M. Gérard Longuet. C’est sûr !
M. Jean-Léonce Dupont. Si nous renouons avec la pratique consistant à faire tenir les élections en mars, les conseillers régionaux élus en décembre 2015 auraient jusqu’à mars 2022 pour travailler. Cette mesure me semble relever du bon sens !
Le raccourcissement des mandats débutant en 2015 touche aussi les conseillers départementaux. Cette disposition, je n’hésite pas à le dire, est proprement inadmissible. En effet, c’est de cette manière, quelque peu cavalière, que vous inscrivez dans la loi la fin des départements – je rappelle que le Premier ministre avait annoncé la suppression des conseils généraux à l’horizon de 2020. Et les propos tactiques, les discours de circonstance – tenus même aujourd'hui dans cette assemblée – ne sont pas de nature à me rassurer ! Ce n’est pas une bonne manière d’agir.
Il a été largement démontré, depuis les annonces gouvernementales, qu’une telle mesure nécessitait une révision constitutionnelle, que vous savez ne pas pouvoir obtenir. Vous ne pouvez pas ne pas avoir entendu les réactions que ces intentions suscitaient – assez peu positives, faut-il le rappeler ?
Vous évoquez parfois l’idée qu’une telle réforme ne peut pas indistinctement et uniformément concerner l’ensemble des départements et qu’il convient de distinguer entre eux – selon qu’ils ont ou non une métropole sur leur territoire, qu’ils sont à dominante rurale ou urbaine,… –, en feignant d’oublier que la solidarité est une exigence sur tous les territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux.
Je prendrai l’exemple de la métropole lyonnaise. Ah, comme cela semble beau, plus lisible, plus simple ! Mais, au bout du bout, mes chers collègues, nous avons simplement créé un département supplémentaire, une métropole-département.
MM. Gérard Longuet et René-Paul Savary. Exactement !
M. Jean-Léonce Dupont. Le département du Rhône, prenant acte du transfert de son management, est aujourd'hui en train de recruter un directeur général et des équipes.
M. Didier Guillaume. Michel Mercier sera content !
M. Gérard Longuet. Eh oui, il s’est fait son petit département à lui !
M. Jean-Léonce Dupont. Vous entendez prendre une mesure générale de fin de vie programmée des départements sans que nous sachions ce que vous entendez proposer pour assurer le relais des actuels conseils généraux sur leur cœur de métier, la solidarité, mais sans doute ne le savez-vous pas…
On retrouve le vice fondamental de cette réforme : que faites-vous des compétences des départements et comment assurez-vous leur financement ? Si le second projet de loi commence à organiser la succession avec notamment le transfert des collèges, des routes départementales, des ports, des transports non urbains vers les régions, il ne dit rien des politiques de solidarité sociale.
Dans ce contexte, sans réponse crédible et dans un silence total, pour ne pas dire assourdissant, sur les moyens financiers, programmer aujourd’hui la fin des départements au mois de mars 2020 est une provocation pour les élus autant que pour les agents de nos collectivités, dont vous n’imaginez pas les interrogations et l’inquiétude.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Éric Doligé. Bravo !
M. Jean-Léonce Dupont. Comment diriger pendant cinq ans une collectivité dont les personnels, et quelquefois les meilleurs, n’auront en partie de cesse que d’anticiper un reclassement préventif ? Ce sont donc en réalité tous les niveaux de collectivités qui sont impactés par ce premier texte soumis à notre examen, avant que l’on s’occupe sérieusement de leurs missions et de leurs moyens présents ou à venir.
Il y a trente-trois ans, l’été déjà, le Parlement débattait avec passion et force clivages de ce qui deviendrait la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Depuis lors, la construction de la décentralisation s’est poursuivie, parfois laborieusement mais toujours avec détermination.
Prenons garde à ne pas laisser piétiner ces droits et libertés locales, qui incarnent désormais aussi notre République, au plus près de nos concitoyens !
Prenons garde, enfin, que l’acte III de la décentralisation ne devienne pas en fait l’acte I de la recentralisation !
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Jean-Léonce Dupont. En écoutant vos propos, monsieur le ministre de l’intérieur, il me semble que les masques tombent, car ce sont en fait demain les préfets qui défendront les territoires ruraux. Quel progrès !
