M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, en 2010,...
Mme Muguette Dini. C’était hier !
M. Jean Desessard. ... M. Karoutchi et d’autres...
M. Roger Karoutchi. Je n’ai rien dit !
M. Jean Desessard. Aujourd’hui non, mais à l’époque si ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. En 2010, j’étais ambassadeur. J’avais un devoir de réserve diplomatique ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean Desessard. Vous nous promettiez une loi qui devait résoudre les problèmes pour longtemps.
Nous avions prédit, pour notre part, qu’il faudrait remettre l’ouvrage sur le métier assez rapidement. C’est chose faite !
Mme Muguette Dini. Et on y reviendra encore !
M. Jean Desessard. C’était ma conclusion, ma chère collègue ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Pas si court ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Nous avions donc dit, à l’époque, que la réforme n’allait pas résoudre tous les problèmes.
Le débat avait alors duré trois semaines, samedis et dimanches compris. J’avais même appris l’existence, grâce au sénateur Fischer, de la convention collective des ouvriers chapeliers, et de bien d’autres professions. (Exclamations amusées.) Nous avions bénéficié d’une bonne formation sur les conditions de travail dans le monde ouvrier et sur l’état des droits à la retraite dans nombre de métiers...
La différence, cette fois, c’est que la réforme est proposée par un gouvernement de gauche, qui comprend des ministres écologistes. Cela se voit tout de suite !
J’en veux pour preuve l’affirmation, à l’article 1er, de notre attachement au système de retraite par répartition.
M. Roger Karoutchi. J’y suis attaché, moi aussi !
Mme Muguette Dini. Nous aussi !
M. Jean Desessard. On croit généralement que le système de retraite par répartition est redistributif. Or ce n’est pas le cas, dans la mesure où les montants des pensions sont fixés en fonction des cotisations versées, un dispositif qui reproduit ainsi la hiérarchie des salaires : celui qui a beaucoup gagné et cotisé gagne encore beaucoup à la retraite.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Ce n’est pas vrai, il y a le plafond...
M. Jean Desessard. À l’échelon individuel, le système n’est donc pas redistributif. Au niveau collectif, en revanche, il existe des correctifs : l’État compense les petites retraites et aide ceux qui, sans son intervention, ne toucheraient pas de pension. Surtout, le Parlement fixe la part du PIB consacrée aux retraites qui, en 2012, s’élevait à 14,4 %.
Plusieurs facteurs nous conduisent à nous interroger, aujourd’hui, s’agissant de la réforme des retraites.
L’augmentation de l’espérance de vie est le principal argument avancé.
Certes, l’espérance de vie après 60 ans est passée de dix-sept à vingt-cinq ans entre 1950 et 2012. Cette augmentation devrait néanmoins peu à peu s’amoindrir, eu égard aux limites biologiques.
M. Jean Desessard. Selon nous, écologistes, il n’est pas certain, compte tenu du mode de vie actuel, de la mauvaise alimentation et de l’ensemble des pollutions que nous subissons et qui favorisent l’augmentation des cancers, que cette espérance de vie continue à augmenter. Au contraire, on peut s’attendre, dans les années qui viennent, à une inversion de tendance. Nous en reparlerons...
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Quel oiseau de mauvais augure ! C’est la fin du monde... (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bien sûr, les écologistes sont des pessimistes ! Mais je n’ai pas parlé de fin du monde, monsieur Caffet : j’ai dit qu’il fallait faire attention. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
Les prédictions de l’INSEE et du Conseil d’orientation des retraites prévoient ainsi un allongement d’un an seulement par décennie dès aujourd’hui.
M. Jean Desessard. Les calculs des écologistes sont encore plus pessimistes.
L’impact financier est également limité. Selon une étude de la CNAV, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, l’effort financier sur les retraites du régime général s’élèvera en 2017 à 17,1 milliards d’euros, sur lesquels – les chiffres deviennent alors intéressants ! – 11,8 milliards d’euros sont liés au papy-boom et 3,4 milliards d’euros aux retraites anticipées ; seul 1,9 milliard d’euros pourra être imputé aux gains d’espérance de vie, soit un peu plus de 10 %.
