M. Arnaud Montebourg, ministre. Monsieur le sénateur, beaucoup de travail nous attend en la matière ! La convergence des propos exprimés dans cet hémicycle met au jour les défaillances croissantes du secteur bancaire privé et la taille encore insuffisante de la BPI – c’est là le « peut mieux faire » de Mme Schurch, que je prends en tant que tel, c’est-à-dire non comme une critique mais comme un encouragement ! (Mme Mireille Schurch acquiesce.) En outre, le sujet de l’assurance vie nous le prouve, notre système de financement n’est pas optimal.
Que s’est-il passé dans tous les pays où, depuis la faillite de Lehman Brothers, les banques privées ont en quelque sorte disparu du financement de l’économie réelle ? C’est bien simple : les entreprises se sont tournées vers le marché. À cette fin, elles ont créé des compartiments de financements, avec des systèmes plus ou moins réglementés et plus ou moins accueillants pour le risque.
Traditionnellement, le financement bancaire s’élevait à 75 %, contre 25 % pour le financement de marché. Telle était la répartition entre dette et capital. Or ces taux sont en train d’évoluer à une vitesse assez spectaculaire, pour atteindre respectivement 65 % et 35 %.
Je l’ai déjà souligné, lorsque le principal canal est ensablé et ne permet plus la circulation des flux d’argent, il faut creuser des canaux parallèles. Pour stimuler les capacités financières des entreprises, l’assurance vie peut constituer une solution. Un certain nombre d’initiatives ont été prises, après une première réforme du code des assurances : a notamment été lancé un fonds de prêts contribuant au financement en dettes des PME et des ETI.
Nous espérons élaborer des solutions pour un montant total de 50 milliards d’euros, soit environ 4 % de l’encours. Ce n’est pas rien, même si cela peut sembler peu au regard des 1 400 milliards d’euros que vous avez évoqués, monsieur Placé. Je note toutefois que l’assurance vie n’a pas pour vocation éternelle d’assurer le financement de la dette souveraine dans tous les pays de la zone euro. Elle doit aussi, notamment en raison de l’effort fiscal demandé à ce produit d’épargne tant prisé des Français, se consacrer à l’économie réelle.
Nous serons appelés à traiter de nouveau de ce sujet, monsieur le sénateur, et je vous remercie de l’avoir évoqué !
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour la réplique.
M. Jean-Vincent Placé. Je fais cadeau à M. le ministre de ma réplique, étant donné qu’il a été très complet !
M. Alain Fouché. Belle générosité ! (Sourires.)
M. le président. C’est effectivement très généreux de votre part, monsieur Placé ! (Nouveaux sourires.)
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, les bonnes nouvelles annoncées récemment par la Banque de France, concernant l’amélioration de l’accès au crédit bancaire pour les PME au premier trimestre 2014, ne doivent pas masquer un certain nombre de difficultés qui demeurent, en particulier pour les très petites entreprises.
De fait, alors que la proportion de PME qui parviennent à obtenir au moins 75 % de la somme demandée pour des crédits de trésorerie a progressé pour atteindre 70 %, ce dernier pourcentage reste significativement plus faible que le taux d’obtention de crédits d’investissement, qui, lui, s’élève à 90 %.
Or les difficultés de trésorerie menacent la survie d’un grand nombre de PME, et surtout de TPE. Force est de le constater, malgré les avancées permises, notamment, depuis la mise en place de la Banque publique d’investissement : toutes les entreprises ne sont pas égales face à l’accès au crédit bancaire. Même parmi les PME et TPE, la taille de la société est directement corrélée au taux d’obtention des crédits. Plus l’entreprise est petite, plus son accès au financement est difficile !
Ce problème demeure, et il est très inquiétant de voir des TPE, qui – faut-il le rappeler ? – représentent plus de 99 % des entreprises françaises et 52 % de l’emploi salarié, mettre la clef sous la porte parce qu’il leur manque quelques milliers d’euros de trésorerie.
