M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre mission d’information a été constituée mi-novembre 2013, soit un peu moins de deux mois après la création effective des ESPE à la rentrée universitaire.
L’objectif de nos travaux était clair : suivre pas à pas la première année de mise en œuvre de la réforme et faire un bilan d’étape. Nous sommes encore au milieu du gué, et ce n’est qu’au cours de l’année scolaire prochaine que le nouveau parcours de formation des enseignants sera entièrement installé.
Créées en lieu et place des anciens instituts universitaires de formation des maîtres, en application de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, ces nouvelles structures doivent remplir un double objectif : d’une part, parachever l’« universitarisation » de la formation des enseignants après l’intégration des IUFM aux universités en 2008 et la « masterisation » en 2010 ; d’autre part, reprofessionnaliser fortement un parcours de formation qui avait pâti de la suppression de l’année de stage. À cette fin, la seconde année de master sera pleinement consacrée à la formation par alternance, en offrant aux lauréats du concours présenté en fin de master 1 une formation théorique et didactique conjuguée à un mi-temps en responsabilité devant des élèves.
La réforme a été mise en œuvre à marche accélérée : les discussions ont été entamées dès décembre 2012 au sein de chaque académie autour du projet d’ESPE, et ce malgré l’absence de cadre législatif et réglementaire définitif.
Dans un contexte initial incertain, les différentes parties prenantes ont exprimé des inquiétudes légitimes. Quand les présidents des universités intégratrices s’interrogeaient sur la capacité de leur établissement à mettre en œuvre une réforme ambitieuse dans un cadre budgétaire contraint, un certain nombre d’universitaires se montraient sceptiques sur l’universitarisation effective de la formation des enseignants et sur la place accordée à la recherche, compte tenu du poids de l’alternance en master 2 et du positionnement du concours en fin de master 1.
Dans le même temps, les étudiants demandaient en priorité à disposer en master 1 d’une préparation solide aux concours, ce qui explique leurs craintes quant à la diminution du nombre d’heures de formation ou au rétrécissement des budgets de fonctionnement des ESPE par rapport à ceux des anciens IUFM.
La mise en place des ESPE a fait l’objet d’un pilotage et d’un suivi interministériels. Cette coresponsabilité est incontournable : il n’était à l’évidence plus possible de raisonner comme si l’employeur qu’est l’éducation nationale demeurait coupé du suivi et du contrôle de la mise en place des ESPE et de la cohérence du contenu des formations de master assuré par le ministère de l’enseignement supérieur.
La création des ESPE coïncide avec une recomposition majeure du paysage universitaire initiée par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Les inquiétudes et les tensions doivent se comprendre sur cette toile de fond.
On peut dire que les dossiers d’accréditation ont été de qualité inégale : environ un tiers de projets aboutis, un tiers de projets s’inscrivant dans une situation intermédiaire et appelant des ajustements et un dernier tiers de projets problématiques, manquant de maturité, les ESPE se résumant bien souvent à des coquilles vides, sans réelle maîtrise du contenu ou de l’organisation des formations.
Trente ESPE ont été accréditées par arrêté ministériel le 30 août 2013. L’ensemble des écoles ainsi créées a été accrédité à compter du 1er septembre 2013 pour une durée équivalente au contrat quinquennal en cours d’exécution liant l’université intégratrice à l’État ou bien, si celui-ci arrivait à échéance dans l’année, pour une durée équivalente au prochain contrat en cours de préparation.
Parmi les trente ESPE accréditées, quatre ont été expressément habilitées à ne délivrer les quatre mentions du master MEEF – métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation – que pour une durée d’un an, jusqu’au 31 août 2014.
Les trois ESPE des académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique font, pour leur part, l’objet d’un accompagnement spécifique pendant la première année suivant leur création.
