M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Nous voici parvenus à la conclusion d’une semaine de débats, qui ont été parfois intenses. On ne le dira jamais assez, débattre des retraites, c’est discuter d’un projet de société.
Au final, la copie sénatoriale est bien maigre. Quelques articles seulement ont été adoptés, dont l’article 1er. Or celui-ci, modifié à la suite d’une alliance entre la droite et le RDSE, consacre le passage, dès 2017, à un système de retraite par points, que le groupe CRC continue de combattre avec la plus grande détermination. En effet, ce basculement ferait des pensions de retraite la variable d’ajustement – avec les conséquences désastreuses que certains pays ont connues – et ouvrirait la voie au renforcement des mécanismes de capitalisation.
C’est donc bien d’un échec qu’il faut parler.
Cet échec est d’abord celui du Gouvernement, qui s’est obstiné à imposer le présent projet de loi, sans prendre en considération les pistes alternatives que nous n’avons eu de cesse de présenter. Les quelques amendements du groupe CRC adoptés au cours du débat l’ont d’ailleurs été, le plus souvent, contre son avis.
Ce texte contenait, c’est vrai, quelques avancées, au demeurant bien timides, en matière de réparation et de prévention de la pénibilité, notamment, et offrait quelques nouveaux avantages pour le calcul de trimestres cotisés.
Mais s’il est un échec, c’est que, pour l’essentiel, il tourne le dos aux valeurs de gauche.
Je pense en particulier au passage à quarante-trois annuités de cotisations pour les jeunes et les salariés âgés de quarante ans et moins qui leur impose de travailler jusqu’à soixante-six ans – voire plus – ou de partir avec des pensions de retraite amoindries.
Je pense aussi à la non-revalorisation des pensions de retraite au 1er avril, excepté celle de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, comme si un retraité qui perçoit plus de 787 euros était un privilégié, qui doit, lui aussi, faire des sacrifices !
Je pense enfin au choix, effectué au nom d’une conception particulièrement étroite de la compétitivité, de faire porter tout le poids des efforts sur les salariés et les retraités, et d’en exonérer totalement les employeurs.
Tout au long de nos débats, nous avons constaté que le présent texte ne pouvait rassembler la majorité sénatoriale, ni même la mobiliser, face à une droite décomplexée.
Quelle erreur d’avoir ignoré le message de confiance en l’avenir délivré ici même par Pierre Mauroy, en 2010 ! Effectivement, ce message indiquait la voie à suivre – une voie progressiste ! –pour consolider la formidable conquête que représente la retraite à soixante ans.
Quelle erreur, encore, de présenter un projet de loi qui, pour l’essentiel, valide, et donc légitime, les réformes précédentes, notamment la réforme Sarkozy-Woerth de 2010, contre laquelle la gauche unie avait alors bataillé !
De fait, un espace politique a été ouvert à la droite. Elle s’y est engouffrée sans retenue et le groupe CRC a été souvent bien seul à la contredire. Comme le projet de la droite, pourtant, doit être combattu ! Ce qui a été soutenu par la droite dans cet hémicycle mérite d’être rappelé et porté à la connaissance de tous. Au nom du courage politique, la droite propose de faire reculer l’âge légal de départ à la retraite de soixante-deux ans à soixante-cinq ans. Au nom de la convergence avec le régime général du régime du secteur public et des régimes spéciaux, la droite veut punir les actifs qui dépendent de ces derniers. Cette convergence, d’ailleurs, est déjà en cours : elle se fait au prix de bien des sacrifices, qu’illustre, entre autres, le maintien du gel du point d’indice des fonctionnaires. Je ne reviendrai pas sur l’insistance de la droite à développer les systèmes de retraite par capitalisation, qui, partout, font faillite. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
C’est une autre réforme des retraites qu’il aurait fallu opposer à ce projet régressif. Oui, il était possible de faire autrement, de remuscler notre système de retraite par répartition, en prêtant l’oreille à nos propositions. Je pense à celle qui vise à taxer les placements financiers des entreprises et des banques qui nuisent à l’économie réelle, mais sont exemptés de toute cotisation sociale, par exemple. Je pense aussi à celle qui tend à faire des cotisations sociales des entreprises des outils intelligents : celles qui jouent contre l’emploi, et donc assèchent les comptes de la sécurité sociale, devraient cotiser plus ; les exonérations de cotisations, quant à elles, seraient conditionnées au respect de la loi.
