M. Roland Courteau, rapporteur. Très bien !
M. Vincent Capo-Canellas. La décennie 2010-2020 sera décisive, le rapporteur l’a souligné. Face à l’émergence de concurrents mondiaux, il faut préparer le renouvellement de produits absolument stratégiques pour chacun des grands acteurs nationaux. Tel est, par exemple, pour Airbus, l’enjeu du remplacement du moyen-courrier A320, fleuron de l’industrie aéronautique française et européenne des années 1980 à 2000. Les motoristes et les équipementiers devront quant à eux fournir des moteurs et des équipements qui permettront à l’aviation civile d’être moins polluante, moins bruyante et plus économique. Les défis qui attendent le transport aérien tant pour répondre à l’accroissement du trafic, qui devrait doubler d’ici à la période 2030-2040, que pour répondre à des préoccupations environnementales, obligent ainsi les opérateurs à investir dans la recherche.
J’en viens à la troisième priorité que je souhaite mettre en avant : l’adaptation aux nouvelles exigences environnementales, qui est un sujet majeur. L’accroissement de la performance des avions, et plus globalement du système de transport aérien, en termes de réduction de la consommation de carburant et des émissions sonores, de CO2 ou de gaz à effet de serre, requiert des ruptures technologiques et de nouvelles architectures.
La recherche en aéronautique civile s’organise autour de plusieurs enjeux : réduction de l’empreinte environnementale – consommation, bruit, émissions –, compétitivité, sécurité et fiabilité. Dans ce cadre, les industriels centrent leurs efforts de recherche sur l’aérostructure, les matériaux, les systèmes propulsifs avancés, la gestion de l’énergie de bord, où l’électricité prend de plus en plus de place, et les systèmes de navigation et de contrôle. Dans son rapport, Roland Courteau détaille fort bien l’ensemble des recherches lancées dans ces directions ; elles donnent une idée de ce que sera ou pourrait être l’avion du futur.
La dernière question que je souhaite aborder est celle du rôle de l’État. Elle est liée à celle de la recherche, notamment environnementale, et de la compétitivité. L’État se trouve à un moment stratégique, car il s’interroge sur ses missions et sur sa capacité à les mener à bien.
L’obligation d’investir dans la recherche nécessite le maintien d’une forte présence de la puissance publique dans le secteur aéronautique. À défaut, nous devrons inventer un autre système de financement sur le long terme. L’industrie aéronautique se caractérise en effet par des cycles de développement supérieurs à quinze ans et des cycles de vie des produits supérieurs à trente ans. Les choix technologiques impliquent donc des investissements de recherche et de validation considérables afin de garantir la pertinence des choix et de limiter le risque. En outre, les retours sur investissement se font sur un temps long – vingt à vingt-cinq ans, en moyenne – et de manière incertaine. Compte tenu de la faible profitabilité du secteur, les industriels privés peuvent difficilement financer la recherche aéronautique par les marges réalisées sur la vente d’avions.
Soit l’État peut continuer à répondre présent, soit nous devons rapidement trouver un autre modèle de financement. Je plaide pour le maintien d’un rôle fort de l’État. Le transport aérien possède une dimension de souveraineté économique reconnue et affichée par les grandes nations et les pays émergents. La compétitivité et l’excellence technologique du secteur résultent de l’engagement fort et constant de l’État ; nous l’avons vu par le passé. Or l’engagement de la puissance publique ne se situe plus au même niveau depuis quelques années. Cette évolution, qui a débuté sous les précédents gouvernements, crée des inquiétudes pour l’avenir.
Le CORAC, qui est un organisme de recherche collaborative, estime que l’effort de soutien public à la recherche aéronautique devrait être porté à 160 millions d’euros, mais la DGAC n’a que 60 millions d’euros à nous proposer. On trouve des palliatifs grâce à aux programmes d’investissements d’avenir, les PIA. Il y a eu un PIA 1 et un PIA 2, et il faudra un PIA 3, parce que les industriels ont besoin d’une visibilité et d’une prévisibilité à long terme pour fournir l’effort de recherche industrielle qui permet les ruptures technologiques.
