Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur ce qu’a déclaré Thierry Foucaud ce matin. Pour ma part, j’évoquerai la question des collectivités territoriales.
Voilà déjà quelque temps que l’État joue d’une certaine façon à cache-tampon avec les collectivités territoriales, réformant ici une dotation, supprimant là un impôt en mettant en place une compensation imparfaite, rognant ailleurs le pouvoir d’achat d’un dispositif, opposant péréquation et individualisation des concours.
Depuis vingt-cinq ou trente ans, les concours budgétaires de l’État connaissent ainsi des correctifs plus ou moins importants.
Lorsque j’ai pour la première fois été élue maire de ma commune, la dotation globale de fonctionnement était fixée à raison des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe professionnelle existait, l’on n’avait pas encore opéré de réfaction sur le montant du fonds de compensation de la TVA et le principe de l’enveloppe normée n’avait même pas été pensé. Nous en étions alors aux débuts de la décentralisation. Les collectivités locales découvrirent ensuite peu à peu que cette dernière se traduirait par un désengagement de l’État.
Les départements engageaient le développement et la réhabilitation de notre parc de collèges. Quant aux régions, elles ont très rapidement mis à l’ordre du jour la remise à niveau des établissements existants et à la construction de nouveaux lycées. Les collectivités ont ainsi fait la démonstration de leur efficacité et de leur réactivité, tandis que les besoins de nos territoires étaient mieux traités.
Où en est-on aujourd’hui ? Dans quelles conditions les collectivités assument-elles leurs interventions ?
La taxe professionnelle s’est dissoute dans la dotation globale de fonctionnement et la contribution économique territoriale, libérant de 8 à 10 milliards d’euros pour les entreprises, sans que cela se traduise par un nouveau dynamisme de l’économie. La DGF a progressivement été « décrochée » de la croissance réelle et son poids relatif, au sein des ressources des collectivités, est loin de s’être accru. En 2004, la dotation avait vu son montant quasiment doubler pour prendre en compte la disparition de la part dite « taxable » des salaires.
Le présent projet de budget va rendre encore plus délicates les relations entre État et élus locaux. Alors même qu’une réforme territoriale s’engage et conduit à revenir sur l’acquis de la décentralisation, et cela sans la moindre consultation démocratique, sous le fallacieux prétexte de faire des économies, lesquelles se traduiront par le démantèlement de services publics et par des suppressions d’emplois, le projet de loi de finances prévoit d’ajouter la mise à la diète financière, conséquence du dogme de la réduction de la dépense publique.
On reproche aux collectivités territoriales des effectifs trop importants. De 1998 à 2012, le nombre de personnels de la fonction publique territoriale est passé de 1 383 600 à 1 912 800, soit une hausse de 529 200 postes, ce qui aura tout de même contribué, mes chers collègues, à éviter que nous ne comptions autant de chômeurs en plus.
Souvenons-nous toutefois que le mouvement de transfert de compétences s’est accompagné du transfert d’effectifs de l’État dans la foulée de la décentralisation Raffarin. Les deux tiers des 82 000 agents régionaux ne sont que d’anciens agents de l’État, comme vous le savez, monsieur le ministre, compte tenu des responsabilités que vous occupiez à l’époque… De la même manière, plus du quart des agents départementaux proviennent aujourd’hui des transferts de personnels de l’État.
Dans le bloc communal, c’est au sein des établissements publics de coopération intercommunale, dont le nombre et les compétences ont fortement évolué depuis la loi de 1999, que l’on a observé l’essentiel de la progression des effectifs. Près de 300 000 emplois ont ainsi été créés par les communes et leurs établissements de coopération depuis 1998.
Toutefois, la constitution d’intercommunalités a eu pour objectif d’apporter une certaine « valeur ajoutée » au territoire concerné et à leurs habitants L’intercommunalité de projet est une réalité, et, bien souvent, depuis quinze ans, c’est l’échelon intercommunal qui a été retenu par les élus locaux pour la création de services à la population que chaque commune, prise isolément, n’aurait pas pu mettre en œuvre.
L’administration locale a donc créé des emplois dans la dernière période, mais c’est bien pour apporter une réponse aux populations et, à cet égard, la réforme des rythmes scolaires a eu pour effet de les obliger à en créer d’autres.
