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Démission d'un membre d'une commission spéciale et candidature
M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Philippe Adnot, comme membre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
J’informe le Sénat que la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’elle propose pour siéger à la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, en remplacement de M. Philippe Adnot, démissionnaire.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour un rappel au règlement.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, nos travaux de ce matin doivent se terminer à treize heures. Cela signifie que, compte tenu de la manière dont a été arrêté le déroulement du débat à venir, l’opposition ne pourra pas s’exprimer.
En effet, tous les orateurs de la majorité sont en tête de la liste. Les temps de parole combinés atteignent en principe cinquante-quatre minutes, soit entre une heure et une heure dix. Les trois orateurs de l’opposition interviendront ensuite, pour trente-quatre minutes.
M. Jean Bizet. C’est juste !
M. Ladislas Poniatowski. En outre, je viens d’alerter ainsi le ministre, qui a le droit d’intervenir à n’importe quel moment du débat. S’il utilise ce droit, il est certain que nous passerons à l’as, si j’ose dire !
Monsieur le président, ce fonctionnement n’est pas satisfaisant. Vous savez que la classe politique est mise en cause au niveau national et que des articles plutôt désagréables pour le Sénat ont été publiés durant la dernière quinzaine. Quel exemple donnons-nous aujourd’hui ? Ces niches parlementaires sont, certes, compliquées à organiser, mais, en l’occurrence, la majorité s’apprête à ne pas donner la parole à l’opposition. Nous allons tout simplement disparaître !
Je crois que vous ne pouvez rien y faire, mais je voulais rappeler que c’est ainsi que les choses vont se passer, à moins que certains orateurs de la majorité acceptent que nous nous intercalions parmi eux, afin de donner un peu de place à l’opposition. Ce pourrait être un comportement correct.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Pour ma part, je ne fais qu’appliquer les décisions de la conférence des présidents.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Poniatowski, je comprends tout à fait votre sentiment, mais nous avons l’occasion de nous trouver les uns et les autres dans la même situation, puisque l’ordre du jour des temps réservés aux groupes est fixé librement par chacun de ces derniers. Aujourd’hui, un groupe a utilisé ses quatre heures pour inscrire un texte et un débat, dans l’ordre qu’il a souhaité.
Par ailleurs, vous savez que l’ordre de parole entre les différents groupes est fixé en vertu d’une règle qui s’applique à tout le monde : la règle du tourniquet.
M. Ladislas Poniatowski. Je le reconnais, monsieur le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Votre groupe parlera nécessairement lorsque ce débat se poursuivra, lors d’un nouveau temps réservé, où il sera loisible au groupe concerné de l’inscrire, en toute liberté. La conférence des présidents respecte en effet strictement les demandes des groupes pour les temps réservés.
Une réflexion pourrait être menée à ce sujet. M. le président du Sénat a d'ailleurs décidé de réunir prochainement les membres du bureau et de la conférence des présidents. Il a demandé que des propositions lui soient soumises. Nous pourrions proposer de remplacer le tourniquet par un système dans lequel on donnerait tour à tour la parole aux groupes minoritaires et majoritaires.
Aujourd’hui, la règle est ce qu’elle est, et elle est strictement appliquée. Nous en subissons tous les avantages comme les inconvénients.
M. Jean Bizet. Ce débat est tronqué !
M. Ladislas Poniatowski. Il n’y aura pas de débat !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je comprends parfaitement les observations de notre collègue Ladislas Poniatowski. Je tiens à le rassurer quant aux intentions du groupe du RDSE ; je ne pense d’ailleurs pas que nous ayons de grandes divergences de vues sur l’énergie.
Pour ce qui concerne l’ordre de passage des orateurs, nous sommes tout à fait disposés à renoncer à prendre la parole en troisième position pour permettre au groupe UMP de s’exprimer. Il serait en effet de très mauvais goût que le débat fût tronqué. Néanmoins, nous ne pouvons, pour ce qui nous concerne, faire plus.
Je l’ai déjà relevé, le ministre chargé de ce dossier n’est pas là. Pourtant, ce débat est important ; il y a beaucoup de choses à dire sur cette question, d’autant que nous avons appris ce matin la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim en 2016. Cette annonce justifiait plus encore un véritable débat.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je formulerai trois observations.