Vous avez préféré ignorer ce qui aurait pu être une base de rassemblement et de résistance. Nous le regrettons, même s’il n’est jamais trop tard pour bien faire.
C’est donc avec le sentiment d’un rendez-vous manqué que le groupe CRC votera contre ce projet de loi, dont certaines dispositions, en plus de ne pas aller dans la bonne direction, ont été sérieusement aggravées par la droite. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous achevons l’examen de ce projet de loi, je tenais, avant tout, à saluer la qualité de nos échanges et de nos débats. Quels que soient nos points de divergence, nos discussions ont été riches et approfondies. Je tenais surtout à remercier notre rapporteur, Christiane Demontès, de son travail, de la qualité de ses réponses et de sa grande capacité d’écoute, ainsi, bien sûr, que tous les membres de la commission des affaires sociales.
Avec ce texte, il s’agissait de rétablir l’équilibre des régimes de retraite et de répondre à des injustices sociales. Cela a été indiqué, si rien n’est fait, le déficit atteindra 20 milliards d’euros en 2020, et près de 27 milliards d’euros en 2040.
Au terme de ces six jours de débat en séance publique, le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale a été, c’est le moins que l’on puisse dire, remanié.
Certes, tel qu’issu de nos travaux, le projet de loi comporte de bonnes dispositions. Je pense notamment à la prise en compte de trimestres non cotisés pour le bénéfice d’un départ anticipé pour carrière longue, et à la possibilité, pour les apprentis, de valider l’ensemble de leurs trimestres d’apprentissage au titre de leurs droits à la retraite. Je pense également aux mesures en faveur des non-salariés agricoles. Surtout, je me félicite de la suppression de l’article 4. La mesure qu’il comportait, profondément injuste, excluait, j’en conviens, les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Mais vous avez oublié tous les autres retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté et qui ne bénéficient pas de cette allocation. Un million de personnes est tout de même concerné ! Si une réforme des retraites suppose des efforts de la part de chacun, elle ne doit pas pénaliser les plus faibles.
Nous avons également obtenu le maintien du critère de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour un départ anticipé. C’est une très bonne chose à laquelle plusieurs membres de mon groupe tenaient. La suppression de cette reconnaissance pénaliserait bon nombre de travailleurs handicapés qui ne peuvent justifier d’un taux d’incapacité pendant suffisamment longtemps.
J’en viens maintenant à la mise en place d’une réforme systémique. Nous l’appelons de nos vœux depuis quelques années déjà et nous nous réjouissons de son adoption par le Sénat. C’est à ce titre que nous préparerons durablement l’avenir de notre système de retraite. Je le répète, le passage à un système par points n’implique pas l’abandon de notre système de retraite par répartition. Cela n’a rien à voir !
Pour autant, le projet de loi, tel qu’il résulte de nos travaux, n’est pas satisfaisant. C’est un texte détricoté, dénaturé, oserais-je dire !
Le Sénat a notamment rejeté l’une de ses mesures emblématiques : le compte personnel de prévention de la pénibilité. Nous le savons bien, tous les Français n’atteignent pas l’âge de la retraite en étant dans le même état de santé. L’exposition à des facteurs de pénibilité contribue pour une large part à réduire l’espérance de vie. Le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition à des agents chimiques dangereux, le travail de nuit sont autant de facteurs susceptibles de laisser des traces irréversibles sur l’état de santé des travailleurs. Si l’espérance de vie a augmenté de façon générale, l’écart entre cadres et ouvriers, par exemple, ne s’est pas sensiblement réduit. Je regrette vraiment que le Sénat n’ait pas adopté cette disposition qui, même si elle n’est pas parfaite, aurait constitué une avancée indéniable et très attendue.
Dans ces conditions, vous l’aurez compris, madame la ministre, les sénateurs du RDSE n’approuveront pas le texte qui nous est aujourd’hui proposé. Celui-ci est très éloigné d’une réforme cohérente et approfondie de notre système de retraite, réforme que nous aussi appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du présent texte par la Haute Assemblée représente pour le groupe UDI-UC un considérable progrès. Je veux parler, vous l’avez compris, de l’adoption de notre amendement ouvrant réellement la voie vers une réforme systémique des retraites.
