dans un rayon de cinq ou dix kilomètres, si c’est pour n’en trouver aucune autre avant quarante kilomètres ! Nous devons concevoir une carte,…
Mme Évelyne Didier. Un maillage !
Mme Marisol Touraine, ministre. … qui ne soit pas absolument contraignante, mais qui détermine les lieux d’investissement prioritaire pour la puissance publique.
L’identification de ces lieux, d’ailleurs, est largement engagée, à travers les schémas régionaux d’organisation des soins, qui ont été élaborés par les agences régionales de santé. Cet exercice ne me semble pas suffisamment connu ou partagé. Je souhaite donc que les agences régionales de santé fassent connaître leur analyse.
Je vous l’ai dit, pour moi, le succès du pacte viendra de la mobilisation de tous, en particulier d’une administration qui, jusqu’à maintenant, n’a pas fait de la lutte contre les déserts médicaux un enjeu prioritaire.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. C’est vrai !
Mme Marisol Touraine, ministre. Je réunis les agences régionales de santé tous les mois. Je souhaite – et je le leur dirai – que chaque directeur d’agence régionale de santé poursuive le travail engagé à l’occasion de la mise en place de la déclinaison locale du pacte territoire-santé, qui avait donné lieu à des réunions départementales, pour l’essentiel, de très bonne qualité. (M. le président de la commission du développement durable acquiesce.) J’ai eu l’occasion de participer à un certain nombre d’entre elles, et je puis en témoigner.
Je souhaite donc que les agences régionales de santé reproduisent ce genre d’événement, en coopération avec les élus et les parlementaires, qu’elles préparent des rencontres, région par région ou département par département – à elles de s’organiser –, afin d’échanger avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la question de la définition des lieux prioritaires. Ce sera également l’occasion de discuter des endroits où les efforts doivent d’abord être accomplis, de faire l’état des lieux des engagements pris par le Gouvernement sur le pacte territoire-santé et d’en étudier la déclinaison locale. Cette question est de première importance.
De ce point de vue, je ne crois pas que des changements majeurs soient à attendre de la réorganisation du numerus clausus. En réalité, ce dernier est davantage une manière d’organiser la formation des étudiants que de réguler leur installation. (M. Ronan Dantec acquiesce.) Cela dit, nous constatons que les étudiants s’établissent à proximité de leur lieu d’études.
M. Alain Milon. Tout à fait !
Mme Marisol Touraine, ministre. Le numerus clausus est décliné régionalement, spécialité par spécialité. À mon sens, donc, la régionalisation du numerus clausus – sur laquelle on peut réfléchir, aucune discussion ne doit être fermée par principe – existe déjà de facto. Sous sa forme actuelle, on indique, par exemple, le nombre de dermatologues dans la région Centre, ou le nombre de gynécologues médicaux dans la région Pays de la Loire. Cela revient, en quelque sorte, à « flécher » les professionnels sur des territoires. Une régionalisation plus structurée, mise en place dès le début des études, n’est pas forcément une solution qui bouleverserait la donne. Vous l’aurez compris, je n’aurai pas d’états d’âme à étudier cette possibilité, mais je ne suis pas convaincue qu’il y ait grand-chose à en attendre.
J’en viens à la question du salariat. Vous l’avez dit, madame Didier, le salariat est une option. Je tiens à vous le signaler, mesdames, messieurs les sénateurs, la Fédération nationale des centres de santé, qui s’est d’ailleurs publiquement réjouie que le rôle des centres de santé soit reconnu dans le pacte territoire-santé, a souhaité la reconduction tacite de la convention, afin de permettre à la réflexion sur l’évolution des modes de rémunération de ces centres de s’achever. Nous travaillons en lien avec elle sur ce point. Je suis donc convaincue que le salariat est une réponse – même si elle ne l’est pas partout –, aussi bien pour les centres de santé que pour l’hôpital public.
Cela m’amène à ma conclusion : nous n’avons pas à opposer, dans nos territoires, le privé et le public, la médecine libérale et le service hospitalier public. Nous devons faire en sorte que chacun des acteurs, à sa place, selon ses caractéristiques et son rôle, puisse contribuer à ce que l’ensemble de nos concitoyens, sur tout le territoire, bénéficient de services de santé de qualité. C’est le travail auquel je me suis attelée, et je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’agir pour que l’égalité d’accès aux soins soit plus que jamais une priorité vivante de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les déserts médicaux.
8
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jacques Bialski, qui fut sénateur du Nord de 1979 à 1997.
9
Demande d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article 1er de la loi n° 80-3 du 4 janvier 1980, M. le Premier ministre a, par lettre en date du 11 juin 2013, demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de Mme Élisabeth Ayrault à la présidence du directoire de la Compagnie nationale du Rhône.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.
Acte est donné de cette communication.
(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Léonce Dupont au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
10
Débat sur le bilan d’application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan d’application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, notre commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est très mobilisée cet après-midi, car nous venons juste de terminer la réunion consacrée à l’examen du bilan annuel d’application des lois, que j’aurai l’honneur de présenter au Sénat le 25 juin.
Je n’aborderai pas dès maintenant les conclusions générales de cette réunion. Elles figureront dans le rapport écrit qui sera distribué dans quelques jours. Je saisis cependant l’occasion pour souligner combien nos travaux ont été soutenus et diversifiés depuis la mise en place effective de notre commission, au mois de janvier 2012.
Avec l’aide des commissions permanentes, nous avons notamment présenté dix rapports thématiques, dont celui qui est consacré à la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », et plusieurs ont donné lieu à des débats en séance publique.
Bien entendu, ces rapports ne se contentent pas de comptabiliser les décrets d’application ou leur délai de parution. En effet, même si un tel travail a toute son utilité, il est loin de la conception à la fois plus ambitieuse et plus utile que je me fais du contrôle de l’application des lois. Pour moi, l’évaluation des politiques publiques et le contrôle de l’application vont de pair. Dans un paysage législatif encombré, complexe et, hélas ! parfois de plus en plus décrié, le Parlement ne peut plus être une machine à voter loi sur loi. Avant d’imposer des règles nouvelles, nous devons d’abord vérifier comment s’appliquent les règles existantes et nous interroger sur la nécessité d’en adopter de nouvelles.
Il serait illusoire et contre-productif d’établir une césure trop artificielle entre la fonction de contrôle et la fonction législative proprement dite. Quand nous faisons le bilan d’une législation, nous sommes le plus souvent amenés à y détecter des lacunes ou des points susceptibles d’amélioration, ce qui débouche naturellement sur des propositions fondées sur un véritable retour d’expérience.
Fidèle à cette logique, ma commission attache beaucoup d’importance à travailler par priorité sur des législations devant être remises en chantier dans les semaines ou les mois à venir. En effet, si le Sénat doit modifier un texte important ou revoir un pan de la législation en vigueur, il est utile de pouvoir lui fournir, avant le début de ses travaux, un état des lieux aussi précis que possible du droit en vigueur et de la manière dont il s’applique. Ce travail de « défrichage », si vous me permettez l’expression, permettra d’engager l’action législative proprement dite en meilleure connaissance de cause.
Telle est bien la démarche suivie pour la loi sur les universités, qui nous retient aujourd’hui. Grâce à nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, ma commission a pu présenter son rapport à la fin du mois de mars, peu avant que le Sénat ne soit saisi du projet de loi du Gouvernement, dont la commission de la culture va discuter dès demain matin et qui devrait être examiné en séance publique à partir du 19 juin. Notre méthode est donc d’évaluer les dispositifs existants, en l’occurrence la loi LRU, pour pouvoir ensuite envisager sereinement une nouvelle réforme relative à l’université.
Nous mesurons tous l’importance d’une telle réforme. Le Président de la République et le Gouvernement souhaitent donner à l’enseignement supérieur et à la recherche une place essentielle dans le redressement du pays. Elle devra répondre aux attentes de tous les Français, pour qui l’enseignement à tous les niveaux est l’une des missions essentielles de la puissance publique, au service de l’avenir.
Ma commission est donc fière d’apporter sa contribution à cette vaste entreprise, sur la base d’un bilan d’autant plus objectif qu’il a été établi par deux rapporteurs de sensibilités politiques différentes. Je leur laisserai bien entendu le soin de vous présenter le détail de leur rapport, pour n’en retenir que quelques points saillants illustrant bien, me semble-t-il, la démarche que je viens d’exposer. Je me permettrai également de vous faire part de quelques observations personnelles. J’ai moi-même été très engagé dans le débat sur la loi LRU et, du fait de ma propre expérience, je connais bien le sujet.
Notre première préoccupation a été d’identifier les forces et les faiblesses du système actuel et de pointer plusieurs problèmes que, malgré des moyens non négligeables, les lois antérieures, notamment la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche et la loi LRU de 2007, n’ont pas permis de résoudre, voire ont parfois aggravés.
Si la loi LRU a ouvert aux universités des espaces d’autonomie – mais on pouvait craindre à l’époque une aggravation des distorsions entre les petites et les grandes universités –, elle a suscité en contrepartie d’une telle évolution, qui était souhaitée, un travers que nos rapporteurs qualifient de tendance à « l’emballement » dans la définition des politiques de formation. De fait, désireuses de se démarquer le mieux possible des autres établissements, dans une perspective de concurrence, certaines universités ont multiplié les diplômes novateurs, aux libellés parfois insolites ou confus, sans toujours être certaines de leur soutenabilité financière ou de la coïncidence entre ces formations nouvelles et la demande des milieux économiques locaux.
Si la loi LRU a voulu ouvrir plus largement les universités sur le monde économique, les collaborations sont encore à ce jour assez « balbutiantes », pour reprendre l’expression de nos rapporteurs. Du coup, le pont entre l’université et les entreprises ne fonctionne pas à plein régime, comme le montrent en particulier les résultats médiocres en matière d’orientation et d’insertion professionnelle. Or c’est le sujet majeur de l’université aujourd'hui.
Si un certain nombre d’établissements déploient des efforts méritoires vers une meilleure professionnalisation des diplômes, la prise en compte fine des attentes des entreprises ne fait pas encore partie intégrante de la culture des enseignants-chercheurs.
Sur le plan de la gouvernance, la loi LRU a placé le conseil d’administration au cœur du système. Elle en a fait le seul organe délibératif chargé de définir la stratégie à poursuivre et la politique de l’établissement. À l’époque, nous avions pointé la tendance à négliger la collégialité, qui est pourtant nécessaire ; nous avons constaté à l’usage que nos craintes étaient fondées.
Comme le montre le rapport de notre commission, la pratique s’est révélée plus laborieuse, avec une longue période de rodage avant de trouver les bons mécanismes de concertation et de préparation des réunions du conseil d’administration. En outre, beaucoup dénoncent les interminables réunions du conseil, où sont traités des dossiers techniques peu stratégiques, voire exclusivement catégoriels. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que certains membres du conseil manifestent à la longue de la lassitude et, parfois, un réel manque d’assiduité. D’ailleurs, nous connaissons parfois aussi cela dans cet hémicycle…
Réunions fleuves, dossiers trop techniques, mauvaise perception des enjeux, absentéisme... Il faut prêter attention à ces phénomènes, mes chers collègues, d’autant que nos réunions de commissions et nos séances publiques souffrent des mêmes maux.
L’un des dispositifs les plus novateurs de la loi LRU, qui résidait dans les mécanismes de pilotage et de gestion prospective, visait à donner aux établissements une visibilité pluriannuelle sur leurs ressources humaines, financières et immobilières et sur leurs dépenses, compte tenu des priorités de leur contrat d’établissement. Or, avec cinq ans de recul, on constate tout de même que ces ambitions sont loin d’avoir produit tous les résultats escomptés. Comme le relèvent à juste titre nos deux rapporteurs, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique.
De leur côté, les services centraux du ministère ont-ils suffisamment accompagné ces évolutions ? On peut en douter, aucun outil de suivi et de support n’ayant été mis en place au niveau national, notamment pour aider les universités à gérer leur masse salariale, dont je vous rappelle qu’elle représente pourtant jusqu’à 80 % du total des moyens récurrents attribués.
Les rapporteurs vous présenteront de manière plus précise et approfondie les conclusions de leurs travaux. À présent, j’aimerais vous faire part de quelques observations personnelles.
Si la loi a engagé des réformes structurelles, notamment l’autonomie, qui était souhaitée à la fois par la majorité et l’opposition d’alors, d’autres objectifs n’ont pas été atteints. D’une part, l’échec en premier cycle n’a pas été endigué. D’autre part, alors qu’il était question de mettre l’orientation professionnelle au cœur de la politique universitaire, on constate de graves lacunes à cet égard.
Le débat qui va s’engager à partir à la fois de notre diagnostic et du prochain texte dont nous serons saisis va nous permettre non seulement d’examiner ce qui a été efficace et ce qui ne l’a pas été, mais également d’envisager une étape nouvelle pour que l’enseignement supérieur et la recherche soient au cœur du redressement de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, rapporteur.
Mme Dominique Gillot, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au bout de cinq ans, il s’agissait non pas de refaire le travail des experts, mais bien d’identifier, dans une démarche objective, autant les avancées que les difficultés rencontrées par la communauté universitaire dans la mise en place de cette loi visant à renforcer l’autonomie des universités. Une telle évaluation nous est aujourd'hui utile dans l’examen du nouveau projet de loi pour estimer ce qu’il convient de modifier ou de conserver.
La loi LRU prétendait libérer la capacité d’innovation des établissements dans l’élaboration d’une politique de formation et de recherche qui leur soit propre, tout en les responsabilisant dans le financement et la gestion de leurs activités.
L’adaptabilité du projet de chaque établissement aux besoins de formation et de recherche de son territoire, aux moyens disponibles, en même temps qu’aux exigences de la concurrence nationale et internationale postulait une optimisation de l’utilisation de l’ensemble des ressources humaines, budgétaires et patrimoniales dans le cadre d’un budget global. Elle nécessitait un examen prospectif de la soutenabilité des projets portés par les équipes de direction, de l’université comme de chaque composante, responsabilisées dans l’emploi de leurs moyens.
La méthode, qualifiée de « saucissonnage et enfumage » par les acteurs de « Sauvons la recherche », a fait que l’ensemble des textes d’application requis par la loi ont donc bien été pris par le pouvoir réglementaire et mis en œuvre avec plus ou moins de difficulté, plus ou moins de réussite et beaucoup de ressenti négatif.
Les établissements auraient dû développer des outils de prospective, de pilotage et de gestion pour disposer d’une visibilité pluriannuelle de leurs ressources et des dépenses correspondantes, en fonction des priorités de leur contrat d’établissement. Cela supposait que les équipes dirigeantes et les services centraux aient pu s’appuyer sur des données comptables, régulièrement réactualisées, à partir de tableaux de bord pluriannuels et d’une comptabilité analytique révélant la vérité des coûts.
Cinq ans après l’adoption de la loi, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique. En l’absence d’outils de gestion prospective, les universités ont eu bien des difficultés à anticiper des marges de manœuvre budgétaires.
Préalablement au passage à l’autonomie, l’État n’a pas défini de référentiel de gestion commun à l’ensemble des universités, qui leur aurait permis d’organiser la collecte, l’analyse, le partage et l’évaluation d’informations fiables et cohérentes.
De 2009 à 2012, les services centraux du ministère ont juste contemplé le passage des universités aux responsabilités et compétences élargies, RCE, même celles pour lesquelles l’avis de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR, était négatif.
Aucun outil de suivi et de support n’a été mis en place au niveau national pour accompagner les établissements dans la gestion d’une masse salariale, qui, représentant jusqu’à 80 % du total des moyens récurrents dévolus, a largement contribué à la rigidification des budgets qui alimente les principales craintes pour l’avenir.
Dans ces conditions, l’Agence de mutualisation des universités et établissements, l’AMUE, et les universités ont navigué à vue dans l’élaboration parfois aléatoire d’outils de gestion partagés. Nombre d’entre elles ont fait le choix de développer en interne leurs propres instruments de gestion, bien souvent en faisant appel à des prestataires extérieurs.
Malgré les efforts pour la création d’emplois de catégorie A, les établissements souffrent de l’absence d’un vivier de compétences d’encadrement administratif de haut niveau adaptées à la spécificité des universités.
Depuis l’été 2012, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a mis en œuvre une politique plus attentive : diagnostic, accompagnement et remédiation des situations déficitaires. Un tableau de bord de suivi de la situation financière de chaque établissement a été mis en place servant de support à l’analyse de l’origine des déficits ou des dérapages. Des « diagnostics flashs », conduits par des experts à l’indépendance et la compétence reconnues, ont permis une analyse partagée et la recherche des meilleures voies de redressement avec les équipes de direction.
Ce système d’accompagnement fonctionne et soutient les équipes de direction responsables, qui, se refusant au fatalisme, s’approprient les nouvelles potentialités de l’autonomie pour en faire un levier de progrès.
Le dialogue de gestion des universités avec leurs composantes est encore à parachever. La formalisation du dialogue de gestion est pourtant incontournable. Or on observe que les composantes de certaines universités sont restées dans une logique de moyens et non de projet global, en raison soit d’un passage aux RCE encore trop récent, soit de résistances culturelles et de logiques facultaires persistantes.
L’obligation légale d’une certification annuelle des comptes des universités a été en revanche pleinement respectée, et beaucoup d’entre elles sont désormais dotées d’un contrôleur de gestion.
Le transfert de la gestion des personnels est majoritairement identifié comme le défi le plus redoutable du passage à l’autonomie. Si la capacité à anticiper avec précision l’évolution pluriannuelle de la masse salariale, dans une démarche prospective, est déterminante pour la maîtrise de la trajectoire budgétaire et financière, c’est souvent une révolution conceptuelle qui nécessite des fonctions support encore en construction.
D’une façon générale, les progrès restent limités en termes de gestion pluriannuelle des emplois et des compétences. Ainsi, le nombre de contractuels dans l’enseignement supérieur, y compris chez les enseignants, a explosé pour atteindre 30 %. C’est particulièrement préoccupant, même si les universités ont été amenées à recruter des personnels administratifs supplémentaires afin de renforcer leurs services de pilotage.
Le recours aux « post-doc » en tant que techniciens de laboratoire haut de gamme entraîne une précarisation croissante de ces emplois très qualifiés, dont l’évolution de carrière n’est pas prise en considération au niveau de l’université.
La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs a aussi été modifiée.
Malgré les difficultés rencontrées dans la mise en place des comités de sélection, les délais de recrutement ne se sont pas allongés et le phénomène du localisme semble avoir diminué.
Quant au droit de veto d’un président d’université pour s’opposer à la nomination d’un enseignant-chercheur, il a connu une application rare : de 2007 à 2011, il n’a concerné que quarante-sept postes, soit 0,25 % des postes publiés.
En matière de financement, les établissements n’ont pas été aidés par les vices de conception du modèle SYMPA – le système de répartition des moyens à la performance et à l’activité – et les atermoiements de l’administration dans son application. Sans parler des insuffisances de sa critérisation, c’est la non-application stricte du modèle qui a été critiquée par les universités.
La capacité prospective des universités dans leur pilotage budgétaire s’est trouvée pénalisée, perturbée par des recours excessifs aux appels à projets facteurs de dépenses, en énergie et en moyens, disproportionnées pour des financements non récurrents.
La diversification des sources de financement, qui était un objectif majeur de la loi LRU, a été limitée. Les fondations partenariales et universitaires, au nombre d’une cinquantaine au final, ont permis la levée de fonds d’une ampleur assez faible. Toutes les universités ne sont pas armées pour attirer des partenaires puissants. La dégradation du contexte économique a aussi tari les sources de financements complémentaires.
Les recettes potentielles de la formation continue ont également connu des freins. Il s’agit d’une mission insuffisamment contractualisée et pour laquelle les enseignants-chercheurs éprouvent encore peu d’expérience et peu d’appétence.
Quant à la ressource patrimoniale, elle est quasiment inconnue dans les bilans des universités. Seules trois universités volontaires sélectionnées expérimentent la dévolution de la gestion de leur patrimoine. La difficulté pour les établissements de renforcer leurs services de pilotage et l’incapacité pour l’État d’assurer le financement pérenne de la remise à niveau des bâtiments transférés expliquent la suspension du processus jusqu’à nouvel ordre.
En ce qui concerne l’évaluation, d’une façon générale, l’ensemble des équipes dirigeantes des universités visitées ont insisté sur la nécessité d’une évaluation externe et indépendante perçue comme un levier d’amélioration du projet stratégique de l’établissement, et non comme une sanction.
La notation a été ressentie comme pénalisante aussi bien pour les équipes de recherche que pour les formations.
L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, créée par la loi de programme pour la recherche de 2006, tenant compte des critiques formulées, a dû faire preuve de souplesse et évoluer, notamment sur la notation, le format des dossiers d’évaluation et la composition des équipes.
De l’avis général des universités visitées, il ne faut pas revenir à l’état antérieur d’une évaluation interne totalement déconnectée d’un cadre national régulé. Les universités m’ont donc semblé revendiquer clairement le maintien d’une évaluation de la formation externe, indépendante et transparente.
En matière de recherche, elles insistent sur la nécessité de disposer d’un cadre national d’évaluation structurant, garanti par une agence nationale.
À l’heure actuelle, l’évaluation individuelle des enseignants-chercheurs est réalisée soit au niveau national par le Conseil national des universités, le CNU, soit au niveau local par l’établissement selon des procédures multiples en fonction des motifs d’évaluation. Ces évaluations, faites sur la base de dossiers jugés trop formels, sont critiquées pour leur manque de singularisation par rapport au profil du candidat.
Les universités m’ont également signalé la nécessité de mieux valoriser les enseignants du second degré dans les universités, car leur carrière se trouve souvent pénalisée par le choix d’intégrer l’enseignement supérieur. Ce problème doit être réglé puisque les enseignants du second degré seront de plus en plus sollicités pour assurer des enseignements transversaux et garantir la continuité du lien avec l’enseignement secondaire dans les équipes pédagogiques mixtes.
Chacun s’accorde à admettre que, au-delà des points décrits dans mon rapport, qui appellent des modifications, des précisions, des clarifications, voire des rééquilibrages, sinon financiers, du moins budgétaires, les nouvelles pratiques entraînées par la loi LRU sont à parfaire en termes de collégialité, de maîtrise des fonctions support et de liberté d’action pour nouer des partenariats autour de l’université.
Le plan de réussite étudiante en premier cycle, largement communiqué dans la loi LRU, n’a pas été suivi d’effets. Les échecs, les abandons, les frustrations sont un véritable gâchis pour la jeunesse qui aspire légitimement à une formation supérieure.
Il est impératif d’adapter et de concentrer nos efforts pour signifier notre considération envers la jeunesse de notre pays, porteuse de promotion sociale durable.
La demande de transparence, de sincérité budgétaire, de respect des critères de dotation équilibrée pour faire vivre l’enseignement et la recherche au bénéfice de la réussite étudiante, des statuts et de la qualité de vie professionnelle des enseignants-chercheurs est très forte.
Les universitaires veulent de la reconnaissance. Dévoués à leur mission, ils ont conscience de leur rôle dans la structuration de notre société, de leur place dans l’effort de redressement de la nation.
Deux éléments sont déterminants dans le succès d’une réforme : le temps et les moyens. Il faut laisser le temps aux réformes d’ampleur de produire leurs effets dans la durée, surtout lorsqu’elles se voient opposer en interne de fortes résistances culturelles.
Dans la mise en œuvre de l’autonomie, un grand nombre d’établissements ont fait preuve de créativité et de diplomatie auprès de leur communauté universitaire. Une abrogation pure et simple de la loi LRU aurait été une perturbation et un frein à la modernisation des pratiques expérimentées jusqu’ici, une souffrance de plus infligée à une communauté largement éprouvée.
Il faut des moyens qui donnent confiance dans l’avenir, il faut de l’ambition. Les attentes des universités se concentrent d’abord sur la nécessité d’évaluer, dans un cadre transparent et impartial, le coût des charges qui leur ont été transférées, et sur celle d’assurer un rééquilibrage entre les universités traditionnellement sous-dotées et celles qui sont mieux armées. On est d’autant plus prêt et enthousiaste à l’idée d’assumer de nouvelles responsabilités que l’on sait que l’on disposera sur la durée des moyens pour apprendre à le faire, et qu’on le fait dans un contexte équitable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont, rapporteur.
M. Ambroise Dupont, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi LRU avait pour objet de remettre l’université au cœur du système d’enseignement supérieur et de recherche.
Le paysage universitaire et scientifique français place, de longue date, l’université face à la dualité suivante : l’excellence scientifique reste encore bien souvent l’apanage des organismes de recherche, et l’excellence pédagogique celui des grandes écoles et des filières sélectives. Dans ces conditions, l’université, qui est pourtant la seule à faire le lien entre l’enseignement et la recherche, peine à s’imposer comme le carrefour de l’excellence pédagogique et scientifique.
Le premier objectif de la loi LRU a donc été d’introduire au sein des universités un nouveau paradigme : leur confier une autonomie dans la définition de leurs orientations stratégiques, de leurs priorités budgétaires et dans la gestion de leurs ressources humaines afin de libérer leur capacité d’innovation pour l’élaboration d’une politique de formation et de recherche qui leur soit propre.
Ce changement de culture au sein des universités, qui a consisté à les responsabiliser dans le choix de leurs priorités et dans l’affectation des moyens correspondants, s’inscrit dans le droit fil des innovations de la loi de programme pour la recherche de 2006, dite « loi Goulard ». Au travers de la mise en place d’instruments de coopération, en particulier les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les universités autonomes avaient vocation à coordonner leur offre de formation et de recherche sur un territoire donné avec tous les autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
À ce stade, permettez-moi de dresser un tableau de tout ce qui a été fait en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 2006.
Tout d’abord, vingt-quatre pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, ont été créés. La quasi-majorité des universités en font partie.
Ensuite, la totalité des universités est passée aux responsabilités et compétences élargies de la loi LRU, et une majorité d’entre elles n’entendent pas revenir sur l’autonomie acquise.
Par ailleurs, la loi de finances pour 2008 a consacré à la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », la MIRES, 23,2 milliards d’euros ; la loi de finances pour 2012 y a consacré 25,4 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 9,5 % des moyens consentis à l’enseignement supérieur et à la recherche dans le budget général de l’État sur la durée du dernier quinquennat. Personne n’ose rappeler ces chiffres. Je souhaite pourtant que l’on continue de faire aussi bien…
De surcroît, sur les 22 milliards d’euros attribués à l’enseignement supérieur et à la recherche dans le cadre du grand emprunt, 18 milliards d’euros ont bien été distribués sous la forme d’appels d’offres, lancés par des opérateurs nationaux et accordés après une sélection par des jurys internationaux dont personne n’entend remettre en cause l’indépendance.
Enfin, un crédit d’impôt recherche, CIR, a été créé. Aucun rapport parlementaire, de la majorité ou de l’opposition, hier comme aujourd’hui, n’entend le supprimer, car, malgré certains effets d’aubaine ou abus que nous condamnons tous, ce crédit d’impôt reste l’une des niches fiscales les plus efficaces pour l’essor de la compétitivité de la recherche privée, de l’avis de l’Inspection générale des finances.
M. Gallois, que le Gouvernement a nommé à la tête du Commissariat général à l’investissement, reconnaît lui-même la nécessité de conserver les investissements d’avenir et le CIR. Je vous invite de surcroît à les approfondir pour renforcer la compétitivité industrielle de la France.
Je le dis avec d’autant plus de conviction que je sais que l’ancienne majorité ne l’a pas fait seule, mais avec le soutien et l’esprit de responsabilité de bon nombre de nos collègues et élus, qui étaient autrefois dans l’opposition : je suis fier de tout ce que nous avons réalisé ensemble pour revaloriser l’université française. Je suis fier de la loi LRU, car il fallait la faire. Je me félicite d’ailleurs que le Gouvernement soit sur la même longueur d’ondes. Je suis fier de la loi Goulard, car elle a remis l’excellence scientifique au cœur de nos priorités.
Dans le cadre de l’autonomie qui leur a été confiée par la loi LRU, les universités ont été mises dans l’obligation d’assumer des choix stratégiques dans leur positionnement par rapport aux besoins socioprofessionnels de leur territoire et aux enjeux de la concurrence internationale. Pour les établissements, le principal défi a donc été de bien placer le curseur, de trouver l’équilibre optimal dans la définition de leurs orientations stratégiques entre, d’une part, la nécessité d’affirmer leur identité propre et ce qui fait leur valeur ajoutée auprès de tous leurs partenaires – entreprises, collectivités, étudiants – et, d’autre part, leurs missions de service public.