Premièrement, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Philippe Martin. Lorsque M. Mézard a demandé l’inscription de ce débat ce matin, j’ai immédiatement averti la Haute Assemblée que le ministre de l’environnement ne pourrait être présent, car l'Assemblée nationale examine en ce moment deux propositions de loi relevant de sa compétence, et j’ai précisé qu’il serait remplacé par le ministre chargé des relations avec le Parlement.
Deuxièmement, le Gouvernement ne peut rien à l’organisation des travaux du Sénat, qui est interne à votre assemblée. Je n’ai donc pas d’appréciation à apporter.
Troisièmement, enfin, le Gouvernement ne pourra s’exprimer qu’à la fin du débat. Compte tenu de l’horaire, il est clair que je ne pourrai intervenir, ce que je regrette. Toutefois, même si j’avais eu le droit de modifier l’ordre de passage des intervenants, je ne l’aurais pas fait, car il importe que les parlementaires s’expriment en premier.
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Débat sur la production énergétique en France : avenir de la filière du nucléaire et nouvelles filières de production d'énergie
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la production énergétique en France : avenir de la filière du nucléaire et nouvelles filières de production d’énergie, organisé à la demande du groupe du RDSE.
La parole est à M. Stéphane Mazars, au nom du groupe du RDSE.
M. Stéphane Mazars, au nom du groupe du RDSE. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE auquel j’appartiens est très attentif aux questions relatives à l’énergie.
Il a suivi l’année dernière avec vigilance le débat sur la transition énergétique. Il s’intéresse aujourd’hui activement au travail de préparation du projet de loi sur la transition énergétique. Il veille à susciter, dès qu’il le peut, un large débat sur ces questions, notamment dans cette enceinte. C’est, d’ailleurs, la troisième fois en moins d’un an que nous débattons ici, en séance publique, de l’énergie, et ce sur notre initiative.
En effet, il est, selon nous, de la responsabilité du Parlement et des politiques de s’emparer de cette question et de prendre les décisions structurantes, indispensables pour l’avenir de notre pays, son indépendance, la compétitivité de nos entreprises et le bien-être de nos concitoyens. Il ne peut être question de laisser les décisions aux experts, techniciens ou technocrates, particulièrement nombreux dans ce domaine, même si leur compétence n’est pas en cause, loin de là. Il nous revient aussi de maîtriser le calendrier et de déterminer le rythme des évolutions.
En effet, il nous faut faire face à l’importance des enjeux et répondre à la prise de conscience par nos concitoyens de la rareté des matières premières non renouvelables, notamment celles qui sont utilisées pour les énergies fossiles. Cette rareté est devenue une réalité. Elle est en partie la cause du montant élevé de notre facture énergétique, qui atteint aujourd’hui 70 milliards d’euros environ, soit pratiquement le montant de notre déficit extérieur. Les trois quarts de cette facture sont dus aux hydrocarbures.
Les conséquences de cette dépendance aux énergies fossiles, qui a un impact pratiquement irréversible sur le réchauffement climatique, sont également mieux connues.
Le dernier rapport du GIEC, le fameux groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, paru au mois de septembre dernier, fournit des analyses nombreuses et approfondies à ce sujet. Les travaux de l’ONERC, l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, un organisme créé, je le rappelle, sur l’initiative du Sénat, sont également très éclairants. Les récentes intempéries connues en France, en Europe et ailleurs témoignent aussi cruellement de ces dérèglements climatiques.
La recherche et le développement de solutions alternatives à nos modèles de croissance économique et, surtout, à nos manières d’utiliser les ressources énergétiques sont donc plus que jamais prioritaires. Nous devons tendre vers une économie de plus en plus décarbonée pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que l’augmentation de la température à la surface du globe.
Nous le savons, le monde globalisé dans lequel nous vivons aujourd’hui doit évoluer et trouver collectivement les meilleures façons de permettre à tous les habitants de la planète de vivre mieux, sans épuiser à tout jamais le patrimoine naturel dont ils disposent, en particulier en matière énergétique.
