Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je crois que cet article 8 ter présente un risque. Vos intentions ne sont absolument pas en cause, monsieur le rapporteur : je travaille depuis suffisamment longtemps avec vous pour connaître votre philosophie, et, à la manière dont vous présentez les choses, je n’ai aucun doute. Cependant, lorsqu’on observe ce qui s’est passé antérieurement, on constate que la tendance a souvent été à l’aggravation de la répression. Il est donc possible que, là où le juge prononce aujourd’hui des sanctions du type stage de citoyenneté ou travail d’intérêt général, il préfère prononcer à l’avenir une peine de contrainte pénale.
On l’a vu notamment avec le bracelet électronique : lorsqu’il est apparu, la surveillance électronique était censée apporter une solution essentiellement en matière d’aménagement de peine, donc d’exécution d’une sanction en milieu ouvert. Or le bracelet électronique a été utilisé de manière plus large et s’est appliqué à des infractions d’un niveau de gravité plus bas que celles pour lesquelles il avait été conçu.
Le risque est d’autant plus redoutable que la contrainte pénale est une sanction lourde, et non, contrairement à ce que prétendent certains, un simple aménagement : telle qu’elle est conçue, elle pourra être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans, les obligations et les interdictions seront plus contraignantes qu’elles ne le sont dans le sursis avec mise à l’épreuve, l’exécution sera immédiate, l’évaluation se fera de façon immédiate et sera renouvelée régulièrement. Par conséquent, c’est une vraie peine, avec ses contraintes et ses lourdeurs.
J’attire donc l’attention sur ce risque, parce qu’il arrive que les conséquences de nos décisions ne correspondent pas complètement à nos intentions.
C’est ce qui me permet, monsieur Reichardt, monsieur Détraigne, de saisir l’occasion de vous être agréable en émettant un avis favorable sur vos amendements, qui se trouvent être identiques à celui du Gouvernement ! (Sourires.)
M. André Reichardt. Merci !
M. Yves Détraigne. Vous être trop bonne, madame le garde des sceaux !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. J’entends vos propos, madame la ministre, et sur le fond je les partage, mais je crois que faire de la politique, c’est aussi, parfois, faire preuve de pragmatisme.
Comme M. le rapporteur l’a bien expliqué, le souhait de la commission n’était pas d’affaiblir cette nouvelle sanction qu’est la contrainte pénale, mais au contraire de lui donner de la visibilité et de faire en sorte que, au-delà de l’affichage législatif, elle soit réellement utilisée par les juridictions. C’est pourquoi nous avons soutenu en commission son amendement visant à insérer cet article et que nous voterons ce dernier en l’état.
Je comprends les risques que vous pointez, madame le garde des sceaux, mais je crois qu’ils sont à mettre en balance avec un autre risque : que, par facilité ou par habitude, le recours à la contrainte pénale par les juridictions soit rare, voire pratiquement inexistant. On se retrouverait alors en 2017 avec une expérience réduite au minimum.
Si je dis cela, c’est parce que les votes de l’Assemblée nationale – qui a posé un certain nombre de conditions au recours à la contrainte pénale – et les choix de la commission ne sont pas allés dans le sens d’un élargissement de la contrainte pénale à tous les délits. Dès lors, il nous semblait important, en tout cas intéressant, de supprimer la peine de prison pour un certain nombre de délits.
Encore une fois, je comprends les craintes que vous exprimez, madame la ministre, mais, comme vous l’avez très bien dit, il faut lever tout malentendu entre nous. Nous n’utilisons peut-être pas les bons arguments, mais je crois que la volonté de beaucoup d’entre nous, c’est que la contrainte pénale réussisse afin que l’on puisse sortir du système actuel, dans lequel la seule sanction qui vaille est la peine d’emprisonnement, quel que soit le délit.
Il y aura une commission mixte paritaire, mais, à l’instar de certains collègues, je regrette que le Gouvernement ait choisi la procédure accélérée, et je crois que, sur cette question-là comme sur d’autres, une deuxième lecture aurait permis d’approfondir les intentions initiales des uns et des autres et d’enrichir le texte.
Cela étant, d’ici la commission mixte paritaire, on peut encore essayer d’avancer et de travailler pour trouver la meilleure solution possible.
Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous informer que l’équipe de France est qualifiée pour les huitièmes de finale de la Coupe du monde de football et qu’elle affrontera l’équipe du Nigéria ! (Sourires et marques de satisfaction.)
La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Une fois n’est pas coutume, madame le ministre, je volerais bien à votre secours, car, à l’instant où nous parlons, je ne sais pas quelle est la véritable contrainte pénale.