Les déplacements que nous avons effectués nous ont permis de constater que certaines universités avaient pris la juste mesure de cet enjeu stratégique.
L’université d’Avignon, une « petite » pépite de 7 000 étudiants, a su utiliser son autonomie stratégique pour tirer son épingle du jeu. Elle a développé des niches de spécialisation, en rapport direct avec les atouts et traditions du territoire, qui en font une « orchidée » universitaire dans les domaines du patrimoine et de la culture ainsi que de l’agroalimentaire. Elle a également fait le choix de maintenir une offre pluridisciplinaire en licence, afin de garantir le libre accès des bacheliers de la région à l’enseignement supérieur.
En revanche, il est plus compliqué de trouver le bon positionnement pour les universités de rang intermédiaire.
Prenons l’exemple de l’université de Caen, qui doit garantir un service public de l’enseignement supérieur accessible au plus grand nombre et, dans le même temps, répondre aux besoins spécifiques de son territoire. Ainsi, elle a développé la transversalité entre les disciplines et les passerelles entre formations pour prévenir autant que possible l’échec en premier cycle, mais elle a aussi renforcé son offre de formation destinée spécifiquement aux ingénieurs, dont le besoin est patent en Basse-Normandie.
La loi LRU a également favorisé l’ouverture des universités sur le monde économique. On l’a dit, les collaborations sont encore balbutiantes, mais certaines universités ont pris des initiatives prometteuses et souhaitent qu’on les accompagne dans ce sens.
En ce qui concerne l’orientation et l’insertion professionnelles, qui sont une nouvelle mission des universités depuis la loi LRU, les résultats sont encore limités. Si beaucoup d’universités ont fait des efforts considérables pour professionnaliser leurs licences, on constate que la connaissance des milieux professionnels a encore du mal à s’imposer chez les enseignants-chercheurs. L’aide à l’orientation est insuffisamment valorisée au sein du personnel enseignant, au niveau aussi bien de l’enseignement secondaire que de l’enseignement supérieur.
Je regrette profondément qu’aient été rejetés tous les amendements du Sénat visant à inscrire dans les missions des futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation la nécessité de sensibiliser les futurs enseignants à la connaissance des milieux professionnels et aux enjeux de l’insertion professionnelle. Les enseignants sont pourtant les premiers acteurs de l’orientation des élèves. Qui, ici, pourrait arguer du contraire ?
En matière de gouvernance, on a trop vite fait de rendre la loi LRU responsable d’une centralisation excessive des pouvoirs entre les mains du seul président de l’université. Cette loi entendait rompre avec un système : celui d’une autonomie éclatée, dispersée, exercée par une multitude d’acteurs, d’instances et de composantes, et au final une autonomie qui n’était assumée par personne. La nécessité de faire des choix dans la définition de priorités stratégiques et de se construire une identité autour de ces priorités, voilà une culture fondamentalement nouvelle qui a été introduite dans le monde universitaire et scientifique par la loi LRU !
Concéder aux universités une autonomie accrue dans la définition de leur projet stratégique supposait de rendre leurs conseils d’administration plus opérationnels et de renforcer les pouvoirs du président dans l’impulsion et la mise en œuvre de ce projet. La cohérence de cette stratégie est garantie par le fait que tous les conseils centraux des universités sont désormais présidés par le président de l’université, aussi bien le conseil d’administration, le conseil scientifique que le conseil des études et de la vie universitaire.
Je note, au passage, que le projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, organise une dyarchie préoccupante dans la gouvernance des universités, avec un conseil d’administration et un conseil académique qui seraient présidés par des personnalités distinctes.
La pratique a révélé que, dans un certain nombre d’universités, le conseil d’administration ne s’est pas suffisamment positionné sur sa fonction principale de stratège, en accordant une importance et un temps excessif à l’examen de questions techniques ou à la gestion du quotidien de l’établissement. M. Assouline et Mme Gillot l’ont dit, ce qui a été véritablement critiqué, ce sont ces réunions fleuves du conseil d’administration consacrées à des dossiers très techniques, perçus comme très peu stratégiques, et parfois exclusivement catégoriels.
La loi LRU a permis en outre le renforcement du contrat pluriannuel d’établissement comme instrument stratégique au niveau de l’université. Ce n’est qu’une étape, mais une étape essentielle. Ce contrat responsabilise l’université dans les moyens dont elle dispose pour conduire son projet. La question qui se pose aujourd’hui est celle de la cohérence de ce contrat pluriannuel, élaboré bien souvent selon un mode vertical entre l’université et sa tutelle, avec les conventions, plus horizontales et transversales, que l’université entretient avec les autres acteurs du site qui sont ses partenaires : les organismes de recherche et les collectivités territoriales, mais aussi les autres établissements d’enseignement supérieur et les pôles de compétitivité.
Enfin, j’aborderai la question de l’évaluation. Créée par la loi Goulard de 2006, l’AERES a permis de placer l’évaluation au cœur de l’autonomie. Elle permet de faire le point sur l’exécution du contrat d’établissement et donne à chacune des parties, l’établissement comme l’État, des éléments objectifs et transparents d’aide à la décision, pour effectuer des choix et accompagner des évolutions.
D’une façon générale, l’ensemble des équipes dirigeantes d’universités que nous avons rencontrées ont insisté sur la nécessité d’une évaluation externe et indépendante qui soit perçue comme un levier d’amélioration du projet stratégique de l’établissement, et non comme une sanction. Les appréciations sur l’AERES, ses pratiques et ses méthodes, améliorées au fil du temps, ont été positives. Il est donc faux d’affirmer que la communauté universitaire et scientifique réclame majoritairement la disparition de cette agence.
L’AERES a fait la preuve de sa souplesse en revalorisant l’auto-évaluation. Elle n’a pas attendu l’actuel gouvernement pour permettre aux unités de recherche de recourir à une autre instance d’évaluation, sous réserve d’une validation par l’agence de ses procédures d’évaluation. Cette possibilité existe en effet d’ores et déjà dans la loi – je vous renvoie au code de la recherche.
L’agence est prête à faire évoluer ses missions, sa gouvernance et son fonctionnement pour conforter la confiance qu’elle a acquise auprès des universitaires. Une majorité d’entre nous est même prête à consacrer cette évolution dans la loi. Mais rien ne justifie la suppression de l’AERES, au prétexte que changer l’intitulé d’une autorité suffirait à apaiser les contestataires rétifs à toute évaluation externe, qui demeurent minoritaires. En remplaçant une autorité par une autre avec un nom différent mais des missions analogues, au prix d’une démarche coûteuse, on ne dupe ni l’AERES, ni les enseignants-chercheurs, ni les chercheurs.
La maîtrise de l’autonomie ne se décrète pas, elle s’apprend. Le changement de culture, s’il n’est pas achevé, s’est produit.
Il n’existe pas de majorité, au sein de la communauté universitaire, en faveur d’une abrogation de la loi LRU, nous l’avons constaté à chaque audition, à chaque déplacement. Loin de moi l’idée de nier que cette loi ait fait l’objet de contestations. Je le reconnais, elle doit être améliorée, en particulier sur les règles électorales, l’organisation interne de l’université et le renforcement du dialogue de gestion entre le centre et les composantes. Vous partagez sans doute mon analyse, madame la ministre, puisque vous ne souhaitez pas non plus l’abrogation de cette loi.
Je veux terminer sur une note qui, je l’espère, vous fera plaisir : faites-nous confiance pour vous aider à défendre les acquis fondamentaux de la loi LRU ! (M. Jean-Léonce Dupont applaudit.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure du bilan, nous devons nous poser plusieurs questions.
La loi LRU a-t-elle permis à nos universités d’avancer sur les problématiques essentielles que sont la qualité de l’enseignement, la lutte contre l’échec et la démocratisation de l’accès ? Est-il possible d’assurer le même niveau de formation dans toutes les universités sur l’ensemble du territoire – une question que l’on ne veut ni poser ni résoudre ? Donne-t-on à nos universités les moyens, notamment structurels, de répondre aux nouveaux enjeux, aux mutations sociétales et techniques ?
Madame la ministre, selon moi, la révolution des prochaines années consiste pour l’université à réussir France Université numérique dans le cadre européen et à décliner les MOOCS, les cours massifs ouverts en ligne. C'est une nouvelle conception de l’enseignement, et nous ne devons pas rater ces rendez-vous. Nous aurons certainement l’occasion de débattre de nouveau de ces questions.
La loi LRU a-t-elle permis d’appréhender efficacement ces mutations ? Le progrès, l’innovation et la croissance dépendent du niveau de qualification de nos citoyens, et l’université doit jouer un rôle déterminant en favorisant la réussite des étudiants. Or nous constatons que l’université ne nous permet pas d’atteindre cet objectif. En effet, une large majorité d’une classe d’âge n’est pas titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que le lien entre niveau de qualification et insertion professionnelle ne cesse de se renforcer. Ce constat est d’autant plus grave que 25 % des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans sont affectés par le chômage et figurent parmi les premières victimes de la crise.
En 2007, certains étaient convaincus que l’autonomie des universités entraînerait naturellement l’amélioration de leur performance. C’était alors la philosophie sous-jacente à la loi LRU. Lors de la présentation du projet de loi au Sénat, Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur, déclarait : « Assurer la liberté et la responsabilité au cœur d’une gouvernance rénovée, voilà la première condition du redressement de nos universités. » Elle estimait que l’État devait être un partenaire indispensable.
Dans leur rapport, nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont expliquent que cet accompagnement n’a pas eu lieu, que les universités ont été livrées à leur sort alors qu’elles n’étaient pas préparées à ce bouleversement culturel.
Au moment où leur ont été confiées des responsabilités et des compétences élargies, elles n’avaient pas adopté une culture de gestion avec des outils de pilotage, de programmation et de suivi, et ne s’étaient pas non plus dotées des compétences requises. Cela a pu entraîner, dans certains cas, un recours coûteux à des prestataires et audits extérieurs. Aujourd’hui encore, seule une dizaine d’universités dispose d’une comptabilité analytique.
De surcroît, les charges transférées résultant de leurs nouvelles libertés avaient été sous-évaluées. Je pense notamment à la gestion de la masse salariale, qui laisse, pour certaines d’entre elles, peu de place à l’investissement. Le recours aux contractuels s’est accéléré, entraînant la précarisation du personnel.
La loi LRU a abouti à accorder aux universités, plutôt que des libertés, des responsabilités sans les moyens de les assumer.
L’objectif de péréquation des moyens entre grandes et petites universités que l’on voulait atteindre avec la mise en place du système d’allocation des financements publics récurrents a échoué. Comme les petites universités ne disposaient pas de la capacité financière pour s’adapter à de tels changements, les inégalités territoriales se sont aggravées. Vous le savez, madame la ministre, c'est un véritable problème que rencontre actuellement notre système universitaire. Cela n’est pas dit, mais on ne peut pas avoir des universités de même niveau sur tout le territoire et, dans le même temps, assurer partout un bon accès et un enseignement de qualité. Ce sont des choses différentes !
Alors que la loi LRU visait à rendre la dépense publique plus efficace par la réalisation éventuelle d’économies, la mutualisation des moyens entre les universités d’un même regroupement d’établissements ne semble pas avoir fonctionné. C’est bien une logique concurrentielle qui s’est installée au détriment des petites universités et de celles qui étaient déjà en difficulté. Cinq ans après, la moitié des universités connaît ainsi une situation budgétaire difficile et un quart d’entre elles a commencé l’année avec une trésorerie négative ou nulle.
Au final, la mise en œuvre de la loi LRU a contribué à l’explosion non maîtrisée des dépenses – sur ce point, nous ne nous faisions guère d’illusions ! –, sans économies d’échelle, et ce au détriment des finances publiques.
Toutefois, cette loi – puisqu’il n’est pas question de l’abroger, il faut bien lui reconnaître quelques aspects positifs ! – a permis à des universités de mettre en place des stratégies de formation avec une offre équilibrée et adaptée à leur territoire ainsi que des partenariats avec les acteurs économiques.
Certains établissements ont aussi réussi à négocier sans trop d’accrocs la transition vers l’autonomie en apprenant à maîtriser les nouveaux outils de gestion et de programmation.
Au bout du compte, même si l’autonomie ne sera pas remise en cause dans son principe – du reste, un retour en arrière serait difficile, et même nuisible –, le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, bientôt soumis à l’examen du Sénat, doit être l’occasion de corriger les dysfonctionnements constatés. C’est vrai notamment, madame la ministre, sur le plan de la gouvernance ; le débat que nous aurons à cet égard sera important.
La gouvernance issue de la loi LRU est critiquée par certains en raison de la concentration des pouvoirs entre les mains des présidents d’université et au sein du conseil d’administration. De fait, un rééquilibrage doit être opéré si l’on veut parvenir à une gestion plus efficace ; il doit aussi être financier si l’on veut tirer nombre d’universités de l’impasse financière dans laquelle elles se trouvent actuellement.
Reste que, si la réforme de la gouvernance est importante, seul l’État est en mesure de garantir la cohérence stratégique et territoriale de la politique de réussite universitaire ; sans accompagnement de l’État, toute politique en la matière est condamnée à l’échec !
Différentes conceptions de l’université existent. Pour ma part, je crois que l’université française ne doit pas viser seulement un bon rang dans le classement de Shanghai. Elle doit avant tout garantir à tous les étudiants une formation de qualité leur permettant de réussir leur insertion professionnelle ; elle doit aussi garantir à la recherche les moyens d’innover.
La loi LRU ne semble pas avoir eu d’effets très considérables sur l’autonomie réelle tant préconisée par l’Union européenne et par l’OCDE. En effet, sur vingt-neuf pays européens, la France se situe à la vingt-troisième place pour l’autonomie financière, à la dix-septième pour l’autonomie organisationnelle et à la dernière pour l’autonomie académique.
Mes chers collègues, il ne faut pas céder au dénigrement de nos universités. En dépit de cette absence d’autonomie pédagogique, elles obtiennent des résultats satisfaisants et n’ont rien à envier à nombre d’universités étrangères. La France reste le cinquième pays au monde pour l’accueil des étudiants étrangers, et la qualité globale de notre enseignement supérieur mérite d’être saluée. Dans ces conditions, tenir un discours seulement négatif ne serait pas du tout justifié !
Madame la ministre, nous souhaitons qu’un service public de l’enseignement supérieur garantissant à tout étudiant un accès aux formations qui correspondent à ses ambitions et à ses aptitudes soit la priorité du Gouvernement, car l’autonomie ne peut et ne doit en aucun cas se résumer au désengagement de l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, plusieurs observations tout à fait pertinentes ont déjà été présentées sur l’application de la loi LRU. Pour ma part, je reviendrai quelques instants sur l’intitulé du rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois : « Le big-bang à l’heure du bilan ». Je vais vous exposer les raisons pour lesquelles nous considérons que le terme « big-bang » était assez prétentieux et que, à l’heure du bilan, on constate surtout un grand flop sur un certain nombre de sujets.
À quoi sert l’université ? Telle est la question essentielle à laquelle nous devons répondre. Selon nous, l’université sert à former des étudiants qui seront en situation de réussite ; ensuite, ceux-ci devront s’insérer dans la société, trouver un emploi et devenir des citoyens éclairés.
La loi LRU, dont il a été rappelé tout à l’heure à quel point elle avait été contestée et incomprise par la communauté universitaire, a-t-elle permis un grand nombre d’avancées ? Quels problèmes restent en suspens ?
Conjuguée à la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche, dite « loi Goulard », puis aux investissements d’avenir décidés dans le cadre du grand emprunt, la loi LRU était censée, si nous avons bien compris, donner de l’autonomie aux universités afin que celles-ci, grâce à la divine providence d’une nouvelle gouvernance, puissent mettre en place un fonctionnement interne qui modifie soudainement les règles du jeu, produisant à la fois du savoir et de la réussite pédagogique.
Seulement, une lecture attentive du rapport révèle que les déconvenues sont nombreuses ; permettez-moi d’en mettre en lumière les principales.
Tout d’abord, quelle qu’ait été la bonne volonté des présidents des universités, la présidentialisation du système a conduit à la concentration de nombreux pouvoirs entre les mains d’une seule personne, élue de surcroît par un groupe beaucoup plus restreint qu’auparavant. Si l’on peut se réjouir du resserrement des conseils d’administration, qui ressemblaient parfois à des armées mexicaines très difficiles à manier, cette hyper-présidentialisation de la gouvernance nous semble regrettable.
De fait, un certain nombre de membres de la communauté universitaire, parmi les étudiants, les techniciens ou les étudiants, déplorent que le conseil des études et de la vie universitaire et le conseil scientifique ne soient que des chambres d’enregistrement, au lieu d’être les lieux d’un débat contradictoire qui permettrait d’améliorer la gouvernance globale du système.
Ensuite, nous regrettons beaucoup que, à aucun moment, la loi LRU n’ait abordé le vrai problème qui se pose en France : la cohabitation, qu’il faudra bien un jour résoudre, entre des grandes écoles, dont les élèves sont issus de milieux privilégiés et auxquelles on accorde beaucoup de moyens, et les universités, qui accueillent des jeunes de milieux beaucoup plus défavorisés et auxquelles on donne en moyenne deux fois moins – telle est l’implacable vérité des statistiques. Tant que l’on ne s’attelle pas au règlement de ce problème, aucune difficulté de fond ne peut être résolue !
Par ailleurs, l’application de la loi LRU s’est heurtée au problème des moyens financiers et humains. Le logiciel SYMPA, décidément très mal nommé, était destiné à donner un peu plus aux établissements vertueux afin de récompenser la bonne gestion. Toutefois, comme il était extrêmement étroit dans ses paramètres, ne prenait pas du tout en compte les universités sous-dotées et faisait complètement fi de l’historique, ce logiciel s’est révélé contre-productif.
Un autre problème se pose : celui du glissement vieillesse technicité, ou GVT. En effet, on a transféré aux universités la gestion des personnels sans leur donner les moyens de prendre en compte la progression de carrière de ceux-ci. Ce système était inique dès l’origine, puisqu’on transférait une compétence sans transférer les moyens correspondant ; c’était un jeu de dupes, et du reste tout le monde le savait !
On ne peut pas reprocher aux universitaires qui dirigent les établissements d’avoir mal géré, dès lors que l’État se désengageait et ne leur donnait pas les moyens matériels et humains de gérer le volume horaire très important qu’ils devaient assumer, ainsi que les carrières des enseignants. Je le répète : ce problème était inhérent au système ; la loi LRU présentait un défaut de conception à cet égard.
De même, le fait qu’un certain nombre d’universités sous-dotées aient dû embaucher en masse des CDD et, parfois, recourir à des CDI est une conséquence nécessaire de la loi LRU. Il en résulte un système de grande précarité et une situation paradoxale, puisque, après avoir créé des emplois qui répondent à des besoins et qui ont permis dans certaines universités d’améliorer la réussite des étudiants, on se trouve face à un choix budgétaire : financer le soutien aux étudiants ou chauffer les universités entre le vendredi et le mardi. Songez, mes chers collègues, que certains établissements n’ont été chauffés que deux jours dans la semaine ! Je vous le demande : quelle image cela donne-t-il de notre enseignement supérieur à l’étranger ?
L’université, c’est non pas seulement des enseignants et des étudiants, mais aussi des locaux. À propos de cette question immobilière, qui est un serpent de mer, je vous invite à consulter les conclusions très récentes de la Cour des comptes sur la situation des universités.
En raison d’un vice dans la conception même de la loi LRU, on a vu se reproduire le problème qui s’est posé il y a quelques années dans les collectivités territoriales. On a confié aux collectivités les lycées et les collèges, qui étaient très vétustes et remplis d’amiante, en plus d’être des gouffres énergétiques, en demandant à ces collectivités de faire mieux ; or elles ont effectivement fait mieux. Les universités aussi sont tout à fait capables de bien faire, à condition seulement qu’on leur donne les moyens de mener une politique ambitieuse. L’autonomie sans les moyens, c’est un jeu de dupes !
En outre, comme l’a signalé M. Mézard, la loi LRU n’a absolument pas permis de réduire la fracture entre les universités bien dotées et les plus pauvres ; au contraire, au jeu de l’autonomie, le gouffre s’est creusé entre les établissements privilégiés et les moins favorisés.
Enfin, à quelques jours de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, nous devons nous poser cette question essentielle : lorsqu’on met des acteurs en situation de stress intense en leur disant qu’ils sont libres, leurs interactions sont-elles automatiquement favorisées, la gouvernance est-elle automatiquement plus efficace et le travail automatiquement meilleur ?
M. Bruno Sido. Normalement, oui !
Mme Corinne Bouchoux. En ce qui nous concerne, nous pensons que l’autonomie sans les moyens, la liberté sans un engagement de l’État permettant d’honorer les promesses faites, ce n’est qu’un marché de dupes !
Telles sont, mes chers collègues, les différentes limites de la loi LRU que nous tenions à souligner. Dans la mesure où son abrogation n’a pas été prévue, nous aurons à cœur, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, d’enrichir le texte du Gouvernement, afin que l’université favorise la réussite des étudiants et ne sacrifie pas certains territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a six ans, à quelques semaines près, j’étais le rapporteur devant le Sénat du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités. Ensuite, de 2008 à 2012, j’ai représenté notre assemblée au comité de suivi dont nous avions voté la création. C’est donc avec un grand intérêt que j’ai pris connaissance du rapport de nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, chargés de dresser le bilan de l’application de la loi LRU.
Ce débat se tient au moment même où nous allons entamer la discussion d’un nouveau projet de loi touchant à l’enseignement supérieur – une heureuse concordance des temps. Un temps que, précisément, on aurait envie d’implorer pour nos universités : « Ô temps ! suspends ton vol » !
De fait, l’autonomie, lorsqu’elle n’est plus seulement un mot mais devient une réalité, ne s’improvise pas ; elle s’apprend. Or tout apprentissage réclame du temps. Gardons à l’esprit que l’autonomie votée en 2007 a été mise en place progressivement, à partir de janvier 2009 pour les premiers établissements concernés. De sorte que, aujourd’hui, les universités pratiquent l’autonomie depuis quatre ans et demi au plus, voire depuis moins de trois ans. C’est infiniment peu pour une révolution culturelle – nos rapporteurs ont raison d’employer ce terme, parfois galvaudé, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
En définitive, nos universités ont relevé le défi avec courage, apportant ainsi la démonstration de leur vitalité.
Elles ont mis en œuvre la réforme sans trop de temps de préparation, ni sans avoir réellement les moyens de recruter un personnel formé aux nouveaux métiers et aux nouvelles fonctions supports que représentent pour elles le management stratégique, le contrôle de gestion et le pilotage opérationnel – autant de termes qui, jusqu’alors, ne se prononçaient à l’université que dans les amphithéâtres des instituts d’administration des entreprises.
De surcroît, elles l’ont mise en œuvre avec pour tout viatique un audit externe de quelques centaines de pages, dans une temporalité différente de celle des contrats d’établissement et dans un climat social que l’on dira sobrement peu réceptif au changement décidé par le gouvernement de l’époque.
Sans compter que, au-delà du temps nécessaire pour que les équipes de direction maîtrisent leur responsabilité nouvelle, il faut faire la part du temps, non négligeable, dont toute institution a besoin pour s’adapter au changement.
Accéder aux responsabilités et compétences élargies, pour employer la formule consacrée, c’est disposer d’un budget global et gérer directement la masse salariale de son établissement. Ce n’est pas rien : il faut prendre des décisions et arbitrer localement là où, auparavant, l’administration centrale tranchait. La situation antérieure était bien confortable : il suffisait de demander les dotations, puis de les recevoir et de les déplorer, de critiquer, de voter des motions et parfois de défiler. Exercer soi-même la responsabilité, c’est très différent !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jean-Léonce Dupont. En outre, les universités font cet apprentissage au pire moment : lorsque l’État n’a plus vraiment – c’est un doux euphémisme – les moyens matériels de leur venir en aide.
C’est ainsi que presque toutes les universités se trouvent actuellement dans de sérieuses difficultés financières, sans réserves minimales de trésorerie ; certaines sont au bord du dépôt de bilan, si vous me permettez cette image.
Sans doute le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a-t-il sa part de responsabilité dans une évaluation insuffisante des charges salariales et de leur évolution.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. En effet !
M. Jean-Léonce Dupont. Nous autres, élus locaux, connaissons bien le problème du transfert des compétences et des charges afférentes ; le rapport de nos collègues a su montrer que, à cet égard, l’accès des universités à l’autonomie n’était pas très différent de la décentralisation.
Mme Dominique Gillot, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Léonce Dupont. Les établissements gravissent donc l’autonomie par sa face nord, l’apprenant dans sa dimension la plus difficile, la plus négative, la plus douloureuse : économiser, réduire, limiter, fermer, renoncer, sacrifier et, en définitive, compter chaque euro pour pouvoir assurer la rémunération des personnels à la fin de chaque mois.
Au risque de provoquer, mais ceux qui me connaissent savent mon refus permanent de la facilité, j’ose soutenir qu’il y a là une chance pour l’université française ; et que cette chance offerte par la loi LRU, il ne faut pas la laisser passer ! De mon point de vue, ce n’est pas le moindre des aspects à prendre en compte à l’heure où nous dressons ce bilan.
Pourquoi est-ce une chance ? Les décisions négatives que j’énumérais à l’instant sont des choix vitaux que les acteurs directs de l’établissement se trouvent dans l’obligation de faire pour eux-mêmes. Là est la chance : dans la faculté de prendre en main son propre destin.
Permettez-moi de donner un exemple. Tous les rapports convergent sur ce point, et votre projet de loi, madame la ministre, s’en préoccupe légitimement : l’offre de formation est pléthorique et peu lisible, y compris dans les dénominations des multiples parcours de licence ou de master. Cela ne facilite pas l’orientation des étudiants et, partant, leur réussite, sur laquelle je reviendrai.
Les mesures d’économie auxquelles les équipes s’attellent dans chaque université, pour chacune de leurs composantes – UFR, instituts, écoles – passent, notamment, par une remise en cause de l’offre de formation, obligeant à mesurer l’adéquation entre les moyens consacrés, les effectifs et les résultats, y compris en termes d’insertion professionnelle. Confrontées à des réalités qu’elles ont trop souvent négligées, les universités sauront décider avec intelligence, une qualité dont elles ne sont pas dépourvues.
Sollicitées pour soutenir les établissements, les collectivités locales s’interrogent légitimement sur l’impact de la présence de l’université sur leur territoire. L’ancrage territorial se conquiert aussi dans la durée et l’ouverture.
Or les contraintes financières pesant sur elles obligeront les universités à présenter à l’État et aux collectivités un projet d’établissement qui témoigne de cet ancrage. Trop longtemps, ce projet n’a été que le texte trop cosmétique d’intentions principielles servant d’écrin aux fiches actions auxquelles le ministère apportait un financement, au titre du contrat que certaines collectivités venaient compléter « à la carte ».
L’autonomie, et ce n’est pas la moindre de ses vertus, appelle la soutenabilité du projet de l’université. Les remises en question qui résultent de cet exercice nouveau qu’est l’autonomie se font d’abord à l'échelle locale, au plus près de ceux, personnels et étudiants, qu’elles concernent. Mais elles doivent aussi se faire en regardant plus loin, sur un territoire plus large, ce qui contraint notamment à coordonner son offre de formation avec celle des universités voisines. La « rationalisation par nécessité absolue de survie », comme la subsidiarité obligée, aura, je le crois, des vertus que les prochains projets d’établissement refléteront sans nul doute. Là encore, le temps impose un rythme.
Je veux dire ici que le remplacement des PRES, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, prévu par le projet de loi qui nous sera bientôt présenté, soulève certaines questions.
Ces pôles ne relèvent pas du débat de ce soir, car ils n’ont pas été créés par la LRU. Toutefois, il s’agit d’espaces encore fragiles, très jeunes, de collaboration entre établissements. Faut-il, alors que cette coordination, notamment entre universités, devient impérieuse, remettre en question un cadre juridique, qui, comme l’autonomie, n’a pas atteint sa vitesse de croisière ? Le temps de mettre en place les nouvelles structures sera de nouveau un temps mort préjudiciable. Il faut y réfléchir.