Dans ce contexte, l’indépendance énergétique de la France est un objectif incontournable reposant sur deux piliers, qui sont aussi deux filières d’excellence : le nucléaire et les énergies renouvelables. S’y ajoute, en contrepoint, la nécessité d’une plus grande efficacité énergétique.
Dans les trois cas, ce sont des emplois et des technologies, de l’activité et de l’innovation, des leviers pour le développement économique, y compris local. Ces filières stratégiques sont en effet des secteurs véritablement porteurs pour l’avenir de nos territoires, de nos concitoyens et de notre pays.
Le Sénat doit en être pleinement conscient et jouer un rôle déterminant dans les choix qui seront faits, lesquels vont nous engager pour les prochaines années.
Le chantier de la transition énergétique est donc crucial. Il doit aboutir à un mix énergétique crédible et adapté aux ressources de notre pays, incluant, bien entendu, l’électricité nucléaire, mais aussi l’utilisation de la géothermie, de la biomasse, des courants marins, du vent, du soleil.
Certes, beaucoup d’incertitudes sur les défis auxquels nous devrons faire face demeurent. À quel rythme s’épuiseront les ressources fossiles ? Comment évoluera notre consommation électrique ? Quels gains de productivité peut-on raisonnablement attendre des différentes filières des énergies renouvelables ?
Toutefois, il est certain que nous ne devons pas nous priver de l’avantage compétitif incontestable que représente notre filière nucléaire.
Bien sûr, il faut adapter nos centrales et prendre en compte le coût des investissements en matière de sûreté, de démantèlement, de traitement des déchets et de recherche. Cependant, nous ne devons pas pénaliser inutilement nos entreprises et nos concitoyens. Nous devons aussi être au rendez-vous des objectifs que nous nous sommes fixés pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et qui nous engagent sur le plan européen.
Certes, comme l’a souligné la Cour des comptes dans un rapport rendu public la semaine dernière, nous avons jusqu’à présent respecté les grandes lignes du paquet énergie-climat, mais ce sera de plus en plus difficile dans les années qui viennent.
Ce paquet repose sur trois objectifs pour 2020 : 20 % de réduction des gaz à effet de serre, 20 % d’énergies renouvelables, 20 % de gains d’efficacité énergétique.
La Commission européenne a même annoncé hier qu’elle souhaitait aller encore plus loin, avec une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 et au moins 27 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie.
Or, comme le souligne la Cour des comptes, si la part des énergies renouvelables est passée de 9,6 % en 2005 à 13,1 % en 2012, les 20 % seront « difficiles à atteindre » à l’horizon 2020. Pour ce faire, l’accroissement de la production d’électricité renouvelable devra être six fois plus important dans les six années qui viennent que sur la période 2005-2011, et sept fois plus important encore pour la chaleur renouvelable. Cela suppose des investissements substantiels.
La Cour des comptes relève en particulier la nécessité de renforcer les réseaux pour raccorder ces nouvelles sources d’énergie. Or les coûts estimés par RTE et ERDF s’élèvent au total à 5,5 milliards d’euros.
Cette institution préconise aussi de revoir les méthodes de soutien et de financement de la politique de développement des énergies renouvelables, comme elle l’avait déjà fait dans son rapport de juillet 2013. Dans ce document, elle recommandait que soient réalisés des arbitrages entre les filières pour privilégier « les plus efficientes » d’entre elles, c'est-à-dire l’éolien et la chaleur renouvelable, plus que le photovoltaïque ou l’électricité géothermique. Pour ces deux dernières filières, en effet, elle estime qu’une partie substantielle des moyens importants consacrés au soutien à la production devrait plutôt être réorientée vers la recherche.
Le débat actuel sur le projet de loi de transition énergétique doit porter cette ambition et se donner comme obligation de mettre en place les conditions d’une véritable révolution énergétique dans notre pays. Il nous faut, filière par filière, tout mettre en œuvre pour soutenir nos entreprises et relocaliser les emplois perdus au cours des dernières années.
Oui, tous les secteurs des énergies renouvelables ont souffert, au cours des dernières années, d’un manque de soutien et sont en attente de mesures fortes de la part du Gouvernement. Plusieurs annonces, appels à projets ou à manifestations d’intérêt, assouplissements législatifs ou réglementaires sont néanmoins allés en ce sens au cours des derniers mois, ce dont nous nous réjouissons.
