M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, concernant cette proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon qui nous revient en deuxième lecture de l’Assemblée nationale, j’ai cru comprendre que Mme la ministre et M. le rapporteur espéraient un vote conforme du Sénat. Je vais immédiatement les rassurer : les écologistes auront l’immense plaisir de contribuer à la fin de la navette parlementaire en votant le texte.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !
M. Richard Yung. Bravo !
Mme Hélène Lipietz. Pour une fois, j’ai évité de noyer la commission des lois sous mes nombreux amendements.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Ah ! (Sourires.)
Mme Hélène Lipietz. Je sais que M. le rapporteur et un certain nombre de nos collègues en sont soulagés, ainsi que, il faut bien l’avouer, mes collaborateurs. Toutefois, je vous proposerai deux amendements d’appel,…
M. Michel Delebarre, rapporteur. Aïe ! (Nouveaux sourires.)
Mme Hélène Lipietz. … afin de susciter la réflexion de notre sage assemblée. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.) Nous sommes ici pour discuter, mes chers collègues. (Sourires.)
Le texte vise à renforcer les moyens des douanes en leur apportant des facilités et en leur procurant de nouveaux outils juridiques, afin de lutter plus efficacement contre la contrefaçon. Je suis évidemment attachée, comme nous tous, à la sécurité des consommateurs, souvent mise en danger par les produits contrefaits, dont le respect des normes de sécurité est souvent douteux.
Nous, écologistes, sommes également attachés à la préservation de l’industrie française, dont la qualité des produits est reconnue dans le monde entier, ce qui a tendance à attiser les appétits des contrefacteurs. C’est pourquoi les écologistes ont voté cette proposition de loi en première lecture, après avoir obtenu du Gouvernement la promesse que ces nouvelles procédures ne seraient pas utilisées contre les agriculteurs.
Le texte, je le rappelle, ne s’attache pas directement à définir la contrefaçon, ce qui est sans doute un tort, même si je conçois qu’il aurait probablement été fort difficile pour une proposition de loi d’aller plus loin. Toutefois, il a ravivé les débats, déjà anciens, sur l’appropriation du vivant par des entreprises privées. Le débat n’est pas clos ; il se poursuivra lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, les discussions à l’Assemblée nationale ayant déjà permis des avancées dans ce domaine.
Il faudra donc que nous approfondissions un jour les questions de propriété intellectuelle. Ce n’est pas, à mon avis, le rôle de la seule commission des lois. Il me semble en effet que la commission de la culture s’occupe déjà, et ce depuis longtemps, des questions relatives aux droits d’auteur et aux droits attachés aux œuvres culturelles. Son but est de protéger la création, tout en faisant en sorte que l’accès à la culture soit le plus large possible et concerne tous les publics.
Je pense que la commission des affaires économiques du Sénat devrait aussi s’intéresser à l’évaluation économique des droits de la propriété intellectuelle. Si la plupart des économistes s’accordent sur le fait qu’une protection de l’innovation est nécessaire pour préserver les investissements privés dans la recherche et le développement, il ne faut pas occulter les enjeux actuels relatifs aux nouvelles technologies. Les droits de propriété intellectuelle et les brevets deviennent des enjeux spéculatifs pour les grandes entreprises. Elles cherchent à acquérir des portefeuilles de brevets extrêmement fournis, afin d’entraver leurs concurrents par des procès interminables, aux enjeux financiers colossaux. J’en veux pour preuve la guerre ouverte à laquelle se livrent les deux géants des smartphones depuis trois ans – l’américain Apple et le coréen Samsung –, dont les enjeux financiers s’élèvent à plusieurs milliards de dollars. On en arrive donc à une situation paradoxale, où la protection devient une entrave à l’innovation.
Enfin, je voudrais revenir sur un problème plus grave encore, celui des médicaments. Les sociétés pharmaceutiques maximisent leurs profits et, dans le monde entier, empêchent l’accès des plus démunis à un grand nombre de médicaments, alors que la recherche médicale est financée en grande partie par les États, notamment par l’éducation des futurs chercheurs. En France, la sécurité sociale elle-même peut contribuer au mouvement, en autorisant la mise sur le marché de nouvelles molécules au service médical rendu parfois insuffisant ou insuffisamment précisé.
