Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Tout d’abord, je salue l’état d’esprit qui anime tous les participants au débat. Cela dit, je pressens l’adhésion d’une assez large majorité de notre assemblée au projet de régions élargies et, en même temps, un large désir de soutenir le projet propre choisi par les élus alsaciens.
Nous avons entendu le Gouvernement, en particulier Bernard Cazeneuve, exprimer une volonté de dialogue constructif, qui se poursuivra après l’examen du présent projet de loi en deuxième lecture par le Sénat. Le texte sera examiné en deuxième lecture par l’Assemblée nationale et des efforts seront déployés pour définir un projet commun.
Or, si nous voulons aller jusqu’au bout de cette volonté de constituer de grandes régions, nous rencontrerons un peu partout, Michel Bouvard vient de le souligner très justement, un problème sérieux de gestion interne de ces grandes régions, d’autant plus que l’autre projet de loi, que nous avons déjà tous en tête, va leur attribuer des compétences relevant bien plus de la gestion. Nous voyons bien, même si le cheminement du Gouvernement est encore un peu inachevé, de mon point de vue, que la collectivité territoriale « département » subsistera, avec son identité, son droit à une assemblée élue et un ensemble de compétences.
Donc, il me semble que ce débat sur l’alternative entre la grande région Est et le projet alsacien nous amène de façon plus large à examiner une question qui n’est pas encore apparue dans le débat, sauf un peu lors de l’intervention de Philippe Adnot que j’ai beaucoup appréciée : ces grandes régions ont, par application du droit commun des collectivités territoriales, que nous connaissons tous, la possibilité de déléguer l’exercice de certaines de leurs compétences aux départements qui les constituent.
M. René Vandierendonck. C’est vrai !
M. Alain Richard. Or il me paraît évident que, lorsque les élus des régions nouvelles s’organiseront et dialogueront avec les départements, cette piste sera développée. Tout notre système actuel de gestion locale le permet, sans aucun texte supplémentaire.
Je sais bien que le Sénat va voter à la fois l’approbation des grandes régions et la création d’une région spécifique Alsace, mais, si la volonté de dialogue constructif continue à se manifester, je voudrais que l’on se demande, en particulier pour nos collègues alsaciens, si la solution d’un département regroupant le Bas-Rhin et le Haut-Rhin bénéficiant d’une large délégation de compétences de la part d’une grande région Est ne serait pas une solution au moins aussi originale et créative.
Dans ce cas, si je puis me permettre de formuler une suggestion supplémentaire au Gouvernement, puisque l’objectif est de réaliser de grandes régions dotées d’une cohérence géographique, les deux options du Grand Est ont leur mérite : celle à trois régions actuelles et celle à cinq régions actuelles.
Par conséquent, en vue de la conclusion d’un dialogue réellement constructif entre toutes les familles politiques à vocation gouvernementale, il me semble que l’on pourrait parvenir à l’élaboration d’un projet encore plus complet préservant la volonté de responsabilité propre de nos amis alsaciens.
M. Philippe Mouiller. À quoi ça sert ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 41 rectifié ter.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 6 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 118 |
Contre | 220 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Le débat a été extrêmement riche sur le sujet qui nous occupe actuellement, mais nous devons en examiner de nombreux autres, y compris concernant la carte. Mes chers collègues, je me permets de vous faire observer que certains d’entre vous sont intervenus sur l’article, sur l’amendement n° 41 rectifié bis, sur le sous-amendement n° 146 ; ils ont expliqué leur vote sur celui-ci. Certes, ces prises de parole enrichissent le débat, mais elles ont tout de même donné lieu à quelques répétitions. Je fais cette remarque en tant qu’observateur engagé.
Si nous voulons, comme prévu, terminer l’examen du présent projet de loi dans la nuit, je vous incite à la sobriété.
Permettez-moi également de vous dire que la répétition permanente des mêmes arguments ne convainc pas forcément. D’ailleurs, on le constate bien ! Et vous vous souvenez sans doute de cette formule d’un grand homme politique selon laquelle un bon discours pouvait le faire changer d’avis mais pas de vote. (Sourires.)
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agissait d’Édouard Herriot.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Un Lyonnais !