Je précise que la fonction publique territoriale compte d’abord et avant tout des personnels d’exécution – quelque 75 % des titulaires sont des agents de catégorie C, une voie qui peut constituer une réponse au chômage d’une bonne partie de la population – et se révèle fortement féminisée, puisque 60 % des agents sont des femmes.
Les vrais enjeux des années à venir pour la fonction territoriale, ce sont les défis de la qualification et de la promotion interne et non ceux de la réduction arbitraire des effectifs – sauf à considérer que les services publics locaux ne présentent aucun intérêt. Or les collectivités territoriales ont permis l’accès aux familles modestes de multiples activités, qui sont facteurs de cohésion sociale dans une période de crise. De surcroît, ces services publics sont une composante du pouvoir d’achat qui doit être mieux estimée et mieux appréciée par tous.
Que représentent les collectivités territoriales dans l’économie nationale ? Les chiffres de 2013 sont clairs : d’une part, des dépenses de fonctionnement de quelque 163 milliards d’euros, en hausse d’environ deux points par rapport à 2012, et, d’autre part, des dépenses d’investissement de plus de 71 milliards d’euros, avec une hausse significative des dépenses du bloc communal de plus de sept points – c’est ce que l’on appelle « l’effet du cycle électoral », et l’on voit combien il pèse dans notre économie nationale.
Néanmoins, comme le remarque à juste titre l’Observatoire des finances locales dans son rapport de cette année, cet effort d’investissement des collectivités locales se fait au prix d’un endettement plus important qu’auparavant, et le niveau de la dette des collectivités locales a continué de progresser, comme il le fait depuis 2004.
À la suite des errements de Dexia, qui ont conduit à la banalisation du financement des investissements locaux, certaines collectivités connaissent une situation sensiblement plus dégradée que d’autres.
Le Gouvernement a fait adopter un projet de loi conduisant à dédouaner Dexia de ses responsabilités, laissant certaines collectivités aux prises avec leurs emprunts structurés, leurs avocats et leur coût exorbitant en devises et en procédures.
Aujourd’hui, au lieu d’utiliser le fonds départemental d’écrêtement de la taxe professionnelle pour alimenter un fonds d’investissement, ne faudrait-il pas mettre en place un moratoire sur les intérêts des dettes des collectivités territoriales pour leur donner les capacités d’investissement dont notre économie a besoin ? L’orientation imprimée aux collectivités par la loi de finances pour 2015 est malthusienne et contre-productive.
Qui devons-nous écouter, mes chers collègues ? Pierre Gattaz, qui en veut toujours plus en matière d’allégement des cotisations et des impositions des entreprises, qu’elles soient nationales ou locales, ou les patrons des entreprises de travaux publics, qui manifestent pour demander qu’on « lâche la bride » sur les dotations aux collectivités locales, afin que celles-ci puissent investir et, par voie de conséquence, mettre des offres de travaux sur le marché, ce qui est vital pour nos territoires, mais aussi pour l’économie nationale ?
J’ai donc été étonnée par les termes utilisés pour évaluer l’impact de la mesure qui nous est ici présentée. L’évaluation de l’article 9, fournie par le Gouvernement, indique en effet : « La dotation globale de fonctionnement étant une dotation globale et libre d’emploi, les conséquences de sa diminution de 3,67 milliards d’euros en 2015 sur la croissance, l’emploi et l’investissement public local dépendront des choix individuels faits par chacune des collectivités territoriales concernées, en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales. » On dit donc aux élus locaux qu’on leur prend une partie des ressources dont ils disposaient jusqu’ici et qu’on leur laisse le libre arbitre de s’en accommoder comme ils le peuvent…
Plus loin, la même évaluation de l’article 9 nous précise que « la présente disposition n’a pas d’impact direct sur l’emploi public, local ou national ».
Une réforme plus profonde encore de la dotation globale de fonctionnement devrait être engagée en 2015, mais, selon certaines informations, elle comporterait une sorte de « démarche qualité » sanctionnant, par des réductions de dotations, les « mauvais élèves » par trop dépensiers. Toutefois, nous apprécierions, monsieur le ministre, que vous nous annonciez un objectif différent.
À la vérité, le choix opéré par le Gouvernement pour les collectivités n’est pas plus pertinent du point de vue économique et social que ceux qui imprègnent l’ensemble du projet de loi de finances pour 2015.
