M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. La déstructuration de notre société accélère les regroupements communautaires, recherche ultime et vaine d’une solidarité perdue.
Monsieur le Premier ministre, la France est une grande nation, qui, avec d’autres, peut faire la démonstration que la mondialisation libérale n’est pas la fin de l’histoire. Oui, notre pays peut porter cette belle idée que, demain, les valeurs d’égalité, de solidarité, de justice, de progrès et de paix l’emporteront sur celles de concurrence, d’exploitation, de profit, de haine et de violence.
Monsieur le Premier ministre, le Sénat n’a pas à se prononcer par un vote de confiance, mais sachez que, dès aujourd’hui, nous agirons pour le rassemblement de toutes celles et tous ceux qui demeurent attachés à l’idée qu’une alternative existe à la politique du marché, de tous ceux qui croient encore à la gauche et à ses valeurs, et que nous refuserons toute dérive libérale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le Premier ministre, permettez-moi tout d’abord de vous dire que, pour nous, membres du groupe socialiste, c’est un honneur de vous accueillir dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Au lendemain de votre déclaration de politique générale et du vote de confiance que vous ont accordé une large majorité de nos collègues députés, votre présence parmi nous et votre intervention, largement tournée vers les préoccupations des sénateurs, est un geste d’égard et de respect envers la Haute Assemblée. Au nom de l’ensemble de notre groupe, je tenais à vous en remercier.
Cette déclaration de politique générale et les propos que vous venez de tenir s’inscrivent dans un contexte très particulier : celui du message que nous ont adressé les Français à l’occasion des élections municipales. À cet égard, nous partageons, pour l’essentiel, le constat lucide que vous avez dressé : c’est avant tout un message de désarroi et parfois un message de colère.
Désarroi, parce que les Français ne perçoivent pas d’amélioration significative de leurs conditions de vie, malgré les efforts qui leur ont été demandés au cours de ces dernières années.
Désarroi, parce que les Français ont soif de justice dans un monde qui, spontanément et sans action correctrice, creuse toujours plus les inégalités.
Désarroi, parce que les Français, au mieux, doutent de la capacité de leurs responsables politiques à trouver les solutions permettant de sortir d’une crise dont ils ne voient pas la fin, et, au pire, éprouvent un sentiment d’abandon.
Et pourtant, au travers de ce message, ils nous demandent de faire en sorte qu’un espoir nouveau se lève, un espoir fondé sur la confiance en l’avenir, qu’il soit individuel ou collectif.
Oui, disais-je à l’instant, nos concitoyens ne perçoivent pas le fruit de leurs efforts pour le redressement du pays. Il est vrai que ce redressement est lent.
Il est lent, car il est à la mesure de la situation dans laquelle se trouvait la France en 2012. (Protestations sur plusieurs travées de l'UMP.) En dix ans, la dette a augmenté de 600 milliards d’euros (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.) ; l’excédent commercial du début des années deux mille s’est transformé en un déficit record de 75 milliards d’euros ; 750 000 emplois industriels ont été détruits et notre appareil productif s’est considérablement dégradé, au point d’obérer gravement notre croissance potentielle.
M. Didier Guillaume. C’est terrible !
M. Jean-Pierre Caffet. Avec un tel bilan, celui de dix années de gouvernement de droite, comment faire des miracles, surtout dans un contexte de faible croissance européenne et d’euro fort ?
Sur ce sujet européen, crucial pour la rapidité et la solidité de notre redressement, je veux vous dire, monsieur le Premier ministre, que nous serons à vos côtés pour soutenir la perspective que vous avez tracée dans votre déclaration de politique générale : remettre l’Union européenne sur le chemin de la croissance au travers de politiques de grands investissements et de politiques de l’emploi tournées notamment vers la jeunesse.
M. Charles Revet. Avec quel argent ?
M. Jean-Pierre Caffet. Mais le redressement, pour être lent, est néanmoins perceptible.
M. Henri de Raincourt. Ah bon !
M. Jean-Pierre Caffet. Certains peuvent contester les chiffres, mais il est incontestable que les déficits publics se résorbent, que nos comptes extérieurs s’améliorent et que le chômage des jeunes, hélas encore beaucoup trop élevé, enregistre un repli depuis quelques mois. Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, il y a moins de jeunes chômeurs aujourd’hui qu’il y a un an.