On le voit, on le sait, l’autonomie est une démarche difficile, qui implique des remises en cause douloureuses. Choisir et non pas subir : c’est aussi l’avantage de l’autonomie.
Cela suppose que les conseils d’administration des universités soient des instances stratégiques intervenant en soutien des équipes présidentielles. Nos collègues dans leur rapport soulignent que tel n’est pas encore suffisamment le cas. Là aussi, c’est un apprentissage et un changement culturel. On ne devient pas stratège en un jour quand on a une longue pratique de « chambre d’enregistrement » ou, osons aussi le dire, d’espace sanctuarisé d’expression syndicale ou corporatiste. La composition resserrée des conseils, comme l’obligation de représentation de tous les secteurs de formation de l’établissement, allait dans le bon sens. N’y renonçons pas !
L’autonomie n’est pas l’indépendance : les universités le savent et assument leurs responsabilités. Il revient à l’État, qu’il s’agisse de l’administration centrale ou des services académiques, de construire une nouvelle relation avec elles. Au prétexte d’un suivi et d’un accompagnement face aux difficultés financières rencontrées par les établissements, une tutelle insidieuse ne doit pas venir s’installer là où le contrôle de légalité doit prévaloir. Sur ce point également, le parallèle avec la décentralisation s’impose.
Laissons aussi aux universités le temps d’apprécier l’intérêt de la diversification des sources de financement et de mettre en place les instruments utiles : la loi leur a ouvert la possibilité de recevoir des dons de particuliers ou d’entreprises via des fondations. Certes, la crise que traverse notre pays ne facilite pas leur développement, mais ne retirons pas aux universités cette possibilité de participation et de soutien des acteurs économiques, notamment locaux. Il y va aussi bien de l’ouverture des formations sur leur environnement que de celle des laboratoires et équipes de recherche pour la diffusion de leurs travaux.
Dans la loi LRU, si la gestion de la masse salariale dans un budget global était une obligation pour les établissements dans un calendrier modulé, la dévolution du patrimoine immobilier restait une faculté. Celle-ci a été suspendue à la fin de l’année 2012, et c’est dommage. En effet, ces infrastructures sont au cœur de la gestion des établissements et font aussi partie des arbitrages à rendre. Seules trois universités ont à ce jour pris en main leur destin immobilier. Dans le cadre du comité de suivi de la loi LRU, j’ai rencontré leurs présidents. S’ils ne cachent pas les difficultés, ils mesurent là aussi l’importance et l’intérêt de « pouvoir décider en local ».
L’immobilier éducatif se gère dans la proximité, nos collectivités le savent s’agissant des collèges et lycées. Les établissements avaient commencé à prendre en main la fonction de gestion immobilière, en élaborant des schémas pluriannuels de stratégie immobilière. À l’heure des remises en cause que je viens d’évoquer, ne renonçons pas à leur donner cet outil, dont l’usage s’inscrit dans le prolongement naturel de l’autonomie.
Néanmoins, l’autonomie des établissements n’était pas la seule dimension de la loi LRU, qui devait être au service des missions de l’université, notamment de la formation, sur laquelle je souhaite m’arrêter quelques instants.
La LRU avait pour objet d’améliorer l’orientation des étudiants et la réussite en licence. Le plan éponyme n’a pas globalement atteint cet objectif, et la Cour des comptes en a dressé un bilan corrosif. Toutefois, quel plan le pourrait-il ? Tous les moyens du monde, s’ils étaient mobilisés, le permettraient-ils ? L’orientation active n’a pas donné les résultats attendus. Imaginer que la construction de passerelles longues entre le lycée et l’université en donnera davantage me semble utopique.
Le cycle de licence de l’université accueille nombre de jeunes qui s’y inscrivent par défaut, faute de projet personnel ou parce que les filières sélectives n’ont pas voulu d’eux, au vu de leur dossier scolaire trop fragile. Ce n’est pas dans ces établissements qu’ils trouveront la voie de leur future vie professionnelle.
Notre pays refuse de lever le tabou de la sélection, ce que d’ailleurs, sans oser le dire trop haut, des enseignants-chercheurs de plus en plus nombreux appellent de leurs vœux. Combien de temps faudra-t-il attendre ?
Au confluent de la gestion de l’établissement et de la formation des étudiants se trouve le dossier majeur et tout aussi tabou des droits d’inscription.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Absolument !
M. Jean-Léonce Dupont. Toutefois, leur relèvement – naturellement assorti d’aides sociales réformées – n’a pas de légitimité réelle à l’entrée de l’université si cette dernière offre l’échec comme seul horizon à trop d’étudiants. C’est un nœud gordien qu’il faudra bien trancher.
Donner du temps et aller vite, ce n’est ni contradictoire ni incompatible. Donner du temps aux établissements pour qu’ils apprivoisent définitivement l’autonomie que la loi LRU leur a donnée et qu’ils n’ont pas du tout envie de perdre. Aller vite pour faire réussir notre jeunesse, parce que de la qualité de la formation dispensée dépend l’avenir de notre pays. Aller vite, aussi, pour éviter le décrochage de nos universités sur la scène internationale, notamment en matière de recherche.
La loi LRU a su ouvrir la voie, mais l’exploration n’est pas encore complètement achevée. La responsabilité qui incombe à la future loi est lourde : décider si la voie restera ou non praticable. L’autonomie dans son principe n’est pas remise en question. C’est positif, pourvu qu’elle ne soit pas diluée dans le compromis et qu’elle demeure l’outil d’affirmation de l’excellence de nos universités. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », de 2007 et le pacte pour la recherche de 2006 ont profondément bouleversé le paysage de l’université et de la recherche. En faire le bilan est une nécessité, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche, ou ESR.
Le rapport-bilan de la LRU, présenté conjointement par nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, nous éclaire sur les principes et la visée qui président à la réforme de l’ESR qui nous est aujourd’hui proposée. On se souvient que, lors de son examen et de son adoption, le projet de loi LRU avait fait l’objet de fortes divergences entre la gauche et la droite.
Pour être complet, le bilan de la loi LRU doit cependant s’accompagner de celui du pacte pour la recherche de 2006, qui participe d’une même logique. De même, il faut prendre en compte des dispositifs non législatifs, tels que les initiatives d’excellence, qui s’inscrivent dans la même visée.
La loi LRU et le pacte pour la recherche sont marqués par une vision utilitariste de l’université, ancrée dans le rayonnement et la compétitivité internationale, selon des critères définis par le Conseil européen de Lisbonne de 2000 et aux termes desquels l’université doit devenir un acteur incontournable de la compétitivité européenne dans l’économie de la connaissance.
Dans une telle perspective, l’université et la recherche visent d’abord l’employabilité et la croissance économique. Cela aboutit à privilégier la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, et les sciences dites « dures » au détriment des sciences humaines et sociales.
Pour le groupe CRC, la connaissance est la première visée de l’université et de la recherche. L’obsession économique aboutit à une hiérarchisation des savoirs que nous récusons.
Quant à la recherche publique, elle est asservie aux intérêts du privé. Pis, la recherche privée est financée par des fonds publics ! La montée en puissance du crédit d’impôt recherche, avec ses 5 milliards d’euros d’exonération fiscale en 2012, attribués principalement à de grandes entreprises, en est l’exemple le plus emblématique.
Pour autant, cela n’empêche pas la fermeture de pôles de recherche et de développement, comme en témoigne l’exemple de Sanofi, nous amenant à nous interroger sur l’efficacité de ce dispositif.
Les universités s’organisent désormais en pôles de recherche et d’enseignement supérieur, ou PRES, censés s’adapter et répondre aux besoins socio-économiques spécifiques du territoire. La conséquence en est la restructuration de l’enseignement supérieur autour d’une dizaine de pôles de visibilité mondiale, que les initiatives d’excellence ont confortés. La rupture avec le principe d’égalité territoriale s’en trouve renforcée, ce qui est grave pour l’avenir de l’enseignement, de notre jeunesse, de nos territoires et, donc, de notre pays.
Un écart important s’est créé entre quelques grandes universités d’excellence, auxquelles est affecté l’essentiel des moyens, et les autres universités, délaissées, qui accueillent pourtant la majorité des étudiants, Mme Gillot l’a d’ailleurs souligné dans son rapport.
Ces réformes ont donc abouti au développement d’un système universitaire à deux vitesses, tout en favorisant le déploiement de partenariats public-privé. La loi LRU n’a pas permis de faire émerger des espaces de coopération et d’échanges nécessaires et harmonieux sur un même territoire, créant seulement des « super structures ». Selon moi, nous n’avons pas assisté à une révolution culturelle !
Comme on le sait, cette loi a aussi permis le passage aux responsabilités et compétences élargies, les RCE, confiant aux universités autonomie budgétaire et gestion des ressources humaines, censées être compensées par une dotation budgétaire de l’État. Le contrecoup a été le développement de la précarité, du fait même de l’autonomie budgétaire et de l’absence de compensation suffisante du GVT par l’État.
Les RCE ont confié aux universités la gestion de la pénurie provoquée par un budget de l’enseignement supérieur en berne. Ainsi dix-neuf universités étaient-elles en déficit à la fin de l’année 2012 ; la moitié d’entre elles pourrait l’être l’an prochain. Elles se voient contraintes de fermer des formations, en priorité en sciences humaines et sociales, et de supprimer des postes pour atteindre l’équilibre budgétaire.
La logique de financement sur projets de court terme portée par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, a contribué à accroître la précarité. Celle-ci atteint des proportions extrêmement inquiétantes, avec 30 % à 35 % de personnels précaires dans l’enseignement supérieur et la recherche, contre 17 % en moyenne dans le reste de la fonction publique. Cette situation, qui concerne environ 50 000 personnes, est particulièrement préoccupante.
La loi LRU a également miné la collégialité des décisions et la démocratie universitaire, renforçant les pouvoirs du président d’université, diminuant ceux du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire, réduisant le nombre de membres du conseil d’administration, au détriment des étudiants et personnels non-enseignants.
Enfin, la logique de l’évaluation de l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, mise en place par le pacte pour la recherche, est très mal vécue. L’évaluation, jusqu’alors effectuée par les pairs, est désormais confiée à des personnalités non élues. Les chercheurs sont soumis à des contrôles permanents, qui ont pour conséquence l’accroissement des tâches administratives pour des évaluations parfois répétitives, au détriment du temps consacré à la recherche. Comment ne pas conclure à un besoin urgent de rupture claire et forte ?
Hélas, les conclusions du rapport ne remettent en cause ni la loi LRU ni le pacte pour la recherche. L’abrogation de cette loi ne serait, nous dit-on, ni souhaitable ni comprise, car elle aurait permis une « dynamique de progrès ». Si le succès n’est pas au rendez-vous, ce serait avant tout une question de temps – mais aussi de moyens, concèdent tout de même nos collègues dans leur rapport.
Face au déficit d’un nombre croissant d’universités, les auteurs du rapport identifient des difficultés de « mise en œuvre ». C’est non pas le principe même du passage à l’autonomie financière par les responsabilités et compétences élargies qui est alors évoqué, mais l’absence d’évaluation réelle du transfert des charges et de moyens aux universités au moment du passage aux RCE, tout comme les insuffisances du modèle censé opérer un rééquilibrage financier, le logiciel SYMPA – jolie appellation, madame la ministre, mais ce qui serait réellement « sympa », c’est que les moyens soient plus importants. (Sourires.)
Quant aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, s’ils ont un défaut, ce serait d’être insuffisamment structurants, et non pas d’avoir alimenté un système universitaire à deux vitesses en concentrant l’essentiel des moyens, y compris extrabudgétaires avec les initiatives d’excellence, sur quelques grands pôles, au détriment des autres.
La précarité des personnels est évoquée, mais le lien avec l’autonomie budgétaire ou la logique de financement sur projet de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, n’est pas mis en évidence par le rapport.
Enfin, l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, unanimement dénoncée par la communauté scientifique, semble épargnée.
Loin d’être remise en cause, la loi LRU devrait donc trouver les moyens de sa bonne application.
Voilà un bilan aux antipodes de celui que nous dressons. L’enseignement supérieur et la recherche ont pourtant besoin de ruptures claires et profondes avec les logiques mises en œuvre par le précédent gouvernement.
Commençons par le reflux rapide et significatif de la précarité, afin de permettre enfin l’élévation du niveau de connaissances pour le plus grand nombre, dans une société où les savoirs sont de plus en plus complexes, mais indispensables. La démocratisation de l’université est essentielle. Elle doit jouer le rôle d’ascenseur social, demain encore plus qu’hier.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est donc sous cet angle que nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.
M. Pierre Bordier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi LRU sur l’autonomie des universités est sans aucun doute l’une des réformes les plus importantes du précédent quinquennat. Elle marque une étape déterminante pour l’enseignement supérieur français.
Le rapport de nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont reconnait l’importance de cette réforme et conclut même à la nécessité d’accentuer encore le processus de développement de l’autonomie des établissements.
Je rappellerai, ainsi que l’ont fait nos rapporteurs, les avancées réalisées.
Outre une nouvelle gouvernance recentrée autour du président et du conseil d’administration, les universités disposent désormais de la maîtrise de leur budget, dont la masse salariale, et de la gestion des ressources humaines. Elles sont identifiées comme des interlocuteurs à part entière par les entreprises et les collectivités territoriales.
Désormais, les universités autonomes disposent de tous les leviers pour organiser leurs formations en fonction des besoins de leurs étudiants et de la situation de l’emploi, faire émerger de nouvelles niches d’excellence scientifique, recruter des chercheurs de haut niveau, valoriser l’engagement des personnels, créer des fondations, développer les coopérations avec les entreprises, etc.
Grâce à l’autonomie, c’est la performance de l’ensemble du système universitaire qui a été améliorée, ainsi que sa visibilité à l’échelle internationale.
Le rapport rappelle que, par une résolution de 2007, le Conseil de l’Union européenne invitait les États membres à doter les établissements d’enseignement supérieur de l’autonomie nécessaire pour développer tout leur potentiel.
L’autonomie de nos universités était en France un sujet débattu depuis de nombreuses années, mais les gouvernements successifs hésitaient à braver les corporatismes et à s’attaquer à ce chantier d’ampleur.
Cinq ans après le vote de la loi LRU, le pari est réussi, puisque la quasi-totalité des universités françaises – 80 sur les 83 que compte notre pays – sont passées aux responsabilités et compétences élargies. Néanmoins, encore faut-il qu’elles disposent des moyens, d’ordre administratif et financier, pour que ce passage se réalise dans les meilleures conditions. Les auteurs du rapport analysent donc point par point les difficultés rencontrées par les universités dans la mise en œuvre de la loi.
Je relèverai plusieurs problèmes récurrents signalés dans le rapport, en axant mon propos sur ceux qu’entend résoudre le projet de loi que nous étudierons la semaine prochaine.
Il est manifeste que certaines universités ont eu du mal à s’approprier les nouvelles compétences liées à l’autonomie et à faire face à de nouvelles et lourdes responsabilités.
Les auteurs du rapport recommandent donc le renforcement de l’accompagnement des universités, ce qui est effectivement souhaitable, mais celui-ci ne doit pas aboutir à rétablir la tutelle de l’État, comme peut le faire craindre la lecture du projet de loi.
De plus, si nous voulons réellement renforcer l’autonomie des établissements, il faut leur assurer un pouvoir collégial fort, celui du conseil d’administration et de son président, capable de décider et d’agir.
La réforme introduite par le projet de loi, créant un conseil académique bicéphale, est en contradiction totale avec cet objectif.
Je citerai encore parmi les préoccupations des rapporteurs les difficultés d’ordre pédagogique, notamment le manque de lisibilité des formations, celles-ci se multipliant à l’excès.
Le rapport relève avec raison la nécessité de procéder à une évaluation des besoins réels de l’environnement économique. Nous partageons ce point de vue, mais sommes sceptiques quant à l’objectif affiché par le ministère, visant à faire disparaître 5 800 masters sur les 7 500 qui existent.
Sur un autre sujet, lié au précédent, les auteurs du rapport recommandent l’amélioration de l’orientation et l’information pour l’insertion professionnelle des jeunes. Plusieurs propositions me semblent intéressantes, telles que la publication des statistiques de réussite aux examens ou la continuité d’un parcours de la première année de lycée jusqu’à la dernière année de licence.
Le projet de loi, tout comme le texte portant refondation de l’école, ne prend pas suffisamment en compte cette nécessité d’aller plus loin dans l’orientation active des étudiants, seul levier efficace pour lutter vigoureusement contre l’échec en licence.
Un autre problème est l’insuffisance persistante des relations avec le monde de l’entreprise. Les progrès sont réels depuis la mise en place de la loi LRU, mais les auteurs du rapport montrent qu’ils sont encore insuffisants. Le Gouvernement parle « d’ouverture sur le monde économique », mais traduit-il ses déclarations en actes ? Non, car, alors qu’il aurait pu donner davantage de poids aux personnalités extérieures du conseil d’administration des universités, il ne l’a pas fait.
Enfin, je voudrais évoquer la question de l’évaluation, également traitée par le rapport. Celui-ci ne recommande aucunement la suppression de l’AERES. Au lieu de supprimer cette autorité administrative, pour la remplacer par une autre ayant les mêmes objectifs, il me semble qu’il aurait mieux valu affiner ses missions, à la lumière de l’expérience acquise par cette agence au terme de six années d’existence. La supprimer purement et simplement revient à nier la notoriété européenne et internationale qu’elle avait acquise.
En outre, un tel changement de structure pourrait coûter la modique somme d’environ 3 millions d’euros.
En 2010, l’AERES a été évaluée au niveau européen et a ensuite été jugée apte à être inscrite sur le registre européen des agences d’assurance qualité dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela conforte la confiance des étudiants étrangers dans le système français d’enseignement supérieur. Pourquoi renoncer à cet acquis et repartir de zéro ? L’AERES, grâce à sa bonne notoriété à l’international, est sollicitée pour évaluer des formations ou des institutions dans de nombreux pays, dont l’Arabie saoudite, qui l’a préférée à l’université de Stanford.
Nous discuterons de tous ces points la semaine prochaine.
Que conclut finalement le rapport de Dominique Gillot et d’Ambroise Dupont ? Que la maîtrise de l’autonomie s’apprend. Si toutes les universités n’ont pas encore atteint un rythme de croisière dans la mise en œuvre de leurs nouvelles « responsabilités et compétences élargies », il n’en demeure pas moins que la loi LRU a ouvert une dynamique de progrès sur laquelle aucune université ne souhaite revenir.
La pierre d’achoppement est ailleurs : sans le budget nécessaire, point d’autonomie possible. Dès lors, pourquoi prévoir simplement une loi d’orientation ? Le Gouvernement a-t-il peur de s’engager ? Dans un contexte budgétaire contraint, on peut comprendre une certaine prudence, mais l’enseignement supérieur et la recherche sont précisément les éléments clés pour ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles à nos jeunes et faire participer notre pays à la compétition mondiale de l’intelligence.
Je rappelle que, sous le précédent quinquennat, le budget des universités a augmenté de 25 % en moyenne, et jusqu’à plus de 50 % pour certaines d’entre elles. L’État a augmenté deux fois plus les moyens en cinq ans qu’au cours des dix années précédentes.
La frilosité de la nouvelle majorité est un mauvais signe envoyé aux acteurs de l’enseignement supérieur. Le projet de loi que nous examinerons la semaine prochaine n’a rien pour les rassurer. Au lieu de développer l’autonomie, il la bride ; au lieu de sécuriser les modes de fonctionnement, il les complexifie.
Vous aurez beau, madame la ministre, invoquer ce rapport pour justifier vos choix, ces justifications cacheront mal le vrai propos de la réforme : défaire ce qui a été fait par la majorité précédente et « recentraliser » le système. Nous tenterons la semaine prochaine de vous faire entendre nos arguments et de relayer ainsi les inquiétudes des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Le sujet est d’une telle importance qu’il faut se garder de toute attitude partisane. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je tiens à féliciter les rapporteurs, dont le travail a été empreint d’une grande rigueur et d’un réel sens de l’écoute. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la loi du 10 août 2007, dite « loi LRU » est venue compléter un mouvement d’autonomisation des universités engagé depuis la loi Edgar Faure de 1968.
Au départ, la loi LRU a créé un certain nombre d’attentes, notamment auprès des présidents d’université, des cadres et des enseignants-chercheurs, souvent très impliqués – plus de capacités d’initiative, plus de moyens financiers, plus de souplesse dans la gestion au quotidien et dans la mise en place des stratégies territoriales –, mais elle a aussi suscité des craintes chez tous ceux qui tenaient à une présence équilibrée de l’enseignement supérieur sur tout le territoire. Elle leur a fait craindre que n’apparaisse une université à deux vitesses, que des villes ne soient moins bien dotées ou délaissées, que les équipements ne souffrent de cette autonomie, et, plus largement, que les universités n’entrent en concurrence ouverte les unes avec les autres.
Six ans après, on peut dire que, sans doute, tout n’a pas été négatif, mais que le bilan est mitigé.
Sur le plan budgétaire et financier, je soulignerai, comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi, que la gestion de la masse salariale constitue un défi considérable en raison du caractère rigide de cette dépense et de sa progression mécanique liée au glissement vieillesse technicité. Les universités « autonomes » doivent également compter avec les décisions prises à l'échelon national, par exemple les plans de titularisations.
Comme le montrent très bien les auteurs du rapport de la commission d’évaluation, les transferts de charges de gestion et de personnels n’ont pas toujours été très bien évalués. Or l’enseignement supérieur et la recherche, ce sont d’abord des questions qui ont trait aux ressources humaines, et ce type de dépenses est évidemment central dans la gestion de nos établissements.
Les auteurs du rapport regrettent également qu’aient été sous-estimés les coûts liés à l’autonomie, laquelle a été particulièrement préjudiciable aux établissements de petite taille, qui ont dû faire face à ces dépenses nouvelles.
La question de la maintenance du patrimoine universitaire n’a finalement pas été traitée dans le cadre de cette loi, puisque très peu d’universités en ont pris la responsabilité et que les ressources restent modestes à l'échelle nationale.
Alors que les universités, grâce à cette loi, devaient « prendre leur envol » et disposer de nouvelles marges de manœuvre, nombre d’entre elles se sont retrouvées dans des situations difficiles. D’autres ont eu recours, sans doute trop massivement, à l’emploi contractuel, ce qui a parfois conduit à la précarisation d’un nombre important de jeunes docteurs. Si bien que les difficultés budgétaires de nombre d’universités en 2012 font incontestablement partie de l’héritage laissé par cette loi, qui est aujourd’hui très difficile à gérer.
Il faut également souligner que, au moment de ce passage à l’autonomie, jamais les financements dédiés à l’enseignement supérieur et à la recherche n’ont été aussi fragmentés et aussi peu pérennes. Les conséquences ont été assez importantes, y compris dans la mise en œuvre de cette loi.
Les PRES, le plan Campus, les projets IDEX, ou initiatives d'excellence, qui étaient prévus, ainsi que les autres déclinaisons liées aux investissements d’avenir ont été gérés quasi parallèlement à la mise en œuvre de cette loi, si bien que le pilotage global de l’enseignement supérieur et de la recherche a été en partie désorganisé. Or l’autonomie ne peut être pleinement efficace qu’avec une organisation rationnelle.
La souplesse en matière de gestion qui a été obtenue par les universités est réelle, mais ses conséquences ont à mon sens été considérablement amoindries par la complexité des financements connexes.
Comment piloter un établissement de façon rationnelle lorsque l’ANR décide des financements directs des chercheurs en passant par-dessus les directeurs de laboratoire de recherche et les présidents d’université, lorsque les projets immobiliers imaginés par le plan Campus sont totalement bloqués par la promotion largement idéologique des partenariats public-privé que personne ne parvient à concrétiser, lorsque les investissements d’avenir ajoutent une troisième strate de décision, fondée uniquement sur la logique de l’excellence ?
Au-delà de la loi LRU, c’est donc à mes yeux le pilotage de l’ensemble du système qu’il faut essayer de rendre plus simple et plus rationnel.
Quelles sont les conséquences de l’autonomie sur l’offre d’enseignement ? Comme l’ont indiqué les rapporteurs et de nombreux orateurs, l’autonomie a incontestablement conduit à une diversification et à une multiplication de l’offre, notamment au niveau des masters, qui rendent aujourd’hui le paysage relativement illisible pour les parents et les recruteurs, mais aussi pour les universités étrangères. D’excellents projets ont été mis en œuvre, mais la lisibilité n’y a pas gagné. C’est un point qui devra être corrigé.
Comme le soulignent les auteurs du rapport, les universités ont eu du mal à choisir entre pluridisciplinarité et différenciation de leur offre. Il s’agit là d’une réalité objective. De plus, la carte nationale des formations, prévue par la loi, fait toujours défaut. Elle serait pourtant bien utile pour éclairer les différents acteurs.
Le plus grave échec, à mes yeux, porte sur la réussite des étudiants dans le cycle de la licence. La loi LRU n’a pas été accompagnée d’une réflexion ni de décisions suffisantes relatives à l’arrivée massive de bacheliers aux parcours très différents. Malgré les moyens qui ont été injectés dans le cursus de la licence, la diversité des publics en première année de faculté n’a pas conduit aujourd’hui à une amélioration de la réussite des étudiants. C’est, chacun le sait, l’un des principaux problèmes de notre enseignement supérieur.
À l’inverse, il me semble que la nouvelle organisation de l’évaluation, même si elle est perfectible, constitue un progrès.
Les craintes et les effets pervers de nombreux observateurs, tels que le risque de privatisation des universités ou de concurrence débridée au détriment des territoires les moins bien dotés ne se sont à mes yeux pas traduits dans les faits. Notre système universitaire reste présent sur tout le territoire, y compris dans de nombreuses villes moyennes à travers les IUT et les premiers cycles, avec une qualité qui est maintenue.
Nous le devons pour l’essentiel à l’engagement des personnels enseignants et aux présidents d’université, qui ont veillé à la permanence du service public. J’ajoute que nous le devons aussi aux élus locaux qui, chacun le sait, sont très attachés à la présence de ces formations sur leur territoire.
Les craintes liées à la politique des regroupements universitaires, avec la création des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, ne se sont pas vérifiées non plus. Tout d’abord, très peu de pôles réellement structurés ont véritablement vu le jour. Je considère qu’il s’agit d’une contradiction politique majeure, puisque la LRU, d’un côté, renforçait les pouvoirs des présidents d’université et, de l’autre, leur demandait d’abandonner illico presto une partie de ces nouveaux pouvoirs au profit des institutions collégiales. C’était à mon sens quelque peu contradictoire.
Aujourd’hui, les principaux problèmes liés à l’application de la loi LRU me semblent liés à l’absence de décision sur des sujets majeurs : la régression de l’efficacité de l’orientation post-baccalauréat, l’absence de reconnaissance du travail pédagogique et d’insertion professionnelle que réalisent certains enseignants chercheurs qui, quoique très impliqués, sont toujours aussi peu reconnus dans leur carrière, enfin, la baisse trop importante des crédits récurrents dans les laboratoires de recherche, voire la marginalisation des présidents d’université, mais aussi des élus dans des décisions relatives, par exemple, au plan Campus.
En conclusion, je ferai un point rapide sur les trois objectifs qui étaient assignés à la LRU.
Premièrement, la loi voulait rendre l’université plus attractive. Cet aspect a été amélioré au niveau des doctorats et des masters, notamment grâce à la diversité des offres, que j’ai déjà évoquée, mais pas dans le premier cycle. Il faut, et c’est un enjeu majeur, rendre les premiers cycles attractifs, mobiliser les enseignants chercheurs et reconnaître leur engagement.
Deuxièmement, la loi visait à améliorer la gouvernance. Je considère, en toute honnêteté, que la gouvernance des universités ne fonctionnait pas si mal avant la loi LRU et que les présidents avaient la capacité de prendre des décisions. (Mme Corinne Bouchoux approuve.) Y a-t-il eu amélioration ? Peut-être. En tout cas, pour moi, elle n’est pas majeure.
Troisièmement, la loi tendait à rendre la recherche universitaire visible à l’échelle internationale. Nous avons un peu progressé à cet égard, mais il reste beaucoup à faire.
Le Gouvernement va avancer non pas dans le sens de l’abrogation – cela ne serait pas utile –, mais dans celui de la correction et de l’amélioration de certains points. Il faudra l’accompagner avec beaucoup de dynamisme et peut-être formuler des propositions complémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Chiron. Bonne analyse !
