compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
Mme Catherine Procaccia.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion de la proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 13, texte de la commission n° 121, rapport n° 120).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Mazars, auteur de la proposition de loi.
M. Stéphane Mazars, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe souhaite aujourd’hui remettre le droit pénal au cœur des débats de la Haute Assemblée, qui s’est toujours montrée, comme chacun le sait et le reconnaît, à la pointe du combat pour les libertés publiques. Ce combat, nous le portons, aujourd’hui comme hier, en nous plaçant dans le sillon d’Albert Camus, qui écrivait : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. »
Mes chers collègues, ce combat pour la liberté, pour une justice équitable, est toujours d’actualité. Il nous appartient de nous mobiliser pour lutter contre les injustices, qu’elles concernent les victimes, que nous n’oublions jamais, ou les délinquants, qui eux aussi doivent voir leurs droits garantis et respectés.
Notre droit pénal a subi ces dernières années de profondes réformes. Il a aussi été victime d’attaques frontales, d’aucuns stigmatisant un supposé laxisme des juges ou appelant à supprimer le juge d’instruction, sans garanties pour le justiciable. Je n’oublie pas non plus la question fondamentale de l’accès à la justice, garante de la légitimité de l’État de droit pour les citoyens.
Ces attaques, implicites ou directes, ont eu pour conséquence de remettre en cause le lien de confiance tacite, mais indispensable dans un État de droit, qui doit unir les magistrats au peuple souverain, au nom duquel ils rendent la justice. N’oublions pas, comme l’écrivait Anatole France, que « la majesté de la justice réside tout entière dans chaque sentence rendue par le juge au nom du peuple souverain ».
Or nous avons assisté, au cours de la dernière décennie, à un glissement subreptice d’une politique pénale fondée sur un difficile équilibre entre prévention et répression vers une politique globalement répressive fondée sur l’illusion dangereuse que la sanction et la peur qu’elle suscite suffiraient à lutter efficacement contre la délinquance. Cette tendance, nous l’avons vigoureusement combattue, au nom des valeurs que les membres de notre groupe ne cessent de défendre : la liberté, la dignité, l’égalité, mais aussi la fermeté contre la violation de la loi. En tout état de cause, nul ne peut nous accuser d’avoir versé dans l’angélisme, car nous sommes attachés à l’application de la loi de la République. « La justice sans la force est impuissante », disait Pascal.
La politique que nous avons refusée, c’est celle des peines plancher, celle de la rétention et de la surveillance de sûreté, celle qui a aligné peu à peu la justice pénale des mineurs sur celle des majeurs, celle qui a été tentée de détecter les délinquants potentiels dès l’âge de trois ans, celle, encore, qui a voulu déchoir de la nationalité française les auteurs de certains crimes, celle, enfin, qui a instauré des jurys citoyens en matière correctionnelle pour affaiblir encore davantage le poids des juges professionnels. C’est aussi celle du tout-carcéral, où l’on préfère construire des établissements pénitentiaires toujours plus grands, toujours plus modernes, mais, finalement, toujours plus déshumanisés.
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
M. Stéphane Mazars. Comment penser prévenir la récidive si l’on ne donne pas de moyens pour la réinsertion ou la probation, si l’on oblige les magistrats à travailler dans des conditions ubuesques, à la limite de la sécurité sur leur propre lieu de travail ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, la majorité de mon groupe attend aujourd’hui une refondation de notre politique pénale. Il y a urgence, près de dix-huit mois après le changement de majorité ! Il y a urgence, alors que le bruit de fond de la société est inquiétant et que de nombreux citoyens sont excédés par la délinquance quotidienne, preuve, s’il en fallait, de l’inefficacité de la politique pénale du tout-répressif ! Voilà pourquoi notre groupe a choisi de soumettre au Sénat, comme un préambule, cette proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite CRPC.
Comme vous le savez, la CRPC a été introduite dans notre procédure pénale par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », avant d’être successivement modifiée par les lois du 26 juillet 2005, du 12 mai 2009 et, enfin, du 13 décembre 2011. Son objectif avoué était de diminuer le délai de traitement des affaires correctionnelles, dans un contexte de surcharge des juridictions qui, d’ailleurs, n’a pas changé depuis lors.
Ce nouveau mode de poursuite a constitué une rupture avec nos traditions juridiques, fondées sur la procédure inquisitoriale. Inspirée du guilty plea britannique et du plea bargaining américain, la CRPC, pour la présenter schématiquement, permet à une personne mise en cause de négocier directement avec le procureur de la République une peine automatiquement réduite si elle reconnaît elle-même, en échange, sa culpabilité. Elle donne donc un pouvoir important au procureur, déjà maître de l’opportunité des poursuites, même si la peine négociée devra nécessairement être homologuée par un magistrat du siège, en présence d’un avocat.
