Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque je parle d'impuissance volontaire, je ne tiens pas là un propos polémique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2007 et 2011, le nombre de magistrats à la section financière du parquet de Paris est passé de huit à onze ; dans le même temps, le nombre d'informations judiciaires ouvertes a chuté des deux tiers. L’effectif des enquêteurs spécialisés a baissé dans la même proportion.
En janvier 2009, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le Président de la République d'alors avait annoncé la suppression des juges instruction.
M. Jacques Chiron. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les brigades spécialisées ont perdu trente-sept enquêteurs spécialisés. C’est la raison pour laquelle, en janvier 2013, j’ai interrogé la Cour d’appel de Paris afin de connaître les besoins en enquêteurs économiques et financiers. Avec les affaires en cours, c’est-à-dire à contentieux égal, il faudrait soixante-dix enquêteurs économiques et financiers supplémentaires !
La faiblesse des moyens est donc patente, alors que les sections spécialisées doivent agir le plus rapidement possible contre la fraude et les infractions à la probité.
La réalité que je décris s’est donc traduite dans des chiffres, les réductions budgétaires conduisant au démantèlement de services, à la fragilisation générale de chaînes d’instances intervenant contre la corruption. Mais elle s’est accompagnée d’un discours : ces actes ont été justifiés par des paroles où il était question de dépénalisation, voire de déjudiciarisation des affaires.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : la France est tombée au vingt-deuxième rang du classement de Transparency International.
C’est pourquoi le gouvernement actuel a décidé de lutter de façon structurée et durable contre les atteintes à la probité et la corruption, en engageant des réformes structurelles inscrites dans ce texte de loi, avec des moyens spécifiquement dédiés à cette lutte, et en suscitant une mobilisation de l’opinion publique, des citoyens.
Nous estimons en effet que nous devons concilier des actions diverses et les faire converger en vue de la réfection du lien social, de la reconstitution du contrat social, en proclamant clairement notre conviction que le pacte républicain garde toute sa vertu, qu’il est solidement ancré dans des valeurs, parmi lesquelles figure notamment la justice sociale.
Au cours de la discussion, je compte vous fournir des informations et des précisions sur la façon dont nous allons coordonner, avec une plus grande efficacité, la politique pénale et la politique fiscale ainsi que sur les moyens par lesquels nous allons introduire de la transparence dans les actions conduites à la fois par les services judiciaires et par l’administration fiscale.
Je vous exposerai comment nous ferons en sorte que l’action de l’État soit cohérente et coordonnée, afin d’amplifier son efficacité et de parvenir enfin à apporter une réponse stable, efficace et dissuasive à cet acte d’agression insupportable que constitue l’atteinte à la probité, quelles que soient ses multiples formes et l’ingéniosité de ceux qui décident de s’y livrer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en complément de ce que vient d’indiquer excellemment Mme la garde des sceaux, dire quelques mots sur le projet de loi qui est destiné à montrer la détermination, à la fois du Gouvernement et de la représentation nationale dans son ensemble, à lutter efficacement contre la fraude fiscale.
Depuis la première lecture de ce texte à l’Assemblée nationale, votre commission des lois et votre commission des finances ont accompli un travail important, que je veux dès à présent saluer.
Je voudrais notamment remercier les deux rapporteurs au fond, Alain Anziani et, pour le projet de loi organique, Virginie Klès, ainsi que M. le rapporteur général, François Marc, de leur implication en vue d’améliorer le contenu des deux projets de loi qui vous sont soumis. Même s’il est quelques questions sur lesquelles nous ne sommes pas nécessairement en accord, je ne peux nier que chacune et chacun d’entre vous s’est fortement investi pour que ce texte soit à la hauteur de l’ambition que porte le Gouvernement : lutter efficacement contre la fraude fiscale.
Je voudrais insister sur le fait que ce texte n’est pas la première manifestation d’une volonté. C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne votre assemblée, dont on sait quelle attention elle a porté au cours des derniers mois et même des dernières années à la question de la lutte contre la fraude fiscale.
Je pense aux travaux conduits par vos multiples commissions d’enquête, plus particulièrement celle qui se consacre actuellement à la fraude fiscale et au rôle joué par les institutions financières et bancaires en la matière. Je veux d’ailleurs saluer le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, M. Éric Bocquet, qui a fait ces derniers temps un travail extrêmement important dont il nous faut nous inspirer si nous voulons donner à ce texte sa pleine et entière dimension.
