Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très heureuse de participer aujourd’hui à ce débat, car je crois que notre système de santé est à la croisée des chemins. Ce débat est donc essentiel.
Selon les organismes internationaux, notre système de santé est l’un des plus performants. Par exemple, pour l’OMS, la France a le meilleur système de santé dans le monde. Les Français vivent de plus en plus longtemps – 85 ans pour les femmes, et 78 ans pour les hommes –,…
Mme Nicole Bricq. Ils nous rattrapent !
Mme Patricia Schillinger. … malgré une alimentation très riche, à laquelle s’ajoute parfois par une forte consommation d’alcool et de tabac.
L’OCDE a publié également en 2013 son panorama de la santé. Selon ce dernier, le système de santé en France demeure performant et efficace. En effet, il continue d’assurer l’une des meilleures prises en charge des coûts de santé de la population parmi les pays de l’OCDE. Toutefois, toujours selon l’OCDE, la pérennité de notre système pourrait être menacée par un renouvellement insuffisant de la population médicale.
Si 90 % des Français pensent que notre système de santé offre des soins de qualité, 39 % d’entre eux avouent, malheureusement, avoir déjà renoncé à des soins en raison de leur coût. Les Français pensent que notre système de santé doit être amélioré afin de répondre aux besoins de l’ensemble de la population.
Entre le nombre de personnes renonçant à se soigner par manque de moyens et les inégalités socioprofessionnelles dans l’accès aux traitements, le système français semble être en perte de vitesse. Nous sommes confrontés à un véritable paradoxe : notre système de santé est considéré comme l’un des plus performants, mais notre pays est, Europe de l’Ouest, celui où les inégalités sociales et territoriales sur le plan de la santé sont les plus marquées.
Ces inégalités, auxquelles il faudra apporter des réponses, revêtent plusieurs aspects.
Tout d’abord, l’offre de soins est répartie de façon inégalitaire sur l’ensemble du territoire français, notamment si l’on considère le temps d’accès à un généraliste : globalement, il s’allonge dans les zones rurales, les professionnels se concentrant dans les zones urbaines. Du reste, les déserts médicaux se multiplient, à la campagne mais aussi dans les banlieues.
Dépassements d’honoraires, allongement des listes d’attente, difficulté de trouver un médecin le soir ou le week-end : tel est le quotidien des Français. Bien entendu, les dépassements d’honoraires constituent un obstacle important à l’accès aux soins.
Nous observons également de larges inégalités en matière de santé et de mortalité, inégalités qui, malheureusement, ne font que s’accroître. La France est le pays où les inégalités en matière de santé sont les plus fortes entre les sexes, les catégories sociales et les zones géographiques. Les plus instruits, les membres des professions les plus qualifiées et les ménages les plus aisés bénéficient d’une espérance de vie plus longue et se trouvent en meilleure santé. Les patients issus de milieux favorisés ont 1,5 à 2 fois plus de chances de guérir que les autres. De même, le taux de prématurité varie du simple au triple en fonction du niveau scolaire de la mère.
Les inégalités apparaissent précocement puisque, dès l’école, on détecte des différences dans la prise en charge des troubles de la vue, des caries dentaires et dans l’apparition du surpoids.
Les inégalités en matière de mortalité selon la catégorie sociale placent également la France en situation peu favorable par rapport à d’autres pays européens comparables. Par exemple, l’espérance de vie d’un ouvrier de 35 ans est inférieure de sept ans à celle d’un cadre.
Selon un rapport de la DREES – direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques –, si l’état de santé des Français apparaît globalement bon, le taux de mortalité prématurée, c’est-à-dire avant 65 ans, reste l’un des plus élevés de l’Union européenne.
Toutes ces inégalités peuvent s’expliquer par une politique de santé principalement axée sur la performance médicale plutôt que sur la promotion de la santé. Notre pays obtient de très bons résultats dans certains domaines – maladies cardiovasculaires, espérance de vie aux âges élevés – mais, comparé à de nombreux pays, il obtient de mauvais chiffres en termes de mortalité prématurée, notamment en raison du manque de prévention et de dépistage.
Ainsi, la politique sanitaire en France demeure, malheureusement, encore trop axée sur le curatif.