Un certain nombre de clignotants sont allumés, Roland Courteau les a signalés. Je pense notamment à la baisse des crédits de l’ONERA. Le projet de loi de programmation militaire constitue lui-même un sacré clignotant, qui dégrade nos perspectives, car les crédits de recherche militaire ont des effets induits sur la recherche civile en matière d’aviation. Ce projet de loi entraînera inévitablement la cession de participations de l’État au capital des sociétés stratégiques que sont les équipementiers. Faute de ressources exceptionnelles, la cession de ces participations interviendra lorsque les crédits des PIA seront épuisés.
Je vous invite à méditer sur ce risque. Il sera difficile pour l’État de soutenir l’effort de recherche. J’emprunterai ma conclusion à Charles Revet, qui a souligné que la question du maintien des compagnies européennes était déterminante.
M. Charles Revet. Eh oui, il faut être très vigilant !
M. Vincent Capo-Canellas. J’ai beaucoup parlé de l’industrie, mais le transport aérien nécessite lui aussi une réflexion stratégique. En clair, pouvons-nous nous en tenir au statu quo, chacun possédant sa compagnie et affrontant seul ses difficultés ? Faut-il s’allier avec des compagnies du Golfe ou bien bâtir de grandes compagnies européennes ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les conclusions et les préconisations du rapport rédigé par Roland Courteau au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques nous permet d’aborder la question de l’aviation civile et des conditions à réunir pour préserver l’avance de la France et de l’Europe en la matière.
Il s’agit en effet d’un secteur d’activité essentiel. L’aviation civile est une industrie majeure, avec 33 000 emplois directs et même un million d’emplois si l’on compte l’ensemble des emplois induits. Elle représente 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 18 milliards d’euros d’exportations. Outre son poids économique, ce secteur est l’un des leviers majeurs de la transition écologique, dans la mesure où le nombre de passagers passera de 2,7 milliards à 5,4 milliards d’ici à 2040.
Il est donc important que les pouvoirs publics s’intéressent de près aux conditions de développement du secteur, et nous remercions Roland Courteau de la qualité de son travail et de son rapport, particulièrement complet et exhaustif. Des préconisations sont formulées dans six domaines. Je reprendrai ces préconisations en les commentant, et je conclurai sur le point qui me semble essentiel, car il est peut-être insuffisamment traité par le rapport.
La première préconisation est le soutien à la recherche. Nous partageons cette préoccupation. Dans tous les secteurs, la recherche est la clé de l’innovation et donc de la performance. Malheureusement – le rapport le souligne –, nous assistons depuis quelques années à un affaissement des soutiens nationaux à la recherche, dans le secteur de l’aviation civile comme dans tous les autres secteurs. La dotation à l’institut de recherche aéronautique français est ainsi passée de 140 millions d’euros à 60 millions d’euros, et la feuille de route du CORAC n’est que très partiellement financée.
Il s’agit là, selon nous, de l’un des effets négatifs, voire contre-productifs, des politiques d’austérité menées tant au niveau national qu’au niveau européen ces dernières années. Nous considérons, à l’inverse, que c’est bien le financement de la recherche qui créera les conditions de la relance de notre industrie. En investissant moins, non seulement les pouvoirs publics ne permettent pas la sortie de crise, mais au contraire ils confortent la crise, ce qui doit nous amener à nous interroger.
La deuxième préconisation appelle à anticiper le développement du marché des drones. Nous prenons acte de cette réalité qui tend aujourd’hui à s’imposer, mais je dois dire que nous ne sommes pas fascinés par l’essor de ce type d’appareils qui posent des questions en matière de respect des libertés individuelles et collectives, car ils renforcent les possibilités de surveillance. L’usage des drones doit donc être particulièrement encadré pour éviter toute dérive.
La troisième préconisation porte sur la nécessité de soutenir les progrès de la filière du biokérosène à l’échelon européen. Pour notre part, nous sommes assez dubitatifs sur ces biocarburants. En effet, ceux-ci ont tendance à être présentés comme la panacée pour la transition énergétique, alors même que leur développement, nous le savons, entrave l’utilisation des terres agricoles en pervertissant leur fonction vivrière, qui est leur destination première. Nous souhaitons donc le développement de ces biocarburants, ainsi que la poursuite des recherches, à l’unique condition qu’ils n’entrent pas en concurrence avec la vocation nourricière de l’agriculture.
Sur cette question comme sur d’autres, un effort accru de recherche doit donc être poursuivi au niveau tant national qu’européen. À cet égard, nous estimons qu’il conviendrait d’y faire participer les grands groupes pétroliers qui, aujourd’hui, profitent d’une rentabilité accrue des énergies fossiles du fait de leur extinction prochaine. En effet, le rapport indique que le retour sur investissement, de l’ordre de dix ans, est aujourd’hui trop long pour permettre que les financements soient assurés. Nous considérons que cette participation à l’investissement pour la recherche autour de nouvelles énergies propres et renouvelables doit non pas dépendre du libre arbitre des acteurs du secteur, mais bien être une obligation.
En quatrième préconisation, vous proposez de renforcer l’établissement de normes convergentes pour les deux systèmes de navigation aérienne : SESAR dans l’Union européenne et NextGen aux États-Unis. Il s’agit, pour ce qui concerne l’Europe, du volet technologique du ciel unique européen lancé sur l’initiative de la Commission européenne, finalisé en 2004 et révisé en 2009.
M. Roland Courteau, rapporteur. C’est exact !
Mme Cécile Cukierman. Nous ne contestons pas le bien-fondé d’une vision européenne de la gestion du trafic, mais nous regrettons que la réflexion ait été conduite concrètement et de manière concomitante avec une volonté de libéralisation, par la voie de l’externalisation d’un maximum d’activités liées à l’aviation. À nos yeux, un tel constat soulève de nombreuses questions en termes de sécurité et d’efficacité.
À ce sujet, le dernier rapport d’Eurocontrol montre que la régularité se dégrade depuis 2003 : plus de 18 % des vols en Europe accusent aujourd’hui des retards. Pour notre part, nous estimons qu’il faut reconnaître encore plus le rôle de la puissance publique dans ce secteur pour garantir la sécurité.
Le rapport aborde également la question du coût que représente pour les entreprises l’adaptation aux normes de sécurité. Il nous semble plutôt qu’il s’agit non pas d’un coût, mais d’un investissement nécessaire. Malheureusement, trop souvent, notamment ces dernières années, la sécurité est devenue la variable d’ajustement de la rentabilité dans le secteur aérien.
La sixième et dernière préconisation concerne les aéroports. Améliorer la fluidité et les services, ainsi que l’intermodalité, semble aujourd’hui une exigence. Cependant, au préalable, il est important de nous réinterroger sur l’intérêt de la privatisation de ces espaces pour privilégier le côté commercial. Nous estimons ainsi qu’il faudrait faire un bilan de l’ouverture du capital d’Aéroports de Paris depuis 2003, notamment au regard des bénéfices, réels ou supposés, qu’en auraient retirés les usagers.
Il convient également, et le Sénat s’en est ému, de revoir la proposition de la Commission européenne de réduire le seuil en deçà duquel l’État peut aider les aéroports régionaux. En abaissant ce seuil d’un million à 200 000 passagers par an, nous pouvons craindre la suppression de nombreuses lignes peu rentables, ou supposées telles, pour les compagnies aériennes et la fermeture d’un certain nombre d’aéroports français, entraînant de fait une surcharge des plus grands aéroports, ce qui ne va pas dans le sens de cette plus grande fluidité que vous appelez de vos vœux.
Le rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques suggère également de consacrer une forte attention à la formation des hommes. Bien évidemment, nous partageons ce souhait même si, avouons-le, il est difficile à concilier avec la logique concurrentielle qui vise à limiter les coûts du travail pour financer plus et mieux le capital, comme en témoigne la succession de plans sociaux dans les compagnies aériennes, notamment à Air France. Vous évoquez ainsi le renforcement de la formation en alternance : nous pensons pour notre part, sans faire de choix, que c’est l’excellence de la formation qui permettra aux personnels du secteur de remporter le défi de l’innovation dans un secteur où les emplois devraient augmenter, comme tout le monde s’accorde à le dire.