Cette procédure s’appuie en réalité sur une forme de contractualisation du droit pénal tout à fait étrangère aux fondamentaux de notre droit pénal, qui se fondent sur l’intangibilité de la décision du juge. Le risque est donc que le juge du siège chargé d’homologuer ne soit qu’une simple autorité d’enregistrement d’un accord sur lequel il ne peut intervenir.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’allégement de la charge des tribunaux constitue une finalité acceptable, il ne peut se faire au prix du sacrifice des principes fondamentaux d’un procès pénal équitable. Or, en plaçant le procureur de la République au cœur de la procédure, la CRPC porte en elle le risque d’un déséquilibre, une place démesurée étant réservée à l’aveu.
L’article préliminaire du code de procédure pénale, dont je recommande une lecture régulière, complété par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, énonce quels doivent être ces grands principes : égalité devant la loi et son application, respect de la présomption d’innocence, du contradictoire et de l’égalité des armes entre parties, séparation des autorités de poursuite et de jugement, proportionnalité des mesures de contrainte sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
La CRPC recentre le procès pénal autour du parquet, lequel a acquis, en plus de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites, un pouvoir de détermination de la culpabilité et de la sanction, certes sous le contrôle ultime d’un magistrat du siège. Or je rappelle que le statut du ministère public en droit français fait régulièrement l’objet de critiques de la part de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier depuis l’arrêt Moulin contre France du 23 novembre 2010, qui a qualifié l’absence de garantie d’indépendance du parquet d’attentatoire aux libertés fondamentales.
Lorsqu’elle était dans l’opposition, l’actuelle majorité n’avait pas manqué de souligner à de nombreuses reprises l’impérieuse nécessité de réformer le statut du parquet. Nous ne doutons pas que tel sera bientôt le cas. À cet égard, je vous rappelle les propos de notre collègue André Vallini, qui déclarait, lorsqu’il était encore député, que la CRPC « réunirait en fait les pouvoirs d’accusation, d’investigation et de jugement entre les mains d’une seule et même personne, le procureur, qui sera chargé d’accuser, d’enquêter et de sanctionner, ce qui est beaucoup pour un seul homme. Le juge ne serait là que pour homologuer dans des conditions qui, je le répète, prêtent à discussion ».
De la même manière, l’actuelle majorité s’était interrogée dès 2003 sur la nature de la CRPC au regard des principes généraux du droit, à l’instar du député socialiste Jean-Yves Le Bouillonnec, qui déclarait à la tribune de l’Assemblée nationale que « la création de la comparution sur déclaration préalable de culpabilité accentue davantage encore l’empreinte [de l’action publique], en laissant au surplus planer de grandes interrogations sur le respect du principe du droit à un procès équitable ».
En tout état de cause, nous ne demandons rien d’autre qu’une mise en cohérence des actes et des paroles.
Force est de constater que la CRPC induit une véritable opacité par rapport aux autres modes de poursuite, puisque les décisions relatives à la culpabilité de l’auteur et à la détermination de sa peine sont prises dans le bureau du procureur et non, comme c’est le cas par ailleurs, en audience publique. Elle va ainsi à l’encontre du principe de publicité des débats et occulte l’intérêt de l’audience d’homologation, même si le juge du siège doit intégralement exercer son office. C’est ce qui faisait dire, à cette tribune, le 1er octobre 2003, à notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, que cette procédure « [avait] le mérite d’être, à défaut d’un classement sans suite, d’une discrétion absolue ! Et il est évident que telle ou telle personnalité qui se serait livrée à un trafic d’intérêt, à une concussion, pourrait se voir proposer un arrangement et cet arrangement serait discrètement validé par un juge, puisqu’il y aurait accord entre le procureur et l’avocat, étant entendu que le magistrat ne peut pas fixer la peine ».
Parallèlement, la CRPC, utilisée de façon systématique, favorise substantiellement une culture de l’aveu dont nous savons les dangers qu’elle peut receler. Ainsi, l’atténuation automatique de peine favorise cette attitude, qui devient l’élément déclencheur de la procédure elle-même. Le prévenu est de la sorte susceptible de subir une forte pression pour avouer, avec la promesse d’une peine moindre, au risque d’inciter à une auto-incrimination abusive, y compris en cas d’innocence, dans le seul but d’échapper à une peine plus sévère. Cette pression, inacceptable, a pu être accrue par la pratique de la double convocation.
Bien sûr, nous n’ignorons pas le remarquable travail qu’a réalisé notre rapporteur à la suite des nombreuses auditions qu’il a menées. Son rapport, comme il nous le dira dans quelques instants, a mis en lumière le décalage entre les craintes exprimées à l’origine, y compris par lui-même, et la pratique de la CRPC, telle qu’elle s’est forgée et affinée au cours des neuf dernières années.
Il apparaît ainsi que la CRPC est majoritairement utilisée dans des contentieux de masse et des affaires simples, des cas où la véracité des faits ne fait pas de doute, comme les délits routiers, notamment avec alcoolémie. L’aveu n’y étant pas toujours nécessaire, le procureur recourt précisément à cette procédure dans de telles affaires. De fait, la présence obligatoire de l’avocat lors de l’audience avec le procureur est venue renforcer la portée des aveux, mais se posera toujours la question de l’égalité de traitement des personnes mises en cause, selon qu’elles bénéficient ou non d’un défenseur, qu’il ait été choisi ou désigné, qu’il soit spécialisé ou profane en matière pénale.
