Mme la présidente. L'amendement n° 63, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 7 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 723-27 du code de procédure pénale, il est inséré un article 723-27-... ainsi rédigé :
« Art. 723-27-... – Lorsque le procureur de la République ou le procureur général envisage de ramener à exécution la peine d’une personne détenue ou condamnée, il en informe la personne dans les conditions fixées par un décret en Conseil d’État.
« L’inscription au registre d’écrou est notifiée au condamné au moins dix jours avant sa mise à exécution.
« Le greffe informe sans délai la personne de la date prévisible de libération. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Il s'agit d’un amendement de repli par rapport au précédent. Il tend à conditionner la mise à exécution de la peine au fait d’informer la personne détenue au moins dix jours avant sa mise à l’écrou.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mme Benbassa propose un dispositif très complexe pour la mise à exécution des peines par le parquet, alors que le projet de loi prévoit des dispositions plus simples.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 62 et 63.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Benbassa, ces deux amendements visent effectivement le même but.
L’observation de M. le rapporteur est tout à fait fondée : vous proposez un dispositif complexe. La complexité n’est pas une objection rédhibitoire, mais votre amendement est satisfait par les dispositions votées juste avant la levée de la séance, qui permettent le passage devant le juge d’application des peines des personnes condamnées à une peine de prison allant jusqu’à un an pour les récidivistes et jusqu’à deux ans pour les personnes dont c’est la première incarcération. Si j’ai bien suivi les débats, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté ces dispositions tout à l’heure à l’unanimité !
Le texte prévoit également le passage devant le juge d’application des peines dans le cas où le condamné exécute déjà une peine d’emprisonnement aménagée et dans le cas où la peine est mise à exécution plus de trois ans après avoir été prononcée, disposition également adoptée juste avant la levée de la séance.
Compte tenu de ces dispositions qui, bien entendu, n’étaient pas encore incluses dans le texte du projet de loi au moment où vous avez présenté vos amendements, mais qui doivent satisfaire votre préoccupation, je vous demande de vous vouloir retirer ces deux amendements.
Mme la présidente. Madame Benbassa, les amendements nos 62 et 63 sont-ils maintenus ?
Mme Esther Benbassa. J’entends vos arguments, madame la garde des sceaux ; c’est pourquoi je retire l’amendement n° 62.
En revanche, il me semble nécessaire d’adopter l’amendement n° 63, dont les dispositions sont relativement simples à mettre en œuvre, tandis que je reconnais que celles de l’amendement n° 62 sont complexes.
En effet, je ne suis pas sûre que l’amendement n° 63 soit également satisfait par les dispositions qui viennent d’être votées. Peut-être pourrions-nous le vérifier ? Je suis prête à retirer l’amendement s’il est satisfait…
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mettons-le aux voix ! Nous sommes ici essentiellement pour voter.
Mme Esther Benbassa. Je n’ai pas eu la réponse à ma question, madame la présidente !
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 7 quinquies A (nouveau)
I. – Le second membre de phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal est remplacé par trois phrases ainsi rédigées :
« Toutefois, la peine privative de liberté encourue est réduite du tiers. En outre, la juridiction tient compte de cette circonstance pour fixer le régime de la peine. Lorsque le sursis à exécution avec mise à l’épreuve de tout ou partie de la peine a été ordonné, cette mesure est assortie de l’obligation visée par le 3° de l’article 132-45 après avis médical et sauf décision contraire de la juridiction. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié:
1° À la première phrase du premier alinéa de l’article 362, après les mots : « des dispositions », sont insérés les mots : « du second alinéa de l’article 122-1 et » ;
2° L’intitulé du chapitre III du titre XXVIII du livre IV est ainsi rédigé : « Mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou en cas de reconnaissance d’altération du discernement » ;
3° Après l’article 706-136, il est inséré un article 706-136-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-136-1. – Le juge de l’application des peines peut ordonner, à la libération d’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l’article 122-1 du code pénal, une obligation de soins ainsi que les mesures de sûreté visées à l’article 706-136 pendant une durée qu’il fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Les deux derniers alinéas de l’article 706-136 sont applicables. » ;
4° À la première phrase de l’article 706-137, les mots : « d’une interdiction prononcée en application de l’article 706-136 » sont remplacés par les mots : « d’une mesure prononcée en application des articles 706-136 ou 706-136-1 » ;
5° À l’article 706-139, la référence : « l’article 706-136 » est remplacée par les références : « les articles 706-136 ou 706-136-1 ».
