M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui définit les principes de fonctionnement des réseaux de soins constitués par les organismes complémentaires en santé, mutuelles, assureurs ou institutions de prévoyance. Ce sujet a fait l’objet de longs débats au sein de notre Haute Assemblée en 2011.
La proposition de loi déposée par M. Le Roux reprend, en effet, une des dispositions de la loi du 10 août 2011, dite loi Fourcade, modifiant la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. À l’époque, cette mesure avait été insérée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, afin de donner la possibilité aux mutuelles de mieux rembourser leurs adhérents, lorsque ces derniers faisaient appel à un prestataire de santé membre d’un réseau de soins avec lequel elles avaient conclu un contrat.
Après sa suppression par le Sénat, sur l’initiative de plusieurs membres de la commission des affaires sociales – et pas uniquement de son rapporteur ! –, un compromis avait été trouvé lors de la commission mixte paritaire, consistant en une expérimentation très encadrée d’une durée de trois ans. L’article correspondant avait finalement été censuré par le Conseil constitutionnel, qui l’avait considéré comme un cavalier législatif.
Permettez-moi, mes chers collègues, de revenir quelques instants sur la méthode employée.
Tout d’abord, j’observe que cette proposition de loi présentée par le président du groupe socialiste de l’Assemblée nationale ne devait pas être une priorité pour le groupe socialiste du Sénat, puisqu’il ne l’a jamais inscrite dans la moindre de ses « niches parlementaires » depuis son adoption par l’Assemblée nationale, le 28 novembre 2012 !
Quelle urgence y avait-il à examiner ce texte en fin de session extraordinaire, un 24 juillet ? Est-ce une réponse à certaines mutuelles pour qu’elles finissent par accepter l’ANI ? Je vous rappelle que la généralisation de la complémentaire santé au sein de chaque entreprise a mis en émoi de nombreux intervenants de l’économie de l’assurance santé. Plusieurs d’entre eux avaient parlé de milliers d’emplois supprimés et de la liquidation de plusieurs mutuelles.
En ce qui concerne la procédure, je tiens à rappeler que l’obligation de procéder à une étude d’impact existant pour les projets de loi ne s’applique pas aux propositions de loi. En outre, sur un sujet aussi important, il aurait été utile, avant que le Parlement ne se prononce, de solliciter le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie afin d’obtenir un éclairage précis sur la prise en charge par les organismes complémentaires d’assurance maladie du reste à charge.
J’en viens au fond : alors que j’étais rapporteur de la loi Fourcade, j’avais rappelé qu’offrir un meilleur remboursement aux adhérents qui se font soigner par un professionnel conventionné par un réseau de soins s’inscrit non pas dans le cadre du conventionnement de ce dernier, mais bien dans celui des relations entre les adhérents et les mutuelles. À ce jour, je reste convaincu qu’une modulation de la prise en charge des prestations, selon que le patient choisit ou non de recourir à un professionnel de santé membre d’un réseau, va à l’encontre des principes de notre système de santé, fondé notamment sur l’équité et le libre choix du patient, et ne résout pas nécessairement la problématique du reste à charge.
Les mutuelles appellent de leurs vœux cette pratique qui leur est interdite par le code de la mutualité, à la différence des autres organismes complémentaires d’assurance maladie. À la suite de deux récents arrêts de la Cour de cassation, qui leur a rappelé cette interdiction, elles veulent une modification législative pour rétablir, disent-elles, l’égalité de la concurrence. Or, dans l’un de ses jugements, la Cour de cassation souligne que les plaignants « n’avaient pas de choix libre entre un orthodontiste non conventionné à leur porte et un conventionné à 45 kilomètres ». La mise en place de ces réseaux ne règle donc en rien le problème des déserts médicaux et pourrait même l’aggraver !
Cette proposition de loi vise, en réalité, à étendre une pratique déjà développée. Sans doute est-ce le signe d’une perte de pouvoir : de plus en plus souvent, le politique court après l’existant et cherche à trouver des solutions après coup, voire à se poser les questions une fois la législation en place.
