M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Claude Dilain, rapporteur. Le rapporteur est dans une situation délicate !
À titre personnel, je comprends la position de Mme Benbassa, qui l'avait déjà exprimée en première lecture du projet de loi ALUR. Il avait été dit, alors, que la question serait abordée dans le cadre du présent projet de loi.
L’article 432-7 du code pénal laisse véritablement un vide juridique, que la chambre criminelle de la Cour de cassation a d'ailleurs bien relevé et qu’il convient de combler. Je suis donc personnellement favorable à l'amendement et c'est la position que j'ai défendue hier soir en commission.
Toutefois, mon rôle de rapporteur m’oblige à défendre ici la position inverse, car la commission s'est exprimée très largement contre cet amendement. Le président de la commission me souffle qu’elle l’a fait « unanimement » ; il me concédera que cette unanimité a néanmoins souffert une exception : celle de ma voix ! (Sourires.) Il reste que j'ai été battu par l’ensemble des autres membres de la commission, toutes tendances politiques confondues, ce qui va peut-être me permettre d’entrer dans le Livre des records ! (Nouveaux sourires.)
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Lamy, ministre délégué. Monsieur le rapporteur, je vais vous rejoindre sur le chemin de croix ! (Nouveaux sourires.)
La question soulevée par Mme Benbassa et, en son temps, par M. Vandierendonck est tout à fait réelle. Je connais les deux arrêts de la Cour de cassation dans lesquels celle-ci n’a pas jugé nécessaire de sanctionner l’usage discriminatoire du droit de préemption par des élus, bien que cet usage soit évidemment inapproprié.
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. François Lamy, ministre délégué. Je rappelle que ce droit doit servir à un élu pour mettre en œuvre des projets municipaux. Mais il arrive qu’un maire préempte un bien – quitte à le revendre par la suite – dans le seul objectif de bloquer l'acquisition par telle ou telle personne. Cela constitue bien une dérive.
M. Christian Cambon. Il existe des voies de recours !
M. François Lamy, ministre délégué. Certes, monsieur le sénateur, mais les deux arrêts de la Cour de cassation ne permettent malheureusement pas de faire reconnaître de telles pratiques comme discriminatoires. Or elles le sont et la loi doit donc préciser qu’une sanction est possible.
Mme Benbassa l’a dit, ce n’est pas le droit de préemption qui est remis en cause par cet amendement, c’est uniquement son utilisation à des fins discriminatoires. Je ne parviens pas à penser qu’un élu de la République admette qu’un maire agissant de la sorte puisse ne pas être sanctionné.
M. Jean-Jacques Mirassou. C'est quand même rarissime !
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.
M. René Vandierendonck. Je vais essayer de dépassionner le débat en le situant au niveau du vécu d'un maire.
On a l’habitude de qualifier de « populaires » les quartiers auxquels s'applique la politique de la ville. Quand il s’agit d’une ville qui a été marquée par les mutations profondes de l'industrie textile, qui a non seulement « tissé » la ville, mais qui l'a aussi « métissée », le maire a la fierté – cela a toujours été mon cas – de compter un grand nombre de concitoyens d'origine magrébine parmi ses administrés.
Depuis hier, on parle beaucoup de l'observation et de l'évaluation de la politique de la ville. Celle-ci a donné lieu à d’innombrables études sociologiques. Mais personne ne s'est jamais intéressé à ce que devenaient les personnes concernées après qu’elles ont quitté ces quartiers dits « populaires ». Or cela modifierait complètement le regard que l’on porte sur la politique de la ville…
Sur la durée d'un mandat municipal, ce sont environ 30 % à 40 % des habitants de ces quartiers qui les quittent. Et personne n’est capable de dire où ils vont ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve) On est capable de me démontrer, à moment t, l'accentuation de la pauvreté, mais jamais de me dire où sont allés les anciens pauvres…
Un autre déclic ferait changer le regard sur la politique de la ville, c’est la reconnaissance du détournement de l'exercice du droit de préemption. Ce détournement n’est l'apanage d'aucun camp politique : je ne fais pas de procès à qui que ce soit, je sais que les valeurs humanistes sont partagées.