6° Avant la dernière phrase du troisième alinéa de l’article 721, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Il peut également ordonner, après avis médical, le retrait lorsque la personne condamnée dans les circonstances mentionnées à la première phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal refuse les soins qui lui sont proposés. » ;
7° Le premier alinéa de l’article 721-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« De même, après avis médical et sauf décision contraire du juge de l’application des peines, aucune réduction supplémentaire de peine ne peut être accordée à une personne condamnée dans les circonstances mentionnées à la première phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal qui refuse les soins qui lui sont proposés. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 92, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, la juridiction tient compte de l’existence de ce trouble lorsqu'elle détermine la peine ainsi que sa durée et qu’elle en fixe le régime. Si elle prononce une peine privative de liberté, elle doit décider d’une durée moindre que celle qu’elle aurait retenue en l’absence d’un tel trouble, sauf si elle considère que les circonstances de l’espèce et la personnalité du condamné ne permettent pas cette atténuation de la responsabilité pénale. Lorsque la nature du trouble mental de la personne le justifie, la juridiction s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état, le cas échéant dans le cadre d'une contrainte pénale, d’un suivi socio-judiciaire ou d'un sursis avec mise à l'épreuve et, en cas de peine privative de liberté, pendant l'exécution de celle-ci ainsi qu'à l'issue de son exécution. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Une disposition adoptée par l’Assemblée nationale prévoyait une réduction de moitié de la peine en cas de trouble mental. Nous avions estimé que ce système était rigide. Il est certain que l’altération de la raison doit être prise en compte dans la détermination de la peine, mais il n’est pas pertinent de prévoir une réduction rigide.
Sur la base d’une proposition de loi de Jean-René Lecerf, que le Sénat avait adoptée,…
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … votre commission des lois avait prévu une réduction du tiers de la peine en cas de trouble mental. C’est la même logique de rigidité.
C'est pourquoi nous proposons de supprimer la disposition en question, tout en rappelant que l’altération de la raison est un motif d’atténuation de la peine.
Mme la présidente. L'amendement n° 64, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Remplacer les mots :
fixer le régime de la peine
par les mots :
déterminer la peine et en fixer le régime
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 7 quinquies A, introduit par la commission des lois, concerne les personnes dont le discernement était altéré au moment de la perpétration d’un crime ou d’un délit. Il prévoit de diminuer du tiers la durée des peines encourues.
Nous souscrivons à cette volonté, mais nous considérons que la juridiction doit tenir compte de l’altération du discernement à la fois lorsqu’elle détermine la peine et lorsqu’elle fixe son régime. Tel est l’objet du présent amendement.
Madame la présidente, j’espère que, cette fois, vous ne déciderez pas autoritairement de le mettre aux voix !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission est favorable à l’amendement n° 64. En revanche, elle est défavorable à l’amendement n° 92.
Sur ma proposition, la commission des lois a introduit dans le projet de loi le texte d’une proposition de loi, qui avait été signée notamment par Jean-René Lecerf, puis votée par le Sénat. Celle-ci résultait d’un rapport d’information fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales par Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-René Lecerf et moi-même.
La proposition de loi avait été votée à l’unanimité, contre l’avis du Gouvernement. Je constate que, si les gouvernements changent d’orientation, leurs services – ou je ne sais qui – n’en changent pas. La rédaction proposée par le Gouvernement est inacceptable. Elle est très imprécise et elle ne changera rien à la situation actuelle.
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 92.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 64 ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne puis qu’être défavorable à cet amendement, puisque ses dispositions portent sur l’alinéa que l’amendement du Gouvernement vise à modifier. C’est cependant à regret, le cœur déchiré, que j’émets cet avis ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Je voudrais resituer le problème dans son contexte. J’avoue que je suis assez surpris de lire, dans l’objet de l’amendement du Gouvernement, qu’une « diminution systématique de la peine du tiers paraît trop rigide et assez artificielle, car elle s’appliquerait quelle que soit l’importance de l’altération du discernement, même en cas d’altération très légère ».