M. Jacques Mézard. Et un radical !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Au-delà de la carte, nous devons aussi traiter d’autres sujets importants,...
Mme Cécile Cukierman. Et pas seulement de l’Alsace !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. ... entre autres du droit d’option. Nous devrons bien y consacrer aussi quelque temps. Or il arrive parfois – en l’occurrence, je ne peux pas préjuger ce qu’il adviendra ! – que la fin des débats se déroule en présence de peu de protagonistes, bien que d’importantes questions restent encore en discussion. Je me permets donc, mes chers collègues, de vous recommander de faire preuve de sobriété, et je vous y inciterai de nouveau au cours de la discussion en tant que de besoin. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 145.
M. Charles Guené. Je le retire, madame la présidente !
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 145 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 24 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour explication de vote sur l'amendement n° 66.
M. Jean-Pierre Masseret. En écho à la demande du président Hyest, je me bornerai à dire que cet amendement vise à rapprocher la région Alsace de la région Lorraine. Les débats ont été suffisants ; inutile de les prolonger. Je demande donc simplement que cette proposition, conforme à l’initiative prise initialement par le Gouvernement et au travail que j’ai conduit avec Philippe Richert, soit approuvée par le Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Sans prolonger le débat, je demande solennellement à mes collègues alsaciens de penser à ce qu’ont voulu construire Philippe Richert et Jean-Pierre Masseret et de prendre la mesure du risque auquel nous allons être confrontés : une très grande région dont personne en Alsace ne veut en raison de l’absence d’avenir qui en résulterait. Voici venu l’ultime moment où nous pouvons encore mener le combat afin de renouer avec le projet que nous avions négocié avec le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Je regrette profondément les abstentions, y compris celle de M. Masseret, sur l’amendement n° 41 rectifié bis, car lorsque le président de la région Lorraine avait pris l’initiative de réunir tous les grands exécutifs régionaux, ceux-ci avaient voté à l’unanimité en faveur de la fusion entre les régions Lorraine, Champagne-Ardenne et Alsace.
Je ne pratiquerai pas la réciprocité et je voterai l’amendement n° 66, adoptant ainsi une position de repli. Je regrette toutefois que cette grande région soit incomplète et qu’on laisse sur le bord du chemin la Champagne-Ardenne avec laquelle nous avons de vrais intérêts communs, y compris économiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote sur l’amendement n° 1 rectifié bis.
M. Charles Guené. Mes chers collègues, en réalité, le sous-amendement n° 146 n’avait été déposé que dans le cas où le présent amendement n’aurait pas pu être défendu. L’Alsace ayant été laissée seule, cet amendement se justifie pleinement. Selon moi, la fusion de la Bourgogne et la Franche-Comté ne permettra pas à cette région d’atteindre la taille critique lui assurant un poids européen.
Si vous estimez que l’Assemblée nationale reviendra complètement sur notre travail, ne votez pas cet amendement. En revanche, si vous croyez en ce que nous venons de faire, je vous invite à l’adopter.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote sur l'amendement n° 45.
M. René-Paul Savary. Mes chers collègues, le présent amendement vise à tirer les conclusions des décisions lourdes de conséquences que nous venons de prendre en rejetant l’amendement n° 41 rectifié ter. Désormais, la conception est différente et les arguments que j’ai évoqués la nuit dernière me semblent encore pertinents aujourd’hui.
On peut effectivement concevoir une organisation territoriale associant la rationalité – l’« intégration » disent certains – des volontés locales affirmées. L’Alsace en est l’exemple. Ainsi, la découpe administrative est calée sur la réalité économique. On peut penser que, demain, la grande métropole va pouvoir s’affirmer en complémentarité. Créer des entités comme l’Alsace, résultant de la fusion de deux départements et d’une région, aboutira à une rationalisation. En effet, cela revient à faire en sorte, entre autres, de n’avoir plus qu’un seul comité du tourisme, et non plusieurs à l’échelon départemental et régional – dans l’exemple précité, on vend non pas le Haut-Rhin ou le Bas-Rhin, mais l’Alsace dans son ensemble. C’est aussi faire en sorte que le développement économique soit une réalité – c’était d’ailleurs le principe du conseiller territorial qui rapprochait les départements et les régions pour éviter les doublons. C’est également faire en sorte de disposer de structures fortes, puissantes, stratégiques en matière de politique de l’emploi et de la formation, à condition, toutefois, de ne pas imposer de surcroît à ces entités des compétences de gestion !
