M. Jean-François Husson. Pour faire simple, puisque nous sommes en ouverture de la discussion sur l’article consacré à la GUL, je voudrais d’abord, avec votre autorisation, dire quelques mots sur les observations faites par un organisme que je qualifierais d’indépendant, quels que soient les gouvernements, puisqu’il rassemble des économistes : je veux parler du Conseil d’analyse économique, le CAE, qui est rattaché à Matignon.
Que je sache, ces économistes sont censés travailler en toute indépendance, hier comme aujourd’hui et comme demain. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Or ils stigmatisent et fustigent deux grandes mesures promues par votre projet de loi qui ne leur semblent pas aller dans le bon sens.
La première mesure, qui a été évoquée longuement tout à l’heure, est l’encadrement des loyers. Ils y voient les risques de réduire la qualité du parc immobilier, d’entraver la mobilité des locataires et, peut-être, de contraindre l’État à donner des carottes fiscales aux propriétaires pour compenser une rentabilité qui pourrait être amoindrie.
J’ai entendu encore tout à l’heure parler de droit à l’expérimentation. Sur le modèle du Québec, c’est une piste qui est en tout cas proposée par le CAE et il n’est pas interdit de penser que, en l’absence de procédure accélérée, nous pourrions utiliser la navette pour revoir ce dispositif.
La seconde mesure critiquée est la garantie universelle des loyers, qui, faut-il le rappeler, nonobstant l’emphase dont ont pu faire preuve certains de nos collègues, inquiète les parlementaires, députés comme sénateurs, tant son coût et son fonctionnement sont à ce jour mal cernés. En effet, l’assurance pour les loyers impayés sera financée, certes, à parité par les propriétaires et les locataires, mais pas seulement.
Je le répète, nous craignons une recrudescence des impayés. J’aurai l’occasion, lors de la défense d’amendements à venir, d’exprimer de nouveau ces craintes, mais je voulais au préalable, madame la ministre, ayant beaucoup de respect pour votre engagement et votre maîtrise du sujet, que vous entendiez aussi ce qu’une partie de cet hémicycle, mais aussi de l’Assemblée nationale, exprime posément et sereinement.
En effet, il y a non seulement de l’argent public, mais également des financements privés qui sont en jeu. Sont également concernés les collectivités locales et les organismes qui leur sont rattachés, dans tous les territoires, mais peut-être plus dans le milieu urbain, qui est parfois montré du doigt. Vous appelez de vos vœux le « vivre ensemble ». Pour ma part, je ne sais pas s’il vaut mieux « faire France » ou « vivre ensemble », mais je suis certain qu’il faut apporter davantage de sérénité, de bonheur et de justice à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, sur l'article.
M. Jean-Claude Lenoir. Pour faire gagner du temps à notre assemblée, j’interviendrai sur l’article, pour une durée de cinq minutes, et, dans ce laps de temps, j’en profiterai pour défendre l’amendement n° 321 rectifié.
M. Marc Daunis. Si le président l’accepte !
M. Jean-Claude Lenoir. L’amendement n° 321 rectifié vise à supprimer l’article 8. Nous avons déjà eu l’occasion, au cours de ce débat, de dire tout le mal que nous pensions de cette fameuse garantie universelle des loyers.
J’ai reçu le secours, que je n’attendais pas, du CAE, dont je rappelle qu’il n’est pas extérieur au Gouvernement, puisqu’il est un service rattaché au Premier ministre.
M. Michel Savin. Oui !
M. Jean-Claude Lenoir. Or il porte un jugement assez étonnant sur ce dispositif.
Je me permets par ailleurs d’ajouter que cet organisme a préconisé, pour augmenter les recettes de l’État, de taxer les propriétaires d’un logement au motif qu’ils ne paient pas de loyer. Ce serait donc une taxe sur un revenu fictif !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vous dire leur sérieux !
M. Jean-Claude Lenoir. Bref, j’espère que le CAE ne produira pas trop d’analyses de ce type,…
M. Jean-Claude Lenoir. … car nous risquerions alors d’être un peu plus écrasés par l’impôt.
Quelles sont les critiques que nous faisons sur l’article 8 ?