En tout état de cause, il ne nous paraît donc pas opportun d’étendre un système favorisant l’aveu comme la preuve ultime dans notre droit pénal, ainsi que la loi du 13 décembre 2011 a eu tendance à le faire en élargissant la liste des délits susceptibles d’être sanctionnés par le biais d’une CRPC. Ainsi, sont aujourd’hui concernés non seulement des délits d’une gravité importante, mais aussi des délits ayant trait à des matières qui s’accommodent mal de la confidentialité et des suspicions qui peuvent découler de cette procédure.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré ce que la pratique de la CRPC a démontré au fil des années, nous continuons à nous interroger sur l’égalité de traitement entre justiciables. Dans Des réactions politiques, Benjamin Constant nous a appris que « l’arbitraire n’est pas seulement funeste lorsqu’on s’en sert pour le crime. Employé contre le crime, il est encore dangereux ».
Or, outre la compétence parfois fluctuante de l’avocat, c’est bien la logique même de la CRPC, comme moyen de réguler les flux de contentieux d’une juridiction à une autre, qui nous interpelle. Cet objectif, louable en soi, ne peut devenir la seule finalité, car le degré d’encombrement de telle ou telle juridiction et le choix du chef de cour d’opter pour la CRPC selon le type de contentieux induisent une inégalité de traitement des justiciables qu’aggrave la diminution automatique de peine.
Dans les juridictions peu encombrées – il en existe encore ! –, le justiciable sera prioritairement traité par la voie traditionnelle de l’audience correctionnelle. Dans les juridictions surchargées, ce sera l’inverse. Des prévenus comparaissant pour des faits identiques devant des juridictions aux contextes différents ne seront donc pas jugés de la même manière et, surtout, n’encourront pas la même peine. À cela, il faut ajouter la charge supplémentaire de travail que peut représenter, pour les juridictions, l’utilisation de la CRPC dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons. En effet, le recours trop important à cette procédure ralentit l’enrôlement des affaires sur citation directe ou provenant de l’instruction.
L’ensemble de ces raisons nous avaient initialement amenés à proposer des modifications qui devaient conduire à diminuer drastiquement le recours à la CRPC, en prévoyant un encadrement plus rigoureux de celle-ci : restriction aux seuls délits punis de trois ans d’emprisonnement au maximum, suppression de l’atténuation de peine, possibilité pour le juge du siège de moduler à la baisse la peine proposée pour ne pas encombrer le rôle des audiences correctionnelles, présence obligatoire du parquet lors de l’audience, suppression de la double convocation.
Monsieur le rapporteur, nous avons lu très attentivement votre rapport. Vous avez voulu apaiser nos craintes et calmer nos ardeurs, qui furent non seulement les nôtres, mais aussi celles d’une grande partie de cet hémicycle lors des différents débats sur la CRPC tenus depuis sa création en 2004. Comme vous l’avez relevé, les inquiétudes exprimées lors de l’introduction de la CRPC dans notre droit ont été en grande partie démenties par les faits, une majorité de praticiens lui trouvant désormais une utilité indéniable. Il est vrai qu’avec 65 000 procédures mises en œuvre en 2012, dont près de 58 % pour le contentieux routier, la CRPC a représenté près de 13 % des poursuites enclenchées.
Il est tout aussi vrai que la CRPC a été progressivement encadrée pour apporter aux prévenus davantage de garanties : précision par le Conseil constitutionnel des conditions dans lesquelles doit s’exercer l’office du juge d’homologation pour permettre un examen réel et approfondi, assouplissement des conditions de délai pour la présentation devant le juge homologateur, exclusion du champ de la procédure de certains délits qui requièrent toute la solennité et la publicité d’une audience correctionnelle.
Nous prenons acte du constat ainsi formulé et des observations d’un certain nombre de praticiens, mais nous continuons à penser que l’utilisation massive de la CRPC ne doit pas constituer un remède systématique à la lenteur et à l’encombrement des tribunaux. Faciliter le traitement accéléré de certains contentieux simples doit être encouragé, mais toujours en respectant les principes du contradictoire et du droit à un procès équitable, qui constituent désormais le jus commune du droit processuel en Europe.