En effet, d’un côté, il y a la contrainte pénale proposée par le Gouvernement, et donc par vous-même, qui est conçue comme une alternative à la détention et qui s’appliquera à des délits pour lesquels une peine de prison est encourue. Le juge aura la liberté de choisir la contrainte pénale plutôt que la peine d’emprisonnement, et c’est donc effectivement, dans ce cas-là, une vraie alternative qui est offerte.
Mais il y a aussi la contrainte pénale prévue par cet article 8 ter, qui devient une sanction en dehors de toute autre référence, puisque la peine de détention disparaît pour les délits qui sont visés.
Or la notion de peine encourue, quelle que soit l’issue du jugement, permet d’envoyer un avertissement fort aux délinquants potentiels : « En cas de commission de telle ou telle infraction, vous risquez la prison ! » Ensuite, le tribunal a la liberté de choisir.
C’est la raison pour laquelle je pense que l’adoption de cet article, en supprimant le recours possible à la peine de prison, risquerait d’entraîner une évolution importante dans l’échelle des peines telle qu’elle existe aujourd'hui et un changement complet de comportement chez les délinquants, qui n’auraient plus cette crainte d’avoir à exécuter une peine en détention.
C’est pourquoi nous voterons ces amendements de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je souhaite réagir à l’intervention de M. le rapporteur.
En somme, monsieur le rapporteur, vous souhaitez inscrire la contrainte pénale comme peine autonome dans le code pénal, entre les sanctions pécuniaires et la peine d’emprisonnement. Je serais presque tenté de dire, en vous entendant, que la nature des délits concernés par cette contrainte pénale érigée en peine autonome importe peu. Vous venez d’ailleurs de nous expliquer que, ce matin, sur la base des objections émises par certains de nos collègues membres de la commission, vous avez renoncé à faire figurer le vol simple dans la liste des délits en question. Ainsi, on considère soudain que le vol simple n’est plus punissable de cette contrainte pénale et qu’il retombera dans la règle du droit commun, c’est-à-dire l’emprisonnement.
Je souhaiterais juste vous poser une question, avant que nous ne nous prononcions : que fait-on du recel de vol simple ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il va être proposé de supprimer aussi le recel !
M. André Reichardt. Bien.
Il reste que votre foi dans la contrainte pénale comme peine autonome vous conduit même à inviter Mme la ministre à ajouter d’autres délits dans votre liste ! Enfin quoi, nous sommes là dans le droit pénal ! Il ne s’agit pas d’ériger un principe ! Il y a des gens qui vont tomber sous le coup de ces incriminations ! La société nous regarde ! Quelle image donnons-nous ? Quelle est cette impunité ? De quels délits est-il question ? De quelle manière seront-ils sanctionnés ?
Pour ma part, j’estime que cette affaire n’est pas mûre. Pourquoi ne pas attendre, dans la mesure où le professeur Cotte s’est vu confier la mission de réfléchir à une échelle des peines dans notre pays – et nous en avons besoin ! –, et cantonner la contrainte pénale au rôle que le Gouvernement entendait lui assigner, si tant est que le Parlement le décide, à savoir une peine se substituant à une peine d’emprisonnement, bien que je ne sois pas tout à fait favorable à une telle solution, pour empêcher la récidive ?
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, je reprendrai la formule de mon collègue François-Noël Buffet : une fois n’est pas coutume, nos vues convergent sur ce point avec celles du Gouvernement. Nous estimons en effet que les dispositions introduites par la commission étendraient trop largement la portée de la contrainte pénale. De plus, elles reviennent à tuer la notion d’expérimentation, de progressivité, de recherche d’alternative à la prison sans s’interdire de faire de la prison une option toujours possible.
La difficulté est bien celle-ci : comment faire un pas de plus après la loi pénitentiaire sans se priver aussi de la solution ultime de la prison ?
La liste des délits qui figure à cet article, même « délestée » du vol et du recel de vol – il faut donner acte au rapporteur d’avoir eu, ce matin, le courage et l’honnêteté de présenter cet amendement –, induit que, pour ces délits, le risque de la prison n’existe plus.
Sans doute faut-il considérer que l’emprisonnement est une sanction forte, qui n’est mise en œuvre que dans des cas extrêmes. Pour autant, s’en passer, c’est adresser un signal à des délinquants potentiellement multiréitérants, leur laissant espérer que, pour ces délits, ils ne risqueront jamais la prison !