En conclusion, je voudrais évoquer ce qui nous semble essentiel. À nos yeux, résoudre l’équation de la compétitivité de l’aviation n’appelle pas que des réponses scientifiques et technologiques, même si elles ont leur importance. Aujourd’hui, permettre l’essor du transport aérien et sa viabilité à long terme doit conduire prioritairement les pouvoirs publics à remettre en cause la libéralisation du secteur.
Il s’agit en effet d’un secteur d’activité où, nous le savons, le dumping fiscal et social est particulièrement présent, comme le prouve le développement des compagnies low cost. À ce titre, la récente condamnation de Ryanair à verser 9 millions d’euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé doit nous amener à entamer une réflexion sur l’élaboration d’une législation plus sévère dans ce secteur. Un tel travail est d’autant plus nécessaire que la réalisation du plan Transform 2015 vise à permettre à la compagnie Air France de se repositionner sur les vols low cost, ce qui nous fait craindre une pression accrue sur les salaires et sur l’emploi.
Pour finir, je vous rappelle la grève, en juin dernier, des personnels de l’aviation civile qui dénonçaient « les futurs règlements européens concernant la navigation européenne [comme] une attaque directe contre le caractère de service public de ce secteur d’activité ». Selon les syndicats, ces règlements visent notamment « à externaliser et à mettre en concurrence des pans entiers de la gestion de la navigation aérienne ». Ils déploraient alors « un impact négatif sur la sécurité et une dégradation des conditions de travail des agents ».
Finalement, c’est quand même le modèle ultra-concurrentiel au sein de ce secteur qui met à mal la sécurité des usagers et des personnels, sans apporter de réponses aux grands défis pour l’aviation civile en termes de transition écologique et de sûreté.
Plutôt que la concurrence, mieux vaut la coopération entre les opérateurs nationaux et européens. Souvenons-nous : le lancement d’EADS et d’Airbus a été, à l’époque, l’illustration de cette logique de coopération et d’excellence. Il faut aujourd’hui promouvoir les nouveaux partenariats qui permettront à la France et à l’Europe de rester à la pointe de l’aviation civile. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, élu de Haute-Garonne, vous comprendrez que je dresse l’oreille, à l’instar de tous les Haut-Garonnais, quand on évoque le trafic aérien et l’industrie aéronautique.
À cet égard, je ne peux pas m’empêcher de rappeler devant vous que l’épopée de l’aviation commerciale a en grande partie commencé à Toulouse. Dois-je évoquer tous ces noms qui sont familiers à nos oreilles toulousaines : Latécoère, Daurat, Mermoz, Saint-Exupéry, et quelques autres ? Ce n’est pas si vieux, puisque cela remonte au début du dernier siècle.
Aujourd’hui, comme l’a dit Roland Courteau, l’aviation civile représente pas moins de 330 000 emplois directs dans notre pays, plus d’un million d’emplois si l’on y ajoute les emplois indirects.
Je tiens donc tout particulièrement à remercier notre excellent rapporteur Roland Courteau...
M. Roland Courteau, rapporteur. Merci ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Mirassou. … ainsi que Bruno Sido, président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ils nous donnent en effet l’occasion de revenir sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040 en évaluant le formidable bond en avant effectué depuis l’époque que j’évoquais tout à l’heure. Comme M. le rapporteur en a fait la démonstration, cette tendance ne se démentira pas d’ici à 2040.
L’enjeu est clair : il s’agit de préserver l’avance de la France et de l’Europe dans un domaine éminemment stratégique. Le rapport a le grand mérite de mettre en évidence la vitesse vertigineuse à laquelle se développent cette industrie et les compétences technologiques et scientifiques qui la soutiennent.
Avec l’Union européenne, nous sommes en pointe dans ce secteur. À ce sujet, plusieurs orateurs ont déjà évoqué l’aventure d’Airbus-EADS : on peut dire que cette société porte des gènes européens. Il ne s’agit donc pas d’une mince affaire, d’autant qu’il faut bien reconnaître qu’une concurrence mondiale acharnée nous impose son rythme.
Aussi, la devise d’Airbus est de se dire qu’elle doit toujours avoir un Airbus d’avance, notamment par rapport à la Chine. Tiendrons-nous ce pari ? C’est tout le mal que nous nous souhaitons collectivement !