M. Jean-Noël Cardoux. Très juste !
M. Alain Milon. Nous l’avons tous fait et nous le faisons tous !
Les questions que nous pouvons légitimement nous poser sont les suivantes : comment ce conventionnement fonctionne-t-il ? Avec quels résultats ? Quels sont exactement le rôle et la nature des réseaux de soins ? Quelles sont les exigences de qualité imposées aux contractants et comment leur respect peut-il être contrôlé ? N’y a-t-il pas un risque de favoriser le low cost ? Nous n’avons aucune réponse à toutes ces questions ; de ce fait, nous pensons qu’une réflexion globale sur ces réseaux est nécessaire avant toute évolution de la loi.
Cette proposition de loi, même amendée par le rapporteur général, dont nous pouvons approuver l’analyse, ne nous satisfait pas sur plusieurs points.
Avec des réseaux de soins, les cotisants qui s’adressent à des praticiens hors réseau n’auront plus droit aux mêmes remboursements que ceux qui consultent dans le réseau. Cette inégalité n’est pas acceptable à nos yeux : introduire une différence de remboursement conduit inévitablement à une rupture d’égalité entre les Français face à l’accès aux soins.
Ce texte remet en cause un principe essentiel : à cotisations égales, remboursements et prestations égaux. Il met donc en péril le principe même de la liberté de choix du patient. L’inscription d’une mention garantissant la liberté de choix n’est malheureusement pas une assurance dans la pratique. Certes, le patient aura toujours le choix : celui d’être remboursé ou de ne pas l’être !
En outre, le conventionnement et la constitution de réseaux représenteront un coût non négligeable, poussant inéluctablement à la concentration qui se fera au détriment des petites mutuelles, et donc du pluralisme mutualiste.
Enfin, organiser l’offre de soins en réseaux mutualistes risque de contribuer à accentuer la désertification médicale de certaines zones, les réseaux en question ayant tendance à se concentrer dans les centres urbains. Le texte de la commission exclut les médecins, mais quid des autres professionnels de santé ?
Nous avons donc déposé des amendements pour améliorer ce texte.
En premier lieu, nous pensons que l’État doit prendre ses responsabilités pour veiller aux conditions de négociation de ces conventionnements, pour définir les principes qui doivent les régir et pour en assurer la transparence et l’harmonisation. C’est pourquoi nous proposons qu’un décret en Conseil d’État, pris en concertation avec les professionnels concernés, fixe les règles de conventionnement.
En outre, nous sommes opposés aux réseaux fermés. Formons-nous trop d’opticiens ? Dans les années quatre-vingt, alors que l’on craignait une explosion du nombre de médecins, un numerus clausus avait été mis en place : aujourd’hui, on déplore une pénurie ! Il appartient au législateur de trouver une solution pour financer l’ensemble des soins dus à l’ensemble de la population, plutôt que de laisser le champ libre aux uns et aux autres.
Je l’ai souvent dit, mais je veux le rappeler : il y a une trentaine d’années, nous parlions de centrales d’achat et nous constatons aujourd’hui la disparition des petits commerces, des agriculteurs, etc.
Ces réseaux me font penser, avec le recul du temps, à l’installation de ces centrales d’achat ! Ce sont eux qui dicteront le prix. Nous avons commis l’erreur de croire que ce système ferait baisser les prix. Or si un OCAM dirige l’ensemble, il imposera ses vues et ses tarifs.
La mise en place d’un numerus clausus est de nature à générer des difficultés d’accès aux soins par un système de captation des patients et des professionnels de santé sur le territoire. Il est important, à nos yeux, de faire respecter le caractère ouvert de ces réseaux et le principe du libre choix du professionnel et de l’assuré. Surtout, il nous paraît choquant de mettre une seule et unique profession dans les réseaux fermés. Comment pouvons-nous accepter que des organismes privés fixent un numerus clausus ?
Enfin, le texte de la commission exclut expressément les médecins des remboursements modulés. Pourquoi ne pas exclure toutes les professions de santé ? En l’état actuel du texte, nous craignons que les professions de santé ne soient de plus en plus contrôlées, évaluées et, finalement, régies par les OCAM.
Vous l’aurez compris, le sort réservé à nos amendements conditionnera notre vote. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, portant sur un sujet dont nous sommes familiers depuis la loi Fourcade, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui suscite un débat toujours aussi passionné, sans doute en partie du fait d’un lobbying soutenu !
M. Philippe Bas. S’il vous plaît, un peu de respect !
Mme Sophie Primas. Cela suffit !