Force est de reconnaître qu’il se trouve des élus pour s'autoriser à exercer ce droit contre des personnes dont les noms présentent certaines consonances et qui sont présumées créer des difficultés de voisinage. C’est une réalité et, comme toujours, ce n’est pas en la niant qu’on réglera le problème !
S’agit-il de pénaliser, de créer une incrimination supplémentaire et donc de rendre la tâche des maires encore plus rude ? Absolument pas ! L'article L. 432-7 du code pénal punit d'ores et déjà les discriminations commises à l'égard des personnes physiques ou morales par des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public. Deux hypothèses sont visées dans le code pénal : le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi et l'entrave à l’exercice normal d’une activité.
Comme l'ont dit le rapporteur et le ministre, le problème vient de ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas jugé que l'exercice détourné du droit de préemption était susceptible d'entrer dans le champ du délit de discrimination tel qu’il est aujourd'hui visé dans le code pénal.
Vous me direz que cette situation est banale, qu’une personne ainsi lésée n’est pas sans recours… Certes ! Mais il faut qu’elle aille devant le tribunal administratif, qu’elle attende l'annulation de l'arrêté pour détournement de pouvoir et peut-être qu’un jour – deux à quatre années plus tard ! –, dans une instance de plein contentieux, elle aura une chance d'obtenir une condamnation… (Mme Nathalie Goulet approuve)
Est-ce ainsi que l'on honore ce principe de non-discrimination que nous proclamons tous ? Je rappelle que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » : c’est peut-être la plus belle phrase de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !
Ce qui est demandé ici, c'est de pouvoir sanctionner pénalement l'exercice détourné du droit de préemption. Naturellement, s'agissant d’une incrimination pénale, l'élément intentionnel devra être préalablement démontré.
Je plaide donc, mes chers collègues, pour que vous examiniez et tranchiez cette question une fois pour toutes, parce que la discrimination correspond tout de même à une réalité profonde de la vie de ces quartiers et elle lèse avant tout ceux qui veulent s'en sortir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Cet amendement me paraît extrêmement séduisant, mais je crois qu’il peut aussi se révéler très dangereux par ses conséquences.
Les discriminations peuvent viser bien d’autres caractéristiques qu’ethniques ou raciales.
MM. Christian Cambon et Jean-Claude Lenoir. Bien sûr !
M. François Fortassin. Pour prendre mon exemple personnel, quand j’étais adolescent, j’avais le sentiment de faire l'objet de discriminations de la part de certains professeurs… tout simplement parce qu'ils ne me mettaient pas de bonnes notes ! Mais c’est sans doute que je ne les méritais pas ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. Oh oui, c'est certainement l’explication ! (Nouveaux sourires.)
M. François Fortassin. Aujourd'hui, si le maire exerce son droit de préemption sur un terrain que je possède, je pourrai toujours arguer que je fais l'objet d'une mesure discriminatoire parce que j’ai eu avec lui une altercation quelques semaines auparavant…
M. François Fortassin. Comment cela, monsieur le ministre ? Une discrimination reste une discrimination. Il n’y a pas deux définitions du mot !
Il me semble que, si cet amendement est adopté, de telles difficultés pourront se présenter. Si nous sommes tous d’accord pour considérer que les pratiques discriminatoires dans l’exercice du droit de préemption posent de véritables problèmes, nous devons néanmoins prendre garde à ne pas ouvrir la voie aux dérives assez dangereuses que je viens de décrire.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Le sujet est extrêmement délicat. Je suis d’accord pour dire que des utilisations abusives du droit de préemption peuvent se rencontrer. Mais je rappelle que, pour qu’un maire puisse préempter, la ville doit avoir un projet, et un projet connu de longue date, non pas sorti l'avant-veille d’un chapeau.
Par ailleurs, dès lors que l'on demande aux villes soumises à l'article 55 de la loi SRU de bâtir, elles doivent constituer de la réserve foncière, ce qui peut aussi les conduire à préempter. Certes, peut toujours se poser la question de savoir pourquoi on préempte telle parcelle plutôt que telle autre…
Je comprends l'intention de notre collègue Esther Benbassa. Cela étant, comme je l'avais dit lors de l'examen du projet de loi ALUR, il existe un moyen très simple de faire en sorte que cette question de la discrimination ne se pose plus jamais : « anonymiser » la déclaration d'intention d'aliéner.