En outre, les données communiquées par la Banque de France ne tiennent compte que des demandes de crédit effectivement exprimées par les entreprises. Malheureusement, nombre de celles-ci, et surtout les plus petites, renoncent tout simplement à demander un crédit, de peur de se heurter à un refus.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour aider plus efficacement les plus petites entreprises et ne pas les laisser disparaître en raison de difficultés passagères de trésorerie ? (M. Jacques Mézard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Monsieur Requier, avant tout, je tiens à vous dire que 95 % des décisions de la BPI sont prises sur le terrain, en région, et en lien direct avec les entreprises, notamment les TPE. La BPI est une banque de terrain, sur le terrain, au côté des acteurs de terrain ! Les élus locaux qui siègent au sein des comités régionaux d’orientation sont du reste très attachés à ce que les décisions soient prises au plus près des territoires.
Ce constat est d’autant plus important que l’année 2013 a été marquée par une très forte progression des solutions de trésorerie, en particulier pour les TPE. La mobilisation des créances professionnelles a progressé de 11 %, pour atteindre 3,3 milliards d’euros. Au mois de mars 2013 a été lancé le préfinancement du CICE, qui concerne 12 000 entreprises, pour la plupart de très petite taille, comptant moins de dix salariés. S’y ajoute la dynamisation de la garantie sur les crédits bancaires de trésorerie.
Au demeurant, un effet pervers commence à se faire jour : désormais, si la BPI ne prend pas part aux discussions, les banques privées refusent d’intervenir ! Pour résoudre ce problème, il faut faire croître la BPI, comme le soulignait Mme Schurch. Nous devons faire en sorte que cette institution puisse effectivement répondre présent : elle est, de fait, agent de garantie du secteur privé, qui préfère garantir ses profits ailleurs et augmenter les rémunérations de ses dirigeants dans des proportions délirantes ! Il s’agit là d’une véritable difficulté pour la nation.
C’est la raison pour laquelle nous sommes évidemment attentifs à la mobilisation de l’épargne.
Le PEA et les livrets d’épargne, évoqués voilà quelques instants, ont été confiés à l’un des deux grands actionnaires de la BPI, la Caisse des dépôts et consignations. Une mobilisation de l’épargne est déjà assurée par ce biais. Dans le cadre de l’évolution de la Banque centrale européenne vers les politiques dites « non conventionnelles », nous devons nous tourner vers le quantitative easing, tel que le pratiquent les Américains, les Britanniques ou les Japonais, afin de muscler notre secteur bancaire et d’améliorer, ce faisant, l’irrigation de l’économie réelle. J’y travaille avec mes équipes. Mon collègue Michel Sapin et moi-même présenterons nos propositions aux autorités monétaires européennes d’ici à quelques semaines.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, il y a bien un sujet d’optimisme : le crédit bancaire pour les PME s’est assoupli.
Néanmoins, trois inquiétudes demeurent.
Premièrement, ces crédits restent en stagnation.
Deuxièmement, le nombre de TPE déclarant avoir formulé une demande de financement auprès de leur banque est en recul.
Troisièmement, les prévisions d’investissement sont en berne pour les PME.
Nos entreprises et tout particulièrement nos TPE ont besoin de visibilité, de stabilité et de confiance. Mais, comme chacun le sait, la confiance ne se décrète pas ! (M. Jacques Mézard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Je suis heureux de poser cette question à un ministre volontariste !
Un très mauvais dispositif a été créé par la loi de finances pour 2013 et malheureusement reconduit par la loi de finances pour 2014, à savoir la non-déductibilité fiscale partielle des intérêts des prêts que les entreprises souscrivent au titre de leurs investissements.
Sur le moment, cette mesure est passée relativement inaperçue ; les entreprises la découvrent actuellement, par le biais de leurs comptables. Il s’agit néanmoins d’un prélèvement supplémentaire de 4 milliards d’euros, à l’heure où, nous le savons, les marges sont réduites et le problème des investissements particulièrement cruel !
Vous l’avez très bien dit, l’accès au financement devrait être normal dans notre pays. Las, la bourse de Paris est quasi immobile, et l’épargne française reste plutôt rentière. Il existe donc un véritable problème. Les banques n’ont pas d’autre solution que de recourir aux prêts bancaires. Pour les PME et les PMI, la part des investissements financés par la voie de ces prêts atteint même 90 % ! Cette situation a naturellement des effets dévastateurs.
Face à ce constat, ma question est relativement simple. Compte tenu de la réactivité et de l’efficacité dont nous avons besoin, le dispositif en cause sera-t-il réellement revu, comme il le mérite, lors du prochain débat budgétaire ? En 2013, la déductibilité de ces charges financières était limitée à 85 % de l’assiette, contre 75 % en 2014. On ignore pour l’heure quel sera le niveau de ce taux en 2015.
