M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’Union européenne nous encourage fortement à améliorer l’équité de notre procédure pénale, et c’est une excellente chose. Notre assemblée, dont le groupe du RDSE, est très attachée à la protection des libertés, et plus précisément à l’exigence d’un procès équitable.
Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 30 novembre 2009 une feuille de route dont découlent six mesures : elles visent toutes à instaurer des normes minimales en matière de procédure pénale. L’objectif est de permettre la reconnaissance mutuelle des décisions pénales et de compléter les obligations issues de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi de la Charte de l’Union.
Plusieurs directives déclinent ces mesures. La première directive, dite « directive A », a déjà été transposée. Aujourd’hui, nous transposons la « directive B » du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales : le temps presse puisque l’échéance pour la transposition a été fixée au 2 juin prochain. Toutefois, le projet de loi ne s’arrête pas là, car il transpose en partie la « directive C », relative au droit d’accès à un avocat.
L’information délivrée à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ou poursuivie à ce titre est indéniablement au cœur du procès équitable. Il n’y a pas de jugement contradictoire, pas d’égalité des armes, pas de défense effective si le principal intéressé ignore les droits qui lui sont reconnus par la loi, les chefs d’accusation retenus et les charges rassemblées contre lui.
C’est la raison d’être de la directive B, et le projet de loi renforce les droits de la défense tout au long de la procédure. Le texte a été amélioré, a gagné en clarté et en cohérence lors de son passage devant les deux assemblées. Aussi voudrais-je m’attarder sur les deux points les plus marquants de ce texte, qui traduisent une innovation et une lacune : il s’agit de la consécration du statut de suspect entendu librement – si tant est que l’on puisse parler de liberté en ce cas – et de l’accès au dossier pour l’avocat.
Le projet de loi consacre le statut du suspect entendu librement. Cette évolution est d’importance, car elle vient encadrer cette zone grise qu’est « l’audition libre ». Du point de vue des enquêteurs, cette audition libre a un avantage concurrentiel évident sur la garde à vue, puisque le suspect n’a quasiment aucun droit.
En effet, si les droits de la défense ont été renforcés par la loi du 14 avril 2011 sous la pression de la jurisprudence européenne et interne, le suspect entendu librement n’a pas le droit à l’assistance d’un avocat. Le Conseil constitutionnel a seulement exigé que la personne soit informée de la nature, de la date de l’infraction et de son droit de quitter les locaux de police.
L’audition libre est largement utilisée ; elle a concerné environ 800 000 personnes en 2012, tandis que 380 000 personnes ont été placées en garde à vue.
Le projet de loi va au-delà de la légalisation de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, en prévoyant que seront notifiés au suspect son droit au silence, le droit à un interprète et, surtout, son droit à l’assistance d’un avocat. Le projet anticipe ainsi la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales Avec ce texte, l’audition libre ne sera plus un outil de contournement des droits de la défense.
Le second point que je souhaite aborder est l’accès au dossier pour l’avocat de la personne gardée à vue. La directive n’impose que des règles minimales ; notre combat pour une justice équitable doit nous conduire à aller plus loin.
La directive transposée, en particulier son article 7, a suscité de nombreux espoirs. Le deuxième paragraphe dudit article exige en effet un accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, ce qui semble imposer l’élargissement de la liste des pièces accessibles à l’avocat.
Aujourd’hui, l’avocat du gardé à vue ne peut consulter que quelques pièces du dossier ; cette limitation entame l’efficacité de la défense, l’avocat n’ayant notamment pas accès aux procès-verbaux d’audition des victimes ou de perquisition.
Madame la garde des sceaux, sur ce point, vous nous renvoyez à un autre rendez-vous qui fera suite à la publication des conclusions de la mission que vous avez confiée à M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon. Une réforme d’ampleur est probablement nécessaire, car nous légiférons trop souvent par petites touches.