Dès lors, la logique des réformes paramétriques s’est essoufflée. Je vous rappelle, mes chers collègues, les nouveaux termes de l’article 1er : « Afin d’assurer la pérennité financière et l’équilibre entre les générations du système de retraite par répartition, ainsi que son équité et sa transparence, une réforme systémique est mise en œuvre à compter du premier semestre 2017.
« Elle institue un régime universel par points ou en comptes notionnels sur la base du septième rapport du Conseil d’orientation des retraites du 27 janvier 2010.
« Le Gouvernement organise une conférence sociale et un débat national sur cette réforme systémique au premier semestre 2015. »
Telle est la réforme que nous attendions, aux antipodes de celle que l’on nous a servie.
Évidemment, nous ne nous faisions aucune illusion sur le sort de cet article, comme sur celui du reste du texte d’ailleurs. Mais l’adoption de notre amendement pose à nos yeux un jalon et constitue une étape supplémentaire vers ce qui nous paraît à la fois éminemment souhaitable, incontournable et inexorable.
D’ores et déjà, une partie substantielle des partenaires sociaux s’y est ralliée.
Vous-même, madame le rapporteur, aviez soutenu cette position dans les conclusions du rapport d’information de 2010 fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, et que vous aviez cosigné avec notre ancien collègue Dominique Leclercq. Nous regrettons juste que vous vous soyez ravisée depuis.
Madame la ministre, comme notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe vous le faisait remarquer lors de la discussion générale, peut-être ne serez-vous pas la ministre de la réforme systémique, mais nous avons l’absolue conviction que, tôt ou tard, cette réforme se fera. Nous espérons juste qu’elle intervienne le plus rapidement possible, parce que c’est la seule voie de rénovation pérenne du système, et parce que nos concitoyens la souhaitent. Effectivement, un récent sondage a montré que l’évolution vers un régime unique est plébiscitée par 73 % des Français.
Pourquoi alors ne pas s’engager dans cette voie ? Pour acheter la paix sociale ? Doit-on céder aux corporatismes ?
L’adoption de notre amendement ne pouvait que condamner par avance la réforme qui nous était soumise, tant les deux options sont antinomiques.
Et qu’a sanctionné le Sénat en détricotant systématiquement votre texte ? Une énième réforme paramétrique, qui plus est à la fois trompeuse et très insuffisante au regard des enjeux en cause.
Contrairement à ce que son intitulé voudrait faire entendre, le projet de loi n’est absolument pas de nature à garantir l’avenir et la justice du système de retraites.
Sur le plan financier, le compte n’y est pas. Il faudra revoir le dispositif avant 2020.
Sur le plan de l’équité, le compte n’y est pas davantage. Madame la ministre, tâchez au moins de conserver l’objectif que nous avons fait introduire dans le texte d’un minimum vieillesse garanti à 75 % du SMIC pour tous, comme vous l’assurez déjà aux exploitants agricoles. Cette mesure ne soulèvera pas de problème financier du fait de l’extinction des régimes spéciaux.
Aujourd’hui, c’est par recours à un artifice purement juridique que l’on nous demande de nous prononcer sur ce texte issu de nos travaux, et qui est vidé de sa substance et de son sens.
En réalité, sur quoi vote-t-on ? Sur la réforme que vous nous proposez et allez mettre en œuvre. Or, cette réforme, nous la rejetons, comme en témoigne l’amendement précité, que nous avons présenté au début de nos débats.
Mais il ne faut pas brocarder le Sénat et le qualifier, on ne peut plus facilement, de « triangle des Bermudes des projets de loi ». En fait, le problème vient non pas de notre assemblée, mais des textes qui lui sont soumis.
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
M. Gérard Roche. C’est pourquoi les membres du groupe UDI-UC voteront contre celui qui nous est présenté. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui résulte des débats qui se sont déroulés depuis une semaine dans cet hémicycle est complètement vidé de son sens, en raison de la suppression, notamment, des articles 2, 3, 4 et 6.