M. le président. La parole est à Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale, mes chers collègues, la mise en œuvre de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités a déclenché un véritable choc culturel au sein du monde universitaire. Ses effets, qui ont varié selon le contexte particulier de chaque établissement, continuent d’animer la communauté universitaire.
Il convient aujourd'hui d’évaluer la mise en œuvre de la loi du 10 août 2007 en référence à ses principaux objectifs : replacer l’université au cœur du système français d’enseignement supérieur et de recherche, optimiser l’utilisation des fonds publics et consacrer une véritable autonomie des équipes dirigeantes, enfin, favoriser la réussite de nos étudiants.
Sur le plan de l’autonomie, malheureusement, selon des récentes études d’évaluation des performances de vingt-neuf systèmes d’enseignement supérieur en Europe, la France demeure, cinq ans après l’adoption de la LRU, dans le dernier tiers du classement : elle se trouve aux vingt-troisième et vingt-huitième rangs respectivement pour l’autonomie financière et pour l’autonomie de gestion des ressources humaines, au dix-septième rang pour ce qui est de l’autonomie organisationnelle et à la dernière place pour l’autonomie académique.
Les dotations allouées aux universités depuis plusieurs années auraient dû leur permettre de mettre en œuvre l’autonomie de gestion. Toutefois, ces moyens n’ont pas été à la hauteur des charges transférées : masse salariale, recrutement, organisation, immobilier. Et, malheureusement, la complexité de l’architecture universitaire, telle qu’elle a été conçue, n’a pas permis d’améliorer la lisibilité du système d’enseignement supérieur et de recherche.
Par exemple, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique. Ainsi, le coût réel des transferts de charges et d’outils de gestion prospective efficients n’a pas été évalué, empêchant les universités de déterminer leurs marges de manœuvre budgétaires.
Les services centraux du ministère ne se sont pas impliqués dans le suivi et le support des établissements pour la gestion de leur masse salariale, alors que cette dernière représente parfois jusqu’à 80 % du total des moyens récurrents attribués.
Il est à regretter que, dans l’enseignement supérieur, le nombre de contractuels, y compris chez les enseignants, atteigne désormais 30 % des postes. Dans le domaine de la recherche, c’est très préoccupant, et l’on peut craindre une précarisation croissante de ces emplois pourtant qualifiés.
La diversification des fonds, l’un des objectifs majeurs de la loi LRU, a été extrêmement limitée. Ainsi, les fondations – une cinquantaine environ – n’ont levé que trop peu de fonds. De même, les recettes espérées issues de la formation continue ont été décevantes. D’importants progrès sont encore à accomplir, en lien avec l’État et les régions.
Quant à la ressource patrimoniale, elle est presque totalement inconnue dans le bilan des universités. Là aussi, d’importants progrès restent encore à faire, d’autant que, pour l’instant et compte tenu du manque de moyens, le processus a dû être suspendu.
Bien évidemment, ce résultat est très éloigné des objectifs qui avaient été fixés à l’époque, puisque la réforme mise en place devait, paraît-il, profondément bouleverser les modes de gouvernance et de pilotage budgétaires et financiers, ouvrir l’université sur le monde professionnel et économique, apprécier et évaluer les enseignants-chercheurs, enfin, au travers du plan Campus, moderniser les infrastructures universitaires.
Six ans après, le bilan n’est pas bon. Certains le trouveront mitigé, d’autres, comme moi-même, calamiteux. Que constatons-nous ?
Tout d’abord, la gouvernance des universités est trop centralisée et les regroupements universitaires insuffisamment structurants et peu stratégiques.
Ensuite, on observe le creusement des inégalités entre les filières et l’ouverture insuffisante des universités sur le monde professionnel, ainsi que l’absence d’interconnexion entre les outils de gestion des universités et des organismes de recherche.
Le conseil d’administration est devenu le seul organe délibératif, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire n’ayant plus qu’un rôle consultatif. Ainsi, ce dernier n’a en rien amélioré la vie étudiante.
Par ailleurs, le plan Campus a donné peu de résultats. Six ans après, où sont les campus qui devaient être visibles à l’international ? En l’absence de financement programmé, pas grand-chose n’est sorti de terre. Hélas, c’est la triste réalité.
De nombreux étudiants ne finissent même pas leur première année de licence. La réussite et, plus largement, la condition étudiante ne se sont pas améliorées ; au contraire, elles se sont dégradées.
Par ailleurs, et on ne peut que le regretter, sur les bases de la loi LRU, ces dernières années ont été marquées par une orientation qui donne la priorité à la compétition, qui tend à ne faire émerger qu’un petit nombre d’universités, les plus privilégiées, au détriment du développement d’un enseignement supérieur harmonieusement réparti et ouvert au plus grand nombre.
Pour toutes ces raisons, il était nécessaire de rectifier cette loi, et c’est bien l’objet du projet que vous présenterez la semaine prochaine au Sénat, madame la ministre. Votre texte a pour ambition la réussite de tous les étudiants. Il apporte une clarification importante de la gouvernance dans les universités. Il comporte des dispositifs nouveaux originaux, pour éviter la sélection par l’échec des étudiants et permettre une véritable orientation, ainsi qu’une meilleure professionnalisation. Il montre une volonté forte en faveur de l’accueil des étudiants étrangers ainsi que pour la recherche et le transfert vers l’économie. Gageons que ce projet de loi corrigera les errements constatés dans la mise en œuvre de la loi LRU. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter les rapporteurs pour leur rapport plein de nuances, qui, comme l’a souligné le président de la commission sénatoriale, reflète la difficulté du sujet à traiter.
J’ai été président d’une université pendant cinq ans et vice-président pendant dix ans. Il s’agissait d’une université de province, de taille moyenne, à vocation pluridisciplinaire, avec une grande faculté de lettres et une faculté de médecine réputée qui formait à toutes les spécialités, sauf dentaire.
Pendant quinze ans, comme les trois quarts de mes homologues, j’ai attendu une plus grande autonomie des universités. C’est pourquoi, lors de sa présentation, le projet de loi LRU a été globalement accepté par la plus grande partie des présidents d’université. Je ne vais pas changer d’opinion aujourd’hui.
Je comprends très bien, madame la ministre, que vous vous attachiez à corriger ce qui n’a pas fonctionné et à lancer un défi nouveau. Vous le faites sans revenir sur l’autonomie qui a été accordée aux universités. D’ailleurs, si tel devait être le cas, il en résulterait de graves difficultés au sein des établissements.
En effet, il faut du temps pour gérer l’autonomie – ce temps, nous ne l’avons pas eu – et il faut savoir ce que l’on place derrière ce terme. Entre autonomie et indépendance, il y a une grande différence, j’y reviendrai dans un instant.
L’application de la loi a produit des effets positifs. Il en est ainsi de la possibilité que s’exerce un véritable pouvoir exécutif universitaire. Cela peut s’appeler une présidentialisation. Mais la France n’a-t-elle pas un Président de la République ? Cela n’empêche pas le Parlement d’avoir des pouvoirs !
Lorsqu’un président d’université doit composer avec un conseil d’administration, un conseil scientifique, un conseil des études et de la vie universitaire qui ne parviennent pas à prendre des décisions, cela ne va pas sans problème. Toutefois, peut-être faut-il une plus grande implication des diverses instances dirigeantes, selon les sujets.
J’ai lu très attentivement le rapport. À l'évidence, lorsque pendant trois heures la discussion porte sur la promotion des professeurs d’histoire ancienne, les représentants des entreprises et de la région peuvent trouver le temps long. Comme le disait le président de la commission sénatoriale, on voit ce que cela représente ici, alors imaginez ce qu’il se passera pour ceux dont ce n’est pas le métier ! Cet aspect est important.
Au demeurant, le président de l’université a plus de temps qu’avant : je le rappelle, il était élu seulement pour cinq ans, non renouvelables. Il participait à trois conseils, avec entre-temps des discussions, des occupations, parce que, dans le milieu universitaire et étudiant, on bouge beaucoup. Personnellement, je suis favorable à cette évolution ; revenir dessus serait à mes yeux une erreur.
Nous avons aussi développé de nouvelles compétences, comme le pilotage budgétaire et la gestion prospective. Cela me paraît normal, car à partir du moment où les universitaires estiment que les présidents d’universités doivent être des universitaires et non pas des personnes venant d’ailleurs, il faut évidemment qu’ils développent leurs compétences de gestionnaires. Il faut l’accepter. Toutefois, on l’a bien vu, lors de l’application de la réforme, certains n’en avaient pas beaucoup. Les mêmes présidents qui demandaient l’autonomie, lorsqu’ils ont eu la possibilité d’embaucher à tour de bras des personnels en CDD, se sont retrouvés avec des budgets impossibles et se sont tournés vers l’État pour obtenir de l’aide. Cela s’est passé à peu près de cette manière dans un certain nombre d’universités.
L’ouverture de l’université sur le monde économique et sur les acteurs du territoire, dans son écosystème – régions, départements, agglomérations – est une bonne chose. On ne peut pas avoir des pôles de compétitivité sans relation avec l’université, de même que des relations doivent être nouées entre la recherche publique et la recherche privée. Tout cela doit permettre d’aboutir à des résultats, et c’est pourquoi ces aspects sont importants.
En revanche, ce qui n’a pas bien fonctionné et qui doit être revu, c’est tout d’abord la diversification des ressources financières. Actuellement, le mécénat et les fondations représentent tout de même epsilon dans le financement des universités.
Ensuite, une compensation insuffisante du transfert de charges a réduit la marge de manœuvre budgétaire des établissements. Les universités n’ont pas l’habitude du transfert de charges ; les administrations et la direction des enseignements supérieurs, la DESUP, non plus. Cela s’est donc fait un peu n’importe comment, il faut bien le reconnaître.
Par ailleurs, mon collègue sénateur et maire de Saint-Etienne, qui a été lui aussi président d’université, l’a dit : parallèlement à cette autonomie, le ministère a développé un certain nombre de projets comme les initiatives d’excellence, ou IDEX, les projets de recherche, l’emprunt destiné à financer les investissements d’avenir, les projets d’établissement.
En résumé, les universités avaient d’un côté une sorte d’autonomie et, de l’autre, un pilotage national, sans aucune régulation. Celle-ci a donc dû être faite d’une façon ou d’une autre. Le poids des services ministériels dans la gestion courante reste important, et finalement sans véritable ligne directrice.
De surcroît, à côté de cette autonomie, a été maintenue une différence forte entre universités et filières sélectives. Honnêtement, vous devez savoir que, en province, tous ceux qui ont le bac doivent en principe pouvoir s’inscrire dans la filière de leur choix. Et comment se passe l’entrée à Dauphine ? Et que se passe-t-il à Paris ? Dans la capitale, il y a une double sélection : il faut avoir un bac avec mention et, en plus, un logement, ce qui constitue une sélection par l’argent. Donc deux systèmes coexistent.
L’autonomie ne peut fonctionner que si l’on corrige ces différences, ce qui apparaîtra sans doute dans le futur projet de loi. J’y suis favorable, car, dans les précédents textes, les questions liées à la qualité de vie des étudiants, à leur logement et à leur santé n’ont pas été traitées, ce qui manque aujourd'hui.
Revenons au système parisien. Si un nouveau bachelier désire s’inscrire à Dauphine ou dans une autre université parisienne, comment fera-t-il si ses parents ne peuvent pas payer de caution pour son logement ? Serait-il plus bête que les autres ? Pas du tout. Cette inégalité est terrible, et il faut vraiment réexaminer cette question, sinon rien ne sera possible par la suite.
J’aurais évidemment bien d’autres choses à dire, mais je me limiterai strictement au temps de parole qui m’a été imparti pour revenir simplement sur la notion d’autonomie et d’indépendance.
Les collectivités territoriales sont autonomes ; elles ne sont pas indépendantes. Il doit en être de même pour l’université. Je le précise, le rôle de l’État n’est pas incompatible avec l’autonomie des universités, et ce dernier doit par moments indiquer très précisément sa volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Percheron.
M. Daniel Percheron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faut savoir conclure un débat. J’ai quatre minutes pour parler du big-bang et de la loi LRU, donc pratiquement l’éternité pour aller à l’essentiel ! (Sourires.)
Premièrement, du point de vue de Hubble, la stratégie de Lisbonne, certes un peu oubliée, a laissé croire à l’Europe qu’elle pouvait, au tournant des années deux mille, devenir le continent le plus intelligent du monde. Quelques années après l’euro, isolés comme nous le sommes au Mali, nous mesurons que la stratégie de M. Barroso a rencontré ses limites.
Si vous me le permettez, mes chers collègues, je m’exprimerai aussi en tant qu’élu régional, car ce pas de côté est peut-être décisif pour apprécier certains aspects de ce rapport très dense, madame la rapporteur, sur la loi de 2007, sur ses conséquences pour la Nation et pour les régions, plus particulièrement pour celle dont je suis le représentant.
Je commencerai par le paradoxe de l’autonomie, dont nous avons débattu. Les limites de ce principe viennent d'ailleurs d’être précisées, au travers d’une dialectique entre autonomie et indépendance.
Lorsque nous avons décidé, face à la massification de l’enseignement, d’accorder une relative autonomie à nos lycées et à nos collèges, donc à l’enseignement secondaire, nous l’avons fait dans le cadre de la décentralisation.
Lorsque nous avons décidé d’accorder la compétence exclusive, jalousement exercée, de l’État aux universités – cette autonomie ou indépendance historique vient de loin –, alors nous avons tourné le dos à la décentralisation, par la loi, mais aussi par la décision des universitaires eux-mêmes et des présidents des universités.
Aujourd’hui, nous mesurons, devant l’absence de fondations et la timidité du mécénat, au fond devant cette diversification des ressources, que l’autonomie, comme l’a dit M. Ambroise Dupont, va devenir un marché de dupes, dans lequel, très rapidement, c’est de nouveau vers nous, les collectivités locales, en dehors des compétences revendiquées par les universitaires eux-mêmes, que, peut-être, une partie de la solution se dessinera.
Vous me direz que ce pas de côté est un peu décalé, mais je vous répondrai par la négative, car, au moment du vote de la loi, dans le contrat de projet État-région, madame la ministre, en 2007, ma région a mis plus d’argent que l’État, alors même que ce domaine se situait en dehors de ses compétences.
Bref, nous savons de quoi nous parlons, et même à cette tribune, même en quatre minutes, certes un peu prolongées (Sourires.), nous avons le droit de le dire.
Si nous avions eu cette autonomie dans le cadre de la décentralisation, alors notre rôle d’ensemblier de la formation professionnelle et de l’apprentissage aurait pu consister à poser le problème majeur de l’orientation au lycée.
À cette heure-ci, dans la relative tiédeur d’un printemps et d’un été timide (Nouveaux sourires.),…
M. Jacques-Bernard Magner. Oh oui !
M. Daniel Percheron. … se joue le destin de nos élèves. Il se joue dans les collèges, où les jeunes, en fonction des trois vœux émis, s’orientent vers les lycées, éventuellement vers leurs impasses. Il se joue ensuite, à travers le baccalauréat, en direction de l’université.
Madame la ministre, n’oubliez jamais ce chiffre. C’est Richard Descoings qui, le premier, le seul, l’a souligné. De mon temps, quand le lycée était l’exception et quand s’appliquait dans toute sa rigueur la méritocratie républicaine, il y avait 143 000 bacheliers en France. Aujourd’hui, c’est le nombre des bacheliers S. Cela veut dire que le lycée de toujours, le lycée magistral a été préservé, volontairement ou non, par les classes moyennes et les classes moyennes supérieures, par la bourgeoisie.
Par ailleurs, quand on sait que, dans ma région, 50 % des élèves entrent en lycée professionnel et que 90 % des élèves des lycées professionnels échouent dans le premier cycle, nous découvrons avec stupeur que le système français, cet extraordinaire système de formation, parmi les meilleurs du monde en qualité, ne parvient plus à endiguer les inégalités territoriales.
Par conséquent, la loi n’a pas tranché ce problème crucial de l’orientation. Demain, après le bac, ces jeunes vont être sur des quais, et les trains qu’ils prendront ne mènent nulle part. Dans ma région, le chômage des jeunes est à 32 % et le décrochage concerne 20 000 jeunes chaque année. Bref, parler, même quatre minutes, même six minutes de cette loi, c’est d'abord faire attention à ne pas jouer avec les mots.
J’en viens au troisième thème que je voulais aborder.
Les grandes douleurs sont muettes, madame la ministre. Tout à l'heure, le Sénat a salué un juste, Pierre Mauroy. Or, sur cette question, nous avons connu à la fois l’injustice et la Bérézina. En 1812, le fleuve n’était pas gelé, mais ceux qui l’ont traversé sont morts, notamment les pontonniers ; de même, sur le socle de la LRU, le campus international et les investissements d’avenir, les milliards d’euros ont fait notre malheur. Nous avons été sacrifiés, madame la ministre !
Pourtant, l’ARS – quelle idée de la supprimer ! – nous avait placés huitièmes ou septièmes sur l’échelle de la compétition, et nous pensions pouvoir figurer parmi les gens retenus. La méthode, diabolique, a été confidentielle ; elle n’a pas fait la une des journaux, n’a donné lieu à aucune statistique et n’a jamais été illustrée par les cartes.
Vous le savez, dans ma région, un étudiant, à travers ces deux concours d’excellence, ces deux agrégations finalement tranchées par le Premier ministre, a reçu quinze fois moins qu’un étudiant de l’Île-de-France, quatorze fois moins qu’un étudiant d’Aquitaine, treize fois moins qu’un étudiant de Rhône-Alpes…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Percheron. Les grandes douleurs sont muettes, mais nous avons été sacrifiés. J’espère que, au fil des années – vous avez à peu près dix ans de mandats à exercer, madame la ministre (Rires.) –, vous pourrez faire appel devant le Sénat et devant l’opinion de cette situation intolérable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de ce débat très intéressant et de ce rapport de grande qualité, qui a été très utile six ans après la promulgation de la loi LRU et sept ans après la promulgation du pacte pour la recherche. Je salue donc le travail effectué par les rapporteurs, Dominique Gillot et Ambroise Dupont.
J’essaierai de ne pas trop parler du projet de loi pour ne pas déflorer le sujet que nous allons aborder la semaine prochaine. Toutefois, comme vous l’avez tous évoqué, vous me pardonnerez de le survoler tout de même un peu.
Ce débat est particulièrement bienvenu à l’heure où nous allons engager pour la première fois au Sénat la discussion sur ce projet de loi, qui va lier l’enseignement supérieur et la recherche, tant ils sont indissociables. D’ailleurs, vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, en parlant de ce rapport sur la loi LRU, vous avez tous finalement évoqué la recherche.
Mme Dominique Gillot, rapporteur. Tout à fait !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. Il fallait donc bien les lier dans un projet de loi qui corrige à la fois le pacte pour la recherche et la loi LRU.
Les difficultés rencontrées par les établissements dans la mise en œuvre de la loi LRU, ainsi que les protestations soulevées par plusieurs de ses dispositions, ont été à l’origine de ce texte, que je vous présenterai à partir du 19 juin prochain.
Toutefois, ce projet de loi va désormais bien au-delà des corrections attendues de la LRU. Il est axé sur deux priorités nationales : la réussite étudiante, dont nombre d’orateurs ont regretté qu’elle ait été insuffisamment traitée via la LRU, et la relance d’une stratégie de la recherche dans toutes ses dimensions, allant de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, sans oublier la question du transfert.
En effet, tout en se focalisant sur l’évaluation de la LRU, le rapport dont nous débattons aujourd’hui couvre l’ensemble du champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il constitue, à ce titre, une pièce essentielle dans le grand débat national sur l’avenir de nos universités, de nos écoles et de nos laboratoires.
Il y a quelques instants, M. Le Scouarnec a déploré que notre recherche soit trop focalisée sur les enjeux strictement technologiques. Pourtant, si, comme Valérie Pécresse avait l’habitude de le faire lorsqu’elle était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, on agglomère tous les financements dans ce domaine, qu’ils soient privés ou publics, qu’ils viennent du grand emprunt, des investissements d’avenir ou des fonds européens, il apparaît que l’on consacre, chaque année, environ 47 milliards d’euros à la recherche française.
Quelque 33 % de cette somme sont destinés à la recherche fondamentale, ce qui explique notre excellence en la matière. Nous pouvons en être fiers : nous avons des prix Nobel et des médailles Fields. Il y a quelques années, nous avons obtenu pour la première fois un prix Turing – cette distinction est l’équivalent du prix Nobel pour l’informatique et, partant, pour les mathématiques appliquées. S’y ajoutent les prix Poincaré, ainsi que les nombreuses médailles du CNRS, qu’elles soient de bronze, d’argent ou d’or.
Notre recherche fondamentale est unanimement saluée : la France se place au sixième rang mondial. Nos compétences sont également reconnues par les pays émergents, et ceux d’entre eux qui disposent de larges moyens financiers commencent à proposer des postes et des chaires dignes d’intérêt à nos scientifiques spécialisés dans la recherche fondamentale. Il nous faut absolument préserver cet atout et garantir sa pérennité.
A contrario, notre recherche technologique reste faible. Elle peine à atteindre les 10 % du budget total, malgré le crédit impôt recherche, malgré les clusters et l’ensemble du dispositif des investissements d’avenir, alors qu’elle dépasse les 20 % en Allemagne, aux États-Unis et dans de nombreux pays émergents.
Or cette recherche technologique est précisément le meilleur vecteur de la transformation de l’invention en innovation et ainsi en emplois. On l’observe clairement : si nous sommes placés au sixième rang pour les publications et la recherche scientifiques, pour l’innovation, autrement dit pour la création d’emplois, nous ne sommes qu’entre la dix-septième et la vingt-cinquième place – le classement varie selon les critères retenus. C’est en partie ce qui explique la disparition de nos emplois industriels : les activités en question sont insuffisamment irriguées par la recherche et par l’innovation. Par conséquent, des produits et des services moyens ou bas de gamme peinent à affronter la compétition internationale.
J’y reviendrai lors de nos prochains débats, mais je le souligne dès à présent : si l’on veut assurer un avenir à notre industrie et à nos services, si l’on veut donner un travail aux 25 % de jeunes actifs qui, aujourd’hui, sont à la recherche d’un emploi, si l’on veut garantir des débouchés aux baccalauréats professionnels, qui ont été évoqués il y a quelques instants, comme à l’ensemble des filières technologiques, il faut nourrir notre industrie et notre économie tout entière grâce à l’innovation. Or celle-ci naît, pour une large part, de la recherche.
Les auteurs du présent rapport dressent un bilan très nuancé de la loi LRU. Certains orateurs sont allés jusqu’à dénoncer le résultat obtenu comme « calamiteux ». Pour ma part, je le qualifierai de très contrasté, en distinguant les intentions de leur mise en œuvre. En effet, six ans après l’adoption de ce texte, nous sommes en mesure d’en dresser un bilan étayé.
Premièrement, les auteurs de ce rapport identifient, à juste titre, une série de transformations que l’on peut aujourd’hui considérer comme positives, mais qui restent à consolider. C’est notamment le cas de l’ouverture sur le monde professionnel et sur les enjeux économiques.
Ce mouvement était déjà largement engagé avant 2007. Je songe notamment à la loi sur l’innovation et la recherche, adoptée sur l’initiative du gouvernement Jospin. Ce processus s’est poursuivi avec le développement des formations professionalisantes et la mise en place de la réforme « licence-master-doctorat » ou LMD. Il a été renforcé par la LRU, avec l’insertion professionnelle, les coopérations dans le domaine financier, le mécénat et les partenariats avec les fondations.
Peut-être est-il encore trop tôt pour tirer un constat d’ensemble, peut-être ces usages ne s’inscrivent-ils pas dans notre culture nationale. Toutefois, force est d’observer que, dans ce domaine, les projets n’ont pas encore tenu leurs promesses en termes de ressources. En résultent les difficultés qu’ont évoquées la plupart des orateurs.
Il en va de même de l’évaluation externe et unifiée des établissements, au sujet de laquelle les points de vue divergent. Il s’agit de l’évaluation des formations et des laboratoires sous la responsabilité d’une instance nationale, selon des critères et des méthodes applicables à tous. En comparaison avec la situation antérieure, fondée sur un processus quelque peu endogène, le progrès est évident quant aux intentions. Toutefois, les conditions d’application et même les principes de cette évaluation se sont révélés tout à fait dommageables. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Les auteurs du présent rapport notent également que la nouvelle gouvernance des universités a pu être adaptée en fonction des écosystèmes locaux. Ils soulignent que, désormais, l’importance des fonctions supports de pilotage budgétaire et financier n’échappe plus à personne. Néanmoins, ces adaptations sont particulièrement instables et souvent illisibles pour les membres des établissements. Qui plus est, l’apprentissage du pilotage budgétaire s’est accompli dans un contexte de difficultés grandissantes.
Madame, monsieur les rapporteurs, vous évoquez les dix-neuf universités qui, à la fin de l’année 2012, accusaient un déficit de trésorerie. Un quart des établissements sont en difficulté au titre des fonds de roulement, qui sont passés du seuil prudentiel d’un mois à seulement quinze jours, voire à un délai quasi nul. Onze universités subissent même aujourd’hui un double déficit, correspondant à deux années consécutives.
En vertu de la LRU, cette situation aurait dû conduire à placer ces établissements sous tutelle. Toutefois, comme nous croyons en l’autonomie, nous avons privilégié un pilotage conjoint avec l’État pour opérer un redressement. En effet, la tutelle ne nous semblait pas aller dans le bon sens.
Quant aux difficultés que vous relevez, vous rappelez qu’elles ont profondément et durablement affecté la confiance des personnels et des usagers. Nous avons pu le constater lors des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, que j’ai tenu à organiser, précisément pour renouer le dialogue et la confiance. Ces assises ont rassemblé et impliqué plus de 20 000 acteurs sur tous les territoires.
Comment expliquer que ces résultats n’aient pas été à la hauteur des ambitions, par ailleurs tout à fait louables ?
La manière dont le transfert de charges et de moyens a été effectué lorsque les universités sont passées aux responsabilités et compétences élargies, ou RCE, n’était pas de nature à inspirer la confiance. Aujourd’hui, les universités ont compris que leurs nouvelles responsabilités étaient avant tout une charge considérable, et que le rôle de l’État dans l’exercice de l’autonomie restait crucial, au point de déterminer aussi bien l’échec que la réussite de cette entreprise.
La LRU prétendait mettre les universités au cœur de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais elle les a surtout placées face à de graves difficultés, sans pour autant parvenir à résoudre les dualités persistantes, d’une part, entre universités et grandes écoles – une question que Jean Germain a soulevée –, et, d’autre part, entre universités et organismes de recherche.
Enfin, vous rappelez que la réussite en premier cycle et l’amélioration des conditions de vie et d’apprentissage des étudiants ont été les parents pauvres de la mise en œuvre de la LRU. C’est la raison pour laquelle ces enjeux sont devenus la priorité des priorités de mon ministère, avant même l’adoption du projet de loi à venir.
En effet, la situation économique est difficile – le mot est faible ! Jacques Mézard a rappelé les chiffres du chômage, qui frappe aujourd’hui 25 % de nos jeunes actifs. Les jeunes diplômés s’insèrent certes plus facilement que les non-diplômés sur le marché du travail. Toutefois, force est de constater qu’ils sont rares : en France, le taux de réussite de la licence en trois ans ne s’élève en effet qu’à 37 %. A contrario, l’Allemagne atteint un taux de 60 % en la matière. Cet écart reflète un problème capital et traduit un véritable échec.
Pour les titulaires d’un baccalauréat technologique, le taux de réussite de la licence en trois ans ne s’élève qu’à 9,5 %, et il tombe à 6 % seulement pour les titulaires d’un baccalauréat professionnel. Ceux-ci rejoignent l’université faute de pouvoir être accueillis dans les sections de techniciens supérieurs, les STS, qui leur sont normalement destinées.
Face à cette situation, le futur projet de loi vise à réunir les conditions de la réussite des étudiants. C’est réellement une priorité.