Comment pouvons-nous être certains que cette réforme aura lieu ? De nombreuses réflexions ont été menées ; il est possible de citer par exemple la commission Donnedieu de Vabres ou encore la commission « Justice et droits de l’homme » présidée par Mme Mireille Delmas-Marty. Des propositions ont été adoptées, mais la réforme d’ensemble, cohérente, n’a pas eu lieu.
Vous nous avez proposé un rendez-vous et vous avez affirmé devant les députés qu’il ne sera pas repoussé aux calendes grecques. Sans doute faudra-t-il quitter cette approche selon laquelle le respect des droits de la défense s’oppose à l’efficacité des procédures.
Comme vous l’avez indiqué aux députés, madame le garde des sceaux, « l’on craint trop souvent d’introduire du contradictoire ou d’améliorer les droits de la défense dans le cadre des enquêtes pénales, alors que l’expérience a prouvé que l’efficacité de ces enquêtes s’en trouvait au contraire grandie ».
En attendant ce rendez-vous, comme en première lecture, le groupe du RDSE apporte son soutien à ce texte et à la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si nous nous réjouissons que ce texte prévoie un renforcement important des droits de la défense à toutes les phases de la procédure – il tend notamment à encadrer le déroulement des « auditions libres » en rendant plus systématique le droit de la personne suspecte à être assistée par un avocat –, je veux redire ici l’appel du groupe écologiste à une refonte plus globale des procédures d’enquête et d’instruction qui soit conforme aux principes énoncés par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est le droit pénal et la procédure pénale qu’il faut reconsidérer dans leur entier. Il faut cesser de réviser notre droit par petits bouts, au rythme des délais de transposition des directives et des condamnations de la CEDH.
Je le rappelle, il aura fallu les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme Dayanan contre Turquie du 13 octobre 2009, puis Brusco contre France du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010 pour que soit enfin élaboré le projet de loi permettant à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue. Cette loi, adoptée le 14 avril 2011, était un premier pas, nécessaire, mais loin d’être suffisant.
Je veux saluer ici le travail de mes collègues écologistes, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, qui se sont investis avec conviction pour enrichir ce texte. Ils ont plaidé, avec vigueur, pour que des mesures essentielles aux droits de la défense soient adoptées immédiatement, sans attendre les conclusions d’une énième mission ou d’un énième rapport.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je fais notamment référence à l’amendement écologiste présenté par M. Sergio Coronado, adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale, prévoyant l’accès de l’avocat au dossier de l’enquête dès le début de la garde à vue et sur lequel le Gouvernement est revenu en séance.
En effet, les pièces de la procédure dont l’avocat peut prendre connaissance depuis la loi de 2011 sont limitativement énumérées par l’article 63-4-1 du code de procédure pénale. Cependant, ces documents ne concernent en rien les éléments de fond du dossier et ne permettent donc pas à l’avocat d’assister effectivement son client lors des auditions au cours desquelles il peut être présent.
Si la directive n’impose pas un tel accès au dossier, il nous semble pourtant que son esprit encourageait l’adoption d’une telle disposition. De surcroît, il ne fait aucun doute que, dans quelques années, si ce n’est quelques mois, les exigences de la jurisprudence de la cour de Strasbourg et des textes européens nous imposeront de revenir sur le sujet.
Toutefois, le présent projet de loi contient, dans l’ensemble, des avancées notables en matière de procédure pénale.
L’article 1er, par exemple, renforce de manière considérable les garanties offertes à la personne entendue dans le cadre de l’audition libre. En effet, le droit au silence, le droit à un interprète, ainsi que les droits à des conseils juridiques et, surtout, à l’assistance d’un avocat seront désormais notifiés au suspect entendu librement.
Nous nous félicitons également que la suppression de l’article 10, qui autorisait le Gouvernement à prendre une ordonnance pour adapter certaines dispositions législatives du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à la réforme du règlement Dublin II, ait été maintenue.
Cette refonte est nécessaire et les écologistes demandent depuis longtemps l’instauration d’un recours suspensif contre les décisions de transfert prises à l’encontre d’étrangers dont la demande d’asile relève de la compétence d’un autre État membre.