En même temps, durant les derniers vingt-deux mois, de nombreuses réformes ont été engagées. Je ne les citerai pas toutes, mais je tiens à mentionner les mesures concernant l’école, qui ont permis le retour des enseignants dans les classes qui en étaient dépourvues (On approuve sur les travées du groupe socialiste.), ainsi que le rétablissement de la formation des maîtres, qui avait été supprimée, ou encore la réforme des retraites, qui permet d’assurer leur financement tout en prenant en compte la pénibilité du travail (Très bien ! sur les mêmes travées.), celle de la formation professionnelle, dont le système a été réorienté vers ceux qui en ont le plus besoin (Mêmes mouvements.), et l’accord national interprofessionnel, qui permet de sauver des emplois en cas de retournement de la conjoncture.
Toutes ces réformes ont été accomplies selon une méthode : celle du dialogue social et de la recherche du compromis. Nous disposons ainsi d’un socle du changement qui sera déterminant pour l’avenir et la réussite du pays. À ce titre, je veux saluer, avec les membres de mon groupe, l’action de Jean-Marc Ayrault et de son gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
C’est dans ce contexte, monsieur le Premier ministre, que vous nous invitez à engager une nouvelle étape du quinquennat, une étape que vous avez placée sous un triptyque prometteur : vérité, efficacité, confiance.
La vérité, c’est que le redressement que nous avons entamé doit se poursuivre. Il ne peut se faire qu’en répondant à trois impératifs : réduire les déficits, améliorer la compétitivité des entreprises et soutenir la consommation, ce qui nécessite un infléchissement de la politique économique et fiscale en faveur, notamment, des Français les plus modestes.
La réduction des déficits, d’abord. Ce n’est pas une lubie, une obsession comptable ; c’est la condition de la préservation de notre indépendance, de notre souveraineté et de la pérennité de notre modèle social. Car comment imaginer pouvoir ouvrir de nouveaux droits à nos concitoyens si nous ne sommes pas capables d’honorer financièrement ceux qui existent déjà ? Mais dès lors que nous prenons l’engagement de diminuer la pression fiscale sur les entreprises et les ménages, la maîtrise des déficits ne peut passer que par la poursuite de la réduction de la dynamique de la dépense publique amorcée l’an dernier et dont vous avez confirmé l’objectif : 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans.
Ce rythme nous paraît raisonnable. Et nous partageons votre appréciation selon laquelle aller plus vite serait contre-productif, car cela risquerait d’entraver la reprise de la croissance, donc de l’emploi.
Nous faisons donc confiance au Gouvernement pour obtenir de nos partenaires européens les conditions d’un redressement durable, mais aussi soutenable, de nos finances publiques. Ce sera, à n’en pas douter, l’un des enjeux des nouveaux rapports qui vont se nouer entre la France et ses partenaires de l’Union à l’issue des élections européennes.
Cependant, le redressement qu’attendent les Français n’est pas que budgétaire ; il est surtout économique. Pour que l’emploi et la croissance reprennent, il faut que les entreprises françaises redeviennent compétitives, car, sans compétitivité, il n’y a pas d’emploi.
Les causes du décrochage de nos entreprises dans la compétition internationale sont nombreuses, et ont été soulignées par Louis Gallois dans le rapport remis en novembre 2012. Mais il est une cause sur laquelle nous pouvons rapidement agir : le coût du travail. Il est en effet incontestable que, sur les dix dernières années, ce coût a augmenté en France, alors que sa modération, voire sa baisse, en Allemagne a permis de soutenir la compétitivité des entreprises allemandes.
Vous avez détaillé hier, monsieur le Premier ministre, les 10 milliards d’euros de baisse de charges qui viendront s’ajouter aux 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en fixant un calendrier très précis.