Le début de l’année 2013-2014 a été consacré à l’installation, dans chaque ESPE, des trois instances de gouvernance prévues par la loi : le conseil de l’école, le conseil d’orientation scientifique et pédagogique et le directeur. La définition des corps électoraux a été très délicate en raison de conflits d’interprétation des textes. Les modalités d’application pratique de la parité se sont révélées très complexes dans les secteurs où la répartition entre sexes est traditionnellement déséquilibrée.
Les conseils d’école, pour la plupart constitués à la fin de l’année dernière, ont ensuite examiné les candidatures au poste de directeur. Ils ont transmis aux ministres de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale leurs propositions de nomination.
Au printemps 2014 s’est achevée la mise en place structurelle des ESPE et de leurs organes de gouvernance, au terme d’un processus rapide et globalement fluide, malgré la complexité des opérations à mener.
L’ESPE nouvelle n’est pas simplement une construction juridique et administrative chargée de fédérer diverses formations. Elle doit devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre les IUFM et les universités. Pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives.
Or l’intégration des ESPE dans le tissu universitaire est variable selon les académies. Des régimes très différents d’interaction prévalent d’une académie à l’autre selon l’importance de l’IUFM par le passé et selon la force des universités. D’un côté, la masterisation a définitivement placé les universités dans une situation de force ; de l’autre, des IUFM très actifs, bien dotés par le passé et porteurs d’une culture d’autonomie très forte, tentent de se perpétuer dans les nouvelles ESPE. Une certaine inertie historique prolonge les tensions anciennes.
À l’inverse, dans certaines universités, les UFR, les unités de formation et de recherche, travaillent déjà en bonne intelligence avec les ESPE, au service du projet commun. L’antériorité de la collaboration et du dialogue entre l’IUFM et les universitaires est un facteur important de facilitation de la réforme, comme c’est le cas dans l’académie de Clermont-Ferrand.
On le constate, le succès de la réforme dépend de la qualité de la coopération entre les ESPE et les autres composantes universitaires, afin de conjuguer les dimensions professionnelles et académiques et de développer simultanément les compétences pédagogiques, didactiques et disciplinaires. Sans apport véritable des travaux de recherche et sans participation suffisante aux modules transversaux à vocation professionnalisante, la contribution des UFR se limiterait trop souvent à une préparation académique aux concours.
L’émergence d’une culture d’école requerra surtout l’effacement de la dichotomie inscrite dans les parcours de formation des enseignants du premier et du second degré. C’est par l’établissement de véritables troncs communs de formation au sein des maquettes que l’on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire. L’enquête réalisée entre décembre 2013 et janvier 2014 par le bureau de liaison du réseau des ESPE révèle ainsi que deux tiers des écoles ont mis en place un tronc commun. Dans 44 % des cas, le tronc commun permet un mélange des étudiants des mentions « premier degré », « second degré » et « encadrement éducatif » du master MEEF. Elle indique également que 17 % en moyenne du temps de formation est consacré au tronc commun, avec une prédominance de travaux dirigés.
Les ESPE doivent en outre relever le défi de la présence effective, au sein des équipes pluricatégorielles, de formateurs professionnels venus du terrain. L’erreur à ne pas commettre, c’est de recruter des « formateurs de terrain hors sol », qui n’auraient plus de liens réels avec les élèves. On peut irriguer les formations de l’ESPE et leur apporter son expérience sans faire partie de son personnel permanent. La solution déjà pratiquée dans les IUFM, notamment grâce aux professeurs des écoles maîtres formateurs, les PEMF, ou à des dispositifs d’affectation partielle à l’année d’enseignants du second degré, doit être poursuivie et enrichie.
Le ministère de l’éducation a engagé une réflexion sur la constitution d’un vivier renouvelé de professeurs formateurs académiques, les PFA, pour le second degré, disposant d’un statut et de missions propres, calqués sur celui des PEMF.
Par ailleurs, de la même manière qu’enseigner est un métier qui s’apprend, former est aussi un métier qui s’apprend. Il semble nécessaire de faire accéder au niveau du master davantage de formateurs.