Encore une fois dans cet hémicycle, les écologistes appellent à une réflexion sur notre modèle de développement culturel ou industriel. Nous sommes rejoints dans notre étude par le prix Nobel d’économie de l’année 2001, l’américain Joseph Stiglitz, que le président Sarkozy, dans sa grande sagesse, avait mandaté pour réfléchir à la rénovation des indicateurs de la croissance. Pour cet économiste, « le remplacement du modèle actuel par un système de récompense soutenu par l’État constituerait une solution à la fois au niveau élevé des prix et à la mauvaise orientation des recherches ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’adoption conforme du texte repose sur un large consensus, qui s’explique avant tout par l’urgence qu’il y a à agir. Je ne me lancerai donc pas dans de vastes perspectives sur la rénovation des indicateurs de croissance ou le caractère protecteur ou destructeur des brevets. Il y a des choses que je ne comprends pas, ma grille de raisonnement n’étant probablement pas la même que celle de certains de mes collègues.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, la contrefaçon est destructrice sur le plan économique. Les chiffres annoncés sont même effrayants.
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Elle détruit des emplois en France et dans le reste de l’Europe et génère des profits illicites considérables.
En France, les statistiques des douanes montrent que les articles saisis en 2012 atteignaient une valeur de 287 millions d’euros et que 65 % d’entre eux provenaient d’Asie. On peut estimer le nombre d’emplois détruits de ce fait à 38 000…
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. … et le manque à gagner fiscal à 6 milliards d’euros.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. La contrefaçon menace non seulement la création, l’investissement, la propriété intellectuelle, mais aussi, de plus en plus, la sécurité et la santé des consommateurs. En effet, 50 % des médicaments vendus sur des sites internet douteux seraient des contrefaçons. Heureusement, par rapport à d’autres pays, la France est relativement protégée, compte tenu, il faut bien le dire, de son système de sécurité sociale.
La contrefaçon ne se limite plus aux produits à forte valeur ajoutée ou de diffusion à grande échelle ; elle porte aussi sur les produits du quotidien. Lors d’une mission d’évaluation, nous avions constaté qu’elle touchait aussi les freins, et même les freins d’avion, ou les capots de voiture, ce qui peut s’avérer extrêmement dangereux. En bref – je parle sous le contrôle de Richard Yung –, elle concerne beaucoup de produits. Par conséquent, il importe de conforter les moyens juridiques nationaux et européens pour lutter contre un fléau en pleine expansion : tel est l’objet du texte, qui nous satisfait pleinement.
Un véritable consensus entre le Sénat et l’Assemblée nationale s’est dégagé lors de la navette, qui s’explique par la volonté des parlementaires de continuer le travail engagé sur ces questions, notamment par la Haute Assemblée,…
M. Michel Delebarre, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. … et par le contenu d’un texte conforme aux préoccupations que nous avons régulièrement exprimées. Voilà qui est susceptible de répondre à ceux qui se demandent parfois à quoi sert le Sénat !
La proposition de loi s’inscrit dans la continuité des initiatives prises sous la précédente législature. Rappelons qu’une loi importante, celle du 29 octobre 2007, prévoyait déjà la spécialisation des juridictions en matière de propriété intellectuelle, le renforcement – certes insuffisant – du dédommagement civil des victimes et l’instauration d’un droit à l’information pour identifier tous les acteurs des réseaux de la contrefaçon.
Dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques, inscrite dans la Constitution depuis sa révision de 2008, nous avions examiné l’excellent rapport d’information Béteille-Yung, qui a abouti à une proposition de loi déposée par Laurent Béteille et dont Richard Yung était le rapporteur. Cette proposition de loi, à l’origine du texte que nous examinons aujourd’hui, prévoyait la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle, la lutte contre la faute lucrative – elle permettait la restitution au titulaire du droit auquel il était porté atteinte –, la facilitation de l’établissement de la preuve de la contrefaçon, ainsi que le renforcement des moyens d’action des douanes. La commission des lois du Sénat l’avait d’ailleurs adoptée en 2011. Nous nous étions alors arrêtés là. Heureusement, Richard Yung a repris cette proposition de loi, en en modifiant quelques aspects secondaires.