Ce que nous visons, ce ne sont pas des problèmes d’altération très légère. La mission d’information que le rapporteur a évoquée avait évalué à 10 % – et je pense que notre évaluation était faible – la proportion de détenus dont l’état psychiatrique était tel que la peine n’avait strictement aucun sens pour eux, et qu’ils n’avaient donc pas grand-chose à faire dans les prisons de la République, qu’ils transformaient en asiles du XXIe siècle.
Je me félicite de la franchise d’un certain nombre de présidents de cour d’assises, que j’avais eu l’occasion de rencontrer au moment des débats sur la loi pénitentiaire.
Le problème, c’est qu’il n’y a pas de lieu d’accueil pour les personnes dont le discernement est tellement altéré qu’il est presque aboli, pour ne pas dire qu’il l’est purement et simplement. On ne sait donc pas quoi en faire ni où les mettre, puisqu’il n’y a plus assez de lits psychiatriques dans des établissements fermés. De ce fait, les experts ne se précipitent pas pour estimer qu’il y a abolition du discernement.
Quelles sont les conséquences de cette situation ? Les cours d’assises traitent des personnes dont le discernement est aboli ou quasi aboli comme si leur discernement n’était qu’altéré. Cela explique une partie des problèmes de nos prisons. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.) Cela explique, par exemple, le nombre particulièrement important de suicides. En effet, on sait très bien que les personnes souffrant de problèmes psychiatriques très lourds sont plus portées au suicide que les autres.
Le comble du comble, c’est que le principe, posé par le législateur, d’une appréhension différente de la situation des personnes dont le discernement est altéré s’est retourné contre ces personnes, puisqu’elles sont condamnées plus lourdement que si elles étaient saines d’esprit.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. Jean-René Lecerf. Nous avons donc voulu faire en sorte que l’on ne puisse plus se tromper sur le caractère de circonstance atténuante et non aggravante d’une altération considérable, confinant à l’abolition, du discernement. D’où notre proposition de diminuer la peine du tiers.
Bien entendu, nous avons également prévu, pour compenser le fait que les personnes concernées reviendront plus rapidement dans la société, de renforcer leurs obligations de soins aussi bien pendant qu’après la détention.
Je crois qu’il s’agit d’un vrai problème. La preuve, c’est que la proposition de loi avait été adoptée à l’unanimité ; ce n’est pas si fréquent, surtout quand le Gouvernement est hostile au texte. Je me souviens de cette séance un peu particulière, durant laquelle nous n’avions pas vraiment l’impression d’avoir une écoute satisfaisante de la part de la représentante du gouvernement de l’époque.
Je rejoins totalement l’argumentation de M. le rapporteur. De deux choses l’une : soit on essaie d’inscrire l’essentiel de la proposition de loi dans le présent projet de loi, soit la situation actuelle, qui n’est pas à l’honneur d’une démocratie avancée comme la nôtre, continuera d’exister.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Pour l’avoir constaté moi-même, je peux confirmer l’état de nos prisons. Elles abritent beaucoup de malades mentaux – je parle de malades graves, pas de personnes un peu dérangées – dont la place n’est pas en prison, même si nombre d’entre eux sont des criminels.
Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé que j’avais participé à l’élaboration du code pénal. Je me souviens fort bien de la transformation de l’ancien article 64, qui est maintenant l’article 122-1. Auparavant, la notion retenue était l’état de démence – au moment des faits et non de manière générale, je le rappelle. Après avoir consulté les spécialistes, nous avons opté pour les notions d’abolition et d’altération du discernement.
Cependant, depuis lors, il est très rare que les cours d’assises déclarent des accusés irresponsables au motif que leur discernement était aboli au moment des faits. Plus leur maladie mentale est importante, plus les personnes sont condamnées. C’est tout de même un paradoxe ! Auparavant, un grand nombre de personnes étaient déclarées irresponsables au motif qu’elles étaient en état de démence au moment des faits.
Il faut dire que, à cette époque, il y avait un certain nombre d’établissements psychiatriques accueillant les malades en milieu fermé ; je pense, par exemple, à l’hôpital Maison-Blanche. L’évolution de la psychiatrie en France – ce n’est pas vrai ailleurs – a fait disparaître beaucoup d’entre eux, au nom de principes sans doute très intéressants.