Les rapporteurs de la commission des finances pour la mission « Relations avec les collectivités territoriales », Charles Guené et Jean Germain, le disent d’ailleurs dans leur rapport, quand ils parlent d’« effet potentiellement récessif » de cette réduction de 3,67 milliards d’euros, qui se poursuivrait, je le rappelle, en 2016 et 2017.
De deux choses l’une : ou bien les collectivités territoriales constituent, comme dans d’autres pays européens, des interlocuteurs majeurs de l’État et, dès lors, on fait confiance au sens des responsabilités des élus locaux pour tirer au mieux parti des moyens matériels et humains dont ils disposent ; ou bien l’on pense qu’il convient de les enrôler de force dans une politique de réduction des déficits et de la dette dont elles ne sont que fort peu responsables.
On décide donc, de fait, de produire un mouvement de recentralisation, laissant peu de place à l’initiative locale. À force de dépenses obligatoires et de moyens contraints, interchangeables, quelle que soit par ailleurs l’étiquette politique des élus, quel est l’avenir de nos institutions locales ?
Ne serait-ce pas là le plus sûr moyen de dévitaliser l’attachement de nos compatriotes à la démocratie locale, mettant en péril, in fine, les valeurs et vertus républicaines du dialogue citoyen et de la confrontation des idées, ainsi que la pluralité des options et des orientations politiques ?
Les collectivités locales fonctionnent aujourd’hui grâce à des élus, le plus souvent quasi bénévoles, qui consacrent une partie de leur temps libre à gérer les affaires de leur village, de leur bourg, de leur ville. Ce terreau démocratique, il nous faut le nourrir et non le faire mourir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’heure d’entamer le débat sur le projet de loi de finances pour 2015, nous mesurons la complexité de la tâche qui échoit au Gouvernement. Il lui revient, en effet, de composer un budget dans un contexte macro-économique international incertain et, je dirais même plus, défavorable.
Que ce contexte soit incertain, tout d’abord, nous le constatons lorsqu’il s’agit d’établir les prévisions de croissance. Les projections réalisées par le Gouvernement dans le présent projet de loi de finances ont en effet alimenté bien des débats, lorsque, au début du mois de novembre dernier, la Commission européenne les révisa à la baisse, de 1 % à 0,7 %, alors qu’un consensus semblait se dégager chez les observateurs en septembre pour considérer les projections du Gouvernement comme raisonnables ou du moins raisonnablement optimistes.
Ce contexte est défavorable, ensuite, quand nous observons le marasme dans lequel est plongée l’économie mondiale et plus encore l’économie européenne : panne de croissance, panne d’investissement, panne de confiance…
Ces perspectives moroses n’épargnent personne, pas même l’Allemagne, qui, si elle échappe à la récession, connaît un ralentissement indéniable. Cette atonie de la croissance mondiale était au cœur des travaux du dernier G20 à Brisbane.
Dans votre rapport, monsieur le rapporteur général, vous abordez le risque de déflation pour notre pays et pour la zone euro. Vous citez Paul Krugman, qui parle de « japonification » de l’Europe. C’est précisément parce que nous ne voulons pas que notre pays traverse une « décennie perdue », comme en a connu le Japon, que ce budget est crucial.
Alors que nous nous apprêtons à discuter du premier projet de loi de finances depuis le renouvellement sénatorial de septembre dernier, la nouvelle majorité entend mettre à profit ce texte pour avancer ses contre-propositions en matière budgétaire, comme ce fut le cas lors de l’examen de la loi de programmation.
Si nous nous retrouvons, monsieur le rapporteur général, sur les améliorations que vous proposez – je pense notamment aux dispositions relatives aux chambres d’agriculture ou de commerce –, nous nous opposons à certains des remèdes que vous préconisez.
La lutte contre les déficits est indispensable au regard de nos engagements européens, mais, surtout, afin d’assainir nos finances publiques et de réduire la charge de la dette. Toutefois, elle ne doit pas reposer sur un effort structurel trop important qui obérerait toute perspective de retour de la croissance en « tuant » la demande intérieure. En d’autres termes, il ne faut pas que le médicament administré tue le patient avant de le guérir !
Monsieur le ministre, vous tentez dans votre projet de concilier soutien aux entreprises et soutien à la consommation, tout en poursuivant l’objectif de redressement des comptes publics. Vous adaptez néanmoins ce dernier au contexte macroéconomique particulièrement défavorable que je viens d’évoquer. Ainsi, vous estimez le déficit public pour 2015 à 4,3 % du PIB.