Face à toutes ces inégalités, la prévention peut jouer un rôle important. Elle doit devenir une priorité en matière de santé publique.
Par ailleurs, la crise économique que nous connaissons actuellement renforce la nécessité de réfléchir sur ces inégalités et commande la mise en place de politiques publiques permettant de garantir à l’ensemble de la population une certaine égalité en matière de santé.
Telle catégorie de population ne doit pas être, plus qu’une autre, victime de certaines affections, et c’est là tout le rôle de l’éducation sanitaire. De plus, celle-ci serait source d’économies.
Selon les estimations des scientifiques, nous pouvons craindre pour les prochaines années, par exemple, une hausse des maladies chroniques telles que les cancers, le diabète, l’obésité ou les maladies cardiovasculaires. La Fédération internationale du diabète annonce une augmentation de 55 % du nombre de diabétiques en France d’ici à 2025. Une politique de prévention adaptée, menée sur le long terme, permettrait de faire des économies en anticipant sur ces évolutions.
Bien souvent, ces maladies sont devenues la cause de décès prématurés avant 65 ans. Les deux tiers, environ, de ces décès prématurés seraient évitables par une action préventive efficace. Aujourd’hui, certains facteurs de risque sont bien identifiés : tabac, nutrition, alcool, expositions professionnelles, environnement, produits illicites.... On peut donc mieux appréhender et agir sur ces risques.
La promotion de la santé implique d’intervenir sur l’ensemble des éléments déterminants à cet égard : les conditions de vie, les facteurs héréditaires et les comportements personnels, l’environnement économique, social et culturel.
Les politiques de santé doivent être menées en intelligence avec les autres politiques publiques.
La prévention mérite de devenir une priorité en matière de santé publique. À cet égard, je me réjouis qu’elle fasse l’objet d’un grand volet spécifique dans le projet de loi de santé que nous présentera prochainement Mme la ministre de la santé. Nous devons en effet développer une véritable culture de la santé, en faisant comprendre que celle-ci se bâtit progressivement tout au long de la vie.
Je souhaiterais maintenant évoquer la situation des maternités dans notre pays.
Aujourd’hui, la sécurité des naissances demeure imparfaite dans un certain nombre de situations. En effet, les décrets de 1998, seize ans après leur parution, ne sont pas pleinement respectés.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
Mme Patricia Schillinger. Ils ne sont pas mis en œuvre dans toutes leurs dimensions.
L’étude de la Cour des comptes met en évidence des insuffisances qui appellent un effort de planification. Nous observons des problèmes d’effectifs. Alors que la démographie des professionnels de la périnatalité est plus élevée que jamais, on relève, paradoxalement, des inégalités territoriales très prononcées, que les évolutions démographiques à venir dans les professions concernées pourraient encore creuser. Il est à craindre que certains établissements, dans certains territoires – territoires ruraux isolés ou territoires urbains concentrant des populations défavorisées – ne s’en trouvent encore fragilisés.
Par ailleurs, la sécurité des prises en charge doit être améliorée. Les décrets de 1998 sont très prescriptifs quant à la sécurité des locaux dans le secteur de la naissance. Or, dans certains établissements, cette sécurité n’est pas toujours garantie. Les décrets de 1998 doivent donc être davantage respectés, car il s’agit d’un enjeu de santé publique important.
Avant de conclure, je veux aborder le sujet des médicaments.
Le déficit de plus en plus important et récurrent de l’assurance maladie est source d’inquiétudes. Or, selon une étude, les génériques coûtent 30% plus cher en France que dans les autres pays européens, avec des pics à 100% pour des antihypertenseurs, pour des antibiotiques ou des produits destinés à traiter des maladies de la prostate. Il faut mettre fin à une telle situation !
Notre système est régulièrement jugé complexe et opaque. En juin dernier, quinze pays se sont adressés à l’industrie pharmaceutique, avec le soutien de la Commission européenne. Dans cette déclaration commune, les signataires, dont la France, affirment que les coûts de ces traitements « sont extrêmement élevés et insoutenables pour les budgets de santé ». Ils demandent aux laboratoires un « compromis adéquat » entre leurs gains et l’accès aux soins.
Il faut une politique européenne commune du médicament.