À cet égard, les bacheliers professionnels doivent avant tout être orientés vers les STS, et les bacheliers technologiques vers les diplômes universitaires de technologie, les DUT. C’est l’une des conditions de la réussite en licence : cette méthode évitera ce massacre social que l’on fait subir à ces étudiants, souvent issus des milieux les plus modestes. Par ailleurs, elle permettra à l’université d’accueillir des populations plus homogènes. On ne limitera pas pour autant l’ambition de ces bacheliers à deux années d’études après le baccalauréat : en effet, par des passerelles garantissant une plus grande fluidité de l’enseignement, il leur sera permis de poursuivre leur cursus au-delà du BTS ou du DUT.
Ce projet de loi contient d’autres mesures, notamment pour ce qui concerne la continuité entre « bac – 3 » et « bac + 3 ». Nombreux sont ceux qui ont évoqué cet enjeu au cours de ce débat. S’y ajoute l’orientation dès le lycée, à laquelle je travaille dès aujourd’hui avec mon collègue Vincent Peillon ; ce chantier n’a nullement été abandonné, comme j’ai pu l’entendre dire ici ou là. Toutes les actions que nous menons ne sont pas nécessairement d’ordre législatif : a fortiori, toutes les réformes en cours ne sont pas inscrites dans le futur projet de loi.
Ce texte comporte également la diversification des méthodes pédagogiques, notamment avec l’introduction du numérique, qui permettra de développer une approche plus personnalisée de l’enseignement. De surcroît, l’intégration, au sein des formations, de stages en entreprise permettra d’éviter les effets d’aubaine, tandis que le doublement de l’alternance favorisera un rapprochement réel des universités et du milieu socio-économique. Ces stages et ces cursus en alternance concernent aussi bien le secteur public et le milieu associatif que la sphère privée.
Parallèlement, nous souhaitons rapprocher les différents types de formations et réformer ce fameux système dual via des conventions, en spécialisant progressivement l’enseignement au cours du premier cycle pour faciliter les réorientations sans redoublement. De fait, les redoublements pénalisent toujours davantage les jeunes issus des milieux les moins favorisés.
Nous aurons l’occasion de débattre longuement de ces sujets, que je me contente ici d’évoquer.
Depuis un an, la vie étudiante fait l’objet d’un plan d’action qui, lui non plus, n’est pas de nature législative. Ce dernier prend en compte tous les aspects de la réussite étudiante : l’hébergement, avec, pour objectif, la construction de 40 000 logements au cours du quinquennat, les aides financières, la santé – notamment l’accès aux soins – et un accueil amélioré des étudiants étrangers.
Pourquoi insister sur l’accès aux soins ? Parce que nous avons constaté qu’il s’était fortement détérioré au cours des dernières années : de moins en moins d’étudiants sont affiliés à une mutuelle. En ce qui concerne les soins gynécologiques, pour les jeunes filles, mais aussi les soins dentaires et visuels, la dégradation est perceptible. Non seulement cette situation est de nature à pénaliser la réussite des étudiants à l’université, mais elle tend également à fragiliser leur santé tout au long de la vie.
Deuxièmement, les auteurs du présent rapport se penchent sur la question de l’autonomie.
De nombreux orateurs l’ont souligné avec raison, il faut distinguer l’indépendance de l’autonomie. Cette dernière est à la fois une valeur forte du monde universitaire et un moyen d’améliorer l’efficacité et la qualité de l’enseignement et de la recherche. Toute l’histoire des universités se résume par la conquête de l’autonomie, depuis leur invention au Moyen Âge, en résistance aux pouvoirs établis, jusqu’aux réformes les plus récentes, celles d’Edgar Faure en 1968 et d’Alain Savary en 1984.
À ce titre, l’autonomie garantie par la LRU a surtout conduit à déconcentrer la gestion budgétaire de la masse salariale, qui est venue compléter le principe du « budget global », déjà en vigueur depuis quelques années. Malheureusement, cette déconcentration de la masse salariale a été opérée sans anticipation des évolutions à venir. J’y reviendrai.
Si les objectifs affichés étaient ambitieux, l’accompagnement financier et technique n’a pas été à la hauteur. Le passage précipité aux RCE, encouragé pour des raisons d’agenda politique et sans considération pour les transformations à accomplir au sein des établissements, a heurté de plein fouet un système universitaire qui, comme le rappellent les auteurs du rapport, n’avait en 2007 « aucune culture de la gouvernance opérationnelle, de la gestion prospective et du pilotage budgétaire et financier. »
Tout d'abord, ce qui a manqué dans cette grande transformation, ce sont des moyens pour absorber les effets d’un transfert de charges et le besoin de compétences nouvelles, liés notamment aux exigences d’offres intenses, voire frénétiques, de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, et des investissements d’avenir.
En conséquence, nos chercheurs ont moins fait appel à l’Europe. Nous avons reculé de cinq points quant à l’attribution de projets européens, alors que, en la matière, notre taux de réussite s’élève à 25,5 % : il est supérieur à la moyenne européenne, ainsi qu’aux résultats de nos voisins allemands. Pour une fois que tel est le cas, il convient de le souligner ! Reste que, face à la frénésie des appels d’offres nationaux, nos chercheurs ont déserté l’Europe.
Il convient de revenir sur cet état de fait, non seulement eu égard aux enjeux budgétaires – encore que cet aspect ne soit pas négligeable par les temps qui courent –, mais aussi pour notre rayonnement international. De fait, notre présence dans les réseaux européens nous garantit une meilleure visibilité et, ainsi, une plus grande force à l’échelle internationale.
Ensuite, le temps de la restructuration et de l’apprentissage nous a fait défaut pour la mise en œuvre de cette nouvelle gouvernance : imaginez une entreprise qui, soudain, verrait son budget multiplié par dix ! Certes, cette situation est assez fictive, car il s’agit en l’occurrence d’un transfert de charges. Toutefois, il faut garder à l’esprit les ordres de grandeur eux-mêmes : porter un budget de 30 millions d’euros à 300 millions d’euros sans formation, sans anticipation ni préparation conduit nécessairement à des désillusions.
Mme Dominique Gillot, rapporteur. Bien sûr !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. Au demeurant, aucune entreprise ne pourrait résister à une transformation si brutale sans accompagnement ni conduite du changement.
Enfin, l’accompagnement administratif et logistique par les services de l’État a manqué. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie d’un État centralisé, mais d’évoquer un État responsable. Le service de la dette mis à part, le budget de l’enseignement supérieur est le troisième budget de l’État. Cela ne va pas sans responsabilité, et l’État est redevable des fonds publics vis-à-vis de l’ensemble de la population, comme il est redevable de l’équilibre entre les territoires, qui a été si souvent évoqué.
David Assouline l’a dit, sur les quatre-vingt-treize universités, voire sur la centaine qui existait avant les regroupements, seules dix disposent aujourd’hui d’une comptabilité analytique.
Les universités ont donc manifestement fait face à d’importantes difficultés, aggravées par l’absence d’anticipation de l’évolution des dépenses, concernant notamment le glissement vieillesse technicité, le GVT, et le compte d’affectation spéciale « Pensions », dont la mise en œuvre a été retardée. À mon arrivée au ministère, ces questions se sont brusquement imposées, dans la mesure où les impasses budgétaires s’élevaient à 400 millions d’euros, parmi lesquels figurait le dixième mois de bourse, toujours annoncé, jamais budgété, représentant tout de même le coût non négligeable de 150 millions d’euros.
Ceux qui ont vécu les deux premières années du passage aux RCE ont eu le sentiment que tout le monde apprenait à grande vitesse, y compris, et surtout, ceux qui organisaient cette grande transformation à l’échelon national. Les réponses des services de l’État, auxquels on s’adressait malgré tout pour résoudre les difficultés, donnaient le sentiment qu’ils étaient toujours en retard d’un temps sur les établissements.
Vous résumez très bien l’effet produit au bout de seulement deux ans de mise en œuvre : « Confusion, difficultés et sidération ». Vous rappelez que l’Association des universités européennes, l’European University Association, situait la France, cinq ans après l’adoption de la loi LRU, dans le dernier tiers du classement en matière d’autonomie universitaire, et même à la dernière place pour ce qui concerne l’autonomie académique.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de transformer le sens et la méthode de l’autonomie, sans pour autant la remettre en cause, tant elle est, à mes yeux, consubstantielle à la culture de l’université.
Les établissements sont accompagnés par les services ministériels ; c’est le premier élément de transformation. Ils peuvent faire appel à des ressources de diagnostic et bénéficient d’analyses et d’expertises. Ils peuvent partager avec les services du ministère l’élaboration de plans de redressement, voire de plans à long terme pour l’évolution de leur modèle économique.
Le deuxième élément recouvre la mise en place de l’accréditation. Elle redistribue les rôles et refonde l’autonomie pédagogique et académique en alliant, d’un côté, un État stratège qui définit et révise périodiquement une programmation nationale et précise le cadrage national des diplômes, et, de l’autre, des établissements qui composent leur offre de formation et affichent des choix visibles et lisibles pour tous, à commencer par les jeunes, leurs familles et les employeurs.
Aujourd’hui, je le répète, les jeunes et les familles, en particulier ceux qui sont issus des milieux les plus modestes, éprouvent les plus grandes difficultés à s’orienter dans le maquis des formations.
Le troisième élément concerne l’évolution de l’évaluation, dont nous parlerons de manière plus approfondie la semaine prochaine. Portée par une nouvelle instance, un Haut Conseil, cette évolution va également dans le sens de l’autonomie, en conjuguant étroitement le besoin d’une auto-évaluation adaptée aux stratégies d’établissement, et le respect de critères, de normes et de pratiques de niveau international, sous contrôle et validation de l’instance nationale. La méthode est donc tout à fait différente de celle qui était suivie par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES. Elle correspond à ce qu’ont préconisé quelque 20 000 acteurs du monde universitaire, ainsi que plusieurs prix Nobel, les professeurs Françoise Barré-Sinoussi et Serge Laroche, ou le mathématicien Cédric Villani, lauréat de la médaille Fields.
La lourdeur administrative et le manque, parfois, de pertinence des évaluations rendues venaient de ce que l’on apprenait en marchant. Cette situation a amené les acteurs consultés au cours des assises à demander un changement radical de méthode. Cela ne revient pas à jeter le discrédit sur les personnes qui ont procédé aux évaluations, qu’il faut respecter et dont il faut respecter le travail. Il me revient cependant d’opérer les modifications nécessaires à l’intérêt général.
Le troisième point relevé par votre rapport s’attache à la politique de formation, dont vous constatez qu’elle n’est ni maîtrisée ni régulée. Vous montrez ainsi qu’avec plus de 3 600 diplômes de licence habilités et quelque 7 700 masters, en additionnant mentions et spécialités et sans compter ceux qui sont habilités hors des universités, le paysage national des formations supérieures est devenu illisible.
Votre analyse rejoint la mienne. On compte en effet 2 217 licences professionnelles, réparties entre 47 dénominations nationales et un peu moins de 2 000 spécialités, 1 420 licences générales, comportant 322 intitulés différents, dont plus de 200, soit 67 %, ne concernent qu’un seul établissement et une soixantaine, soit 19 %, entre deux et cinq seulement.
Comment un employeur peut-il s’orienter dans une telle offre de formation ? Comment peut-il évaluer les qualifications ? Cela paraît bien difficile. Ainsi s’explique peut-être l’éloignement constaté entre le milieu économique et l’université. En effet, les blocages ne peuvent pas être imputés exclusivement à un seul des partenaires, mais sont de la responsabilité des deux.
Aujourd’hui, un lycéen de terminale qui veut s’orienter avec le système Admission Post Bac est confronté à un maquis de 11 000 formations.
Certes, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a vocation à créer des emplois. Toutefois, il ne lui revient pas de participer au développement actuel de la profession de coach privé aidant les familles qui en ont les moyens à s’orienter dans le système de l’enseignement public du secondaire comme de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est une situation inadmissible !
Les jeunes qui ne disposent pas de décrypteur dans leur entourage se trouvent dans l’incapacité de faire un choix pertinent face à une telle complexité. Encore une fois, les jeunes issus des milieux les plus modestes en font les frais. Cela peut expliquer également les difficultés de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur pour ce qui concerne les jeunes issus de milieux plus modestes.
Ce maquis des formations a aussi des conséquences dans les établissements. Vous soulignez, avec l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR, qu’il s’agit là d’une des principales sources de difficultés financières des universités, comme le confirment également les analyses et interventions de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle auprès des établissements en situation de déficit. Nous avons découvert, par exemple, des formations de master avec treize enseignants pour sept étudiants !
La politique d’accréditation, inscrite dans le projet de loi pour l’enseignement supérieur et la recherche, repose sur quelques principes simples : la diminution du nombre d’intitulés, tous établis nationalement, la composition d’une offre de formation conçue avec une attention plus marquée aux attentes et aux demandes des étudiants et aux besoins de la société, l’établissement d’une carte des formations qui ne soit plus seulement un instrument d’affichage des spécialités des enseignants-chercheurs, la mise en place d’une offre simplifiée et lisible par tous, jeunes, familles, employeurs.
M. Bordier s’inquiétait de la faisabilité d’une telle simplification. Je veux ici le rassurer : elle a été engagée, les comités licence et master y travaillent avec les comités disciplinaires, et nous allons proposer dès la fin du mois de juillet prochain une nomenclature d’offres simplifiées au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER. Cela s’est révélé plus facile encore que je ne l’avais anticipé. Parfois, les choses s’imposent d’elles-mêmes !
En raison de l’émiettage par site, personne, à mon sens, n’avait mesuré l’ampleur de cette complexité. Le chiffre de 11 000 formations proposées à un jeune souhaitant s’orienter a pourtant provoqué un choc salutaire. Tout le monde a compris qu’il fallait regrouper les formations par grands domaines, sans les appauvrir, afin de les rendre davantage lisibles.
Quatrième point, la gouvernance est trop centralisée. Dans mon esprit, elle doit venir au soutien des missions du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. On a parfois eu le sentiment que c’est l’inverse qui se passait, tant l’accent semblait porter sur la gouvernance, au détriment des missions centrales que sont la formation et l’insertion des jeunes.
Votre analyse relève la centralisation excessive du processus décisionnel autour du conseil d’administration et de son président, ainsi que la marginalisation des autres instances élues : le conseil scientifique et, plus encore, le conseil des études et de la vie universitaire, le CEVU.
Vous notez également le caractère autocentré de cette gouvernance, qui conduit à interdire aux personnalités extérieures membres du conseil d’administration de participer à l’élection du président de l’université. Vous mettez en relation, à juste titre, l’ouverture insuffisante des universités sur le monde socio-économique et la place marginale qu’elles occupent sur le marché de la formation continue, alors même qu’elles possèdent les meilleures compétences en matière pédagogique.
Vous regrettez, comme beaucoup de membres des conseils d’administration, l’encombrement de leurs ordres du jour, la durée interminable de leurs séances, leur saturation par des problèmes de gestion courante et, en conséquence, leur incapacité à se concentrer utilement sur leur mission stratégique principale.
J’ai siégé durant presque quinze ans dans ces conseils d’administration et j’ai fait l’expérience de la perte du droit de voter pour le président de l’université. J’ai vécu de l’intérieur ce que vous décrivez, en constatant également que nous ne parlions jamais de vie étudiante, parce que, pris par les problèmes internes, nous n’en avions pas le temps. J’ai été témoin de la désertion progressive de ces conseils d’administration, trop longs et centrés sur des questions internes, par les personnalités extérieures, notamment par les élus et les acteurs issus du monde économique.
C’est pourquoi le projet de loi pour l’enseignement supérieur et la recherche vise à réunir la commission de la recherche et celle de la formation en un seul conseil académique, ce qui se fait à peu près partout dans le monde, afin de rétablir le lien entre recherche et formation, d’offrir à ces deux missions un poids équivalent et de conférer davantage de poids aux étudiants et à la vie étudiante, qui est au cœur de la réussite de ces derniers.
Ce texte contient également des dispositions tendant à attribuer des compétences délibératives importantes et précises à chacune des deux commissions du conseil académique et à réserver les délibérations du conseil d’administration aux questions stratégiques, budgétaires et financières. Le conseil d'administration définira ainsi des orientations et des répartitions de moyens, que le conseil académique mettra en œuvre au quotidien, en gérant les missions de formation et de recherche. Afin de ne pas déstabiliser le conseil d'administration, il ne pourra cependant pas opérer d’investissement financier sans son accord.
La loi autorise également la participation des personnalités extérieures à l’élection du président. À mes yeux, le principe même de la démocratie exige que, autour de la table du conseil d'administration, chacun, pour peu que sa désignation ait été incontestable et transparente, dispose des mêmes droits et puisse donc voter pour l’élection du président.
Enfin, nous avons entendu les présidents d’université, et la loi prend en compte également la nécessité d’un pilotage cohérent, en permettant au président du conseil d’administration de choisir, avec son conseil, le mode de présidence de ce conseil académique. Rassurez-vous, celui-ci pourra être présidé par le même président que le conseil d’administration, par un vice-président du conseil d’administration ou par une autre personnalité désignée. La véritable autonomie, consiste, une fois encore, à donner le choix aux acteurs des écosystèmes et des pôles territoriaux.
Le cinquième point concerne le contrat et les territoires. Des craintes ont été exprimées au sujet d’une régionalisation supposée de l’enseignement supérieur. Il me paraît positif que les universités se comportent comme des opérateurs territoriaux et participent aux écosystèmes et aux dynamiques territoriales. Nous devons faire en sorte que les efforts des universités autonomes tendant à mieux faire correspondre leur carte de formations avec les besoins socioprofessionnels de leur environnement régional soient valorisants et valorisés.
Le rôle de l’État est toutefois de veiller à assurer la cohérence et l’égal accès aux formations sur le territoire national. Le contrat qui lie l’université à l’État est le lieu naturel pour cela. Comme vous le soulignez, les contrats d’établissements n’ont cependant « pas réussi à s’imposer véritablement comme un levier efficace de maturation de la stratégie de l’établissement. »
Nous avons étudié ces contrats, et nous avons surtout découvert des coquilles vides. Ils sont en effet trop nombreux – il en existe plus d’une centaine – et ils concernent trop d’établissements pour pouvoir faire l’objet d’un suivi efficace. Trop de contrats tuent le contrat !
On peut considérer également que les contrats d’établissements ont été, de fait, affaiblis à la fois par le passage en RCE – la masse salariale transférée pèse très lourd dans les budgets, et le bonus contractuel très peu – et par l’émiettement persistant des contractants. Pour ces deux raisons, la politique contractuelle de l’État n’a qu’un effet marginal sur l’action stratégique des établissements.
De plus, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, ont été incontestablement affaiblis par le refus de l’État de conclure des contrats avec eux. La loi prévoit une contractualisation avec les nouveaux regroupements, les communautés d’universités et d’établissements qui seront, à terme, une trentaine. Il est possible de suivre trente contrats. Dès lors, ces documents pourront avoir un contenu réel.
La mise en place des contrats de site donnera un nouvel élan à la politique contractuelle. À l’échelle des regroupements territoriaux, sur des périmètres mettant en cohérence stratégique tous les types d’enseignement supérieur, tous les laboratoires de recherche, et en partenariat avec les collectivités locales, au premier rang desquelles les régions, ces contrats auront enfin un sens stratégique.
On a beaucoup évoqué le système de répartition des moyens à l’activité et à la performance, le système SYMPA. Il est en cours de révision. Il n’a en effet de « sympa » que le nom et a suscité nombre de dysfonctionnements et d’injustices entre les territoires et les disciplines, par exemple entre les sciences humaines et sociales et les sciences exactes. Il faudra s’interroger sur ce système en fonction des contrats de site.
Anticipant sur la loi, j’ai signé la semaine dernière les deux premiers contrats de site avec l’université de Strasbourg et avec celle de Lorraine. À cette occasion, tous les acteurs se sont félicités de pouvoir définir une stratégie commune.
Le sixième point, c’est que, vous l’avez tous constaté, la politique de regroupements territoriaux engagée par la loi LRU a creusé les inégalités.
Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur ont bien joué leur rôle dans la première phase de développement de la coopération territoriale, ainsi que vous l’avez relevé. Cela constitue incontestablement un point positif dans la mesure où sont entrés en relation des acteurs qui ne s’étaient jamais parlé auparavant.
Trois pôles ont abouti à une fusion ; plusieurs autres ont bénéficié du plan Campus et des initiatives d’excellence, des projets qui étaient parfois en décalage avec la loi LRU et qui étaient surtout concentrés sur quelques sites ; enfin, la plupart d’entre eux ont organisé en commun leurs formations doctorales. Toutefois, plus d’une douzaine d’entre eux n’ont reçu qu’une très faible part des crédits extrabudgétaires du plan Campus et des investissements d’avenir.
Sur les 5 milliards d’euros du plan Campus, seuls 153 millions d’euros avaient été engagés quand je suis entrée en fonctions. Le cofinancement des collectivités territoriales, principalement des régions, mais aussi des métropoles, à hauteur d’un milliard d’euros, nous a heureusement permis de lancer les opérations, car la procédure très opaque et très complexe des partenariats public-privé, la seule procédure juridique préconisée, les avait totalement bloquées. Que dire de l’innovation représentée par ces plans qui n’avaient pas été mis en place cinq ans après leur création, sinon qu’elle est déjà quelque peu derrière nous ? Nous avons donc fluidifié les procédures.
À cet égard, je proposerai dans le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche de passer à la deuxième phase des regroupements territoriaux, en offrant un véritable choix entre plusieurs solutions combinables entre elles – fusions, communautés, conventions d’associations –, une meilleure participation des acteurs et des personnalités extérieures à la gouvernance des regroupements et des contrats de site. Ces futurs regroupements ne seront pas des coquilles vides.
Le septième et dernier point porte sur l’attractivité internationale. Je partage votre analyse, madame la rapporteur : « L’attractivité universitaire de la France, malgré des instruments de mobilité encore puissants, a souffert de la politique d’immigration développée au cours de ces dernières années, notamment à l’occasion de la publication de la […] “circulaire Guéant”. » Les auteurs du rapport d’information mentionnent également que notre politique d’attractivité souffre, s’agissant notamment des filières scientifiques, de la barrière de la langue.
Les mesures relatives à l’accueil et au séjour des étudiants et des chercheurs étrangers, notamment celles qui concernent la gestion des titres de séjour, feront l’objet de débats parlementaires et de mesures interministérielles, qui seront annoncées dès jeudi prochain par Manuel Valls, Laurent Fabius et moi-même. La politique d’accueil sera conçue en coordination avec les ministères concernés, avec des visas pluriannuels pour les étudiants et les chercheurs et un statut spécifique pour les étudiants effectuant leur doctorat en France, pendant et après leur thèse. Je rappelle qu’ils représentent 41 % de nos docteurs.
Dans le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche figurent aussi de nouvelles dérogations à la loi Toubon : encadrées, elles sont de nature à la fois à renforcer le socle de la francophonie et à permettre aux étudiants des pays émergents de venir s’engager dans les filières scientifiques, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
En conclusion, notre enseignement supérieur et notre recherche sont plus que jamais au cœur du rayonnement culturel et intellectuel et du redressement de notre pays. Les attentes sont fortes ; le monde, pays développés comme nations émergentes, bouge vite.
Dans le même temps, la mise en place nécessaire de notre dispositif d’enseignement supérieur et de recherche doit se faire sans brutalité, avec conviction et avec une grande constance politique. C'est la raison pour laquelle, par respect du travail réalisé par les communautés universitaires, nous n’avons pas fait table rase du passé.
Cette constance s’exprime tout d’abord par la programmation de moyens supplémentaires, avec, sur la durée du quinquennat, 5 000 postes inscrits dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques votée le 28 décembre 2012. Ces postes sont destinés en priorité à améliorer la réussite en licence.
Elle s’exprime également dans les prises de position du Président de la République, qui a rappelé à plusieurs reprises que l’avenir de notre pays reposait sur l’augmentation de l’investissement dans l’enseignement et la recherche.
La réussite des étudiants participe de l’élévation du niveau de qualification de notre population. La réorganisation de la recherche dans toutes ses dimensions contribuera à l’amélioration de notre compétitivité en Europe et dans le monde. Le retour d’un État stratège, aussi bien pour la formation que pour la recherche, ne correspond pas à une recentralisation ; il garantit que l’effort demandé à tous sera réalisé au bénéfice de l’intérêt général, au service de la société et de ce qui constitue son avenir, les étudiants et les jeunes chercheurs. De ce point de vue, le doctorat sera davantage pris en compte dans les carrières publiques et privées ; en tout cas, nous y travaillons.
Nous aurons besoin de temps et de votre soutien, mesdames, messieurs les sénateurs. J’espère que vous saurez nous l’apporter au moment opportun.
Permettez-moi une fois encore de remercier sincèrement et chaleureusement les deux rapporteurs du travail exemplaire qu’ils ont accompli, de la pertinence de leurs analyses et de l’ampleur de leurs consultations. Je me félicite de la convergence globale entre nos diagnostics respectifs et les orientations prévues dans le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, dont nous allons débattre ensemble à partir du 19 juin prochain, ce dont je me réjouis à l’avance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan d’application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, débat organisé à la demande de la commission d’enquête et du groupe RDSE.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre ordre du jour me procure une satisfaction particulière en ce qu’il me permet de revenir sur l'enquête que mes collègues et moi-même avons menée pendant six mois, d'octobre 2012 à mars 2013, et d'exposer les conclusions auxquelles, ensemble, nous sommes parvenus.
Ce soir, je voudrais remercier une nouvelle fois notre collègue Alain Milon, dont la présidence à la fois vigilante et sage a donné à nos travaux, audition après audition, réunion après réunion, un esprit d'ouverture et de courtoisie dont tous ceux qui ont participé à cette mission garderont un excellent souvenir. Par-delà ces qualités, quel meilleur choix que celui d'un médecin, que sa formation autorisait à rappeler, au fil des jours et des semaines, certaines vérités scientifiques quand cela était nécessaire à l'édification de la commission ?
Je veux aussi dire à quel point j'ai été impressionné par l'implication de tous les membres de la commission d’enquête et par la pertinence de leurs interventions au cours de nos nombreuses réunions. Le rapport que nous avons adopté le 2 avril dernier, à l'unanimité des commissaires présents, est le résultat d'un travail collectif, dans lequel j’inclus celui des collaborateurs que l’administration du Sénat avait mis à notre disposition.
Je crois pouvoir dire que nous avons tous vécu des moments forts, de l'audition des victimes, qui fut à plusieurs reprises très impressionnante, à celle de personnages parfois très inquiétants.
Notre commission d'enquête n'était pas une première au Parlement : l'Assemblée nationale a consacré au sujet des dérives sectaires trois rapports qui ont marqué les esprits. Je tiens donc aussi à saluer le travail accompli par nos prédécesseurs – nous en avons d'ailleurs auditionné certains au début de nos travaux.
Si mes collègues et moi-même n'étions pas des pionniers au Parlement, nous l'étions au Sénat puisque cette commission d'enquête était la première que la Haute Assemblée consacrait à un sujet lié aux dérives sectaires.
Nous tous, membres de cette commission, quelle que soit notre sensibilité, sommes attachés à la liberté de conscience et à la liberté d'expression. Simplement, nous avons considéré, au regard de nombreuses constatations que nous avions faites auparavant, que la santé était un domaine privilégié pour les dérives sectaires et que cela pouvait conduire à ce que la santé, précisément, d’un certain nombre de nos concitoyens se trouve mise en danger, aussi bien sur le plan mental que sur le plan physique.
Il est toujours simpliste de nous opposer l'approche anglo-saxonne. Du reste, de l'autre côté de l'Atlantique, on est capable de prononcer des sanctions extrêmement sévères à l’encontre de certaines dérives, selon un cheminement juridique différent du nôtre, mais avec une incontestable efficacité.
Ces dernières décennies, ce sont souvent les mouvements à caractère sectaire qui ont utilisé la lutte contre la vaccination, la transfusion ou la psychiatrie pour développer des méthodes que nous avons – avec d'autres – considérée comme dangereuses pour la liberté ainsi que pour l'équilibre et la santé de nos concitoyens.
Il est facile de surfer sur les peurs, surtout avec des maladies graves comme le cancer. Il est facile de promettre des guérisons par le verbe, la spiritualité, par des harmonisations, des purifications, l'utilisation de l'« énergie » ou de la physique quantique, par le retour à la nature…
Tous ces mots, toutes ces notions sont utilisés pour éliminer le « savoir » au profit du « croire ».
