M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen d’un texte particulièrement important.
M. Jean Desessard. Ah !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. En effet, ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 concourt à la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité, annoncé par le Président de la République le 14 janvier dernier et détaillé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. Il forme un tout cohérent avec le projet de loi de finances rectificative examiné la semaine passée dans cet hémicycle.
Ensemble, ces deux textes répondent aux trois défis que le pays doit relever.
Le premier défi, c’est la réduction de nos déficits et de notre dette, qui, chacun en conviendra, obèrent notre croissance. Telle est au demeurant la condition de la pérennité de notre modèle social : qui pourrait croire que nous sommes en mesure d’ouvrir de nouveaux droits à nos concitoyens si nous nous révélons incapables d’honorer financièrement les droits existants ?
Le deuxième défi, c’est le rétablissement de la compétitivité de nos entreprises, sans laquelle il n’y aura ni croissance ni création d’emplois durables.
Le troisième défi, c’est le soutien au pouvoir d’achat des ménages et tout particulièrement de nos concitoyens les plus défavorisés.
Toute la complexité de la situation réside dans le fait que ces trois objectifs ne sont pas spontanément compatibles. Soutenir le pouvoir d’achat par des baisses d’impôts ou de cotisations sociales acquittées par les ménages, améliorer la compétitivité par des diminutions de charges sur les entreprises impliquent autant de mesures pesant sur les déficits publics. C’est pourquoi a été décidé un plan de 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans, dont l’objectif est à la fois de compenser ces baisses de prélèvements et de réduire nos déficits.
On pourra contester telle ou telle mesure, privilégier telle ou telle autre, comme cela a été le cas à l’Assemblée nationale. Mais on ne pourra pas nier la cohérence de ce plan, qui, par son ampleur, est sans précédent depuis très longtemps, et qui est tendu vers un objectif central : la création d’emplois dont notre pays a tant besoin.
Ce projet de loi de financement rectificative, comme le collectif budgétaire examiné la semaine dernière, permet au premier chef de répondre aux impératifs d’amélioration du solde public pour l’année 2014 tout en donnant aux entreprises et aux salariés une vision claire de la baisse des prélèvements sociaux dont ils bénéficieront en 2015.
Concernant cette année 2014, le présent texte contribue à ramener le déficit public effectif de 4,3 % du PIB enregistrés en 2013 à 3,8 %. Il prévoit en effet 1,1 milliard d’euros sur les 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires programmées pour 2014, dont 800 millions d’euros sur l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, et près de 300 millions d’euros dans le champ du risque vieillesse, en raison pour l’essentiel de la non-revalorisation des retraites de base au 1er octobre 2014 et de moindres dépenses du fonds d’action sociale de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV.
Toutefois, l’effort proposé au titre des dépenses via ce projet de loi de financement rectificative tient compte de l’impératif de justice sociale : seuls les retraités dont le montant total des pensions excède 1 200 euros seront concernés par la non-revalorisation. Mme la ministre et M. le rapporteur général l’ont dit : en tout, 6,5 millions de retraités, soit la moitié d’entre eux, seront exonérés de ce gel temporaire.
Au total, les mesures d’économies supplémentaires proposées pour 2014 permettent de contenir les déficits prévisionnels de la sécurité sociale au titre de cette année et, au-delà, de confirmer la trajectoire de redressement des comptes sociaux sur laquelle le Gouvernement s’est engagé : le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base devrait diminuer de 3,2 milliards d’euros par rapport à 2013, ou de 2,6 milliards d’euros si l’on tient compte du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV.
Mes chers collègues, les déficits diminuent incontestablement. On pourra toujours débattre du rythme de ce mouvement ou de la cadence qu’il convient de suivre. Mais nul ne peut nier que les déficits de nos régimes sociaux se réduisent !
Pour l’année 2015, le présent texte traduit cinq mesures essentielles du pacte de responsabilité et de solidarité. Si je ne reviendrai pas sur le détail de ces mesures – nous en débattrons très largement lors de l’examen des articles –, je souhaite d’emblée en souligner l’ampleur.
Au total, les prélèvements sociaux diminueront de près de 9 milliards d’euros en 2015. C’est là une baisse sans précédent pour une seule année. Cette somme se décompose en 2,5 milliards d’euros pour les salariés, 1 milliard d’euros pour les travailleurs indépendants et 5,5 milliards d’euros pour les entreprises.