L’industrie pharmaceutique se défend en justifiant ses marges bénéficiaires par le réinvestissement dans la recherche… Difficile à croire quand moins de 15 % du chiffre d’affaires des laboratoires est réinvesti dans la recherche et le développement et que 20 % à 25 % de ce même chiffre d’affaires est consacré au marketing et à la publicité !
S’agissant du prix des médicaments, la transparence doit être exemplaire et nous avons besoin d’une véritable politique de régulation.
J’ajouterai que nous devons trouver des solutions au problème de rupture de stock de médicaments. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, a dénombré, entre septembre 2012 et octobre 2013, 324 cas de rupture d’approvisionnement et 103 risques de rupture. La France doit alors s’adresser aux usines délocalisées en Inde ou en Chine. Le moindre problème dans la chaîne de production entraîne un retard considérable.
Cette difficulté est accentuée lorsque les laboratoires pharmaceutiques détiennent le monopole d’exploitation. Cette dépendance envers l’industrie pharmaceutique mondiale est d’autant plus inquiétante qu’elle ne fait que s’accentuer. Si 80 % de ces produits étaient fabriqués au sein de l’Union européenne il y a près de trente ans, ce taux a chuté aujourd’hui environ de moitié, ce qui a pour conséquence de compliquer considérablement le contrôle des différents sites et la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de production du médicament.
Cette situation est inquiétante, alarmante, et nous devons trouver des réponses.
En conclusion, je dirai que, si notre système de santé est encore très performant, nous devons absolument, pour qu’il le reste, réduire les inégalités sociales, améliorer l’accès aux soins, promouvoir davantage la prévention et réguler le prix des médicaments. Le projet de loi du Gouvernement est donc très attendu, madame la secrétaire d’État.
Notre système de santé est à la croisée des chemins pour et nous devons l’améliorer afin de préparer notre avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui nous permet de préparer l’examen du projet de loi de santé, dont nous serons saisis dans quelques mois.
Ce débat nous amène également à lever le nez de notre « guidon franco-français » en nous adonnant à la comparaison avec les systèmes de santé d’autres pays.
Avant toute chose, le groupe écologiste du Sénat souhaite saluer la compétence, l’excellence et le dévouement des nombreuses équipes de professionnels de santé qui, parfois dans des conditions très difficiles et quoi qu’on en dise, font vivre dans notre pays un système de grande qualité.
Notre système de santé a été qualifié par l’OMS, dans son rapport sur la santé dans le monde de 2000, comme le plus performant au monde en termes de dispensation et d’organisation des soins de santé. Pour autant, cela ne veut pas dire que tout est acquis. D’ailleurs, ce classement aura bientôt quinze ans et la situation a évolué depuis, chez nous comme ailleurs dans le monde.
Pour aller à l’essentiel dans les six minutes qui me sont imparties, je mettrai l’accent, au nom du groupe écologiste, sur deux points, ce qui me conduira évidemment à passer sous silence de nombreux sujets importants qui sont évoqués ce matin.
Tout d’abord, nous souhaitons à nouveau insister sur les très grandes inégalités d’accès aux soins qui existent encore aujourd’hui en France. Je sais que le Gouvernement y est sensible. En 2013, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, m’avait d’ailleurs confié une mission sur l’accès aux soins des plus démunis, et je note que la ministre des affaires sociales et de la santé s’est très clairement engagée sur l’une des propositions que je faisais, avec d’autres : la généralisation du tiers payant intégral.
Je veux donc saluer sa détermination sur ce point, d’autant que je sais combien les conservatismes sont parfois pesants en la matière. J’espère que ses efforts pour les dépasser aboutiront et qu’une solution consensuelle sera trouvée afin que les médecins de bonne foi, qui ne sont pas idéologiquement opposés au tiers payant – et ils sont nombreux –, mais qui craignent la lourdeur administrative, puissent être rassurés.
J’espère tout autant que le combat pour l’accès aux soins et à la santé des personnes modestes et démunies ne s’arrêtera pas à cette mesure et que la mise en œuvre d’autres de mes propositions sera rapidement envisagée pour simplifier l’accès aux droits, lutter contre le non-recours, endiguer les dépassements d’honoraires ou encore soutenir véritablement les structures tournées vers les populations fragiles.