Tout d’abord, vous sous-estimez les ressources qui vont être nécessaires en les évaluant à 700 millions d’euros. Tous les spécialistes du secteur immobilier disent que le dispositif va coûter 1,5 milliard d’euros, c’est-à-dire le double. (M. Claude Dilain, rapporteur, fait un signe de dénégation.)
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. Claude Dilain, rapporteur. Ce sont les assureurs qui disent cela !
M. Jean-Claude Lenoir. Ensuite, ce système nous paraît socialement injuste, car, pour 2,5 % d’impayés, vous allez taxer l’ensemble des propriétaires et locataires à hauteur de 1,5 % des loyers. C’est un impôt !
M. Alain Néri. Cela s’appelle la solidarité !
M. Jean-Claude Lenoir. Au moment où le Président de la République lui-même appelle à une pause fiscale, vous créez un impôt qui, certes, porte un autre nom, mais qui sera bel et bien supporté par un très grand nombre de Français.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est profondément injuste !
Enfin, il y a une troisième critique, que j’ai esquissée trop brièvement à la tribune hier, portant sur l’organisme qui va être chargé de gérer ce système créé à l’article 8.
Vous minimisez le poids de cet organisme, qualifié de « léger ». Chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait qu’il devra tout de même gérer environ 5,5 millions de locataires et 6 millions d’investisseurs. Pour ce faire, il aura besoin de moyens, de personnel, notamment.
Pour connaître les ressources dont il disposera, j’ai lu le texte du Gouvernement qui n’a pas été modifié sur ce point par l’Assemblée nationale. Il est abondé par des subventions de l’État – on voudrait bien savoir d’où elles viennent – et par les recettes de la taxe. Le projet de loi prévoit même la possibilité de verser des dons et des legs à cet organisme (M. Michel Savin s’exclame.) pour l’aider à financer ces actions !
La vérité, c’est que des centaines, des milliers de personnes vont être recrutées pour gérer cet organisme que, hier, un peu à court d’imagination, j’ai appelé le « bidule ». Conscient que cela a pu choquer quelques oreilles, je vais lui trouver un autre nom de baptême qui n’a pas pu être porté sur le front du nouveau-né, car ce dernier a disparu, c’était l’organisme créé par la fameuse loi Brottes sur la tarification progressive de l’électricité.
Ce nom, je vais l’emprunter à Edmond Rostand, qui, dans Cyrano de Bergerac, dit :
« L’animal seul, Monsieur, qu’Aristophane
« Appelle hippocampéléphantocamélos
« Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! »
M. Alain Néri. Et à la fin de l’envoi, tu touches ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Eh bien, voilà ! Cet organisme s’appelle hippocampéléphantocamélos ! Il va être budgétivore, il va créer des emplois, il va devoir s’étaler sur l’ensemble du territoire parce qu’il faut – la loi le dit – des personnes qui soient au plus près des locataires, qui aillent gérer ce système, qui soient des médiateurs, des interlocuteurs, et même, la loi le prévoit, des personnes qui facilitent la recherche d’emplois.
Aussi, lorsque vous dites, dans le projet de loi, que c’est une structure légère, non, madame ! L’hippocampéléphantocamélos est prêt à sortir des limbes !
Je vous en prie, mes chers collègues, votez l’amendement n° 321 rectifié, qui vise à supprimer l’article 8 ! (Applaudissements et rires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article.
M. Jean-Jacques Mirassou. J’observe avec beaucoup d’attention le comportement de nos collègues de l’opposition. Et j’avoue que, depuis deux jours, indépendamment ou de manière complètement déconnectée des critiques qu’ils sont amenés à formuler, ils n’ont pas fait une seule proposition, à partir d’un constat ou d’un diagnostic partagé sur toutes les travées de l’hémicycle !
Je fais là directement allusion à ce qui a été décrit tout à l’heure par Roland Courteau et, juste après, par Alain Néri.