Vous le savez, la non-visibilité fiscale et l’instabilité juridique entravent fortement la confiance. Cette réforme serait assez simple à mener. Elle n’implique pas d’usine à gaz, comme le CICE. Elle permettrait enfin, à mon sens, de rendre assez rapidement confiance aux investisseurs. (M. Alain Fouché applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Monsieur le sénateur, les faits sont assez simples à comprendre : ce système de déductibilité permettait à des grands groupes de procéder, par la dette, à des achats d’entreprises. C’est ainsi la fiscalité qui, finalement, subventionnait de périlleuses entreprises de fusions-acquisitions ! Cette situation ne nous paraissait pas souhaitable.
C’est l’une des raisons pour lesquelles cette facilité de déductibilité des charges d’intérêts a été, non supprimée, mais limitée.
M. Francis Delattre. Certes !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Ces intérêts étaient intégralement déductibles. Désormais, ils le restent en deçà d’un plafond, qui ne concerne ni les TPE ni les PME. En effet, le montant des charges financières au-delà duquel la déductibilité ne s’applique pas est fixé à 3 millions d’euros.
M. Francis Delattre. Effectivement !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Ce dispositif permet aux entreprises de taille modeste de disposer des mêmes facilités qu’auparavant.
Ce seuil a été âprement discuté, lors des débats budgétaires, devant les deux assemblées du Parlement. Faut-il le modifier ? Je n’en suis pas certain. À mes yeux, le système antérieur était économiquement absurde. On ne peut pas subventionner à coups de déductions fiscales l’acquisition, par des grands groupes, d’entreprises au demeurant situées dans le monde entier, alors que ceux-ci accèdent facilement au crédit et peuvent financer eux-mêmes ces opérations. En revanche, pour les petites entreprises qui éprouvent des problèmes de trésorerie et d’endettement, cette disposition reste en vigueur.
Il s’agit donc là d’un équilibre, défini par le législateur, qui sera évalué au regard de l’expérience. Le Gouvernement est attentif à ces questions. Il me semble, en l’espèce, que cette mesure peut connaître une longue carrière !
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour la réplique.
M. Francis Delattre. Monsieur le ministre, vous le savez, il existe déjà des dispositifs anti-abus. De plus, la cible, qui est à la fois la vôtre et la nôtre, ce sont les PME et les PMI qui souhaitent accéder aux marchés internationaux !
Je sais très bien que le plafond est aujourd’hui fixé à 3 millions d’euros. À ce jour, la France compte à peine 1 000 entreprises qui exportent. L’Allemagne en dénombre 5 000. Les sociétés qu’il convient de privilégier, ce sont donc celles qui dépassent de peu cette limite de 3 millions d’euros, qui comptent entre 300 et 600 employés et qui veulent accéder à l’exportation. Las, ce sont précisément les entreprises les plus touchées par ce dispositif.
On déplore en permanence que des accords ne soient pas possibles entre la majorité et l’opposition. Voilà, à mon sens, une question sur laquelle un consensus peut être atteint ! Je le répète, des dispositifs anti-abus existent déjà, concernant les intérêts liés ou encore les cessions d’entreprises.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Nous en sommes tous convaincus, dans la bataille pour l’emploi et la croissance, l’un des leviers essentiels qui doit être favorisé est l’accès des PME et des PMI au financement de leurs investissements et à la consolidation de leur trésorerie. Il s’agit là d’un problème récurrent, sans cesse relayé par les chefs d’entreprise qui font vivre le tissu économique de nos territoires. Ils sont tous les jours confrontés aux réticences des banques à prendre des risques à leurs côtés, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
La mise en place par le Gouvernement de la Banque publique d’investissement, Bpifrance, avait vocation à ouvrir un canal public de financement bancaire à côté du canal traditionnel de la banque privée. Je le rappelle, cette structure a d’abord repris des dispositifs déjà en place, tels que ceux qui existaient au sein d’OSEO ou du Fonds stratégique d’investissement, avant même que soient envisagées de nouvelles propositions d’accompagnement.
La loi relative à la création de la Banque publique d’investissement précise clairement la mission de soutien de l’institution publique aux PME. Quel bilan peut-on faire après plus d’un an d’existence de cet établissement ?