Cette réduction des prélèvements sociaux touchera directement plus de 1,5 million d’employeurs, 1,8 million de travailleurs indépendants, 5,2 millions de salariés du secteur privé et 2,2 millions de fonctionnaires.
Surtout, l’ensemble de ces mesures traduit un choix clair en faveur de l’emploi, le ciblage des baisses de charges aux alentours du salaire minimum devant permettre de maximiser les effets sur l’emploi. De fait, ce sont environ 45 000 nouveaux emplois supplémentaires qui sont attendus dès 2015 grâce à ces mesures.
J’ajoute qu’aucun type d’entreprise n’est négligé : le dispositif « zéro charge URSSAF » permettra de gommer l’effet de seuil, qui existait avec les exonérations dites « Fillon » à partir du vingtième salarié. Parallèlement, l’abattement de contribution sociale de solidarité des sociétés, la fameuse C3S, bénéficiera en priorité aux petites et moyennes entreprises.
Reste la question suivante : comment ces baisses de prélèvements sociaux seront-elles financées ? Ce sujet a évidemment animé les débats de notre commission des finances.
Si les modalités précises de compensation des pertes de recettes entraînées par les différentes mesures du pacte ne sont pas définies avec précision dans le présent projet de loi, c’est essentiellement pour des raisons juridiques tenant à la distinction entre les dispositions qui sont permanentes et celles qui ne le sont pas. Mais nous savons tous qu’un plan de réduction des dépenses publiques de 50 milliards d’euros au titre des années 2015 à 2017 va être mis en place. Nous en connaissons d’ailleurs les grandes lignes.
En effet, le Premier ministre a indiqué en avril dernier que la sphère sociale représenterait près de 40 % de cet effort en dépenses, soit 21 milliards d’euros, ce qui correspond peu ou prou au poids de ce secteur dans les finances publiques.
Sur ces 21 milliards d’euros d’économies, 2,9 milliards d’euros résulteront des réformes des retraites et de la politique familiale, qui ont déjà été adoptées. De plus, 10 milliards d’euros de baisses de dépenses seront dégagés dans le champ de l’ONDAM, 2 milliards d’euros à la suite du report de la revalorisation de certaines prestations sociales, 800 millions d’euros grâce à la poursuite de la réforme de la politique familiale et 1,2 milliard d’euros au titre du fonctionnement des organismes de protection sociale. Quant au régime d’assurance chômage et aux régimes de retraite complémentaire, ils contribueront à cet effort à hauteur de 4 milliards d’euros.
Il est donc faux de prétendre, comme on a pu l’entendre ici ou là – et nous l’avons beaucoup entendu au sein de la commission des finances ! –, que les baisses de charges proposées ne sont pas financées. Il existe bien un plan cohérent, qu’il convient d’adopter dans son ensemble. En tout état de cause, les modalités précises de compensation par le budget de l’État seront définies d’ici à quelques mois par les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015.
Mes chers collègues, ce double pacte est de nature à restaurer la confiance nécessaire à la croissance. Il est également de nature à répondre à la question qui prime aujourd’hui sur toutes les autres : comment recréer de l’emploi dans notre pays et y faire diminuer le chômage ?
C’est pour ces raisons que, dans sa majorité, la commission des finances s’est prononcée pour l’adoption du présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 survient peu après la troisième conférence sociale, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a pas satisfait les organisations syndicales de salariés.
Mêmes les syndicats soutenant encore, du bout des lèvres, le pacte de responsabilité, que le présent texte est censé transposer, ont légitimement protesté contre les nouveaux cadeaux accordés au MEDEF à la veille même de la conférence sociale.
Quant aux représentants des organisations syndicales administrateurs de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, ils se sont tous prononcés, y compris la CFTC, la CGC et la CFDT, contre ce projet de loi de financement rectificative pour 2014. Leur avis défavorable porte non seulement sur le gel des prestations familiales initialement prévu, mais aussi sur le cœur même du pacte de responsabilité, à savoir l’instauration de nouvelles exonérations de cotisations sociales, qui constitue selon eux « une mauvaise décision en termes économiques et sociaux ».
