Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je citerai la présidente socialiste de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Élisabeth Guigou : « Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction, meurtrière. » L’actualité de ces dernières heures le prouve à nouveau, douloureusement.
Le conflit entre Israël et la Palestine n’est pas seulement un enjeu humanitaire, celui de milliers de vies sacrifiées, celui de la crise humanitaire des Palestiniens vivant dans des prisons à ciel ouvert dans un total dénuement, celui de la peur et de la haine qui s’instillent dans le quotidien des deux peuples.
Ce conflit est aussi est aussi un enjeu politique majeur pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient, avec des répercussions jusque sur notre propre territoire. La communauté internationale a donc une responsabilité majeure pour reconnaître l’échec des accords d’Oslo, faire enfin cesser les hostilités et établir les conditions d’une paix durable.
Face à cette urgence, que faire ? Quelle action serait à la hauteur de cette responsabilité qui est la nôtre ?
Le parti socialiste nous propose une résolution, sans valeur juridique contraignante, qui se contente d’« inviter » le Gouvernement à agir. N’est-ce pas là, pour le Gouvernement, une nouvelle tentative de fuir ses responsabilités ?
M. Christian Cambon. Absolument !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si la majorité présidentielle estime que la relance des négociations passe par une reconnaissance de la Palestine par la France, pourquoi en passer par la case parlementaire, alors que notre pratique constitutionnelle fait de la politique étrangère une prérogative de l’exécutif en général et du Président de la République en particulier ? Il s’agit non pas de chercher à « pinailler » avec des arguties juridiques, mais de mettre le doigt sur la responsabilité du Président et du Gouvernement.
En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France avait voté en faveur de l’adhésion de l’État de Palestine à l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. En 2012, la France a soutenu l’accession à l’ONU de la Palestine en tant qu’État observateur. La reconnaissance diplomatique bilatérale aurait été un prolongement logique. Pourtant, depuis deux ans, plus rien, alors même que chaque mois apporte son cortège d’horreurs et prouve l’impasse du processus de paix.
Il est désormais courant de dénoncer le greenwashing utilisé par les organisations pour se donner une image écologique responsable. La présente résolution n’est-elle pas une entreprise de whitewashing, c’est-à-dire un procédé de marketing visant à maquiller par de belles déclarations d’intention l’immobilisme diplomatique et l’incapacité à progresser vers la paix ?
Laurent Fabius a dévoilé un calendrier qui laisserait deux ans supplémentaires aux négociations, à l’issue desquels, si aucun progrès n’était enregistré, l’État de Palestine serait reconnu. La reconnaissance diplomatique est ainsi présentée comme la menace suprême dont disposerait la France pour faire bouger les lignes. Je ne peux que vous faire part de mes doutes quant à la pertinence d’une telle approche.
D’une part, cette perspective de retarder de deux années supplémentaires toute initiative diplomatique forte me paraît meurtrière. Depuis 1993, nous avons eu plus de vingt ans pour constater l’impasse du processus d’Oslo. Début 2008, j’avais participé à une délégation internationale de parlementaires pour la paix. Nous nous étions rendus en Israël, en Palestine, en Jordanie, en Égypte et nous avions rencontré tous les grands dirigeants : le roi de Jordanie, Shimon Peres, Netanyahou, Mahmoud Abbas et d’autres. Depuis, rien n’a changé. Retarder de deux ans toute action diplomatique sérieuse me semble donc vain.
D’autre part, je ne crois pas que brandir la menace d’une reconnaissance diplomatique de la Palestine en cas d’échec de deux années de futures négociations soit de nature à faire bouger les lignes. Depuis 1988, pas moins de 135 pays – plus de deux États sur trois à l’ONU – ont reconnu la Palestine, avec des conséquences nulles sur les avancées ou les blocages du processus de paix. La reconnaissance diplomatique est un symbole important, mais n’en surestimons pas la portée en la faisant passer pour une « arme ultime ».