Vous faites vôtre la citation de William Arthur Ward, poète américain bien connu pour ses maximes : « Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer et le réaliste ajuste ses voiles. » (Sourires.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est une jolie citation !
M. Jean-Claude Requier. L’OCDE ne dit pas autre chose quand elle indique que, « au vu de la faiblesse de la demande, les pays européens doivent utiliser au maximum la flexibilité des règles budgétaires ».
Entre 2007 et 2012, la dépense publique a été augmentée de 34,1 milliards d’euros par an. Entre 2012 et 2014, cette croissance fut limitée à 21,5 milliards d’euros par an. À ce titre, le plan d’économies programmé pour 2015 constitue un effort inédit, d’autant qu’il se double d’une stabilisation des prélèvements obligatoires.
Pour ce faire, monsieur le ministre, vous procédez à de multiples « coups de rabot » et « prélèvements exceptionnels » qui touchent administrations et opérateurs de l’État. Nous proposerons donc d’adoucir certains d’entre eux par voie d’amendements.
Ce projet de loi de finances pour 2015 s’inscrit dans la lignée du collectif budgétaire rectificatif adopté lors de la session extraordinaire estivale et qui est venu concrétiser dans la loi les engagements du pacte de responsabilité et de solidarité. Les sénateurs du RDSE avaient salué le courage de cette inflexion, qui s’inscrit dans la lignée du CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi. Sur ce dossier, nous vous invitons, monsieur le ministre, à garder le cap.
Néanmoins, s’agissant de la fiscalité des ménages, les sénateurs de notre groupe auraient préféré que le Gouvernement fasse preuve de plus d’ambition. L’an dernier, à cette même époque, une « grande réforme fiscale » fut annoncée par un précédent gouvernement. Depuis cette dernière apparition, ce serpent de mer de notre vie politique semble avoir regagné les abysses…
À la refonte d’ensemble de notre système fiscal, indispensable pour renouer avec la lisibilité et la justice, vous avez préféré des mesures d’ajustement à la marge de l’impôt sur le revenu. Ainsi, à l’article 2, vous proposez d’en supprimer la première tranche, au taux de 5,5 %.
Les sénateurs radicaux, héritiers de Joseph Caillaux (Sourires.),…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il fallait s’y attendre !
M. Jean-Claude Requier. … sont attachés à la progressivité de cet impôt, ainsi qu’à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel, « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. ». Notre groupe proposera un amendement en ce sens, même si ses dispositions vont quelque peu à contre-courant, ce qui prouve que nous avons du courage !
M. Jean-Claude Requier. Le présent projet de loi met également en œuvre plusieurs dispositions du plan de relance du logement. Cette initiative est indispensable, alors que les chiffres de la construction s’éloignent de plus en plus de l’objectif de 500 000 logements par an. Nous accueillons donc favorablement les dispositions présentes dans ce texte, même si nous proposons l’amélioration de certaines d’entre elles.
Comme vous le savez, monsieur le ministre – les interventions précédentes vous l’ont confirmé –, la question des finances locales est évidemment un enjeu particulièrement sensible, ici, au Sénat. Sur cette question, le temps qui m’est imparti est trop court pour me permettre d’exprimer les inquiétudes des élus, ceux des villes comme des campagnes.
Le projet de loi, me direz-vous, met en œuvre le pacte de responsabilité, qui prévoit un effort de 11 milliards d’euros sur trois ans. Mécaniquement, pour 2014, vous proposez une baisse de 3,7 milliards d’euros de dotations.
Nous ne nous défaussons pas : les collectivités doivent bien sûr participer au redressement des comptes publics. Néanmoins, eu égard à l’atonie de l’investissement – et l’on sait l’importance de l’investissement des collectivités dans nos territoires – et compte tenu du fait que le Gouvernement a, dans son projet de loi de programmation des finances publiques, réévalué notre trajectoire de solde structurel et décalé de deux ans l’objectif de déficit de moyen terme, de 2017 à 2019, il n’est pas illégitime de nous interroger sur l’ampleur des efforts demandés aux collectivités.
Notre groupe a donc pris l’initiative de proposer plusieurs amendements qui tendent à atténuer certaines dispositions de ce projet de loi de finances.
Quant à la dotation de soutien à l’investissement public local instaurée par un amendement du Gouvernement introduit à l’Assemblée nationale, elle suscite notre circonspection et s’apparente à un tour de passe-passe budgétaire.