Mme Laurence Cohen. De quoi s’agit-il au juste ? En effet, ce texte a non pas pour objet de créer des réseaux de soins mutualistes, puisqu’ils existent déjà, mais de leur permettre de déroger à une règle majeure du code de la mutualité, laquelle interdit, à ce jour, aux mutuelles de procéder à des remboursements différenciés autres que ceux autorisés en fonction de la nature du contrat souscrit et de la situation de famille des adhérents.
Or les autres opérateurs complémentaires que sont les assurances privées et les instituts de prévoyance pratiquent déjà de tels remboursements différenciés. La Mutualité française a donc fait valoir que cette situation générait une concurrence déloyale, préjudiciable aux mutuelles.
Progressivement, depuis 1992, sous l’impulsion de textes réglementaires, législatifs et communautaires, les règles applicables aux mutuelles et aux assurances privées commerciales tendent à s’uniformiser, ce qui a malheureusement des conséquences négatives pour les œuvres sociales des mutuelles. Qu’il s’agisse de la séparation des deux livres, de l’application de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance, de l’assujettissement des mutuelles à l’impôt sur les sociétés ou de l’application des règles prudentielles figurant dans les plans Solvabilité I et II, tout converge vers une assimilation totale des mutuelles aux assurances privées commerciales. Au point que, en 2004, la loi relative à l’assurance maladie a créé l’Union nationale des organismes d’assurance maladie, l’UNOCAM, comme si tous les acteurs la composant avaient un intérêt commun à agir…
Or l’intérêt des assurances privées commerciales, comme des instituts de prévoyance, réside moins dans la satisfaction des besoins en santé des populations que dans la maximisation des profits générés par ces groupes.
Compte tenu des objectifs officiellement portés par le mouvement mutualiste, vous comprendrez donc que nous nous étonnions de l’existence de ce regroupement.
Cette interrogation, mes chers collègues, nous la portons également sur cette proposition de loi qui contribue, comme l’article 1er de l’ANI, à remettre en cause l’architecture de notre système de santé en modifiant le partage entre la solidarité nationale, supportée par la sécurité sociale, et le champ d’intervention des complémentaires santé, dont personne n’ignore qu’elles relèvent des moyens de nos concitoyens.
Nous partageons naturellement avec le rapporteur général, avec nos collègues du groupe socialiste, ainsi qu’avec le Gouvernement, un certain nombre de constats. Nous divergeons, toutefois, sur les réponses.
Pour eux et pour la majorité d’entre vous, mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi aura pour effet de réduire le prix des lunettes, des soins dentaires et des appareillages auditifs dans la mesure où les mutuelles pourront négocier des tarifs plus avantageux pour leurs adhérents.
Autrement dit, les mutuelles seront autorisées à agir comme des centrales d’achat, opérant une forme de régulation des prix par le marché. Cette approche libérale ne nous convainc pas. Et parce que nous considérons que la santé n’est pas une marchandise, nous nous opposons à ce que les prix des secteurs précités soient fixés, comme n’importe quel autre produit, en fonction de la loi de l’offre et de la demande.
Afin que les prix baissent réellement et pour tous, y compris pour celles et ceux de nos concitoyens qui sont « trop riches » pour bénéficier de la CMU et trop pauvres pour souscrire une mutuelle, le groupe CRC souhaite que les prix des soins visés dans cette proposition de loi soient, comme cela est le cas pour les médicaments, encadrés par les pouvoirs publics. Et pourquoi pas, d’ailleurs, par le Comité économique des produits de santé lui-même?
En outre, certains considèrent que, grâce à l’adoption de ce texte, les mutuelles pourraient veiller sur la qualité des prestations concernées.
Cette affirmation tend à jeter un doute sur le sérieux des pouvoirs publics quant au niveau d’exigence de conformité et de sécurité auquel nos concitoyens peuvent légitimement prétendre.
Qui plus est, cette affirmation tend à laisser croire que, là encore, le marché permettrait d’apporter un encadrement hors de portée des pouvoirs publics. Pourtant, les médicaments, qui contribuent, eux aussi, à améliorer l’état de santé de nos concitoyens, font l’objet d’une veille sanitaire et qualitative qui dépend non des mutuelles, mais bien des pouvoirs publics. Le scandale récent des prothèses PIP conforte notre analyse sur le besoin d’intervention forte des pouvoirs publics.