Comment, à l’aube du XXIe siècle, la quatrième puissance mondiale pourrait-elle, à partir d’un constat partagé, ne pas prendre un risque, une seule année peut-être sur le plan budgétaire, pour essayer de remédier à une situation que tout le monde stigmatise mais que, malheureusement, seuls la ministre et le côté gauche de l’hémicycle s’emploient à corriger en formulant des propositions précises ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Vous ne perdez rien pour attendre !
M. Jean-Jacques Mirassou. Peut-être sont-elles amendables, peut-être sont-elles critiquables, mais pourquoi avoir mis autant d’acharnement et presque de mauvaise foi à essayer de disqualifier l’encadrement des loyers dont on sait que c’est un besoin patent ? Pourquoi maintenant mettre autant d’obstination pour disqualifier un autre dispositif ?
Nous sommes assez nombreux dans cet hémicycle pour dire qu’aussi doctes que soient ceux qui émettent des avis prospectifs, il restera toujours qu’entre nous et la population, il y a des liens directs qui nous permettent de revendiquer, de défendre ce que l’on appelle l’intérêt général. Et l’intérêt général, par rapport à ce qui a été évoqué hier, consiste tout simplement à sortir d’une situation qui, encore une fois, est inacceptable dans un pays comme le nôtre au XXIe siècle !
Vous pouvez faire tout ce que vous voudrez comme démonstration, monsieur Lenoir, soit pour tourner en dérision les propositions, soit pour les disqualifier, pour autant, vous n’aurez pas fait avancer le problème d’un millimètre en cinq ou six heures de prise de parole !
Cet article 8 engage, en effet, un dispositif novateur, sans doute un peu risqué. Puisque vous dites que l’on va, en quelque sorte, mutualiser le coût en associant des gens qui se comportent d’une manière vertueuse par rapport à leur propre loyer, je serais tenté de dire que, dans la suite de votre logique, vous allez être conduits à demander que ceux qui ont des pathologies provoquées par l’alcool ou par autre chose…
M. Jean-Claude Lenoir. Non ! Pas ça !
M. Philippe Dallier. C’est grotesque !
M. Jean-Jacques Mirassou. … soient disqualifiés et cessent d’être assurés par la sécurité sociale ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Écoutez, très franchement, donnez le début du commencement d’une chance à ce dispositif de voir le jour et d’être expérimenté ! Et puis, on prendra rendez-vous ultérieurement pour voir les effets.
Mme Élisabeth Lamure. Quand !
M. Jean-Jacques Mirassou. Pour ce qui nous concerne, conscients de l’ampleur du problème et du risque auxquels nous sommes confrontés, eh bien, c’est avec détermination que nous soutiendrons la ministre dans sa démarche parce que cela vaut vraiment la peine d’essayer de faire quelque chose ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur Lenoir, mes chers collègues, je vous incite à lire en détail la proposition de nos grands professeurs Tournesol que sont les deux chercheurs qui ont publié cette étude au Conseil d’analyse économique. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Service auprès du Premier ministre, ou non, permettez-moi de rigoler devant leurs propositions !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comme je rigole, d’ailleurs, devant une proposition qui, si elle devait être mise en œuvre, ne me ferait pas rire ! Car il s’agirait, une fois devenu propriétaire, souvent au prix de gros efforts, de payer l’équivalent d’un loyer parce qu’on a eu la chance d’accéder à la propriété ! Tous ces gens-là vivent hors du réel, au milieu de leurs chiffres et de leur technocratie !
M. Jean-Claude Lenoir. Qui les a nommés ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Peu importe qui les a nommés !
M. Philippe Dallier. Non !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils sont là depuis si longtemps ! M. Wasmer est bien connu. Ce sont toujours les mêmes experts, je les connais ! Et si vous étiez spécialiste de la question, vous sauriez qu’on retrouve toujours les mêmes, qui font partout les mêmes études ! Ils les ont faites pour le compte de la Fondation Montaigne ou de la Fondation Concorde. Ils les font pour tout le monde, et ils arrivent toujours aux mêmes conclusions. (M. Jean-François Husson s’exclame.)