Nous avons relevé avec une certaine inquiétude l'introduction à l'hôpital, à titre de soins complémentaires, de pratiques telles que la fasciathérapie, d’autant qu’il nous est apparu que, depuis longtemps, aucune évaluation sérieuse, propre à justifier des pratiques de cette sorte, n’était ressortie d'une quelconque enquête.
De même, nous avons constaté avec regret qu’un rapport du Centre d'analyse stratégique du Premier ministre mettait en valeur le recours à certaines pratiques dans des conditions qui peuvent donner lieu à des utilisations regrettables. Selon moi, il serait bon de faire le nécessaire pour éviter ce genre d'errements.
Nous avons aussi constaté le laxisme de certains ordres professionnels.
Nous avons relevé l'utilisation d'Internet qui, ici comme ailleurs, a complètement changé les données du problème.
Nous avons également noté l’existence d’une certaine presse très axée sur la psychologie et vivant de l'engouement pour ces pratiques dites – à tort – « douces » ou « innovantes ».
Nous le savons tous ici, c'est la médecine qui, malgré ses imperfections et même certains errements, est innovante et en constant progrès. Elle a fait accomplir à notre société, à notre civilisation, des avancées considérables, que chacun, sans doute possible, est en mesure de constater.
On peut comprendre que des personnes malades, ou qui ont peur de le devenir, cherchent une écoute et des discours rassurants. C’est tout le problème de l'accueil dans les hôpitaux qui se trouve ainsi posé et il est vrai que la situation à cet égard est préoccupante. C’est au demeurant, de façon générale, le problème de la relation humaine : lorsqu'on apprend qu’on est malade, lorsqu’on est très inquiet, il est évident que la manière dont la relation humaine est gérée apparaît essentielle.
Voilà les raisons qui m'ont conduit à demander, au nom du groupe RDSE, la création de cette commission d'enquête que j'ai proposée dans le cadre du « droit de tirage » des groupes. M’étaient en outre parvenues, comme à d'autres, des informations sur l'existence de pratiques déguisées en soins et qui, sous couvert de promesses de guérison ou de bien-être, exploitent les peurs et les espoirs de certains de nos concitoyens pour leur extorquer de l'argent ou les entraîner dans des groupes à caractère sectaire.
Dans ce domaine des pratiques thérapeutiques extravagantes, les résultats de nos investigations ont même parfois dépassé ce que faisaient apparaître les messages d'alerte que nous avions reçus. Nous avons eu affaire à un immense marché de soins et, madame la ministre, la visite d'un « salon du bien-être » a laissé à ceux qui s’y étaient rendus un souvenir tout à fait impérissable.
Ces pratiques ont en commun d'être dénuées, le plus souvent, de tout fondement scientifique. Parfois, un substrat scientifique semble exister, mais il ne constitue alors qu'un habillage destiné à singer la science pour donner une apparence de respectabilité à des pratiques dont beaucoup sont pour le moins douteuses, voire, parfois, dangereuses pour la santé et l'équilibre de nos concitoyens.
D'autres informations faisaient état d'un lien entre ces pratiques thérapeutiques douteuses et certaine dérives sectaires. Nous avons constaté que, dans certains cas, la dérive thérapeutique empruntait beaucoup de traits à la dérive sectaire, au point l’une et l’autre se rejoignent, voire se confondent. À cet égard, nous avons souvent parlé de porosité.
Le rapport met en évidence, parmi ces points communs, une influence tellement forte sur les victimes qu'elle relève de l'emprise mentale, catégorie identifiée par les spécialistes de la lutte contre les dérives sectaires.
Cette emprise si puissante, contre laquelle ni la victime ni ses proches ne peuvent lutter, explique que les malades puissent croire à des promesses de guérison invraisemblables, qu’il s’agisse de traitements du cancer à base de jus de citron, de lavements au café ou d'appareils – nous avons pu en voir ! –dont des prospectus vantent, descriptions à l’appui, les effets sur le traitement de maladies aussi graves que la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaque… Il est tout de même incroyable que des traitements puissent être vendus partout sur le territoire national, en recourant, par exemple, aux ressorts complexes de la physique quantique pour étayer leur efficacité sur un certain nombre de pathologies…
Cette emprise explique aussi certaines transformations de la personnalité des victimes, au point d'empêcher toute communication avec leurs proches, voire de conduire à des ruptures familiales complètes.
Nous avons rapidement acquis la conviction que, face au danger que présentent les pratiques thérapeutiques douteuses et leurs interactions avec des procédés empruntant à la dérive sectaire, les pouvoirs publics devraient intervenir de manière plus énergique.
Certains objecteront que chacun est libre de ses choix thérapeutiques : si le système médical a le devoir de soigner, personne n'est tenu de se faire soigner. Il n'y a pas non plus d'obligation, pour les malades, de recourir à des traitements médicaux classiques.
Toutefois, si le libre consentement derrière lequel s'abritent les défenseurs de ces traitements fantaisistes est une chose, le consentement éclairé en est une autre ! Nombre de témoignages – ils sont retranscrits, madame la ministre, dans les 677 pages du tome II de notre rapport, et je ne doute pas que vous en ferez le meilleur usage possible – montrent très clairement que le danger est certain, car les victimes de ces praticiens douteux ne sont pas vraiment informées des conséquences de leurs choix thérapeutiques.
En matière de santé, le risque est tellement grave que le libre choix des personnes en faveur de telle ou telle pratique de soins ne peut être un argument pour laisser nos concitoyens compromettre leurs chances de guérison.
Tels sont, mes chers collègues, les enjeux de cette enquête complexe.
Je ne m’attarderai pas sur les méthodes et sur les 72 auditions auxquelles nous avons procédé.
Nous avons entendu des responsables des services de l’État et des grandes institutions. Nous avons entendu des spécialistes des dérives sectaires. Nous avons entendu des victimes et je vous invite, madame la ministre, à lire les comptes rendus de leur audition : elles parlent mieux que quiconque de ce qui peut se produire en la matière.
Nous avons aussi reçu des représentants de mouvements et des défenseurs de pratiques thérapeutiques mis en cause par les témoignages de victimes, afin d’avoir une approche équilibrée de ces problèmes. Cette confrontation de points de vue a été rendue possible à plus de dix reprises.
Divers thèmes se sont rapidement dégagés de ces auditions.
Nous constatons un développement certain des pratiques de soins dénuées de tout fondement scientifique. Internet est un vecteur très important de cette propagation : une part importante de notre enquête s’est faite sur la Toile, d’où les nombreuses sorties d’écran illustrant le rapport. La formation professionnelle est également un moyen de transmission de techniques de soins souvent fantaisistes, au travers de stages prétendant former à telle ou telle technique en quelques heures. Enfin, la réponse apportée par les pouvoirs publics semble à ce stade perfectible – c’est un euphémisme –, notamment s’agissant de la réponse judiciaire aux dérives sectaires.
Nous avons formulé un certain nombre de propositions et de recommandations, mais, considérant que la loi de la République telle qu’elle existe permet, dans la plupart des cas, de faire le nécessaire dans les meilleures conditions, nous n’avons pas voulu que ce rapport débouche sur des propositions de modifications législatives lourdes.
Laissant le soin à Alain Milon d’aborder les questions strictement médicales, je vais rapidement balayer cette série de propositions.
Certaines de nos préconisations visent à améliorer le traitement judiciaire des dérives sectaires en général, car, selon divers témoignages, les poursuites judiciaires semblent difficiles à mettre en œuvre.
Ainsi, la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, dite « loi About-Picard », qui a créé le délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, doit être davantage appliquée.
Sur le plan technique, nous avons préconisé d’aménager à la marge le point de départ du délai de prescription pour le délit d’abus de faiblesse.
Nous avons aussi souhaité que les plaintes et signalements déposés par des proches de victimes dans un contexte de dérives sectaires soient plus largement pris en compte par les procureurs.
Il nous a semblé opportun qu’il soit rappelé aux fonctionnaires ayant connaissance de faits relevant potentiellement de dérives sectaires qu’ils ont le devoir de les signaler, en application de l’article 40 du code de procédure pénale.
Nous avons en outre considéré que la formation des magistrats aux dérives sectaires devait être généralisée. Je ne sais pas si tout le monde peut être victime d’emprise mentale, mais je suis certain que chacun, à travers un proche, peut en subir les terribles effets. Il faut donc aider les magistrats et les experts à mieux appréhender ce problème.
D’autres propositions concernent l’amélioration du pilotage administratif de la lutte contre les dérives sectaires. À ce titre, il nous a semblé indispensable que, dans les préfectures, les groupes de travail se réunissent. Ce n’est pas souvent le cas et nous avons même constaté que beaucoup de ces groupes n’avaient jamais été créés.
Nous avons aussi proposé le renforcement du statut de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, et souhaitons que soit examinée la question de l’immunité de son président, afin que celui-ci ne subisse pas tous sortes de recours et procédures totalement injustifiés.
S’agissant des propositions qui concernent plus spécifiquement notre sujet, nous avons demandé l’instauration d’un contrôle spécifique de la publicité et de la vente d’appareils à finalité médicale, ou plutôt pseudo-médicale. Quand une personne se rend dans un magasin de jouets, elle peut être certaine que tous les jouets ont été contrôlés et leur absence de dangerosité, vérifiée. Or, dans certains salons, dans certains magasins et sur Internet, des appareils à vocation pseudo-médicale sont en vente libre, sans aucun contrôle. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, apparaît comme la structure administrative la plus adaptée pour traiter ce problème.
Nos conclusions ont également porté sur l’influence d’Internet et nous avons souhaité que l’information médicale en ligne soit mieux encadrée, avec un renforcement de la sécurité des internautes, mais aussi un renforcement des moyens des enquêteurs de la cyberpatrouille de la gendarmerie nationale – eux-mêmes le demandent –, car ce qui existe en matière de pédopornographie doit s’étendre au domaine dont nous parlons.
Nous avons formulé un certain nombre de propositions en matière de formation, ainsi qu’en ce qui concerne l’utilisation abusive de l’intitulé d’université ou du titre de docteur en médecine par des personnes ayant été radiées de l’Ordre des médecins. Se pose aussi la question des diplômes d’université, dont certains, il faut le dire, sont fantaisistes. À cet égard, madame la ministre, il y a du ménage à faire…
Enfin, nous avons proposé un certain nombre d’avancées en matière de protection de l’enfance.
Après cette présentation des constatations que nous avons faites et ce bref aperçu de nos préconisations, je conclurai en faisant part de notre souhait que ces propositions soient suivies d’effet et qu’elles ne soient pas destinées à être finalement reprises, dans l’avenir, par une autre commission d’enquête sur les dérives sectaires. Nous veillerons d’ailleurs à présenter des amendements dans ce sens à l’occasion de l’examen de projets ou propositions de loi se prêtant à leur introduction par leurs liens avec ce dossier.
Il appartient au Gouvernement de la République et à chacun d’entre nous, dans les deux assemblées, toutes sensibilités politiques confondues, de prendre suffisamment au sérieux les avertissements contenus dans ce rapport pour que nos propositions puissent dès maintenant trouver une application concrète. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission d’enquête.
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’apporter ma contribution au débat qui nous réunit ce soir, je voudrais souligner combien je suis heureux que cette séance nous permette de faire vivre dans notre hémicycle le rapport adopté le 2 avril dernier, au terme de six mois d’enquête, par la commission que j’ai eu l’honneur de présider.
Je m’associe évidemment aux hommages rendus par Jacques Mézard à tous les membres de la commission et à nos collègues de l’Assemblée nationale.
Je voudrais retourner son compliment à notre rapporteur et noter que, si mon expérience de médecin a pu être utile à la commission, comme d’ailleurs celle de tous les collègues médecins qui en faisaient partie, il est incontestable que le choix d’un juriste aussi expérimenté comme rapporteur a été extrêmement pertinent.
Comme l’a indiqué Jacques Mézard, cette commission a été conduite à traiter deux thèmes. Le premier est celui de la dérive sectaire dans le domaine de la santé. Le second, auquel je vais consacrer mon propos, a trait aux dérives thérapeutiques liées à certaines pratiques de soins dites « non conventionnelles ».
Je tiens à préciser dès maintenant que le rapport de la commission d’enquête se réfère aux termes de « pratiques non conventionnelles » plutôt qu’aux appellations diverses dont se sont prévalus les tenants de ces médecines « douces », « naturelles », « traditionnelles » ou « alternatives ». La terminologie retenue par le rapport est la seule qui soit juridiquement exacte.
En effet, en droit français, la médecine n’existe pas en soi ; depuis la loi de 1803, elle existe uniquement au travers de la pratique des médecins, celle-ci étant conditionnée à l’obtention d’un doctorat, c’est-à-dire d’un niveau de compétences théoriques et scientifiques.
Ainsi, dans notre droit, la médecine est la science appliquée par les médecins. Nul autre ne peut se prévaloir de ce terme !
Or, comme l’ensemble de mes collègues de la commission d’enquête, j’ai pu voir sur Internet des publicités pour des écoles de médecine chinoise délivrant un diplôme en quatre ans… Je ne sais pas comment dénommer ces thérapeutes, mais, en tout cas, ce ne sont pas des médecins au sens de la loi française.
D’autres publicités proposent des formations de quelques semaines à la « chirurgie immatérielle » : vous l’aurez compris, ces diplômés ne sont pas des chirurgiens !
Au début des travaux de la commission d’enquête, le thème de l’engouement des Français pour les pratiques non conventionnelles était d’actualité. Diverses publications nous avaient alertés sur l’attraction très forte exercée par ces pratiques, qu’il s’agisse de soins à base de plantes, de massages, de diverses pratiques hygiénistes ou des disciplines fondées, par exemple, sur le biomagnétisme ou la physique quantique, autant de pratiques pour lesquelles je vous renvoie au rapport. Je ne parle même pas de certaines techniques de psychothérapie au sujet desquelles nous avons été alertés à plusieurs reprises au cours des auditions. À elles seules, ces techniques auraient pu justifier une commission d’enquête !
Ces pratiques non conventionnelles concerneraient aujourd’hui près d’un Français sur deux.
Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’engouement qu’elles suscitent n’est pas un phénomène récent. Déjà, dans les années cinquante, puis à nouveau dans les années quatre-vingt, le succès de ces pratiques avait été relevé et des publications officielles leur avaient été consacrées. Toutefois, depuis les années quatre-vingt, le nombre de personnes y ayant recours semble en fait relativement stable.
Pourquoi notre commission s’est-elle intéressée à ces pratiques ?
Celles-ci, il faut le souligner, ne sont pas nécessairement constitutives ni de dérive sectaire ni, d’ailleurs, d’un quelconque danger. L’homéopathie, l’acupuncture ou même l’ostéopathie sont pour certains, y compris probablement dans cet hémicycle, des pratiques courantes, qui ne remettent généralement pas en cause la confiance en la médecine classique. L’exercice de certaines d’entre elles est d’ailleurs réservé à des professionnels de santé.
Le constat n’est pas le même quand, sous couvert de soins non conventionnels, une personne est exposée à l’action de charlatans ou d’escrocs qui, au mieux, n’en auront qu’à son argent et, au pire, exerceront sur elle une influence tellement forte qu’elle pourra la conduire à rejeter les soins classiques, pourtant seuls efficaces face à de nombreuses pathologies.
Je repense, en vous parlant, à ces bouleversants témoignages que nous avons reçus de proches de malades du cancer qui avaient été bernés par les promesses de miracles grâce à des traitements au jus de citron, au bicarbonate de soude ou encore aux lavements de café bio.
Il arrive – nous en avons eu des témoignages – que ces soins douteux et les dérives qui les accompagnent soient le fait de médecins et d’autres professionnels de santé : infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes ; cela m’a personnellement beaucoup troublé. Je reviendrai sur le sujet en abordant les propositions de la commission.
Mais nous avions une deuxième raison de nous intéresser à ces pratiques : ceux qui les défendent ont, en règle générale, un discours très hostile à la médecine.
La commission a jugé la situation d’autant plus alarmante que le discours souvent violemment anti-médical des partisans de ces pratiques non conventionnelles rejoint une contestation de la médecine très largement présente dans l’opinion. Cette contestation trouve un véritable écho sur Internet, à travers des blogs, des forums et les sites de nombreuses associations. Je vous renvoie notamment à tout ce qui, dans le rapport, rend compte de la réalité de la propagande anti-vaccinale.
C’est un fait, le discours anti-médical de certains partisans de ces pratiques coïncide aujourd’hui avec une inquiétude très vive dans la population et un climat particulièrement anxiogène qu’ont amplifiés, de manière d’ailleurs compréhensible, de récents scandales.
Ce qui est grave, c’est que ce discours anti-médical en conduit certains à oublier les très importants progrès de la médecine et l’augmentation considérable de l’espérance de vie qui en a résulté.
La commission s’est notamment inquiétée du caractère très inégal du combat opposant la médecine aux soins non conventionnels.
Première inégalité : les pratiques non conventionnelles seraient dépourvues d’effets secondaires, alors que de nombreux dangers guetteraient ceux qui s’en remettent à la médecine classique.
Cette prétendue innocuité des pratiques non conventionnelles est un leurre, qu’il s’agisse des médicaments à base de plantes ou des manipulations manuelles. En elles-mêmes ou combinées à un traitement médical, ces pratiques peuvent être la source de problèmes graves, voire mortels, pour les malades. Ceux-ci en sont-ils informés ? Nous en doutons.
En revanche, toute défaillance de la médecine est abondamment relayée par les médias, ce qui paraît au demeurant souhaitable pour l’information des citoyens.
La deuxième inégalité tient aux contraintes imposées aux professionnels de santé en regard de l’absence de contrôle propre aux praticiens de techniques non conventionnelles. Les uns sont soumis à des règles déontologiques et de responsabilité juridique très strictes et ils doivent respecter des procédures administratives complexes. À l’opposé, des thérapeutes animent des sites Internet sur lesquels ils font de la publicité et promettent des miracles, évidemment jamais réalisés, sans, apparemment, encourir de sanction.
Troisième inégalité : des niveaux d’exigence très différents entre la médecine traditionnelle et les pratiques non conventionnelles.
Les professionnels de santé sont astreints à de très longues études très sélectives ; les autres sont, dans certains cas, formés au cours de stages dont la durée varie de quelques heures à quelques semaines. Là où tout nouveau traitement médical relève d’une évaluation scientifique très rigoureuse, le seul fondement de la prétendue efficacité des pratiques non conventionnelles est la satisfaction des patients ou, devrais-je plutôt dire, des clients ; cela seul permet, aux yeux de leurs défenseurs, de les présenter comme incontestables !
On est là dans le registre de la subjectivité pure, en l’espèce non convaincante : quelqu’un dans cette enceinte s’est-il déjà senti mal après un massage, quel qu’il soit ? À l’inverse, quelqu’un s’est-il déjà senti bien après une séance de chimiothérapie ou de radiothérapie ? Là encore, le combat se fait à armes inégales...
Pourtant, contrairement à ce que prétendent les défenseurs des pratiques non conventionnelles, qui affectent de se proclamer détenteurs d’une vérité refusée par la médecine officielle en l’accusant de motivations idéologiques ou financières, ces pratiques ont bel et bien été déjà évaluées.
Le groupe Cochrane, dont les travaux font autorité dans le monde entier, est une organisation anglaise qui étudie tout ce qui a été publié sur les sujets scientifiques : 598 de ses études portent sur les médecines complémentaires, et elles ne leur ont à ce jour trouvé aucune efficacité supérieure au placébo. La recherche sur ces sujets existe donc ; elle n’est simplement pas concluante.
La commission d’enquête a, dès lors, été particulièrement inquiète de constater que des pratiques non conventionnelles avaient été très largement introduites à l’hôpital. Plus d’une vingtaine de ces pratiques sont aujourd’hui proposées à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP.
M. Jacques Mézard, rapporteur. Eh oui !
M. Alain Milon, président de la commission d’enquête. Paris n’est d’ailleurs malheureusement pas un cas unique en l’espèce.
La présence au sein de l’hôpital de praticiens de thérapies non conventionnelles, dont la formation est généralement peu contrôlée par l’hôpital et dont les activités ne sont pas contrôlées par la hiérarchie, pose en soi question. Il est apparu à la commission d’enquête qu’un meilleur encadrement de ces pratiques à l’hôpital était plus que nécessaire, a fortiori parce qu’il existe des connexions évidentes entre ce qui se passe au sein de l’hôpital et les propositions faites aux malades après leur sortie.
Faut-il donner, en dehors de l’hôpital, un cadre aux pratiques non conventionnelles ? Les praticiens en cause le demandent. L’idée serait d’éviter ainsi tout risque de dérives. C’est, à notre sens, un leurre. L’encadrement de ces disciplines aurait une conséquence inévitable et, évidemment, non souhaitable : préserver l’activité lucrative des praticiens en les plaçant à l’abri du risque de dénonciation par la MIVILUDES.
Cette évolution permettrait aussi auxdits praticiens d’officialiser leur place aux côtés des professions paramédicales, éventuellement avec un statut spécifique les situant entre celles-ci et la médecine. Or nul n’est besoin de nouvelles disciplines et de nouvelles professions de santé. Les pratiques innovantes et efficaces, si elles existent, peuvent parfaitement être mises en œuvre par ceux qui ont été formés et exercent les professions selon les prescriptions du code de la santé publique.
J’en viens maintenant aux propositions qui, dans le domaine de la santé, concluent le rapport de la commission. Je me permettrai de renvoyer à la lecture du rapport pour celles que je ne pourrai pas développer ce soir et que n’aurait pas exposées notre rapporteur.
Plusieurs propositions concernent les pratiques thérapeutiques non conventionnelles, et d’abord pour les contrôler.
Il nous a semblé important, en vue de limiter le développement de ces pratiques à l’hôpital, de subordonner leur introduction dans les services à un avis favorable de la commission médicale d’établissement et de soumettre cet avis à une majorité renforcée. Le critère d’appréciation devrait être que les pratiques envisagées soient conformes aux données acquises de la science et qu’elles aient été préalablement expérimentées et évaluées.
La mise en place d’une procédure d’accréditation par la Haute Autorité de santé des praticiens mettant en œuvre à l’hôpital des thérapies non conventionnelles nous a également semblé de nature à garantir la qualité des pratiques admises dans les établissements. Cette accréditation permettrait notamment d’éviter les pratiques à risque et de s’assurer que les praticiens informeront bien les malades des limites des prises en charge qu’ils proposent.
Pour ce qui est des soins de ville, la commission a estimé nécessaire de rendre obligatoire la déclaration par les praticiens à l’Agence régionale de santé – ARS – de l’exercice éventuel de pratiques non conventionnelles et de mettre en place un suivi de ces pratiques par les ordres compétents.
Par ailleurs, il a paru souhaitable à la commission de mieux encadrer la formation des professionnels de santé à ces pratiques. Cette formation s’effectue souvent dans le cadre de diplômes universitaires. Or il n’y a ni recensement systématique de ces nombreux « DU » qui existent dans le domaine de la santé ni suivi de leur contenu. Cela fait l’objet de l’une de nos propositions ; j’espère que l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche lui permettra d’aboutir.
Une autre proposition vise non pas le contrôle de ces pratiques, mais la limitation de leur influence à travers la prise en compte systématique du bien-être du patient dans les protocoles de soins et son intégration non seulement aux objectifs des personnels, mais aussi à l’enseignement universitaire. L’objectif est de lutter contre le sentiment de « déshumanisation » des soins médicaux, qui contribue au succès des pratiques non conventionnelles.
Ce point a été souligné à maintes reprises par les personnes que la commission d’enquête a auditionnées : le recours à ces pratiques est lié aux défaillances dans l’organisation des soins ou à un manque de dialogue avec les professionnels de santé, principalement les médecins. Plusieurs témoignages font état du manque de temps des médecins et d’une insuffisante prise en compte des besoins spécifiques de l’individu dans le cadre médical, quand il ne s’agit pas d’une certaine maladresse dans la communication d’un diagnostic inquiétant. Or les thérapies non conventionnelles se présentent comme centrées sur l’individu, avec pour priorité l’écoute du patient.
Dans cette logique, d’autres propositions visent à entourer de plus d’attention certains patients particulièrement fragiles.
La mise en place à l’hôpital de groupes de détection des patients susceptibles d’être victimes de dérives sectaires ou d’abandonner leurs soins pourrait se faire sur le modèle des actions mises en œuvre à l’égard des victimes de violences. L’idée serait de lutter contre l’interruption des soins en privilégiant le dialogue.
D’autres propositions encore ont pour objet de mieux encadrer l’activité des psychothérapeutes, en permettant aux ARS de suspendre immédiatement leur droit d’exercice dans un souci d’ordre public et de procéder au retrait de leur titre.
Pour finir, j’évoquerai la proposition à laquelle nous tenons probablement le plus : il s’agit de faire en sorte qu’un médecin radié de l’ordre ne puisse plus faire état de son titre de docteur en médecine, la même mesure devant s’étendre, en cas de radiation, aux docteurs en pharmacie et aux dentistes. Là encore, j’espère que la discussion du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche permettra de donner suite à cette proposition.
Voilà, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le constat et les propositions que la commission d’enquête a pu formuler afin de limiter le risque de dérives thérapeutiques.
Notre système de soins est l’un des meilleurs au monde, même s’il est sans doute trop curatif et insuffisamment préventif. Il est ouvert à tous grâce à la prise en charge sociale. Il repose sur une médecine de qualité et une recherche de pointe. Cependant, ces atouts ne doivent pas faire oublier que l’humain est au cœur du soin. Face aux risques réels que peuvent présenter certaines pratiques non conventionnelles, il est du devoir des pouvoirs publics de protéger nos concitoyens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après six mois de travaux menés par la commission d’enquête, travaux incluant notamment 72 auditions, un voyage, une visite au salon du bien-être un peu épuisante, je suis désolée de constater que je reste sur ma faim : je ne sais toujours pas ce qu’est une secte, ce qu’est une dérive et ce qui relève de l’escroquerie ou de l’abus de faiblesse classique. Mais il est vrai que je ne sais toujours pas non plus ce qu’est la santé, en dehors de la définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la santé.
Mon insatisfaction vient peut-être du titre de cette commission d’enquête et donc de l’orientation de notre mission : l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. Car le problème n’est pas de savoir si certaines sectes utilisent le biais de la santé pour couper leurs patients du reste de la société ou de leur famille, tout en leur soutirant de l’argent, mais bien de savoir comment faire pour que l’emprise qu’exerce nécessairement celui qui sait sur celui qui ne sait pas ne dérive pas vers des pratiques contraires à la liberté et à la dignité de l’humain.
Un médecin allopathe ne dérive-t-il pas lorsqu’il n’explique pas le pourquoi des examens prescrits ou des traitements, lorsqu’il impose son savoir à celui qui lui fait confiance ? Ne dérive-t-il pas quand il ne prend pas le temps d’écouter parce qu’il n’a pas été formé à cela ou parce qu’il n’a plus le temps matériel de le faire, tant notre système de santé est en crise ? Cette réflexion vaut, bien sûr, pour l’ensemble des personnels médicaux.
Quelque 60 % des malades de cancer consulteraient un praticien de soins parallèles. Sont-ils tous embrigadés dans une secte ou tous victimes d’escroquerie ? Compromettent-ils réellement ainsi leurs maigres chances de guérison pour certains cancers ?
Il faudrait faire, enfin, une comparaison sur les derniers moments de vie, en termes de qualité, de conscience, d’absence de douleur, entre les patients allopathes et les patients « altermédicaux ».
Ma petite belle-sœur est morte d’un cancer traité classiquement. A-t-elle été victime d’une dérive médicale, d’un acharnement thérapeutique ? Et autour de nous, combien de « miraculés du cancer » qui expliquent devoir la vie ou du moins leur rémission à telle ou telle pratique ?
La question n’est donc pas celle du choix des méthodes de soins, mais celle de l’emprise que peuvent avoir certains sur des personnes, notamment en période de fragilité liée à la maladie ou au mal-être, d’autant que ces mainmises existent dans tous les domaines sociaux : notaires, avocats ou entraîneurs sportifs peuvent eux aussi dériver ! Mais cette emprise est, il est vrai, plus facile en matière de santé, car nous sommes mortels et connaissons la douleur : c’est pourquoi, comme l’a écrit André Malraux, « tout dialogue avec la mort commence à l’irrationnel ».