Mais une telle réforme ne doit pas être élaborée à la légère, si j’ose dire, et hors du contrôle du Parlement. Le Gouvernement doit s’engager sur cette question et faire des propositions concrètes au législateur. Nous attendons avec impatience de pouvoir enfin débattre et améliorer les droits des demandeurs d’asile et, plus généralement, des étrangers, tellement mis à mal par le précédent exécutif.
Pour conclure, et malgré les quelques réserves évoquées précédemment, le groupe écologiste votera ce texte, et d’autant plus résolument que sa discussion constitue, à quelques jours des élections européennes, une belle occasion de montrer au plus grand nombre que l’Europe et la construction de son droit commun peuvent aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous les citoyens européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, justifié par la nécessité de transposer avant le 2 juin 2014 – nous sommes donc dans les temps, c’est bien –…
M. Jean-Jacques Hyest. … la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ce projet de loi procède à plusieurs ajustements d’ampleur inégale au sein des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’enquête, à l’instruction et à la phase de jugement.
Il procède également par anticipation, et nous vous en félicitons, madame le garde des sceaux, les deux aspects étant liés, à une transposition partielle de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, dont la transposition devra être achevée avant le 27 novembre 2016. Un nouveau projet de loi viendra donc compléter, le moment venu, ces dispositions.
Nous sommes bien entendu favorables à l’adoption de ce texte eu égard au caractère impératif des directives européennes qu’il transpose. Nous avons d'ailleurs toujours défendu un espace judiciaire européen et le Sénat avait beaucoup travaillé sur le mandat d’arrêt européen.
Pourtant, chacun constate que notre procédure pénale est bouleversée par les modifications par petites touches introduites par le droit communautaire mais aussi et surtout par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En conséquence, une refonte globale de notre procédure pénale est, à terme, inévitable, ce qui pose à l’évidence bien d’autres questions que celles qui sont évoquées aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, le travail parlementaire et la commission mixte paritaire auront permis d’apporter des modifications de nature à établir un texte qui représentait au départ de lourdes contraintes, notamment pour les forces de l’ordre. Des inquiétudes se sont exprimées sur l’efficacité de la procédure. Beaucoup nous ont mis en garde sur le risque d’augmentation du nombre de gardes à vue si nous compliquions trop les auditions libres.
Les comparaisons montrent que les auditions libres permettent de régler beaucoup de choses sans recourir à la garde à vue. On l’oublie toujours, mais il s’agit de la réalité que vivent chaque jour les enquêteurs !
Notre débat d’aujourd’hui est donc d’une grande importance, puisque nous renforçons une nouvelle fois les droits de la défense. Comment ne pas s’en réjouir ?
Mon propos sera relativement bref, nous avons largement discuté de ces questions en première lecture et encore avant-hier soir, lors de nos échanges en commission mixte paritaire. Je souhaiterais toutefois aborder plus précisément quelques aspects de ce texte.
Vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, le principe de l’audition libre avait été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel en 2011.
Cette audition libre crée une nouvelle « strate » dans le statut des personnes entendues par les forces de police, puis par la justice. Elle concernera ainsi toute personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de « soupçonner » qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas gardée à vue.
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur le terme « soupçonner », qui a suscité un débat en commission des lois. Les députés avaient en effet inventé, pour les personnes auditionnées en dehors d’une garde à vue, le statut de « personnes suspectées ». Or cette formule était pour le moins paradoxale : en dépit de la présomption d’innocence, la personne entendue en audition libre était malgré tout considérée comme suspecte. Voilà qui était un peu malheureux. Nous avons apporté les corrections nécessaires et les termes « personne suspectée » ne se trouvent plus qu’à l’article 4, à bon droit, car il est alors question de garde à vue et non d’audition libre.
Cette audition libre concernera donc toute personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas gardée à vue, que cette audition intervienne dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou sur commission rogatoire, ou encore d’une enquête douanière.