Deux difficultés majeures nous sont sans cesse rapportées dans nos départements.
En premier lieu, Bpifrance se positionne trop souvent en concurrente des banques plutôt qu’en alliée des entreprises. En ciblant prioritairement les entreprises qui n’ont pas de difficulté d’accès au crédit, elle tendrait à évincer les banques privées.
En second lieu, les garanties mises en place par Bpifrance en complément des prêts bancaires sont assorties de tels délais d’entrée en application que les établissements bancaires n’y ont recours que pour des entreprises à la situation historiquement saine. En conséquence, elles bénéficient insuffisamment à des entreprises récentes, innovantes, ou connaissant des difficultés passagères.
Monsieur le ministre, comment cet établissement public pourrait-il mieux soutenir les PME et les PMI de nos régions ? Ne pourrait-on pas, par exemple, réduire les délais que je viens d’évoquer ? Comment parvenir à un meilleur respect par Bpifrance des objectifs fixés par l’article 1er de la loi du 31 décembre 2012 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Monsieur le sénateur, je ne pense pas que la BPI soit une concurrente menaçante pour les banques. Sa taille est équivalente à celle d’une caisse régionale du Crédit agricole. Dès lors, je ne crois pas qu’elle puisse menacer le chiffre d’affaires de BNP Paribas, de la Société générale, ou d’autres…
En réalité, les banques attendent que la BPI intervienne. Or elle a été conçue comme une banque plus patiente et moins gourmande que les établissements privés. Loin des 12 % qui permettent au président exécutif de BNP Paribas d’augmenter sa rémunération de 10 % cette année encore, ou des 12 % à 14 % exigés par le secteur bancaire privé pour distribuer des dividendes en veux-tu en voilà, son taux de retour sur investissement est inférieur de quatre points à celui de la Banque postale !
La BPI est donc une banque originale, atypique. Elle doit bien sûr rester rentable, car il est hors de question de revivre la mésaventure du Crédit lyonnais : que ceux qui pourraient avoir des inquiétudes soient rassurés. Elle n’évince personne. Elle n’est en concurrence qu’avec les établissements qui refusent le risque et qui sont nombreux au portillon, je peux vous l’assurer ! Heureusement que la BPI est là !
Cependant, selon les parlementaires, les élus, la BPI ne prendrait pas assez de risques. Mais il appartient au banquier d’équilibrer et de mutualiser les risques dans son portefeuille. Monsieur Guerriau, je vais proposer aux banques qui se plaignent auprès de vous de suppléer les défaillances éventuelles de la BPI. Nous verrons bien leur réaction… Il ne faut pas inverser l’ordre des priorités.
Cela étant, eu égard au bilan de la BPI, vous devriez, mesdames, messieurs les sénateurs, auditionner son directeur général : il mène une politique ultra-volontariste. Il est le bras armé du redressement productif, de la reconstruction de notre économie, laquelle a été très abîmée au cours de ces années de crise. Il prévoit une augmentation des encours pour ce qui concerne les prêts de développement de 31 % pour cette année, contre 6 % l’année dernière. Voilà une responsabilité assumée.
Je le répète : je vous invite à engager directement une discussion avec les dirigeants de la BPI. Il est d’ailleurs normal que les élus discutent, interpellent et contrôlent, …
M. Francis Delattre. Mais nous le faisons !
M. Arnaud Montebourg, ministre. … car il s’agit d’argent public et de politique publique. Cette banque est un bien public, qui appartient à tous les Français. J’espère que vous l’aurez entendu ainsi.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention et je m’interroge. J’ai souligné qu’il ne pouvait y avoir de concurrence entre la BPI et les banques privées pour les entreprises solvables, pour reprendre les termes que vous avez utilisés. Il doit y avoir une complémentarité.
Par ailleurs, je trouve que les propos que vous avez tenus sont de nature à opposer deux mondes. Vous pointez souvent un doigt accusateur vers les banques privées, considérant qu’elles sont des adversaires et non des alliés dans la bataille pour la croissance.
Je rappelle tout de même que les banques sont soumises à des lois et à des réglementations très dures, résultant notamment de la crise financière de 2008. Afin de respecter ces obligations, elles se montrent plus frileuses et hésitent à prendre des risques.