Ainsi, il n’a plus rien d’un texte garantissant l’avenir et la justice de nos retraites.
Il n’a plus rien d’un texte qui assure le redressement et des comptes des régimes de retraite et le financement de ceux-ci.
Il n’a plus rien d’un texte qui inscrit au rang de priorité la prise en compte des évolutions sociales et la diversité des parcours professionnels, en particulier pour les femmes et les plus jeunes.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont fait le choix de renoncer à ce dispositif. Notre vote n’en prendra pas acte.
Assurer l’avenir de notre système de retraite par répartition est un véritable défi : conscients avant ce débat, nous en sommes encore plus convaincus aujourd’hui.
Nous le savons, certaines décisions ne sont pas faciles à prendre. Il n’est jamais aisé ni populaire de demander des efforts supplémentaires à nos concitoyens.
Les contributions envisagées représentent un effort pour chacun. Il ne s’agit pas de le nier et de faire comme si nous pouvions restaurer l’équilibre de nos régimes de retraite sans que chacun soit appelé à y contribuer.
Comme je l’indiquais voilà quelques jours au cours de la discussion générale, nous avons la responsabilité de ne pas trahir les règles immuables voulues par les fondateurs de ce modèle unique en 1945 et de préserver cet héritage.
Nous avons aussi la responsabilité d’assurer l’avenir en préservant les acquis et en protégeant ceux qui jusqu’à présent sont trop souvent passés à travers les mailles du filet de protection que la Nation doit à ceux qui en ont le plus besoin.
Nous avons enfin la responsabilité de cesser de faire peser sur les générations futures le poids de l’indécision du passé.
Il n’existe pas de remède miracle et le refus ou l’immobilisme ne sont pas des attitudes responsables face aux défis que nous devons relever, tels l’allongement heureux de l’espérance de vie, les conséquences du baby-boom, ou encore la crise économique.
Dans ce contexte, il est de notre responsabilité de regarder les choses en face, avec lucidité, et de dire la vérité à nos concitoyens, à savoir qu’aujourd’hui nous devons agir pour garantir notre système de retraite par répartition.
L’augmentation de la durée de cotisation a suscité des débats dans cette enceinte, mais elle est juste, parce qu’elle est en phase avec l’allongement de l’espérance de vie et parce qu’elle est assortie de mesures concernant la pénibilité et la diversité des parcours professionnels.
L’égalité entre les femmes et les hommes a été au centre des discussions. Il convient de le noter, c’est la première réforme des retraites qui tient compte de leur spécificité, laquelle a été longtemps ignorée par la précédente majorité. Le projet de loi comporte des avancées et des mesures ambitieuses. Il était temps !
Il n’est jamais trop tôt pour s’attaquer aux déficits, mais il est aussi parfois trop tard.
Alors que le projet de loi émanant de l’Assemblée nationale préparait l’avenir, la version qui résulte ce soir des travaux du Sénat l’hypothèque.
Aux côtés du Gouvernement, le groupe socialiste assume son choix de progrès et de justice, dans la clarté et dans la vérité. C’est la raison pour laquelle, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous nous opposerons au texte issu des travaux de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Tout d’abord, je remercie les différents présidents qui se sont succédé à la tribune de la bonne animation des débats et du respect des horaires – le terme du présent débat avait été programmé cette fin d’après-midi ou ce soir –, dans la sérénité.
Je remercie aussi Mme le rapporteur de ses explications détaillées lors de l’examen des articles et des amendements.
Progressivement, madame la ministre, vous vous êtes accoutumée aux débats du Sénat et avez apporté des réponses de plus en plus positives, précises.
Nous nous félicitons qu’un dialogue se soit instauré au fur et à mesure des débats. Je salue la bonne qualité de nos différents échanges.
Mais peut-être aurions-nous dû être plus saignants, car le résultat n’est pas, à l’évidence, terrible : un texte déchiqueté, qui n’a plus aucune cohérence, dont les articles importants ont été supprimés. C’est en réalité un projet en lambeaux qui sort de nos échanges, que nous avons tous trouvé intéressants. Ainsi, parfois, les débats ne garantissent pas un résultat intéressant en termes de contenu.
J’en viens aux différents articles.