Comment résoudre le problème ? Madame la garde des sceaux, vous dites que les tribunaux pourront tenir compte de l’état mental des accusés, mais ils devraient déjà en tenir compte. Si on ne prend pas de mesure forte, les choses risquent de continuer comme aujourd'hui. J’estime qu’il faut prévoir une réduction automatique de la peine quand il y a vraiment atténuation de la responsabilité.
Le texte prévoit aussi des soins en complément de la réduction de la peine. Vous savez bien qu’il est difficile d’organiser des soins dans les établissements pénitentiaires. On connaît l’établissement de Château-Thierry, qui n’est pas un hôpital, mais qui y ressemble un peu. L’administration pénitentiaire a besoin de ce type d’établissements.
En votant à l’unanimité la proposition de loi de Jean-René Lecerf en 2011, le Sénat a essayé de répondre à une vraie question, qui n’est toujours pas résolue. Honnêtement, madame la garde des sceaux, votre amendement est tout à fait insuffisant de ce point de vue. C'est pourquoi je soutiens la position de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je voulais simplement dire que le travail fait par la commission était très important. Le rapport rédigé par Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel était de haute qualité. Ils ont procédé à de nombreuses investigations et organisé de nombreuses auditions. Nous sommes tous porteurs de ce rapport.
Nous pensons véritablement que l’altération du discernement doit être un facteur d’atténuation de la peine. Nous voulons le marquer fortement, de manière explicite. J’ajoute, madame la garde des sceaux, qu’il va de soi pour nous que l’atténuation de la peine doit aller de pair avec des garanties en matière d’obligation de soins pendant et après la détention.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’un sujet important ; vous permettrez donc que je m’exprime à nouveau.
Ma préoccupation, c’est d’éviter une rigidité. J’entends l’argumentaire développé aussi bien par Jean-René Lecerf que par Jean-Jacques Hyest. Je dis simplement que certains cas d’altération légère du discernement ne justifient pas une réduction du tiers de la peine.
Je vous entends quand vous évoquez les situations inquiétantes qui vous préoccupent et qui nous préoccupent également. Vous l’avez dit, les personnes en question ont souvent des tendances suicidaires ; elles ont aussi des tendances agressives. En tout état de cause, leur situation ne peut que s’aggraver en milieu carcéral.
Dans ces cas-là, il y a danger pour elles-mêmes, pour les personnels pénitentiaires et, potentiellement, pour la société, car ces personnes sortiront dans un état d’altération psychologique plus important. Ce point est à prendre en considération.
Je comprends cette logique du tiers, car il faut sortir de cette situation paradoxale, que vous avez décrite, dans laquelle la fragilité psychologique de la personne génère de la peur, aussi bien chez les experts que chez les magistrats, lesquels craignent de voir leur responsabilité engagée s’ils ne prononcent pas de peine d’incarcération ou si la peine est atténuée. Le paradoxe est donc que la sanction est souvent plus lourde.
Je comprends donc que vous souhaitiez plutôt inverser la logique en précisant qu’une altération du discernement doit être prise en considération comme une circonstance atténuante.
Cependant, si vous fixez la barre à une réduction d’un tiers, je crains que la juridiction ne décide de ne pas tenir compte de l’altération, lorsque celle-ci est légère, plutôt que de prononcer une peine inférieure d’un tiers, qui paraîtrait trop laxiste eu égard à l’état du coupable.
Je vous soumets simplement mon inquiétude, mais je suppose que vous en avez tenu compte, lors des travaux que vous avez conduits, au travers de vos auditions et de vos réflexions.
M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Néanmoins, je tiens à dire que le risque me semble réel qu’une altération qui justifierait une réduction moindre que le tiers de la peine ne soit plus prise en compte à l’avenir, alors que cette dégradation de l’état psychique est avérée et nécessiterait d’être prise en considération.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je ne veux pas allonger inutilement les débats, mais je tiens à préciser que c’est non pas la peine prononcée, mais la peine encourue qui sera réduite.
Par ailleurs, la mise en œuvre de cette mesure dépendra des conclusions du rapport d’expertise psychiatrique. Si l’altération est légère, tous les psychiatres que la France peut connaître et les présidents de cour d’assises que nous avons entendus nous ont confirmé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une peine réduite, tous estimant que l’état n’a pas eu d’influence sur l’acte de délinquance en lui-même dans ce cas-là.