Le facteur déterminant pour les retraites, ce n’est donc pas l’espérance de vie, mais le papy-boom !
M. François Trucy. C’est pareil !
M. Jean Desessard. Non, c’est une question de démographie ! L’espérance de vie, cela signifie que chacun d’entre nous vit plus longtemps. Quant au papy-boom, il désigne le nombre important de personnes qui partent à la retraite.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Jusqu’en 2035 !
M. Roger Karoutchi. Il faut aider la politique familiale...
M. Jean Desessard. À l’heure actuelle, en effet, 800 000 personnes font valoir leur droit à la retraite chaque année, contre seulement 500 000 en 2001.
Ce problème avait été anticipé de longue date par le gouvernement de Lionel Jospin (Exclamations sur les travées de l'UMP.),...
M. Roger Karoutchi. Un rapport, peut-être ?...
M. Jean Desessard. ... qui, s’inspirant de mesures similaires instaurées en Suède, en Espagne ou au Japon, avait mis en place un organisme dédié à cet effet : le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, destiné à accumuler des fonds jusqu’en 2020 pour faire face au déséquilibre démographique.
Mais ce fonds n’a pas été correctement doté. En 2010 – vous savez qui était alors au pouvoir ! –,...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La droite !
M. Jean Desessard. ... le montant des actifs s’élevait à 33 milliards d’euros, soit seulement 10 % de l’objectif initial à l’horizon 2020, fixé à 300 milliards d’euros.
De plus, le précédent gouvernement a fait le choix de ponctionner ces réserves pour alimenter la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, bouleversant ainsi le calendrier prévu de près de dix ans.
On l’avait pourtant prédit, mais on n’en a pas tenu compte !
M. Gilbert Barbier. Cela continue, d’ailleurs...
M. Jean Desessard. Quel est l’impact réel du papy-boom ?
Selon un rapport du COR, si la part des personnes âgées de plus de 60 ans dans la population totale passe de 23 % en 2010 à 31 % en 2035, ce pourcentage devrait sensiblement rester le même jusqu’en 2060. Autant dire qu’une fois passée une période difficile, on y verra clair plus tard ... (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Gilbert Barbier. Quel visionnaire !
M. Jean Desessard. Ensuite, l’augmentation de la productivité nous permet de tempérer ce constat négatif.
Entre 1960 et 2000, la productivité horaire a été multipliée par trois. Cette tendance se poursuivra à l’avenir avec les nouvelles technologies, comme la robotique pour le secteur secondaire.
Enfin, soyons positifs : la retraite ne peut plus être considérée comme une période d’inactivité. Les seniors consomment...
M. Roger Karoutchi. Avant la retraite aussi !
M. Jean Desessard. ... et participent donc à l’économie. Si l’on réduit le montant de leur pension, c’est autant d’argent en moins qui circulera.
Certes, l’argent des seniors qui passent six mois à l’île Maurice, au Portugal ou au Maroc ne profite guère à la vie économique de l’Hexagone.
M. Roger Karoutchi. Ils ne sont pas nombreux !
M. Jean Desessard. Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, se pencher sur cette question...
Mme Muguette Dini. Il faut les empêcher de partir ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Retirez-leur leur passeport ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Exception faite de ces cas, les seniors, je le répète, consomment, travaillent, aident, participent à l’économie. Souvent, aussi, ils exercent des activités bénévoles, importantes et même nécessaires, qui contribuent à la citoyenneté.
Ce qui pèse le plus aujourd’hui sur le déficit de notre système de retraite par répartition, vous le savez, mes chers collègues, ce sont le chômage (Exclamations sur les travées de l'UMP.)...
Mme Muguette Dini. Évidemment !
M. Jean Desessard. ... et une croissance quasiment inexistante.
Je ne reprendrai pas les termes de l’excellent plaidoyer du groupe CRC. Augmentation de 10 points de la rémunération du capital, 30 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales : corriger toutes ces mesures permettrait de financer les retraites sans que l’on ait besoin d’aller chercher l’argent ailleurs, en particulier en diminuant le montant des petites pensions.
Cela étant, notre système de retraite par répartition recèle plusieurs dysfonctionnements et inégalités qu’il nous faut combattre dès aujourd’hui.