Comment peut-on accepter que des mesures de simplification soient prises dans tous les domaines par le Gouvernement – et c’est une bonne chose – mais pas dans celui de l’accès aux droits des plus démunis ? Je donnerai un seul exemple : comment accepter que 30 % des bénéficiaires du RSA-socle – en Île-de-France, le chiffre frôle les 40 % ! – ne parviennent pas à faire aboutir leur dossier d’ouverture de droits à la CMU complémentaire, alors que c’est la loi, puisque les plafonds sont identiques ?
Le second point sur lequel mes collègues et moi-même souhaitons insister est celui de la santé environnementale. Dans ce domaine, il nous semble que la France pourrait également se positionner à l’avant-garde.
Le Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, agence de l’OMS, a encore rappelé la semaine dernière que la moitié des cancers pourraient être évités.
Plus largement, lorsqu’on sait le fléau que constitue l’épidémie de maladies chroniques aujourd’hui en France –diabète, cancer, etc. –, lorsqu’on sait à quel point ces maladies pèsent sur nos finances publiques, on comprend mal que la santé environnementale ne soit pas encore devenue une priorité !
Cela est d’autant plus incompréhensible que nous sommes souvent tous d’accord sur les constats. Le débat qui a eu lieu en novembre dernier à l’occasion d’une proposition de loi sur le diesel et les particules fines cancérogènes a montré que nous nous accordions à peu près sur le constat. Malheureusement, les actes tardent en la matière !
Certes, depuis le 1er janvier 2015, le bisphénol A est interdit dans tous les contenants alimentaires. Mais combien de temps faudra-t-il attendre encore pour que l’interdiction soit étendue aux autres perturbateurs endocriniens, qui mettent quotidiennement en danger notre santé par leur omniprésence dans notre environnement et par leurs interactions ?
D’une manière générale, il faudrait réfléchir à tout ce qui concerne les pesticides, les nanomatériaux, les résidus de médicaments dans les milieux et autres produits présents dans l’environnement et susceptibles d’affecter la santé. Il nous paraît urgent, et même indispensable, de prendre des décisions en la matière.
Nous espérons pouvoir, à l’occasion du prochain examen du projet de loi relatif à la santé, débattre avec le Gouvernement ainsi qu’avec vous, mes chers collègues, d’un rééquilibrage en faveur de la santé environnementale.
Ce rééquilibrage pourrait passer par un renforcement des moyens des observatoires régionaux de la santé, par l’élargissement de leurs missions en matière de santé environnementale, comprenant notamment le suivi épidémiologique des populations, ainsi que par un accès de toutes et tous à un dépistage gratuit des niveaux d’imprégnation par les toxiques dans le cadre de la santé au travail et des bilans de santé aux différents âges.
Nous regrettons le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle modifiant la Charte de l’environnement en vue de supprimer le principe de précaution. Nous proposons l’application de ce principe de précaution dans le domaine de la santé via, notamment, une évaluation systématique des impacts sanitaires et environnementaux des politiques publiques et projets de recherche technologique.
Bien d’autres sujets pourraient être abordés, qu’il s’agisse du renforcement de la prévention, de la régulation du prix des médicaments et, plus généralement, de la nécessité absolue de séparer les décisions publiques en matière de santé des pressions exercées par les détenteurs d’intérêts économiques. Si nous traitons ces sujets comme il convient, nous pourrons réaliser d’importantes économies pour les finances publiques.
Nous espérons pouvoir mettre en place, à l’occasion de l’examen du projet de loi de santé, des solutions conjuguant volontarisme politique, pédagogie, éducation populaire et prévention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que la France ait disposé et dispose encore d’un bon système de santé, c’est indéniable. Est-il encore le meilleur au monde ? C’est moins sûr...
Le débat de ce matin permettra-t-il, au travers de quelques interventions, de répondre à cette question ? Le défi est de taille, cher Gilbert Barbier, chers collègues du RDSE !
En raison de la situation des comptes sociaux, la question qui se pose à nous est la suivante : comment continuer à assurer aux Français une médecine de qualité, leur garantissant un égal accès aux soins et les traitements les mieux adaptés à leurs pathologies ?
Je souhaite féliciter, à cet égard, le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, pour la qualité de son analyse de notre système de santé.