Pour les victimes, le signal est celui d’un abandon de la société. Elles auront le sentiment que le délit qu’elles auront subi ne sera pas suivi d’une réparation ou d’une sanction aussi forte que l’était la prison auparavant.
Si nous pouvons entendre qu’il faut développer des alternatives à la prison, en revanche, empêcher le juge, en fonction de la personnalité, d’individualiser la sanction et de choisir, selon les circonstances, soit la contrainte pénale soit l’emprisonnement, nous apparaît comme un signal manifestement excessif.
Sur ces sujets extrêmement difficiles et quelque peu passionnels, il nous faut faire preuve de pédagogie. Vous nous proposez, madame le garde des sceaux, de franchir un pas important, mais nous le dénaturerons si nous allons jusqu’à l’étape qui nous est proposée par le rapporteur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Je voudrais dédramatiser le débat qui a lieu sur cet article 8 ter.
J’entends bien les interrogations et les inquiétudes exprimées par le Gouvernement, qui est dans son rôle, notamment quant à la compréhension de l’opinion s’agissant d’une réforme comme celle-ci.
Néanmoins, je ne crois pas que cet article marque une rupture avec la logique du texte que nous examinons. Il ne change pas la nature profonde de la contrainte pénale, d’autant que, vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, la contrainte pénale est une peine, et une peine lourde.
Un élément est apparu que l’on oublie peut-être d’évoquer ce soir. Lors de toutes les auditions, très nombreuses, auxquelles a procédé M. le rapporteur – pour ma part, j’ai assisté à beaucoup d’entre elles –, la majorité des acteurs de la chaîne pénale se sont interrogés sur la réalité de cette contrainte pénale. Ils se demandent où celle-ci se situera dans l’échelle des peines et comment sa création se traduira concrètement.
À mon sens, M. le rapporteur s’efforce, avec ce pas supplémentaire, de donner une réalité à la contrainte pénale en définissant son champ de façon plus précise. Il le fait d’une manière qui reste tout de même relativement modérée puisqu’il suggère lui-même de restreindre la liste des délits passibles de contrainte pénale sans être passibles de l’emprisonnement en retirant le vol et le recel – et je rappelle qu’il s’agit toujours de délits où est absente toute atteinte physique aux personnes, ce qui est tout de même fondamental.
Or nous nous interrogeons tous sur l’utilité de la prison. C’est d’ailleurs le point de départ de notre réflexion commune, que vous avez fort bien menée, madame la ministre. Il nous faut bien, à un moment, mettre les « mains dans le cambouis » et nous efforcer d’apporter une réponse dans la loi, par la loi, à cette interrogation profonde.
Le constat est très largement partagé, me semble-t-il, quant au fait que la prison n’est pas toujours une sanction efficace et qu’elle produit même parfois des effets contraires à ceux que l’on recherche, à savoir tendre vers l’harmonie sociale et permettre aux auteurs d’un délit de trouver une voie à suivre pour ne pas plonger forcément dans la prison.
Cette proposition, je le répète, est modérée et je dis à ceux qui s’interrogent ou qui éprouvent des réticences qu’il ne faut pas dramatiser ce sujet, en faire un sujet d’affrontement. Il convient plutôt d’utiliser le peu de temps qui nous reste d’ici à la commission mixte paritaire, si le texte est adopté, pour essayer de tirer profit de la proposition de M. le rapporteur, sans y voir forcément une contradiction frontale avec l’esprit du projet de loi. Je crois que cette réflexion mérite d’être menée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Nous arrivons à une étape importante de la discussion. Je n’ai jamais autant regretté la procédure accélérée, même si cela ne m’avait pas trop choqué dans un premier temps, car la même procédure avait été utilisée pour la loi pénitentiaire et nous étions finalement parvenus à débattre de manière approfondie. Toutefois, la contrainte pénale apporte un élément beaucoup plus novateur.
À cet égard, je comprends que M. le rapporteur et nombre de nos collègues soient convaincus que, si l’on n’arrive pas à autonomiser cette contrainte pénale, elle risque de ne pas jouer du tout le rôle que nous sommes un certain nombre à souhaiter lui assigner. Nous nous trouvons donc, en quelque sorte, entre le marteau et l’enclume.
J’ajouterai que, étant rapporteur pour avis du budget de l’administration pénitentiaire, je visite assez souvent les établissements pénitentiaires et je crois que l’idée que l’on se fait aujourd’hui de la prison comme peine ultime est fausse.