L’usine à gaz qu’ils ont concoctée bat tous les records ! C’est déjà gros de faire une Agence nationale, il faudrait créer des régies locales cogérées par les propriétaires et les locataires, dont le ressort sera par territoire et par quartier, excusez du peu. Ces régies locales paritaires seraient dotées de compétences judiciaires, à l’instar des prud’hommes. Vous voyez le genre !
Qui sera représentatif des propriétaires sur un territoire, dans un quartier ? Qui sera représentatif des locataires dans le quartier ? Comment va-t-on définir la représentation de cet organisme paritaire ? Je vous souhaite bien du plaisir !
Quelles seront les compétences de l’organisme paritaire ? Outre qu’il gérerait les contentieux, il se substituerait à la régulation des loyers puisqu’il lui reviendrait de définir le loyer « ordinaire » dans le territoire, semblable au loyer médian, mais défini paritairement par des gens dont on ne sait comment ils vont être nommés !
De plus, on leur confie le soin d’établir la loi ! Nous sommes dans une République. C’est à l’État, à la puissance publique qu’il revient de définir la loi.
M. Claude Dilain, rapporteur. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et on ne fait pas des lois par paritarisme, « à la tête du client », par quartier !
Par ailleurs, comme tous ces gens ont quand même compris qu’il faudra bien payer un jour, ils proposent que les locataires et les propriétaires paient 1 %. Ils ont déjà fixé le taux !
Dans ce système, la GUL, qui subsiste, devra prendre en charge la moitié des impayés qui se retourneront vers l’État. En effet, d’après leurs calculs, nos professeurs Tournesol ont l’air de déjà bien savoir combien coûtent les impayés ! Il paraît qu’à 50 % de restauration, l’État n’aura rien à débourser et qu’on arrivera à régler les problèmes.
Voilà l’idée de génie de ces professeurs Tournesol par rapport à la GUL !
Tout cela ne marcherait, est-il précisé à la fin de l’article, que si l’on donnait beaucoup plus de souplesse aux bailleurs en accroissant la flexibilité des baux qui, aujourd’hui, seraient surprotecteurs de nos concitoyens.
Excusez du peu, cela s’appelle du libéralisme débridé, aveugle, à l’anglo-saxonne ! Ce n’est absolument pas conforme à la tradition française de l’exercice du droit ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Mireille Schurch, M. Michel Le Scouarnec, Mme Corinne Bouchoux et M. Joël Labbé applaudissent également.)
Si certains veulent instaurer cela dans notre pays, pour notre part, nous nous y opposerons !
En revanche, nous sommes convaincus, nous l’avons dit, qu’à l’étape actuelle de la réflexion les principes fixés par Mme la ministre sont intéressants, mais qu’il reste des choses à préciser.
D’ailleurs, nos doctes chercheurs le reconnaissent, nul n’est mieux placé que le Trésor public pour recouvrer des impayés. Je vous rappelle que tel est le sens de l’amendement déposé par notre collègue Dilain, qui constitue l’une des avancées faites en commission pour se protéger d’une flambée des impayés, faute d’être capables de les recouvrer ! Sur ce point-là, nous avons la capacité à travailler sur des formulations.
Mes collègues s’exprimeront.
Un sénateur du groupe UMP. Nous aussi !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le président de la commission et moi-même pensons qu’il serait utile que le Sénat reste mobilisé au-delà du vote de la loi pour suivre les modalités de mise en œuvre du mécanisme.
Nos collègues du groupe UDI-UC feront des propositions, qui ne peuvent pas être balayées d’un revers de main…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Merci !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … même si le procédé, tel qu’il est proposé, me paraît trop assurantiel et pas suffisamment mutualisé. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
En tout cas, des ouvertures sont possibles sur le modus operandi dans l’esprit du cadre fixé par Mme la ministre, que nous pouvons amender. Mais, franchement, monsieur Lenoir, ne prenez pas l’exemple de cette triste proposition, qui, à vrai dire, relève plus de la provocation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Mireille Schurch et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)
M. Jean-François Husson. On sent que nos propos ont fait mouche !
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, sur l’article.