M. Francis Delattre. Cette commission a aussi un président ! Un peu de courtoisie ne nuit pas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Rassurez-vous, monsieur le sénateur, je vais avoir l’occasion d’évoquer amplement le travail qu’il a accompli. Ne vous énervez pas inutilement !
Mme Nathalie Goulet. C’est difficile !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous aurez toutes les raisons de le faire pendant le débat ! Gardez donc vos forces ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
De son côté, le Gouvernement n’a pas attendu ce texte pour s’engager résolument dans la lutte contre la fraude fiscale.
Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012 et du projet de loi de finances initiale pour 2013, nous avons pris des dispositions qui sont de nature à opposer à ceux qui se livrent à la fraude fiscale un certain nombre de mesures très dissuasives.
Je pense tout d’abord à la décision d’inverser la charge de la preuve concernant les transferts de bénéfices. Il appartenait jusqu’à présent à l’administration fiscale d’apporter la démonstration que les transferts de bénéfices étaient dictés par des intentions d’optimisation fiscale ou par la volonté de ceux qui se livraient à ces transferts d’échapper à l’impôt. Aujourd’hui, il appartient davantage aux représentants des entreprises d’expliquer les raisons pour lesquelles ils ont procédé à ces transferts et d’apporter la démonstration qu’ils ne l’ont pas fait pour des raisons d’optimisation fiscale ou pour des motifs qui tiennent à la volonté d’échapper à l’impôt.
Je veux également rappeler la décision de prélever 60 % des sommes versées sur des comptes à l’étranger dès lors qu’il est impossible de rétablir la traçabilité des sommes versées sur ces comptes. C’est, là aussi, un progrès très considérable par rapport à l’état du droit antérieur.
Je ne peux pas ne pas évoquer la loi bancaire, qui a été amplement discutée au sein de votre assemblée et qui a été l’occasion, pour le Gouvernement, de montrer sa détermination dans la lutte contre la fraude fiscale en obligeant les institutions financières et leurs filiales à déclarer la totalité de leurs activités à l’étranger et de préciser, pour chacune des filiales qu’elles mobilisent à l’étranger, les moyens utilisés, les personnels recrutés.
Il s’agit là d’une évolution très importante du droit, qui est de nature à rétablir la traçabilité des fonds, de la même manière que la disposition qui a été prise en loi bancaire obligeant les institutions financières à signaler à TRACFIN tous les mouvements étranges ou anormaux de fonds constatés.
Tout cela procède de la même logique, de la même volonté, qui est de lutter efficacement et durablement contre la fraude fiscale.
Je rappellerai aussi un certain nombre de travaux, de réflexions conjointes du Gouvernement et du Parlement, qui permettent, par-delà le projet de loi, ou pour en préparer le contenu, d’aller plus loin que les quelques exemples que je viens de donner pour exposer les ambitions que nous portons en commun.
Je pense à toute la réflexion qui est conduite concernant la fiscalité des entreprises numériques, et je veux souligner à cet égard l’excellent travail du président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, travail dont il a su tirer des conclusions très intéressantes et pertinentes.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je vous remercie, monsieur le ministre !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je le rappelle, ces travaux sur la fiscalité des activités numériques, vrai sujet d’éviction du produit fiscal par un certain nombre de grandes entreprises, rejoignent les préoccupations de la communauté internationale exprimées au sein non seulement de l’OCDE mais également de l’Union européenne, dans le cadre des réflexions autour de l’érosion des bases fiscales.
Il s’agit, à travers les réflexions sur le projet BEPS – en français : « érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices » – de faire en sorte que les grands groupes ne puissent pas procéder à l’érosion de leur assiette fiscale en faisant échapper à l’impôt un certain nombre d’activités qui justifieraient d’être taxées.
Permettez-moi d’insister, à cet égard, sur le travail important effectué par l’inspection générale des finances à travers le rapport sur les prix de transfert, qui concerne plus particulièrement les modalités d’optimisation fiscale émanant des entreprises. Je sais que ce travail a inspiré nombre de réflexions de l’Assemblée nationale et du Sénat, qu’il a pu également nourrir des amendements qui nous seront soumis au cours de ce débat.
Ce sont là des questions essentielles et éminemment stratégiques, sur lesquelles il nous faut légiférer en prenant le temps de la concertation avec les entreprises et, surtout, en prenant le temps de nous assurer que les dispositifs que nous aurons arrêtés sont juridiquement pertinents et efficaces.