Notre collègue Laurence Rossignol l’a très bien expliqué, les femmes sont victimes, du point de vue des droits à la retraite, d’une véritable discrimination. En effet, la retraite moyenne qu’elles perçoivent s’élève à 72 % de celle qui est touchée par les hommes.
Si l’on se penche sur les retraites complémentaires, les chiffres sont encore plus alarmants : pour le régime ARRCO, la pension moyenne des femmes représente 58 % de celle des hommes, et pour le régime AGIRC, seulement 40 %. Nous devons lutter contre cette discrimination.
De plus, notre mode de calcul des retraites laisse peu de place à une réelle prise en compte de la précarité. Sont en effet validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures rémunérées au SMIC. Cette disposition ne permet pas aux assurés exerçant une activité à temps très partiel, à faible durée de travail ou à faible revenu de valider quatre trimestres dans l’année. Or nous savons que la précarité augmente.
Enfin, le système de retraites français est d’une complexité rare : il existe plus de 600 régimes de base et 6 000 régimes complémentaires. L’évolution du marché de l’emploi et la fin des carrières uniques nous incitent à réfléchir à des mesures de convergence entre les régimes, pour que la diversité et la richesse des parcours ne soient plus un obstacle.
Mme Catherine Procaccia. On en est loin avec ce texte !
M. Jean Desessard. Pour ce qui concerne l’article 2, nous considérons, madame la ministre, que la mesure qu’il comporte est inadaptée et injustifiée. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Comment expliquer aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils vont devoir travailler jusqu’à 67 ans s’ils ont fait des études, alors que leurs aînés pourront se retirer du marché du travail à 62 ans ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. C'est déjà le cas pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein !
M. Jean Desessard. Les jeunes âgés de moins de 25 ans connaissent actuellement un taux de chômage de 24 % tandis que celui des seniors s’établit à plus de 7 % et que les personnes âgées de plus de 50 ans représentent environ 30 % du total des chômeurs de longue durée. Si des emplois existent, pourquoi ne pas les proposer à ceux qui sont aujourd’hui au chômage, c'est-à-dire les jeunes et les seniors ?
Les écologistes estiment que le travail doit faire l’objet d’un réel partage. Nous ne pouvons construire un modèle durable pour notre système de retraites en continuant à nous accrocher à l’illusion d’une croissance forte et infinie. Nous devons amorcer la transition de notre économie, pour ne pas épuiser la totalité de nos ressources en cherchant à produire toujours plus. Nos gains de productivité nous permettent d’envisager non seulement le « vivre mieux », mais aussi le « travailler mieux ». Ces objectifs devraient être partagés par tous, car ils constituent la véritable urgence. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposerons la suppression l'article 2.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jean Desessard. Quant à l’article 4, il comporte l’une des mesures de financement qui devrait rapporter près de 1 milliard d’euros jusqu’en 2020. Malheureusement, l’effort demandé sera également supporté par les personnes les plus fragiles financièrement.
En effet, il est prévu de reporter la revalorisation des pensions de retraite, hors minimum vieillesse, du 1er avril au 1er octobre de chaque année. Les personnes qui relèvent de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sont exclues de ce dispositif, ce dont nous nous réjouissons. Néanmoins, nous ne considérons pas qu’une personne retraitée qui touche un peu plus de 787,26 euros par mois puisse être considérée comme suffisamment aisée pour supporter un décalage de six mois en matière de revalorisation de sa pension de retraite.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Qui reste-t-il alors ?
M. Jean Desessard. Par conséquent, nous proposerons la suppression de cet article.
Malheureusement, il me reste peu de temps pour parler des points positifs du projet de loi que nous examinons (Sourires.), en particulier de la prise en compte de la pénibilité.
En conclusion, et vous l’avez indiqué, madame la ministre, les réalités de l’après-guerre ne sont plus celles d’aujourd’hui.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Nous partageons ce diagnostic : l’après-guerre était une période de reconstruction et de développement des techniques et visait le plein-emploi. Aujourd’hui, tout en connaissant des secteurs ou des périodes de surproduction, nous sommes à la limite de la récession, en situation de chômage massif et de montée de la précarité. De ce fait, le système de retraite par répartition doit être repensé.