M. le rapporteur l’a indiqué, beaucoup d’articles ont été adoptés conformes ; je n’y reviens donc pas. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de citer l’article 16, qui traite des délais de prescription en matière civile. Il était important de réellement harmoniser les délais de prescription de l’action civile, tels que prévus par la loi du 17 juin 2008. Tout ce qui pourrait nous en détourner ou contribuer à remettre cela en cause ne me paraîtrait pas souhaitable, surtout qu’il s’agit là de simplifier le droit. Vous connaissez, mes chers collègues, le maquis des prescriptions en matière civile, contre lequel nous voulons lutter. Toujours est-il que l’Assemblée nationale a bien voulu rejoindre la position du Sénat sur le sujet.
Un autre point, tout aussi important à mes yeux, a été évoqué à l’occasion de la discussion du texte : je veux parler de la spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle. Il n’est évidemment pas question que tous les tribunaux puissent traiter du sujet. Dans un certain nombre de cas, la spécialisation est nécessaire. D’ailleurs, le texte initial tendait à la renforcer. Nous avons toutefois souhaité ne pas bouleverser la répartition actuelle du contentieux de la propriété intellectuelle. Nous avons préféré clarifier la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris en la matière. L’Assemblée nationale nous a suivis, et il faut nous en réjouir. L’enjeu réside bien davantage dans le renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle. Il est important que les tribunaux de grande instance compétents en la matière disposent des ressources humaines nécessaires à leur efficacité. Nous savons qu’une telle spécialisation ne s’improvise pas ; elle exige formation et expérience.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a apporté quelques modifications – certaines sont mineures, d’autres notables – que nous pouvons accepter.
C’est le cas à l’article 2, qui vise à améliorer les dédommagements civils en cas de contrefaçon.
C’est également le cas à l’article 5, qui a trait aux conséquences de l’absence d’action civile ou pénale de la part du saisissant à la suite d’une saisie-contrefaçon. L’Assemblée nationale a souhaité s’en tenir à l’état actuel du droit. Nous pouvons lui en donner acte ; ce n’est tout de même pas fondamental.
C’est encore le cas à l’article 13, qui tend à instaurer une obligation de transmission aux douanes des données relatives aux colis transportés par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, à des fins de contrôle par la mise en place de traitements automatisés de ces données. Il était, je le crois, utile que l’Assemblée nationale poursuive la démarche d’encadrement du dispositif engagé par le Sénat. Au sein de la commission des lois, nous avons toujours comme objectif la protection du secret des correspondances et des données personnelles.
Pour certains, l’unique enjeu du texte était de rediscuter des semences de ferme. Avouez que c’est tout de même extraordinaire ! À cet égard, monsieur le rapporteur, vous avez employé un mot qui m’a beaucoup plu : « didactique ». C’est ainsi qu’on peut qualifier l’amendement que nos collègues députés ont adopté !
Avant d’adopter la loi du 8 décembre 2011, qui a adapté le code français de la propriété intellectuelle en matière d’obtention végétale, nous avions eu un très long débat sur les semences. Je pensais alors que tout le monde avait compris. Apparemment, non ! Du coup, je suppose que nous en rediscuterons encore lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. On a beau adopter des lois qui clarifient la situation, ce qui devrait rassurer tout le monde, eh bien non, il y en a qui ne sont jamais rassurés ! Résultat, on fait des lois « didactiques », « explicatives » !
M. Richard Yung. Et pourquoi pas ?
M. Jean-Jacques Hyest. À l’instar de Mme la ministre, j’aimerais rappeler quelques éléments.
La filière semencière française est, ne l’oublions pas, un véritable pôle d’excellence. Comme cela a été indiqué, il y a 17 800 exploitations et les dépenses dans la recherche s’élèvent à 240 millions d’euros par an. Notre pays se classe au premier rang mondial pour les exportations ; il est en outre le premier producteur européen et le troisième mondial ! Pensez-vous réellement qu’abandonner tout cela n’aurait aucune conséquence économique ? Au demeurant, il faut renouveler les variétés : il s’en crée 600 nouvelles chaque année !