Nous nous satisfaisons donc que la commission ait fait le choix, dans sa sagesse, d’aménager la CRPC pour qu’elle reste confinée à des contentieux simples, mais en renforçant ses garanties. À cette fin, le rapporteur a pris l’initiative de modifier le droit sur trois points que nous approuvons : introduire la possibilité pour le juge homologateur de moduler à la baisse la peine dans la limite d’un tiers, prévoir les conditions de caducité de la convocation en audience correctionnelle et permettre aux victimes de transmettre leurs observations au procureur afin d’améliorer son information. Ces mesures simples conforteront une procédure qui a su trouver sa place dans notre droit, même si nous en appelons une nouvelle fois à la vigilance pour que ses principes dérogatoires demeurent circonscrits. En d’autres temps, nous avons malheureusement connu des exceptions qui, au fil des lois successives, sont devenues des principes.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez compris que notre groupe a d’abord voulu faire preuve d’une démarche pragmatique et a rejeté toute posture idéologique. Le droit pénal et les libertés publiques sont des sujets trop sérieux pour que nous laissions la querelle partisane diriger le législateur. L’essentiel demeure, à nos yeux, que le droit pénal garantisse à nouveau un véritable équilibre entre les intérêts de la société et des victimes et les droits des mis en cause. Nous souhaitons ainsi faire refluer la justice de sûreté qui s’est imposée ces dernières années, au profit d’une justice de liberté. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, créée en 2004 et révisée à plusieurs reprises, fait partie de l’arsenal des procédures accélérées destinées à désengorger les juridictions, ce qui ne plaidait pas pour son innocence présumée…
Je dois avouer que, devant rapporter la présente proposition de loi, j’ai connu quelques états d’âme, tant les griefs que je tenais souvent des principes et de la théorie ont été mis à mal par les auditions et ce que m’en ont dit les praticiens, lesquels se sont avérés bien plus attachés à cette procédure – même lorsqu’ils l’avaient critiquée en 2004 – que je ne me l’étais figuré.
La CRPC a été, dès le départ et au fil de ses diverses révisions – ce qui tendait d’ailleurs à prouver qu’elle peinait à trouver son équilibre –, fortement critiquée par nombre de magistrats, d’avocats, de parlementaires – j’en fus –, parce qu’elle heurtait frontalement notre conception du procès équitable. Elle apparaissait comme une pièce rapportée, un produit d’importation, dans l’Hexagone, de la common law anglo-saxonne ou, pis, du plea bargaining états-unien, qui fait dresser les cheveux sur nos têtes.
En France, on ne plaide pas coupable, tout au plus se reconnaît-on coupable. La négociation sur la culpabilité et sur la peine s’opposait au primat que nous accordons à la présomption d’innocence et à la sanction en tant que fonction régalienne.
Aux États-Unis, en revanche, le juge, même au pénal, n’est qu’une sorte d’arbitre tout au long du procès, lequel donne lieu à un marchandage, y compris de la part du ministère public. La fonction du juge consiste d’abord à constater l’accord ou le désaccord entre les parties et le ministère public : ceux-ci doivent s’entendre sur la peine, laquelle est calculée selon une grille des plus strictes et sans aucun souci d’individualisation en fonction de la personnalité du prévenu. Parallèlement, les procès débouchent sur des peines très lourdes, ce qui constitue une forte incitation au plaider-coupable. Il n’est donc pas étonnant que 95 % des procès pénaux suivent cette procédure, qui présente, en outre, l’avantage d’éviter l’aléa de jurys populaires rarement tendres.
Ce système, dont s’inspire la CRPC, est donc apparu très différent, sinon contraire aux principes de notre procès pénal.
S’inscrivant dans cette approche, la proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter a logiquement pour objet de restreindre de manière très importante l’utilisation de la CRPC et de la rapprocher le plus possible du procès ordinaire. Toutefois, comme je l’ai dit, les auditions m’ont fait découvrir, à ma grande surprise, que les praticiens de la justice étaient en fait aujourd’hui largement favorables à cette procédure, y compris certains de ceux qui étaient « vent debout » contre elle à ses débuts. Pourquoi cela ?
La principale raison de cette évolution, me semble-t-il, est d’ordre pratique : la CRPC a été cantonnée, de fait, à un champ d’application bien circonscrit, celui de délits mineurs, simples à qualifier et où ce sont les faits qui désignent le coupable. Il s’agit donc d’un contentieux de masse sans problème de culpabilité – l’exemple typique étant l’alcool au volant. Au final, la CRPC représente 13 % du contentieux pénal et porte uniquement sur des affaires simples. Sur ce champ bien déterminé, la pratique de la CRPC apparaît conforme à notre conception du procès équitable.
Prenant acte de ce constat, et faute d’un dispositif pouvant se substituer à la CRPC, en accord avec l’auteur de la proposition de loi et avec notre commission des lois qui l’a adoptée, je vous présente ce texte qui, tout en respectant la logique de la CRPC et les équilibres entre ses protagonistes, apporte des réponses aux principales critiques qui lui sont encore adressées, les plus essentielles, comme je l’ai dit, ayant sinon disparu, du moins s’étant considérablement atténuées de fait.