M. Jean-Claude Lenoir. C'est déjà possible !
M. Philippe Dallier. Il suffit d'inscrire dans les textes que les notaires ne doivent transmettre à la collectivité locale que les références de la parcelle, sans noter le nom de l'acheteur, et le problème sera réglé !
Utiliser le droit de préemption, pour le maire, c'est déjà une source de difficultés : cela mécontente toujours le vendeur, surtout si l'on n’achète pas au prix qu’il souhaite, cela mécontente évidemment l'acheteur, qui voit lui échapper un bien qu’il convoitait ; bref, cela mécontente plein de monde… Constituer de la réserve foncière est souvent mal vu, surtout si c’est pour construire.
Le droit de préemption est effectivement un outil au service des maires, mais un outil délicat à manier. Si le maire doit, de surcroît, prendre de multiples précautions et craindre chaque fois que l’acheteur ne le traîne devant le tribunal, avec cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende à la clé, cela va devenir très compliqué !
Faisons donc disparaître la possibilité de la discrimination en anonymisant la déclaration d’intention d’aliéner ! C’est très simple, monsieur le ministre : dès lors que les notaires ne transmettent plus le nom de l’acquéreur, le maire ne peut plus juger que sur l’intérêt pour sa collectivité d’acheter la parcelle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Nous avons eu un débat très animé, hier, en commission, à l’issue duquel le présent amendement a été rejeté à la quasi-unanimité, ce qui n’est tout de même pas si fréquent.
Je n’insiste pas sur le fait que le droit de préemption est strictement encadré : cela a été amplement démontré. Je souhaite simplement souligner que le notaire qui transmet la déclaration d’intention d’aliéner n’est pas tenu de désigner le candidat à l’acquisition. Ainsi, aujourd'hui, toute personne qui craint une suspicion de discrimination peut procéder à l’acquisition sans dévoiler son identité.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec notre collègue Philippe Dallier. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Il importe en effet de veiller à ce que l’exercice du droit de préemption ne devienne pas si risqué que certains maires ne l’emploient plus. Les élus locaux le savent bien, la mise en œuvre du droit de préemption suscite des mécontentements et des pressions.
Il peut aussi arriver que l’on soit amené à préempter pour de très bonnes raisons des terrains dont les propriétaires se trouvent avoir des noms à consonance étrangère, laissant présumer qu’ils sont originaires d’un pays musulman : j’ai été ainsi confrontée au cas de marchands de sommeil possédant des terrains qui ont été préemptés afin de préserver l’intérêt général.
M. Gérard Larcher. La rénovation d’un quartier, par exemple !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si le maire peut être suspecté de discrimination, je vous garantis que ces personnes utiliseront systématiquement cet argument pour contester la préemption ! Ces marchands de sommeil auxquels j’ai eu affaire sont systématiquement venus dans mon bureau pour m’accuser de racisme ! Je ne crois pourtant pas être particulièrement suspecte à cet égard ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Si cette disposition avait existé, j’en suis sûre, ces personnes, qui sont souvent très bien conseillées sur le plan juridique, n’auraient pas manqué, chaque fois, de me traîner devant le tribunal !
Pour ma part, je considère que certains outils, en particulier l’anonymat, permettent de garantir l’absence de discrimination.
Mme Valérie Létard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. En cette période un peu troublée où les discours extrémistes et racistes se font entendre sans vergogne, où les « bananes » et les « quenelles » pleuvent sur notre vie publique, deux précautions valent mieux qu’une. C’est pourquoi je soutiendrais volontiers à la fois l’anonymat et l’amendement d’Esther Benbassa. Il faut en effet que nous réglions ces questions une fois pour toutes.