Enfin, face à l’insuffisance notoire des remboursements de la sécurité sociale sur les soins et appareillages optiques, dentaires et auditifs, vous proposez, plutôt que de renforcer la sécurité sociale, de généraliser la concurrence entre opérateurs complémentaires. Or, si la sécurité sociale n’est pas en capacité de mieux rembourser certaines dépenses de santé, c’est qu’elle est victime d’un pillage généralisé qui ne cesse de s’étendre !
Dernier exemple en date, l’article 1er de l’ANI, qui a pour effet de retirer 2,5 milliards d’euros de ressources à la sécurité sociale pour encourager le patronat à souscrire des complémentaires, ce qui coûte annuellement à la sécurité sociale 6,5 milliards d’euros.
Naturellement, l’UNOCAM et le patronat y trouvent leur compte, puisque, rappelons-le, le MEDEF ne cesse de demander la réduction du champ de la solidarité au profit d’une généralisation de la concurrence dans le domaine de la protection sociale. Et pour cause ! La participation des employeurs au financement des régimes complémentaires est, en effet, bien moins importante que celle qui est destinée à financer la sécurité sociale.
Le patronat ne manquera d’ailleurs pas de se réjouir de cette proposition de loi, ainsi que du projet de directive européenne élaboré par la Commission européenne dont l’article 76 vise à instituer le respect de l’égalité de traitement entre tous les opérateurs économiques.
Chacun l’aura compris, le maître mot de notre débat est donc bien celui de concurrence !
Nous regrettons sincèrement que, pour permettre aux mutuelles de faire jeu égal avec les assurances privées lucratives, on nous propose une rupture avec l’ADN de la mutualité, poussée à s’aligner sur le secteur marchand. Pourquoi ne pas avoir fait le choix inverse ? Il s’agit, en quelque sorte, d’abandonner encore un peu plus le mutualisme !
Notre groupe est très dubitatif sur cette fuite en avant, qui consiste à renoncer toujours un peu plus à des réformes de fond et à laisser les règles du jeu entre les mains non pas des politiques, mais des acteurs économiques.
On prend en otage les patients, en faisant croire que c’est à eux que l’on pense d’abord. En réalité, c’est un marché de dupes, on oublie toutes celles et tous ceux qui ne peuvent pas souscrire à une mutuelle, faute de moyens. Et, surtout, on obère le glissement qui se fait de plus en plus fortement non pas vers un remboursement solidaire, mais vers un remboursement à la carte selon la nature du contrat !
En résumé, c’est pour nous, au travers de cette proposition de loi, un rendez-vous manqué avec une loi qui aménage à la marge un système chaque jour davantage meurtrier pour la sécurité sociale.
Notre groupe s’est interrogé sur son vote, comme il le fait à chaque fois, mais, face à la prolifération des assurances privées et afin de tenir compte de la situation des patients, il a choisi de s’abstenir, une abstention marquée – vous l’aurez compris ! – par une analyse très négative de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Qu’est-ce que vous auriez dit si vous aviez voté contre !
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réseaux de soins existent depuis plus de dix ans. Ils ont leur utilité, notamment pour développer la pratique du tiers payant. Il n’est donc pas question ici de les remettre en cause en tant que tels.
En conséquence, l’objet de cette proposition de loi est non de réformer globalement les réseaux de soins, mais principalement d’en encadrer l’une des modalités, celle du remboursement différencié.
Il convient donc, d’emblée, d’établir une distinction claire entre, d’une part, les réseaux de soins et, d’autre part, la prestation différenciée. C’est ce qui nous amène au véritable sujet du texte : permettre aux mutuelles de pratiquer des remboursements différenciés au sein desdits réseaux.
On le sait, la question se pose parce que, dans sa rédaction actuelle, le code de la mutualité interdit explicitement aux mutuelles de moduler leurs prestations en faveur de leurs adhérents ayant recours à un professionnel de santé membre d’un réseau de soins.
La Cour de cassation a rappelé les mutuelles au respect de cette interdiction par un arrêt du 18 mars 2010. Cette jurisprudence constante, nous l’interprétons comme un appel au législateur, un appel d’autant plus légitime qu’aucune interdiction comparable ne s’impose aux deux autres catégories de complémentaires santé que sont les instituts de prévoyance et les assurances.