Notre médecine est fondée depuis longtemps sur le curatif, parfois au détriment du préventif. La médecine se trouve déjà confrontée – et ce sera encore plus vrai demain – à de nombreux défis. Je souhaiterais m’attarder aujourd'hui sur deux d’entre eux, pour nourrir la réflexion.
Le premier défi est celui de la médecine personnalisée. Le sujet a été fort bien traité dans le rapport nos collègues députés Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, fait au nom de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – OPECST –, paru il y a un an et intitulé : « Les progrès de la génétique, vers une médecine de précision ? Les enjeux scientifiques, technologiques, sociaux et éthiques de la médecine personnalisée. »
On le sait, cette médecine personnalisée, même si la définition n’en est pas simple et peut parfois susciter de fausses espérances, bouleverse l’approche classique de la médecine. En effet, la classification en fonction de données génétiques ou moléculaires, en oncologie, notamment, mais aussi dans certaines maladies chroniques, infectieuses ou rares, aura sans aucun doute un impact majeur en termes économiques et bouleversera notre système de santé, qui est par définition solidaire. C’est d’ailleurs l’objet d’un volet du troisième plan cancer.
Cette médecine pose le problème de la recherche française et des moyens qui lui sont alloués. Il ne faudrait pas que, dans ce domaine spécifique, notre pays décroche par rapport à d’autres.
Elle nécessite une évolution dans la formation des personnels de santé. Une réforme des études est nécessaire car, dans de nombreux rapports portant sur des sujets variés et spécifiques, sont souvent pointés des manques en termes de formation, notamment un nombre d’heures dispensées très faible ou nul.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
Mme Catherine Deroche. Je renvoie, à cet égard, à la lecture du rapport de notre collègue Jacques Mézard, fait au nom de la commission d’enquête sur les mouvements à caractère sectaire et intitulé « Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger ».
Cette médecine va requérir des adaptations de procédures pour pouvoir disposer de médicaments à un coût moindre.
Enfin, afin d’assurer un égal accès de tous nos concitoyens aux nouvelles thérapies possibles, l’OPECST propose dans son rapport de placer le patient au cœur du dispositif de soins, de lutter contre les discriminations et les inégalités territoriales, d’encadrer la médico-surveillance par voie de télémédecine et d’intégrer les associations de malades en tant que partenaires à tous les niveaux de la chaîne de santé, du diagnostic au prix du médicament.
Ces dernières propositions me permettent de faire la transition avec le deuxième défi que notre pays doit relever en matière de santé, celui de la maladie chronique.
Sur près de 15 millions de patients chroniques, près de 10 millions souffrent d’affections de longue durée – ALD. On estime aujourd’hui le coût des ALD à plus de 65 milliards d’euros par an. Ces 15 % d’assurés sociaux représentent 60 % des remboursements et sont responsables, pour l’essentiel, de la hausse des dépenses de santé.
Souvent complexe, la maladie chronique associe plusieurs facteurs de comorbidité dans le temps. De ce fait, elle nécessite une prise en charge spécifique, pluriprofessionnelle et à long terme.
La question se pose de la capacité des soignants à s’organiser et à travailler en réseau. Cette collaboration entre médecins et autres professionnels de soins n’était pas si naturelle au départ, mais elle se développe.
L’installation des professionnels dans les maisons de santé, soutenues pour nos collectivités locales et de plus en plus nombreuses dans nos territoires, y concourt. La délégation de tâches participe de la même volonté. Je rappelle, à cette occasion, l’excellent rapport de nos collègues Alain Milon et Catherine Génisson, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur ce thème de la coopération entre professionnels de santé.
La prise en charge de la maladie chronique ne doit pas éluder la dimension médico-économique. Pour ce faire, elle doit se fonder sur l’universalité de l’accès aux soins, bien sûr, mais aussi impliquer au maximum le patient dans cette prise en charge de sa maladie.
L’éducation thérapeutique du patient doit être développée. Des services la pratiquent déjà. Il ne suffit plus d’informer le patient, il faut favoriser son autonomie et le sensibiliser à l’observance du traitement. Il s’agit d’un processus permanent, tout au long du processus de soins, et intégré dans les soins.
L’éducation thérapeutique s’adresse aux patients souffrant d’une maladie chronique potentiellement grave, évolutive, dans le cadre de laquelle une bonne prise en charge ou une autosurveillance apporte un bénéfice. Le programme éducatif est donc personnalisé.