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Didier Guillaume. Mais non !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Léonce Dupont. Demain, entre les régions et les intercommunalités, il y aura l’État autoritaire et impuissant. Belle perspective ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l'UMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. Gérard Longuet. Bravo !
M. Éric Doligé. Espérons qu’il a été entendu !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Par qui ? Par Michel Mercier ?
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux commencer cette intervention sans émettre les plus vives protestations, au nom du groupe CRC, sur les conditions d’examen de ce projet de loi. C’est en effet à la hussarde que la Haute Assemblée est censée examiner en procédure accélérée un texte fondateur qui, comme l’a indiqué le Président de la République, va chambouler nos institutions locales pour des dizaines d’années. Or, il faut le dire ici, le travail d’élaboration de ce texte a été bâclé. C’est indigne des enjeux et de la Haute Assemblée !
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Christian Favier. Depuis que notre assemblée est saisie, nous avons fait des propositions pour élargir son travail.
Nous avons d’abord demandé, avec d’autres, une commission spéciale afin d’examiner l’ensemble des conséquences d’une telle réforme dans une même structure de travail plutôt que de saisir pour avis toutes les commissions. Malheureusement, le temps contraint que nous a imposé le Gouvernement n’a finalement pas permis à la commission spéciale de répondre aux objectifs de sa création et tous les enjeux de cette réforme n’ont pas été traités.
Nous avons ensuite refusé que ce texte vienne en examen du fait de la faiblesse, pour le moins, de l’étude d’impact. Tout en rejetant nos griefs, le Conseil constitutionnel reconnaît tout de même qu’aucune des conséquences en termes d’emploi public n’est traitée.
Enfin, la motion référendaire ne visait qu’à nous assurer que le peuple souverain soit appelé à avoir le dernier mot sur une réforme de nos institutions locales.
Rien dans notre démarche ne s’est apparenté à une quelconque obstruction. Nous n’avons pas joué la procédure pour éviter le débat. Au contraire, les enjeux de cette réforme ont toujours été au cœur des démarches entreprises. Mais comment pouvions-nous accepter une méthode qui consiste à saucissonner les textes pour faire avaliser un nouveau cadre institutionnel régional et intercommunal sans débattre, au préalable, des compétences nouvelles ou des conséquences induites par la disparition programmée des conseils généraux ?
Il s’agit en fait d’un véritable coup de force institutionnel, d’une manipulation politique peu glorieuse et d’une marque de défiance à l’égard de la représentation nationale et des élus.
Dans un premier temps, ces textes bouleversent le paysage institutionnel local pour mieux le démembrer par la suite. Ce faisant, le Président de la République, pourtant garant de nos institutions, nous demande de brader, en une semaine, notre organisation territoriale et deux cents ans de notre histoire républicaine partagée.
La méthode employée met à mal la séparation des pouvoirs, chère aux législateurs ayant fondé notre République. En effet, les projets sont tellement encadrés, figés dans le temps et dans leur contenu, que le pouvoir législatif est de plus en plus transformé en un simple rouage administratif, entre les mains d’un pouvoir exécutif autocratique absolu, tellement sourd aux critiques qui montent de toute part.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est nuancé…
M. Christian Favier. Cette tour d’ivoire élyséenne n’est d'ailleurs pas sans nous rappeler celle d’un autre temps, qui fit écrire au « petit horloger de Versailles » : « rien », sur son journal personnel, pour décrire ce qui s’était passé un certain 14 juillet 1789.
M. Gérard Longuet. Il n’avait pas le téléphone, c’est pour ça ! (Sourires.)
M. Christian Favier. En effet, partout, les élus locaux, les acteurs locaux, les populations s’expriment, grondent. J’en veux pour preuve, par exemple, la motion unanimement adoptée par l’Assemblée des départements de France pour affirmer son opposition à la réforme territoriale telle qu’elle nous est aujourd'hui proposée.
La quasi-unanimité des protagonistes rejette, si ce n’est l’objet de la loi, en tout cas la méthode. Quant au peuple, dont le Gouvernement espère le soutien, ce dernier le garde soigneusement éloigné, ne lui permettant de s’exprimer que par sondages et refuse évidemment de lui laisser décider du cadre institutionnel local par voie référendaire.