À l’heure où la société française rencontre bien des problèmes, il est de notre devoir de montrer que le Sénat peut contribuer à les régler par des dispositifs simples, dont la motivation est claire. Si cet amendement n’est pas nécessaire parce qu’existe la possibilité de l’anonymat, tant mieux. Mais si cette disposition est nécessaire pour empêcher les détournements qui ont été évoqués, autant l’insérer dans le véhicule législatif approprié, et c’est le cas de celui-ci. Il ne pourra pas nous être objecté aujourd'hui que cet amendement est formidable, mais qu’il faudra attendre une prochaine loi. Non ! C’est le bon texte, c’est le bon amendement et c’est bon moment !
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour explication de vote.
M. Christian Cambon. Je voudrais simplement inviter la majorité à faire preuve de cohérence dans cette affaire.
Le Président de la République appelle à un choc de simplification. On ne cesse de nous annoncer des mesures destinées à faciliter l’obtention de permis de construire pour réaliser des objectifs que nous sommes bien loin d’atteindre, singulièrement en milieu urbain.
Bien souvent, je peux en témoigner, en zone urbanisée très dense, la seule possibilité pour les élus de lancer des opérations d’urbanisme est de mettre en œuvre le droit de préemption. Nous usons de ce droit avec beaucoup de précautions, cela a été rappelé.
Je retourne à Marie-Noëlle Lienemann le compliment qu’elle adressait à Philippe Dallier : pour une fois, je suis d’accord avec elle ! Les maires sont déjà souvent accusés de comportements racistes, par exemple au sujet de l’attribution de places en crèche, de logements. Alors, ce n’est pas la peine d’ouvrir de nouvelles possibilités de proférer de telles accusations…
Si l’on veut accélérer les opérations de construction de logements, notamment en secteur urbain, n’ajoutons pas de nouveaux obstacles ; ils sont déjà fort nombreux !
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Lamy, ministre délégué. Monsieur Cambon, si vous faites l’exégèse des propos du Président de la République, il faut les prendre dans leur ensemble.
M. Christian Cambon. Cela montre que je les écoute !
M. François Lamy, ministre délégué. Il faut donc aussi rappeler que, tant le 31 décembre dernier qu’hier lors de sa conférence de presse, le Président de la République a insisté sur le fait que la lutte contre les discriminations était un enjeu majeur pour notre pays et que nous devions nous doter des outils et des politiques nécessaires pour y mettre fin. Je pense que cet amendement s’inscrit dans cette perspective.
La lutte contre les discriminations est particulièrement compliquée à mener, nous le savons, celles-ci étant malheureusement, dans la plupart des cas, difficiles à prouver.
Le curriculum vitae anonyme, longtemps prôné pour lutter contre les discriminations à l’embauche, a été adopté sous la précédente législature, mais aucun décret d’application n’a vu le jour, précisément parce que c’est un dispositif très difficile à appliquer.
M. Philippe Dallier. Cela ne peut pas fonctionner : il faut bien organiser un entretien d’embauche !
M. François Lamy, ministre délégué. Il peut en effet très facilement être contourné : il suffit à l’employeur de convoquer ensuite les candidats à un entretien. Autrement dit, le CV anonyme ne protège pas des discriminations liées à l’apparence.
Malheureusement, monsieur Dallier, il en va de même de votre proposition.
M. Philippe Dallier. Mais non ! Pas s’il y a interdiction absolue de révéler l’identité !
M. François Lamy, ministre délégué. J’ai été maire pendant onze ans et je sais comment les choses se passent. Si vous interdisez au notaire de transmettre le nom du vendeur, vous ne pourrez pas empêcher tel directeur des services ou tel directeur de l’urbanisme, voire le maire, de le convoquer pour information.
M. Philippe Dallier. Alors, ce sera clair !
M. François Lamy, ministre délégué. Justement, non, monsieur Dallier, ce ne sera pas clair !
En ce domaine, la seule solution est de mettre progressivement en place un cadre législatif et de promouvoir de bonnes pratiques. Des mesures coercitives doivent être prises, mais aussi des mesures incitatives – on peut mener, par exemple, des campagnes d’information –, afin de lutter aussi bien contre les freins à l’embauche ou à l’accès au logement que contre les pratiques dénoncées par Mme Benbassa.