Toutefois, il reste encore un cap stratégique à fixer et des objectifs ambitieux à déterminer. C’est le cas pour l’éolien, la petite hydroélectricité, les énergies marines, la biomasse, mais aussi le photovoltaïque ou la géothermie.
Dans les futures décisions, il faudra veiller à ne plus commettre les mêmes erreurs que par le passé ; je pense, notamment, au photovoltaïque. La politique menée a malheureusement été un échec pour nos entreprises et nos emplois ; nous avons ouvert les portes de notre pays toutes grandes aux panneaux photovoltaïques étrangers.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Stéphane Mazars. Ceux qui veulent encore croire à cette énergie, à laquelle nombre de rapports promettent un bel avenir, doivent se débattre avec une politique tarifaire inconséquente et des procédures d’appels d’offres qui n’aboutissent pas.
Le Gouvernement a récemment annoncé des mesures de relance de la filière, mais j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu’il y a véritablement urgence. On ne peut plus continuer à laisser sans réponse les acteurs de ce secteur qui participent aux appels d’offres avec des projets économiquement viables.
Face à ces défis, nous pensons que, au-delà des arbitrages gouvernementaux, les collectivités territoriales ont un rôle à jouer. Elles peuvent être les catalyseurs du développement de la part des énergies renouvelables dans notre système énergétique, notamment pour la production d’électricité.
Aussi, il convient qu’elles puissent exercer cette compétence d’une manière optimale, car elles sont les mieux placées pour favoriser la mise en œuvre de solutions à la fois adaptées aux besoins et intégrées, par exemple, en joignant la question du traitement des déchets à celle de la production de réseaux de chaleur ou d’électricité.
Comme l’ont bien montré les travaux menés dans le cadre du débat national, le processus de la transition énergétique suppose des changements très importants dans les comportements et les technologies, et la question posée est bien celle de savoir de quelle manière il est possible d’enclencher ces changements.
Nous le savons, les outils existent : les normes, la tarification, la fiscalité. Toutefois, il faut une volonté pour les mettre en œuvre et les prévoir dans la durée.
Les normes, par exemple, peuvent avoir un impact fort dans le domaine du bâtiment, de l’automobile ou de l’industrie. Ce n’est pas tout de le dire, encore faut-il agir, et à bon escient !
De ce point de vue, si tout le monde convient que la rénovation thermique des bâtiments est l’une des sources les plus prometteuses d’économies d’énergie et, plus encore, d’emplois, on ne peut que constater le retard pris dans les décisions sur les décrets et arrêtés d’application relatifs à la formation, par exemple.
Ce retard n’est pas admissible, tant il y a urgence et tant les retombées sont importantes pour nos entreprises, l’emploi, la vie quotidienne de nos concitoyens et aussi, bien sûr, notre bilan énergétique.
Deux autres outils doivent être utilisés avec discernement.
Il s’agit, tout d’abord, de la tarification. Celle-ci n’est pas un outil simple à manier, mais, adaptée aux enjeux, elle doit permettre de faire évoluer les comportements et de promouvoir une autre composition du mix énergétique. L’expérience allemande en matière de tarification des énergies renouvelables doit d’ailleurs être un élément de réflexion dans ce débat.
Ensuite, le second outil est la fiscalité : celle-ci peut être efficace et, même, très efficace, dès lors, toutefois, qu’elle est accompagnée, afin d’éviter certains de ses effets pervers. C’est un domaine où les marges sont grandes, mais délicates à mettre en œuvre ; je pense à la fiscalité sur le gazole, les agrocarburants, mais aussi aux dispositifs de soutien aux nouvelles filières, comme le photovoltaïque, un domaine dans lequel nous avons malheureusement eu une politique bien trop erratique et insuffisamment réfléchie.
Le processus de la transition énergétique suppose donc de favoriser les énergies les plus compétitives, ainsi que celles qui nous permettront de remplir les objectifs fixés à l’échelle européenne. Cela signifie en particulier qu’il faut enclencher avec plus de volontarisme le développement des boucles énergétiques locales, que ce soit pour l’électricité, la chaleur ou le gaz.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le chantier de la transition énergétique est crucial. Il doit aboutir à un mix énergétique crédible et adapté aux ressources de notre pays. Il doit permettre à tous les acteurs concernés d’y participer, ce qui nous met dans l’obligation de créer les conditions les plus favorables à l’objectif d’indépendance énergétique, indispensable pour l’avenir de nos territoires et de nos concitoyens.