En matière de positionnement de l’ESPE par rapport à l’offre universitaire territoriale, on distingue principalement les cas de figure suivants : trois ESPE ont d’ores et déjà été constituées en composantes d’une COMUE, une communauté d’universités et d’établissements ; quatre ESPE ont été constituées en composantes d’une « grande université », résultant d’une fusion d’établissements ; neuf ESPE ont été constituées en composantes de l’université qui accueillait historiquement en son sein l’IUFM, mais qui est, d’ores et déjà, partie prenante d’une COMUE académique ; enfin, dix ESPE ont été constituées en composantes d’universités parties prenantes à des COMUE interacadémiques.
L’élévation de l’ESPE au rang de composante de la COMUE constitue la solution la plus pertinente à terme, dans le cas de COMUE rassemblant des universités situées sur un territoire homogène ou servant de tremplin à une future fusion d’établissements, une fois que le projet pédagogique et scientifique aura été suffisamment mûri et que les coopérations entre établissements auront été consolidées.
D’une façon générale, afin de permettre aux ESPE de disposer d’une vision consolidée de leurs besoins, pour la construction d’un budget de projet solide et cohérent, il convient, dans un premier temps, de clarifier les conditions d’inscription des étudiants aux parcours de formation des enseignants. À cet égard, une centralisation de l’inscription pédagogique de l’ensemble de ces étudiants au niveau de l’ESPE, complétée par une inscription administrative à l’UFR partenaire concernée, semble incontournable.
Dans la mise en place des ESPE, la question des moyens est cruciale. Aux termes de la loi de refondation de l’école, chaque ESPE dispose d’un budget propre intégré au budget de l’établissement public dont elle fait partie. Il est précisé que les ministres compétents ont la faculté de flécher, au profit de l’ESPE, et au sein de la dotation globale attribuée aux universités, les moyens humains et financiers qu’ils estiment nécessaires pour assurer une politique de formation des enseignants de qualité. Il apparaît que cette faculté de fléchage n’a pas été formellement exercée par les ministres, mais il n’est pas exclu qu’il soit nécessaire d’y recourir dans certains cas. La DGESIP, la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, a confirmé le principe de sanctuarisation des supports budgétaires des postes lors de la transformation de l’IUFM en ESPE. Ce principe a néanmoins été diversement respecté selon les établissements lors de la mise en œuvre du droit d’option des personnels.
Afin de surmonter ces difficultés et d’assurer un financement soutenable de l’ESPE, l’établissement d’un contrat d’objectifs et de moyens entre la composante, l’université intégratrice, les établissements partenaires et le rectorat est incontournable.
En ce qui concerne l’organisation des maquettes de formation, seule l’année de master 1 est mise en place, et les discussions sur l’année de master 2 continuent dans chaque ESPE.
Le positionnement du concours à la fin de la première année de master pose la question de la prise en charge en master 2 des candidats non admissibles au concours, ceux qu’on appelle les « reçus-collés ». Dans ces conditions, certains responsables d’ESPE étudient différentes options à proposer aux étudiants ayant validé leur master 1 et qui ne sont pas lauréats du concours. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une « prépa concours » intensive, suivie en master 1 pour ceux qui souhaitent présenter de nouveau le concours. Il est également question d’un parcours « en Y » en master 2. Ce parcours comporterait une première « branche » pour les lauréats du concours en master 2, ce qui correspond à la vocation même du master MEEF, à travers la mise en œuvre du principe d’alternance intégrative. La seconde « branche » consisterait à offrir une réorientation sur un ou deux semestres à des effectifs réduits de candidats non admissibles vers des métiers autres que l’enseignement, mais toujours centrés sur la formation et l’éducation, comme la médiation scientifique, les métiers d’animateur, d’éducateur ou d’intervenant en activités périscolaires.
S’agissant du contenu des maquettes de formation, la loi pour la refondation de l’école établit un certain nombre de prescriptions concernant les nouveaux champs de formation, auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés. Mme la présidente de la commission de la culture y faisait référence il y a un instant, il s’agit notamment de la résolution pacifique des conflits, de la sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Il s’agit également de la préparation des enseignants à l’entrée dans les apprentissages et à la prise en compte de la difficulté scolaire dans le contenu des enseignements et la démarche d’apprentissage.