Or cela, le Gouvernement ne l’entend pas. Il préfère écouter le MEDEF et les institutions européennes, le Conseil de l’Europe en tête, lequel considérait en 2013 que le CICE ne faisait que la moitié du chemin à ses yeux nécessaire pour réduire le coût du travail.
Au reste, si les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s’opposent au présent texte, ce n’est pas pour des raisons dogmatiques ou par anti-européanisme, mais sur la base des échecs constatés des politiques d’exonérations massives de cotisations sociales menées en France depuis vingt ans.
Madame la ministre, en l’occurrence, le dogmatisme est de votre côté. En effet, les études statistiques montrent qu’en réalité cette politique échoue à créer des emplois. Elle est également lourde de conséquences pour les comptes sociaux et, en général, pour les comptes publics.
Chaque année, ce sont en effet près de 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales qui sont accordées aux employeurs, non seulement sans contreparties, mais aussi sans impact réellement positif sur l’emploi.
Au contraire, une étude du Centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Évry montre que les mesures d’exonération de cotisations sociales, singulièrement les allégements généraux sur les bas salaires, similaires à ceux qui sont contenus dans l’article 2 de ce projet de loi, ont tendance à détruire plus d’emplois qu’ils n’en créent, et à détruire principalement des emplois rémunérateurs et de qualité. Ainsi, selon cette étude, « les mesures d’allégement du coût du travail auraient réduit de 41 000 à 76 000 les emplois qualifiés en 1997 ».
D’ailleurs, le rapport du projet de loi de finances rectificative présenté à l’Assemblée nationale reconnaît clairement que les mesures du projet de loi de finances rectificative et du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 vont avoir pour effet un ralentissement de la croissance et la suppression de 250 000 emplois.
Ainsi, d’après le ministère des finances, les baisses de charges et d’impôts prévues dans le pacte devraient créer environ 190 000 emplois à la fin de l’année 2017. Cependant, les réductions de dépenses qui contribuent à son financement en supprimeront 250 000 dans le même temps. Le solde est donc négatif, avec la suppression de 60 000 emplois ! Tout porte à penser que le pacte de responsabilité va accroître le déficit de la sécurité sociale au lieu de le réduire.
De plus, l’effet « trappe à bas salaires » apparaît lui aussi indéniable. Le rapport Cotis de 2009 montre d’ailleurs que sous l’effet de la « smicardisation » et de l’explosion des contrats précaires, le salaire moyen par salarié a peu évolué depuis vingt ans. Or c’est bien dans la déformation de la richesse créée par les entreprises que se trouve la cause profonde des déséquilibres.
Depuis trente ans, les dividendes extorqués au travail ont augmenté de 200 %. Sur la même période, en euros constants, les salaires n’ont progressé que de 20 %. Malgré les dizaines de milliards d’euros d’aides aux chefs d’entreprise, le chômage de masse bat aujourd’hui tous les records. Les seuls gagnants de cette politique sont en réalité les actionnaires.
Conscients sans doute que cette posture risquait de fragiliser votre majorité à l’Assemblée nationale, et que nos concitoyens ne supportent plus cette politique qui demande toujours plus de sacrifices aux ouvriers, aux employés, aux couches modestes et moyennes, vous avez pris la décision de réduire une partie des cotisations salariales.
Depuis, comme vous l’avez fait aujourd’hui, le Gouvernement communique à l’envi sur l’idée que l’article 2 aurait pour effet d’augmenter de 500 euros le salaire net annuel de certains des salariés les moins bien rémunérés. Il ne s’agit là toutefois que d’un artifice, puisque ce que vous donnez d’une main aux plus précaires des salariés, vous le reprenez de l’autre, par exemple en appauvrissant leurs parents retraités. Vous étiez mêmes prêts, initialement, à réduire le pouvoir d’achat des personnes bénéficiant d’une rente accident du travail ou maladie professionnelle et vous envisagez toujours, il me semble, de geler les prestations sociales liées au logement.
Très clairement, plutôt que de faire le choix de renforcer le pouvoir d’achat des salariés en augmentant les salaires, c’est-à-dire en opérant un nouveau partage des richesses entre capital et travail en faveur de ce dernier, vous faites le choix de réduire les cotisations sociales. Or cela conduira nécessairement, tôt ou tard, à une hausse des taxes ou des impôts affectés pour compenser ces moindres recettes. Cela conduit d’ailleurs déjà à une diminution des prestations et des services rendus à la population.