Mes chers collègues, vous l’avez compris, sur le fond, je suis convaincue que la construction d’une paix durable passe par la constitution de deux États indépendants, sur la base des frontières de 1967.
Cette conviction est d’ailleurs partagée par de nombreux Israéliens, y compris – comme l’a montré le documentaire The Gatekeepers – parmi ceux qui ont exercé les plus hautes responsabilités au sein de l’appareil de sécurité ; ceux-ci ont, mieux que quiconque, constaté l’impasse à laquelle mène l’engrenage infernal de la violence. Du reste, telle est aussi la doctrine traditionnellement affirmée par notre diplomatie.
Mais au-delà des mots, au-delà des discours ou des résolutions, comment défendre cette approche concrètement et efficacement ?
Il me semble indispensable d’adopter une attitude beaucoup plus ferme face aux violations avérées du droit international. La passivité internationale s’apparente à un véritable permis de tuer.
Il y a dix ans déjà, la Cour internationale de justice avait affirmé que l’édification du mur de séparation était contraire au droit international. Cet été, le Conseil de sécurité de l’ONU a été contraint d’appeler au respect du droit international humanitaire et à la protection des civils à Gaza. La poursuite du processus de colonisation est illégale et le non-respect de la liberté de circulation des Palestiniens porte atteinte à leurs droits fondamentaux.
Pourquoi la France, si prompte à appeler à une action militaire contre la Syrie ou à des sanctions contre la Russie, se cantonne-t-elle dans des positions aussi tièdes sur ce dossier ? Des prises de position courageuses et responsables sont indispensables.
Vis-à-vis des protagonistes du conflit, cela pourrait passer par un ralentissement des échanges avec Israël. Quel peut être en effet l’impact des condamnations verbales lorsque la coopération technique, économique et sécuritaire se poursuit, voire s’intensifie ? L’Europe, qui accueille un tiers des exportations israéliennes, dispose là d’arguments beaucoup plus tangibles que la reconnaissance diplomatique !
Parallèlement, alors que la communauté internationale intensifie ses efforts de lutte contre le terrorisme, il importe que l’appui français à la constitution de deux États ne se fasse jamais complice des exactions perpétrées par le Hamas. Cela passe notamment par un indispensable travail de surveillance des financements de cette organisation.
L’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale pourrait aussi se révéler encore plus efficace que la reconnaissance bilatérale. Cette proposition de Dominique de Villepin aurait pour intérêt de faciliter non seulement la répression, mais aussi la prévention de crimes de guerre. Elle aurait donc un impact beaucoup plus concret que la simple reconnaissance diplomatique. N’oublions pas non plus que la violence a également cours sur le territoire israélien.
Enfin, la France aurait une carte à jouer vis-à-vis de ses partenaires européens. En effet, s’il y a quelque prétention à croire qu’une résolution française incitant le gouvernement français à reconnaître la Palestine pourrait jouer un rôle dans la relance du processus de paix, une initiative européenne aurait, elle, beaucoup plus de poids.
Convaincue de la nécessité de reconnaître l’État de Palestine et de favoriser son accession à une pleine et effective souveraineté, je considère néanmoins que la présente résolution relève davantage des effets de manche que de l’action diplomatique et ne constitue pas une réponse adaptée à l’urgence d’une relance du processus de paix.
On ne peut s’accommoder plus longtemps de l’immobilisme qui prévaut depuis des décennies. Or cette résolution est imparfaite. Le président Raffarin vous avait proposé, chers collègues de gauche, de la retravailler ; vous avez refusé. (Exclamations et manifestations d’impatience sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cette résolution n’est qu’un maquillage de notre impuissance diplomatique. C’est pourquoi je ne pourrai la voter en l’état, et je le regrette beaucoup. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Daniel Reiner. Nous venons d’assister à un véritable exercice de contorsion !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question que pose notre proposition de résolution est de savoir si l’on peut se passer ou non, pour parvenir à la paix, des éléments qui doivent être ceux d’un Moyen-Orient en paix et si, parmi ceux-ci, figure bien un État de Palestine avec toutes ses prérogatives.