La loi autorise déjà la pratique des semences ou des plants de ferme de variétés nouvelles protégées pour vingt et une espèces. Il faut respecter un équilibre entre la recherche, la propriété intellectuelle, les besoins d’un certain nombre de grands groupes et d’entreprises et la réalité du quotidien des agriculteurs. C’est, à mon sens, ce qu’avait permis la loi du 8 décembre 2011.
Dans ces conditions, nous avions considéré qu’il n’y avait pas lieu de traiter une telle question dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi. Nos collègues pourront donc s’en donner à cœur joie sur le sujet, ainsi que sur beaucoup d’autres, lors de l’examen du texte sur l’agriculture. En vingt-six ans de mandat parlementaire, j’ai vu passer un certain nombre de lois agricoles. Cela ne fera pas de mal d’en examiner une nouvelle, qui sera d’ailleurs peut-être didactique… (Sourires.)
Mme la ministre a indiqué que le décret en Conseil d’État serait bientôt publié. Une liste de treize nouvelles semences devrait y figurer. Voilà qui devrait rassurer tout le monde !
À nos yeux, eu égard à l’enjeu économique et à l’ampleur du phénomène, qui évolue en même temps que les moyens techniques et technologiques mis à sa disposition, il faut agir avec rapidité pour lutter contre une contrefaçon que nous pourrions qualifier aujourd’hui « de masse ». Par conséquent, le groupe UMP votera la proposition de loi, heureux aboutissement d’une démarche d’évaluation et de proposition du Sénat. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 20 novembre dernier, lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi de notre collègue Richard Yung, les divers groupes ont convergé dans leur vote pour reconnaître la qualité et l’importance de ce texte, qui renforce les moyens dédiés à la lutte contre la contrefaçon.
Deux mois plus tard, à l’Assemblée nationale, les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP, GDR, UMP et UDI se sont à leur tour accordés sur cette proposition de loi.
Je tiens à souligner la qualité du travail de nos deux assemblées sur ce texte. Je pense non seulement à l’auteur de la proposition de loi et aux rapporteurs, mais également aux représentants des diverses sensibilités.
Naturellement, des problèmes ont été soulevés et des doutes ont été exprimés. J’ai néanmoins l’impression que des solutions équilibrées ont pu être trouvées, grâce à l’apport constructif de l’ensemble des participants. Cela nous permet d’espérer aujourd’hui un vote conforme. C’est essentiel, car le fléau de la contrefaçon a explosé ces dernières années. D’après l’OCDE, le commerce de produits contrefaits a doublé depuis 2000 et représente aujourd’hui environ 10 % du commerce mondial. En France, 200 000 articles de contrefaçon étaient interceptés par les services douaniers en 1994 ; ce chiffre est passé à 8,6 millions en 2011. La contrefaçon touche ainsi avec une acuité particulièrement féroce notre pays et nos concitoyens.
Ce sont en premier lieu nos entreprises qui sont concernées, par la baisse de leur chiffre d’affaires. Par répercussion, ce sont chaque année des dizaines de milliers d’emplois qui sont perdus, près de 40 000 en France selon les estimations. Et les recettes fiscales de l’État sont sévèrement amputées ! Chaque année, la contrefaçon représente un manque à gagner de plus de 6 milliards d’euros pour les deniers publics.
La sécurité et la santé des consommateurs sont, quant à elles, sévèrement mises en danger. Je n’évoquerai même pas les risques causés par la circulation de jouets défectueux, d’appareils domestiques ne répondant à aucune norme ou de produits alimentaires non autorisés. Les ventes de médicaments contrefaits ont doublé entre 2005 et 2010 dans le monde. La France n’est bien sûr pas en reste, puisque les saisies de médicaments frauduleux ont plus que triplé dans le pays dans le seul intervalle des années 2011 à 2012.
Enfin, hors de tout cadre légal, la fabrication et le commerce de produits contrefaits participent à l’exploitation d’êtres humains et au travail illicite et servent dans bien des cas à financer les activités d’organisations mafieuses et terroristes. À l’échelle mondiale, le trafic de produits contrefaits représenterait ainsi 30 % environ des revenus de la criminalité organisée.