Le raisonnement vaut pour le Nord – Pas-de-Calais, et je sais que les élus de ce territoire réfléchissent à assurer une rationalisation administrative autour d’une métropole. Je partage les propos de M. Gremillet et d’autres collègues selon lesquels lorsque des territoires peuvent s’organiser, ils doivent se prendre en main.
On trouve ainsi un compromis entre ces grandes régions où des départements doivent se maintenir et ces métropoles qui doivent s’organiser différemment avec des départements et des régions qui travaillent main dans la main et, éventuellement, fusionnent.
Restent les régions sans métropole, où la population est moins dense : cinquante à soixante habitants au kilomètre carré alors que Lille ou Strasbourg en comptent plus de deux cents. Dans ce cas de figure, le concept de grande région stratégique ne peut avoir de l’allure, si je puis dire, que si l’on maintient les départements. On voit bien que les problèmes sont différents et que la massification est nécessaire. Associer la Lorraine seulement à la Champagne-Ardenne ne permettra pas de constituer une entité suffisamment forte ; adjoindre à cette association la Picardie, c’est constituer une entité de 5,6 millions d’habitants, ouverte aux échanges mondiaux grâce à un port d’un côté, des aéroports internationaux de l’autre. Cette proposition a une valeur économique, elle est présentable aux populations et va, me semble-t-il, dans l’intérêt de ces trois régions qui connaissent un certain nombre de difficultés.
À mon sens, un certain nombre d’entre nous devraient pouvoir y souscrire, d’autant que nous allons voter l’article instaurant un droit d’option pour les départements. Si les possibilités de détachement sont intelligentes, ni trop souples, pour éviter les fuites, ni trop complexes, ce qui empêcherait les départs cohérents, alors la carte répondra peut-être aux réalités de notre territoire.
Cela étant, je vous invite, mes chers collègues, à soutenir ma position et à voter le présent amendement.
Mme la présidente. La parole est à Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Je m’inscris dans la même ligne que René-Paul Savary.
Je m’interroge sur l’intérêt du débat qui se déroule depuis hier au sein de cette assemblée.
Que veut-on faire ? Souhaite-t-on se livrer à un exercice intellectuel sympathique en dessinant une belle carte des régions sans se préoccuper des réalités du terrain, ou veut-on établir une carte des régions qui colle au terrain, qui soit durable, c’est-à-dire une carte que la population concernée s’approprie ?
La grande majorité d’entre nous, mes chers collègues, se tournent plutôt, selon moi, vers cette seconde branche de l’alternative. Or si l’on veut que la population s’approprie les régions et se reconnaisse dans celles-ci, on ne peut pas procéder aux redécoupages en faisant fi des réalités du terrain, de la vie des citoyens.
Quid de la Champagne-Ardenne ? Elle entretient des liens étroits avec la Lorraine,…
M. Gérard Longuet. C’est exact !
M. Yves Détraigne. … ce que prend en compte la carte qui nous est proposée, et des liens tout aussi étroits avec la Picardie, notamment le département de l’Aisne.
Nous avons tous entendu hier le plaidoyer de notre collègue Yves Daudigny, président du conseil général de l’Aisne, qui s’exprimera sans doute de nouveau aujourd’hui.
Monsieur le ministre, si vous avez été attentif, vous avez également entendu à l’Assemblée nationale, j’en suis sûr, le plaidoyer de notre collègue député Jacques Krabal, maire de Château-Thierry, qui va dans le même sens.
D’ailleurs, si Antoine Lefèvre, maire de Laon, était présent dans l’hémicycle – il est fort pris par le travail en commission des finances –, il tiendrait les mêmes propos. Combien de fois m’a-t-il dit que sa ville était tournée vers la Marne ? Pour lui, la capitale régionale est Reims, douzième ville de France – peu d’entre nous le savent dans cet hémicycle. En revanche, nombreux sont ceux qui pensent que Reims est la préfecture de la région Champagne-Ardenne ; eh bien non, elle n’en est que la sous-préfecture ! Reims, ville ô combien importante dans l’histoire de notre pays, ville des sacres, est une ville marginalisée car elle se situe à la limite de la région Champagne-Ardenne.
