Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre excellent collègue Gilbert Barbier a souhaité l’organisation d’un débat sur notre système de santé non seulement en tant qu’élu, mais également en tant que médecin. Mon propos sera, plus modestement, celui d’un béotien intéressé par le sujet, ne serait-ce qu’en tant que malade potentiel, ce que, au demeurant, nous sommes tous. (Sourires.)
Très précieux aux yeux des Français parce qu’il repose sur le principe de solidarité envers les plus fragiles et qu’il garantit à chacun l’accès à des soins de qualité, notre système de santé incarne les valeurs humanistes qui sont au cœur de notre pacte républicain.
Selon une enquête réalisée en mai 2014 à la demande de la Fédération hospitalière de France, les Français considèrent que notre système de santé demeure l’un des meilleurs, sinon le meilleur du monde.
En revanche, ils déplorent une mauvaise répartition des médecins sur le territoire et ont le sentiment d’une médecine à deux vitesses. Pour 92 % des personnes interrogées, les patients qui « ont de l’argent ont plus de possibilité de se faire bien soigner » et 74 % d’entre elles estiment que « les innovations et les meilleurs traitements ne sont pas proposés à tous les patients ».
En effet, force est de constater que, aujourd’hui, notre système de santé n’est plus égalitaire et que des millions de personnes en sont progressivement exclues. Trop de personnes renoncent à se faire soigner pour des raisons financières. Ainsi, les dépassements d’honoraires des médecins affectent lourdement les salariés les plus modestes. Cette situation n’est pas tolérable. Nos concitoyens ont le droit de recourir, quelle que soit leur situation sociale, à des soins de qualité.
Un observatoire des dépassements d’honoraires a été mis en place, et le rapport qu’il a publié il y a quelques mois permet de faire le point sur la situation.
Toutefois, les inégalités en matière de santé sont aussi territoriales, car de plus en plus de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales, sont touchés par la désertification médicale. Dans nos territoires ruraux, les difficultés d’accès aux soins sont une réalité quotidienne.
Le regroupement de professionnels médicaux et paramédicaux dans des maisons de santé pluridisciplinaires constitue une réponse précieuse. La loi HPST de 2009, qui autorise les collectivités à prendre en charge les dossiers concernant la santé, est un progrès important, car il permet de développer les maisons de santé, telles que celle que j’ai eu récemment l’honneur d’inaugurer la maison de santé de Loures-Barousse, dans les Hautes-Pyrénées.
S’agissant de ces maisons de santé, il est préférable que le projet immobilier soit conduit par les collectivités territoriales – communautés de communes, communes, voire départements –, afin de favoriser le partage des bâtiments.
Les maisons de santé présentent de nombreux atouts. Elles favorisent le partage du dossier médical et de la patientèle, ainsi qu’un meilleur suivi médical. Avec des médecins et des professionnels paramédicaux ainsi rassemblés, l’offre de soins devient quasi permanente. En outre, ceux-ci, dégagés des problèmes de gestion matérielle, peuvent mettre en place une politique de prévention, essentielle en matière de santé. D’une manière générale, la mutualisation des ressources médicales offre à ces professionnels un certain confort de travail.
Par ailleurs, ces structures sont susceptibles d’attirer les jeunes médecins, dont beaucoup répugnent désormais à s’installer et à exercer seuls dans un cabinet, comme leurs prédécesseurs le faisaient jadis. Du reste, les cabinets individuels sont de plus en plus rares et apparaissent comme relevant d’un modèle quasi dépassé.
Bref, les maisons de santé pluridisciplinaires constituent une réponse précieuse en milieu rural, tant pour les médecins que pour les patients, et participent pleinement à la diversité de notre offre de soins.
Permettez-moi d’évoquer maintenant la question de la féminisation.
La féminisation extrêmement importante de la profession médicale…
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, et Mme Patricia Schillinger. Attention à ce que vous allez dire ! (Sourires.)
Mme Laurence Cohen. Nous veillons ! (Nouveaux sourires.)
M. François Fortassin. … ne nuit certes pas à la qualité – les médecins actuels sont d’ailleurs beaucoup plus performants qu’ils ne l’étaient il y a quarante ans –, mais elle réduit le temps passé auprès des malades. (Plusieurs sénatrices s’exclament sur différentes travées.)
M. Alain Bertrand. Absolument ! Bravo !
M. François Fortassin. Les femmes – et c’est tout à leur honneur ! – ne peuvent pas exercer cette profession avec le même détachement que les hommes, qui peuvent consacrer 100 % de leur temps à la médecine. C’est un fait à prendre en compte.
Au-delà des dispositifs actuellement mis en place au sein des agences sanitaires, il faut envisager, dès l’approbation des traitements, d’associer les patients aux processus de décision via des outils d’évaluation au long cours, afin que les traitements correspondent réellement aux attentes.
Les patients doivent pouvoir évaluer eux-mêmes, en termes d’efficacité et d’impact sur leur qualité de vie, les bénéfices des traitements, afin que les investissements supportés par la collectivité nationale soient pertinents pour les personnes qui vivent au quotidien avec la maladie.
Je souhaite également aborder la question de l’insuffisante formation des médecins généralistes en matière de prise en charge des addictions.
Ainsi, en médecine de ville, les prescripteurs de traitements de substitution aux opiacés sont à 98 % des médecins généralistes. Or trop peu de médecins généralistes ont suivi, au cours de leur formation, un module sur les addictions leur permettant, d’une part, de faire une prévention individuelle ciblée et, d’autre part, d’assurer une prise en charge adéquate de leurs patients.