L’objet de ce texte serait donc de rétablir l’égalité sur ce point entre mutuelles, d’une part, et instituts de prévoyance et assurances, d’autre part, et ce dans un contexte de concurrence évidemment exacerbée par la généralisation de la complémentaire santé salariale mise en place par la loi de sécurisation de l’emploi.
La mesure semble donc légitime. Elle est, d’ailleurs, recommandée de toutes parts, de la Cour des comptes au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.
À vrai dire, nous n’entrerons pas dans ces considérations. Il ne nous appartient pas de défendre tel ou tel opérateur face à tel ou tel autre. Notre rôle de législateur est de défendre l’intérêt général, en l’occurrence celui de l’assuré, du patient : le seul enjeu pour nous est que chacun, quels que soient ses revenus, même et surtout les plus modestes, puisse avoir des lunettes ou se faire poser une prothèse dentaire au meilleur prix, c’est-à-dire avec un reste à charge le plus bas possible.
Le développement du remboursement différencié sert-il cet objectif ? La réponse est, pour l’instant, affirmative. Si nous répondons ainsi, c’est parce que les avis autorisés convergent. L’Autorité de la concurrence et la Cour des comptes concluent que le reste à charge est, en moyenne, inférieur, au sein des réseaux.
Observons tout de même que ce résultat n’est pas uniquement le fait du remboursement différencié. Il se combine avec la négociation de tarifs plus avantageux pratiqués par les professionnels conventionnés.
Schématiquement, l’augmentation des volumes et une certaine standardisation permettent une baisse des coûts de fourniture répercutée d’abord dans les prix, puis dans la bonification du remboursement. Selon ce schéma vertueux, il n’est pas irrationnel de compter sur le remboursement différencié pour contribuer à faire baisser le reste à charge à l’avenir, à condition, bien sûr, que son développement n’ait pas d’effets pervers préjudiciables à l’assuré !
Pour cela, un certain nombre de conditions doivent être réunies. J’en énumérerai quatre.
Premièrement, il ne faudrait évidemment pas que le remboursement différencié conduise à une augmentation du reste à charge pour les assurés qui n’auraient pas la possibilité de recourir à un professionnel de réseau.
Autrement dit, la prestation différenciée doit demeurer une bonification de remboursement au sein du réseau, et non se transformer en pénalité pour les autres. Le seul moyen d’éviter cela est de garantir un remboursement minimal de toute prestation. Notre groupe a préparé un amendement sur ce point très difficile, on le sait. Je pense que Jean-Marie Vanlerenberghe interrogera Mme la ministre sur ce sujet. Une réponse rassurante nous ferait plaisir.
Après avoir réglé la question de la quantité, se pose la deuxième question clé, celle de la qualité des prestations : comment la garantir dans les futurs réseaux de soins ?
Sur ce point encore, le texte a été amélioré en commission. Il tend à prohiber toute discrimination dans la délivrance des soins entre assurés. Comment, toutefois, garantir en amont la médicalité des conventions elles-mêmes ? Certes, les cahiers des charges sont élaborés en concertation avec les professions médicales concernées, puis contrôlés par l’Autorité de la concurrence. Mais ces professions ne sont pas des autorités médicales extérieures à l’accord et l’Autorité de la concurrence n’est pas une autorité médicale du tout.
Nous voulions, là aussi, défendre un amendement visant à faire certifier la médicalité des cahiers des charges par la Haute Autorité de santé, par exemple. Après réflexion, cela ne nous a pas paru possible. Nous souhaiterions que le rapport annuel d’évolution des conventionnements soit un moyen de contrôler la médicalité de ces conventions avec une année de retard. Autrement dit, nous aimerions que la clause de trois ans ne soit pas respectée et que le rapport ait définitivement un caractère annuel.
Troisièmement, il ne faudrait pas que la liberté de l’assuré de choisir son prestataire se trouve, de fait, entamée.
On ne cesse de répéter que l’assuré restera libre. Bien sûr ! Mais si la paire de lunettes est remboursée 50 euros en un lieu et 200 euros ailleurs, pour la plupart des assurés, le calcul sera vite fait… Et que faire si l’opticien conventionné est loin ? Cela pose la question de l’accès à des soins de proximité. Vous l’avez dit, madame le ministre, en filigrane ressurgissent le spectre de la désertification médicale et le débat sur les réseaux ouverts et fermés.