La liberté - notre condition humaine - exige donc que nous puissions choisir notre chemin vers la mort. Nous avons le droit de refuser certaines pratiques médicales et de préférer les bains de siège lorsque seule notre santé est en jeu...
Mais la société est-elle prête aujourd’hui à accepter ce libre choix, dans le pays de Pasteur ou de Marie Curie ? Le refus des soins certifiés « sérieux », à défaut d’être sûrs, est incompréhensible pour un esprit éclairé. Si la sécurité sociale rend les soins moins coûteux pour les patients, certains préfèrent néanmoins ne pas en bénéficier et consulter un laveur de colon ou un poseur de pierre, et dépenser ainsi leur argent au lieu de celui de la sécurité sociale.
Tout autant que de savoir si des charlatans abusent de la détresse des gens, il importe de se demander pourquoi les malades ou leur famille se laissent ainsi abuser. Qu’est-ce qui fait, dans notre société, comme dans celle d’hier, que certains, à un moment de leur vie, manquent d’esprit critique et se laissent abuser ?
Autre interrogation sans réponse : y a-t-il des thérapies non officielles qui pourtant font du bien ? Et si oui, comment les détecter et, surtout, les labelliser, afin de permettre aux citoyens et citoyennes de les utiliser tout en connaissant leurs limites, comme on connaît les limites de certains médicaments allopathiques ? Or les rares tentatives d’évaluation de pratiques non conventionnelles sont immédiatement considérées comme visant à faire entrer le loup dans la bergerie, alors même que certaines d’entre elles sont regardées de manière moins défavorable dans d’autres pays.
Plutôt qu’une chasse aux sorcières, le groupe écologiste plaide pour une démarche pragmatique : nul ne devrait pouvoir prétendre qu’une méthode – ou un appareil – allopathique, naturopathique ou autre, est utile en matière de santé si elle n’a pas fait l’objet d’une évaluation encadrée, d’un suivi effectif ou d’un enseignement connu, à défaut d’être reconnu par l’État.
Il nous apparaît aussi qu’en l’absence de définition légale de la secte, au contraire de nos voisins belges ou luxembourgeois, et donc en l’absence d’un délit spécifique, il faut appliquer les lois sur les escroqueries ou abus frauduleux de faiblesse d’autrui tout en menant une véritable politique de prévention et de détection. À cet égard, pourquoi ne pas instituer la peine accessoire de retrait du titre universitaire dont on s’est prévalu pour commettre le délit ?
En fin de compte, le sujet n’est pas épuisé mais, monsieur le président, monsieur le rapporteur, vous avez ouvert une voie en nous proposant d’entendre les condamnés a priori. Reste à évaluer sereinement, sans préjugés, les pratiques non homologuées en France. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la ministre, alors qu’il devient habituel de décrier – pour de bonnes ou de mauvaises raisons – l’action politique, je tiens à souligner la qualité des travaux de notre commission d’enquête. Quels que soient nos engagements partisans, nous nous sommes tous complètement impliqués, sans jamais sacrifier l’esprit d’ouverture.
Je veux particulièrement remercier son président et son rapporteur, qui ont su guider nos travaux. Si le sérieux a prévalu, des traits d’humour discrets se sont parfois immiscés dans nos débats, paravents salutaires à des propos ou des propositions qui ne respectaient pas la dignité de l’être humain.
Comme nous tous, j’ai été terriblement touchée par les témoignages poignants des membres des familles de celles et ceux qui, malheureusement, sont décédés après avoir eu recours à des pratiques non conventionnelles.
J’ai aussi été extrêmement choquée, jusqu’à en éprouver de la colère, par l’agressivité du discours anti-médecine véhiculé par certains, qui se faisaient fort, comme l’a dit notre rapporteur, « d’éliminer le savoir au profit du croire ».
Je voudrais m’attacher à rappeler les conséquences des pratiques non conventionnelles sur les hommes et les femmes qui, porteurs de pathologies lourdes, au pronostic souvent incertain, présentent – comment ne pas le comprendre ? - une fragilité psychologique.
M. Mézard et M. Milon l’ont très bien dit : nous avons une médecine d’excellence, une médecine qui s’est considérablement perfectionnée, tant dans l’établissement du diagnostic que dans les possibilités thérapeutiques. Cette médecine, devenue plus technique, est parfois incomprise, surtout lorsque des scandales, heureusement rares, viennent perturber l’approche que peuvent en avoir nos concitoyens.
De plus, si notre personnel soignant est exemplaire, il est aussi écrasé par le travail, notamment par des tâches ne relevant pas strictement de sa compétence première.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Catherine Génisson. Aujourd’hui, nous ne « soignons » plus les malades : nous parlons de « production » ou de « consommation » de soins, alors que, comme l’a rappelé le président Milon, la médecine est une science humaine. La relation essentielle qui s’établit dans ce colloque singulier entre malade et soignant doit, par-dessus tout, être préservée.
Au-delà de la nécessité de revoir la façon dont nous analysons le fonctionnement de nos hôpitaux - et loin de moi l’idée de refuser toute évaluation quantitative et qualitative précise ou de proscrire en tant que telle la tarification à l’activité – il est important, comme le suggère le rapport Couty, de pouvoir mesurer de façon plus fine et sans doute plus qualitative, le fonctionnement de nos hôpitaux. Cela permettrait d’alléger la pression ressentie par les personnels de santé.
Je crois tout aussi nécessaire de revoir notre système de formation : notre enseignement, de plus en plus technique, devient remarquable en matière d’acquisition de connaissances, mais il n’insiste pas assez sur l’importance des relations humaines. Or, les relations humaines, cela s’apprend ! Savoir établir une relation de qualité avec celles et ceux que l’on soigne est essentiel lorsque l’on exerce une profession de santé.
Le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, que nous allons bientôt examiner, sera l’occasion d’évoquer cette question très importante.
J’irai même plus loin : je pense qu’il faudrait également revoir la façon dont nous sélectionnons celles et ceux qui se destinent aux professions de santé. Nous retenons des critères sans doute trop scientifiques, qui ne mettent pas assez en avant les qualités humaines que l’on peut attendre de ces professionnels.
M. René-Paul Savary. Absolument !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Catherine Génisson. Dans ce contexte de déshumanisation des soins, il ne faut pas s’étonner que certains de nos concitoyens soient sensibles à des propositions relevant totalement de l’irrationnel, mais qui sont attrayantes en ce qu’elles paraissent aptes à procurer du réconfort.
J’ai été frappée, lors de nos travaux, par la porosité, non pas entre personnes atteintes de maladies graves et praticiens non conventionnels, que l’on peut comprendre, mais par celle existant entre les professionnels de santé et ces mêmes praticiens non conventionnels. Il s’agit d’un sujet très grave, madame la ministre, qui doit nous interpeller et inciter le Gouvernement à prendre en compte de façon très sérieuse les propositions formulées dans le rapport.
Même si les mesures recommandées ne relèvent pas d’un véhicule législatif particulier, elles méritent d’être prises d’urgence, et je tiens à rappeler à mon tour certaines d’entre elles qui sont de nature à protéger nos concitoyens.
Je citerai tout d’abord la proposition que le président Milon a mise en relief en la mentionnant à la fin de son propos : l’interdiction aux praticiens radiés, médecins, pharmaciens ou dentistes, de se parer de leur titre. Cette interdiction doit être décidée sur le territoire national, mais elle devrait l’être également au niveau européen, voire international.
Il ne s’agit pas d’une préconisation anodine : nous nous sommes rendu compte que beaucoup de médecins non conventionnels, quand ils disposaient d’un tel titre, continuaient de l’utiliser auprès de patients, qui y voyaient évidemment une garantie de sérieux.
J’insiste également sur la fragilité psychologique des personnes qui peuvent être sensibles à ces pratiques non conventionnelles. Comme l’a dit notre président, il est important de mettre en place des groupes de détection des patients particulièrement fragiles, qu’il faut savoir accompagner dès le début de l’annonce d’une maladie et suivre très attentivement tout au long de traitements qui, il faut le reconnaître, sont particulièrement lourds et difficiles à accepter. Il est vrai qu’une intervention chirurgicale, une radiothérapie et, peut-être plus encore, une chimiothérapie sont très pénibles à vivre ; mais c’est aussi ce qui permet de continuer de vivre !
Il est pour nous tout à fait fondamental que la Haute autorité de santé, organisme remarquable, puisse accréditer les praticiens non conventionnels exerçant à l’hôpital.
Là encore, nous avons été frappés, les uns et les autres, de constater que l’introduction de ces pratiques non conventionnelles à l’hôpital se fasse de manière quasi confidentielle, sans qu’aucune personne relevant du monde médical ou de l’administration interne de l’établissement ait à donner son accord formel ou procède à la moindre évaluation.
Il est également très important d’obliger les professionnels de santé à déclarer, auprès de l’agence régionale de santé compétente, leurs pratiques non conventionnelles et de mettre en place un suivi de ces pratiques.
Nous évoquions tout à l'heure le cas de l’AP-HP. Un contentieux lourd opposait sa direction à ses médecins. Or le directeur de l’agence régionale de santé dont dépend l’AP-HP n’était au courant de rien ! C’est tout de même assez renversant ! Il faut nous atteler à ce problème, qui peut s’avérer lourd de conséquences.
M. Milon a également fait allusion à la question des psychothérapeutes. Lorsque j’étais députée, j’avais cosigné l’amendement que Bernard Accoyer avait commis concernant l’encadrement de ces professions, qu’il n’a évidemment jamais été question de supprimer : il s’agissait de leur permettre d’exercer dans les meilleures conditions possibles. Or les premiers décrets d’application sont sortis neuf ans après l’adoption de cet amendement ! Là aussi, je crois qu’il y a beaucoup à faire.
Voyant que j’ai épuisé mon temps de parole, monsieur le président, je conclurai en disant que je pense avoir mis en évidence nos propositions les plus importantes pour encadrer ces pratiques non conventionnelles ; il convient de les convertir d’urgence en mesures concrètes. Madame la ministre, je sais pouvoir compter sur votre détermination et celle de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé pour que le Gouvernement agisse en ce sens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’initiative du groupe RDSE de constituer une commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé et les dérives thérapeutiques apparaît au groupe CRC comme une démarche utile.
Force est de constater que notre société est de plus en plus soumise à des sollicitations collectives et/ou individuelles censées répondre à de nombreux maux non résolus par la médecine traditionnelle. J’y vois l’effet de miroir d’une certaine fébrilité de nos concitoyens, inquiets de leur avenir et soupçonneux à l’égard de pratiques médicales connues et installées.
Les récents scandales sanitaires, l’existence de conflits d’intérêts dans le secteur de la santé, la commercialisation de médicaments non conformes à leur utilisation ou présentant des risques connus mais dissimulés, l’aspiration légitime de nos concitoyens au bonheur et à l’équilibre psychique, conjugués à une crise économique génératrice d’angoisses, concourent à l’émergence d’un terreau propice à des solutions faussement alternatives.
En réalité ces solutions, loin d’être innovantes, sont éculées. En effet, la plupart de ces approches dites « modernes » reposent sur le même fondement : la soumission de l’individu à une sorte de gourou, c’est-à-dire à celui qui se présente comme le « sachant ».
Qu’il s’agisse de l’approche dite « nutritionnelle », qui consiste à guérir la maladie par le jeûne, et qui conduit les participants à obéir mécaniquement aux ordres dans la mesure où l’affaiblissement psychique lié au jeûne rend les participants « inaptes à contester », ainsi que le souligne le docteur Jean-Michel Cohen, ou de l’approche « psycho-spirituelle », qui se propose de soigner simultanément l’âme et le psychisme d’une personne, les mécanismes sont identiques : profiter des peurs pour substituer à la rationalité une croyance sans limite dans les propos avancés, les actions ou thérapies proposées.
Ces pratiques peuvent exposer les personnes les plus vulnérables, dont la détresse est grande et chez qui la faculté de pénétration de ces discours – pourtant insensés – est particulièrement forte, à des risques majeurs, pouvant même conduire certaines d’entre elles à la mort. Je pense notamment aux patients qui écoutent ceux qui prétendent pouvoir guérir le sida ou le cancer avec de simples plantes.
Face à de telles situations, face à de tels risques, le législateur et les pouvoirs publics dans leur ensemble ne peuvent renoncer à agir sous prétexte que le libre choix des personnes et la liberté de conscience les en empêcheraient, selon l’argument avancé par certains. Cette liberté, derrière laquelle se développent les pratiques sectaires, repose sur le choix par le patient de sa méthode de soins et sur la possibilité, laissée à tous, d’opter pour une croyance ou une spiritualité.
Contrairement à ce que d’aucuns prétendent – en ce sens, le rapport et les comptes rendus d’auditions sont précieux –, cette liberté est totale.
Je tiens à le souligner, l’esprit dans lequel la commission d’enquête a travaillé n’avait rien, à l’inverse de ce que j’ai pu lire sur certains sites Internet, d’inquisitorial. Très équilibré, le rapport ne jette pas l’opprobre pas sur les médecines douces, non allopathiques ou non conventionnelles, dès lors que celles-ci prétendent non pas se substituer aux soins, mais les compléter.
Au Canada, par exemple, comme le rappelle l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu, l’hôpital reste ouvert aux thérapies parallèles dès lors que les équipes médicales en sont informées et que les patients ne renoncent pas aux soins classiques.
La proposition n° 28 du rapport est, de ce point de vue, très équilibrée. Elle vise à intégrer un suivi des pratiques libérales des intervenants usant de techniques non conventionnelles à l’hôpital, par l’intermédiaire d’entretiens avec les patients, sous le contrôle du médecin chef de service ou du chef de pôle.
La proposition n° 22, que nous soutenons aussi, vise à mettre en place une accréditation des praticiens exerçant des thérapies non conventionnelles à l’hôpital par la Haute Autorité de santé.
Une autre proposition du rapport consiste à identifier les formations aux pratiques non conventionnelles destinées aux personnels médicaux au moyen du recensement des diplômes universitaires par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et à prévoir le suivi du contenu de ces enseignements.
De telles mesures d’accompagnement et de contrôle s’inscriraient dans une logique d’information loyale des patients, que nous approuvons.
Dans les faits et en droit, en effet, les seules restrictions autorisées relèvent des cas où il y va de l’intérêt de la société dans son ensemble. Je pense naturellement à la vaccination : celle-ci est obligatoire dans certains cas puisque son but est de protéger non seulement la personne vaccinée, mais aussi la société, afin d’éviter un risque pandémique.
Là encore, les groupes qui prônent la suppression de toutes les politiques de vaccination et des obligations vaccinales s’appuient sur le doute que suscitent certains médicaments ou vaccins. Les conditions dans lesquelles la politique vaccinale contre la grippe H1N1 a été décidée, avec la présence de représentants de l’industrie pharmaceutique dans le comité de lutte contre la grippe, ont jeté la suspicion sur l’ensemble des vaccinations contre la grippe. De la même manière, l’inaction sur les adjuvants et les sels d’aluminium nourrissent les discours catastrophistes et anti-vaccins. Il est vrai que, dans ce cas précis, la parole des patients n’est pas suffisamment prise en compte, je tenais à le souligner, madame la ministre.
Une politique de santé publique transparente, où la démocratie sanitaire serait renforcée et où les associations de patients ne seraient pas dépendantes des financements des groupes pharmaceutiques, nous semble être de nature à combattre cette situation.
C’est pourquoi nous souscrivons pleinement aux recommandations formulées par Jacques Mézard dans son rapport qui font de l’information des patients et de leurs proches une priorité.
Nous souscrivons également à la proposition qui consiste à rendre obligatoire, pour les professionnels de santé, la déclaration à l’agence régionale de santé de leurs pratiques non conventionnelles et la mise en place d’un suivi de ces pratiques par les ordres compétents.
Il s’agit non pas d’interdire toutes les pratiques non conventionnelles – chacun est libre ! –, mais de veiller à ce que les autorités compétentes puissent disposer de toutes les informations nécessaires pour, le cas échéant, intervenir et protéger celles et ceux dont le jugement serait altéré.
Mais il nous faut aussi répondre à des besoins nouveaux et légitimes, actuellement non satisfaits par la médecine conventionnelle. Celle-ci doit progresser. Sans doute est-il temps de passer d’une médecine hospitalière garantie à tous à une médecine pour tous, une médecine qui tienne compte, autant que possible, des singularités des patients et qui fasse du bien-être de ces derniers une priorité. J’en conviens, cela exige de rompre avec le cadre actuel, où les actes médicaux et paramédicaux sont rationalisés, du fait du manque de personnel et d’un mode de financement hospitalier qui n’est pas adapté à cette approche.
Notre pays a beaucoup progressé dans la voie de la lutte contre la douleur. Il doit encore progresser dans la notion d’approche globale du patient, afin que les mouvements sectaires ne puissent plus se prévaloir de l’argument selon lequel leurs méthodes conjugueraient le soin et le bien-être du malade.
Prise par le temps, je ne peux détailler notre position sur la question de l’encadrement des formations professionnelles ou sur la protection des publics vulnérables, notamment les mineurs.
D’une manière générale, nous espérons vivement que toutes les recommandations contenues dans ce rapport pourront être suivies d’effets, afin de dissiper l’ombre dans laquelle s’abritent les mouvements sectaires. Pour paraphraser Arthur Schopenhauer, je dirai que les sectes « sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l’obscurité ». (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue et rapporteur Jacques Mézard d’avoir pris l’initiative de demander la constitution de cette commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. Je veux aussi remercier le remarquable président de cette commission, notre collègue Alain Milon, qui a toujours été patient et serein.
J’ai souhaité être membre de cette commission d’enquête pour essayer de comprendre. En effet, dans mon département, le Rhône, j’ai été confrontée à une alerte émise par l’association de défense des familles et individus victimes de sectes, l’ADFI, concernant un établissement localisé dans le canton dont j’étais l’élue. J’ai mesuré toute la difficulté d’identifier un mouvement sectaire et ses dérives en matière de santé. Il s’agissait, en l’occurrence, d’un suicide et de soupçons d’alimentation insuffisante. Je n’ai jamais pu savoir ce qu’il en était réellement.
Partis dans cette enquête sur les mouvements à caractère sectaire, nous en sommes très vite venus à examiner les dérives thérapeutiques. Bizarrement, ces dernières sont plus faciles à repérer que les dérives sectaires, dans lesquelles les victimes parlent rarement et les familles sont encore plus rarement écoutées ou entendues.
De nos auditions, j’ai tiré plusieurs réflexions.
D’abord, je constate que certaines thérapies non conventionnelles ont un effet reconnu sur le bien-être et le confort de malades soignés, parallèlement, par la médecine scientifique.
En revanche, nous ne savons rien d’une grande partie d’autres pratiques qui, au mieux, sont inefficaces mais inoffensives, au pire, inefficaces et très dangereuses, jusqu’à pouvoir entraîner la mort. Dans tous les cas, ces pratiques sont très lucratives, au détriment de clients abusés par des publicités trompeuses.
Je ne reprendrai pas les 41 recommandations très pertinentes formulées par la commission d’enquête, mais il est un point, madame la ministre, sur lequel je voudrais attirer votre attention, ainsi que celle de Mme la garde des sceaux. Je veux parler de l’emprise mentale dont peuvent être victimes toutes les personnes fragilisées par la maladie, bien sûr, mais aussi, de manière plus générale, par tous les accidents de la vie.
On sait les difficultés qu’ont les magistrats à reconnaître cette situation. On sait aussi qu’une personne majeure capable est considérée a priori comme libre et responsable de ses actes. On sait, enfin, que l’emprise mentale est très difficile à qualifier puisqu’elle ne s’accompagne pas de preuves matérielles et tangibles.
Pourtant, il semble que, depuis les travaux de la commission d’enquête créée par l’Assemblée nationale en 1995, peu de propositions aient été faites dans ce domaine. En effet, le délit existant, à savoir « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse », créé par la loi About Picard du 12 juin 2001, ne donne pas entièrement satisfaction. Il faudrait aller plus loin et créer le délit d’emprise mentale.
La commission d’enquête de 1995 avait pris le parti de retenir un faisceau d’indices, au nombre de dix, permettant d’identifier cette emprise. Le professeur Parquet, lors de son audition du 21 novembre 2012, nous a présenté une liste de neuf critères susceptibles d’autoriser à poser un diagnostic d’emprise mentale, étant entendu qu’il suffirait que cinq d’entre eux soient réunis.
Ne serait-il pas temps de reprendre ces deux constats pour établir un délit incontestable d’emprise mentale ?
Je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement entre ce sujet et les difficultés qu’ont les femmes, mais aussi les hommes, à prouver la violence psychologique au sein de leur couple, cette violence qui, totalement assimilable à l’emprise mentale, les détruit et peut les mener au désespoir et au suicide.
J’y rattacherai également la proposition figurant dans le rapport de modifier l’article 8 du code de procédure pénale, de façon que le point de départ du délai de prescription pour le délit d’abus de faiblesse soit le moment où l’infraction apparaît à la victime. Je ne peux que mettre en parallèle cette proposition avec celle que j’avais formulée concernant le délai de prescription de l’action publique s’agissant des agressions sexuelles aggravées et du harcèlement sexuel.
Ce travail sur les dérives thérapeutiques et sectaires aura été passionnant et instructif. Je souhaite, madame la ministre, qu’il soit pris en compte, afin d’améliorer la sécurité de nos concitoyens et les protéger de tous les gourous ou autres pseudo-thérapeutes inefficaces, parfois dangereux, mais toujours intéressés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, je vais sans doute répéter des propos qui ont déjà été tenus, mais le sujet, même à cette heure tardive, le mérite.
Je souhaiterais, en premier lieu, remercier le président de la commission d’enquête, Alain Milon, ainsi que son rapporteur, Jacques Mézard, qui ont su, durant ces mois de travaux, fédérer nos sensibilités diverses et permettre la publication de ce rapport important pour la protection de nos concitoyens. Évidemment, j’associerai à ces remerciements les personnels du Sénat qui nous ont été adjoints et qui se sont impliqués corps et âme, oserai-je dire, dans ce dossier sensible.
À l’origine, ma connaissance des sectes était limitée. C’est le fait d’aborder les dérives sectaires par le biais de la santé qui a capté mon intérêt.
Je dois le dire, au fil des auditions et échanges, il est apparu comme une évidence que, au-delà des influences sectaires, il était nécessaire de se préoccuper des dérives thérapeutiques. Le titre final du rapport complète à juste raison l’intitulé initial de notre commission : Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger. C’est bien là le fruit de notre réflexion et de nos propositions.
Il nous revient, au-delà de la liberté individuelle de pensée, d’apporter à nos concitoyens toutes les protections nécessaires pour que leur santé mentale ou physique ne soit pas obérée par des pratiques douteuses.
Comme nombre d’entre nous, je garde un souvenir très fort des auditions, et ce à plusieurs égards.
J’évoquerai d’abord les auditions des victimes ou de représentants d’associations de victimes. Tant de détresse, de souffrance chez les victimes ou leur entourage ! Comment des personnes a priori non déficientes intellectuellement peuvent-elles basculer, individuellement ou collectivement, dans un monde de soumission totale, psychique ou financière ? Pourquoi autant de crédulité ? Pourquoi avoir mis autant de temps à se libérer d’une telle emprise ? Pourquoi tant de difficultés pour l’entourage à pouvoir alerter les autorités compétentes ? Les familles se sentent souvent impuissantes.
On le sait, et les auditions nous l’ont confirmé, l’emprise peut briser des familles, conduire au divorce ou à la spirale du surendettement, et même au suicide. Les situations de carence de sommeil, de carences alimentaires, d’abus sexuels ou de faux souvenirs induits, décrites par les témoins, nous ont particulièrement émus. Les propositions relatives à l’action publique, à l’attention à porter aux témoignages des proches en matière judiciaire et à l’écoute des victimes par les représentants de l’État découlent de ce constat.
Nous avons aussi auditionné des professionnels, pseudo-praticiens qui, sous un discours, ou plutôt un verbiage scientifique et médical, prônent certaines pratiques non conventionnelles, à l’inefficacité totale sur le plan de la guérison et relevant d’un charlatanisme avéré. (M. le rapporteur acquiesce.) Il est vrai que nous avons eu droit à des moments un peu surréalistes ! Alain Milon a cité tout à l’heure quelques exemples.
Il existe ainsi une multiplication de pseudo-thérapeutes qui promettent des remèdes miracles, forcément très chers, sans oublier les offres d’ouvrages, de stages, de retraites… jamais bon marché ! Ces « dérapeutes », comme les appelle le Conseil de l’Ordre, sont d’ailleurs parfois médecins de formation et de pratique et n’hésitent pas à se faire radier de l’ordre pour pouvoir « exercer » sans risquer de sanctions ordinales ! D’où notre première proposition : interdire alors de pouvoir faire état de son titre universitaire de docteur.
Il apparaît donc qu’il convient d’exercer une vigilance accrue sur différents axes : contrôle des titres et formations dont se targuent certains ; contrôle des appareils à finalité médicale ou pseudo-médicale qui fleurissent sur Internet, dans les salons ou les magasins de bien-être ; renforcement de la sécurité sur Internet, vecteur « idéal » pour les gourous et autres... Nombreuses sont les propositions du rapport sur ces différents points.
J’en viens aux auditions de représentants des médecins, des professions de santé, des directeurs d’établissement et d’enseignants de faculté.
La mise en place, à côté de la médecine traditionnelle, de pratiques complémentaires peut répondre à un besoin. Le patient souhaite de plus en plus être considéré dans son ensemble, et non plus au regard de sa seule pathologie.
La technicité accrue, la bascule d’une médecine d’écoute et d’examen physique vers une médecine de plus en plus pointue en termes d’examens complémentaires de diagnostic et de traitements renforcent, chez les malades, un désir de « réhumanisation » des soins. Il ne se passe pas une semaine sans que des magazines s’emparent du sujet et vantent les médecines dites « douces ». Cela traduit l’importance du phénomène.
Un tel besoin d’une médecine peut-être différente s’entend. Mais, dans cette volonté d’introduire des pratiques nouvelles, notamment dans les établissements hospitaliers, il convient de prendre l’assurance qu’il n’y aura pas dérive d’une pratique complémentaire vers une pratique de substitution, avec les risques de perte de chance de guérison pour les patients. En effet, on l’a constaté, les malades du cancer, qui font face à des douleurs rebelles ou à des effets secondaires, constituent une cible de choix. Il n’est pas admissible de les couper des moyens traditionnels apportés par une équipe de professionnels compétents.
Au cours des auditions, j’ai ressenti chez certains médecins ou administratifs une forme de « naïveté » ou un manque de prudence – j’ose penser que cela ne va pas au-delà – vis-à-vis des risques de dérive sectaire.
En outre, même s’il nous a été signalé qu’il n’existerait pas une « appétence » particulière des étudiants de début de cycle de médecine, une grande attention doit être portée au contenu des programmes et, plus tard, aux diplômes universitaires.
Nos propositions relatives aux protocoles de soins, aux protocoles de recherche et à l’enseignement universitaire sont majeures à cet égard.
Les auditions des mouvements sectaires ont été autant de moments forts puisqu’elles nous ont mis face à des personnes rodées à défendre leur mouvement, rompus aux procédures judiciaires et prompts à évacuer les questions pièges. On comprend mieux que certains, ayant cédé à une approche séduisante, puissent éprouver du mal à s’en affranchir.
Depuis sa création en 2002, la MIVILUDES a réalisé un travail important. Selon un sondage Ipsos de fin 2010, 25 % des Français disent avoir été personnellement contactés par une secte et 20 % connaissent dans leur entourage des personnes victimes de sectes. Il convient de s’assurer que la mission pourra poursuivre et renforcer ses actions d’information des citoyens, de formation des agents publics et de coordination des pouvoirs publics. En effet, à côté des grands mouvements sectaires, ont émergé des groupuscules multiples.
Enfin, nous avons auditionné des représentants des administrations concernées.
Nous avons pu mesurer combien il était important que, en matière d’offres d’emploi et de formation professionnelle, les services concernés soient en alerte ! Je pense, entre autres, à Pôle Emploi et aux acheteurs de formations.
La gendarmerie nous a démontré sa motivation à lutter avec les moyens dont elle dispose contre les phénomènes sectaires et sa capacité à exercer une veille serrée, notamment sur Internet. Il convient que le Gouvernement prenne la mesure de l’enjeu et dote en conséquence les forces de gendarmerie, mais aussi, bien entendu, de police. Un effort doit porter sur la formation de leurs personnels dans l’écoute des personnes qui se présentent, à l’instar de ce qui a été fait, par exemple, pour les victimes de violences ou d’abus sexuels.