Nous sommes très nombreux ici à être éclairés sur cette question par les contacts que nous entretenons grâce aux groupes interparlementaires d’amitié avec des pays du Proche et du Moyen-Orient.
Au-delà de la sensibilité avec laquelle chacun aborde les questions géostratégiques, sociales, économiques, culturelles, dans son dialogue avec ses interlocuteurs, nous avons tous constaté que beaucoup d’Arabes, lorsqu’ils nous parlent d’Israël de manière informelle, emploient trop souvent les mots « les Israéliens » au lieu du mot « Israël » pour que cette nuance sémantique ne soit pas relevée.
Inversement, si l’on ne veut froisser personne, on dira plutôt « les Palestiniens » que « la Palestine ».
Les linguistes nous apprennent que nommer une chose, c’est la porter à l’existence. Il n’est donc pas anecdotique que les mots « Palestine » et « Israël » puissent être utilisés couramment par tous, notamment par les Palestiniens et par les Israéliens, pour désigner une réalité juridique et affective.
États et organisations internationales peuvent reconnaître tous les États qu’ils veulent, l’enjeu, pour une paix durable, est que ces derniers soient nommés dans le langage courant afin que la réalité qu’ils représentent soit reconnue par chacun.
Je crois très sincèrement que si notre pays, qui jouit d’un grand prestige au Moyen-Orient et dont les habitants parlent naturellement d’« Israël », accomplit le geste de reconnaître l’État de Palestine, alors, ceux qui, dans le monde arabe, sont sensibles et attentifs à sa voix, pourraient lui emprunter ses mots et parler, eux aussi, d’« Israël », et je ne crois pas qu’Israël s’en plaindrait.
Pourquoi la France a-t-elle une responsabilité particulière telle qu’elle peut amener les autres à suivre sa démarche ? L’histoire, les valeurs et les intérêts de notre pays nous poussent à reconnaître l’État de Palestine à côté de l’État d’Israël.
Avant d’aborder ces aspects, je veux souligner que, vis-à-vis des pays arabes, nous ne devons pas avoir les complexes et les frilosités sous lesquels les adeptes des théories du déclin voudraient nous voir disparaître pour se donner raison : grâce, notamment, au général de Gaulle, notre voix porte particulièrement dans le monde arabe.
Cette proposition de résolution, qui « invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable », loin d’être une injonction à son égard – ce que la Constitution ne permettrait pas –, procède d’un constat partagé au-delà de la gauche, au Sénat comme à l’Assemblée nationale et dans le pays tout entier.
Cette proposition de résolution, contrairement à ce que certains orateurs ont pu dire à cette tribune, est équilibrée. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
M. Roger Karoutchi. Non !
M. Jean Germain. Il faut trouver d’autres arguments pour la refuser. Il s’agit même d’une résolution très équilibrée, et l’histoire le montrera !
M. Roger Karoutchi. Quand ? Dans dix ans ?
M. Jean Germain. Nos relations sont, de longue date, très étroites avec le Proche et le Moyen-Orient. On peut même remonter très loin dans le temps !
Un homme politique français, ancien ministre, leader d’un mouvement souverainiste, jouant sur des préjugés, déclarait voilà une dizaine d’années que l’Europe ne devait accueillir d’autres pays en son sein que ceux dont les territoires avaient fait partie de l’Empire romain. Cette déclaration visait bien entendu à exclure la Turquie… (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi. Ce qui est devenu la Turquie faisait partie de l’Empire romain ! Tout comme l’Égypte et toute la rive sud de la Méditerranée !