Aujourd’hui, deux catégories de personnes « fréquentent », si je puis dire, les établissements pénitentiaires. Pour celles qui appartiennent à la première, et que je qualifierai de « classiques », c’est effectivement la pire des peines : ce sont des individus que la prison peut totalement briser. Pour celles qui relèvent de la seconde, qui sont des délinquants souvent plus jeunes, davantage issus de banlieues, parfois en rupture scolaire ou éprouvant des difficultés à se considérer comme intégrés dans notre République, la prison est un épisode d’une sorte de cursus honorum de la délinquance, presque un maréchalat, dont ils pourront ensuite se vanter.
Pour ces individus-là, qui créent dans la société un sentiment d’insécurité, et même une véritable insécurité, la contrainte pénale, les obligations, les interdictions, le suivi personnalisé – dans la mesure où il pourra réellement être assuré, car se pose effectivement le problème des moyens, ainsi que cela a été souligné à maintes reprises –, représenteraient une incommodité finalement beaucoup plus lourde que l’emprisonnement traditionnel.
C’est la raison pour laquelle, en la matière, mon opinion diverge quelque peu de celle des collègues de mon groupe.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. M. Lecerf a excellemment mis en avant un certain nombre d’éléments sur lesquels je souhaite à mon tour insister, concernant le sens de la contrainte pénale et le message que l’on fait passer tant aux auteurs potentiels de délits – et l’on espère qu’ils seront dissuadés d’en commettre – qu’à la société.
Ce n’est pas parce que le juge ne pourra plus prononcer la contrainte pénale que les auteurs des délits visés à cet article se trouveront face à la perspective d’une non-sanction : la contrainte pénale peut être beaucoup plus pénible à vivre que la prison !
M. Reichardt disait tout à l'heure : « La France nous regarde, faisons attention à ce que nous disons ! » Oui, faisons attention à ce que nous disons : la contrainte pénale est une véritable sanction, et il n’y aura pas d’impunité lorsqu’on prononcera la contrainte pénale là où, auparavant, on infligeait une peine de prison.
Ici même, nous avons récemment créé un nouveau délit, celui d’entrave à l’action du contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui n’est pas passible de prison. Nous avons donc commencé à aller dans ce sens : il existe d’ores et déjà des délits qui ne peuvent pas être sanctionnés par une peine de prison.
On a aussi évoqué le sentiment que pourraient éprouver les victimes si cet article était adopté. Or, selon moi, même du point de vue des victimes, il peut être important de savoir que, de toute façon, pour tel ou tel délit, l’auteur ne pourra pas encourir la prison. On le sait, certaines victimes renoncent à porter plainte contre l’auteur, notamment s’il s’agit d’un proche, précisément parce elles ne veulent pas qu’il se retrouve finalement en prison. Si, demain, les victimes savent qu’il existe une autre sanction, la contrainte pénale, qui sera efficace tout en évitant une peine de prison à l’auteur du délit, elles hésiteront moins à dénoncer les actes qu’elles auront subis. La contrainte pénale peut donc aussi apparaître comme un moyen de mieux soutenir les victimes.
Enfin, ce n’est pas parce qu’un article crée, pour certains délits, une contrainte pénale sans possibilité d’emprisonnement que la contrainte pénale disparaît pour autant totalement du paysage pour les autres délits : elle reste prononçable dans d’autres cas.
Comme l’a dit Mme Tasca, profitons du temps qui nous reste, certes bien trop court, jusqu’à la commission mixte paritaire pour essayer d’affiner le dispositif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, avant tout, je tiens à vous remercier de tout ce que vous avez dit.
Il est vrai qu’il nous reste peu de temps. Aussi, peut-être nous faut-il faire preuve de pédagogie. Pour être entendus, nous devons émettre un message clair et compréhensible.
Selon moi, le message est simple : la prison ne suffit pas à prévenir les récidives. Voilà ce que nous devons expliquer. Faisons valoir qu’actuellement, face aux délits dont nous parlons, elle n’est pas une solution efficace et que, a contrario, la contrainte pénale, comme peine autonome, pourrait en être une. Tentons le coup !
Je ne crois pas que les gens aient du mal à comprendre que la prison produit de la récidive ! Mme la garde des sceaux a cité des chiffres. Des auditions ont été menées. De tout cela il ressort que le recours systématique à la prison entraîne la multiplication des récidives ! Dès lors, je ne vois pas pourquoi, à cette heure avancée, nous nous torturons tant les méninges sur une question toute simple !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je tiens à réagir au mot « impunité », qu’a employé M. Reichardt.