Alors, oui, sur cette question comme sur tant d’autres, nous devons maintenant faire vivre le changement !
À l’opposé des petits comités, des petits arrangements de couloir pour établir la carte des nouvelles baronnies, il est temps que s’installe dans notre pays un grand débat national pour refonder notre République et non pour faire peser sur les collectivités la responsabilité de la dette publique que les gouvernements successifs ont creusée depuis trente ans. Car, ne l’oublions pas, cette réforme est arrivée dans le discours public par le biais de la recherche d’économies, sous la pression des institutions européennes. C’était même le premier argument utilisé.
Or, depuis, la preuve en a été apportée, cette fusion des régions va d’abord coûter cher, et les économies à venir ne sont pas assurées sans réduire massivement les services publics et l’action sociale. C’est d'ailleurs bien cela qu’exige Bruxelles dans sa recommandation adressée le 2 juin dernier : « Le projet de nouvelle loi sur la décentralisation devrait permettre de simplifier les divers échelons administratifs en France, en vue d’éliminer les chevauchements de compétences entre les administrations, de créer de nouvelles synergies, d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant des échelons administratifs. »
Voilà donc le véritable objectif de ce projet de loi : suivre scrupuleusement les rails tracés par Bruxelles. C’est en quelque sorte, monsieur le ministre, si j’ai bien compris, votre feuille de route. On comprend mieux, dès lors, que l’utilité de cette réforme des territoires pour nos concitoyens n’est ni affichée, ni débattue et encore moins démontrée.
Cependant, les conséquences, on le sait, seront lourdes. Dès maintenant, les réductions drastiques opérées par l’État sur les dotations des collectivités locales conjuguées aux incertitudes qui pèsent sur le devenir des départements et des intercommunalités, notamment en région parisienne, génèrent une baisse des investissements des collectivités locales et donc, mécaniquement, une réduction de l’activité des secteurs du bâtiment, des travaux publics et du paysage. Selon des projections, cette réduction pourrait atteindre 10 % en 2014 et menacer directement près de 10 000 emplois en Île-de-France à très court terme.
Par ailleurs, cette réforme s’inscrit à contre-courant du processus de décentralisation engagé par notre pays. Alors que, depuis trente ans, le pouvoir local, communal et départemental, dans la proximité nouée avec la population, tente de mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens, l’objectif de ces textes est la suppression des assemblées locales, au profit de grandes structures régionales et intercommunales de plus en plus éloignées des populations.
À l’inverse de tous les actes de décentralisation, vous venez même d’annoncer, monsieur le ministre, que pour compenser la disparition des départements, vous allez renforcer l’intervention des préfets. Autant nous nous félicitons d’un retour de l’action de l’État sur les territoires, que nous n’avons jamais contesté pour notre part, autant nous ne saurions accepter que cela se fasse contre les assemblées élues. C’est bien la preuve d’un retour en arrière, d’une reconcentration des pouvoirs, d’une recentralisation technocratique et, surtout, il faut bien le dire, d’un recul démocratique.
Intégration, concentration et organisation hiérarchique pyramidale des pouvoirs semblent être aujourd'hui l’alpha et l’oméga de votre pensée institutionnelle et de vos propositions, alors que tout pousse, au contraire, dans un monde moderne, à de nouvelles formes d’organisation plus souples, plus évolutives, plus collaboratives.
La nouvelle étape de la décentralisation, à laquelle nos concitoyens sont attachés, doit s’appuyer sur la volonté de rapprocher davantage les citoyens des lieux de décisions, de favoriser les coopérations, le partage des savoirs et des pouvoirs.
À rebours de tout cela, la perspective des mesures que vous nous proposez met gravement en péril notre organisation démocratique. Ainsi, vous voulez supprimer, en 2020, plus de 4 000 élus départementaux et leurs assemblées délibératives. Qui peut croire qu’il y aura plus de démocratie avec moins d’élus et moins d’assemblées élues ? Y aura-t-il plus de démocratie en supprimant l’obligation de consultation des citoyens en cas de modification de la région de rattachement d’un département ?