Ces thèmes font partie du tronc commun de formation dispensé à l’ensemble des étudiants se destinant aux métiers du professorat et de l’éducation. À cet égard, le collectif des associations partenaires de l’école publique rappelle l’apport significatif de l’expérience et du regard particulier des associations culturelles, artistiques et d’éducation populaire dans ces différents domaines.
Sur proposition de la présidente de la mission d’information, Colette Mélot, il semble également tout à fait indispensable d’appeler au développement de l’éducation à l’Europe, à son histoire, à sa diversité culturelle et à la notion de citoyenneté européenne. Le renforcement de l’éducation à l’image, au cinéma, à internet et aux réseaux sociaux est également incontournable. La formation à la laïcité ainsi qu’à la morale laïque est également un élément majeur des contenus.
Quant à la formation aux outils et ressources numériques, elle constitue l’autre défi majeur des parcours mis en place par les ESPE. Les ESPE des académies de Clermont-Ferrand et de Créteil sont en pointe sur ce sujet. Rappelons également, et je sais Mme la secrétaire d'État particulièrement sensible à ce point, que les MOOC, les Massive Open Online Courses,…
Mme Dominique Gillot. Bravo !
Mme Maryvonne Blondin. Il y a du progrès !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous vous êtes entraîné ? (Sourires.)
M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. … pour le dire en anglais, avec l’autorisation de Jacques Legendre, permettent d’initier les lycéens à la découverte de l’enseignement supérieur. Il convient donc de sensibiliser les professeurs de lycée à l’utilisation de cet outil pédagogique innovant. La plateforme France université numérique propose ainsi un MOOC intitulé « Enseigner et former avec le numérique », que plusieurs ESPE ont décidé d’exploiter en interne.
Il me semble également indispensable d’examiner la possibilité de rationaliser la préparation au certificat d’aptitude au professorat de lycée professionnel, le CAPLP, afin d’éviter un éparpillement des masters à très faibles effectifs. À cet effet, on peut imaginer l’émergence de grands pôles permettant de coordonner la formation au CAPLP par des coopérations interacadémiques.
Les conclusions et les préconisations du groupe de travail sur le pré-recrutement, que nous avons présentées en février 2013, semblent toujours d’actualité. Nous l’indiquions dans le rapport, la formation des enseignants demande du temps et de la continuité, si bien qu’il faut engager le processus d’acculturation en licence, en prenant soin d’articuler dès l’origine l’académique et le professionnel. Il faut mettre à profit les cinq années d’études supérieures jusqu’à l’obtention du master et non plus seulement les deux années suivant la licence. La première année de licence peut servir d’année de découverte et d’orientation. En licence 2 et en licence 3, il faut viser une sensibilisation par l’observation et commencer une pré-professionnalisation progressive grâce à de la pratique accompagnée. Les années de master complètent la professionnalisation par l’approfondissement des savoirs et des compétences et par l’élargissement des terrains de stages.
Des formes de pré-recrutement peuvent contribuer à diversifier le vivier des futurs enseignants en touchant les milieux populaires. C’est le cas des emplois d’avenir professeur. Sur les 10 000 emplois offerts entre janvier 2013 et mars 2014, 8 000 ont été pourvus. Derrière ce résultat global se cachent d’importantes disparités régionales. Des académies attractives ont dépassé le nombre de contrats qui leur étaient initialement assignés, alors que des académies très déficitaires ne sont pas parvenues à pourvoir tous les postes.
Il reste dans plusieurs endroits des progrès à faire pour améliorer la valorisation en crédits des stages effectués et pour ajuster les calendriers entre les cours et le travail en établissement. Les ESPE doivent également être mieux associées à la gestion du dispositif qui, établi en licence, relève plutôt actuellement des seules UFR.