Pour aller rendre visite à René-Paul Savary dans les bureaux du conseil général de la Marne, de chez moi – j’habite près de Reims, à Witry-lès-Reims – je mets quarante minutes en voiture, en étant très prudent, monsieur le ministre, alors que pour aller voir Antoine Lefèvre à Laon, il me faut cinq minutes de plus, en étant tout aussi prudent. (Sourires.) Par conséquent, mon trajet est beaucoup moins long pour atteindre la préfecture de l’Aisne que pour me rendre dans l’Aube ou dans la Haute-Marne, qui font pourtant partie de la région Champagne-Ardenne. En outre, je suis, à vol d’oiseau, à douze kilomètres de la Picardie – Reims touche la Picardie !
Vous me direz certainement, monsieur le ministre, que cela ne signifie rien, car ce constat, on peut le faire dans toutes les régions où des villes sont à la limite d’un territoire. Néanmoins, pourquoi la carte des régions que vous avez initialement élaborée, nuitamment, prévoyait-elle le regroupement de la Picardie et de la Champagne-Ardenne ? Parce que, vu de Paris, cela s’impose ! C’est la réalité : la plus grande ville de cet ensemble, Reims, est située au croisement de la Picardie et de la Champagne-Ardenne, ainsi qu’au croisement des autoroutes A4 et A26, qui assurent le lien entre ces deux régions.
De surcroît, sur le plan économique, il ne vous aura sûrement pas échappé que l’un des rares pôles de compétitivité à vocation mondiale qui fonctionne de façon satisfaisante, le pôle industries et agro-ressources, est à cheval sur deux régions. Lesquelles ? Comme par hasard, la Champagne-Ardenne et la Picardie. Pourquoi ? Parce que ce territoire est le grenier à blé de la France.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ce n’est pas le seul !
M. Yves Détraigne. Si notre balance commerciale affiche un excédent de 10 milliards d’euros grâce à l’agroalimentaire, on le doit très largement à ces deux régions,…
Mme Nathalie Goulet. Et à la Normandie !
M. Yves Détraigne. … productrices non seulement de blé, de betteraves, mais aussi de champagne. Je remarque d’ailleurs que l’appellation « champagne » et le nom « Paris » sont les deux mots français les plus connus sur la planète.
Mme Nathalie Goulet. Et le camembert ? (Sourires.)
M. Yves Détraigne. La zone d’appellation champagne se trouve aussi sur le territoire de la Picardie. Après la Marne, le premier département producteur de champagne, c’est l’Aisne.
Telle est la réalité, mais on n’y pense pas forcément quand on se trouve à Paris ou que l’on travaille dans un bureau au sein d’un ministère. Certes, ces observations peuvent faire sourire… Mais si l’on veut procéder à un redécoupage qui tienne compte des réalités du terrain, qui soit en phase non seulement avec les habitudes et les modes de vie des populations, mais aussi avec l’économie de la région que nous voulons créer, nous n’avons pas le choix : nous devons réunir la Picardie et la Champagne-Ardenne.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je serai très sobre dans mon expression bien qu’appartenant à un département qui produit 10 % du champagne ! (Sourires.)
Les motifs que j’ai exposés hier soir en faveur du présent amendement demeurent totalement valables ce matin. Par conséquent, je le voterai.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour explication de vote.
M. Jérôme Bignon. La première mouture de la carte proposée par le Gouvernement comprenait la fusion de la Champagne-Ardenne et de la Picardie, sans prise en compte de la Lorraine.
La stupéfaction avait été telle dans l’Oise et dans la Somme que le Gouvernement, après avoir seulement modifié à la marge cette première version, a pris en considération ce sentiment. En effet, dans la version qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, on est revenu à un découpage à mes yeux plus cohérent et conforme à l’histoire commune des deux régions Nord – Pas-de-Calais et Picardie, en proposant la fusion de celles-ci.
Cela étant, j’observe que les signataires du présent amendement sont exclusivement des sénateurs de l’Aisne, aucun n’est originaire de l’Oise ou de la Somme. Certes, cet amendement est parfaitement recevable, mais cela démontre qu’il n’existe pas d’élan profond des habitants de la Somme et de l’Oise pour rejoindre la Champagne-Ardenne et la Lorraine.