Je pense ici au gel des pensions de retraite à partir de 1 200 euros par mois, qui, couplé à l’inflation et cumulé avec des dispositions antérieures – contribution pour l’autonomie, gel des retraites complémentaires –, entraîne mécaniquement une perte du pouvoir d’achat des retraités modestes. Contrairement à ce que j’entends parfois sur certaines travées, on n’appartient en effet pas à la classe moyenne avec une retraite médiane de 1 200 euros bruts par mois. Ces retraités sont légitimes à pointer votre responsabilité, alors que nous venons encore d’apprendre, au conseil d’administration de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, que la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, continuerait à être détournée de son objet – l’accompagnement de la perte d’autonomie – au moins jusqu’au 1er juillet 2015, et que 42 millions d’euros de crédits destinés à l’accompagnement médicosocial des personnes âgées sont supprimés dans le budget rectificatif.
Je pense également au rapprochement que l’on peut faire, par exemple, entre la baisse sensible du subventionnement par les caisses d’allocations familiales des projets de crèches publiques ou à portage associatif et la baisse des cotisations employeurs à la branche famille.
Je pense encore à la diète supplémentaire que vous prescrivez aux établissements de santé, en particulier aux hôpitaux publics déjà en grande difficulté, que vous allez encore ponctionner de plusieurs centaines de millions d’euros, alors que leurs budgets sont déjà difficiles.
Jusqu’où irez-vous dans les reculs sociaux ? Vous parlez de sacrifices, mais pour qui et pour quels résultats ? Avec quelle efficacité ? Car, vous l’avez compris, ce que nous contestons c’est non pas la nécessité de réduire les déficits publics, y compris ceux de la sécurité sociale, mais le chemin que vous avez choisi.
En effet, malgré les vingt années durant lesquelles cette politique de réduction du coût du travail a été menée, la compétitivité des entreprises a clairement continué à fléchir. Preuve, s’il en est, que le coût du travail est sans doute moins important que d’autres, comme celui de l’énergie ou du capital.
Le coût du capital imposé aux entreprises et à leurs salariés représentait en 2012 pas moins de 299 milliards d’euros, plus de deux fois ce qu’elles ont acquitté au titre des cotisations à la sécurité sociale. C’est là qu’il faudrait agir pour réorienter l’argent vers l’économie réelle, pour relancer l’investissement productif, pour conforter l’emploi et les salaires et, au final, pour regonfler les recettes de la sécurité sociale quand vous les faites régresser avec votre politique « austéritaire ».
Oui, c’est vous qui vous livrez au dogmatisme, puisque vous poursuivez comme si de rien n’était, que dis-je ? vous amplifiez même une politique qui échoue lamentablement depuis vingt ans !
Résultat : non content d’avoir obtenu un nouveau paquet cadeau de 8 milliards d’euros d’allégements et d’exonérations de cotisations sociales, le MEDEF obtient encore plus dans ce projet de loi, à savoir la suppression progressive de la C3S, qui avait pourtant pour vocation d’organiser une forme de solidarité entre les grandes entreprises, notamment les grandes enseignes de commerce, et les petits artisans et commerçants.
Cette mesure, qui, en 2016, représentera à elle seule une perte de recette de l’ordre de 6 milliards d’euros, va fragiliser plus encore l’équilibre économique du régime général, lequel se voit adosser le RSI. Cet adossement s’apparente en fait à une reprise de dettes, qui risque de devoir être supportée encore en plus par les salariés eux-mêmes.
Toutefois, je dois le reconnaître, madame la ministre, votre projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 est, d’une certaine manière, cohérent. Votre volonté de réduire massivement les ressources de la sécurité sociale vous oblige à mettre en œuvre une politique d’austérité. N’ergotons pas : comment appeler autrement une politique économique qui consiste à réduire les dépenses publiques et sociales, à geler les pensions et traitements des fonctionnaires, quitte à ce que cela se traduise au final par une perte de pouvoir d’achat ?
Une alternative existe pourtant. De nombreux économistes le disent : la solution à la crise se trouve non pas du côté du capital, qu’il faudrait choyer, mais du côté du travail, qu’il faut soutenir, encourager et mieux rémunérer.