Voilà, mes chers collègues, le bilan que je souhaitais vous présenter de la première année d’installation des ESPE. Ces écoles sont au cœur d’une réforme très ambitieuse et tellement nécessaire, mais celle-ci aura besoin de temps pour prendre pleinement son ampleur et produire tous ses effets. L’année 2014-2015 s’annonce cruciale pour résoudre les dernières tensions budgétaires, organiser les temps d’alternance, diversifier les équipes de formateurs et renforcer les troncs communs.
À l’issue de cette présentation, je souhaite remercier toutes celles et tous ceux qui ont pu participer à cette mission pendant les six derniers mois.
Je remercie Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a bien voulu autoriser et nous confier cette mission. Je remercie également la présidente de la mission d’information, Mme Colette Mélot, qui nous a permis d’auditionner et de rencontrer toutes les parties prenantes à ce dossier d’actualité. Elle a présidé la mission avec beaucoup de rigueur et de compétence, permettant que l’expression de toutes et de tous puisse être entendue et prise en compte. Elle a été elle-même force de proposition et nous avons pu ensemble donner l’exemple de la coconstruction que nous prônons dans la refondation de l’école.
Je remercie bien sûr toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui ont pu se joindre à nous malgré des emplois du temps chargés. Merci aussi à toutes celles et à tous ceux que nous avons auditionnés au Sénat ou dans nos déplacements ! En moins de six mois, nous avons entendu plus de 120 personnes, occupant diverses fonctions ou responsabilités : académicien, historien, universitaires, recteurs, inspecteurs, enseignants, chercheurs, personnels d’administration ou techniques, gestionnaires, responsables associatifs et de l’éducation populaire, parents d’élèves, étudiants des ESPE, jeunes en emplois d’avenir professeurs ou encore syndicalistes.
Mme Michèle André. N’en jetez plus ! (Sourires.)
M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. Je souhaite aussi remercier les fonctionnaires du Sénat, dévoués et compétents, qui ont accompli un travail remarquable en rendant compte avec talent et précision de toutes nos auditions. Enfin, je vous remercie tous, mes chers collègues, de m’avoir écouté. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis, vous le savez, particulièrement préoccupée par la question de la formation des enseignants. Elle constitue en effet un des leviers pour relancer le processus de démocratisation scolaire.
Une telle question renvoie à la qualité même des enseignements que les élèves reçoivent et à la capacité des enseignants à remplir les missions ambitieuses qui leur sont assignées : dispenser des savoirs et former des citoyens émancipés. J’ai d’ailleurs rédigé un rapport sur ce thème en 2012, intitulé Le métier d’enseignant au cœur d’une ambition émancipatrice. J’y dressais le bilan catastrophique de la masterisation : la déstabilisation qu’elle engendre, l’atomisation de la formation initiale et l’accentuation de la crise de recrutement, du fait notamment d’une perte d’attractivité du métier, dans un contexte de suppressions de postes massives.
Cumulant préparation du concours, validation du master, rédaction d’un mémoire et réalisation de stages sur deux ans, les étudiants devaient faire face à un emploi du temps bien trop chargé, qui ne leur permettait au final ni d’être bien préparés au métier ni d’augmenter leurs chances de réussite au concours. Il était donc indispensable de reconstruire une formation, d’autant que notre société est confrontée à des savoirs de plus en plus complexes, répondant à deux objectifs.
Premier objectif : considérer que le métier d’enseignant est un métier de concepteur, et non d’exécutant. Cela implique de concevoir une formation fondée sur l’idée qu’il faut « apprendre à apprendre » et savoir appréhender les mécanismes de l’échec scolaire pour les déconstruire en classe.
Deuxième objectif : faire face à la pénurie toujours plus criante de vocation et endiguer cette crise majeure de recrutement en reconstituant un vivier par une attractivité du métier renouvelée.
Tels étaient bien les enjeux portés par la loi de refondation de l’école, avec la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Le rapport de notre collègue Jacques-Bernard Magner, dont je salue le travail, dresse un premier bilan de l’entrée en vigueur du dispositif des ESPE.