Des expérimentations sont en cours en matière d’insuffisance cardiaque, par exemple. L’objectif est d’améliorer la qualité de vie du malade, d’éviter des rechutes ou des réhospitalisations, toujours coûteuses. Au-delà du bénéfice pour le patient, ce qui est bien évidemment un objectif majeur, l’impact positif sur les comptes sociaux est réel.
En matière de maladie chronique, un télésuivi est également un bon outil en termes de surveillance. S’il représente un coût immédiat, le bénéfice à plus long terme est certain.
Toutefois, des blocages réglementaires existent ; certes, la loi HPST a permis des procédures d’expérimentation dans le cadre des agences régionales de santé, mais nos processus de validation sont stricts, souvent à juste titre. Nous devons cependant être plus innovants pour ne pas rester en retrait dans le domaine de la médecine connectée.
Madame la secrétaire d’État, nous attendons avec impatience le projet de loi de santé. Nous serons attentifs aux propositions faites dans ces domaines plus innovants de la médecine connectée, de la médecine personnalisée et sur la place de la démocratie sanitaire. Répondre à ces défis sans creuser les déficits passera forcément par la définition de priorités, et il ne faudra pas hésiter à le faire sans tabou. Cela passera suppose des choix politiques.
Un débat passionnant nous attend dans quelques mois. Vous pouvez compter sur une implication totale du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France dispose d’un bon système de santé ; encore faut-il que nos concitoyens puissent y accéder, et donc en bénéficier, quels que soient leurs moyens financiers ou leur situation géographique.
Rappelons que la nation, aux termes de l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».
Cependant, on constate qu’un certain nombre de nos concitoyens éprouvent des difficultés à accéder aux soins, du fait de leur lieu d’habitation. Ce phénomène n’est pas dû à une pénurie de médecins : la France dispose de suffisamment de médecins, bien qu’il faille nuancer cette affirmation pour certaines spécialités médicales.
Selon l’Atlas de la démographie médicale, au 1er janvier 2014, la France comptait 276 354 médecins, toutes spécialités confondues, soit 1,6 % de plus qu’en 2013. Cela représente 334 médecins pour 100 000 habitants, ce qui situe notre pays à un bon niveau dans le monde occidental.
Actuellement, 90 630 médecins généralistes sont en activité régulière. Cependant, depuis 2007, le nombre de médecins généralistes est en diminution de 6,5 %, et cette baisse risque de se poursuivre. En effet, seuls 9,4 % des étudiants en médecine choisissent d’exercer en médecine générale. Cette population vieillit. Les médecins âgés de plus de 60 ans, susceptibles de partir à la retraite d’ici à 2020, donc dans les cinq ans qui viennent, ne représentent pas moins d’un quart des effectifs.
L’exercice de cette profession a connu des évolutions.
On l’a dit, la profession s’est fortement féminisée. Un grand nombre de médecins travaillent à temps partiel. Les professionnels de la santé souhaitent pouvoir concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. Ils ne veulent plus, comme leurs aînés, travailler jour et nuit, sillonner la campagne par tous les temps pour se rendre au chevet de leurs malades. Enfin, les jeunes médecins sont moins séduits par la médecine générale et s’orientent vers d’autres spécialités.
Il convient donc, dans un premier temps, de se poser des questions concernant le numerus clausus, s’agissant notamment des spécialités touchées par une forte baisse du nombre de praticiens.
De plus, certains jeunes peuvent être effrayés à l’idée d’exercer seuls en zone rurale, loin d’un centre hospitalier.
La difficulté d’accès des usagers aux soins médicaux est avant tout due à une répartition inégale des médecins sur l’ensemble du territoire. Certains territoires sont ainsi devenus de véritables déserts médicaux.
Toutefois, la définition de ces zones n’est pas aussi aisée qu’il y paraît : elle dépasse les distinctions entre zone rurale et zone urbaine, nord et sud. Par exemple, l’accès à certains médecins spécialistes peut s’avérer aussi difficile en zone urbaine qu’en zone rurale.
Le droit d’accès aux soins doit être concilié avec une liberté qui nous apparaît comme fondamentale, la liberté d’installation des médecins. Celle-ci constitue l’essence même de cette profession et nous tenons à la préserver.