Mais je ne puis accepter que l’on s’oppose à la mesure proposée pour empêcher que des maires usent du droit de préemption à des fins de discrimination…
M. Christian Cambon. Aucun maire ne le fait, monsieur le ministre !
M. François Lamy, ministre délégué. … au motif que cela pourrait gêner les maires dans l’exercice de leur mandat ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Sur la réalité des faits, monsieur Cambon, ce sera à la justice de trancher.
Contrairement à ce que dit M. Fortassin, la discrimination est strictement définie par la loi. Il existe actuellement dix-neuf cas ; le présent article prévoit d’en créer un vingtième : la discrimination en fonction du lieu de résidence. C’est un facteur de discrimination que, hélas, je connais bien, car il sévit dans tous les quartiers relevant de la politique de la ville, et c’est une véritable blessure pour les habitants de nos quartiers populaires. Ce nouveau critère opposable, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, a également été adopté par votre commission ; je m’en félicite.
Je crois donc que votre assemblée s’honorerait en adoptant cet amendement, car il permettrait de faire progresser le droit. Bien sûr, nous ne réglerons pas totalement le problème des discriminations. Malheureusement, la loi, en quelque domaine que ce soit, ne supprime pas la délinquance. Elle permet toutefois de la réprimer chaque fois qu’un acte délictueux est prouvé.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Nous sommes au carrefour, sinon d’une contradiction, du moins d’une question juridique qui oppose les tenants de la sanction et ceux qui sont sensibles au danger d’en faire trop dans ce registre.
Je me garderai bien de décerner les bons et les mauvais points aux uns et aux autres, notamment les maires, selon qu’ils seraient plus ou moins républicains. Ce débat n’a pas lieu d’être, en tout cas pas au Sénat.
La commission a choisi en connaissance de cause de privilégier la réalité à laquelle sont confrontés les maires. C’est la raison pour laquelle elle a voté sans ambiguïté, à la quasi-unanimité, contre cet amendement. Par cohérence, j’émettrai le même vote en séance publique. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Roland Courteau. Évidemment !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Tout d’abord, il ne s’agit pas ici de distribuer des bons points et des mauvais points. Simplement, on ne lutte jamais assez contre les discriminations !
Un sénateur du groupe socialiste. Mais il faut le faire intelligemment !
Mme Esther Benbassa. Or je constate que tout le monde s’enflamme sur cet amendement !
Essayons, pour une fois, de donner un sens à l’adjectif « républicain » et de ne pas obéir d’abord aux intérêts électoraux ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.)
Madame Lienemann, excusez-moi, mais est-ce vous connaissez des marchands de sommeil qui achètent des terrains pour construire des immeubles ? (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Philippe Dallier. Si vous étiez maire, vous le sauriez !
Mme Esther Benbassa. Ils mettent plutôt leurs « locataires » dans des hangars ou des hôtels sordides !
Mais je vous laisse assumer votre vote !
M. Christian Cambon. Si vous étiez maire, vous ne parleriez pas ainsi !
Mme Esther Benbassa. J’en ai assez de cet argument ! Arrêtez de considérer que ceux qui ne cumulent pas les mandats ne seraient pas de bons sénateurs, contrairement à ceux qui cumulent ! (Nouvelles exclamations.)
M. Christian Cambon. Respectez-les, au moins !
Mme Esther Benbassa. Moi, je ne veux pas cumuler !
M. le président. Gardons notre calme, mes chers collègues !
La parole est à M. René Garrec, pour explication de vote.
M. René Garrec. Nous savons que le droit pénal est d’interprétation restrictive, et c’est bien la lecture qu’en fait la Cour de cassation.
Nous nous gardons généralement, en particulier en commission des lois, de créer une sanction pénale chaque fois qu’un problème apparaît.
Mme Benbassa soulève, à juste titre, un problème de fond. Tous les Français doivent logiquement pouvoir accéder à un logement. Un maire qui utiliserait ses pouvoirs pour biaiser la loi est punissable. Je ne puis cependant accepter, en tant que juriste, qu’on prévoie pour un tel délit, comme vous le proposez, madame, cinq ans d’emprisonnement, c'est-à-dire autant que pour un vol aggravé, de nuit, avec violences. Avec cinq ans d’emprisonnement, on est tout de même à la limite du crime ! En l’occurrence, une telle sanction me paraît exorbitante.