Nous aurons à évoquer de nouveau ces questions au cours la discussion générale et à l’occasion de l’examen des amendements.
Je veux, en quelques mots, insister sur quelques dispositions le projet de loi et évoquer le parti qui a été le nôtre au moment où nous en avons élaboré, en étroite liaison avec la garde des sceaux, l’architecture globale.
Je dirai d’abord que la force de ce texte est qu’il n’oppose pas l’administration fiscale et l’administration de la justice ; au contraire, il crée les conditions d’une meilleure articulation entre ces deux administrations, afin que le fraudeur n’ait aucun espace lui permettant d’échapper au contrôle et à la sanction lorsque celle-ci est justifiée.
Ce parti que Mme la garde des sceaux, Pierre Moscovici et moi-même avons décidé de prendre doit nous permettre de donner davantage de moyens à nos administrations et faire en sorte que ces dernières, ensemble, soient plus fortes qu’elles ne l’ont jamais été pour lutter efficacement contre la fraude, notamment la fraude fiscale de grande ampleur.
D’abord, comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux à l’instant, pour contrer les systèmes de fraude qui mobilisent soit des sociétés écrans, soit des comptes à l’étranger, soit des trusts – c'est-à-dire des procédés qui ajoutent de l’opacité à l’opacité, permettant ainsi au fraudeur d’échapper au contrôle et à la sanction –, nous devons mettre en place des dispositifs d’enquête spéciale qui, jusqu’à présent, ne pouvaient pas être mobilisés pour ce type d’infractions.
C’est ainsi que la police judiciaire d’enquête fiscale pourra désormais disposer de moyens nouveaux pour aller au bout de ses investigations. Aussi bien l’administration fiscale que l’administration judiciaire pourront mobiliser ces moyens, dans le cadre d’une coopération renforcée, d’une meilleure articulation entre l’administration fiscale et le juge judiciaire, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est l’intérêt que représente, pour la lutte contre la fraude fiscale, la mobilisation d’informations qui, jusqu’à présent, ne pouvaient pas être utilisées.
Le rapport récemment élaboré par M. le rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, concernant les conditions dans lesquelles ont pu être utilisées les informations comprises dans la liste HSBC, a montré que la difficulté à laquelle nous avions été confrontés résultait de l’impossibilité, pour nous, d’utiliser des éléments qui nous avaient été communiqués par des procédés licites à partir du moment où la source de ces informations n’était pas licite. Une décision de la Cour de cassation nous avait ainsi empêchés d’exploiter la totalité des éléments de la liste HSBC.
Par conséquent, nous avons décidé de rendre possible l’utilisation d’éléments communiqués de façon licite à l’administration, notamment à l’administration fiscale, y compris lorsque la source ne l’est pas. C’est là un progrès absolument considérable, dont nous saurons faire le meilleur usage lorsqu’il s’agira de traquer les fraudeurs.
Le troisième élément très important est le renforcement des sanctions pénales de toute nature qui seront opposées au fraudeur dès lors que ses agissements auront été découverts.
La garde des sceaux a indiqué tout à l’heure que les amendes seraient alourdies – elles pourront aller jusqu’à 2 millions d’euros –, ainsi que les peines d’emprisonnement – jusqu’à sept ans.
Notre volonté est également de faire en sorte que les personnes morales – notamment les entreprises qui sont à l’origine de fraudes de grande ampleur – puissent voir leurs biens saisis, y compris les sommes déposées sur des comptes d’assurance vie. Il s’agit là de mesures de confiscation qui n’existaient pas jusqu’à présent et qui pourront désormais être mises en œuvre dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.
Voilà les quelques éléments du présent texte sur lesquels je tenais à m’appesantir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les travaux des commissions ont permis d’améliorer sensiblement ce projet de loi. Je songe aux cinq articles supplémentaires, à caractère fiscal ou douanier, qui sont notamment dus au travail de M. le rapporteur général de la commission des finances, François Marc.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Toutefois, sur quelques sujets, les modifications introduites pourraient, si nous n’y prenions garde, désarticuler la relation que nous avons entendu construire entre l’administration fiscale et la justice. Je veux parler de la mise en concurrence des administrations fiscale et judiciaire, dès lors qu’il s’agit de poursuivre un fraudeur. Il s’agit, en l’espèce, de l’amendement déposé par M. le rapporteur Alain Anziani.