L’expérience a montré que les mesures coercitives ne permettaient pas d’atteindre le but escompté et ne réglait pas le problème des déserts médicaux. Celui-ci ne pourra pas être résolu en imposant aux médecins de s’installer contre leur gré dans une zone donnée. Sans remettre en cause cette liberté d’installation, ce sont les modes d’exercice de la profession qui doivent être modifiés.
Il n’y a pas de solution miracle, mais, compte tenu de l’évolution de la démographie médicale, nous sommes tenus d’agir. C’est d’autant plus vrai que la population française s’accroît et vieillit, ce qui entraîne une augmentation de la demande de soins.
Les élus locaux que nous sommes savent combien la présence de médecins dans nos communes est un élément d’attractivité essentiel et que le service de santé figure en tête des services plébiscités par nos concitoyens.
Quelles sont les marges de manœuvre qui s’offrent aux élus locaux ?
Les solutions à préconiser diffèrent d’un territoire à un autre. Elles ne peuvent être mises en place qu’en concertation avec les professionnels de santé. Les élus locaux se doivent de les accompagner, de créer sur leur territoire les conditions favorables à l’installation de jeunes médecins. Cela passe, selon moi, par la création de maisons de santé, de pôles de santé, et par le développement des dispositifs de télémédecine.
Les maisons de santé offrent plusieurs avantages.
Tout d’abord, elles permettent aux praticiens qui n’entendent plus travailler de manière isolée et harassante d’exercer au sein d’un groupe de professionnels, qui définissent en commun un projet de santé et décident des modalités d’exercice.
Ensuite, du point de vue des autorités sanitaires, ces structures pluridisciplinaires favorisent l’accès aux soins puisqu’elles permettent une plus large amplitude horaire.
De plus, les médecins devant pratiquer des tarifs conventionnels, elles offrent aux patients un service plus accessible sur le plan financier.
Les maisons de santé sont, en outre, un gage de qualité des soins, car elles favorisent une meilleure coordination des différents soignants pour un même patient.
Elles représentent aussi un moyen d’inciter les soignants à venir exercer dans des territoires défavorisés.
À cet égard, rappelons que l’article 88 du code de déontologie médicale prévoit la possibilité pour un médecin, dans une situation de désertification médicale, de s’adjoindre le concours d’un étudiant en médecine. Cette pratique doit être soutenue, car, souvent, les jeunes médecins ainsi recrutés bénéficient du savoir-faire de médecins aguerris. Cette expérience leur permet de dépasser les préjugés qu’ils pourraient avoir et les incite à rester dans ces territoires.
Je connais particulièrement bien le principe des maisons de santé puisque je vais avoir le plaisir d’inaugurer, dans quelques semaines, un établissement de ce type dans ma commune de Moncoutant. Je vous invite d’ailleurs à vous joindre à nous à cette occasion, madame la secrétaire d’État.
Cette maison de santé regroupera treize professionnels de santé, dont quatre médecins généralistes et deux dentistes. Cette réalisation est née de l’initiative des professionnels de santé eux-mêmes, qui souhaitaient anticiper le départ à la retraite de deux médecins généralistes. Il leur a fallu près de six ans pour mener à bien leur projet. Celui-ci n’aurait pu aboutir sans l’implication forte de l’État, par le biais de l’agence régionale de santé, et de l’ordre des médecins.
Il faut encourager de telles initiatives. Toutefois, leur concrétisation suppose des démarches administratives souvent complexes, notamment lorsque l’on entend bénéficier de fonds européens ; les délais d’instruction sont parfois trop longs au regard de la mobilisation des médecins.
Comment expliquer à un professionnel qui a besoin de s’installer rapidement qu’il faut six ans pour mener un projet à son terme ? Le décalage est grand entre la demande des professionnels et la capacité des pouvoirs publics à se mobiliser. C’est pourquoi je ne peux qu’inviter le Gouvernement à simplifier les démarches administratives pour la réalisation de ces équipements et à développer les procédures de coordination entre les différents acteurs et les financeurs.
Les solutions peuvent être apportées par les professionnels de santé, mais aussi par les pouvoirs publics, à travers des projets novateurs répondant à la pratique moderne de la médecine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)