Pour ce qui concerne l’article 1er, nous avons défendu le système de retraite par répartition. J’ai pris note de la remarque de Mme Laborde selon laquelle même s’il est prévu un système à points, il n’est pas contradictoire avec un système par répartition, considéré comme un régime dans lequel une génération cotise pour d’autres qui en profitent.
La répartition en faveur de ceux qui bénéficient des retraites est aujourd’hui calculée en fonction d’annuités : le système à points serait, lui, davantage fondé sur l’accumulation de points par une personne que sur les montants qu’elle a pu cotiser au cours de sa carrière.
Mais, à l’instar du groupe CRC, nous craignons que le système à points ne conduise progressivement vers la capitalisation.
Pour autant, lors de l’examen de l’article 1er, nous avons indiqué que nous souhaitions un aménagement du système actuel afin qu’il soit davantage tenu compte des carrières heurtées et surtout de la précarité, ce qui n’est pas toujours facile. D’ailleurs, la majorité du Sénat semblait s’orienter dans ce sens.
Les écologistes n’ont pas voté en faveur de l’article 2. Mais je n’ai pas compris la raison pour laquelle la droite n’a pas voté en sa faveur, puisqu’elle prône l’allongement de la durée de cotisation, vous l’avez dit, monsieur Bizet, jusqu’à non pas soixante-deux, mais soixante-cinq ans. Il fallait prendre vos responsabilités au moment du vote, puisque vous étiez en accord avec les socialistes sur ce point.
Nous, nous ne partageons pas le même point de vue pour des raisons écologistes et sociales. Nous ne souscrivons pas à l’idée de travailler toujours plus. Alors que de nombreux jeunes, des seniors sont au chômage, nous trouvons paradoxale la volonté de faire travailler davantage les actifs. Nous ne comprenons pas cette logique.
Nous étions également opposés à l’article 4, qui prévoyait le report de la revalorisation des pensions en raison des petites pensions de 800, 900 ou 1 000 euros par mois. Nous estimons que l’on ne peut pas toucher au pouvoir d’achat de ces retraités.
Ces articles ont été supprimés. Mais, au vu du résultat, nous ne nous en réjouissons guère… Nous pensons qu’il faut retravailler sur le sujet.
Les articles sur la pénibilité nous intéressaient. Malheureusement, ils ont disparu. Pourtant, il y avait une convergence entre nous sur cette question.
Nous n’allons évidemment pas soutenir un texte aux allures de pantin désarticulé et inconsistant. Nous voterons donc contre l’ensemble du projet de loi. Et le scrutin risque de déboucher sur une grosse surprise : un rejet à l’unanimité ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. C’est incroyable !
M. Jean Desessard. Un certain nombre d’articles ont disparu, chacun s’y opposant pour des raisons diverses et variées. En fin de compte, il ne reste plus rien.
Quoi qu’il en soit, je regrette que le Gouvernement ait engagé la procédure accélérée sur un texte relatif aux retraites. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Qu’a fait l’UMP en 2010 ?
M. Claude Jeannerot. La droite n’a pas de mémoire !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est incroyable !
M. Jean Desessard. Le sujet méritait un débat approfondi, notamment, cela a été souligné, la pénibilité.
En outre, alors que les ministres nous avaient affirmé lors de leur arrivée aux responsabilités que les rapports entre le Gouvernement et le Parlement allaient changer et qu’il y aurait désormais plus de travail en amont, force est de constater qu’une plus grande concertation avec la représentation nationale ne serait pas de trop !
J’aimerais aussi évoquer nos relations avec nos partenaires et amis socialistes. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-François Husson. Opération déminage !
M. Jean Desessard. Au groupe écologiste, nous avons des valeurs fondamentales. Nous attendons de nos partenaires une collaboration, une solidarité…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Desessard. Nous voulons un travail commun…
M. Jean-Claude Lenoir. Pourquoi pas un « programme commun » ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. … et en amont.
Chers amis, chers partenaires, cette coopération, nous devons la penser ensemble. Ne croyez pas qu’il suffit de nous imposer votre bon vouloir en pensant que nous accepterons ! Je le répète, nous avons des valeurs !