Selon moi, nous devons davantage être dans une logique de complémentarité entre Bpifrance et secteur bancaire. Monsieur le ministre, vous devez soutenir des mesures en faveur des entreprises solvables, sur lesquelles tout le monde sera d’accord, mais également en faveur des autres. Je pense en particulier à la question, soulevée à plusieurs reprises, des crédits de trésorerie, qui sont une véritable bouffée d’oxygène dans les périodes où les contrats manquent et où les entreprises ont des difficultés pour résister.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le ministre, cela a déjà été rappelé plusieurs fois, si les statistiques indiquent que les conditions d’accès au crédit bancaire semblent satisfaisantes, la perception des chefs d’entreprise est tout autre.
À cet égard, une idée fait aujourd’hui son chemin : il faudrait que les PME puissent émettre des actions et des obligations sur les marchés, grâce à ce que l’on appelle – superbe oxymore à mon sens – la « titrisation saine ». Pour ma part, je ne pense pas que ce soit une bonne solution. Il me semble d’ailleurs que cette idée est contredite par le fait que les banques accroissent bel et bien leur offre de crédit auprès des PME et des TPE. À titre d’exemple, les caisses d’épargne viennent d’annoncer leur volonté de prêter plus de 13 milliards d’euros aux entreprises.
À l’inverse des grandes entreprises et des ETI, nos PME et nos TPE ont, elles, traditionnellement, une relation qui demeure privilégiée avec leur banque. Aussi devons-nous, pour sortir de la crise, reconsolider ce lien. Pour cela, nous devons inventer de nouvelles formes mixtes de financement qui tiennent compte des nouvelles exigences en matière de fonds propres légitimement imposées aux banques.
À cette fin, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que nous aurions tout intérêt à consolider le métier de banquier pour que nos PME et nos TPE puissent continuer à bénéficier de bonnes conditions de financement, à des taux modérés et compétitifs, comme c’est le cas en ce moment ?
Surtout, nous devons garantir que la diversification des sources de financement, auxquelles nos PME et nos TPE devront recourir, ne se fera pas à des conditions plus onéreuses et plus contraignantes.
Comment le Gouvernement compte-t-il aider les banques à y parvenir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Il est certain que le mot « titrisation » est frappé du sceau de l’infamie depuis la crise des subprimes, monsieur le sénateur. Ce mécanisme financement était un moyen de dissimuler les junk bonds, les actifs pourris, qui étaient mal choisis, mal notés, mal contrôlés ; l’émetteur et le contrôleur étaient d’accord pour les surévaluer. Nous connaissons la suite et nous savons comment l’économie a été entièrement contaminée par la titrisation.
Nous observons dans toute l’Europe que, le secteur bancaire étant défaillant, les entreprises cherchent à s’adresser directement au marché. Les PME le peuvent moins que d’autres, car elles ne sont généralement pas cotées. Quand elles le sont, la cotation se fait sur un marché étroit. Le risque est mal évalué, ou difficilement évaluable. Les PME cherchent à mutualiser le risque de leur financement sur des titres qui sont évidemment un assemblage de titres de PME.
Pour des raisons éthiques, que nous partageons avec vous, monsieur le sénateur, nous pensons que si ce marché doit se développer, ce doit être sous le contrôle de la Banque de France, dont la notation sera, elle, au-dessus de tout soupçon. On ne saurait en effet la soupçonner de conflit d’intérêts, contrairement, selon un certain commissaire européen au marché intérieur, aux agences de notation privée.
C’est l’une des raisons pour lesquelles il nous paraît utile de développer, dans un cadre déontologique, des capacités de financement direct sur le marché. C’est le moyen par lequel les assurances vie et la Banque centrale européenne imaginent injecter de l’argent directement dans l’économie, sans passer par le secteur bancaire.
Je rappelle que, voilà trois ou quatre ans, la Banque centrale européenne a refinancé tout le système bancaire de la zone euro, à hauteur de 1 000 milliards d’euros. Toutefois, les banques n’ont pas utilisé cet argent et ont remis la moitié de cette somme dans les livres de la Banque centrale européenne. C’est bien la preuve que le système ne fonctionne pas. Le canal historique du financement de l’économie réelle est embourbé. Nous devons donc imaginer ensemble d’autres voies de financement.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour la réplique.
M. Claude Bérit-Débat. Vous l’aviez compris, monsieur le ministre, je n’étais pas favorable au développement de ce marché, mais vous m’avez rassuré en évoquant un strict encadrement de la Banque de France.