Bien que la France possède un arsenal juridique important de lutte contre la contrefaçon, il convient d’aiguiser encore les moyens accordés à ce dispositif global. La dernière loi relative à la lutte contre la contrefaçon est pourtant assez récente, puisqu’elle date de 2007. Mais, sept ans plus tard, le phénomène a déjà beaucoup évolué. Davantage international, il s’est amplifié et diversifié dans ses formes, sous l’effet notamment de la mondialisation et du développement exponentiel d’internet.
Sans rendre indispensable un bouleversement total de la législation actuelle, de telles évolutions démontrent la nécessité d’améliorer et d’harmoniser les mécanismes existants en la matière C’est ce que fait avec justesse ce texte, en renforçant les divers moyens légaux accordés à la justice, aux huissiers, aux douanes, aux inspecteurs des fraudes, aux policiers et aux gendarmes.
Permettez-moi de rappeler brièvement les différents apports de ce texte.
Tout d’abord, il renforce la spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle, en précisant notamment la compétence du tribunal de grande instance de Paris en matière de brevets d’invention, particulièrement ceux qui sont le résultat de travaux accomplis par des salariés. Il y avait là un véritable problème : certains chercheurs salariés sont les auteurs d’inventions qui ne sont pas rémunérées par l’employeur. Sur ce point, le vide juridique est désormais comblé.
Ensuite, il vise à améliorer les dédommagements civils en matière de contrefaçon, en intégrant la notion de « conséquences économiques négatives » de la partie lésée, ainsi que le préjudice moral causé et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
Par ailleurs, il tend à actualiser et à harmoniser des procédures existantes dans les différents droits de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon, ainsi évidemment que le droit à l’information. Il est notamment instauré une procédure permettant au juge d’ordonner toutes mesures d’instruction permettant de collecter des preuves, même en l’absence de saisie-contrefaçon. Dans ce domaine, les preuves sont en effet souvent essentielles.
De surcroît, la proposition de loi simplifie l’engagement de l’action pénale pour la partie lésée par une contrefaçon et vise à alourdir les peines encourues lorsque les marchandises contrefaites sont porteuses de dangers pour la santé ou la sécurité de l’homme ou de l’animal.
Enfin, elle aligne les divers délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans. Alors que les techniques de contrefaçon se spécialisent et se complexifient, c’est d’un droit clarifié et simplifié dont les victimes et les autorités publiques ont besoin pour mieux se défendre.
Pris dans son ensemble, le texte a surtout le mérite de manifester clairement la volonté des pouvoirs publics de ne tolérer aucune forme de contrefaçon et aucun des dommages qui y sont liés, et ce dans l’objectif de prémunir la société contre ceux qui commettent véritablement une atteinte à l’intérêt public, en s’emparant indûment des idées, du travail, de l’investissement d’un autre, sans son autorisation et sans se gêner de lui voler les fruits qui lui reviennent légitimement. Ce message est d’autant plus fort qu’il a suscité notre adhésion commune et qu’il continuera – je l’espère, et je vous y invite, mes chers collègues – à être soutenu par chacun d’entre nous. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne puis que me réjouir de l'accord trouvé entre les deux rapporteurs et les deux commissions du Sénat et de l’Assemblée nationale. Cela nous permet d’espérer l’adoption d’une loi ce soir – enfin ! – et sa mise en œuvre rapide, peu de décrets d’application étant nécessaires, sauf en matière douanière.
J’aimerais formuler plusieurs observations.
La première concerne les semences de ferme, au sujet desquelles j’ai pu mesurer un fossé d’incompréhension. La proposition de loi n’avait pas vocation à traiter de ces semences de ferme, qui relèvent d’une pratique vieille comme le monde. Ce privilège immémorial de l’agriculteur lui permet, aux termes de la loi française, de garder à la fin de sa récolte une part « raisonnable » des grains – il appartient à la jurisprudence de définir cette notion – pour réensemencer.
Il y a plusieurs cas de figure.
Le premier est celui où les graines proviennent d’un lot acheté dans le cadre d’accords interprofessionnels. Une redevance a été payée, en général beaucoup plus faible que les royalties normales : nous sommes là dans le droit commun. Cela concerne vingt et une variétés végétales.