En matière judiciaire, Muguette Dini l’a dit, nous avons constaté la difficulté de qualifier l’emprise mentale et donc d’avoir une vision statistique fiable des affaires traitées. Plusieurs de nos propositions apportent des solutions, mais il conviendra d’aller plus loin en matière de qualification de l’emprise mentale, sans méconnaître toutefois la difficulté de l’entreprise. La notion d’emprise mentale fait l’objet de nombreux débats, parfois contradictoires, entre juristes, psychologues ou psychiatres. Il est, certes, difficile de les traduire en avancées législatives, mais la question mérite d’être posée.
L’obligation faite aux préfets de réunir annuellement les groupes spécifiques de travail au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance doit être respectée. Ce doit être l’occasion d’un état des lieux dans chaque département et d’un travail en réseau avec tous les intervenants. Il importe que nous, parlementaires, y soyons étroitement associés. Une sensibilisation des élus locaux, notamment des maires, doit être engagée, tant leurs fonctions les placent en première ligne.
S’agissant de l’éducation, un regard particulier doit être porté sur la scolarisation à domicile ou dans certains établissements, sans oublier les programmes de l’enseignement en collège et lycée.
Il resterait beaucoup à dire mais, au terme de nos travaux, j’ai le sentiment que notre commission d’enquête a produit un travail sérieux et indispensable. Nos collègues députés se sont à plusieurs reprises penchés sur le dossier des sectes. Un arsenal juridique en est résulté, mais l’œuvre n’est pas achevée. Nous devons poursuivre ce travail, en formulant des propositions à l’occasion de l’examen de textes législatifs, quand le sujet s’y prêtera. La veille constante que nous préconisons pour d’autres doit s’appliquer à notre travail de parlementaires. Une action à l’échelle de l’Europe serait également la bienvenue.
Madame la ministre, nous souhaitons que le Gouvernement ne laisse pas ce rapport devenir lettre morte. Nous comptons sur vous, et vous pouvez être assurée de notre vigilance pour rappeler à l’État les engagements que vous allez, je l’espère, prendre dans quelques instants. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question des sectes en France a déjà fait l’objet d’une attention soutenue de la part des parlementaires, en particulier de nos collègues députés.
Le groupe RDSE a souhaité poursuivre ce travail avec la création d’une commission d’enquête au Sénat. Son rapporteur, Jacques Mézard, puis son président, Alain Milon, en ont rappelé les motivations. Il s’agissait non pas d’être redondant, mais plutôt d’explorer en détail un aspect fondamental des pratiques sectaires en pleine croissance, celui d’une utilisation abusive du thème de la santé.
La proposition de résolution que mon groupe avait déposée l’année dernière allait dans ce sens en indiquant : « Le développement de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sans fondement scientifique ou encore de prises en charge psychologiques hors du cadre psychothérapeutique pose aujourd’hui une réelle question de santé publique encore mal connue, qu’il importe d’évaluer. »
Nous sommes arrivés au terme de cette évaluation rigoureuse et très méthodique. Je tiens d’ailleurs à féliciter, à l’instar des orateurs qui m’ont précédé, le président et le rapporteur de cette commission d’enquête. Tous deux ont travaillé dans un esprit d’ouverture et de transparence sur un sujet difficile qui impliquait l’audition, s’agissant de certains responsables visés par le rapport, de personnes particulièrement habiles et parfois soucieuses d’opacité.
On comprend très bien les ressorts d’une telle culture du secret : ces prétendus thérapeutes n’ont pas intérêt à ce que l’on démontre toute la malice, pour ne pas dire l’escroquerie, qui sous-tend bien souvent leurs activités.
Comme l’écrivait si bien Jean de La Fontaine :
« Le monde n’a jamais manqué de Charlatans :
« Cette science, de tout temps,
« Fut en Professeurs très fertile »
Force est de constater que les pratiques thérapeutiques non conventionnelles se développent aujourd’hui. Le rapport en fait état. Les Français sont de plus en plus friands de techniques de bien-être et de soins nés d’une imagination sans borne : fasciathérapie, kinésiologie, décodage biologique, ondiobiologie... pour ne citer que quelques exemples d’un immense marché très juteux.
Tout cela pourrait prêter à sourire. Malheureusement, plusieurs tragédies nous obligent à considérer ce phénomène avec vigilance et, surtout, à renforcer la réponse des pouvoirs publics. L’absence de soins ou l’injonction de soins fantaisistes par des pseudo-thérapeutes peut en effet conduire à la mort.
Bien entendu, nous ne sommes pas démunis face au phénomène sectaire en général. Plusieurs institutions mènent une lutte contre les dérives thérapeutiques et sectaires, mais, comme l’a très justement indiqué M. le rapporteur, la réponse est globalement insuffisante et des améliorations dans notre arsenal législatif et réglementaire s’imposent.
L’ampleur du phénomène et son expansion actuelle constituent un problème en soi. Les acteurs de ces dérives ont une forte capacité d’infiltration des esprits par des méthodes psychologiques assez traditionnelles, mais aussi par une exploitation de l’environnement technologique et institutionnel. Il faut le dire, nous sommes malheureusement face à des organisations intelligentes, ayant mis au point des stratagèmes de contamination et d’installation bien élaborés, qui tranchent d’ailleurs avec le caractère farfelu de leurs préconisations.
Mes chers collègues, vous le savez, ces organisations s’appuient sur les grandes angoisses collectives, qu’elles soient d’origine sanitaire, climatique ou économique, pour faire passer leur message apocalyptique et recruter encore plus d’adeptes. À l’échelon individuel, elles exploitent les fragilités ou les situations de détresse. La maladie est une porte d’entrée de choix pour ces gourous-guérisseurs, qui parviennent à faire sortir un grand nombre de nos concitoyens du circuit médical dit « conventionnel ».
Ce qui est plus récent, et qui constitue un sujet d’inquiétude, c’est l’utilisation invasive des nouvelles technologies, qui peut conduire tout utilisateur à accéder en un seul clic à ces thérapies douteuses sans les avoir forcément recherchées. Comme le démontre très bien le rapport de la commission d’enquête, Internet est une aubaine pour tous ces mouvements, qui, sous prétexte d’apporter le bien-être ou la guérison, inondent le Web de leurs publicités. Le nombre de sites référencés et leur indexation rusée nécessitent une action rigoureuse de la part des pouvoirs publics, pour en maîtriser le flux et en contrôler le contenu.
Dans cette perspective, la commission formule cinq propositions : certaines sont d’ordre technique ; d’autres sont à visée préventive ou même de nature juridique. Je pense en particulier à la possibilité d’étendre à la cyberpatrouille de la gendarmerie le dispositif des investigations sous pseudonyme.
Notre commission a également évoqué d’autres vecteurs de propagation des dérives thérapeutiques ou sectaires : la formation professionnelle et, dans une moindre mesure, l’hôpital ou l’université. Sur ce point, outre que nous devons protection à nos concitoyens tournés vers ces institutions, il est inadmissible que de l’argent public soit directement – s’agissant de la formation professionnelle – ou indirectement mobilisé pour le développement des pratiques non conventionnelles. Nous avons, là aussi, formulé un certain nombre de recommandations pour les dépister, et j’y souscris totalement.
La formation professionnelle devant faire prochainement l’objet d’une grande réforme, je pense que le Sénat ne manquera pas de travailler sur le contrôle du contenu des formations. En tout cas, les membres du RDSE seront vigilants sur ce volet.
Durant ces six mois d’enquête, nous avons également bien noté un processus qu’il faut, sinon interrompre, du moins ne pas alimenter en cédant à la quête de liberté thérapeutique. Les thérapeutes aux méthodes non conventionnelles ou sectaires sont à la recherche permanente d’une légitimité ou, à défaut, d’une respectabilité. Il est par conséquent important de les décrédibiliser, notamment par une action judiciaire rigoureuse.
Hélas ! les poursuites judiciaires contre les sectes se concrétisent peu, malgré l’existence d’un arsenal très complet. L’apport de la loi About-Picard, qui permet de réprimer le délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, est essentiel. Mais notre droit protège aussi « la liberté de conscience », « le libre consentement », ce qui conduit les magistrats à la prudence. Si l’on ajoute à cela la difficulté à caractériser l’infraction, on comprend pourquoi les condamnations sont rares aujourd’hui.
Enfin, on observe que peu d’affaires arrivent devant la justice, parfois en raison de l’état de déni des victimes, mais aussi à cause du faible nombre des signalements faits par les institutions concernées. À l’issue de plusieurs auditions, nous avons constaté le peu de moyens humains, le relâchement du fonctionnement de certains des outils existants ou même leur déspécialisation. Je pense, par exemple, aux magistrats référents, souvent démobilisés, ou encore aux conseils départementaux de prévention de la délinquance, aux compétences trop larges pour être vraiment efficaces.
Mes chers collègues, la santé mentale et physique de milliers de nos concitoyens est en danger. La lutte contre les dérives thérapeutiques et les dérives sectaires est donc un combat urgent, qu’il nous faut mener sur plusieurs fronts, comme l’indique le rapport.
J’ajouterai que c’est aussi un combat républicain, car ces mouvements menacent une de nos valeurs fondamentales : la laïcité. Une conception moderne et exigeante de celle-ci nous oblige en effet à protéger les institutions des influences sectaires. Quand l’hôpital public ou l’université se laissent gagner par ces groupes sectaires, la neutralité des institutions de la République doit pouvoir leur être opposée afin de les empêcher de nuire. (Applaudissements.)
Mme Françoise Laborde. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé aura organisé, au cours des six mois durant lesquels elle a travaillé, 72 auditions. Travail de longue haleine, travail de patience, qui nous aura donné l’occasion de voir se côtoyer des témoignages tantôt pathétiques tantôt calculateurs ou fuyants, mais tous riches d’enseignements.
Pendant ce temps passé ensemble, les membres de la commission d’enquête auront pu apprécier l’heureuse initiative prise par notre rapporteur, Jacques Mézard, et son groupe, ainsi que la présidence toujours sereine d’Alain Milon. Qu’ils soient ici tous deux particulièrement remerciés. Je veux aussi insister sur la qualité des services de notre assemblée, qui ont su faire preuve à la fois de compétence, de gentillesse et de très grande disponibilité.
La gravité a pris toute sa place, tout autant que l’étonnement, l’exaspération ou la colère rentrée, mais l’humour ne fut pas absent, tant il est vrai qu’il faut parfois s’empresser de rire de tout avant d’avoir à en pleurer !
Le sujet traité était des plus sérieux, car c’est de la dignité humaine qu’il s’agit, du respect de l’autre, de l’emprise d’humains sur d’autres humains à raison de leur état de faiblesse.
Sur cette question essentielle de la liberté intime et profonde de chacune et de chacun de nos concitoyens, il est important que les représentants d’une démocratie comme la nôtre se retrouvent et fassent fi des clivages traditionnels.
M. Jacques Mézard, rapporteur. Très bien !
M. Yannick Vaugrenard. Nous avons su démontrer que nous en étions capables puisque les 41 propositions de notre commission ont été adoptées à l’unanimité.
C’était la quatrième commission d’enquête parlementaire sur le sujet des dérives sectaires, même si, pour la première fois, il s’agissait d’une commission d’enquête sénatoriale, portant précisément sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé.
Un sondage datant de 2010 nous montre d’ailleurs que ce sujet sensible préoccupe beaucoup nos concitoyens : 25 % d’entre eux ont été un jour approchés par une secte ; 20 % connaissent dans leur entourage amical, familial ou professionnel une ou plusieurs victimes de dérives sectaires ; 66 % des Français considèrent que les sectes sont un danger pour la démocratie.
L’évolution de nos sociétés modernes, où l’individualisme isole, et la fragilité de tout un chacun devant la dureté de la maladie sont autant de facteurs qui favorisent l’emprise mentale sur les personnes vulnérables. Il convient de combattre cette emprise, de même que l’exploitation mercantile qui l’accompagne souvent.
Notre démocratie est-elle suffisamment armée pour exercer le rôle protecteur qui doit être aussi le sien dans ce domaine ? Assurément non, ainsi que nous l’a démontré cruellement l’ensemble des auditions : l’état des lieux est globalement négatif et le constat particulièrement alarmant.
L’engouement des malades pour des pratiques thérapeutiques non conventionnelles touche certains professionnels de santé, voire certains hôpitaux, sans qu’il y ait unité de vue et d’appréciation à ce sujet sur l’ensemble du territoire national. C’est anormal !
De plus, l’alerte doit être impérativement donnée lorsqu’il s’agit de pratiques alternatives mettant en danger la santé des personnes affaiblies psychologiquement. Le fait qu’il y ait aujourd’hui 3 000 médecins en lien avec la mouvance sectaire n’est pas pour nous rassurer, pas plus que le fait qu’un médecin a toujours la possibilité, comme cela a été rappelé à maintes reprises, d’user de son titre de docteur bien qu’il ait été radié de l’Ordre des médecins.
Nous avons également des raisons d’être préoccupés lorsque 4 000 psychothérapeutes autoproclamés exercent sans jamais avoir reçu de formation.
Mme la ministre de la santé doit savoir que tous ces points méritent une attention particulière et doivent faire l’objet d’une grande réflexion afin d’éviter les dérives sectaires et leur recrudescence dans le domaine de la santé. S’il est une question interministérielle à soulever, c’est bien celle-là. Elle concerne, en effet, plusieurs ministères, notamment celui chargé de la formation professionnelle.
Plusieurs formations que je qualifierai d’« exotiques » sont parfois proposées sans surveillance suffisante de la puissance publique… La trop grande dilution des responsabilités dans ce secteur mérite une approche plus circonstanciée des services de l’État et des assemblées régionales.
Par ailleurs, nous avons pu constater que les préfets faisaient une application à géométrie variable de l’obligation d’organiser des réunions départementales annuelles sur les dérives sectaires dans le cadre du comité départemental de prévention de la délinquance, réunions rassemblant tous les acteurs, ainsi que les circulaires le prévoient. Cela n’est pas non plus acceptable, et c’est du ressort du ministère de l’intérieur.
Nous avons pu observer également que le développement d’Internet et le foisonnement d’informations médicales ou faussement médicales devaient nous amener à un sursaut de vigilance par un contrôle accru des sites. Des moyens nouveaux donnés à la gendarmerie dans les processus d’enquête et une sensibilisation plus forte des magistrats doivent être mis en œuvre.
Force est donc de constater que beaucoup de ministères, à côté du ministère de la santé, ont un rôle déterminant à jouer pour combattre les dérives sectaires : ministères de l’intérieur et de la justice, ministère en charge de la formation professionnelle, ministère de l’éducation nationale, voire ministère des finances.
Nous l’avons vu, la maladie, la solitude qui peut se transformer en isolement, le repli sur soi, le mal-être et la culpabilité sont le terreau fertile des dérives sectaires. C’est pourquoi le rapporteur et la commission d’enquête ont élaboré ces 41 propositions, qui doivent être examinées par les ministères concernés avec la grande attention qu’elles méritent.
Il faut à la fois mieux prévenir et plus protéger, par exemple en lançant une grande campagne d’information relative aux dérives thérapeutiques et sectaires, ou en interdisant aux médecins, dentistes et pharmaciens radiés par leur ordre de faire état de leur titre de docteur.
Il est également proposé de mettre en place à l’hôpital des groupes de détection des patients susceptibles d’être victimes de dérives sectaires, de mieux encadrer l’activité des psychothérapeutes ou d’appeler les procureurs de la République à porter une attention particulière aux suites à donner aux plaintes et signalements concernant des actes susceptibles de s’inscrire dans un contexte sectaire.
Il est aussi proposé de soutenir la définition d’un label de qualité des organismes de formation, qui prenne en compte un cahier des charges précis, garantissant l’absence de dérives thérapeutiques ou sectaires, ou encore de renforcer la sécurité de l’information des internautes.
Il serait par ailleurs utile de permettre aux enquêteurs de la cyberpatrouille de la gendarmerie nationale de mener des investigations sous pseudonyme, ce qui n’est pas actuellement possible, de s’assurer que les programmes de l’enseignement secondaire intègrent une sensibilisation aux dérives thérapeutiques et sectaires, enfin de renforcer le statut de la MIVILUDES, en lui conférant une existence législative et en accordant une immunité encadrée à son président.
Tout cela suppose, en complément, une solidarité internationale de lutte contre les dérives sectaires, particulièrement une solidarité européenne. À ce propos, notre devoir n’est-il pas aussi de demander à la Cour européenne des droits de l’homme de se soucier plus du fond que de la forme quand elle juge ? Elle ne l’a pas fait lorsqu’elle a osé condamner la France à une amende de 4 millions d’euros pour « violation de la liberté de conscience et de religion » à l’encontre de trois sectes clairement identifiées, dont le Mandarom et son « messie cosmo-planétaire »…
M. Jacques Mézard, rapporteur. Très bien !
M. Yannick Vaugrenard. Il y a des moments où être procédurier peut s’apparenter à de la lâcheté !
Les droits de l’homme nous imposent de protéger avant tout les faibles des gourous. Ces 4 millions d’euros devraient plutôt être versés au profit de ceux qui luttent contre les dérives sectaires, par exemple à la MIVILUDES, qui, j’en suis convaincu, en ferait très bon usage !
Je conclurai en émettant le souhait que le rapport et les préconisations qu’il contient soient suivis d’effets. Pourquoi ne pas prendre l’habitude de réunir annuellement la commission d’enquête pour faire le point sur le suivi et l’efficacité de ses préconisations, en particulier avec les représentants des différents ministères ?
De plus, eu égard à l’unanimité de nos conclusions, il serait bon de déposer des amendements rassemblant des signataires de toutes tendances politiques dès qu’un texte de loi permet d’introduire dans notre droit une des préconisations de la commission d’enquête.
L’écoute et l’attention ont dominé nos auditions et nos échanges ; le souci d’efficacité doit désormais guider le suivi de nos travaux.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour que chacun reste pleinement maître de ses décisions, il faut apprendre à développer l’esprit critique, et ce dès le plus jeune âge : c’est notamment le rôle de l’éducation nationale.
Chacune et chacun d’entre nous, quel que soit son parcours personnel, professionnel ou de santé, peut à tout moment être percuté et fragilisé par les aléas de l’existence et voir son esprit critique s’étioler. Le terrain est alors fertile pour que des « sans foi ni loi » exercent leur emprise mentale.
Notre démocratie, par manque de vigilance – nous l’avons constaté – est coupable de non-assistance à citoyens en danger. Nous ne pouvons pas l’accepter. C’est pourquoi il faut agir pour protéger, agir pour prévenir et agir pour punir, si nécessaire.
Le glorieux Victor Hugo, ancien sénateur, écrivait : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes. » Agissons donc pour briser les chaînes de l’emprise sectaire dont peuvent être victimes nos concitoyens. Aidons-les à reprendre l’envol vers leur liberté de conscience ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en premier lieu, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
Je tiens, en son nom, à saluer la qualité du rapport. Il est le fruit d’un long travail et de nombreux échanges puisque votre commission a organisé plus de 70 auditions. Des associations, des professionnels de santé, des experts, des représentants d’autorités sanitaires et des administrations concernées ont été entendus.
Vous avez également souhaité respecter le principe du contradictoire en entendant des représentants de mouvements susceptibles de dérives sectaires ou des praticiens mis en cause, y compris par la MIVILUDES. La plupart des procès-verbaux et des vidéos des auditions ont été rendus publics. La ministre des affaires sociales et de la santé tient à saluer cette démarche inédite.
C’est seulement à l’issue de ce long processus que la commission d’enquête a formulé 41 propositions sur la question de l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.
Les dérives sectaires s’accroissent en effet : c’est le constat de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Dans ce contexte, la santé est un secteur particulièrement à risques. Ainsi, près du quart des signalements adressés à la MIVILUDES concerne la santé ou le bien-être. Selon le président de cette mission, plus de 3 000 médecins seraient en lien avec la mouvance sectaire.
Parce qu’elles touchent directement au corps, à l’intime, on attend de la médecine et des thérapies qu’elles se fondent sur la science. C’est tout l’inverse avec les comportements sectaires : ceux-ci se développent en s’appuyant sur des éléments chimériques plutôt que sur une démarche rationnelle. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il s’agit « d’éliminer le savoir au profit du croire ».
La santé est donc un terrain privilégié pour ceux qui entendent exploiter les faiblesses de l’autre. En effet, les personnes atteintes d’une maladie grave ou incurable sont souvent enclines à se tourner vers des médecines non conventionnelles. C’est ce que votre rapport montre bien : ces pratiques sont parfois à l’origine de déviances thérapeutiques ou sectaires.
Soyons clairs : il ne s’agit pas de condamner les médecines dites « non conventionnelles ». Le rôle du législateur est d’identifier celles qui s’avèrent dangereuses pour les personnes.
Je ne parle pas seulement de charlatanisme : à l’évidence, la dérive sectaire dans le champ de la santé a des conséquences beaucoup plus tragiques. Sous l’emprise psychique de gourous ou de prétendus « thérapeutes », les victimes peuvent aller jusqu’à subir des sévices ou, dans certains cas extrêmes, à mettre fin à leurs jours.
Les techniques utilisées pour abuser des personnes malades relèvent de la manipulation, de l’emprise d’un être humain sur un autre. Le vocabulaire scientifique et médical est ainsi largement employé pour crédibiliser les argumentaires déployés par les mouvements à caractère sectaire.
Ces dernières années, le développement de ces pratiques a été favorisé par Internet, car les informations qui y figurent font encore l’objet de peu de contrôle de la part des autorités publiques.
Les formations professionnelles sont également concernées : 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risques » ont ainsi été dénombrées dans le domaine de la santé.
Alors même que l’on constate un accroissement des dérives, ce phénomène reste très difficile à encadrer.
Les dépôts de plainte sont peu fréquents ou tardifs. Selon le ministère de la justice, en 2011, seulement une centaine de procédures pénales impliquant un contexte sectaire étaient en cours d’instruction ou au stade de l’enquête préliminaire.
Les témoignages à charge sont rares, les malades et les personnes vulnérables ayant souvent adopté un comportement irrationnel.
Les enquêtes sont complexes : elles s’appuient sur un faisceau d’indices et l’établissement de la preuve reste particulièrement difficile.
Enfin, vous l’avez rappelé, il n’existe aucune définition juridique de la secte. De même, aucun texte de loi n’interdit l’appartenance à une secte.
Il n’est donc jamais aisé d’identifier les pratiques douteuses et de poursuivre leurs responsables en justice.
Pour assurer la protection de nos concitoyens à cet égard, l’ensemble du Gouvernement est mobilisé, et le ministère de la santé est en première ligne. Afin d’agir efficacement, nous avons besoin d’une mobilisation collective. Les champs d’action concernés sont l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, qui peuvent eux-mêmes connaître ce type de dérives. Nous avons également besoin du ministère de la justice, qui dispose d’un rôle de repérage, ainsi que du ministère de l’intérieur, qui a pour mission de coordonner la prévention de ces dérives sectaires au niveau départemental. Plusieurs axes de travail ont déjà été tracés.
Certaines des propositions formulées dans votre rapport concernent l’amélioration de l’information en matière de santé, s’agissant notamment des médecines non conventionnelles.
D’abord, pour bien agir, il faut le faire de façon éclairée, en évaluant scientifiquement l’efficacité des pratiques présentées comme thérapeutiques.
Un groupe d’appui technique, composé notamment des ministères de la santé, de la justice et de la MIVILUDES, placé auprès du directeur général de la santé, est en charge de travailler sur les pratiques non conventionnelles depuis plusieurs années. Il a pour mission d’évaluer ces pratiques, d’informer le public et de lutter contre celles qui sont dangereuses. Un programme d’évaluation est mis en œuvre avec l’INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale –, qui a élaboré une méthodologie adaptée sur certaines pratiques telles que la mésothérapie, l’ostéopathie, la médecine chinoise. Un dossier figure sur le site du ministère chargé de la santé. Il apporte une information globale généraliste sur ce qu’est la médecine conventionnelle et sur ce qu’elle n’est pas. Progressivement, ce dossier doit s’enrichir de fiches d’information sur les principales pratiques non conventionnelles en matière de santé.
En parallèle, une étude a été engagée pour forger d’autres outils juridiques qui permettront de lutter contre les pratiques non conventionnelles dangereuses. Ces outils pourraient s’inscrire dans la prochaine loi de santé publique.
Ensuite, il s’agit de renforcer l’information dans le champ de la santé.
Une refonte du site Internet du ministère chargé de la santé est actuellement en cours : l’objectif est de rendre les informations relatives à la santé plus accessibles au public et de faire en sorte que les données qu’il contient soient mieux référencées. Les nouvelles données, en particulier celles qui concernent les pratiques thérapeutiques non conventionnelles, font l’objet d’une attention particulière.
Par ailleurs, la Haute Autorité de santé proposera, au début de l’année 2014, un nouveau dispositif « qualité » en matière de sites dédiés à la santé, afin de donner des repères à l’internaute. Ce dispositif sera construit en concertation avec les usagers, les professionnels de santé, les pouvoirs publics et les éditeurs.
La création d’un site public d’information en santé permettra également de rendre plus lisible l’information publique en santé, aujourd’hui multiple et éparse.
Enfin, l’encadrement des formations professionnelles constitue le troisième axe d’action.
Dans votre rapport, figurent plusieurs propositions à cet égard, concernant tant le contrôle du contenu des formations et de la qualité des organismes dispensant ces formations que la sensibilisation des acteurs.
En effet, nous devons mieux sensibiliser les acteurs de la formation au risque sectaire. Des pistes seront à l’étude dans le cadre de la préparation de la prochaine réforme de la formation professionnelle, qui donnera lieu à un projet de loi d’ici à la fin de l’année.
Par ailleurs, les organismes souhaitant intervenir dans le champ du développement professionnel continu des professionnels de santé seront soumis à évaluation et contrôle.
Vous l’avez justement noté, la justice joue également un rôle clef dans la lutte contre les dérives sectaires. Le dispositif peut toutefois être encore amélioré.
Il apparaît essentiel d’inciter les procureurs à donner suite, ainsi que vous l’avez proposé, aux plaintes et aux signalements liés à des dérives sectaires ; cet objectif pourrait faire l’objet d’une circulaire du ministère de la justice.
Ensuite, il faut mieux former les référents « dérives sectaires » désignés au sein de chaque parquet général et dont vous avez noté l’importance. S’ils permettent déjà de disposer d’un relais actif et d’une meilleure circulation des informations au niveau des cours d’appel, il faut les sensibiliser davantage encore à la spécificité de ces enjeux. Un magistrat référent en charge de l’action publique est nommé au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces. Il est, à ce titre, en charge des dérives sectaires et assure le lien avec ces référents, les administrations concernées ainsi que la MIVILUDES.
Enfin, le ministère de l’intérieur joue également un rôle déterminant dans la lutte contre les dérives sectaires, vous l’avez relevé à juste titre. Son action passe par les conseils départementaux de prévention de la délinquance, dont les prochaines orientations pourraient inclure les dérives sectaires. Mais l’approche ne peut être seulement répressive.
Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport qui est présenté aujourd’hui nous rappelle l’absolue nécessité de rester vigilants : les dérives sectaires connaissent actuellement des mutations rapides, qui imposent une mobilisation collective.
Vous pouvez être certains que tous les services de l’État, au premier rang desquels la MIVILUDES, sont pleinement engagés pour apporter protection et information à nos concitoyens et répondre à votre volonté non seulement de défendre, mais aussi de punir quand cela est nécessaire. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 12 juin 2013 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, de simplification du fonctionnement des collectivités territoriales (n° 387, 2012-2013) ;
Rapport de Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la commission des lois (n° 635, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 636, 2012-2013).
2. Deuxième lecture du projet de loi organique, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, portant application de l’article 11 de la Constitution (n° 551, 2012-2013) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, portant application de l’article 11 de la Constitution (n° 552, 2012-2013) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission des lois (n° 632, 2012 2013) ;
Textes de la commission (nos 633 et 634, 2012-2013).
À dix-huit heures trente et, éventuellement, le soir :
3. Débat sur la pollution en Méditerranée : état et perspectives à l’horizon 2030.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 12 juin 2013, à zéro heure vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART