M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Jean-Claude Requier. Certainement pas ! L’aménagement du territoire, c’est permettre à tous les territoires d’avoir une activité économique, de participer à la production nationale de croissance et de créer de l’emploi, de la richesse et du bien-être pour leurs habitants.
M. Bruno Sido. Vous avez raison !
M. Jean-Claude Requier. Bien évidemment, les actes successifs de la décentralisation, le renforcement de la démocratie de proximité et l’accroissement des pouvoirs locaux ont contribué à maintenir et à nourrir cette diversité territoriale et cette activité. Toutefois, en dépit de ces efforts, les inégalités territoriales persistent en matière d’emploi, de revenus et, surtout, comme cela a été dit à plusieurs reprises, d’accès aux services publics.
Dans une conception globale du territoire, il est du devoir de l’État de venir en soutien aux bassins de vie les plus fragiles, les plus marginalisés, et d’organiser cette répartition. Que fait aujourd’hui l’État en ce sens, madame la ministre ?
Ce soutien et cette organisation intelligente du territoire nécessitent de s’appuyer sur l’ensemble des politiques publiques dont les financements doivent être mieux orientés et mieux répartis au plan national. Nous avons besoin de transversalité : toutes les politiques et tous les ministères doivent être mobilisés de façon cohérente, qu’il s’agisse des politiques économiques, éducatives, des politiques du logement, des transports, de la culture, ou encore des politiques de santé ou de sécurité.
Rendre les territoires attractifs, c’est permettre à toutes ces politiques de s’y déployer… depuis Paris et avec les collectivités et les acteurs locaux concernés !
Reprenant un sujet d’actualité, je souhaite évoquer plus longuement les inégalités que l’on rencontre dans notre système éducatif, puisque c’est le lieu où se conditionne la réussite scolaire et, par conséquent, l’insertion professionnelle.
L’enquête PISA de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, de 2012, qui évalue le niveau des élèves de quinze ans dans les pays membres et dont les résultats ont été publiés récemment, démontre que la France est le pays où le lien entre inégalités sociales et réussite scolaire est le plus inéluctable.
M. Claude Dilain. C’est exact !
M. Jean-Claude Requier. Or, nous le savons, les établissements scolaires en difficulté concentrent un plus grand nombre d’élèves d’origine sociale plus défavorisée.
Les zones d’éducation prioritaire, les ZEP, sont passées de 10 % du territoire en 1981 à 20 % aujourd’hui, sans que l’on constate d’amélioration. Un rapport de la Cour des comptes publié en mai 2013 soulignait l’absence de prise en compte efficace des besoins des élèves, le système d’affectation des enseignants ne permettant pas d’y répondre. La réforme du zonage prioritaire doit être engagée, notamment en lien avec celle de la politique de la ville, en veillant à prendre en compte les écarts qui existent au sein des académies. Il est donc nécessaire de rééquilibrer les interventions publiques en faveur des territoires oubliés.
La Charte européenne de l’autonomie locale, signée en 1985 et ratifiée par la France en 2006, prévoit dans son article 9 que « la protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent ». Dans l’esprit de cet article, et dans le cadre de la remise à plat de la fiscalité annoncée par M. le Premier ministre, il conviendra de veiller à ce que les dispositifs de péréquation soient moins complexes, plus lisibles, plus justes ou, pour le dire en un seul mot, comme Jacques Mézard, objectifs. (M. Bruno Sido approuve.)
Un autre chantier de simplification réside également dans l’adaptation des normes applicables aux collectivités territoriales. Ah, ces normes !... Les rééquilibrages passent par une politique nationale plus volontariste. J’ai eu, mes chers collègues, l’occasion de m’exprimer sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, qui s’inscrit au sein du réseau transeuropéen de transport, le RTE-T. Il est incontestable que les grands projets d’infrastructures de transport apportent une réelle plus-value en développant l’économie locale, l’emploi, les échanges de personnes et de marchandises, même s’ils doivent déranger quelques crapauds sonneurs à ventre jaune ou autres libellules. (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP.)
C’est dans le cadre d’une politique ambitieuse et cohérente que l’aménagement du territoire peut constituer un véritable levier de croissance agissant de manière structurelle. Nous regrettons que la place des infrastructures de transport y soit résiduelle. Oui, la situation de nos comptes publics est difficile, mais le temps est venu de donner un nouvel élan en adoptant une stratégie non fragmentée en faveur de l’égalité des territoires.
L’avis du Conseil économique, social et environnemental, publié en novembre dernier, préconise la préparation d’une loi-cadre et de programmation afin de mettre en œuvre une politique nationale d’aménagement du territoire.
En mai dernier, madame la ministre, votre ministère a diffusé un dossier de presse assez évocateur, dont la lecture m’a frappé. Un An d’action pour le logement et l’égalité des territoires, tel était son intitulé, dont on pouvait remarquer au passage qu’il inversait l’ordre de vos attributions… Faut-il y voir une inversion de l’ordre de vos priorités ? Je vous pose la question.
On peut aussi très légitimement s’interroger quand on voit, toujours dans ce dossier de presse, que les mesures portant sur l’égalité des territoires figurent dans la rubrique « Autres promesses de campagne », juste après la sous-rubrique « Hébergement d’urgence » !
Madame la ministre, mes chers collègues, il est plus que temps pour l’État de proposer une vision de la France marquée par le principe républicain de l’égalité de nos territoires. L’État doit réinvestir pleinement cette question et assumer ses responsabilités. Les élus locaux, comme les Français de la ruralité et de l’hyper-ruralité, si chères à notre collègue Alain Bertrand, attendent des décisions fortes et concrètes du Gouvernement réaffirmant leur appartenance totale et entière à la République. Car, dans ce domaine, le doute n’est pas permis ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – MM. Jean-Louis Carrère et Bruno Sido applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an, en décembre 2012, nous débattions ici même de la réforme de la politique de la ville ainsi que, quelques jours plus tard, d’une proposition de résolution du groupe RDSE relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires. Les constats que nous faisions alors sont évidemment toujours d’actualité, et nous nous réjouissons que le Gouvernement tout comme les groupes de la majorité n’aient pas oublié leurs bonnes résolutions.
Il est d’autant plus urgent d’agir que les élections municipales approchent et que, comme je l’avais dit en 2012 dans cet hémicycle, certains de nos concitoyens des quartiers sont déjà déçus de la gauche. C’est bien l’abstentionnisme qui risque d’être, au printemps, dans ces quartiers, le véritable parti gagnant. Hélas ! Beaucoup ont la rage au cœur. Une rage qui pourrait bien alimenter le repli communautaire ou religieux, peut-être pire encore que les violences ou les émeutes, lesquelles, au moins, expriment quelque chose et cherchent à faire réagir la société globale.
M. Claude Dilain. C’est vrai !
Mme Esther Benbassa. Une rage, aussi, sur laquelle l’extrême droite pourrait finalement surfer, comme elle sait si bien le faire. (M. Claude Dilain acquiesce.)
En juillet 2012, la Cour des comptes constatait que, en dépit des efforts réalisés par un grand nombre d’acteurs et des résultats obtenus par le programme national de rénovation urbaine, les handicaps dont souffrent les quartiers ne s’étaient pas atténués. Elle attribuait la responsabilité de cette situation aux dysfonctionnements dans la coordination ministérielle et dans la coopération entre l’État et les collectivités territoriales.
Le rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles de 2012 insiste, quant à lui, sur les écarts persistants entre ce qu’il est convenu d’appeler « les quartiers » et le reste des unités urbaines.
Dans « les quartiers », la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté – 964 euros mensuels – est passée de 30,5 % en 2006 à 36,1 % en 2010, alors qu’il est passé dans le même temps de 11,9 % à 12,6 % en dehors de ces quartiers. La pauvreté touche particulièrement les jeunes. En 2009-2010, près d’un jeune de moins de 18 ans sur deux vivait en dessous du seuil de pauvreté dans ces quartiers, tandis que 40,7 % des jeunes y sont au chômage. Le taux de chômage des seniors, lui, n’a pas cessé non plus d’augmenter depuis 2008, pour atteindre 14,9 %. Même tableau du côté des femmes : moins d’une femme âgée de 25 à 64 ans sur deux occupait, en 2011, un emploi.
Et je ne parlerai pas ici de l’échec scolaire, du désert culturel, des transports, de l’habitat, de la santé, ni de l’impact des discriminations liées à l’origine, à la nationalité ou à la couleur de la peau.
Dans le cadre de ce débat, comme de celui que nous aurons bientôt, il me semble nécessaire de rappeler les orientations qui doivent présider à nos réflexions comme à nos actions.
Les habitantes et habitants des quartiers doivent être considérés comme une richesse et mis au cœur de la politique de la ville. Ils doivent voir leur pouvoir d’agir renforcé et être des acteurs de la transformation de leurs quartiers.
M. Claude Dilain. Bravo !
Mme Esther Benbassa. Dans leur rapport, Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache indiquent qu’il s’agit là d’un enjeu politique et appellent à faire de la chose politique un enjeu partagé, à faire émerger de nouveaux responsables politiques, à en diversifier les profils, à réinventer la démocratie.
La lutte contre les stigmatisations et les discriminations dont ces habitantes et habitants sont victimes doit être implacable. Les auteurs du rapport que je viens de mentionner dénoncent la montée de l’islamophobie qu’a alimentée le débat sur le port du voile et qui, en soi, ne peut qu’exacerber des formes de repli communautariste, radicaliser les discours et créer les bases d’affrontements stériles.
Il est nécessaire de faire converger les politiques de droit commun de l’État et des collectivités locales sur les quartiers, en territorialisant une action publique jusqu’ici définie « d’en haut ».
Il est nécessaire de réunir à nouveau l’urbain et le social dans un projet global.
Il est nécessaire de contractualiser à l’échelle de grands territoires, pour mieux organiser la solidarité.
Une politique d’empowerment s’impose, qui s’accompagnerait d’une intensification des politiques publiques coélaborées et s’appuyant sur les initiatives citoyennes.
Il faut changer l’image des quartiers et faire évoluer le regard que les médias nationaux portent sur ces quartiers et leurs habitants.
M. Jean-Claude Lenoir. Il y a du boulot !
Mme Esther Benbassa. Aucune réforme ambitieuse, pourtant, ne se fait sans moyens, et il convient ici de se les donner, faute de quoi nous aurons irrémédiablement failli à notre mission républicaine.
Le débat d’aujourd’hui est donc nécessaire et le groupe écologiste se félicite que le projet de loi sur la politique de la ville et la cohésion urbaine soit examiné la semaine prochaine par notre assemblée, même s’il ne s’inspire pas vraiment, semble-t-il, des recommandations les plus marquantes du rapport Bacqué-Mechmache, commandé pourtant par M. le ministre délégué chargé de la ville.
Si nous partageons certaines des préoccupations sous-tendant ce projet de loi et si nous saluons les quelques avancées qu’il comporte, nous resterons vigilants quant aux moyens alloués à la réforme en cours et déposerons des amendements pour que cette réforme ne devienne pas le énième plan Marshall des banlieues, mais au contraire pour que la démarche de la politique de la ville soit inversée et que l’on passe, comme le rapport Bacqué-Mechmache le préconise à juste titre, d’une logique administrative et politique impulsée d’en haut à une dynamique partant des habitants des quartiers populaires et de leur pouvoir d’agir. Nous y reviendrons la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ce n’est point à rompre l’unité française que travaillent les décentralisateurs : autre est leur but... Ils ont la prétention d’obtenir que la province, où vivent les quatorze quinzièmes de la population de l’Empire ne soit plus en tout et toujours la très humble tributaire de Paris ; que les citoyens soient quelque chose et que les fonctionnaires cessent d’être tout. »
Il s’agit là d’un extrait d’un « projet de décentralisation » datant de 1865, qui eut quelque retentissement et suscita notamment de nombreux débats sur la décentralisation. Ce projet, qui prônait une décentralisation fondée sur la libre administration des collectivités, prit le nom de programme de Nancy. Nancéien je suis, Lorrain je reste ! Il est toujours bon de rappeler ses origines pour mieux asseoir ses convictions.
Près d’un siècle et demi plus tard, l’actualité de ces remarques fait frémir : « que les citoyens soient quelque chose », quel que soit leur lieu d’habitation, dans nos villes ou nos villages…
Car ce débat relatif à l’égalité des territoires, avant même de concerner l’espace, concerne d’abord les personnes, car il porte sur l’égalité des chances et sur l’égalité des droits économiques et sociaux, consacrée par la Constitution de 1946. Quel que soit son lieu de vie, l’égal accès à un certain nombre de services doit être garanti à chacun.
L’organisation de notre débat, un an après la résolution sénatoriale relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires, trois mois après la résolution adoptée par l’Assemblée nationale pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, montre bien que, quelle que soit l’acuité du sujet, ces résolutions sont malheureusement peu suivies d’effets.
De fait, malgré l’existence d’un ministère de l’égalité des territoires, la fracture territoriale s’aggrave. Je ne vais pas reprendre la litanie des écarts qui se creusent en matière d’accès aux services, qu’il s’agisse de la téléphonie mobile dans de très nombreuses communes, généralement rurales, de l’absence du haut et du très haut débit, comme l’a rappelé Hervé Maurey, ou encore de la question majeure des mobilités, qui touche à la fois aux besoins de nos concitoyens et aux grandes infrastructures routières, ferroviaires et fluviales.
Au-delà des mots, ce sont nos concitoyens qui, dans leur vie personnelle, familiale, professionnelle et dans leurs multiples activités de loisirs, souffrent de ces situations.
Notre débat intervient par ailleurs en préambule de l’examen de deux projets de loi importants : le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, qui sera débattu en janvier, et le deuxième tome de la réforme de la décentralisation, qui traitera de la déconcentration de l’État dans les territoires. Hélas, je doute fort que ce dernier projet, divisé en trois tomes, puisse être le garant de l’équité entre tous les territoires... Du reste, en divisant son projet en trois tomes, le Gouvernement consacre clairement la division entre les territoires.
On peut se demander quelle a été son action pour réduire les inégalités entre nos territoires. Certains sont allés jusqu’à dire, madame la ministre, au mois de novembre, que ce gouvernement n’aimait pas la ruralité ; je dirais plutôt qu’il ne donne que trop peu de preuves d’amour au monde rural.
Comment, en effet, pourriez-vous mener une politique d’égalité des territoires alors que vous ne vous interrogez pas sur l’impact des politiques de droit commun dans les territoires ? L’inflation normative sera-t-elle le fossoyeur de nos villages ? Rappelons-nous que la moitié des communes françaises comptent moins de 400 habitants. Comment peuvent-elles suivre ?
Je prendrai un exemple tiré de l’actualité : la réforme des rythmes scolaires. Dire, comme on peut le lire sur le site du ministère de l’éducation nationale, que cette réforme est égalitaire car elle va permettre à quatre enfants sur cinq, au lieu d’un sur cinq, d’accéder à une activité périscolaire, est un mensonge et témoigne d’une profonde méconnaissance de la France et de ses communes. En effet, de nombreuses communes rurales n’ont pas de locaux pour organiser correctement une activité périscolaire. En outre, les activités périscolaires seront le plus souvent payantes. Certaines communes ne peuvent même pas proposer de cantine aux jeunes enfants !
M. Jean-Louis Carrère. Dans les Landes, on peut !
M. Jean-François Husson. Si c’est le cas dans toutes les communes, bravo !
Comment parler d’égalité des chances quand des enfants de trois ans font parfois jusqu’à deux heures de transport public par jour pour aller à l’école ?
M. Jean-Louis Carrère. C’est faux ! Vous faites de l’idéologie !
M. Jean-François Husson. Mon cher collègue, ce n’est pas du Zola, c’est une réalité !
M. Jean-Louis Carrère. Non, c’est de l’idéologie ! Mais c’est votre droit !
M. Roland Courteau. Jean-Louis Carrère a raison !
M. Jean-François Husson. Je vous invite à venir dans mon département, comme l’a d’ailleurs fait Mme la ministre. Au reste, ce département ne doit pas être si mal administré que cela à vos yeux puisque, depuis 1998, il est dirigé par l’un de vos amis.
En Meurthe-et-Moselle, plus de 80 % des communes participent à un regroupement pédagogique intercommunal et près de 40 % des communes participent à un regroupement pédagogique dispersé. Dès lors, les problématiques de transport scolaire se surajoutent pour rendre le problème quasi insoluble. C’est la réalité mise en avant par les quelque deux cents maires que j’ai interrogés dans le cadre de la mission sénatoriale ; entendez-les !
Plus grave : faute de pouvoir proposer un accueil périscolaire de qualité, de nombreux maires craignent de subir demain de nouvelles fermetures d’écoles, qui s’ajouteraient à la cure d’amaigrissement imposée par la baisse significative des dotations d’État. Ce serait la double peine !
M. Jean-Louis Carrère. Quelle dialectique !
M. Jean-François Husson. L’éducation fait pourtant partie des missions régaliennes de l’État, et l’école est l’un des principaux vecteurs, voire le premier vecteur de l’égalité des chances. La réforme des rythmes scolaire démontre que, en se voilant la face sur la situation réelle des communes, on creuse encore les inégalités.
Madame la ministre, vous me direz que cette réforme n’est pas la vôtre. C’est vrai, mais c’est peut-être l’un des problèmes.
M. Jean-Louis Carrère. En tout cas, cette réforme est la nôtre, et nous y tenons !
M. Jean-François Husson. L’égalité des territoires n’est pour l’instant qu’un affichage gouvernemental. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Existe-t-il une coordination interministérielle en matière d’égalité des territoires ? Non. Votre ministère est-il associé à toutes les décisions ayant un impact sur les territoires ? Manifestement non.
M. Jean-Jacques Mirassou. Qu’est-ce que vous en savez ?
M. Jean-François Husson. L’intitulé de votre ministère était pourtant porteur d’espoirs. De plus, je sais que vous êtes en mesure d’entendre la voix des territoires puisque vous étiez, il y a quarante-huit heures, dans le nord de la Meurthe-et-Moselle. Chez notre collègue Évelyne Didier, vous avez pu prendre le pouls de ces élus qui sont parfois proches de la résignation. Ils constatent en effet que, sous couvert d’un égalitarisme de façade, les différences se creusent à leurs dépens.
Il faut donc remettre l’équité, correctrice des excès de l’égalitarisme, au cœur de l’action politique. La péréquation financière horizontale amorcée par le gouvernement de François Fillon doit être prolongée. Elle l’est ; poursuivons donc dans cette voie !
Madame la ministre, je vous soumets des pistes de réflexion, dans l’espoir qu’elles permettront de bâtir des solutions d’avenir.
Les communes rurales ne bénéficient que trop peu, voire pas du tout, des aides au logement social, ce qui nuit autant à leur développement qu’à leur attractivité. Que proposez-vous ? Comme vous l’avez déclaré, « les territoires ruraux n’ont pas vocation à se transformer en espaces récréatifs ou décoratifs ». Nous avons assurément besoin de leur dynamisme.
En se présentant comme attractifs, porteurs de solidarité et de qualité de vie, les territoires ruraux prendront toute leur place dans l’espace national dès lors que celui-ci ne sera plus perçu de manière binaire, mais appréhendé comme un ensemble de territoires en réseaux qui s’enrichissent mutuellement. Les liens, les réseaux entre les territoires doivent être notre priorité. Il nous faut consolider l’armature du territoire national, soutenir et accompagner les agglomérations, moteurs de notre développement, et revitaliser les bourgs-centres pour qu’ils participent à la dynamique globale et la diffusent dans les villages qui les entourent. Là encore, l’équité doit primer.