Nous saluons les compléments apportés au champ du CICE : d’abord, en prévoyant des allégements spécifiques pour les travailleurs indépendants, exclus du CICE car non salariés, mais tout aussi concernés par la question du coût du travail ; ensuite, en incluant les salaires qui correspondent aux emplois qualifiés porteurs de croissance et d’innovation grâce à l’abaissement des cotisations familiales.
Mais la compétitivité des entreprises n’est pas tout dans la croissance : il faut également de la consommation, et donc du pouvoir d’achat. Je veux saluer, au nom de mon groupe, le pacte de solidarité et l’engagement du Gouvernement en faveur des classes moyennes et des salariés les plus modestes. En réduisant les cotisations salariales sur les salaires au niveau du SMIC à hauteur de 500 euros par an, vous vous inscrivez dans la suite des mesures de justice fiscale mises en œuvre avec la loi de finances pour 2014.
De même, c’est pour mon groupe une bonne nouvelle que celle de la poursuite de l’allègement de la fiscalité sur les ménages qui sont entrés récemment dans le champ de l’impôt sur le revenu, afin de garantir par l’impôt le partage entre ceux qui ont tout, ou beaucoup, et ceux qui n’ont rien, ou presque rien. Le dégel du barème de l’impôt sur le revenu et la revalorisation de la décote dans la dernière loi de finances ont déjà corrigé certaines injustices. Nous nous associons à votre volonté de poursuivre dans cette voie.
Efficacité, ensuite : c’est le deuxième pilier annoncé de votre action, monsieur le Premier ministre
Oui, vous avez raison de dire avec force que cette efficacité doit être recherchée dans la conduite de nos politiques publiques et dans l’organisation de nos services publics, je pense évidemment à notre organisation territoriale.
En ce qui concerne nos politiques publiques, nous souscrivons pleinement aux priorités que vous avez mentionnées dans votre déclaration de politique générale.
La jeunesse, que le Président de la République avait placée au cœur de son projet, est l’une de ces priorités.
Car l’efficacité, c’est aussi et peut-être avant tout celle de notre système éducatif : plus que jamais, il doit préparer les jeunes à s’insérer dans le monde de demain. C’est pourquoi nous vous accompagnerons sur le chemin de la refondation de l’école afin que cette dernière tienne toutes les promesses républicaines d’égalité et d’émancipation qui ont présidé à sa création.
L’accès au logement est une autre priorité du quinquennat. Les besoins sont immenses en la matière, et l’objectif de 500 000 logements construits par an, dont 150 000 logements sociaux, doit absolument être poursuivi.
Beaucoup a été fait depuis deux ans pour enclencher une dynamique de construction. Nous sommes conscients des besoins considérables en la matière, et l’action du Gouvernement pour la relance de la construction doit être poursuivie, accélérée et amplifiée.
Les Français nous le font régulièrement savoir, notre pays souffre d’un excès de procédures et de formalités en tous genres. L’excès normatif doit être combattu, et mon groupe souscrit aux mesures de simplification annoncées, ainsi qu’à leur calendrier, puisqu’elles seront annoncées d’ici à l’été.
Au travers de ces deux chantiers – l’éducation et le logement –, l’efficacité peut rejoindre la justice et la solidarité. Ne boudons pas notre plaisir !
Reste la question de l’organisation territoriale de notre pays, et donc de nos collectivités locales. Elle est essentielle dans la qualité du service public rendu à nos concitoyens et, à ce titre, ne peut pas être abordée sous le seul angle budgétaire ou financier. Que nos collectivités territoriales doivent participer pleinement à l’effort de redressement de nos comptes publics n’est pas contestable. D’ailleurs, c’est au terme d’une concertation exemplaire menée en 2013 entre l’État, les parlementaires et les élus locaux, qu’un premier effort a été enclenché : en 2014, les concours financiers versés par l’État aux communes, intercommunalités, départements et régions, diminueront de 1,5 milliard d’euros.
Mais, rappelons-le, les collectivités sont faiblement endettées et globalement bien gérées.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Charles Revet. Oui !