Le présent projet de loi constitue une réponse urgente, qui applique la vieille recette de l’allongement des années de cotisation. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une solution pérenne. Face à un chômage massif, la solidarité passe d’abord par un emploi pour tous, et non par plus de travail pour certains et la relégation dans la précarité pour les autres.
Lors de l’examen de ce texte, nous n’échapperons pas au débat sur le projet de société que nous souhaitons. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un bonheur d'entendre notre collègue Jean Desessard, car il a la vertu de ceux qui, découvrant un monde, s’aperçoivent de choses très simples, en l’espèce, de ce que le roi est nu.
En effet, il ressort de l’examen de la réforme qui nous est proposée que, pour le Gouvernement, une seule évidence s'impose de l'analyse de la crise des régimes de retraite : le problème de la « bosse démographique » entre 2020 et 2035 lequel pourrait être résolu par la mobilisation de fonds grâce à l'allongement de la durée de cotisation.
Mais cet allongement pèsera sur les personnes âgées aujourd'hui de moins de 40 ans, qui subiront la double peine : cotiser pour elles-mêmes et payer les dettes des générations précédentes, qui n’auront pas eu le courage de tirer les leçons d'une analyse, hélas, monsieur Desessard, beaucoup plus grave et beaucoup plus sérieuse que votre truculente présentation, dans laquelle vous omettez des réalités importantes.
Tout d'abord, je voudrais rappeler une évidence. Le problème des retraites est national. Il doit être partagé par les majorités qui ont vocation – c'est la loi de la démocratie – à se succéder.
Chers collègues de la majorité, en ramenant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans en 1982, vous aviez créé une situation nouvelle sans la financer. Nous avons fait notre part du travail : nous avons pris nos responsabilités avec les réformes de 1993, 2003, 2008, 2010 et même 2011. À aucun moment, madame le ministre, nous n’avons pu bénéficier d'un regard bienveillant, attentif, voire – pourquoi pas rêver ? – d'un soutien de l'opposition d’alors, comme cela a pu être le cas dans d'autres pays qui se sont attaqués au même problème. Or, lorsque l’on a vocation à gouverner le pays, l’on doit s'efforcer d’avoir une vision à long terme, allant bien au-delà que la prochaine élection !
Si nous n’avions pas mené à bien ces réformes, le COR évalue la charge de la dérive des retraites à 3 points de PIB pour 2020, et à 6,5 points pour 2030. Excusez-moi du peu !
De surcroît, notre pays, avec 14,4 % du PIB consacrés aux régimes de retraite, se situe déjà au troisième rang européen. Si nous n’avions pas réalisé ces réformes structurelles et paramétriques, il serait au premier rang.
Monsieur Desessard, c'est parce que les charges sociales sont lourdes et renchérissent le coût du travail que l'emploi est rare. Elles privent nos compatriotes de l'espérance de trouver un emploi.
J’en viens maintenant, madame le ministre, aux raisons pour lesquelles nous ne soutiendrons pas votre projet de loi.
Tout d’abord, il refuse l'analyse de fond, la prise en considération des éléments de long terme. Ainsi, vous ne tirez pas les conséquences de l'allongement de l'espérance de vie. Passer de trois cotisants pour un retraité à un cotisant et demi pour un retraité sur le très long terme implique simplement de changer de système : l'équilibre des Trente Glorieuses ne sera en effet plus jamais retrouvé.
Cette première observation mérite d'être complétée par une seconde qui renvoie dans les coulisses la peu convaincante théorie de la bosse. La vie active a elle-même changé. On le constate, madame la rapporteur, à la lecture de certains éléments de votre rapport.
Non seulement l'espérance de vie s'allonge, mais encore l'accès à la vie professionnelle se fait plus tard, les carrières sont moins linéaires et beaucoup plus aléatoires en raison de la concurrence liée à la globalisation et du progrès technologique.
En outre, les réserves de productivité, qui ont permis notamment aux régimes complémentaires d'être largement excédentaires pendant des décennies, ne sont plus disponibles.