Je vous remercie de vos actions relatives au financement des PME et des TPE. Un certain nombre d’organismes de soutien ont été visés. Selon les remontées du terrain, la politique que vous menez semble aller dans le bon sens.
J’espère que les PME et les TPE pourront continuer à recourir au crédit sans avoir besoin de forcer la main aux banques qui, je le répète, ne jouent pas toujours le jeu à leur égard, notamment du point de vue de la nécessaire confiance.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, 70 % de l’activité des TPE et les PME sont financés par les collectivités et les petites communes.
La faillite de Dexia a réduit de 17 milliards d’euros par an les capacités de financement des collectivités, dont le montant s’élève désormais à 3,5 milliards d’euros. Où trouver les milliards qui font défaut ?
Dans son projet, le Premier ministre conserve le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Or cette véritable usine à gaz est surtout favorable, on le sait bien, aux grandes entreprises. La suppression de cette mesure permettrait de réaliser une économie et de disposer de 20 milliards d’euros pour financer les petites entreprises.
Rappelons que les TPE n’ont pas la possibilité de s’assurer un fonds de roulement en jouant sur les délais des clients et des fournisseurs, comme les grandes entreprises.
Les accords de Bâle III ont contribué à épuiser le crédit bancaire. Bpifrance joue le jeu, mais ne répond pas aux attentes, comme mes collègues l’ont souligné avant moi. Les faillites des microentreprises sans salarié et des TPE ont ainsi bondi au premier trimestre 2014. Au total, selon le cabinet d’études Altares, depuis le début de l’année, près de 7 000 microentreprises ont déposé le bilan, soit 800 de plus en un an, et 8 455 petites entreprises ont subi une procédure collective. J’ajoute que le développement des transactions sur internet menace bel et bien le petit commerce, qui est au cœur de nos cités.
Face à ce constat, quels moyens comptez-vous mettre en œuvre, monsieur le ministre, pour sauver le petit commerce et, de manière plus générale, pour assurer le financement de nos très petites entreprises ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Madame la sénatrice, le CICE n’est pas, comme je l’ai entendu dire deux fois, une usine à gaz. Il s’agit d’une baisse d’impôt applicable uniformément et sans contrôle. Cela nous a d’ailleurs été suffisamment reproché. Peut-être a-t-il été compliqué de l’anticiper par des mesures de préfinancement, mais ce dispositif a au moins le mérite de la simplicité.
La seule condition, c’est qu’il puisse en être discuté dans l’entreprise avec les partenaires sociaux, ce qui n’est quand même pas trop demander. Que feront les entreprises de cet oxygène supplémentaire ? Elles pourront procéder à des embauches pour pallier le manque de personnel, acquérir enfin une machine, convertir des CDD en CDI, ou tout simplement constituer des marges d’autofinancement pour se redonner de la force et être capables d’emprunter.
Au terme des entretiens que le Premier ministre et moi-même avons eus la semaine dernière avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales, je puis vous dire que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi commence à être appliqué. Du reste, personne n’en a demandé la remise en cause dans le cadre des extensions du pacte de responsabilité.
L’enquête du cabinet Altares qui vient de paraître sur le premier trimestre 2014 et que vous avez citée, madame la sénatrice, fait apparaître un phénomène contrasté : tandis que les PME de plus de cinquante salariés connaissent une chute spectaculaire du nombre de faillites – moins 28 % –, les microentreprises enregistrent une hausse des défaillances que vous avez à juste titre signalée.
C’est d’ailleurs tout l’objet de notre politique : notre économie souffre d’un manque d’offre, de performance et de compétitivité de l’appareil productif auquel nous sommes en train de porter remède, et les premiers fruits de nos efforts se font déjà sentir : moins de plans sociaux, plus de sauvetages de grandes entreprises – j’en ai cité quelques-unes tout à l’heure –, des PME qui se renforcent et des secteurs industriels qui repartent à des niveaux de production remarquables. Tout cela est très positif.
Reste le cas de l’économie de proximité, de service, qui connaît un affaissement, ce qui soulève la question du pouvoir d’achat des ménages. C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans le pacte de responsabilité, 5 milliards d’euros sont consacrés à ce dernier, afin de soutenir la demande. Outre un problème d’offre et de compétitivité, notre pays connaît un problème de demande.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.