M. Jean Germain. … et à justifier, par un argument d’autorité, le rejet de l’immigration.
Or, si nous appliquions cette formule, sur laquelle son auteur, ayant bénéficié entre-temps de quelques mises au point historiques, est revenu dès le lendemain, la plupart des pays arabes et Israël feraient partie de l’Europe. Orient et Occident se sont en effet retrouvés dans un même ensemble politique romain auquel ils ont, l’un et l’autre, donné des empereurs. Je rappelle à notre assemblée que celui qui a présidé aux festivités du millénaire de Rome, en l’an 247 après Jésus-Christ, s’appelait Philippe l’Arabe et qu’il était né au sud de Damas.
Après la Première Guerre mondiale, lors du démembrement de l’Empire ottoman, la France et le Royaume-Uni se sont vu confier des mandats de la Société des Nations dans leurs zones d’influence respectives : Syrie et Liban pour l’une, Palestine et Irak pour l’autre. Après la Seconde Guerre mondiale, la création de l’État d’Israël a été un bouleversement majeur. Elle faisait écho à des siècles d’injustices, qui avaient abouti à une tragédie démentielle. Dans le même temps, les pays de la région acquéraient une indépendance effective.
Mes chers collègues, les Palestiniens avaient-ils plus de raisons que tout autre peuple libre de s’effacer ou de se contenter de ce qu’on voulait bien leur laisser ? Je crois que la réponse est non.
L’histoire de l’humanité est marquée par des conflits et des conquêtes qui ont conduit à des déplacements de population et aux drames qu’ils véhiculent : déracinements, spoliations, séparations, vulnérabilité des personnes… De tels événements ne sont plus supportables.
L’attachement des Palestiniens comme des Israéliens à leur État sur leur territoire est un fait, et il est légitime. La France le comprend, la France qui, monsieur Marseille, monsieur Karoutchi, n’est pas n’importe lequel des 135 États ayant reconnu la Palestine, (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)…
M. Didier Guillaume. Évidemment !
M. Jean Germain. … la France qui a joué un rôle historique dans la formulation des valeurs émancipatrices des droits de l’homme, celles-là mêmes qui fondent les prétentions des uns et des autres !
En ce sens, la reconnaissance de l’État de Palestine par notre pays doit être interprétée comme une réaffirmation des principes qui légitiment la présence de l’État d’Israël au sein de la communauté internationale : souveraineté, libre gouvernement, identité historique, aspiration à participer à l’histoire à venir. On comprend donc que beaucoup d’Israéliens influents soutiennent aussi notre démarche.
Mme Bariza Khiari. C’est vrai !
M. Jean Germain. Quel sera l’avenir de ces deux États ? À leurs peuples de le dire.
Je voudrais toutefois rappeler qu’au nord d’Israël se trouve un pays, le Liban, que la France a proclamé comme État autonome en 1920 et dans lequel coexistent différentes communautés. Le Liban est un modèle, un exemple de vivre ensemble et de compréhension mutuelle.
M. Roger Karoutchi. Ah non !
M. Jean Germain. Il est aussi un pays démocratique, avec une organisation des pouvoirs qui lui est propre.
À cet égard, alors qu’une large part de notre opinion publique confond Arabes et musulmans, combien de nos concitoyens réalisent-ils que le Liban est un pays arabe présidé par un chrétien ?
Mes chers collègues, il existe de réelles perspectives au Moyen-Orient pour les relations entre Palestiniens et Israéliens, malgré la tourmente actuelle. Ces perspectives, la France et sa diplomatie les ont à l’esprit depuis longtemps.
S’agissant des enjeux contemporains, depuis de Gaulle, immortel dans le cœur des Arabes, jusqu’à Mitterrand, qui invoquait devant le parlement israélien, la Knesset, le droit des Palestiniens à un État, le sens d’une action a été tracé, et il faut s’y tenir. C’est ce que nous faisons aujourd’hui en soutenant notre diplomatie et la place de la France au Conseil de sécurité, une France libre de tout alignement sur les États-Unis.
Mme la présidente. Il vous faudrait conclure, mon cher collègue.