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Christian Favier. Y aura-t-il plus de démocratie en refusant, dans ce cadre de bouleversement institutionnel, que la parole soit donnée au peuple ?
Ni utile ni démocratique, pourquoi débattre d’un tel texte ? Où sont les véritables enjeux ? Mettons-nous tous la même chose derrière les mots ?
Ainsi, et ma collègue Cécile Cukierman y reviendra dans la discussion générale, lorsque l’on parle de régions fortes, de compétences et de pouvoirs réglementaires renforcés en leur faveur, sommes-nous toujours dans la perspective d’une République unitaire ou déjà sur la voie du fédéralisme ? La question se pose réellement lorsque l’on prévoit que l’intervention économique relèvera exclusivement des régions et qu’il faudra supprimer les doublons entre l’État et les régions.
L’État ne sera-t-il plus en mesure d’intervenir dans ce domaine ? Il n’y aurait donc plus de politique économique nationale, ni de politique nationale d’aménagement, ni de politique nationale d’enseignement supérieur ? Est-ce ce qui se cache derrière les déclarations de certains et les textes qui nous sont soumis ?
En fait, il y a un vrai jeu de dupes lorsque l’on débat de nos institutions locales et de notre démocratie de proximité. Prenons l’exemple de nos communes. Le sujet est si sensible chez nos concitoyens que tout le monde jure de les défendre alors que, depuis plusieurs décennies, tous les gouvernements ont tenté d’en réduire l’action : d’abord et toujours par le biais budgétaire, en réduisant les dotations de l’État et leur autonomie financière ; ensuite par la réduction de leurs compétences.
Le vecteur essentiel de cette dévitalisation de nos communes, en cours et à venir, ce sont d'ailleurs, nous le savons tous, les transferts vers les intercommunalités. Quant aux intercommunalités, elles étaient à l’origine librement choisies, fondées sur des projets communs. Maintenant, c’est terminé : on concentre autoritairement, toujours plus ! De 5 000 habitants, on va passer à 20 000 habitants. Ce sera combien ensuite : 50 000, 100 000 habitants ? Je souligne qu’en petite couronne les intercommunalités rassembleront au minimum 300 000 habitants.
M. Roger Karoutchi. Exact !
M. Christian Favier. Dans ces conditions, chacun sait que nos communes deviendront, à plus ou moins brève échéance, de simples mairies d’arrondissement, notamment lorsque sera instaurée l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires.
Si j’attire l’attention sur la situation et l’avenir de nos communes, c’est parce que vous soulevez le sujet à demi-mot, monsieur le ministre, car leur nombre élevé est ce qui nous différencie le plus en Europe. Officiellement, on ne parle pas de la suppression des communes, mais les projets, j’en suis persuadé, sont dans les cartons. Ils peuvent en sortir rapidement et constituent la seconde étape. Voyez comment, d’un seul coup, a été annoncée la disparition des départements ! En quinze jours, le Président de la République a changé d’avis : à Tulle, en janvier, il annonçait que les départements étaient utiles, puis que ceux-ci avaient fait leur temps et qu’il fallait maintenant les supprimer !
Le 27 janvier 2014, la loi MAPAM était promulguée, rétablissant la clause de compétence générale des départements et des régions. Moins de six mois plus tard, le futur projet de loi sur les compétences entend la supprimer.
Cette versatilité de la parole politique cache finalement mal un projet dont on sait qu’il est issu de la mission Balladur, dont la mise en œuvre n’a pas encore complètement abouti.
Ce texte s’inscrit dans une perspective libérale, celle d’une Europe fédérale des régions présentant partout la même organisation territoriale. Cette réforme se fera au nom d’une visée politique libérale et technocratique mettant à bas les structures de représentation de proximité, afin de toujours plus éloigner les centres de décision des citoyens et réduire ainsi leur capacité d’intervention et de contrôle
Au nom du changement, c’est le grand chambardement technocratique qui se prépare ici, pour faire en sorte que plus personne ne s’y retrouve. Au nom d’une prétendue lisibilité, vous remettez en cause tous les points d’appui démocratiques qui persistent encore dans notre société.
Ainsi, c’est finalement ce grand réseau d’élus locaux de proximité – communaux et départementaux –, avec leurs institutions, que vous voulez supprimer.