Le premier aménagement vise à supprimer de la procédure toute trace qui pourrait subsister d’une « pression » exercée sur le prévenu pour qu’il accepte la CRPC, afin de garantir son consentement libre et éclairé. Ainsi, l’article 1er bis nouveau exclut la mise en œuvre de la CRPC à l’issue d’un déferrement par les services enquêteurs, parfois accompagné de garde à vue, dans des affaires qui auraient pu faire l’objet d’une comparution immédiate ou d’une convocation par procès-verbal. En effet, cette situation ne laisse guère de liberté du choix de la procédure à l’intéressé. Constatons d’ailleurs que beaucoup de tribunaux ont déjà fait le choix de ne pas utiliser la CRPC dans cette situation.
L’article 4 va dans le même sens et supprime la possibilité, pour le procureur, de mettre en œuvre à la fois une procédure classique de convocation devant le tribunal correctionnel et une procédure de CRPC.
Actuellement, le prévenu reçoit en effet deux convocations en même temps : l’une pour rencontrer le procureur en vue d’une CRPC, l’autre pour passer devant le tribunal en audience correctionnelle ordinaire. Nous proposons que cette convocation devienne caduque uniquement s’il ne se rend pas à l’entretien avec le procureur de la République.
La solution que j’ai proposée préserve la validité de la convocation parce qu’un nombre non négligeable de prévenus est difficile à joindre ; renouveler systématiquement la convocation à l’audience aurait posé d’énormes problèmes. La commission a donc tranché dans ce sens : si le prévenu, qui s’est rendu à la convocation, n’accepte pas la CRPC, ou si le juge n’homologue pas cette dernière – le prévenu n’est pas responsable –, il faudra lui adresser une nouvelle convocation à l’audience correctionnelle. En revanche, si le prévenu ne s’est pas présenté devant le procureur, la convocation à l’audience reste valide.
Enfin, pour mieux prendre en compte la victime, je vous proposerai, avec l’article 3 bis nouveau, qu’elle puisse faire parvenir ses observations au procureur dans la première phase de la procédure, c’est-à-dire avant que celui-ci ne propose une peine au prévenu. Il paraît essentiel que le procureur ait en main toutes les données nécessaires lui permettant de déterminer le quantum de peine proposé. Or il me semble effectivement que la victime peut porter à la connaissance du procureur des éléments d’appréciation utiles, au-delà de ceux de l’enquête de police, parfois extrêmement sommaire. Ces éléments pourront intervenir dans la détermination du quantum de peine et des aménagements éventuellement apportés à celle-ci.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principales dispositions proposées par la commission des lois, dont j’ai repris les conclusions, étant sous-entendu que, me situant dans une perspective d’amélioration de la CRPC, ont été supprimées toutes les propositions qui auraient conduit, de fait, à un quasi-abandon de son usage. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, « celui qui sait avouer peut oublier » ; Francis Picabia, le grand artiste surréaliste, aurait ainsi pu formuler, sans l’avoir imaginé, ce qui fut au cœur de la volonté du législateur, il y a presque dix ans déjà, lors de la création de la procédure pénale de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Les travaux essentiels sur la justice pénale contemporaine de Mme Françoise Tulkens, vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme, portant notamment sur les notions de « justice imposée » et de « justice consensuelle », nous invitent à mieux appréhender ce qui fut alors pensé comme un bouleversement de nos pratiques répressives : l’introduction de la participation et du consentement à la punition, le passage d’un ordre pénal exclusivement vertical à une justice pénale aux formes diverses, parfois imposée, parfois débattue, toujours discutée.
La composition pénale comme la CRPC sont représentatives des mutations qui nous intéressent en France, faisant une place centrale au consentement des prévenus selon une logique de contractualisation et favorisant l’émergence de « procédures pénales accélérées » qu’il convient désormais d’évaluer et d’améliorer le cas échéant.
Les années 2000 marquèrent assurément un tournant. C’est donc dans ce cadre, qui mêle les plus hautes considérations politiques – qu’est-ce que juger ? Comment punir ? – et les plus impérieuses nécessités du respect des droits des individus, d’une part, et des impératifs fonctionnels de notre ordre judiciaire, d’autre part, que la proposition de loi de Jacques Mézard et de son groupe, inscrite à votre ordre du jour, nous permet de porter collectivement un regard critique sur ce dispositif pénal.
Cette initiative parlementaire du groupe du RDSE, que je salue, permet également de tracer, pour la première fois, des perspectives équilibrées d’amélioration de ce dispositif si singulier, si original au regard des décennies de tradition juridique néolatine et que nous fûmes parmi les derniers en Europe à introduire dans notre droit répressif.
Comme le souligne le professeur de droit Ioannis Papadopoulos, dans Juger en Amérique et en France, le « plaider coupable » a été longtemps étranger aux cultures de droit continental, car y perdure un rapport sacré à la loi où la confrontation de l’individu à la loi est l’essentiel.
Ce mode de poursuite des délits, qui fut l’objet de quatre lois successives et de quatre décisions du Conseil constitutionnel depuis la loi de mars 2004 – ce n’est pas banal –, suscita alors de légitimes inquiétudes parmi les praticiens, les organisations professionnelles, comme parmi de nombreux parlementaires.