Au demeurant, il est surprenant, voire désolant, de ne pas retrouver aujourd'hui les positions que certains défendaient voilà trois ans…
M. le président. Concluez, monsieur Desessard !
M. Jean Desessard. À l’avenir, si le Parlement devait être saisi d’un nouveau projet de loi sur les retraites, nous souhaiterions être pleinement associés à son élaboration. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Plusieurs sénatrices et sénateurs de l’UMP applaudissent ironiquement.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’issue de la discussion du présent projet de loi, présenté comme devant garantir l’avenir et la justice du système de retraites, on ne peut qu’être déçu tant le texte a été verrouillé. Le Gouvernement s’est opposé à toute évolution, qu’elle vienne d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle.
Je salue les efforts de notre rapporteur, Christiane Demontès, qui a essayé, tout au long de nos débats, de soutenir le projet du Gouvernement et d’éclairer nos travaux de sa connaissance du sujet.
En revanche, je regrette personnellement l’attitude que vous avez eue, madame la ministre. Vous m’excuserez de m’exprimer en termes peut-être moins fleuris que M. Desessard, mais, au cours de l’examen de ce texte, plus particulièrement au cours des premiers jours, j’ai eu le sentiment que vous nous disiez : « Causez toujours, j’ai une majorité à l’Assemblée nationale, et vos remarques importent peu ! »
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. François Trucy. C’est exactement cela !
M. Gilbert Barbier. La plupart des économistes, toutes tendances confondues, considèrent que la présente réforme ne servira pas à grand-chose ; tout au plus permettra-t-elle de réduire très partiellement et très ponctuellement le déficit de la branche concernée.
Les régimes du secteur public et les régimes spéciaux ont été délibérément laissés de côté. Vos propositions, madame la ministre, sont une succession de petits ajustements paramétriques. Vous ciblez certaines catégories sociales, comme les salariés du privé et les retraités, c'est-à-dire des personnes qui n’ont pas pour habitude de défiler…
Ces ajustements sont pour le moins illusoires, voire dangereux. C’est le cas du report du 1er avril au 1er octobre de la revalorisation des pensions.
Si l’effet prévisible en 2014 peut effectivement être évalué à 800 millions d’euros, est-il sérieux d’affirmer, comme cela figure dans l’étude d’impact, que l’économie en 2040 sera de 2,6 milliards d’euros ? Vos experts ont une belle audace de préjuger le taux d’inflation dans vingt-sept ans ! Qu’en serait-il si celui-ci était de 5 % ou de 10 % ? Une telle proposition relève pour le moins d’une impréparation caractérisée. D’ailleurs, cela n’a pas échappé aux différents acteurs qui sont intervenus sur ce dossier.
La « grande affaire » du projet de loi est la prise en compte de la pénibilité. L’intention est louable ; une telle prise en compte est nécessaire.
La loi adoptée en 2010 n’avait effectivement pas entièrement résolu le problème. Mais votre approche collective, avec la mise en place de ce fichier de prévention, se révélera très difficilement réalisable, notamment dans les petites entreprises.
Je me suis penché, pendant le week-end, sur le cas d’une entreprise de charpente couverture de neuf salariés. Au titre des dix critères de pénibilité, hormis la secrétaire-comptable et, peut-être, un autre salarié travaillant en atelier, tous les autres employés seront reconnus comme exerçant un travail pénible. Quel sera leur sort ? Formation ? Reclassement ? Départ de l’entreprise ? Retraite anticipée ?
Selon la conception qui sera retenue des critères de pénibilité, près de 20 % à 25 % des salariés du privé pourraient se trouver dans cette situation de travail pénible. Là encore, l’étude d’impact est muette sur le coût de la disposition.
De plus, comme cela a été répété, une telle mesure sera source de tracas administratifs et de contentieux. Ajoutée à tout le reste, elle amènera probablement un certain nombre d’entrepreneurs à renoncer à leur activité.
Par ailleurs, vous ne voulez rien entendre sur l’article 32, que nous venons de rejeter. Vous voulez tout simplement mettre à bas un régime pourtant bien géré par les professions libérales. Vous espérez, et M. Domeizel vient de le confirmer, pouvoir accaparer un jour les réserves du fonds concerné et imposer une direction à vos ordres.