M. Joël Guerriau. J’entends des objectifs louables et que je partage totalement : sécuriser les propriétaires, mais aussi et surtout limiter les risques d’expulsion. Ce sont là des objectifs que nous ne pouvons bien sûr que soutenir.
La question qui se pose maintenant est de savoir si la réponse que nous trouvons à travers la garantie universelle des loyers est la bonne. Autrement dit, avons-nous bien adapté la solution à l’objectif que nous cherchons à atteindre ?
Si on considère que 98 % des locations ne posent pas de difficultés, on peut s’interroger et se demander si, pour les 2 % qui restent, il faut mettre en place un système qui risque d’être extrêmement coûteux. Cela mérite évidemment réflexion.
Le projet de loi inquiète beaucoup les professionnels, ce qui doit également être pris en compte.
C’est la raison pour laquelle, pour ce qui nous concerne, nous porterons des amendements pour faire en sorte que le projet puisse évoluer dans un cadre qui respecte les intérêts des uns et des autres et pour trouver un chemin permettant de limiter les risques, s’agissant, en particulier, des coûts que va engendrer ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, sur l’article.
M. Philippe Dallier. Je n’imaginais pas qu’à l’occasion de l’examen de cet article 8 nous ferions le procès du Conseil d’analyse économique ! (M. Jean-François Husson sourit.)
Voilà quelques semaines, Le Journal du dimanche publiait un bel article, puisque j’avais soulevé le lièvre de la fameuse proposition qui consiste à taxer les propriétaires ayant fini de rembourser leurs emprunts pour acquérir un bien immobilier, au motif qu’ils devraient acquitter un « droit d’usage ».
M. Jean-François Husson. Une proposition socialiste !
M. Philippe Dallier. Oui, c’est vrai, j’ai soulevé ce lièvre ! Madame Lienemann, vous qualifiez d’« ultralibéraux » les membres du Conseil d’analyse économique. Je vous signale que cette proposition de taxe de droit d’usage, elle vient de Terra Nova,…
M. Philippe Dallier. … qui, à ma connaissance, n’est pas un think tank ultralibéral, mais plutôt l’un de ceux qui alimentent en idées le parti socialiste !
M. Marc Daunis. Cela peut lui arriver !
M. Philippe Dallier. Il faut donc être très prudent avec tout cela. S’ils ont des idées que vous pouvez parfois juger trop libérales, ils ont quelquefois d’autres idées qui sont puisées à bonne source pour vous et que nous trouvons tout à fait contestables !
Cela étant dit, j’espère que des têtes ne tomberont pas après cette séance, mais j’en doute en entendant certains ! (M. Michel Savin s’esclaffe.)
Notre collègue Mirassou nous a accusés de ne pas faire de propositions. Et on nous reproche, ce qui est tout de même un comble, ici, au Sénat, à la Haute Assemblée, de critiquer les textes qui nous sont soumis. Enfin, quand même, nous sommes là pour ça ! Vous nous dites que nous ne proposons rien ? Suivez les débats, écoutez-nous et vous verrez que, en remplacement de la GUL, le groupe UMP vous présentera un amendement qui tend à transformer la GRL. Donc, monsieur Mirassou, s’il vous plaît, pas d’attaque de ce genre !
Nous avons entendu des propos assez étonnants et quelque peu consternants. Il n’y a pas dans cet hémicycle, d’un côté, ceux qui seraient proches du peuple et des gens qui souffrent…
M. Roland Courteau. Tout de même !
M. Philippe Dallier. … et, de l’autre côté, ceux qui n’auraient aucune considération pour nos concitoyens qui ont des difficultés à payer leur loyer.