Ces écoles ont été mises en place dans des délais extrêmement brefs – le rapport le souligne –, dans un paysage universitaire en profonde mutation, lié à la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui bouleverse l’organisation des universités, et dans un contexte budgétaire très fortement dégradé, conséquence de l’autonomie des universités.
Le rapport dresse un premier bilan et pointe des difficultés d’ordre structurel.
Il nous semble que ces difficultés, si elles ont certes bien à voir avec la complexité de la structure à bâtir, interrogent aussi sur le contenu même de la réforme de la formation, au regard des défis identifiés. C’est sur ce point que nous devons demeurer extrêmement vigilants. Pourquoi ?
Premièrement, la crise du recrutement perdure. Les résultats du concours exceptionnel en témoignent : plus de 1 800 postes ne sont pas pourvus, dont 743 dans le premier degré. On peut donc légitimement s’inquiéter pour les résultats du concours rénové. Alors que les effectifs d’élèves sont, eux, en augmentation, la rentrée risque d’être difficile.
Selon le rapport de la Cour des comptes de 2013, il manquait 3 622 emplois sur les 8 781 équivalents temps plein prévus !
De plus, cela cache aussi un problème de niveau de recrutement, avec, semble-t-il, des seuils d’admission très hétérogènes d’une académie à l’autre.
Pour mettre fin à la crise de recrutement, que la masterisation a certes amplifiée, mais qui remonte – on s’en souvient – à une dizaine d’années, du fait de la dégradation continue des conditions de travail des enseignants, il nous faut entamer une réflexion réelle sur l’attractivité du métier. Cela passe évidemment par une revalorisation des salaires, mais cela doit aussi, de mon point de vue, nous conduire à nous réinterroger sur la mise en place de véritables pré-recrutements dès la licence. Or, je le rappelle, les emplois d’avenir professeur, ou EAP, n’en sont pas. D’ailleurs, ils ne font pas toujours le plein et connaissent un sort variable d’une académie à l’autre ; M. le rapporteur l’a souligné.
Deuxièmement, le principe de la masterisation partait du constat partagé qu’une bonne formation devait allier un haut niveau de formation, fondée à la fois sur la théorie et la pratique, et un retour réflexif en lien avec la recherche. Or les maquettes de master ont vu leurs horaires diminuer en moyenne de 30 %. De plus, à défaut de cadrage national, le volume des formations peut varier de 172 heures selon les académies, en fonction des moyens de chaque université. Car, comme cela a aussi été rappelé, la question des moyens dont disposent les universités subordonne celle des moyens des ESPE, ce qui conduit à des situations disparates !
Troisièmement, alors que l’alternance intégratrice était réclamée par tous les acteurs, elle n’est pas effective, pour l’instant, sur le terrain. En effet, plus de la moitié des fonctionnaires stagiaires de la rentrée 2014 auront la responsabilité d’une classe à temps plein pendant l’année, tout comme les mi-temps de master 2 du concours rénové. Or l’idée d’alternance intégratrice devrait impliquer des stages permettant d’assurer une pratique réflexive faite d’allers-retours, de prises de recul sur les pratiques avec des tuteurs, et non constituer des moyens d’enseignement. Car, nous le savons, « être sur le terrain », cela ne suffit pas pour être formé !
Quant aux tuteurs, comment pourront-ils mener à bien leur mission s’ils ne sont pas déchargés ?
Quatrièmement, et cela concerne le choix des masters, une note d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du mois de mai dernier sur les concours d’enseignants du secondaire révèle que seulement 17 % des candidats au concours sont issus des masters MEEF. Comment dès lors envisager une amélioration de la formation des enseignants si la majorité des candidats au concours évitent cette filière ?
L’inscription dans ces masters semble aujourd’hui plus pénalisante pour les étudiants. En effet, le parcours de formation qui a été retenu est pensé pour les étudiants réussissant le concours du premier coup, ce qui est loin d’être la majorité des cas. Cela pose, comme avec la réforme Chatel, le problème des « reçus-collés », car des étudiants collés mais extrêmement motivés veulent évidemment retenter leur chance. Le concours en master 1 a même aggravé les choses : pour pouvoir bénéficier d’une année de préparation, certains étudiants envisagent de ne pas valider leur année de master 1, afin de pouvoir redoubler.