Notre critique est d’autant plus vive que cette réforme tourne résolument le dos aux engagements pris par le Président de la République lors de sa campagne électorale et dans son discours de Dijon. Loin des promesses sur un nouvel acte de décentralisation, nous sommes face – il faut bien le dire– à un nouveau renoncement, à une reculade, devant les exigences de l’Europe libérale.
Pour notre part, nous sommes favorables à une VIe République, sociale et démocratique, qui redonne du pouvoir au peuple au travers de nouvelles institutions, à tous les niveaux, du local au national, et au travers de collectivités territoriales construites sur la coopération et non sur une forme d’intégration contrainte, librement administrées par des assemblées élues, aux pouvoirs renforcés, et non transformées en simples guichets déconcentrés des politiques de l’État. Tout cela exige un grand débat national, public, conclu par un référendum.
Par crainte du jugement populaire, vous le refusez. Nous le regrettons. En conséquence, le groupe CRC ne pourra que rejeter le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du RDSE.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. Ce n’est pas une surprise…
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, imaginez-vous, dans une verte vallée du Massif central,…
M. Roger Karoutchi. Cela commence bien !
M. Didier Guillaume. C’est un poète ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. … en train d’exposer à nos élus locaux les bienfaits de cette réforme, qui les éloigne de la région et leur enlève tout échelon de proximité…
Le monde évolue toujours plus rapidement et connaît des mutations technologiques, sociologiques, économiques sans précédent dans l’histoire. Nous en avons conscience. Nous avons démontré notre sensibilité, notre volonté d’innovation dans bien des domaines, et nous fûmes souvent les premiers, qu’il s’agisse de bioéthique, de santé publique, de défense des droits de l’homme, d’économie solidaire et de tant d’autres questions.
M. Didier Guillaume. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Politiquement, monsieur le ministre, nous votons le budget. Il y a quelques jours, nous avons voté la réforme pénale. Cependant, nous ne voulons pas de ces projets néfastes pour notre nation : le binôme, le non-cumul et, aujourd’hui, ces deux textes.
Nous ne sommes pas comme l’Association des maires de France – l’AMF – de M. Laignel, nous ne contestons pas la baisse des dotations de l’État ; nous sommes conscients des vrais enjeux.
Toutefois, notre groupe s’oppose à ce que le Gouvernement bouleverse l’organisation territoriale – selon lui, pour des décennies – sans aucune concertation digne de ce nom, au mépris de ce que doit être le rôle du Parlement dans une démocratie parlementaire.
Nous nous opposons à ce qu’une nouvelle carte des régions soit dessinée au sommet de l’exécutif en quelques heures ou quelques jours, au gré de la puissance et de la proximité de quelques grands élus : Bretagne, Pays de la Loire, Nord-Pas-de-Calais et, aujourd’hui ou demain, Limousin !
Nous proposons de revoir votre projet, votre calendrier dans l’intérêt non seulement de la nation, mais aussi, monsieur le ministre, du Gouvernement. Oui, il convient de revoir la copie, parce que votre démarche est erratique tant sur la forme que sur le fond.
Victor Hugo, qui a siégé peu de temps, mais de quelle manière, dans cet hémicycle,…
M. Gérard Longuet. À deux reprises !
M. Jean-Pierre Sueur. Pendant dix ans !
M. Jacques Mézard. … déclarait : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Ce qui remonte aujourd’hui, c’est le non-respect du Parlement et d’abord du Sénat de la République, c’est aussi la méconnaissance de la réalité de nos territoires, en particulier de la ruralité.
Oui, nous vivons dans un régime à bout de souffle où le déséquilibre des institutions est de plus en plus dangereux.