M. Jean Germain. J’en arrive à ma conclusion, madame la présidente.
Imaginons, mes chers collègues, quelle serait la puissance de l’Europe si le sud de la Méditerranée vivait dans la paix, concentré sur le progrès social, économique et scientifique, rayonnant culturellement. Imaginons quel atout majeur serait alors cette situation pour la France.
Nombre de nos concitoyens doutent de l’Europe. Mais la France est une passerelle privilégiée entre les intérêts des pays arabes et ceux de l’Europe pour peu que nous sachions cultiver et accroître les bonnes relations.
La paix au Moyen-Orient est donc aussi notre avenir dans un monde de plus en plus ouvert aux échanges. Nous devons saisir les opportunités là où nous sommes les mieux placés pour le faire. (Manifestations renouvelées d’impatience sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Moi, j’ai scrupuleusement respecté mon temps de parole !
M. Jean Germain. Outre l’intérêt que la reconnaissance de l’État de Palestine représente pour les deux parties en cause, le vote de notre proposition de résolution revêt donc un intérêt stratégique pour notre pays (M. Jean-Noël Cardoux proteste.)…
Mme la présidente. Il est vraiment temps de conclure, mon cher collègue.
M. Jean Germain. … face auquel il est inconcevable d’être frileux. Soyons donc, mes chers collègues, sur toutes les travées, à la hauteur de l’histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès 1949, soit deux ans après le plan de partage de la Palestine adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, la France a été l’un des premiers pays à établir des relations diplomatiques avec Israël.
Ces relations, bien que parfois marquées par l’intransigeance de certains dirigeants israéliens à l’égard de la question palestinienne, sont restées courtoises et régulières. Car la France a eu très tôt la volonté d’entretenir des liens directs avec Israël, dans la perspective, notamment, d’être partie prenante au processus de paix au Proche-Orient. C’est cette continuité dans la coopération franco-israélienne qui a fait dire à François Mitterrand, en 1982, devant la Knesset : « Oui, le peuple français est l’ami du peuple d’Israël. »
Amie d’Israël, la France est aussi, depuis longtemps, l’amie de la Palestine. En 2011, notre pays a approuvé son adhésion à l’UNESCO, ainsi que la résolution lui donnant le statut d’État observateur à l’ONU. Les gouvernements français successifs ont toujours déploré les implantations illégales de colonies dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Nous avons sans cesse été aux côtés des Palestiniens dans les moments les plus difficiles, en leur apportant un soutien à la fois politique et matériel. Je rappellerai que la France figure parmi les principaux contributeurs à l’aide destinée aux territoires palestiniens, une aide qui a représenté 43 millions d’euros en 2013.
Oui, le peuple français est l’ami du peuple palestinien.
Amis d’Israël, amis de la Palestine : c’est au nom de cette double amitié que nous nous désespérons de voir les Israéliens et les Palestiniens se déchirer depuis des décennies.
J’ajouterai que la France, qui comprend sur son territoire les deux plus grandes communautés juive et musulmane en Europe, ne peut qu’être attentive au sort de la région proche-orientale.
Enfin, par fidélité à nos valeurs d’humanisme et de solidarité, en vertu de notre tradition diplomatique et de notre poids sur la scène internationale, nous sommes naturellement conduits à rechercher le chemin de la paix. Hélas ! ce chemin s’est transformé en impasse.
Cet été, nous avons assisté à une nouvelle dégradation de la situation avec, une fois de plus, des tirs de roquettes du Hamas depuis Gaza, auxquels répondent les frappes meurtrières de Tsahal. C’est toujours le même dramatique engrenage, la même loi du talion : un assassinat répond à un autre assassinat. De chaque côté du triste mur de séparation, les mères pleurent leur fils dans un éternel recommencement.
Dans ces conditions, la communauté internationale ne doit pas rester impuissante. Elle ne l’a d’ailleurs jamais été. De grandes initiatives ont été prises, que ce soient les accords de Camp David en 1978 ou ceux d’Oslo en 1993. Un consensus international existe sur la question israélo-palestinienne, notamment sur la base des résolutions nos 242 et 1860 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui reconnaît l’existence de l’État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.