À mon sens, il n’y a pas de souci à se faire sur ce dispositif, que nous avons élaboré en toute connaissance de cause, après nous être déplacés en Suisse et en Belgique, notamment.
Je suis donc opposé à l’amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. L'amendement n° 78, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 13
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement vise à supprimer la surveillance judiciaire pour les personnes dont le discernement était altéré à la date des faits.
Selon les alinéas 6 à 9 de l’article 7 quinquies A, l’autorité judiciaire a la possibilité d’imposer pendant dix à vingt ans, selon une procédure très minimaliste, des mesures de sûreté, alors que le suivi de ces personnes relève d’une prise en charge médicale à la libération, sous contrainte si nécessaire, avec notamment l’organisation d’un relais entre l’unité de consultation et de soins ambulatoires, les services médico-psychiatriques régionaux et la psychiatrie de secteur.
En vertu des alinéas 10 à 13, le juge de l’application des peines est contraint dans le prononcé des réductions de peine supplémentaires accordées aux personnes au discernement altéré en cas de refus de soins, quelle que soit l’infraction, alors que, jusqu’à présent, ces restrictions concernaient des « types » de fait. Ils sont par ailleurs complexes à mettre en œuvre, puisqu’il faudra avoir eu un avis médical et un refus postérieur.
Il importe de rappeler que les détenus peuvent être soumis à des hospitalisations sous contrainte. En cas de troubles mentaux persistants, cette question relève à nos yeux du domaine médical et non du droit pénal.
C’est pourquoi nous vous proposons la suppression de ces alinéas au sein de l’article 7 quinquies A.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, et j’espère que Mme Cukierman aura le bon sens de le retirer, car le texte de la proposition de loi, qui avait été votée à l’unanimité, repose sur un équilibre : s’il y a une altération grave, il est prévu une réduction d’un tiers de la peine encourue, mais, parallèlement, il est possible de prononcer une obligation de soins renforcés tant au sein de l’établissement pénitentiaire qu’à sa sortie, pour que la personne ne se retrouve pas sans suivi médical.
D’ailleurs, le principe de cette obligation de soins a été avalisé par tous les psychiatres que nous avons entendus et qui, on peut le dire, représentaient toutes les sensibilités politiques. À mon sens, il faut donc maintenir l’obligation de soins.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement pense aussi qu’il faut une obligation de soins. Seulement, à M. le rapporteur qui nous dit qu’un équilibre a été trouvé, je rappelle que cette disposition de l’alinéa 7 correspond à une obligation dans le cas où la personne est reconnue irresponsable, donc n’est pas condamnée.
En l’espèce, vous introduisez cette mesure dans le cas d’une condamnation, même si elle est moindre, d’un tiers en fonction de l’altération du discernement constatée par expertise. Néanmoins, la personne exécute bien une peine, donc je ne crois pas qu’il soit équilibré de retenir cette injonction de soins, telle que vous la prévoyez.
C’est pourquoi, au contraire de M. le rapporteur, le Gouvernement est favorable à l’amendement de Mme Cukierman, sous réserve que celle-ci le modifie pour maintenir les alinéas 10 à 13. À mon sens, le texte serait alors plus juste.
Mme la présidente. Madame Cukierman, que pensez-vous de la proposition de rectification suggérée par Mme la garde des sceaux ?
Mme Cécile Cukierman. Effectivement, notre amendement peut être scindé en deux.
S’agissant des équilibres évoqués, je tiens à rappeler, sans ressortir les comptes rendus de nos débats, que nous avons toujours été un peu frileux sur la question des mesures de sûreté. Ce n’est donc pas à ce sujet qu’un équilibre a pu être trouvé.
Néanmoins, je rectifie mon amendement en ce sens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 78 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et qui est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 9
Supprimer ces alinéas.
Le Gouvernement a émis un avis favorable sur cet amendement.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission reste défavorable à l’amendement de Mme Cukierman.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’y insiste, le rapport réalisé par la commission est équilibré, puisqu’il prévoit l’atténuation de la peine et l’obligation de soins pendant la période de détention et, le cas échéant, après.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Si l’on remet cette mesure en cause, on détruit l’équilibre du texte.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 7 quinquies A, modifié.
(L'article 7 quinquies A est adopté.)
Chapitre II bis
Dispositions relatives à la justice restaurative