S’agissant des droits de la défense, nous ne pouvons, bien sûr, dénigrer tout le travail déjà effectué : la réforme de la garde à vue, pour ne citer qu’elle, était indispensable et a indéniablement fait progresser notre législation. Souvenez-vous de nos débats, sur les dangers de cette réforme, de la possibilité de faire connaître leurs droits aux gardés à vue, notamment le droit de garder le silence ou non… Tout cela a duré des années et, au final, il n’y a pas eu de catastrophe. Comme quoi, mes chers collègues, il faut toujours raison garder.
Il faut également conserver à l’esprit la nécessité constante de préserver une forme d’équilibre entre les droits de la défense et les moyens d’enquête destinés à permettre la manifestation de la vérité. Je pense à tous les aspects importants liés au contenu du dossier.
Un point mérite quelques éclaircissements, celui de la question de l’accès à la justice pour tout citoyen. En effet, madame le garde des sceaux, comment parler d’égal accès à la justice si, faute de moyens financiers, on ne peut bénéficier de la possibilité d’être assisté, comme nous le prévoyons ?
La réponse à cette question semble simple : le recours à l’aide juridictionnelle. Or les chiffres contenus dans l’étude d’impact de ce projet de loi concernant l’aide juridictionnelle sont impressionnants. Ce dispositif est déjà confronté à des difficultés considérables, et je ne vois pas comment le problème pourra être réglé aujourd’hui. Nous arriverons probablement à des situations dans lesquelles le suspect – pardon, le « soupçonné » – ne disposera pas d’avocat, faute de pouvoir rémunérer ce dernier pour une demi-journée ou une journée. Il s’agit là d’un point des plus inquiétants.
On peut faire de très belles réformes, mais encore faut-il qu’elles soient d’application effective et qu’elles se traduisent d’une manière ou d’une autre. L’aide juridictionnelle, on le sait, est en crise depuis plusieurs années et cela s’aggrave… On peut écrire de beaux textes, si on ne peut les appliquer, le résultat est redoutable.
En conclusion, sachez que nous voterons ce texte, qui permet à la fois de procéder à la nécessaire transposition d’une directive européenne et de faire avancer les droits de la défense auxquels nous sommes tous, j’en suis sûr, profondément attachés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons ce matin au terme d’un exercice de transposition de directive qui concerne l’une des zones les plus sensibles de notre corpus juridique : la procédure pénale.
Le rôle de notre assemblée est – nous le savons – bien limité : dans un exercice de transposition, nous avons assez largement les mains liées.
Avec l’adoption de ce projet de loi, nous devrions être en conformité avec les exigences communautaires, du moins pour quelques mois…
Quelques mois, en effet, mais guère plus. Comme je l’ai déjà rappelé en première lecture, s’agissant de la question de l’accès au dossier – on pourrait sans doute trouver d’autres exemples –, les exigences d’autres directives, déjà adoptées, nous obligeront à modifier de nouveau notre droit dans les années à venir. Cela se fera avec ce sentiment désagréable d’avoir parfois un train de retard et de devoir transposer en urgence des directives dont on connaît pourtant depuis plusieurs années les exigences et la portée. Mais cette situation n’est pas propre au droit pénal.
Dans un avis publié le 10 mai dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme regrette : « une approche disparate, segmentée des problématiques relatives à la phase d’enquête dont les réformes, qui interviennent au gré de l’arrivée à échéance des dates de transposition des directives et des évolutions des jurisprudences européenne et constitutionnelle, paraissent souvent inabouties, voire insuffisantes. Il en découle une complexification des dispositions du code de procédure pénale ».
Ce constat de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, nous le partageons. Dans la suite de son avis, elle appelle de ses vœux « une réforme d’envergure de l’enquête pénale, traduisant une vision politique d’ensemble », ainsi qu’« un travail législatif ambitieux et réfléchi ».
Évidemment, il ne s’agit surtout pas de dénigrer les avancées récentes qu’a connues notre procédure en matière d’amélioration des droits de la défense ; je pense notamment à la réforme de la garde à vue, il y a quelques années. Il s’agit surtout de souligner la nécessité de réaliser un travail global, cohérent, de modernisation de l’enquête et du procès pénal, tout en continuant à défendre ce qui fait la spécificité de la procédure pénale française.