Le temps seul ne suffira donc pas à résorber les difficultés pointées. De mon point de vue, des interrogations demeurent encore sur quelques grandes orientations à garantir pour réussir la réforme de la formation des enseignants.
D’abord, un cadrage national fort s’impose pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et améliorer leur coordination.
Ensuite, il convient de pérenniser véritablement des structures spécifiques de formation au sein des universités en assurant leur autonomie financière et en permettant un lien réel avec la recherche.
En outre, il faut ouvrir de véritables pré-recrutements dès la licence pour donner véritablement aux étudiants les moyens de réussir le concours. La question des bourses est également cruciale ; je ne peux que renouveler ici mes inquiétudes devant leur diminution.
Enfin, il est nécessaire de s’atteler au chantier de la formation continue pour offrir aux enseignants des évolutions professionnelles et les moyens d’assurer dans le temps la pérennité de leurs missions.
Mes chers collègues, si nous devons prendre acte du travail réel et sincère qui a été effectué dans un délai très court pour mettre en place ces ESPE – ce n’était pas simple –, nous ne devons pas craindre de réinterroger le contenu de la réforme pour la porter au niveau d’ambition d’une réelle refondation de l’école. Il s’agit de la formation de toute une génération d’enseignants ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un an s’est écoulé depuis l’adoption de la loi du 8 juillet 2013, qui remettait enfin l’école de la République sur la voie de la réussite, après avoir été sacrifiée pendant une dizaine d’années.
La réforme de la formation des enseignants, par la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, élément phare de la loi, se justifiait non seulement par les résultats décevants des enquêtes réalisées par l’OCDE ou d’enquêtes nationales, mais aussi par l’exaspération des enseignants eux-mêmes, qui estimaient à juste titre n’avoir pas été correctement préparés à l’exercice de leur métier. Le rapport d’information de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin sur le métier d’enseignant démontrait combien il était difficile pour un débutant – mais pas seulement – de « gérer une classe ».
La formation des maîtres avait tout simplement été supprimée pour réaliser des économies, alors que les dépenses d’éducation – je rappelle qu’il s’agit de dépenses d’avenir ! – s’accroissent partout dans le monde, tous les États ayant saisi l’importance de l’acquisition d’un niveau élevé d’éducation et d’instruction. Ainsi, en 2010, le Gouvernement avait supprimé, au détriment de la réussite scolaire, l’année de formation professionnelle, alors que celle-ci conditionne la réussite de l’entrée des enseignants dans un métier qui ne va pas de soi. En outre, une telle politique était source d’inégalités sociales et territoriales, puisque les débutants exerçaient dans les écoles plus difficiles alors qu’ils n’étaient pas préparés.
Nous en sommes conscients, le rétablissement d’une formation plus complète ne peut pas se réaliser aussi rapidement qu’on le souhaite. Toutefois, le suivi de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation permet d’étudier les pistes d’amélioration possibles.
Une enquête de l’UNEF sur les conditions d’études parue la semaine dernière et fondée sur 6 500 réponses représentatives de l’ensemble des cursus et des universités met en lumière un record de mécontentement atteignant 79 % au sein des ESPE. L’insatisfaction dans l’ensemble des universités porte sur une orientation qui est d’abord subie, sur les modifications constantes de l’emploi du temps pour répondre au manque d’effectifs, sur le défaut d’encadrement, sur le manque de pédagogie de leurs enseignants formateurs et sur une préparation à l’emploi inefficace.
Certes, cette enquête relève de la précipitation, les ESPE n’ayant débuté qu’à la rentrée 2013. Quelques années devront s’écouler pour évaluer les résultats de la réforme, notamment pour savoir si elle répond aux objections des étudiants. Il convient d’autant plus de faire preuve d’indulgence que la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche bouleverse actuellement l’organisation des universités, qui sont en processus de regroupement.