À cet égard, je n’ignore pas que de nombreux travaux du Sénat témoignent de votre intérêt, comme de votre expertise : je pense notamment à un excellent rapport de législation comparée de mai 2003, ainsi qu’aux rapports de M. Zocchetto en 2003 sur le texte qui allait donner naissance à cette procédure nouvelle ou en 2005 sur la proposition de loi de M. Béteille.
Ainsi que vous le relevez dans votre rapport, monsieur Collombat, la CRPC était a priori étrangère aux cultures de droit continental dans lesquelles les magistrats instruisent à charge et à décharge et le parquet doit rapporter la preuve de la culpabilité.
Nombreux furent les parlementaires qui s’interrogèrent quant aux risques de pression du système répressif sur les personnes mises en cause. N’y avait-il pas des risques de voir condamnés à une peine plus lourde que celle qui était proposée par le procureur les justiciables les plus vulnérables ou les moins bien défendus ?
D’autres redoutaient que la CRPC ne donne lieu à une forme de marchandage sordide, l’aveu de culpabilité se monnayant en échange de l’abandon de certains chefs de poursuites.
On sait désormais que le choix du législateur français – et l’apport du Sénat fut alors décisif – a fort heureusement abouti à une solution bien éloignée d’un plaider coupable à l’américaine et plus proche de ce que les civilistes appelleraient un « contrat d’adhésion », si l’on peut parler de contrat…
Il y a accord, certes, mais sans marchandage ni sur la peine requise par le procureur ni sur la peine prononcée par le juge !
D’une façon plus générale, était mis en avant le risque de voir se développer un système de peines tarifées, contraire au principe d’individualisation et que pourraient aisément détourner les puissants et leurs amis du fait d’une mainmise totale du parquet sur cette procédure, lequel parquet est soumis au pouvoir de l’exécutif.
Ce dernier point est important, et il fait bien sûr directement écho à un débat qui s’est tenu dans cet hémicycle voilà quelques mois sur le statut du ministère public.
La CRPC illustre parfaitement le fait que le parquet joue désormais un rôle déterminant dans le fonctionnement quotidien de la justice pénale. Ce rôle, qui n’est pas choquant en soi, doit à notre sens être mieux garanti pour les acteurs du monde judiciaire, comme pour les justiciables.
Il conviendra selon nous, à un moment, de revisiter à nouveau cette question, de façon sereine et dépassionnée, comme majorité et opposition savent le faire sur les grands sujets institutionnels. Je citerai comme exemples les projets de loi récemment adoptés sur la mise en œuvre de l’article 11 de la Constitution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque cette proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, Mme la garde des sceaux a demandé aux services de la Chancellerie de procéder à un bilan provisoire de la CRPC : les résultats peuvent être considérés comme rassurants au regard des craintes légitimes qui avaient entouré la naissance du dispositif. Cette analyse a été aussi celle de votre rapporteur, ainsi qu’il vous l’a indiqué, et de la commission des lois.
Comme le disait George Bernard Shaw : « Le progrès est impossible sans changement, et ceux qui ne peuvent pas changer leurs esprits ne peuvent rien changer ».
Permettez donc que, dans mon propos, les mots le cèdent provisoirement aux chiffres pour expliquer notre évolution à ce sujet.
En 2012, le nombre de CRPC orientées, homologuées et inscrites au casier judiciaire national s’établit à quelque 65 000. La CRPC représente ainsi de 12 à 13 % des condamnations inscrites au casier judiciaire national.
La montée en charge de la CRPC a été progressive puisque, en 2005, elle ne représentait que 7 % des condamnations inscrites au casier judiciaire. Le chiffre s’est toutefois stabilisé autour de 12 à 13 % depuis maintenant au moins quatre ans.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, la CRPC ne peut se développer utilement que si le barreau local – l’avocat est en effet obligatoire, ce qui est une garantie essentielle de la procédure –, les juges et le parquet se sont concertés.
C’est là peut-être l’un des apports les plus subtils mais les plus sensibles de cette voie procédurale : un autre rapport à la justice pénale peut s’instaurer par l’échange des gens de justice, dans un rapport qui ne se résume plus à la verticale du pouvoir central, si l’on peut dire.
Il apparaît en effet que la CRPC est utilisée majoritairement dans les contentieux de masse et les affaires simples où les faits sont reconnus dès l’enquête. Comme le souligne votre rapporteur, M. Collombat, la CRPC est choisie parce que les faits sont reconnus, qu’il n’y a donc pas lieu à un débat sur la culpabilité devant le tribunal, et non l’inverse !
Les travaux du ministère de la justice nous permettent de préciser à cet égard que les contentieux concernés se sont diversifiés, même si le contentieux routier reste majoritaire pour près de 58 % des affaires. Pour être clairs, nous parlons donc, pour l’essentiel, d’affaires de conduite sans permis de conduire ou de conduite sous l’empire d’un état alcoolique pour plus de la moitié des dossiers, des dossiers sans victime.
En outre, la CRPC entraîne des condamnations plutôt moins sévères, comparées aux procédures traditionnelles, notamment s’agissant des peines d’emprisonnement ferme.