Bien entendu, seuls les réseaux ouverts sont susceptibles de garantir la meilleure accessibilité géographique aux soins. C’est pourquoi nous ne pouvons que saluer l’effort d’amélioration entrepris par notre rapporteur général en la matière. Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales précise en effet que, par principe, les réseaux constitués seront ouverts, à l’exception notable des opticiens-lunetiers.
Mme Isabelle Debré. Une exception non acceptable...
M. Gérard Roche. Nous entendons bien l’argument justifiant cette exception, liée à la démographie particulièrement dynamique de la profession. Il est cependant nécessaire que les réseaux d’optique demeurent ouverts au moins pour les opticiens installés en zone rurale, où ils ne sont pas si nombreux, pour garantir un accès de proximité.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Gérard Roche. Songeant à ce monde rural, j’avais rédigé un amendement dans le coin d’un pré de Haute-Loire. (Sourires.) Il tendait à introduire une exception à cette règle pour les communes de moins de 5 000 habitants. J’ai toutefois pris de la hauteur lors de mon retour à Paris, mes collègues m’ayant expliqué qu’il y avait aussi des villes de cette taille dans les banlieues et à proximité des grandes agglomérations. (Mme la ministre opine.) Ma proposition est donc tombée à l’eau...
J’ai déposé, en revanche, un sous-amendement à un amendement présenté par M. le rapporteur général tendant à prévoir, à l’alinéa 3 de l’article 2, le respect des exigences de proximité dans l’accès aux soins.
Quatrièmement, se pose aussi la question du champ des accords tarifaires et du remboursement différencié, lesquels ne doivent être mis en œuvre que dans les domaines où la sécurité sociale est majoritairement absente. Il s’agit de l’optique, dont 4 % seulement sont remboursés par la sécurité sociale, de l’audioprothèse, remboursée par l’assurance maladie à hauteur de 14 % environ, et de la prothésie dentaire, remboursée en moyenne à 15 %. Ces domaines correspondent à la fourniture de matériels médicaux. Tout le reste doit en être exclu, c’est-à-dire les domaines mixtes de fourniture de services et de prestations médicales conventionnées par l’assurance maladie, sous peine de porter une atteinte sérieuse et dangereuse au conventionnement de base.
Encore une fois, notre commission a amélioré le texte sur ce point clé, en proscrivant les accords tarifaires non plus pour les seuls actes des médecins, mais aussi pour ceux de toutes les professions conventionnées, ainsi que les remboursements modulés, mais pour les seules prestations des médecins.
Nous nous sommes donc arrêtés au milieu du gué. Il faudrait aller un peu plus loin ; nous vous proposerons donc un amendement en ce sens.
Globalement, notre position sur ce texte dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements. Il semble, à cet égard, que la discussion s’annonce constructive.
Pour conclure, je ne peux que saluer l’exceptionnel travail de notre commission, et en particulier celui de notre rapporteur général, Yves Daudigny, qui a saisi l’occasion d’un rééquilibrage du code de la mutualité pour élaborer un cadre législatif transversal à tous les réseaux de soins.
Je souhaitais également vous remercier, madame la ministre, d’avoir annoncé que vous étiez ouverte à tous les débats à venir sur ce sujet important.
Nous allons peut-être franchir aujourd’hui une étape, mais la route est encore longue...
Par-delà ces réseaux, le problème de fond qui se pose est celui du champ de la sécurité sociale. Après tout, si nous débattons de cette question, c’est bien parce que celle-ci s’est progressivement désengagée de l’optique, du dentaire et de l’audioprothèse, en ne revalorisant jamais sa nomenclature. C’est pourquoi le présent texte, qui tend à y remédier, est important.
Aujourd’hui, l’assurance maladie se refuse à traiter tant la médecine de confort que la dépendance. Or l’une et l’autre sont intrinsèquement liées ! La perte de la vue, de l’ouïe et tous les déficits sensoriels sont des portes d’entrée, trop souvent négligées, dans la dépendance, bien avant la déficience cognitive. Quand nous l’aurons compris, nous aurons, à mon sens, fait un grand pas vers la redéfinition du champ de l’assurance maladie.
Une grande course nous attend, dont nous n’avons parcouru qu’une étape ; d’autres nous attendent, avec de rudes cols à franchir. Il faudra bien graisser le pédalier ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)