La croissance explosive du secteur aérien et des performances aéronautiques est incontestablement, avec celle de l’Internet, celle qui a le plus sûrement façonné notre environnement économique actuel. Perdre du terrain ici reviendrait à renoncer à la capacité d’agir significativement sur un secteur structurant de l’économie mondialisée.
Il est donc capital de s’engager dans une démarche prospective, dont ce rapport est un outil essentiel, afin de mettre en œuvre une stratégie qui engage aussi bien les secteurs du transport aérien que de la production industrielle et de la recherche et développement.
Face au doublement prévu du trafic de passagers entre 2030 et 2040, la recherche scientifique, la valorisation et l’exploitation industrielle de ses résultats vont jouer, à l’évidence, un rôle prédominant.
Il va en effet falloir répondre à de nombreux impératifs déjà évoqués, tels que la baisse nécessaire de la consommation des avions en kérosène, l’amélioration de l’efficacité de la navigation aérienne, ainsi que la limitation des rejets de gaz à effet de serre dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Pour répondre à ces défis, comme le précise aussi le rapport, l’utilisation des matériaux composites permet notamment de réduire le poids des aéronefs.
Dans un autre registre, la mise au point et la production de biokérosène constituent un enjeu central. J’ajoute, dans le souci du détail, que l’on s’achemine très rapidement vers la mise au point de moteurs électriques couplés au train d’atterrissage qui permettront de couper les réacteurs de l’avion pour circuler sur le tarmac avant l’envol.
Mes chers collègues, vous le voyez, la recherche est en constant mouvement, ce qui est une bonne chose.
Au vu de ces défis et du caractère concurrentiel des marchés du transport aérien et de la production aéronautique, il nous faut prendre très sérieusement en compte leur évolution telle qu’elle se dessine pour les trente prochaines années.
En effet, nous parlons ici de secteurs extrêmement compétitifs qui imposent le déploiement de stratégies industrielles et commerciales de très long terme. Une fois ces stratégies choisies, une forme d’inertie empêche de rectifier le tir. Nous ne sommes donc pas simplement soumis à une obligation de moyens, mais presque à une obligation de résultat.
La lourdeur des investissements à consentir, les contraintes productives et commerciales rendent difficile, sinon impossible, toute réactivité dans la correction des trajectoires engagées.
Lancés sur leur erre – terme de navigation maritime –, les grands acteurs du secteur que sont EADS-Airbus, d’un côté, et Air France, de l’autre, jouent véritablement le devenir de filières de prestige reconnues à l’échelon mondial, qui sont capitales non seulement pour le standing, l’image de marque de notre pays, mais également pour son attractivité et l’avenir de notre industrie.
Nous le savons, ces deux géants industriels sont parfaitement identifiés comme faisant partie du patrimoine aéronautique de notre pays. Tout doit donc être mis en œuvre pour assurer leur pérennité, qui doit être considérée comme relevant de l’intérêt général.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, il s’agit donc d’un dossier politique qui justifie votre présence dans cet hémicycle aujourd’hui. Bien entendu, j’emploie le qualificatif « politique » au sens le plus littéral et le plus noble du terme.
J’en reviens à EADS-Airbus, dont la spécificité, faut-il vous le rappeler, est de compter l’État dans son actionnariat à concurrence de 14 %. Après le départ du groupe Lagardère, qui n’a pas été un partenaire très pertinent ni très actif, cette participation est déterminante pour permettre à l’État-stratège de continuer à jouer son rôle afin d’affronter les défis industriels que j’évoquais tout à l’heure.
Comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi, il faut se féliciter que la puissance publique soit également mobilisée sur la recherche, deux des trente-quatre plans de la « nouvelle France industrielle » présentés dernièrement par Arnaud Montebourg concernant spécifiquement le secteur aéronautique et spatial. Il s’agit notamment de la mise au point d’un avion à motorisation électrique. Une telle attention se justifie par le poids que représente ce secteur dans notre économie : je le répète, il est au premier rang des exportations, ce qui est une bonne chose par les temps qui courent.