M. Jean-Pierre Caffet. En 2012, la dette publique locale était de 174 milliards d’euros, soit 9,5 % de l’endettement public. Parallèlement, les collectivités continuent à porter plus de 70 % de l’investissement public de notre pays.
M. René-Paul Savary. En effet !
M. Jean-Pierre Caffet. Cela étant dit, l’efficacité des collectivités locales nécessite sans nul doute une réorganisation territoriale. Et le groupe au nom duquel je m’exprime aujourd’hui soutient pleinement l’esprit de la démarche présentée hier par le Premier ministre.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Charles Revet. Vous diminuez leurs dotations !
M. Jean-Pierre Caffet. Nous sommes d’ailleurs heureux que les travaux du Sénat, notamment l’excellent rapport rendu en 2013 par nos collègues Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin, Des territoires responsables pour une République efficace, aient pu inspirer, au moins partiellement, la feuille de route du Premier ministre.
Oui, nous avons besoin de revoir l’organisation et le nombre de nos régions : passer à une dizaine de régions au lieu de vingt-deux, ce n’est pas affaiblir cette institution par seul souci d’économies. C’est au contraire renforcer le poids de la région et sa vocation fondamentale d’aménagement du territoire.
Un tel objectif peut dépasser les clivages partisans, car nous nous accordons, comme l’ont indiqué à juste titre nos collègues Yves Krattinger et le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, sur les missions qui doivent être portées par la région : « préparer le territoire régional dans le contexte de la compétition entre les territoires, et préparer les entreprises à la compétition mondiale du XXIe siècle ».
L’horizon de 2017 permettra aux élus concernés de disposer du temps nécessaire à cette réforme considérable. Elle permettra également, et je reprendrai en cela les termes d’autres travaux réalisés par le Sénat, de « faire confiance à l’intelligence territoriale ».
Cette réorganisation de la carte des régions perdrait toutefois une partie de son sens sans une clarification des compétences assignées aux différentes catégories d’acteurs locaux. Nous sommes d’accord sur ce point, monsieur le Premier ministre. Faut-il pour autant supprimer la clause de compétence générale pour les départements et les régions ?
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Henri de Raincourt. Il le faut !
M. Jean-Pierre Caffet. Vous l’aviez fait, monsieur Karoutchi.
M. Henri de Raincourt. En effet !
M. Jean-Pierre Caffet. Nous en débattrons, car, sur cette question, nos avis sont divers. Mais il est clair que nous devons avancer sur la clarification des compétences des différents niveaux de collectivités territoriales, car elle permettra de mieux définir les responsabilités de chacun et poussera à une meilleure coordination dans la mise en œuvre des politiques territoriales.
Enfin, vous avez proposé, monsieur le Premier ministre, la suppression des conseils généraux à l’horizon 2021. Là encore, il ne peut bien évidemment pas s’agir seulement d’une considération comptable, même si j’ai affirmé tout à l’heure que les collectivités territoriales devaient incontestablement participer à l’effort de redressement.
Les départements portent l’immense tâche d’assurer les prestations de solidarité, des prestations qui sont au cœur de notre contrat social. Dans une période de crise comme celle que nous connaissons depuis 2008, elles ont permis d’amortir le choc pour les plus modestes, et contribuent ainsi au maintien de la cohésion sociale sur le territoire.
Mais peut-être sommes-nous arrivés au bout d’une logique, et nous accueillons favorablement votre invitation à la réflexion sur ce chantier particulièrement complexe, monsieur le Premier ministre.
Ce dont nous sommes convaincus, c’est que les besoins sur les territoires ne sont pas uniformes. Dans les territoires fortement urbanisés, les métropoles auront vocation à assurer le pilotage des services publics et des solidarités. En revanche, dans les territoires ruraux, que restera-t-il si les départements disparaissent ? Une organisation territoriale propre aux territoires ruraux, et aux territoires enclavés, pourrait donc parfaitement être imaginée, afin d’éviter l’instauration d’une France « à deux vitesses ».