Son taux d’échec, selon une étude portant sur les années 2005 à 2007, n’est d’ailleurs que de 12 % ; cet échec est dû à 59 % à la non-comparution du prévenu à l’audience de CRPC, à 23 % au refus d’homologation par le président du tribunal et à 18 % au refus de la peine par le prévenu.
Là encore, ces chiffres sont tout à fait intéressants, car ils sont de nature à pouvoir satisfaire les défenseurs des libertés, comme les promoteurs d’une justice plus simple et plus rapide !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la greffe de la CRPC a donc, pour l’essentiel, pris : le plaider coupable américain s’est acclimaté à nos territoires. D’ailleurs, les principales organisations professionnelles de magistrats, comme d’avocats, que vous avez consultées, monsieur le rapporteur, en conviennent largement, comme vous l’avez rappelé.
Les transplantations ne se font toutefois jamais sans adaptations ni sans différentiations. L’exemple du jury anglais, introduit en France en 1791, en est une bonne illustration ! On parle d’ailleurs non plus de « plaider coupable », mais bien, grâce à un sigle nouveau, de « CRPC » !
Mesdames, messieurs les sénateurs, M. Mézard, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, s’interroge sur l’apport de la CRPC quant au bon fonctionnement des juridictions.
À cet égard, Mme la garde des sceaux rappelle souvent qu’elle récuse une vision réductrice de la justice fondée sur une pure logique économique et managériale. Nous sommes nombreux à partager cette conviction.
M. Mézard a toutefois raison, il n’y a eu aucune étude globale permettant d’évaluer avec précision l’incidence de la CRPC sur le fonctionnement des juridictions. Cela devrait pouvoir être corrigé, monsieur le président.
Toutefois, de façon partielle, on peut, selon la direction des services judiciaires, avancer les chiffres suivants : il semblerait que l’on puisse estimer la durée de traitement d’un dossier de CRPC par le greffe à soixante-dix minutes – contre cent quatre-vingts minutes pour un dossier dit de « juge unique » –, et qu’un équivalent temps plein travaillé, ou ETPT, de magistrat – excusez ce jargon judiciaire ! – traiterait 4 600 dossiers de CRPC contre seulement 800 dossiers de jugement.
De façon largement majoritaire, les cours d’appel évoquent également, « lors des dialogues de gestion », que la CRPC contribue utilement au désengorgement de l’audience correctionnelle.
Pour autant, ce n’est certainement pas au seul nom de cette logique économique que le Gouvernement peut aujourd’hui défendre le maintien de la CRPC dans notre procédure pénale, et encore moins en préconiser son développement sans limites, comme le précédent gouvernement l’avait envisagé, en 2011, lors de l’examen du projet de loi dit « Guinchard » sur la répartition du contentieux ; M. le sénateur Jean-Pierre Michel s’en souvient sûrement.
Nous gardons en mémoire les mots de Mme Mireille Delmas-Marty : « le risque existe que les procédures négociées ne soient guère autre chose, à l’ère de la dérégulation et du néolibéralisme, que l’introduction de l’économie de marché dans l’administration de la justice pénale. »
L’audience pénale devant le tribunal correctionnel doit demeurer le mode de poursuite à privilégier, et elle le reste comme le révèlent les statistiques que j’ai exposées.
Lorsqu’une discussion approfondie et contradictoire s’impose sur la culpabilité, lorsque les faits sont complexes ou graves, lorsque seul le procès est de nature à permettre à la justice de jouer son rôle de pacification sociale, le procès pénal a une fonction symbolique et sociale. C’est la conviction du Gouvernement, c’est l’action conduite par Mme la garde des sceaux.
« Le procès est une domestication de la violence par le rite », selon la formule d’Antoine Garapon. Il permet le récit et une mise à distance entre les parties, une reconnaissance publique de l’infraction et une mesure publique de sa gravité par le prononcé du quantum de la peine.
Il permet, en outre, une reconnaissance publique de la victime en tant que victime, ce qui constitue souvent la condition de sa reconstruction.
Qu’on veuille à cet égard se souvenir du projet, évoqué par l’ancienne majorité, d’étendre la CRPC aux crimes, pour « économiser » l’audience d’assises. Il s’agissait alors de la onzième des douze recommandations du rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, dit « comité Léger », avec, chacun s’en souvient, la suppression du juge d’instruction.
La commission des lois, sur proposition de M. Collombat, a supprimé l’article 1er de la proposition de loi qui visait à limiter la CRPC aux délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans et à exclure le recours à la CRPC lorsque les faits ont été commis en état de récidive légale.
Le Gouvernement approuve le choix de la commission, car une approche fondée sur le quantum de peine encourue ne paraît pas pertinente : la réalité des faits, au-delà de leur qualification pénale qui détermine le peine encourue, doit s’apprécier in concreto, au cas par cas.