Je regrette que l’on n’aboutisse pas à une région plus vaste. À cet égard, j’aurais été très favorable à une fusion entre le Nord – Pas-de-Calais, la Picardie et la Normandie, car il en serait résulté une entité située le long de la Manche ayant une véritable cohérence économique et maritime. Toutefois, il serait vain et inutile de revenir sur une solution qui n’a pas été retenue.
Quoi qu’il en soit, j’incite mes collègues de l’Aisne, dont je comprends et partage la démarche à bien des égards, une fois entérinée la fusion du Nord – Pas-de-Calais et de la Picardie, à utiliser la faculté qui leur sera donnée de s’en détacher et de rejoindre la région Champagne-Ardenne et Lorraine s’ils le souhaitent. Néanmoins, il me paraît quelque peu singulier, pour ne pas dire cavalier, de dire aux Picards qui ne sont pas d’accord avec la disposition : « Venez puis vous partirez si la situation ne vous convient pas. »
La solution inverse serait préférable : il vaudrait mieux leur suggérer de rejoindre la région Nord – Pas-de-Calais et, le cas échéant, l’Aisne pourra à son gré utiliser le dispositif extrêmement pertinent prévu par la commission spéciale, et assoupli. J’espère toutefois que nous l’adopterons et qu’il prospérera à l’Assemblée nationale…
Pour toutes ces raisons, je voterai contre cet amendement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Comme vient de l’indiquer M. Bignon, les élus de l’Aisne défendent le présent amendement. Mais la Picardie ne comporte pas que ce département !
De plus, je constate que, à l’instar de ce qui s’est passé tout à l’heure pour l’Alsace, les auteurs de cet amendement disposent allègrement du sort de la Lorraine sans demander l’avis de la population. De quel droit nos collègues de l’Aisne ou d’autres départements décident-ils pour les Lorrains de ce qui leur conviendrait ? (M. Roland Courteau s’exclame.)
Si ce choix était pertinent, je comprendrais. Mais très honnêtement, il faut tout de même avoir l’esprit un peu tortueux, j’insiste sur ce terme, pour vouloir créer une région qui va de la mer du Nord jusqu’à la ligne bleue des Vosges et au ballon d’Alsace, une sorte de « boudin » parallèle à la frontière,…
Mme Cécile Cukierman. Avec les changements climatiques, la différence va s’atténuer !
M. Jean Louis Masson. … qui n’a strictement aucune cohérence du point de vue de l’aménagement du territoire !
La Picardie, c’est l’autoroute A1 et le TGV Nord ; la Champagne-Ardenne et la Lorraine, ce sont les autoroutes A4, A31 et le TGV Est. L’amendement qui nous est présenté tend à créer une sorte de mouton à cinq pattes – ou plutôt à dix pattes ! – qui n’a strictement aucune cohérence. Comment on peut proposer un tel découpage ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote sur l’amendement n° 8.
M. Jean Louis Masson. Je ne propose pas de rattacher telle région à telle autre. J’ai toujours été partisan du maintien des régions actuelles et de la fusion en leur sein des départements, car ainsi les entités restent à taille humaine.
Simplement, le système retenu pour l’Alsace me paraît très pertinent. Dans ces conditions, il serait intéressant et cohérent de s’en inspirer pour la Lorraine et d’adopter une solution du même type. Le présent amendement vise donc à tirer les conséquences de notre vote massif destiné à donner satisfaction à nos collègues alsaciens et rejetant les amendements qui tendaient à revenir sur l’avis de la commission spéciale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 43 et 70.
Mme Catherine Génisson. Je suis moi-même membre de l’exécutif régional du Nord – Pas-de-Calais, et j’adhère à l’argumentaire selon lequel il ne faut pas réunir cette région et la Picardie.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Vivement l’interdiction du cumul des mandats…
Mme Catherine Génisson. Cette position a été défendue avec beaucoup de force par nos collègues Valérie Létard et Michel Delebarre, animateurs et acteurs, au-delà de leur engagement partisan, de la réalité du Nord – Pas-de-Calais d’aujourd’hui.