La matière scientifique, la doctrine, est extrêmement riche en ce domaine et nous ne manquons pas de rapports – rapport Donnedieu de Vabres, déjà ancien, rapport Delmas-Marty, rapport Léger et bien d’autres... Il nous faut maintenant passer du temps de la réflexion à celui de la décision. Et, cette décision, elle revient au législateur, qui doit effectuer ce travail de modernisation de notre droit répressif.
Pour en revenir au texte que nous examinons aujourd’hui, les avancées qu’il contient pour améliorer les droits de la défense ne seront vraiment opérationnelles que si de nouveaux moyens budgétaires importants sont dégagés pour en garantir l’effectivité.
Or l’étude d’impact jointe au projet de loi se révèle incomplète à plusieurs égards. Comme Mme Untermaier, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, je regrette, par exemple, que l’étude d’impact n’évalue pas le coût en équivalents temps plein annuels résultant de la notification et de la mise en œuvre des droits du suspect – depuis l’élaboration du texte de la CMP, je devrais plutôt dire de la personne « soupçonnée » –, ni le coût pour les finances publiques de la rétribution des interprètes qui viendraient assister les personnes étrangères auditionnées par les services d’enquête.
Le travail qu’a réalisé notre rapporteur est allé dans le bon sens et je salue les améliorations qu’il a introduites. Nous nous devons évidemment de transposer toutes les directives mais, à titre personnel, je suis quelque peu sceptique sur les améliorations réelles apportées au fonctionnement de la justice pénale par certaines des dispositions introduites dans ce projet de loi.
Nous y sommes certes contraints, mais je me demande parfois si, à force de vouloir – de devoir, dirai-je – établir un nouvel équilibre entre les droits des enquêteurs et ceux des personnes interrogées, l’enquête et la justice ne risquent pas d’y perdre un jour en efficacité.
Je reconnais que cette question n’est pas nouvelle ; elle avait déjà été soulevée par d’autres collègues au moment de la réforme de la garde à vue.
S’agissant d’un texte de transposition, nous voterons bien sûr l’ensemble du projet de loi dans la rédaction issue de la commission mixte paritaire, en souhaitant toutefois qu’à l’avenir nous n’attendions pas le délai limite – je ne suis pas le premier à le dire, et je ne serai sûrement pas le dernier – pour transposer les directives, surtout dans un domaine aussi sensible que le droit pénal.
Le changement de méthode que vous avez évoqué dans votre intervention, madame la garde des sceaux, me semble donc aller dans le bon sens et nous permettra, je l’espère, d’échapper aux critiques périodiquement formulées par les instances européennes et qui, à titre personnel, me paraissent assez injustes, compte tenu de la qualité générale de nos policiers, de nos gendarmes et de nos magistrats. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avant d’aborder le contenu de ce projet de loi, auquel je suis favorable, comme j’ai pu le souligner lors de mes interventions, je voudrais vous faire part de quelques réserves concernant la forme et, plus précisément, l’organisation du débat.
Première réserve : personne ne l’ignore ici, les parlementaires ont un rôle important à jouer au stade de la transposition des textes européens, notamment celui de veiller à ce que les transpositions soient fidèles et exhaustives. Et même si les objectifs de la directive doivent être respectés, nous disposons de marges de manœuvre concernant, par exemple, le choix des moyens pour parvenir à ces objectifs, ce qui nous permet, heureusement, de faire des choix politiques.
Tout cela pour dire que, même si nous devons nous efforcer de respecter les délais de transposition, cet effort ne peut pas systématiquement justifier le recours à une lecture accélérée, laquelle ne permet pas, in fine, au législateur d’exercer convenablement son rôle sur ces sujets parfois techniques.
Seconde réserve : ce projet de loi vise à mettre notre législation en conformité avec la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, qui doit être transposée au plus tard le 2 juin 2014. Il anticipe aussi la transcription d’une partie de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat des personnes suspectées dans la perspective de sa nécessaire transposition avant 2016.