Le débat national sur la transition énergétique qui s’est achevé a permis une très forte mobilisation de l’ensemble des acteurs économiques, syndicaux, politiques et associatifs de notre pays sur un sujet d’importance majeure pour les trente prochaines années. Il a eu le grand mérite de faire apparaître un fort consensus sur la volonté de faire de la France un acteur déterminant en matière d’innovation énergétique. La préparation de la conférence mondiale sur le climat de 2015, qui se tiendra à Paris, nous impose également de viser l’exemplarité dans ce processus de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi d’excuser ma collègue Mireille Schurch, qui a dû s’absenter.
C’est un vaste sujet dont le Sénat est saisi ce matin. Nous nous efforcerons, en sept minutes, d’y apporter notre contribution, en plaçant la question de la production d’énergie au cœur de la transition énergétique et en gardant à l’esprit la dimension européenne et internationale de ce secteur.
Vous nous pardonnerez, dès lors, de ne pas nous focaliser sur la seule production nationale d’électricité, afin d’éviter de tomber dans une opposition stérile entre énergies renouvelables et énergie nucléaire. Au contraire, les enjeux pour nos citoyens se situent au-delà, dans le choix ou non d’une maîtrise publique de la politique énergétique, d’une association des salariés et des usagers, afin de garantir le droit à l’énergie pour tous et l’acceptabilité des choix qui sont faits. Il n’est pas inutile que chacun clarifie sa position sur ces points.
En 2011, les sénateurs de gauche avaient voté en faveur d’une proposition de résolution de notre groupe dans laquelle il était écrit : le Sénat « affirme que les activités de production, de transport, de distribution et de commercialisation doivent être entièrement publiques et placées sous le contrôle de la puissance publique, dans le cadre d’un pôle public de l’énergie qui associe les citoyens et les travailleurs du secteur énergétique. »
Trois ans plus tard, ces prises de position semblent oubliées, et le Gouvernement n’a pas jugé utile de revenir sur les lois de libéralisation et de privatisation du secteur énergétique, portées par la droite.
Ensuite, aborder la question de la politique énergétique au travers des filières industrielles de production, c’est également parler des réseaux de distribution et de transport énergétiques.
À ce sujet, il serait illusoire de penser que la transition énergétique se fera par une production délocalisée de l’énergie, que chaque territoire pourrait produire pour ses besoins locaux. Les contraintes techniques en termes de sécurité et d’indépendance énergétique s’y opposent.
Enfin, pour se prononcer sur les filières de production, il faut également organiser les moyens d’une moindre consommation énergétique. Des efforts doivent être consentis dans la rénovation des logements, mais ceux-ci ne doivent pas peser sur les ménages qui n’ont d’autres choix que de vivre dans des logements énergivores.
De plus, il est important d’inclure le secteur des transports de personnes et de marchandises dans le débat, y compris pour dresser un bilan carbone des énergies renouvelables.
En France, les transports constituent le premier secteur d’activité responsable de la consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. La mondialisation de l’économie est un facteur clef de l’explosion des émissions gaz à effet de serre.
Au-delà de la question de l’avenir des différentes filières, que j’aborderai dans quelques instants, il nous semblait essentiel de rappeler que l’énergie n’est pas une marchandise et que la politique énergétique doit faire partie d’une réflexion plus globale sur la politique économique et les limites évidentes du modèle de la concurrence libre et non faussée dans une économie mondialisée.
Alors que les prévisions du GIEC sur le réchauffement climatique nous commandent de réduire de 50 % les émissions planétaires de CO2 d’ici à 2050, et même de 80 % dans les pays industrialisés les plus développés, nous sommes très loin, même en Europe, de nous diriger vers le respect de ces objectifs.