Puisque nous sommes ici pour débattre et que cet amendement nous en donne l’occasion, j’exposerai la position du Gouvernement tout aussi clairement que M. Anziani a défendu son point de vue en présentant cet amendement à la commission.
Pourquoi ne sommes-nous pas favorables à cette mise en concurrence ?
Il ne s’agit en aucun cas du regard que ces deux administrations peuvent porter l’une sur l’autre puisque nous considérons qu’elles sont toutes deux légitimes à traquer le fraudeur et à lui infliger des peines dès lors que la fraude a été détectée. Si le Gouvernement souhaite rendre leur action conjointe, c’est dans un seul but : ne laisser au fraudeur aucun interstice pour échapper à la sanction, cet interstice risquant de lui être offert du fait d’une concurrence que nous aurions organisée entre les services habilités à le poursuivre.
Tout d’abord, je souligne que la justice a désormais la capacité d’engager elle-même des poursuites dans le cas d’infractions complexes, méritant des sanctions lourdes. Je songe à tout ce qui relève du blanchiment de fraude fiscale, aux termes de l’arrêt Talmon. Rendu il y a déjà quelques années, cet arrêt donne à la justice la possibilité de lancer des poursuites, une fois identifiés des processus de blanchiment de sommes issues de fraude fiscale.
Néanmoins, dans l’articulation que nous avons choisi de mettre en œuvre, ce qui compte, c’est l’efficacité des deux administrations combinant leurs moyens.
L’administration fiscale est déjà armée contre la fraude fiscale, qui nécessite la mobilisation de moyens techniques, des analyses approfondies et des réflexions cursives sur les conditions dans lesquelles tel ou tel dispositif fiscal a pu être détourné en vue d’échapper à l’impôt. Cette administration est techniquement dotée, car il s’agit là de son cœur de métier. Surtout, elle n’est pas soumise aux mêmes règles que le juge, qui agit dans le cadre d’une procédure judiciaire : à partir du moment où l’infraction est constatée, elle est en mesure d’infliger au fraudeur une amende qui a valeur de sanction pénale. Ainsi, nous sommes en état d’assurer en permanence que la peine, notamment sous forme d’amende, interviendra aussitôt après que le délit a été établi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réactivité est particulièrement souhaitable dans la période que nous vivons actuellement : alors qu’un très grand nombre de Français sont appelés à contribuer au redressement des comptes publics, d’autres ont délibérément décidé d’échapper purement et simplement à l’effort contributif en fraudant. Entre 2011 et 2012, en quelques mois, environ 2 milliards d’euros de titres et de pénalités ont été émis par l’administration fiscale au terme de fraudes constatées. Ce n’est pas rien ! Nous considérons en effet qu’il ne saurait y avoir, ici, ceux qui contribuent, car ils ont décidé d’accomplir leur devoir civique en acquittant l’impôt, et, là, ceux qui échappent à la contribution parce qu’ils ont décidé de frauder !
Je le répète, on ne peut pas tolérer de longs délais entre le moment où la fraude est mise au jour et celui où la sanction financière tombe. En effet, si nous nous installons dans le temps long, nous laissons au fraudeur, qui n’est pas dénué de moyens, la possibilité d’échapper à la peine qu’il mérite.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Moi, je considère que le fraudeur doit être sanctionné aussi tôt que possible après que la faute a été détectée.
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C’est la première raison pour laquelle il ne faut pas organiser cette concurrence entre administration fiscale et justice, car elle reviendrait, tout simplement à allonger le délai entre la constatation de la fraude et sa sanction,…
M. François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.… en alourdissant les procédures dans un domaine où, jusqu’à présent, ceux qui avaient voulu s’affranchir du paiement de l’impôt étaient contraints de payer. Dans le contexte contributif que vous connaissez, cela ne serait ni juste ni normal.
S’ajoute une seconde raison : nous avons besoin d’une intervention conjointe de la justice et de l’administration, l’une et l’autre, loin de s’opposer, articulant leur action. Une fois la faute pénale constatée par l’administration fiscale dans le cadre des contrôles qu’elle exerce, il est normal que la justice puisse poursuivre son travail sans que l’administration fiscale risque pour autant de ne pas percevoir immédiatement les sommes qui lui sont dues. Il faut à la fois que le juge puisse faire passer le droit et que l’administration fiscale puisse faire passer l’amende. Or, en organisant la concurrence, on allongerait le temps permettant de faire passer et le droit et l’amende. On donnerait au fraudeur un temps dont il ne doit pas disposer. Pour le fraudeur, le temps c’est de l’argent,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Pour l’État aussi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … c’est une occasion d’échapper à la sanction qu’il mérite. Nous n’avons nul besoin de lui faire ce cadeau !