M. Marc Daunis. Quoique…
M. Philippe Dallier. De grâce, ne tombez pas aussi bas ! Quant aux comparaisons que vous avez pu faire avec la maladie, elles sont vraiment plus qu’à la limite, c’est plus que désobligeant pour nous et, franchement, même si vous ne prononcez pas les mots, j’espère que vous regrettez d’avoir tenu ces propos, car ce n’est pas digne de ce débat,…
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Philippe Dallier. … qui, jusqu’à présent, avait été d’une très bonne tenue.
M. Alain Néri. On ne regrette rien !
M. Philippe Dallier. Si vous ne les regrettez pas, c’est pire pour vous et c’est vraiment dommage ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 321 rectifié, présenté par M. Calvet, Mme Lamure, M. Lenoir et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
M. Jean-Claude Lenoir. Je demande la parole pour défendre cet amendement, monsieur le président.
M. le président. J’avais pourtant cru comprendre que vous l’aviez déjà défendu.
M. Jean-Claude Lenoir. Je l’ai effectivement défendu, monsieur le président, mais je me ravise. Car je veux défendre le Gouvernement. Il faut quand même qu’il y en ait au moins un dans cet hémicycle pour le faire ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Vous avez donc la parole, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Lenoir. Mme Lienemann a traité de professeurs Tournesol les membres du Conseil d’analyse économique. Or savez-vous qui le préside, mes chers collègues ? Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault (Rires sur les travées de l'UMP. – M. Daniel Dubois rit également.), ainsi que Mme Agnès Benassy-Quéré, nommée présidente déléguée le 1er octobre 2012 – notre collègue s’est trompée sur ce dernier point – par le même Jean-Marc Ayrault.
Je vous demande, ma chère collègue, de ne pas traiter le Premier ministre de professeur Tournesol ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Et ne croyez pas qu’il soit un président factice : j’ai vu sur Internet qu’il présidait la dernière réunion du CAE. (Eh oui ! sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-François Husson. Vous ne pouvez pas le contester, c’est la réalité !
M. Marc Daunis. Le CAE est présidé par le Premier ministre ou par un président délégué !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela n’a pas encore été validé...
M. Jean-Claude Lenoir. J’insiste, Jean-Marc Ayrault est président du Conseil d’analyse économique et il est traité de professeur Tournesol par Mme Lienemann : c’est scandaleux !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Claude Dilain, rapporteur. Je vous propose d’en revenir au texte et de débattre avec sérénité et sérieux, comme cela nous a été conseillé sur toutes les travées.
Je serai bref, car il a beaucoup été question de la GUL depuis le début de nos travaux, que ce soit lors de la discussion générale ou à l’occasion des interventions fortes et brillantes – pour certaines ! – que nous venons d’entendre.
Je répondrai aux auteurs de cet amendement de suppression que la notion de garantie de loyer n’est pas nouvelle ; on y réfléchit même depuis de nombreuses années, à l’instar de Lionel Jospin, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Borloo et Apparu.
Il s’agit donc d’une notion très importante, ancienne et bien sûr transpartisane.
D’aucuns disent : Tout cela pour 2,5 % d’impayés ! Mais alors, mes chers collègues, pourquoi avoir fait la GRL ?
La GUL est importante pour l’ensemble de la société française, car ce n’est pas seulement une garantie, c’est aussi un moyen d’améliorer l’accès au logement.
Nous pouvons avoir sur ce sujet un débat serein, sauf si l’on vote votre amendement de suppression, monsieur Lenoir. Je vous signale d’ailleurs que trente amendements portant sur le même sujet ont été déposés, en plus du vôtre ; cela signifie bien que le Sénat a envie d’en parler, et nous venons d’en avoir la preuve.
Si votre amendement était adopté, nous serions les seuls à ne pas débattre de la garantie universelle des loyers. Ce serait un comble ! M. Husson, lui-même, nous a dit être dans les starting blocks pour défendre sa position ; c’est aussi le cas des centristes et des socialistes.
Rien ne serait donc pire que de voter cet amendement. Nous devons mener ce débat, dont j’espère qu’il sera digne, serein et efficace. Comme je l’ai entendu dire, il est toujours possible de discuter, même en cas de désaccord ; cela me va très bien.