Avec la loi SRU – loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains –, l’État a confié aux territoires les réflexions en matière d’urbanisme de projets. Il arrive parfois que les régions n’assument pas pleinement leur rôle dans le cadre des schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire. Les SCOT – schémas de cohérence territoriale – représentent un outil utile et pertinent mis à la disposition des élus, à condition qu’ils recouvrent des périmètres suffisamment larges, permettant de prendre une certaine hauteur, au-delà des « prés carrés » de chacun ; ils sont alors la bonne échelle de réflexion prospective.
Cette matière nouvelle qu’appréhendent aujourd’hui les élus a engendré une demande croissante en matière d’ingénierie, qu’il est, je le souligne, de la responsabilité de l’État d’accompagner, tant en matière de ressources humaines, du fait des compétences de ses services déconcentrés, que par ses dotations, exceptionnelles ou incitatives.
M. Claude Bérit-Débat. Vous êtes amnésique !
M. Jean-François Husson. Vous le savez, madame la ministre, je suis disposé à faire des propositions concrètes sur ce sujet ; je vous l’ai indiqué il y a quarante-huit heures. Je suis actuellement président d’un SCOT qui touche à son terme. Ce SCOT est assez particulier dans la mesure où le département de Meurthe-et-Moselle en compte deux ; c’est le seul département « bi-SCOT » de France. (Rires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bon !
M. le président. C’est craquant ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-François Husson. C’est peut-être craquant, monsieur le président, mais cela représente un travail énorme, qui a duré six ans et a mobilisé les élus de 476 communes et 30 intercommunalités– 20 aujourd'hui. Ce SCOT avait été adopté à l’unanimité – je tiens à le dire dans cette enceinte qui représente les territoires de France –, au-delà des clivages entre villes et villages, droite et gauche, grands et petits.
M. Jean-Louis Carrère. C’est pour cela que vous devriez être optimiste !
M. Jean-François Husson. Nous avons adopté un pacte, que je vous ai remis, madame la ministre. Ce pacte constitue la véritable feuille de route de notre action à venir ; il est le fruit de deux ans de travail. C’est bien cela, un pacte : le résultat d’un travail collaboratif de qualité, et non un engagement décrété unilatéralement.
Au-delà des mots, qui peuvent être trompeurs, ce que nous attendons, et ce que nous vous demandons solennellement, madame la ministre, parce que les Français l’exigent, ce sont des actes.
Vient d’être créé le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA ; je salue cette création. Vient également d’être annoncée la création du Commissariat général à l’égalité des territoires. Nous prenons acte de cette volonté de regroupement, qui permettra, je l’espère, une meilleure articulation, une meilleure coordination de vos actions.
M. Jean-Louis Carrère. Il est temps de conclure !
M. Jean-François Husson. Rassurez-vous, mon cher collègue, Jean-Claude Lenoir ajustera son temps de parole en fonction du mien.
Ce qui ne manque pas de nous inquiéter, c’est que, à regarder de près les lignes budgétaires actuelles, on constate que les moyens financiers qui peuvent être actionnés sont fortement réduits. Madame la ministre, comment pouvez-vous prétendre mener une véritable politique de développement favorisant la dynamique et la cohésion territoriales alors que vous réduisez à la fois les moyens humains et les moyens financiers ? Vous asséchez les collectivités locales en diminuant leurs dotations. Hier, vous avez dénoncé un effet de ciseaux en matière d’allocations de solidarité ; pour ma part, je dénonce aujourd'hui un coup de poignard dans le dos des collectivités locales.
M. Roland Courteau. Quelle exagération !
M. Jean-François Husson. C’est ce que les élus ressentent parce qu’ils le vivent au quotidien. Madame la ministre, entendez la voix de cette France qui gronde mais qui a pourtant envie d’agir. Entendez celles et ceux qui continuent à vouloir entreprendre afin de participer au sursaut indispensable pour redresser notre pays.
M. Jean-Louis Carrère. Pas en matière de rythmes scolaires !
M. Jean-François Husson. Aujourd'hui, vos choix politiques brident cette belle ambition ; je le regrette. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les problématiques d’aménagement des territoires sont régulièrement prises en compte dans notre pays, mais c’est la première fois qu’un gouvernement fait de la lutte pour l’égalité territoriale une priorité. Sa traduction sur le terrain est attendue par nombre de nos concitoyens.