Comme vous le savez, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, la France a pris une part très active à toutes ces négociations, mais dont la plupart n’ont malheureusement pas abouti.
Que faire aujourd’hui pour permettre un règlement définitif du conflit ?
Afin de relancer le processus de paix, plusieurs pays européens se sont engagés dans des démarches plus ou moins contraignantes de reconnaissance de l’État palestinien. Comme cela a été rappelé, la Suède l’a reconnu le 30 octobre dernier. Les députés britanniques puis leurs homologues espagnols ont récemment adopté des résolutions symboliques allant dans le même sens. Le Parlement belge s’apprête à le faire également.
La proposition de résolution de nos collègues socialistes, écologistes et communistes invite également, dans son dernier alinéa, « le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine, et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable ». Nos collègues de l’Assemblée nationale viennent d’approuver un texte similaire, engageant ainsi le Parlement français dans la dynamique engagée par plusieurs États européens.
Certains diront que cette invitation est irrecevable au motif qu’elle constitue une injonction à l’égard du Gouvernement, ce que proscrit l’article 34-1 de la Constitution. En effet, on peut émettre une réserve sur la forme, sachant par ailleurs que la direction de la politique étrangère est une prérogative du chef de l’État.
Invitation ou injonction, le Larousse ne suffirait pas à trancher ce débat… Laissons donc de côté la sémantique, qui nous enfermerait dans une discussion juridique, alors qu’il s’agit aujourd'hui de prendre une position politique. Une position qui ne conduirait pas à choisir entre le camp palestinien ou le camp israélien : nous préférons tous ici, je n’en doute pas, le camp de la paix.
Avec cette proposition de résolution, il est question non pas de faire remporter une victoire à un camp, mais de rechercher une solution. C’est une incitation à la reprise des négociations de paix, et c’est pourquoi la majorité des membres du RDSE la soutient.
Devant la commission des affaires étrangères, la semaine dernière, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a qualifié la proposition de résolution de démarche au service de la paix.
Dans cette perspective, il a d’ailleurs plusieurs fois déclaré travailler au sein des Nations unies à l’adoption d’une résolution fixant l’aboutissement des négociations à deux ans. Il a aussi annoncé la tenue d’une conférence internationale qui serait organisée par la France et qui réunirait l’Union européenne, la Ligue arabe et les membres permanents du Conseil de sécurité, au premier rang desquels figurent les États-Unis. L’ensemble du RDSE approuve toutes ces orientations.
Pour autant, si la paix peut être encouragée de l’extérieur, elle ne peut que s’appuyer sur les volontés intérieures et la capacité des deux parties à maîtriser la radicalisation grandissante de certains de leurs dirigeants. En effet, j’ai quelques inquiétudes à cet égard.
Du côté palestinien, les désaccords au sein du gouvernement d’union nationale entre le Hamas et le Fatah resurgissent régulièrement, et le décès d’un ministre palestinien, hier dans une manifestation en Cisjordanie, risque de compliquer la situation. Le Hamas, d’ailleurs, appelle déjà à stopper toute coopération sécuritaire avec Israël.
Quant au gouvernement de Benjamin Netanyahou, le renvoi des deux principaux ministres centristes représentant son aile modérée apparaît comme un mauvais signal. Et que dire de la poursuite des colonisations, principale pierre d’achoppement du dialogue israélo-palestinien ? Les Palestiniens et les Israéliens doivent donc rapidement prendre leur destin en main, car la sécurité des uns dépend de la sécurité des autres. La majorité d’entre eux souhaitent l’arrêt des hostilités, c’est une évidence.
Dans son dernier discours, Yitzhak Rabin déclarait : « J’ai toujours eu la conviction que la majorité de la population aspirait à la paix, était prête à prendre des risques pour voir son avènement. » La paix aura en effet un prix dans le sens où elle obligera à des compromis, pour ne pas dire à des renoncements, mais l’absence d’espoir n’est-elle pas le pire des maux pour les hommes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez vous prononcer, après ce débat, sur une proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’État de Palestine.