Monsieur le ministre, la quasi-totalité des membres du RDSE s’accorde sur l’économie générale de ce projet de loi, même si elle propose de l’améliorer. Nous le savons, mes chers collègues, le texte qui résultera de nos travaux sera remanié. Tâchons par conséquent de faire en sorte que l’apport du Sénat soit significatif et constructif. Il reviendra ensuite à chacun d’entre nous de nous prononcer selon ses convictions, de manière pleinement responsable. (M. Daniel Raoul applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.
M. Michel Bouvard. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le budget présenté par le Gouvernement s’inscrit, nous le savons tous, dans un environnement économique difficile et persistant, qui doit conduire chacune et chacun d’entre nous à une attitude d’humilité et de responsabilité.
Après le point culminant atteint au lendemain du paroxysme de la crise financière en 2008, la diminution du déficit public a été engagée, ce dernier passant de 7,5 % du PIB en 2009 à 7 % en 2010, 5,2 % en 2011, 4,9 % en 2012 et 4,3 % en 2013.
J’espère, monsieur le ministre, que l’exercice 2014 confirmera cette tendance. Toutefois, force est de constater qu’elle se ralentit, sans doute parce que nous hésitons à engager des réformes structurelles profondes, dans un contexte de faible croissance et de montée du chômage, ou parce que nous espérons, une fois de plus, un retour de la croissance qui rendrait ces réformes structurelles moins indispensables.
Pour autant, ma conviction est que nous ne pouvons plus différer ce moment. La progression inexorable de la dette, malgré la réduction du déficit, est là pour nous rappeler cette nécessité absolue. Certes, le cap des 2 000 milliards d’euros a été franchi sans encombre, parce que nous avons bénéficié du facteur dangereusement anesthésiant de la baisse des taux d’intérêt.
L’État est au cœur de cet endettement public, puisqu’il détenait, à la fin de l’année dernière, quelque 79,1 % de cette dette en comptabilité nationale. Depuis 1999, l’encours des emprunts de l’État a été multiplié par deux et demi, alors que la charge des intérêts n’a progressé que de 30 % sur cette même période. Faut-il rappeler que, si la structure des taux n’avait pas évolué depuis quinze ans, les intérêts de la dette représenteraient deux fois leur montant actuel, c’est-à-dire un montant insupportable !
Le montant de la dette, donc la réduction du déficit, est dans ce contexte un passage obligé, d’autant plus que la bonne surprise qu’a été en 2013 la diminution des taux – ce scénario, qui a permis une économie de 2 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale, se reproduira encore partiellement cette année – n’a pas vocation à se rééditer indéfiniment, et que la part de la dette de l’État détenue par des investisseurs non-résidents représente aujourd’hui près des deux tiers de notre dette, accentuant notre sensibilité à l’appréciation par les autres de la qualité de notre signature.
C’est d’autant plus vrai que, comme l’a rappelé M. le rapporteur général, les amortissements des années 2015 à 2017 risquent de constituer des années records en termes de besoins, malgré les anticipations judicieuses de l’Agence France Trésor en termes de rachat.
C’est l’autre contrainte extérieure qui est la nôtre, à laquelle s’ajoute celle, bien connue, de la solidarité due dans le cadre du pacte européen, qui nous conduit à soumettre notre budget au jugement des autres États de l’Union européenne.
Philippe Séguin avait souligné, en son temps, et je veux le rappeler, que la persistance des déficits n’était pas compatible avec la souveraineté nationale. Nous mesurons aujourd’hui la dimension de ce propos. Siégeant pour la première fois dans notre assemblée, et dans l’opposition républicaine, je suis conscient de la limite de l’exercice auquel nous allons nous livrer durant vingt jours – tel est en effet notre délai d’examen du projet de loi de finances, rappelé ce matin par Mme la présidente de la commission –, puisqu’il est peu probable que la commission mixte paritaire qui clôturera ce cycle aboutisse à un accord.
De fait, notre mission est alors d’affirmer ce que peuvent être d’autres orientations budgétaires, tant sur les recettes et la fiscalité que sur les dépenses. Je suis, de ce point de vue, solidaire des amendements et modifications apportés au budget sur l’initiative de notre rapporteur général.