Le groupe CRC porte un projet, sans doute ambitieux, tendant à réformer notre assiette de cotisations sociales. Il consiste à faire cotiser les entreprises en fonction de règles simples : plus les entreprises sont vertueuses, plus elles favorisent l’emploi, mieux elles rémunèrent leurs salariés, moins leurs parts de cotisations sociales sont grandes ; plus elles spéculent, plus elles rémunèrent le capital et le finance, plus elles cotisent.
Michel Sapin disait être devenu l’ami de la bonne finance. À votre tour, madame la ministre, devenez le soutien du bon financement de la sécurité sociale : un financement juste et solidaire. Ce basculement de logique en faveur du travail pourrait vous permettre de mener une tout autre politique qui recueillerait le soutien populaire et mobiliserait toutes les forces de gauche derrière le Gouvernement.
Elle vous permettrait de supprimer les franchises médicales, ou d’accroître la part des remboursements par l’assurance maladie, qui constituent autant d’obstacles dans l’accès aux soins. Elle vous permettrait de développer massivement les places et les structures d’accueil des jeunes enfants au sein d’un service public de la petite enfance. Elle vous permettrait de veiller à la qualité de l’organisation et de l’offre de soins hospitaliers et à tarifs opposables sur tout le territoire.
Elle vous permettrait, en fait, et ce sera ma conclusion, de mener la politique pour laquelle vous avez été élus, et non celle pour laquelle vous serez inévitablement sanctionnés. C’est à ce changement de cap que nous vous invitons en exprimant une opposition de fond à votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ce projet de loi, avec le collectif budgétaire, constitue le premier vecteur législatif des mesures annoncées par le Président de la République à l’occasion de ses vœux aux Français, dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Le but est de soutenir l’investissement des entreprises, la création d’emplois et le pouvoir d’achat des ménages. Nous ne pouvons, bien évidemment, que souscrire à cet objectif !
Le Président de la République a admis que l’année 2013 avait été difficile pour beaucoup de nos concitoyens et a enfin reconnu que la crise s’était révélée plus longue et plus profonde qu’il ne l’avait prévu. Il était temps ! La situation sociale et économique de la France est extrêmement préoccupante, je n’y reviendrai pas.
Vous promettez depuis deux ans d’inverser la courbe du chômage, or celui-ci ne cesse d’augmenter. Le nombre de demandeurs d’emploi vient en effet d’atteindre, toutes catégories confondues, le seuil symbolique de cinq millions. Triste record ! Personne n’est épargné : les jeunes, les seniors, comme les chômeurs de longue durée, sont concernés, et l’INSEE ne prévoit malheureusement pas d’amélioration pour la fin de cette année.
De la même façon, la consommation des ménages a fortement reculé et l’investissement des entreprises s’est effondré. Il faut dire que les mesures que vous avez mises en place depuis maintenant deux ans ont conduit à un véritable matraquage fiscal des ménages et des entreprises. Le Premier ministre a lui-même souligné le 13 mai dernier, à l’Assemblée nationale, que la hausse de la fiscalité de ces dernières années était devenue insupportable. Le Président de la République l’a aussi, me semble-t-il, reconnu implicitement hier.
Résultat : moins d’un Français sur trois aurait confiance en l’avenir économique du pays, selon un récent sondage !
Il y a bien urgence à intervenir.
Pourtant, madame la ministre, alors que le pacte a été annoncé le 31 décembre dernier, il ne prendra effet qu’en 2015. C’est très regrettable. Pourquoi attendre autant alors que la situation économique et sociale nous impose d’agir vite ?
Je me demande, en outre, pourquoi nous avons recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. À l’évidence, si j’en crois ce projet, ce n’est pas pour réviser vos prévisions de croissance trop optimistes !
Ce texte repose toujours sur une hypothèse de croissance de 1 %, alors que les dernières estimations publiées en mai par l’INSEE tablent sur une progression de 0,7%. Lors de votre audition par la commission des affaires sociales le 25 juin dernier, vous avez déclaré, madame la ministre, que cet objectif de 1 % était atteignable – cela relève un peu de la foi du charbonnier ! Nous savons bien que ce n’est pas le cas !