De plus, élément nouveau dont personne ne parle, les carrières des salariés français seront de plus en plus internationales, ce qui implique la jonction de systèmes de retraites profondément différents. Nous vivons cette situation en Lorraine, où 70 000 travailleurs sont salariés au Luxembourg, en Allemagne, voire en Belgique, pays dont les régimes de retraite sont différents du nôtre. Or vous méconnaissez cette mutation.
Par ailleurs, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en plaigne, il faut le constater : la vie familiale a, elle aussi, complètement changé. Cette évolution se traduit par une démographie qui ne suffit plus à assurer le renouvellement de notre population. Cessons de dire que le taux de natalité est un atout pour la France !
Le système du CNR, auquel vous faites référence, est merveilleux, mais il ne fonctionne que dans un pays aux frontières fermées, ayant la maîtrise de sa monnaie et dont la démographie est largement positive. Ces trois vérités ont disparu. Il serait temps pour vous que vous ouvriez les yeux !
Nous sommes tous attachés au système français de retraite par répartition, parce qu’il s'inscrit dans une volonté de solidarité, qui est le ciment d'une république. De surcroît, par définition, tout régime de retraite est financé par les actifs. En fait, toute la question est celle des modalités.
En revanche, nous ne pouvons que regretter la complexité de notre système – il ne peut en être autrement –, complexité parfois renforcée par les travailleurs eux-mêmes, salariés ou travailleurs indépendants, qui s'efforcent de construire des systèmes plus personnels en raison de leurs inquiétudes sur la viabilité des régimes de retraite.
Tout l'investissement des petits propriétaires bailleurs, par exemple, présente en réalité certains caractères d'un régime de retraite par capitalisation. En ayant recours aux mécanismes organisés par les différentes lois visant le financement des logements, ces propriétaires se constituent par précaution une forme de retraite complémentaire par capitalisation, qui n’est pas orientée vers l'actionnariat des entreprises et donc le développement économique.
Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur un point. L'ambition redistributive du régime par répartition n’est plus en mesure d'être assurée si les curseurs de la durée de vie professionnelle ne sont pas fortement poussés dans le sens d'un allongement.
Le système français de retraite est profondément redistributif. Il est bon qu’il en soit ainsi, parce que les carrières peuvent être confrontées à des accidents de conjoncture ou bien à des choix familiaux. Ce système permet, par exemple, d'aider ceux qui ont été frappés par le chômage ou qui ont élevé des enfants. Ce soutien est peut-être insuffisant, madame Rossignol, mais il est plus important que celui que connaissent la plupart des autres systèmes européens.
Pour que ce système redistributif fonctionne, encore doit-il disposer des moyens nécessaires et cesser de se substituer aux éventuelles défaillances du marché du travail. Nous aborderons cette question lors du débat sur la prise en compte de la pénibilité. Certaines dépenses doivent être assurées par les employeurs, au terme d’un dialogue entre syndicats patronaux et syndicats de salariés, et ne doivent pas être supportées par les régimes de retraite qui n’en ont, hélas, pas la capacité.
En résumé, notre régime de retraite, qui était parfaitement légitime à l’époque des Trente Glorieuses, ne l'est plus à ce jour.
Enfin – je rejoins sur ce point mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe –, alors qu’il a l'ambition d'être universel, il est en réalité parfaitement rigide et méconnaît les droits acquis au fur et à mesure de la diversité des carrières et des efforts de chacun.
Les régimes de retraite complémentaire sont des régimes de retraite par points, tout comme l’IRCANTEC. Ce sont également des régimes par répartition, mais ils sont autocorrecteurs : lorsqu’ils dérivent vers un déséquilibre, ils se corrigent d'eux-mêmes, en jouant sur la valeur du point, pour revenir à une situation d'équilibre d'ensemble. Ils sont modernes.
Vous récusez par principe toute réflexion systémique, et vous condamnez par voie de conséquence notre système issu des Trente Glorieuses à exploser du fait de son incapacité à gérer des problèmes de structures lourds, longs et durables. Vous apparaissez comme les tenants de l'égoïsme d'une génération : encore une minute, monsieur le bourreau, nos concitoyens âgés de moins de 40 ans paieront pour nos propres erreurs et nous nous contenterons d'augmenter les cotisations !