De grâce, ne votons pas cet amendement ! Ce serait très grave pour le Sénat.
L’avis est donc défavorable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Mireille Schurch applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Cécile Duflot, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis contente que le Conseil d’analyse économique ait décidé de publier son avis aujourd’hui.
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas sûr !
Mme Cécile Duflot, ministre. Sur la garantie universelle des loyers, il nous manquait ! (Sourires.)
Ce sujet a fait l’objet de tant de débats et de critiques... Je lisais ainsi dans Libération, voilà deux jours, un article sur les calculs fantasques établis pour essayer d’en attaquer le principe.
Je préfère que nous disposions de tous les arguments en présence pour mener ce débat calmement.
La garantie universelle des loyers n’est ni une lubie ni une invention. C’était d’ailleurs la réponse de mon prédécesseur, Benoist Apparu, dont la sensibilité est la même que la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, à la HALDE, qui l’interrogeait sur les limites possibles du dispositif de GRL voté par la précédente majorité.
Si la GRL ne fonctionne pas, disait-il, alors il faudra franchir une étape supplémentaire et s’orienter vers une garantie universelle, car c’est le seul moyen de mettre fin aux discriminations dans l’accès au logement. Vous l’avez dit aussi dans nombre d’interventions.
Avec la GUL, nous touchons tout d’abord une question de principe. Je vous remercie à cet égard, monsieur Néri, d’avoir si bien démontré que le logement était un bien de première nécessité.
Ce travail que nous menons s’inscrit dans la longue histoire des lois en faveur du logement, qui a commencé en 1982 avec la loi Quilliot.
Nous considérons, et nous l’avons dit à propos de l’encadrement des loyers, que le logement n’est pas un sujet comme un autre. C’est le lieu premier et prioritaire de l’épanouissement individuel : sans logement, pas d’emploi, pas de vie, pas de famille ni d’enfants.
Le logement est un sujet fondamental ; c’est le premier élément.
Le second élément est à la fois plus dépassionné et plus technique. Il s’agit, comme l’a dit M. Courteau, d’aborder trois sujets : l’accès au logement, la prévention des expulsions, la sécurisation des propriétaires.
Croire que la GUL se substitue à la GLI, qui est une assurance privée, ou à la GRL, est une erreur.
Je reçois tous les jours – je suis certaine que c’est aussi votre cas, mesdames, messieurs les sénateurs – des témoignages de candidats locataires au sujet de la GLI : après acceptation de leur dossier par le bailleur, on leur fait savoir par courrier que l’assureur ne veut pas le prendre en charge.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Cécile Duflot, ministre. En effet, la GLI, qui est un dispositif très coûteux pour les propriétaires, met des demandes et des exigences supérieures à celles des bailleurs pour accorder sa garantie. Ce n’est donc pas une assurance, mais une surgarantie.
M. Claude Dilain, rapporteur. Absolument !
Mme Cécile Duflot, ministre. Quant à la GRL, de l’avis même de ses promoteurs, elle ne fonctionne pas. Elle a en effet atteint ses limites, tant il est difficile de trouver des assurances qui acceptent de couvrir ce dispositif, garanti par l’État, et donc très coûteux. Alors qu’elle devait permettre de protéger les personnes les plus vulnérables, elle n’a pas permis de favoriser l’accès au logement. (M. Jean-François Husson s’exclame.)
Je le dis avec simplicité, je comprends pourquoi mes prédécesseurs, Jean-Louis Borloo et Benoist Apparu, ont mis en place la GRL. Il leur fallait répondre à ces trois questions essentielles et faciliter, notamment, l’accès au logement des plus jeunes, qui rencontrent aujourd’hui les pires difficultés pour se loger.
Lors des débats à l’Assemblée nationale, des députés m’ont expliqué que leurs propres enfants en étaient réduits à faire des « faux », parce qu’ils sont titulaires d’un contrat à durée déterminée, comme 85 % des jeunes qui accèdent au logement aujourd’hui !
M. Roland Courteau. Eh oui !