Il s’agit non pas d’opérer un repli égoïste, mais d’exprimer une volonté : continuer à bâtir des politiques économiques, sociales et écologiques structurantes, au regard des fonctions premières des régions, à savoir le développement économique et l’aménagement stratégique de leur territoire.
Ce constat a été rappelé hier, notre région se distingue par l’ampleur et la densité de sa population – elle dénombre 4,1 millions d’habitants – qui la placent au rang des grandes régions dont le Gouvernement défend la création. Elle se caractérise par son dynamisme économique, par sa politique transfrontalière vers l’Europe du Nord et par sa métropole lilloise, qui s’impose comme collectivité fédératrice. Elle collabore activement avec les deux départements qu’elle regroupe, le Nord et le Pas-de-Calais, et elle est à même de dessiner un projet territorial fédérateur et innovant.
Monsieur le ministre, la proposition de ne pas fusionner les régions Nord – Pas-de-Calais et Picardie, c’est celle du Premier ministre et du Gouvernement. Notre position n’est pas incongrue : c’est la vôtre ! Or, vous venez de le rappeler, il est essentiel de poursuivre le travail de co-construction.
Aujourd’hui, vous avancez qu’il existe des collaborations entre le Nord – Pas-de-Calais et la Picardie dans un certain nombre de domaines, tels les projets agroalimentaires, l’aménagement de la Côte d’Opale et de la baie de Somme. De même, on pourrait invoquer l’histoire que nous avons en partage et que reflète l’usage de la langue picarde, au sud de notre région. Mais on pourrait également mentionner le flamand, qui est parlé au nord-est de notre territoire. Michel Delebarre ne me contredira pas.
Voilà un constat dont on ne peut que se féliciter : aucun mur étanche ne sépare le Nord – Pas-de-Calais et la Picardie ! Et c’est bien qu’il en soit ainsi. Le canal Seine-Nord va naître et, à cet égard, je tiens à remercier le Premier ministre, le Gouvernement tout entier, ainsi que toutes celles et tous ceux qui, dès l’origine, ont concouru à la réalisation de ce projet, sans oublier le secrétaire d’État chargé des transports, nos deux régions et nos cinq départements, qui participent aux financements. Cela étant, au-delà de cet équipement, qui occupera évidemment une place très structurante, force est d’admettre que les réseaux majeurs de communication et les infrastructures existantes n’ont pas joué un rôle moteur pour le Nord – Pas-de-Calais.
Je ne puis manquer de mentionner un autre point spécifique, celui de la santé. Le Pas-de-Calais compte plus de 1,5 million d’habitants. Pourtant, il ne possède pas de centre hospitalier universitaire. C’est une particularité, voire une anomalie. Je le souligne, même si ce n’est pas le sujet de nos débats d’aujourd’hui. Malgré un maillage d’hôpitaux qui, par ailleurs, se révèle de grande qualité, nombre des patients de ce département sont transférés dans un autre département. Deux CHU se trouvent à proximité du Pas-de-Calais, ceux de Lille et d’Amiens. Parmi les patients transférés, 90 % sont dirigés vers Lille contre 10 % vers Amiens – il s’agit des habitants du Montreuillois.
Je pourrais multiplier les exemples prouvant que des collaborations existent, mais qu’elles ne relèvent pas pour autant d’un projet structurant, élaboré et partagé entre nos deux régions. Cela étant, Valérie Létard et Michel Delebarre ont largement exposé ces considérations hier.
Je me contenterai donc de cette précision : ces constats ne sont désobligeants ni pour le Nord – Pas-de-Calais ni pour la Picardie ! Et la mise en garde suivante, déjà formulée par Valérie Létard, n’est offensante pour personne : la fusion de ces deux régions impliquerait tant de démarches à suivre, tant de structures à mettre en place, qu’elle frapperait d’inertie leurs projets respectifs, en particulier en matière de développement économique et social. S’ensuivrait un traumatisme terrible, tant pour la Picardie que pour le Nord – Pas-de-Calais. En conséquence, certains orateurs l’ont rappelé, le chômage augmenterait encore davantage. Il s’élève déjà à 15 % dans certaines localités, et il pourrait croître dans des proportions dramatiques.