Dans son avis du 5 juin dernier, le Haut Conseil des finances publiques a rappelé qu’avec une croissance nulle au premier trimestre, la prévision de 1 % supposait une forte accélération de l’activité au deuxième trimestre. Et cette accélération n’apparaît cependant pas dans les indicateurs conjoncturels. La Cour des comptes l’a d’ailleurs récemment rappelé en ces termes « dépenses sous-évaluées et recettes surévaluées ».
Relancer la croissance et l’emploi nécessite de mettre en place de véritables mesures structurelles, que vous refusez pourtant systématiquement. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à maintes reprises à cette tribune : nous devons absolument engager une réforme globale et pérenne. Nous ne pouvons plus nous contenter de mesures conjoncturelles.
Comme le souligne très justement et avec une grande franchise le rapporteur général, « Il ne s’agit pas de 50 milliards d’économies sur nos dépenses actuelles, mais de 50 milliards de moins que l’évolution spontanée de la dépense. Si nous restions sur la même trajectoire tendancielle, nous dépenserions 120 milliards de plus sur les trois prochaines années. » N’est-ce pas, monsieur le rapporteur ? (M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales opine.) « Le pacte de responsabilité consiste à ne dépenser ″que″ 70 milliards supplémentaires. » Les déficits vont donc continuer de se former.
Concernant la protection sociale, le travail d’analyse élaboré par la mission commune d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, qui s’est réunie ce matin, souligne en effet une nécessité – même si je n’approuve pas ses conclusions – : celle de revoir le financement de la protection sociale, qui, selon moi, ne peut plus être supporté par le monde du travail et doit être reporté pour partie sur la fiscalité.
À plusieurs reprises, j’ai soulevé, avec mon ancien collègue Alain Vasselle, cette orientation nécessaire, en prévoyant, par exemple, une augmentation de la CSG ou de la TVA.
Nous ne pourrons pas éternellement faire peser sur la médecine de ville, la biologie médicale et les dépenses de médicaments les économies nécessaires, même si, j’en conviens, il existe encore des distorsions inacceptables.
Il faudra aussi, par exemple, admettre que l’égal accès de tous aux soins basé sur la proximité est une tromperie. Je le dis sans détour : qualité ne rime plus aujourd'hui avec proximité. L’hospitalisation publique est en souffrance. Pour avoir voulu conserver un trop grand nombre de centres hospitaliers, la qualité des soins s’est délitée, spécialité par spécialité. Quand allez-vous vous attaquer, madame la ministre, à ce chantier, qui est, j’en conviens, difficile ?
Nous sommes tous responsables, mais, je le répète, il y a urgence.
M. Georges Labazée. Ah oui !
M. Gilbert Barbier. Pour le reste, si l’exercice est exceptionnel, le contenu de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 ne l’est pas ! Celui-ci semble n’être qu’un texte d’affichage. Les allégements de cotisations salariales pour les salariés les moins rémunérés, ainsi que la baisse des cotisations sociales des employeurs et des travailleurs indépendants ne s’appliqueront qu’en 2015, c’est-à-dire un an après les annonces du Président de la République. Certes, ces mesures vont dans le bon sens, mais je crains qu’elles ne soient pas suffisantes.
S’agissant des allégements de cotisations salariales, je m’étonne des inégalités flagrantes entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public. Pouvez-vous nous éclairer, madame la ministre, sur ce point précis ? Surtout, malgré les propos du rapporteur pour avis de la commission des finances, nous ignorons totalement comment ces mesures seront compensées.
Vous avez des intentions, vous envisagez certaines directions. Mais s’agira-t-il d’une hausse de la TVA, d’une augmentation de la CSG ? Nous n’avons aucune visibilité en la matière. Le rapporteur général lui-même reconnaît manquer d’éclairage sur ce point : « Nos questions sont restées sans réponse à cet égard, nous en saurons plus à l’automne, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. Il ne s’agira sans doute pas de nouvelles mesures fiscales mais d’une tuyauterie complexe entre l’État et la sécurité sociale – reste à savoir comment elle sera alimentée. » Nous ne savons pas non plus, madame la ministre, comment vous comptez compenser la disparition progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés.
J’espère que vous pourrez nous apporter des réponses, que je n’ai malheureusement pas entendues dans votre intervention liminaire.