À cet égard, j’ai longuement réfléchi aux interrogations exprimées avec raison par un certain nombre de parlementaires et de magistrats. S’ajoutent à eux des journalistes, dont j’ai lu la tribune hier dans un excellent quotidien, et qui posent, eux aussi, cette question : dès lors que nous sommes soucieux de l’efficacité que je viens d’évoquer, comment assurer la transparence dont les citoyens et le Parlement ont besoin ?
Nous devons améliorer le dispositif existant. En effet, il est tout à fait normal que la représentation nationale – comme l’opinion publique, les associations, les organisations non gouvernementales – demande à connaître les critères et les conditions à partir desquels l’administration fiscale a procédé à l’examen des dossiers des contrevenants, puis sanctionné ces derniers. Il ne peut pas y avoir d’opacité en la matière : la transparence la plus grande doit exister.
De la même manière, il n’est pas normal que des interrogations et des doutes subsistent quant aux conditions dans lesquelles la commission des infractions fiscales transmet à la justice les dossiers que l’administration fiscale lui a adressés, sous prétexte qu’il n’y aurait aucun critère ou qu’aucun compte ne serait rendu à la représentation nationale !
Du reste, contrairement à ce que j’ai lu hier dans la presse, le ministre du budget n’est pas celui qui instruit les dossiers, puis les transmet à la commission des infractions fiscales selon son bon vouloir. Ce n’est pas l’état du droit ! Aujourd’hui, aux termes de circulaires qui ont été prises, et qui sont rigoureusement appliquées, le ministre du budget, quel qu’il soit, n’a pas à connaître des conditions dans lesquelles les contrôles sont menés.
De même qu’il est normal de donner à l’administration de la justice des orientations de politique pénale, il est normal que le ministre du budget dise à l’administration fiscale quels sont les critères sur la base desquels elle travaille, et qui ne sont d’ailleurs rien d’autre que la mise en perspective des lois que le Parlement vote. Mais le rôle du ministre du budget ne va pas plus loin. Si d’aventure tel était le cas, cela signifierait qu’il contrevient au droit ! Jamais aucun ministre du budget ne peut décider que tel ou tel dossier de fraudeur doit être transmis ou non à la commission des infractions fiscales avant d’être adressé à la justice. Nous ne le faisons pas et nous ne le ferons jamais !
Toutefois, pour que cette garantie soit bien claire, je propose que le Parlement reçoive chaque année un rapport par lequel l’administration fiscale lui rend compte des conditions dans lesquelles elle procède à ses contrôles et élabore ses sanctions.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce document permettra à chacune et à chacun d’entre vous de savoir quel est le nombre de dossiers traités, quels sont les critères appliqués et quelles sont les rentrées fiscales obtenues.
M. Francis Delattre. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Ce sera plus clair !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ainsi, nous garantirons une situation de transparence qui ne prévalait pas jusqu’à présent. Nous saurons comment fonctionne la commission des infractions fiscales.
Je suis même favorable à ce que la composition de cette instance soit modifiée, afin que des magistrats de l’ordre judiciaire puissent siéger en son sein.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Jusqu’alors, cette commission n’était composée que de magistrats de la Cour des comptes ou du Conseil d’État.
Telles sont les propositions très concrètes que je souhaitais présenter à la Haute Assemblée.
Il n’y a pas, d’un côté, une administration fiscale molle et, de l’autre, un juge dur, ou une administration fiscale rapide et un juge lent ! Non ! Ce projet de loi traduit la volonté conjointe du garde des sceaux et de Bercy de faire en sorte que deux administrations rigoureuses puissent agir de concert, pour ne laisser aucun interstice aux fraudeurs : je le répète, ces derniers ne méritent pas ce cadeau. Tel est très précisément l’équilibre du texte que nous vous présentons aujourd’hui, et qui doit permettre une plus grande efficience de la lutte contre la fraude fiscale.