En d’autres termes, il n’est pas certain qu’une organisation administrative unique de notre espace, une sorte de jardin à la française – spécificité nationale s’il en est –, soit à même de répondre à la diversité de nos territoires. À cet égard, monsieur le Premier ministre, la reconnaissance de cette diversité dans votre propos liminaire nous a réjouis, et sans doute aussi, quelque part, rassurés.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Jean-Pierre Caffet. En tout état de cause, soyez assurés que nous participerons pleinement aux débats que vous initiez dans le cadre du contrat que vous voulez forger avec la majorité parlementaire, et au-delà de cette majorité.
Monsieur le Premier ministre, c’est somme toute un pacte de confiance que vous nous proposez. La confiance, tel est le troisième pilier sur lequel vous souhaitez faire reposer votre action. Parce que la confiance est la clé du rassemblement, la clé de la réussite de l’action politique, la clé du dynamisme économique, le moteur de la croissance.
Cette confiance s’incarne, dès votre déclaration de politique générale, dans l’annonce de mesures concrètes, d’engagements clairs et durables, tel le pacte de responsabilité et de solidarité que vous nous avez présenté. Ce pacte a bien pour objectif essentiel de fonder un nouveau compromis social. Les engagements réciproques de l’État et des entreprises seront sans doute des signaux forts, qui auront pour effet de redonner de l’élan aux acteurs économiques en sécurisant leur environnement.
Mais cette reconnaissance du rôle des entreprises ne peut pas aller sans un engagement des entreprises à l’égard de leurs salariés, car sont en jeu l’emploi, la consommation et la croissance elle-même. C’est donc bien un cercle vertueux qu’il faut retrouver, et c’est la tâche à laquelle vous nous invitez, monsieur le Premier ministre.
Au-delà, vous l’avez souligné, il s’agit de redonner confiance aux Français dans leur avenir. Il s’agit d’offrir une nouvelle espérance à ceux qui ont des difficultés à boucler financièrement les fins de mois, à ceux qui pensent aujourd’hui à tenter leur chance ailleurs, à ceux qui ne voient aucune perspective derrière les barrières sociales ou géographiques.
Il s’agit donc d’affirmer la force de la parole publique – nous sommes d’accord avec vous sur ce point, monsieur le Premier ministre –, et vous vous engagez pour cela avec volontarisme pour lutter contre le sentiment de fragilité qu’éprouvent les Français aujourd’hui, et donner du sens aux efforts que nos compatriotes doivent consentir. L’enjeu est de faire la preuve de la fiabilité de l’action publique dans un monde en mutation et de remettre au cœur de la République les valeurs qui sont les nôtres, la valeur du travail, la lutte acharnée contre les inégalités, la justice sociale, la tolérance.
Monsieur le Premier ministre, par votre discours, vous nous avez engagés à nous mobiliser. Soyez assuré que, dans la tâche qui est la vôtre, à la tête de votre gouvernement de combat, vous pourrez compter sur notre soutien, déterminé et enthousiaste ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Mme Marie-Christine Blandin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, m’exprimant au nom de l’ensemble du groupe que j’ai l’honneur de présider, au nom de ceux, majoritaires, qui auraient voté la confiance, et de ceux qui ne l’auraient pas votée, je vous transmets, de la part de nos dix-neuf sénateurs, un souhait unanime de réussite, parce qu’il s’agit de l’avenir de la Nation et des Français.
Notre groupe est fier de sa diversité, de l’espace de débat libre qu’il constitue autour des valeurs fondatrices de la République. Cette liberté n’est pas négociable, monsieur le Premier ministre. Elle continuera à s’exprimer ici, car nous ne sommes pas de ceux qui marchandent leur soutien pour chaque texte.
Les radicaux participent à votre gouvernement : ils se retrouvent dans les axes essentiels de votre discours économique et Jean-Michel Baylet vous a exprimé leur soutien. Vous connaissez aussi la vision prospective d’homme d’État de Jean-Pierre Chevènement ; vous savez l’attachement de Robert Hue à la justice sociale ; vous savez que notre collègue Gilbert Barbier conjugue la loyauté à sa famille politique avec un sens aigu de l’intérêt de l’État.