Le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, aurait souhaité être parmi vous aujourd’hui, mais, comme vous le savez, il est retenu par la COP 20 à Lima, qui est le dernier grand rendez-vous international avant la Conférence Paris Climat 2015 que nous accueillerons l’année prochaine. Il m’a demandé de vous présenter ses regrets et ses excuses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la gravité de la situation au Proche-Orient impose ce débat, qui traduit votre volonté de rechercher les voies de la paix, de l’arrêt des violences et d’une solution juste et durable pour les Palestiniens et pour les Israéliens.
Le caractère exceptionnel de cette procédure répond à une situation elle-même exceptionnelle : celle de l’interminable conflit israélo-palestinien, de l’échec du processus de paix au Proche-Orient, de la dégradation dramatique de la situation sur le terrain. Elle marque aussi votre attachement, l’attachement de la France envers les deux peuples, le désir de notre pays de voir la paix enfin s’instaurer dans une région depuis trop longtemps déchirée par les guerres. Elle marque votre volonté de contribuer à une solution politique.
Un débat a été soulevé quant à la conformité de cette proposition de résolution à la Constitution. Laurent Fabius a déjà répondu à ceux qui en doutaient en précisant que l’invitation qui est adressée au Gouvernement, qui relève des droits du Parlement, n’était en rien contraire à l’article 34-1 de la Constitution, même si la reconnaissance d’un État reste, bien sûr, une prérogative de l’exécutif.
C’est en ami à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien que je m’exprime aujourd'hui ici, comme Laurent Fabius l’a fait le 28 novembre devant l’Assemblée nationale, et cet élément de rassemblement doit guider le fond et le ton de ce débat. Nos seuls ennemis dans cette région sont les extrémistes et les fanatiques qui, de chaque côté, entravent la trop longue marche vers la paix.
Au-delà des alternances politiques, et c’est la position constante de la diplomatie française, notre pays a toujours défendu le principe d’une solution reposant sur deux États, un État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël.
Lors du vote de l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 novembre 1947, la France apporta sa voix, décisive, à la résolution 181, qui établit que « les États indépendants arabe et juif […] commenceront d’exister […] le 1er octobre 1948 au plus tard ». La France fut également l’une des premières, avec l’URSS et les États-Unis, à reconnaître le jeune État d’Israël. Du général de Gaulle à François Mitterrand, dans son discours à la tribune de la Knesset en 1982, la France a, chaque fois, reconnu l’aspiration légitime du peuple palestinien à un État.
La conviction du Président de la République, François Hollande, du Premier ministre, Manuel Valls, et du Gouvernement est que le règlement définitif du conflit et l’avènement d’une paix durable au Proche-Orient ne pourront être obtenus que par la coexistence de deux États vivant dans des frontières sûres et reconnues, dans la paix et la sécurité.
C’est pourquoi la France reconnaîtra l’État de Palestine, car cette reconnaissance est de droit, de même que le droit à la sécurité d’Israël n’est pas négociable. Il y a un an, devant la Knesset, le 18 novembre 2013, le président François Hollande déclarait : « Depuis vingt ans, vous avez parcouru un long chemin. Des solutions qui paraissaient inconcevables, des mots qui étaient imprononçables sont devenus communs, à commencer par la nécessité d’un État palestinien. » Il ajoutait : « Le statu quo n’est pas tenable. Il provoquera toujours le ressentiment, la rancune et la haine ». Il concluait : « La paix requiert du courage. Sans doute plus que de faire la guerre. »
Mesdames, messieurs, la proposition soumise à la Haute Assemblée « invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable ».
La question, dès lors, est avant tout celle de la méthode pour y parvenir. Comment et quand reconnaître la Palestine pour aboutir concrètement à la paix…