Le Président de la République, dont c’était l’un des thèmes de campagne, a confirmé cette priorité par la mise en place d’un ministère – le vôtre, madame la ministre – chargé de promouvoir l’égalité des territoires. Plus récemment, le Premier ministre a réaffirmé devant les maires de France son engagement dans la lutte contre la fracture territoriale. Cette ambition est d’autant plus nécessaire que les politiques publiques conduites depuis quelques années ont abouti au démantèlement des services publics et ont accru les inégalités entre nos communes, nos départements et nos régions. Ce phénomène a, en outre, été amplifié par la crise économique.
L’accès aux services publics en général – à la santé, à l’emploi, à l’éducation, à la formation, au logement ou encore aux transports – est devenu très difficile dans les territoires ruraux, où l’isolement accentue le sentiment de relégation et d’abandon. La question de l’égalité est donc une priorité pour nos territoires. Cette question est cependant complexe, parce qu’elle couvre un large champ d’interventions et parce que nos territoires ont profondément évolué.
Les espaces ruraux, qui ne sont pas homogènes, ont connu ces dernières années de nouveaux mouvements de population, et les trois quarts d’entre eux sont aujourd'hui sous l’influence des villes. Ceux qui sont proches d’une zone urbaine subissent une forte pression foncière ; ceux qui en sont très éloignés cumulent les difficultés économiques et sociales. La population rurale est vieillissante, et les territoires ruraux accueillent de nouveaux habitants à faibles revenus, et donc fragiles socialement. Souvent dispersée, la population rurale attend pourtant le même niveau de services au public que la population urbaine.
Pour répondre à ces défis, le Gouvernement a lancé un chantier en confiant plusieurs missions à des personnalités qualifiées, dont les rapports viennent s’ajouter aux travaux parlementaires. Il est désormais impératif de préparer une loi-cadre et de programmation sur l’égalité des territoires et de fixer des orientations sur le long terme.
Madame la ministre, vous avez également décidé de créer le Commissariat général à l’égalité des territoires, qui regroupera trois services existants. Cette structure administrative devra organiser concrètement la lutte contre la fracture territoriale, en rapprochant les territoires ruraux, urbains et périurbains et en mobilisant plus efficacement les acteurs publics au service de l’égalité entre les territoires. En effet, l’approche a jusqu’alors été essentiellement sectorielle, et de surcroît très complexe, avec entre autres la multiplication des zonages et des normes.
Aujourd’hui, les élus demandent non seulement une simplification des outils et une attention particulière à l’interdépendance des territoires, mais aussi une analyse plus fine des besoins de leurs territoires – à l’échelle des bassins de vie, pour plus de cohérence – et une meilleure adaptation à chaque situation spécifique.
J’illustrerai mon propos par l’exemple du département du Nord. Dans le souci d’adapter ses interventions aux besoins territoriaux, ce département, premier partenaire des communes à travers sa politique volontariste d’aménagement du territoire, s’est engagé voilà trois ans dans une démarche de contractualisation avec chaque bassin de vie. Cette démarche se traduit par un diagnostic des besoins et une concertation étroite avec l’ensemble des acteurs à l’échelle intercommunale et communale pour développer de véritables projets de partenariat favorisant l’égalité et rompre ainsi avec la logique de guichet.
Aujourd’hui, les élus locaux appellent de leurs vœux l’extension de cette démarche innovante de mutualisation des moyens à l’échelle des politiques de la région et de l’État, sans négliger le rôle des fonds européens.
Par ailleurs, il est souhaitable que le Commissariat général à l’égalité des territoires prenne sans tarder des mesures en faveur de l’accessibilité des services au public, car, face à la montée de plus en plus marquée des comportements qui menacent les fondements de la République, la présence et l’accessibilité des services publics constituent une préoccupation majeure pour nos concitoyens et un enjeu essentiel pour l’attractivité de nos territoires, en particulier dans les espaces ruraux isolés.