À cet égard, je comprends l'exaspération des alliés de la majorité du groupe CRC, car l'essentiel de l'effort demandé en termes de cotisations, renchérissant le coût du travail ou diminuant le pouvoir d'achat, est d'abord supporté par les retraités eux-mêmes, en particulier par ceux qui ont eu des enfants, alors qu’ils sont particulièrement méritants. Vous pénalisez les familles ayant eu trois enfants et plus, qui ont pourtant permis l'équilibre du régime par répartition. Les retraités en général sont bel et bien les premiers contributeurs de votre réforme. En outre, vous rendez certains d’entre eux imposables, alors qu’ils ne l'étaient pas auparavant. N’oublions pas non plus les salariés !
Quant aux entreprises, madame la ministre, il serait agréable que vous dissipiez, devant la Haute Assemblée, une ambiguïté, qui fait sourire tous les spécialistes de l'économie française depuis l'université d'été du MEDEF. Vous nous dites, avec un aplomb merveilleux, que la hausse de cotisations de 0,3 % sera partagée entre employeurs et salariés, alors que dans le même temps le Gouvernement indique que les employeurs seront indemnisés de ce surplus de cotisations. Seulement par qui seront-ils indemnisés ? Par des impôts prélevés sur la consommation ou sur les revenus, de sorte que la charge sera supportée en totalité par les retraités et par les actifs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Que les entreprises soient exonérées, on m’objectera qu’un libéral aurait toutes les raisons de s’en féliciter. Aussi vais-je peut-être vous surprendre : je préférerais une discussion de fond avec les industriels et les chefs d’entreprise de toutes les branches sur une réforme systémique en mesure de réussir…
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Mais sans augmenter leurs charges !
M. Gérard Longuet. … à une exonération à la petite semaine dans le cadre d’un système qui n’a aucune chance de survie.
Pendant les longs jours et les longues nuits que notre débat va durer,…
M. Jean Desessard. Trois semaines ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. … nous aurons l’occasion d’aborder les problèmes de fond, notamment à la faveur de l’examen des amendements du groupe UMP qui reposent sur deux principes.
Le premier de ces principes est qu’une réforme systémique est absolument indispensable.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir faite ?
M. Gérard Longuet. C’est la raison pour laquelle nous voterons les amendements visant à instaurer un régime par points fondé sur des comptes notionnels : présentée par le groupe UDI-UC, cette proposition appartient à notre culture.
Lorsque le Président de la République a écrit à la Commission européenne pour lui transmettre le rapport économique destiné à la rassurer sur les intentions budgétaires et financières françaises, il a fait valoir, avec une malice de chef-lieu de canton (Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.),…
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Ne soyez pas méprisant !
M. Gérard Longuet. … que, certes, l’âge de départ à la retraite ne serait pas modifié, contrairement à ce que la Commission européenne nous demande – au demeurant, on se demande bien pourquoi –, mais que l’allongement à 43 ans de la durée de cotisation, combiné à un âge moyen d’entrée dans la vie active de 23 ans, conduirait de fait à un report à 66 ans de l’âge de départ à la retraite à taux plein.
Pour notre part, nous préférons décider dès maintenant, courageusement, de fixer l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Tel est le second principe qui inspire nos amendements et qui est destiné à rendre aux Français le contrôle de leur système de retraites.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Jusqu’où ira-t-on ?
M. Gérard Longuet. Les moyens nouveaux liés à cette mesure permettraient de lutter contre un certain nombre d’injustices.
Par ailleurs, la convergence du régime général, de celui de la fonction publique et des régimes spéciaux que nous proposons dégagerait des marges suffisantes pour maintenir le système, comme nous l’avons fait lors des quatre réformes précédentes, mais aussi pour améliorer significativement la solidarité, dans le cadre d’un équilibre d’ensemble assuré par l’appel au travail des Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, que l’annonce de cette réforme ait d’abord suscité des interrogations, on peut le comprendre, s’agissant d’un sujet aussi sensible pour tous nos concitoyens ; mais un examen approfondi nous persuade de la pertinence et de la solidité du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
Pour ma part, j’aborde cette discussion avec une conviction que je souhaite vous faire partager.