Toutefois, au-delà, j’ai aussi la conviction que notre mission, après quatre législatures passées à suivre le budget de la nation, est d’attirer l’attention du Gouvernement sur les limites de la technique dite « du rabot », voire « de la varlope », et de proposer des réformes structurelles et des méthodologies qui peuvent être, je l’espère, partagées entre majorité et opposition. Ce sont ces réformes structurelles auxquelles nous invite avec insistance le Premier président de la Cour des comptes.
Certes, des progrès ont été accomplis pour mieux appréhender la totalité du périmètre de l’État dans la maîtrise de la dépense publique, et certaines des démarches engagées par la précédente majorité n’ont pas été remises en cause, qu’il s’agisse de la mise sous plafond des emplois des opérateurs, de l’interdiction qui leur a été faite d’emprunter, ou du plafonnement de la dépense fiscale.
De même, la revue et l’encadrement de la fiscalité affectée, que j’ai longtemps appelés de mes vœux, dans le prolongement du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de juillet 2013, ont donné lieu à des premières mesures dont je vous donne volontiers acte, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, et que, d’une manière générale, je soutiens, tant il était urgent de remettre le Parlement au cœur des arbitrages pour une ressource représentant, exclusion faite des impôts sociaux et des recettes affectées aux collectivités territoriales, un produit de 28 milliards d’euros en 2013, dont près de 15 milliards d’euros au profit des opérateurs de l’État.
Faut-il rappeler, pour soutenir la légitimité du Parlement à s’intéresser de nouveau à ce dossier, que le produit de la fiscalité affectée s’est accru de 27,6 % entre 2007 et 2011, soit quatre fois plus vite que l’évolution des prélèvements obligatoires sur cette même période ?
De fait, les dépenses des bénéficiaires des taxes affectées – dépenses d’intervention comme masse salariale – ont été plus dynamiques que celles des autres acteurs publics, en même temps qu’elles ont couvert des phénomènes de débudgétisation.
M. Michel Bouvard. Cela m’amène d’ailleurs à une certaine lucidité, que je souhaite faire partager, par rapport aux sollicitations dont nous sommes l’objet pour revenir sur certaines dispositions d’encadrement. J’en appelle donc au discernement.
M. Michel Bouvard. Au-delà, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est temps aussi de s’interroger sur les missions et le périmètre de l’État. Dans quelques jours, nous allons entamer la discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou projet de loi NOTRe. N’est-ce pas l’occasion de revisiter les compétences et le périmètre de l’État ?
M. Vincent Capo-Canellas. Ce devrait l’être !
M. Michel Bouvard. L’État a-t-il encore besoin de garder la gestion de quelques dizaines de kilomètres de voirie seulement dans un département, lorsqu’on envisage, à tort à mon sens, de transférer les réseaux routiers aux départements ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non !
M. Michel Bouvard. Pour suivre les dossiers touristiques en région, l’État doit-il garder quelques agents, dont le rôle se limite à la surveillance du classement des hôtels ? Et quel sens donner à la présence de quelques survivants des administrations de la jeunesse et des sports ?
Surtout, ne sommes-nous pas allés trop loin dans une présence qui ne se justifie parfois seulement que par la mise en place de contrôles tatillons alimentant la machine à produire des normes et des règlements, source de surcoûts et de complexité ? La réduction de la réfaction de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, des collectivités, proposée par M. le rapporteur général, en constitue un exemple flagrant, avec un coût de plus d’un milliard d’euros pour les seules collectivités territoriales.
Et que dire par ailleurs des projets bloqués des entreprises en raison de la multiplication des études préalables, des études d’impact, des visas, des commissions de concertation multiples ? Oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous attendons le choc de simplification promis par le Président de la République. Néanmoins, ce dernier n’est pas le premier à le promettre, et l’attente est de plus en plus longue.
Nous devons tirer, dans chaque administration, pour chaque mission, pour chaque opérateur, les conséquences des changements intervenus sur l’initiative du législateur ou des évolutions technologiques. Les marges de progrès sont considérables et répondent aux documentations d’économies attendues par la Commission européenne.
J’illustrerai mon propos par quelques exemples, monsieur le ministre. Avons-nous pris le temps un jour de nous interroger sur la fonction et la mission des trente chancelleries des universités, trente établissements publics administratifs dirigés par des recteurs, alors même que nous avons donné l’autonomie aux universités et, depuis lors, mis en place les communautés d’universités, ou COMU ? Et je ne parle pas à cet instant de la chancellerie des universités de Paris, dont la gestion du patrimoine immobilier, comme l’utilité, a conduit la Cour des comptes à en demander à plusieurs reprises la suppression.