La professionnalisation tant attendue de la formation reste complexe à réintroduire. Les deux années de master MEEF sont particulièrement chargées pour les étudiants. La première année, outre les enseignements et la préparation du concours, ceux-ci doivent réaliser un stage court. La deuxième année, la réalisation d’un stage à tiers-temps occupe une place prépondérante au sein de leur emploi du temps, avec la préparation des cours et les évaluations des élèves.
Je salue les efforts des différentes ESPE, dont celle de Toulouse – j’ai eu la chance de la visiter avec les membres de la mission –, et du comité interministériel de pilotage, qui ont la lourde tâche de concilier dans un temps très court de deux ans la préparation du concours, l’acquisition des savoirs disciplinaires, l’initiation à la recherche, la fin de la séparation entre premier et second degré, tout en introduisant la professionnalisation de la formation avec le recours à des intervenants issus du terrain. Il faut en effet veiller à ce que les nouvelles écoles ne reproduisent pas les erreurs antérieures, qui ont servi de prétexte à la suppression des instituts universitaires de formation des maîtres. De surcroît, la prise en compte de tous ces objectifs est encore plus difficile dans le second degré, puisqu’il faut y ajouter la spécialisation des étudiants.
La mission d’information a effectué un gros travail d’auditions ; j’en profite pour féliciter sa présidente et son rapporteur. Elle a posé la question d’une continuité entre licence et master. Cette solution est intéressante, comme le prouve l’expérience de l’ESPE de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, où tous les étudiants de licence peuvent accéder à une unité d’enseignement portant sur les métiers de l’enseignement. Je partage les recommandations qui visent à garantir une meilleure orientation des étudiants.
À ce titre, les ESPE s’interrogent sur la place éventuelle en master 2 des étudiants n’ayant pas réussi le concours. La solution consistant à instaurer une préparation spécifique aux concours en master 2 ne me semble pas pertinente dans la mesure où il en existe une en première année de master. Une telle redondance constituerait une nouvelle charge pour les écoles. Il conviendrait plutôt d’autoriser les étudiants à redoubler, comme cela se fait dans les autres formations de l’enseignement supérieur lorsqu’ils n’ont pas été admis en master 2 alors qu’ils ont réussi leur première année.
Enfin, proposer de réorienter, comme semble y réfléchir le ministère de l’éducation nationale, les étudiants qui ont échoué à l’examen vers une branche à part au sein du master 2 consacrée aux autres métiers, très divers, de l’éducation, tels que médiateur scientifique, éducateur, intervenant en activités périscolaires ou animateur, constituerait une lourde charge pour les écoles, alors que d’autres formations peuvent mener vers ces métiers. Dans ce cadre, le contenu des enseignements ne serait pas évident à définir. Certains de ces métiers ne requièrent pas forcément un niveau de master, et je crains que le choix de ces parcours ne se fasse par défaut, ce qui serait dommageable. Toutefois, la création de passerelles avec d’autres formations est une piste intéressante.
Pour finir, je tiens à le souligner, la réduction du budget de fonctionnement des ESPE de 30 % par rapport aux IUFM me semble contraire à l’esprit de la loi. Certes, les écoles ont un budget propre et intégré, mais limité par les décisions des universités dont elles sont une composante. Le fléchage des moyens prévu par l’article L. 721-3 du code de l’éducation n’a pas été utilisé, sous le couvert de l’autonomie financière des universités.
Les écoles ne doivent pas être victimes de la situation budgétaire dégradée des universités, sur laquelle, je l’espère, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous nous apporterez quelques éclairages. Il convient en effet de garantir la soutenabilité budgétaire des établissements d’enseignement supérieur, sous peine de revoir à la baisse les ambitions tracées par la loi de refondation de l’école de la République, de même que celles portées par le Président de la République, qui visaient, faut-il le rappeler, à faire du service public de l’éducation une priorité du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.