Il est dommage que cette transcription partielle, qui intervient bien avant le terme du délai de transposition, tombe sous le coup d’une procédure accélérée – même si je comprends, madame la garde des sceaux, l’intérêt de lier la réflexion sur ces deux directives – et il est surtout dommage que l’on ait choisi de procéder par étapes en divisant le texte.
Tout comme notre rapporteur, je pense que le présent projet de loi pouvait être plus ambitieux et qu’il aurait été plus logique, plus efficace et, surtout, plus sûr de préparer une loi de transposition unique pour ces deux directives. Encore aurait-il fallu changer la méthode et chercher à anticiper…
En effet, tout comme la procédure accélérée, les réformes au coup par coup empêchent toute remise à plat ambitieuse et cohérente de notre procédure pénale. Pourtant, cette dernière, parce qu’elle touche à la liberté des personnes mises en cause, doit être sûre et s’inscrire dans le temps, sous peine d’être sans cesse remise en question et donc, de fait, de fragiliser les enquêtes en cours.
Madame la ministre, vous avez justifié ce choix par le souhait d’attendre la remise du rapport, prévue en juin, de la mission chargée de mener une réflexion globale sur l’enquête pénale. Malgré les réserves que je viens d’émettre, on ne peut reprocher cette recherche d’expertise, qui marque une volonté de bien faire de votre part et que nous saluons.
Nous espérons donc que le Parlement pourra se saisir de ces travaux, qui s’ajouteront à d’autres rapports déjà sur les bureaux depuis quelques années, pour proposer un texte d’ampleur, cohérent et ambitieux qui nous évitera par la suite de devoir revenir par à-coups sur notre code de procédure pénale.
Sur le fond, ma position n’a pas évolué depuis le débat que nous avons eu il a quelques semaines. Nous soutenons donc l’ensemble des avancées que contient ce texte.
Tout d’abord, quel que soit le cadre juridique de l’audition libre, la personne mise en cause bénéficiera désormais d’un certain nombre de droits.
Jusqu’à présent, au regard de la loi de 2011, la personne entendue sous le régime de l’audition libre ne bénéficiait d’aucun droit particulier, hormis celui d’être informée « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».
Or ce type d’audition au cours de laquelle une personne est amenée à s’exprimer sur des faits pouvant donner lieu à des poursuites – cela signifie qu’elle est susceptible de s’auto-incriminer – doit être strictement encadré. Tel était d’ailleurs le sens des amendements que nous avions déposés en 2011.
C’est pourquoi nous ne pouvons que soutenir les avancées du texte en la matière, d’autant que plusieurs de nos amendements ont été adoptés en première lecture.
Le projet de loi marque par ailleurs une avancée significative dans le sens du renforcement du caractère contradictoire de notre procédure pénale lors de la phase d’instruction, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Chaque partie, assistée d’un avocat ou non, devrait avoir accès aux pièces du dossier, en obtenir copie, pouvoir présenter des observations sur chaque pièce et chaque acte réalisés au cours de la procédure, pouvoir solliciter des investigations, avoir connaissance des observations et des demandes des autres parties et être en mesure d’y répondre. Il s’agit là d’une composante essentielle des droits de la défense et du procès équitable.
Pour finir, je souligne le maintien de la suppression de l’article 10 par l’Assemblée nationale. Cet article prévoyait une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance sur le droit d’asile et constituait un véritable cavalier, susceptible d’avoir pour effet de restreindre sérieusement les droits des demandeurs d’asile. Notre vote sur l’ensemble du texte était subordonné à sa suppression.
En attendant de disposer d’une réforme d’ampleur qui pourrait, qui sait, permettre aux avocats d’accéder à l’intégralité du dossier lors de la phase de l’enquête, et notamment lors de la garde à vue, je souhaite souligner l’excellent travail mené par notre commission sur ce texte, malgré la multiplicité et la complexité des textes en cours d’étude au même moment. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)