Je m’inquiète également, comme beaucoup, du gel de la revalorisation des retraites. Certes, les retraités les plus modestes ne seront pas touchés par cette mesure qui ne concernera pas les pensions inférieures à 1 200 euros. Pour autant, elle affectera une nouvelle fois les classes moyennes, qui, après le report de six mois de la revalorisation des pensions, seront à nouveau les sacrifiées de votre politique. Dans les faits, cela revient à un gel des retraites de dix-huit mois, ce qui n’est pas supportable pour beaucoup de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai des amendements.
En revanche, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait supprimé le gel de l’allocation de logement familiale et se soit opposée à un futur gel des pensions d’invalidité et des rentes AT–MP, ce qui est la moindre des choses.
Madame la ministre, vous avez fait adopter, par l’Assemblée nationale, un amendement visant à redéfinir le cadre de la recommandation temporaire d’utilisation, la RTU, pour les médicaments nouveaux, ce qui devrait permettre, par exemple, de substituer le Lucentis par l’Avastin dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge. C’est une excellente initiative, qui mérite d’être saluée !
Actuellement, seul le Lucentis a une autorisation de mise sur le marché sur cette indication pour un coût mensuel d’environ 900 euros, alors que de nombreux pays et beaucoup de services hautement qualifiés de notre pays observent les mêmes résultats avec l’Avastin, pour un coût vingt fois moindre, ce qui pourrait engendrer une économie de 400 millions d’euros pour la sécurité sociale. À plusieurs reprises, avec un certain nombre de collègues députés, j’avais demandé que l’on se penche sur le bien-fondé de l’interdiction de l’Avastin. C’est chose faite, et je vous en félicite, madame la ministre. Cette disposition nous permettra peut-être d’ailleurs de franchir une étape dans le domaine des RTU pour ce qui concerne d’autres médicaments.
Je tenais également à soutenir la proposition du rapporteur général d’augmenter la réduction forfaitaire par heure déclarée accordée aux particuliers employeurs. C’est une excellente mesure, que la commission a d’ailleurs adoptée à l’unanimité.
En juin dernier, le ministre des finances avait jugé nécessaire une aide fiscale pour enrayer la crise qui frappe l’emploi à domicile. J’espère que le Gouvernement restera sur cette position, alors la Cour des comptes vient de présenter un rapport dans lequel elle préconise de réviser la niche fiscale des emplois à domicile et de réduire la liste des services éligibles. Les sages de la rue Cambon semblent penser que le système coûte cher et que son impact sur l’emploi se révèle limité.
Pourtant, nous le savons bien, la suppression de la déclaration au forfait a porté un mauvais coup aux emplois à domicile. Selon la Fédération des particuliers employeurs de France, le volume d’heures déclarées a reculé, en 2013, de 7,8 %, et le nombre d’employeurs a baissé de 3,1 %. Sur ce point précis, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, la position du Gouvernement ?
Dans un autre document récemment publié, la Cour des comptes a certes certifié les comptes de 2013, mais tout en soulignant que, concernant la branche maladie, les prestations injustifiées versées représenteraient en fait le double de celles qui sont évaluées par la CNAM, soit 900 millions d’euros au lieu de 430 millions d’euros. Cette question mérite, à mon avis, d’être approfondie.
Enfin, je souhaite profiter de ce débat pour aborder la situation catastrophique des laboratoires de biologie médicale indépendants.
Lors de l’examen du texte qui est devenu la loi du 30 mai 2013, le groupe RDSE vous avait alertée sur les dangers de cette réforme : elle impose des normes industrielles particulièrement lourdes et inadaptées aux petites structures indépendantes, qui les mettent en grande difficulté financière. Aujourd’hui, les laboratoires de proximité sont contraints de vendre à des groupes financiers qui licencient le personnel et suppriment les machines. Ils sont devenus de simples centres de prélèvements. Franchement, cette réforme qui soumet les laboratoires de biologie encore indépendants aux ukases du COFRAC, le Comité français d’accréditation, est une erreur. Il serait, à mon avis, temps de revenir sur ces mesures (M. Jacques Mézard opine.), qui portent atteinte au maintien d’un tissu sanitaire local de qualité, notamment en milieu rural. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l'UMP.)