En ce mois de mars, les électeurs ont sanctionné l’exécutif ; le Président de la République en a tiré les conséquences en vous nommant.
Vous avez exprimé une volonté forte de gouverner ; il le faut. Je ne résiste pas à l’envie de vous rappeler une citation d’un ancien président du Conseil dont la mémoire nous est chère à tous deux : « Aurons-nous ou n’aurons-nous pas un gouvernement, là est la crise, la véritable crise, crise de caractère, crise de volonté. »
Oui, nous voulons un gouvernement qui gouverne. Au-delà des nécessaires chocs de compétitivité, de simplification, c’est un choc de compétence dont la République a besoin !
Lorsque nous avons frappé à la porte des électeurs, ils nous ont exprimé, à tous, leurs difficultés du quotidien, leurs inquiétudes pour l’avenir ; pour leur famille, pour leurs enfants. Lors de ce porte-à-porte, nous n’avons pas entendu revendiquer la fusion des régions, la suppression des départements ou l’arrêt de Fessenheim, mais bien une exigence de résultats, une exigence d’efficacité pour l’emploi, pour la fiscalité, pour le logement, pour l’éducation, pour le pouvoir d’achat, pour la santé, pour la sécurité !
Souvent, les silences et les abstentions sont plus expressifs que les plaintes ou les désaccords, car ils expriment une désespérance.
Ce message, monsieur le Premier ministre, je sais que vous l’avez entendu, que vous avez l’autorité, le souffle pour y répondre, et vous savez que le pays attend des résultats et non des petites phrases des uns et des autres sur les chaînes d’infos en continu. (MM. Alain Bertrand et Raymond Vall applaudissent.)
Avant d’aborder les axes essentiels de votre déclaration de politique générale, comment ne pas nous interroger sur l’évolution préoccupante des institutions de notre République, ou plutôt de notre monarchie républicaine. L’anomalie démocratique de notre République, ce n’est pas le Sénat, c’est l’hyper-présidence et la marginalisation du Parlement, quand ce n’est pas parfois son mépris ? (MM. François Zocchetto et René-Paul Savary applaudissent.)
Comment aussi ne pas constater que les vraies fractures politiques, voire idéologiques, traversent en fait les deux grands partis dominants à gauche et à droite : sur la construction européenne, sur l’euro, sur l’économie, sur le rôle de l’entreprise, sur la fiscalité, sur l’énergie ? Quand l’Allemagne est capable de mettre en place un gouvernement de grande coalition avec un consensus de combat sur la crise économique et financière, nous continuons souvent à cultiver des conflits artificiels, voire secondaires.
Le déséquilibre des pouvoirs dans nos institutions est devenu dangereux, et plus inquiétant que le millefeuille territorial !
M. Jean-Louis Carrère. On est d’accord !
M. Jacques Mézard. À défaut de grande coalition, au moins faudrait-il que les partis représentés au Parlement aient le bon sens de s’écouter et de permettre ainsi de mieux écouter les Français. (MM. Jean-Louis Carrère et Raymond Vall applaudissent.) Monsieur le Premier ministre, vous êtes au pouvoir : c’est à vous de donner le signal, l’exemple. En ce sens, nous avons apprécié votre adresse à l’opposition sur ce thème : il n’est jamais trop tôt pour rassembler ; il est souvent trop tard.
Rassembler, c’est ainsi respecter le Parlement. Pour nous, le Parlement, c’est naturellement le bicamérisme, le rôle et le travail de la Haute Assemblée.
Nos échanges, ici même, voici quelques mois, ont laissé des souvenirs : à vous, de votes rejetant très majoritairement vos projets, à nous, d’un refus de toute concession et d’un renvoi à la toute-puissance de l’Assemblée nationale.
Nous attendons autre chose : une volonté réelle de travailler avec le Sénat et toutes ses sensibilités, et l’expression claire, de votre part, que vous ne nous considérez pas comme une anomalie, et que l’indépendance du Sénat ne vous amènera pas à envisager, sous d’autres prétextes, sa transformation en assemblée de seconde zone !