Le deuxième cas concerne toutes les autres variétés. Les craintes me semblent liées à l’idée, selon moi infondée, que les agriculteurs pourraient faire l’objet de poursuites pour utilisation de produits contrefaits du fait de l’absence d’accord interprofessionnel. Je pense que l’amendement adopté à l’Assemblée nationale comble le vide juridique. Nous avons donc sans doute fait le tour de la question.
M. Jean-Jacques Hyest. Hélas, non !
M. Richard Yung. D’autres cas ont été évoqués. Mme Assassi a mentionné une décision de la Cour suprême des États-Unis. En l’occurrence, la situation est beaucoup plus compliquée, puisqu’il est question d’un brevet introduit dans la plante. Je ne développe pas le sujet, qui fera l’objet d’un autre débat.
À mon avis, personne au sein du monde agricole ne prône la faculté d’utiliser des semences de contrefaçon, produites indûment et potentiellement de mauvaise qualité.
Si c’est une rose, ce n’est pas grave, sauf pour celui qui aura fait l’effort d’obtenir la variété nouvelle ; mais si c’est une céréale ou tout autre végétal cultivé pour l’alimentation, il pourra s’agir d’un plant dangereux en termes de santé publique. Et personne ne défendra une telle position.
Demain, au Salon de l’agriculture, je me rendrai sur le stand du GNIS, le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, pour un débat. Je tâcherai de développer ces points, car il me paraît important de convaincre.
Deuxième observation, nous disposons maintenant en France d’un dispositif à peu près convenable et solide de lutte contre la contrefaçon : la loi du 29 octobre 2007 et le présent texte. Il nous restera à traiter, car notre métier de législateur nous impose de penser à l’avenir, d’un sujet difficile, celui de la cyber-contrefaçon, c'est-à-dire de l’utilisation et de la vente de produits de contrefaçon par internet. C’est une pratique face à laquelle nous sommes démunis en l’état actuel des textes. Nous examinons donc ces questions pour trouver des solutions.
Se pose aussi le problème de la spécialisation des tribunaux. C’est le cas aujourd'hui pour quatre ou cinq d’entre eux, et je suis hésitant.
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a un équilibre !
M. Richard Yung. En revanche, nous devrons aller vers la spécialisation des juges. Je sais qu’il s’agit d’une question extrêmement délicate pour le Conseil supérieur de la magistrature,…
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Richard Yung. … comme pour le ministère de la justice, mais nous n’y échapperons pas.
Je vous signale d’ailleurs que, pas plus tard que la semaine dernière, le tribunal de Düsseldorf, qui est le deuxième tribunal de propriété intellectuelle en Allemagne, a créé une seconde cour, avec une quinzaine de juges spécialisés. Les possesseurs d’un titre de propriété intellectuelle couvrant l’Europe, ce qui est le cas de la plupart des titres, ne viennent pas chez nous : ils vont à Düsseldorf ou à Munich !
Troisième observation, vous l’avez évoqué, madame la ministre, nous devons avoir une approche beaucoup plus européenne et internationale de ces questions.
La contrefaçon, tout comme le nuage de Tchernobyl, ne s’arrête pas aux frontières ! Il faut pouvoir travailler conjointement avec les autres pays. Pour l’instant, sur ce point, nous sommes plutôt dans les limbes. Un important travail de rapprochement nous attend : il nous faudra créer des liens au niveau européen, mais aussi avec quelques grands pays partenaires. En tout cas, merci à tous ! (Applaudissements.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. Et à la prochaine fois ! (Sourires.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements ou articles additionnels qui remettraient en cause les articles adoptés conformes, de même que toute modification ou adjonction sans relation directe avec une disposition restant en discussion.
Chapitre Ier
Spécialisation des juridictions civiles en matière de propriété intellectuelle
Article 1er
(Non modifié)
Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 615-17, après le mot : « compris », sont insérés les mots : « dans les cas prévus à l’article L. 611-7 ou » ;
2° Les articles L. 615-18 et L. 615-19 sont abrogés ;
2° bis Au premier alinéa de l’article L. 623-31, après le mot : « instance », sont insérés les mots : « , déterminés par voie réglementaire, » ;
3° (Supprimé)