De plus, les quanta de peine ont été, comme vous le savez, augmentés par le législateur, selon un processus inflationniste, compte tenu notamment de la multiplication des circonstances aggravantes : un vol dans un distributeur de boissons dans le RER par deux personnes est puni d’une peine de prison de dix ans.
La circonstance de récidive ne constitue pas davantage un critère déterminant : dans le contentieux routier, des faits commis en récidive – une conduite en état alcoolique sans accident, par exemple – peuvent être utilement poursuivis en CRPC.
Il nous semble juste de faire confiance aux magistrats qui orientent les poursuites avec discernement et disposent, avec la CRPC, d’un mode de poursuite intermédiaire entre la composition pénale, qui est très proche dans le mode de fonctionnement, et l’audience.
Dans certaines hypothèses, la CRPC est un mode de poursuite pertinent, car il donne l’occasion d’un dialogue avec le justiciable, dans une relation plus directe et de proximité, ce que ne permet pas l’audience du tribunal correctionnel – ceux qui ont assisté à des audiences de comparution immédiate me comprendront –, et qui favorise une meilleure responsabilisation du condamné parce qu’il adhère à la peine prononcée, peine plus adaptée par définition.
Ainsi, le Gouvernement ne préconise ni la suppression de la CRPC ni la réduction de son champ puisque, dans la pratique, les magistrats ont su la cantonner à des délits relativement mineurs, simples à qualifier et dont les faits désignent les auteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte de la commission des lois améliore substantiellement le droit positif, et je félicite le rapporteur pour son travail à cet égard qui entend garantir le plein respect des principes du procès équitable de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme : juge indépendant, séparation des autorités de poursuite et de jugement, droits de la défense effectifs.
Le texte de la commission apporte des améliorations manifestes.
Premièrement, il clarifie les pouvoirs du « juge homologateur ». Il précise que le juge vérifie la régularité de la procédure.
Le texte prévoit expressément que le juge, pour décider s’il y a lieu à homologation, doit tenir compte de la nature et des circonstances de commission de l’infraction, de la personnalité de son auteur, ainsi que de la situation de la victime. La nouvelle rédaction proposée vient consacrer la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004.
Deuxièmement, le texte de la commission renforce les garanties du justiciable, tant du prévenu que de la victime.
Pour le prévenu, il supprime la possibilité de mettre en œuvre la procédure de CRPC à l’issue d’un déferrement devant le procureur de la République : la CRPC à la suite d’une garde à vue est peu satisfaisante dans la mesure où la personne mise en cause, fragilisée par le placement en garde à vue, n’est pas toujours en mesure de prendre des décisions en parfaite connaissance de cause, et où l’avocat, vu l’urgence, n’a pas nécessairement le temps d’examiner en détail la procédure, notamment au regard de sa régularité.
Le texte impose, lorsque le prévenu se trouve simultanément convoqué pour une CRPC et cité devant le tribunal correctionnel, un délai minimum de dix jours entre les deux audiences, afin de laisser un temps nécessaire à la préparation de la défense.
Il prévoit que la saisine du tribunal ne sera valable que dans le cas où la personne ne répond pas à la convocation, mais non s’il refuse la peine proposée, ce qui évite toute forme de pression sur l’intéressé.
Le Gouvernement souhaite aussi vous présenter un amendement visant à imposer au parquet de déposer au greffe sa proposition de peine dix jours avant la date de comparution, de façon que l’avocat ou l’intéressé ne la découvre pas à l’audience. Il s’agit non seulement de mieux garantir les droits de la défense en permettant une discussion avant l’audience entre l’avocat et son client, mais aussi de favoriser la venue des personnes à l’audience. Pour compléter le travail de la commission, je me permets d’insister dès à présent sur l’intérêt que le Gouvernement porte à cet amendement, sachant que nous n’avons pas encore totalement réussi à convaincre la commission ; mais nous devrions avancer...
S’agissant de la victime, le Gouvernement se félicite que le texte de la commission ait renforcé sa place dans la procédure.
Le texte de la commission introduit ainsi la possibilité pour la victime d’adresser des observations écrites au procureur de la République avant qu’il ne propose une peine. Actuellement, la victime n’intervient qu’au stade de l’audience d’homologation.
Le texte prévoit en outre expressément que le juge peut refuser l’homologation s’il estime que la situation de la victime justifie une audience correctionnelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement considère que cette proposition de loi a permis de faire un bilan objectif de la CRPC telle qu’elle est pratiquée dans les juridictions françaises, et de voir que cette procédure, dès lors que son développement demeure limité, a trouvé sa place dans la gradation des modes de poursuites.
C’est un outil procédural supplémentaire permettant d’adapter au mieux la réponse pénale aux faits et à la personnalité de l’auteur. Il ne doit toutefois pas être un indicateur de performance ni devenir un mode normal de traitement.
L’adoption de ce texte par la Haute Assemblée permettrait, nous semble-t-il, d’améliorer cette procédure pour assurer une meilleure garantie des droits des personnes, ce dont on ne peut que se féliciter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutiendra donc cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)