Dans le même temps, le soutien à l’ONERA et au CORAC ne doit pas se démentir, bien au contraire.
En ce qui concerne la compagnie Air France, grande utilisatrice d’Airbus, à l’autre bout de la chaîne, elle est actuellement dans une passe difficile, victime, comme l’a indiqué Charles Revet, de la concurrence des compagnies low cost,…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. … qui utilisent trop souvent des artifices fiscaux leur permettant de lutter à armes inégales. Là aussi, il s’agit véritablement d’un dossier politique, mais qui doit être traité à l’échelon européen.
Par ailleurs, la compagnie Air France pâtit également de la concurrence des compagnies du Golfe, qui payent le carburant à bas prix, bénéficient d’aides étatiques et sont le plus souvent exonérées de taxes.
Voilà pourquoi Air France traverse une situation délicate. Pour autant, la présence de l’État dans son actionnariat devrait influer sur l’élaboration d’un projet stratégique et industriel lui permettant de redresser la tête. Il s’agit de jouer sur la qualité et d’éviter que le personnel ne soit pris comme une variable d’ajustement afin de regagner les marges perdues par la compagnie. Vigilance et action de l’État sont donc de mise.
Nous devons envisager la définition d’une politique qui permette la planification et la modernisation des infrastructures de transport de manière beaucoup plus générale, à l’échelon de notre territoire. Notre pays mérite d’être doté d’un véritable schéma national des infrastructures de transport, qui n’a toujours pas été mis en place malgré un certain nombre de tentatives.
Il est temps de développer l’intermodalité. Je pense, notamment, aux deux secteurs qui nous intéressent le plus : l’aviation et le rail, qui sont en corrélation directe. Disons-le haut et fort : le rail n’est pas l’ennemi du transport aérien, et vice-versa. Ces deux modes de transport doivent être présentés de manière complémentaire : on doit pouvoir prendre l’avion juste après avoir voyagé par rail, et réciproquement.
M. Roland Courteau, rapporteur. Exactement !
M. Jean-Jacques Mirassou. Certes, monsieur le ministre, le secteur du rail peut être en concurrence avec le secteur aérien, comme nous l’avons vu lors de votre récent déplacement à Toulouse au cours duquel vous avez favorisé la finalisation du tracé de la ligne à grande vitesse, la LGV, mais de grâce évitons toute diabolisation et n’opposons pas un mode de transport à l’autre !
Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il s’agira également de rationaliser l’implantation des plates-formes aéroportuaires en France, car certaines font double emploi. Dans le cadre du marché européen, il sera aussi possible de rationaliser leur fonctionnement.
De ce point de vue, la construction de la plate-forme de Notre-Dame-des-Landes est le fruit d’un travail technique et politique de longue date. J’ai la conviction que la décision difficile qui a été prise s’appuie sur des éléments objectifs tout à fait incontestables.
À Toulouse, il y a quelque temps, a surgi le spectre de la mise en place d’une deuxième plate-forme aéroportuaire. En l’occurrence, celle-ci ne se justifiait pas, car il a été clairement démontré que les capacités d’absorption du trafic de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, moyennant une adaptation et une modernisation, étaient suffisantes. Le projet a donc été repoussé, preuve que, quand les politiques se mêlent de ce qui les regarde, ils prennent généralement des décisions pertinentes, même si elles peuvent paraître impertinentes !
M. Roland Courteau, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. À l’époque, cette question avait fait l’objet un débat important en région toulousaine.
Pour conclure, puisque les rapports ont été parfaitement éclairants sur le plan technique, j’avais choisi délibérément, vous l’aurez tous compris, de mettre l’accent sur le rôle de l’État stratège et sur l’importance de la puissance publique dans les deux secteurs de l’industrie aérienne et du transport aérien.
J’ai la conviction, monsieur le ministre, que l’État stratège a eu, a et aura encore son rôle à jouer pendant de très longues années : il y va, je le répète, de l’intérêt général et de l’intérêt national. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous partagez mon point de vue. En tout état de cause, nous serons résolument à vos côtés pour mettre en œuvre ce qui est, selon moi, une véritable ambition nationale ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi à mon tour de saluer le travail dense et de qualité de M. le rapporteur,…