Cet impératif absolu semble d’ailleurs avoir disparu du débat public. L’expérience allemande, avec une production énergétique issue du charbon en augmentation, doit nous conduire à réfléchir sur les solutions de substitution au nucléaire. Le réchauffement climatique menace l’avenir de nos sociétés humaines et implique un recul massif de l’utilisation des énergies fossiles.
La production énergétique en France doit donc s’articuler autour d’un objectif de diversification complémentaire des sources d’énergie. Le développement des énergies renouvelables, comme relais des énergies utilisant les ressources fossiles, ne saurait, à ce jour, exclure le recours à un nucléaire mieux sécurisé dans un mix énergétique rééquilibré.
Le recul des énergies émettrices de CO2 entraînera forcément une augmentation notable de la part de production d’électricité décarbonée dans le bilan énergétique global.
Les productions énergétiques, qu’elles soient thermiques, électriques ou chimiques, ne répondent pas aux mêmes usages et ne sont pas interchangeables.
L’électricité, par exemple, possède une grande souplesse d’utilisation. Cependant, nous ne savons pas la stocker et c’est là un enjeu d’avenir. Il est nécessaire de renforcer les recherches dans les batteries, le pompage-returbinage ou l’utilisation de l’hydrogène. À ce titre, nous serons très attentifs aux propositions annoncées par le Gouvernement pour le développement de la filière hydrogène.
La production hydraulique, stockable et très souple, peut sans doute encore progresser, mais chacun comprend que les sites disponibles sont limités. Cette source d’énergie est un atout majeur de la France, et nous réaffirmons ici, devant le Gouvernement, notre condamnation la plus ferme de l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques. Ce serait une erreur stratégique, aussi bien pour la production énergétique que pour notre patrimoine naturel en eau. Par ailleurs, nous pensons que l’hydrolien, avec les forces marémotrices, est une voie à développer.
Au-delà de cette production hydraulique historique, le solaire et l’éolien sont à ce jour les filières les plus avancées. Elles présentent l’inconvénient majeur, contrairement au nucléaire et à l’hydraulique, d’être des énergies à faible densité et, surtout, à caractère intermittent, ce qui rend obligatoires des installations thermiques à flamme de puissance équivalente.
Il faut encore créer une filière technologique localisée, que ce soit dans l’installation, la maintenance ou la fabrication des matériaux nécessaires à ces productions énergétiques. Il est donc essentiel d’appuyer la création de véritables filières industrielles françaises dans les secteurs du photovoltaïque et de l’éolien. Il nous paraît en effet contradictoire et contre-productif de défendre les énergies renouvelables et d’importer, avec un bilan carbone très lourd, des panneaux de Chine. Nous devons donc développer la recherche dans ces productions énergétiques et les formations professionnelles, pour que la transition énergétique soit également créatrice d’emplois et de savoir-faire français.
Cependant, il serait illusoire de faire croire que l’on peut aujourd’hui se passer à court terme du nucléaire de fission, énergie à forte densité. La production d’un réacteur est équivalente à celle de 2 000 éoliennes ou à celle de 10 millions de panneaux photovoltaïques de dix mètres carrés. Son coût au kilowatt, plus faible mais très capitalistique, est peu dépendant de celui de la matière première et, surtout, il est exempt de production de CO2. En revanche, cette production énergétique présente des risques incommensurables : les déchets et l’accident nucléaire.
Or, sur ce dernier point, la sécurité d’une installation nucléaire repose, en dernier ressort, sur les compétences individuelles et collectives des salariés et sur leur esprit de responsabilité à tous les niveaux. D’où l’exigence de salariés hautement qualifiés, reconnus par un salaire et un statut.
La sous-traitance, le recours aux salariés détachés, en plus de faire courir des risques en termes de sécurité, imposent aux travailleurs des conditions de travail inacceptables, qui mettent leur santé et leur vie en danger.
Enfin, la détermination de la production énergétique appelle un contrôle et une participation démocratique, dans le domaine de la décision comme dans celui de l’expertise. Cela nécessite un potentiel scientifique, technique et industriel de haut niveau.
Il faut donc changer de cap, reprendre les rênes de la politique énergétique et porter un projet au niveau national comme à l’échelon européen, un projet politique et non comptable, un projet au service des peuples et non des marchés, un projet qui, seul, permettra de relever le défi immense d’une transition énergétique réussie.