Je dois étouffer dans l’œuf les arguties de certains zélateurs ânonnant des éléments de langage. Non, il ne s’agit pas d’un débat gauche-droite : de très nombreux exécutifs locaux, départementaux et régionaux dirigés par des élus socialistes ont délibéré pour s’opposer avec force, voire virulence, au projet. A contrario, des personnalités de droite ont exprimé, soit depuis quelques années, soit ces derniers mois, leur volonté de supprimer les départements. Je pense néanmoins qu’ils sont minoritaires dans leur camp…
M. Gérard Longuet. Tout à fait. C’est une minorité.
M. Jacques Mézard. J’ai obtenu, monsieur le rapporteur, parce que je les ai demandées et non parce que vous les avez communiquées, les copies des réponses des présidents de conseils régionaux et de conseils généraux que vous avez consultés. J’en ai fait l’analyse : dix-huit conseils généraux sont contre cette fusion, six pour ; deux conseils régionaux sont contre, un pour, sans compter ceux qui ont délibéré depuis lors. Je tiens à rappeler également l’opposition résolue de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, et de son président, à ma connaissance socialiste…
J’ai lu avec intérêt ce matin l’excellent amendement du groupe socialiste, que je remercie, lequel vise à ce qu’à partir de 2020 les conseils départementaux soient maintenus en zone rurale. L’objet de cet amendement, je le dis très clairement, correspond tout à fait à ce que notre groupe dit depuis plusieurs semaines. Il sera d’ailleurs intéressant de connaître la position du Gouvernement.
Il ne s’agit pas non plus, mes chers collègues, d’un débat des prétendus anciens contre les prétendus modernes. Quel petit argument que celui de nous dire que nous ne voulons rien changer ! Non, nous voulons mieux changer.
Notre groupe, avec d’autres, a permis ici le vote de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, après de vrais débats. J’ai souvenir de m’être opposé à l’époque à Mme la ministre Lebranchu quand elle a demandé le vote du rétablissement de la clause de compétence générale. Aujourd’hui, vous proposez l’inverse ! Qui est incohérent ? Qui est moderne ? Vous ou nous ? Ceux dont la seule proposition est de dire que, puisque le monde change, il faut changer, sont non pas de vrais réformistes, mais de vrais opportunistes.
Nous nous sommes opposés au fameux binôme, défendu ici même par l’actuel Premier ministre. Soyons réalistes, personne aujourd’hui ne considère qu’il s’agir d’une bonne idée. Vous ne voulez guère l’utiliser que pour gérer l’extinction des conseils généraux. Je souhaite d’ailleurs bon vent aux liquidateurs...
J’en viens à l’argument selon lequel nous discutons de cette réforme depuis vingt ans et qu’il n’est plus nécessaire de débattre puisque tout a été dit. C’est inacceptable ! Ce projet est une création ex nihilo, qui n’est la déclinaison d’aucun rapport, d’aucun débat, d’aucune concertation.
Je tiens à saluer le courage de notre collègue socialiste Yves Krattinger, ainsi que la qualité de son intervention en commission spéciale, au cours de laquelle il a pourfendu techniquement ce projet et démontré qu’il n’était en rien le produit de l’excellent rapport Raffarin-Krattinger, contrairement à la communication officielle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Cet excellent rapport avait recueilli ici un large consensus : pourquoi n’avoir point travaillé sur ses bases ?
M. René-Paul Savary. Absolument !
M. Jacques Mézard. Contrairement à d’autres projets de loi, vous ne pouvez non plus nous asséner l’argument selon lequel il s’agit d’un engagement du Président de la République ! Et puisque vous nous avez parlé de cohérence hier, je vais vous démontrer que l’incohérence, ce n’est point nous.
Pour ce qui est de l’orthodoxie de ces deux textes, je vous renvoie à quelques citations du Président de la République, avant et après son élection. Lors du discours qu’il a prononcé à Dijon, le 3 mars 2012,…
M. Didier Guillaume. Très bon discours !
M. Jacques Mézard. … j’étais présent, tout comme vous, monsieur le ministre. Il déclarait alors : « Je garantirai donc le niveau des dotations de l’État aux collectivités locales. […] Aux départements le rôle d’assurer et de renforcer les solidarités sociales et territoriales. Ils n’y parviendront que si les conseils généraux disposent de nouvelles ressources ».
À Tulle, le 19 janvier 2014, le Président de la République déclarait encore : « Les départements gardent donc leur utilité pour assurer la cohésion sociale et la solidarité territoriale. Et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple comme certains le réclament. Car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie, sans d’ailleurs générer d’économies supplémentaires, si l’on y supprimait le département. » C’est parfait ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Léonce Dupont. Tout est dit !
M. Didier Guillaume. Vous avez sauté une partie du texte !