Nous sommes-nous interrogés, en construisant le budget de l’enseignement scolaire, et alors qu’il existe un Centre national de documentation pédagogique qui a développé des produits accessibles sur Internet de qualité pour les enseignants, sur le réseau déficitaire des librairies du SCEREN, réparties au sein de trente et un centres régionaux de documentation pédagogique, tous établissements publics à caractère administratif, qui représentent un budget de 136 millions d’euros, dont 92 millions d’euros de subventions de charges de service public, et 1 886 emplois, alors que la loi sur l’école de 2013 aurait dû nous y conduire ?
Ces deux exemples au sein du budget de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur montrent qu’aucun ministère ne peut ignorer ce besoin de réformes structurelles. Certains regroupements et certaines réorganisations sont identifiés depuis des années.
Que dire par exemple des coûts de gestion de certains régimes de retraite, comme celui des marins, qui aurait pu bénéficier, comme cela a été fait en son temps pour la caisse des mines, d’un hébergement dans des structures plus importantes et des bénéfices d’une mutualisation ?
En l’absence de réformes de structure, de clarification des compétences et de mutualisation des moyens, c’est l’investissement public qui est la variable d’ajustement du budget.
Il en est ainsi de l’État aujourd’hui, il risque d’en être de même des collectivités locales demain. J’ai inlassablement plaidé, comme parlementaire, depuis des années, quelles qu’aient été les majorités, pour le maintien de l’investissement public, parce qu’il est nécessaire à la croissance, parce qu’il obéit à une logique de long terme que l’investissement privé ne peut pas toujours assumer, au regard des logiques de rentabilité immédiate ou à moyen terme qui le sous-tendent.
L’investissement public, c’est la recherche en amont, les infrastructures, le capital durable de la collectivité. Nous ne pouvons pas, au moment où la dette laissée aux générations futures s’accroît, en même temps ne pas investir. Et, comme le souligne M. le rapporteur général dans son rapport, la présente loi de finances marque un seuil d’investissement d’à peine 2 % des crédits : 18 milliards d’euros en autorisations d’engagement, 10 milliards d’euros en crédits de paiement, sur un total de dépenses de 396 milliards d’euros. Qu’en sera-t-il à l’heure de la loi de règlement, avec la mise en réserve de 8 % des crédits ?
Derrière ce montant, ce sont les crédits d’équipement de la défense, les besoins de la recherche, les infrastructures de transport qui sont menacés. C’est aussi le maintien du patrimoine monumental qui est compromis, et ce sont les contrats de projet État-régions, les CPER, qui verront leurs opérations décalées.
Nous ne pouvons pas, monsieur le ministre, ne pas exprimer notre inquiétude dans ce contexte, face au renoncement à certaines recettes légitimes, de surcroît financées en partie par ceux-là mêmes qui utilisent nos infrastructures, comme c’est le cas pour l’écotaxe. Certes, la responsabilité est partagée, puisque bien peu de ceux qui l’ont votée, dans la majorité comme dans l’opposition, se sont retrouvés pour en demander le maintien.
Autoriserez-vous les collectivités qui accepteraient de l’expérimenter à le faire, dès lors que la disposition du code général des douanes n’a pas été abrogée, comme l’a rappelé Marie-Hélène Des Esgaulx ?
Depuis des années, le financement des infrastructures n’est pas assuré. Je ne veux pas rappeler, car je dépasserai par trop mon temps de parole, madame la présidente, les épisodes du Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN – de la taxe Pasqua d’aménagement du territoire aux taxes hydrauliques, jusqu’à la disparition pure et simple de ce fonds –, de la privatisation, un soir, de la société ESCOTA par le gouvernement Jospin, sans parler des promesses de recettes affectées sur le réseau autoroutier par le gouvernement Raffarin et de la privatisation du reste du réseau routier autoroutier par le gouvernement Villepin.
À chaque fois, on nous a dit que les sommes perçues seraient affectées au financement des infrastructures… Nous avons, là aussi, me semble-t-il, un devoir de vérité et de responsabilité qui amènera le Sénat, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, si vous le souhaitez, à trouver sa place dans la construction d’une recette durable pour les infrastructures, qui est attendue depuis plus de vingt ans.
De même, il faudrait aussi parler des dépenses fiscales, qui minent la recette et qui gagneraient à être couplées avec les dépenses budgétaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)