Je précise que cette transparence est déjà à l’œuvre. De fait, c’est devant la représentation nationale, et non dans la presse, ni même par une circulaire prise sous le manteau, que le Gouvernement a décidé de rendre publiques les conditions dans lesquelles sera opérée la mise en conformité au droit de ceux qui, depuis trop longtemps, fraudent.
Il n’y aura pas de cellule particulière dans l’administration fiscale, de structure « VIP » destinée à accueillir ceux qui, après avoir longtemps fraudé, désirent se mettre en conformité avec le droit.
M. Gérard Longuet. Pas de cellule Cahuzac, donc ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce sont les services de droit commun de l’administration fiscale, lesquels existent déjà – je songe notamment à la direction nationale des vérifications de situations fiscales – qui assureront l’accueil de ces contrevenants.
De plus, aucune transaction n’aura lieu dans l’opacité. Des barèmes seront définis, pour permettre à chacun de connaître les conditions dans lesquelles son cas sera traité. Le Parlement pourra, quant à lui, vérifier la conformité de ces barèmes aux dispositions mises en œuvre concrètement par l’administration face à chaque fraudeur désireux de régulariser sa situation.
M. Antoine Lefèvre. Nous verrons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Enfin, toutes les pénalités seront appliquées conformément au contenu de la circulaire, et nous rendrons compte devant la représentation nationale des conditions dans lesquelles cette mise en conformité au droit a été accomplie.
D’ores et déjà, je peux vous annoncer que, depuis l’adoption de cette circulaire, c’est-à-dire en moins d’un mois, quelque 250 dossiers ont été adressés aux services de l’administration fiscale. Ce chiffre traduit une augmentation très significative, pour ne pas dire exponentielle, du nombre de cas qui nous sont soumis.
Voilà pourquoi je peux dès à présent saluer l’efficacité de cette politique, qui emprunte deux vecteurs : premièrement, celui de la loi, par les textes aujourd’hui présentés au Sénat, qui améliorent les conditions d’investigation des administrations judiciaire et fiscale, rendent les poursuites plus efficaces et durcissent les sanctions ; deuxièmement, celui de la transparence, quant aux conditions de mise en conformité des fraudeurs au droit. En effet, il est normal que nous puissions inciter ceux qui fraudent à s’engager dans la voie de la régularisation de leur situation.
Dans le contexte des finances publiques qui prévaut actuellement, il serait tout de même paradoxal de dire aux fraudeurs : « Nous allons durcir la loi. Notre objectif est de vous mettre en prison. Surtout, dans l’attente de votre incarcération, n’acquittez pas les impôts que vous devez ! » Quel serait le sens d’une telle méthode ? Au nom de quoi faudrait-il attendre, dans une sorte de jubilation de l’enfermement, que les fraudeurs soient attrapés plutôt que de les inciter dès aujourd’hui à se mettre en conformité au droit en payant les pénalités dont ils sont redevables ?
Telle est, a contrario, la logique de notre démarche. Tel est l’esprit de ce projet de loi très sévère vis-à-vis des fraudeurs, à qui aucun interstice n’est laissé. À travers ce texte, la France pourra mener, en avant-garde et avec force, la lutte contre la fraude fiscale au niveau des institutions européennes.
C’est, du reste, ce à quoi nous nous employons lorsque, avec certains de nos partenaires, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, nous faisons pression pour que tous les pays de l’Union européenne acceptent de se lier les uns aux autres par des conventions d’échange automatique d’informations, en profitant de l’occasion offerte par la révision de la directive Épargne et la quatrième directive Anti-blanchiment.
C’est ce que nous faisons lorsque nous proposons à l’Union européenne de définir une liste d’États et de territoires non coopératifs, ou ETNC, afin de démontrer que l’Europe, dans son ensemble, a décidé de lutter contre ce fléau.
C’est ce que nous faisons, enfin, lorsque nous demandons à l’Union européenne de négocier avec les pays tiers des conventions de type FATCA, – Foreign Account Tax Compliance Act – afin que l’échange automatique d’informations devienne la règle au sein de l’Union dans son ensemble.
Voilà l’ambition que porte ce texte, voilà la détermination qui préside à l’action du Gouvernement ! Nous sommes face à un sujet qui concerne la nation dans son ensemble, qui renvoie à son intérêt supérieur. J’espère donc que vous voterez ce texte, sinon à l’unanimité, au moins de manière très largement rassemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Nicolas Alfonsi et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)