Cher collègue, vous vous êtes exprimé de manière très claire : finalement, selon vous, cette réforme conduira à l’impunité pure et simple ! Nous avons pourtant expliqué je ne sais combien de fois au cours de la discussion générale que nous étions contre l’impunité. Je le répète, nous estimons que tout délit mérite sanction. Cependant, si l’on part du principe selon lequel toute sanction implique une référence à la prison, on aboutit à une impasse. Dès lors, une telle position n’est pas réaliste.
Le chiffre est connu : à ce jour, 99 600 peines de prison ferme sont prononcées mais ne sont pas appliquées. Ce sont autant de personnes qui « se baladent » alors qu’elles ont fait l’objet d’une condamnation à une peine de prison ferme !
De surcroît, nous le savons bien, pour les délits qui sont visés à l’article 8 ter, les peines de prison qui sont éventuellement prononcées – et continueraient de l’être si cet article n’était pas adopté – sont généralement courtes. Or les courtes peines n’en emportent pas moins de lourdes conséquences.
D’une part, ce sont celles qui bénéficient du moins d’aménagements, celles pour lesquelles la sortie est la moins préparée.
D’autre part, il suffit de visiter une prison pour constater que l’incarcération fournit à un certain nombre de personnes l’opportunité d’entrer dans un milieu délinquant ou criminel et qu’il est donc, dans bien des cas, préférable d’infliger une peine autre que l’emprisonnement.
Tant que l’on aura dans la tête que « peine égale prison », toute autre forme de sanction, telle la contrainte pénale, sera regardée comme n’étant pas une « vraie peine », comme faisant en quelque sorte moins peur, et notre système pénal restera centré sur la prison.
C’est précisément avec cette logique qu’il faut rompre. Ce mouvement a déjà été engagé via la loi pénitentiaire, où la prison est définie comme le dernier recours. En matière correctionnelle, il faut ne recourir à cette solution que si aucune autre n’est possible.
Le débat de ce soir est important, sinon essentiel, car c’est un changement de culture qui est en jeu. Ce changement, pour notre part, nous avons choisi de l’assumer parce que nous mesurons trop les inconvénients du système actuel. On ne peut pas raisonner comme si la situation présente était idyllique, et comme si elle allait soudain se détériorer du fait de la contrainte pénale !
Le Sénat doit se prononcer sur cette importante question.
Mme Esther Benbassa. C’est un débat de société !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13, 29 rectifié et 98.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 108, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
, au premier alinéa de l'article 131-8 et au premier alinéa de l'article 131-8-1
par les mots :
et au premier alinéa de l'article 131-8
II. – Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du premier alinéa de l'article 131-8-1, après la première occurrence du mot : « emprisonnement », sont insérés les mots : « ou d'une contrainte pénale » et, après la seconde occurrence du mot : « emprisonnement », sont insérés les mots : « ou de la contrainte pénale ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Cet amendement tend à corriger une erreur de coordination.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement n’étant pas rancunier, il émet un avis favorable ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Faut-il en conclure que, si le Gouvernement était rancunier, il laisserait les erreurs matérielles en l’état ? (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 118, présenté par M. J.P. Michel, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il a déjà été fait largement état de cet amendement, qui tend à supprimer de la liste des délits pour lesquels seule la contrainte pénale est encourue les délits de vol simple et de recel de vol simple.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Compte tenu des débats que nous venons de consacrer à ces questions, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. L'amendement n° 82, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au premier alinéa du I de l’article L. 221-2, les mots : « d’un an d’emprisonnement » sont remplacés par les mots : « d’une contrainte pénale » ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Il va sans dire que M. le rapporteur a accompli un excellent travail. Cela étant, il nous semble qu’il a omis, dans la liste figurant au présent article, le délit de conduite d’un véhicule sans permis de conduire.
Dans la logique que nous venons d’expliciter longuement, il nous paraît bon de combler cette lacune.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La question des délits routiers s’est complexifiée au fil du temps. Ces délits représentent 42 % des jugements prononcés en correctionnelle. C’est une proportion considérable ! Ils peuvent le cas échéant être punis d’une peine d’incarcération.
Je l’ai déjà indiqué, nous avons envisagé de contraventionnaliser les délits routiers. Toutefois, ce sujet est extrêmement sensible, le comportement des automobilistes dépendant aussi du niveau des sanctions encourues.
Nous travaillons donc sur ce sujet avec la plus grande prudence. La commission Nadal s’est déjà penchée sur cette question, que nous examinons en lien avec les services du ministère de l’intérieur. Je le répète, le facteur psychologique n’est pas négligeable.
Cela étant, compte tenu du long débat que nous avons eu précédemment, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné cinquante-huit amendements. Il en reste cinquante-sept.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avons donc bien travaillé !
Mme la présidente. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.