En tête de votre discours de politique générale figurent trois mots : vérité, efficacité, confiance.
Votre réponse, c’est d’abord le pacte de responsabilité. La grande majorité de notre groupe y est favorable, d’abord parce que ce pacte reconnaît la place de l’entreprise, de nos artisans, de nos PME et de nos PMI, de celles et ceux qui, dans ce pays, entreprennent, parce que vous dites : « Sortons des défiances, des postures, des caricatures. »
Oui, s’il n’y a pas d’entreprises, il n’y a pas d’emplois. Oui, il est plus que temps de sortir des débats d’un autre âge ; la mondialisation est là, le numérique est partout.
Les entreprises ne peuvent pas se développer dans un carcan administratif devenu insupportable et souvent suicidaire pour notre économie. L’urgence, c’est de simplifier, et simplifier tant l’acte de création et de production que la gestion quotidienne. Cela ne veut pas dire laisser tout faire : nous, radicaux, avons créé le droit du travail et sommes attachés au dialogue social et à l’intervention de l’État dans l’économie et la finance, non pas un État tatillon, mais un État protecteur de la liberté d’entreprendre et des droits des plus faibles.
Vous proposez de baisser le coût du travail et vous avez raison de porter les allégements à 30 milliards d’euros. Accélérer ce calendrier ne pourrait qu’être positif, même si c’est très difficile.
Pour ce qui est du SMIC, les cotisations patronales à l’URSSAF seront entièrement supprimées au 1er janvier 2015. Vous proposez également d’abaisser les cotisations familiales jusqu’à trois fois et demie le SMIC, de baisser les cotisations des travailleurs indépendants et des artisans, de réduire les impôts de production, d’abaisser l’impôt sur les sociétés.
À tout cela, très majoritairement, nous apportons notre soutien. Et, d’ailleurs, je n’ai guère entendu, depuis des années, tous bords politiques confondus, de propositions tellement plus convaincantes.
Vous avez, en outre, décidé d’alléger la fiscalité pesant sur les ménages modestes, dont les nouveaux cotisants à l’impôt sur le revenu. Il suffit d’avoir fait du porte-à-porte pour se rendre compte des dégâts causés par cette mesure. Certes, elle avait été décidée sous le précédent quinquennat, mais le gouvernement précédent ne devait point l’assumer.
Vous êtes courageux en reconnaissant la nécessité de réduire la dette publique, héritage commun des gouvernements successifs. Sur ce sujet également, nous sommes majoritairement d’accord.
Il reste tout de même un problème d’arithmétique, monsieur le Premier ministre. Vous prévoyez de réaliser 50 milliards d’économies d’ici à 2017. Or, sur ces 50 milliards d’euros, il y en a 11 dont l’origine m’échappe un peu et sur lesquels des explications de votre part seraient les bienvenues…
Monsieur le Premier Ministre, tout ce travail, toutes ces mesures en faveur de la compétitivité, pour arracher au forceps quatre points de compétitivité, c’est bien, mais mineur par rapport à la cherté de l’euro, lequel a pris 10 % depuis l’été 2012. La question primordiale, essentielle, c’est bien celle du cours de l’euro.
Vous avez rappelé votre attachement à la solidité du couple franco-allemand et à l’Europe – pour notre part, nous avons toujours défendu avec acharnement la construction européenne –, mais vous n’avez pas répondu à cette question : comment allez-vous procéder pour faire baisser le cours de l’euro, qui est trop cher pour nous, mais si cher à notre puissante voisine ? Je vous remercie par avance de votre réponse.
Au cours de votre déclaration de politique générale, vous avez ciblé deux priorités au chapitre « Redresser la France, c’est la redresser dans la justice ».
Vous avez d’abord évoqué l’école de la République. Cette école laïque qui donne sa chance à chaque enfant, celle que nous aimons, cette école va mal. L’illettrisme est un véritable fléau. Aujourd'hui, 10 % ou plus des enfants quittent le système scolaire sans maîtriser l’écriture et la lecture.