De surcroît, je ne pense pas que ce soit avec des sanctions pénales que l’on réglera ce type de problème. Les maires sont déjà tellement pénalisés et sanctionnés… Je n’ai jamais été maire, mais mon épouse a eu le courage de l’être et je lui en rends grâces. Il s’agit d’un problème de société et nous devons le régler autrement qu’en prévoyant des peines aussi lourdes.
La France est une République laïque. On me l’explique maintenant tous les mardis, lors des réunions de l’Observatoire de la laïcité, puisque vous m’avez désigné pour y siéger, mes chers collègues. J’y apprends beaucoup de choses, mais cela ne change rien à ma conviction : on ne peut faire encourir à un maire une sanction pénale qui relève pratiquement d’une infraction criminelle pour avoir abusé, volontairement ou non, de sa position.
Ma chère collègue, vous avez raison sur le fond, mais la pénalité encourue me paraît beaucoup trop lourde. C’est la raison pour laquelle je suivrai la position de la commission.
M. le président. Je mets aux voix l'article 10 A.
(L'article 10 A est adopté.)
Article additionnel après l'article 10 A
M. le président. L'amendement n° 78 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 10 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, les mots : « étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen » sont remplacés par les mots : « ressortissants étrangers » ;
2° Au troisième alinéa, les mots : « d’au moins soixante ans en cas d’inaptitude au travail » sont remplacés par les mots : « de l’âge prévu à l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale en cas d’inaptitude au travail au sens de l’article L. 351-7 du même code » ;
3° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – qui ont fait valoir les droits aux pensions personnelles de retraite auxquels ils peuvent prétendre au titre des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi que des régimes des organisations internationales ; »
4° Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette condition n’est pas applicable aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse qui remplissent les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 262-6 du présent code ; »
5° Au cinquième alinéa, les mots : « un logement à usage locatif dont les bailleurs s’engagent à respecter certaines obligations dans le cadre de conventions conclues avec l’État » sont remplacés par les mots : « une résidence sociale » ;
6° Le septième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le respect de cette condition est apprécié sur une période de deux années à compter de l’attribution ou du renouvellement de l’aide » ;
7° Le douzième alinéa est supprimé ;
8° Au quinzième alinéa, après le mot : « calcul », sont insérés les mots : « , de service ».
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Lamy, ministre délégué. Cet amendement vise à mettre en œuvre les préconisations de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les immigrés âgés, mission dont le président était M. Denis Jacquat, député de Moselle, et le rapporteur, M. Alexis Bachelay, député des Hauts-de-Seine.
Les travaux de cette mission d’information ont consisté à rechercher les moyens d’améliorer la situation des immigrés retraités dans notre pays. Comme vous le savez, la loi DALO a permis à ceux de ces immigrés étrangers qui disposent de faibles ressources d’effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine et de profiter ainsi d’un rapprochement familial. Une aide financière spécifique a été instituée : l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, dont étaient susceptibles de bénéficier environ 35 000 personnes sur notre territoire.
Or la mise en place de cette aide nécessitait des mesures réglementaires qui n’ont pu être prises en raison d’obstacles juridiques importants. Cet amendement, conformément aux conclusions du rapport de la mission d’information précédemment évoquée, vise à permettre l’instauration effective de cette aide par décret.
Tous ceux qui, dans nos quartiers populaires, connaissent ceux qu’on appelle les Chibani savent que ce sont des hommes d’une grande dignité. J’ai pu encore rencontrer trois d’entre eux la semaine dernière, à Clichy-sous-Bois. Ils ont remercié la France et nous leur avons, à notre tour, dit notre gratitude d’avoir œuvré au développement économique de notre pays durant les Trente Glorieuses.
Je crois que l’adoption de cette mesure serait un témoignage de la reconnaissance de la République envers ces 35 000 personnes.