Madame la secrétaire d'État, il nous semble urgent que le projet de loi de santé prévoit la création de modules d’addictologie obligatoires dans le cadre des cycles universitaires d’études médicales, afin que les médecins généralistes, en particulier dans nos zones rurales, disposent de l’ensemble des outils nécessaires à une prise en charge efficace et sécurisée des patients dépendants.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. François Fortassin. La médecine, qui peut être libérale dans son exercice, doit être soumise à la puissance publique dans son organisation. N’est-ce pas là que le bât blesse ?
Quoi qu’il en soit, demeurons optimistes ! Notre système de santé, s’il n’est pas le meilleur du monde, reste extrêmement performant. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, la Cour des comptes a rendu public son rapport sur les maternités, commandé par notre commission des affaires sociales et dont les conclusions ne sont pas des plus optimistes. La Cour y révèle qu’en dix ans la France est passée du sixième au dix-septième rang européen en matière de mortalité néonatale. Et ce, alors qu’elle se situe au premier rang en taux de fécondité.
Ce classement illustre bien l’utilité du débat qu’a demandé le groupe du RDSE et qu’a ouvert notre excellent collègue Gilbert Barbier. Je tiens d’ailleurs à les remercier d’emblée au nom du groupe UDI-UC.
Ce que l’on observe à l’échelon des maternités se retrouve-t-il à l’échelon de l’ensemble du système de santé ? Voilà la question ! On peut en effet s’inquiéter de voir nos performances de santé se dégrader relativement à celles des autres pays de l’OCDE.
Au demeurant, le thème de ce débat est aussi le reflet de l’image positive que les Français se font de leur système de santé. C’est ainsi que Jean de Kervasdoué, dans son Carnet de santé de la France 2012, se félicitait d’être français après chaque séjour à l’étranger et de « jouir, de ce seul fait, d’un système d’une telle généreuse qualité ».
Toutefois, la France a-t-elle jamais eu le meilleur système de santé au monde ? C’est aussi la question qu’il faut se poser. Dans l’affirmative, est-il vraiment menacé, voire déjà en déclin ?
Comme premier élément de réponse, je dirai que, si l’état de santé des Français continue de s’améliorer, il progresse moins vite que dans plusieurs autres pays. Le problème viendrait donc moins de la dégradation de notre système que de l’amélioration des performances des autres.
De fait, la France demeure bien classée sur un certain nombre d’indicateurs déterminants : elle se classe au neuvième rang des pays occidentaux pour l’espérance de vie et au troisième rang pour la mortalité par crise cardiaque et accident vasculaire.
De plus, on peut noter que certaines des contre-performances françaises n’ont rien à voir avec la qualité du système de santé puisqu’elles sont directement imputables à notre mode de vie. La France demeure, par exemple, au premier rang pour la consommation d’alcool, et le tabagisme progresse fortement, surtout chez les femmes.
Enfin, juger le système de santé français globalement, c’est faire fi des inégalités socioculturelles et territoriales qui le traversent.
Mais l’exercice est tout de même incontournable. Pour l’accomplir plus avant, il convient de se mettre d’accord sur ce qu’est un bon système de santé et, ensuite, de trouver les données comparatives chiffrées les plus précises.
Je crois qu’un système de santé peut être jugé à l’aune de deux critères. Le premier est le service qu’il rend au patient. Le second est son efficience, c’est-à-dire le rapport entre les moyens engagés et les performances.
Toutefois, les données chiffrées font parfois cruellement défaut, surtout pour disposer d’un benchmarking actualisé. C’est, entre autres raisons, pour cela qu’il nous a fallu commander à la Cour des comptes un rapport sur les maternités.
Cela dit, il semblerait que, du point de vue tant de la qualité médicale du service rendu que de son efficience, notre système de santé bénéficie de substantielles marges d’amélioration.
Ainsi, le dernier rapport du Haut Conseil de la santé publique révèle que la mortalité prématurée des hommes, correspondant aux décès avant soixante-cinq ans, est élevée en France. Cette contre-performance, qui classe notre pays au quatorzième rang sur vingt-six pays de l’Union européenne, s’explique par un autre indicateur alarmant : la France se classe défavorablement pour les cancers, en particulier chez les hommes.
La santé au travail pose aussi problème à en juger par notre mauvais classement en ce qui concerne les accidents au travail.
Qu’en est-il de l’efficience du système, autrement dit du rapport entre ses moyens et ses résultats ? C’est bien simple : la France est le pays européen où la part des dépenses de santé dans le PIB est la plus élevée. Celles-ci représentent 11,2 % du PIB, près du double d’un pays comme l’Estonie, qui, il est vrai, se situe à l’autre extrémité du classement.
Le problème, c’est que les moyens ne se retrouvent pas là où on les attendrait. Ainsi, en nombre de lits d’hôpitaux disponibles pour 100 000 personnes, la France ne se situe qu’au huitième rang européen, au dix-septième rang pour ce qui est des IRM, au vingtième rang pour les scanners. Pour ce qui est du nombre de médecins en activité et des vaccinations, elle se situe très légèrement au-dessus de la moyenne européenne.
En revanche, la France demeure bien le premier consommateur européen de médicaments. Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a, de longue date, souligné que le poids du médicament dans le PIB était le plus élevé d’Europe.
Le constat n’est pas nouveau : le système de santé français est, juste derrière celui des États-Unis et des Pays-Bas, le plus cher du monde, sans pour autant que le niveau de santé des Français soit à l’aune de ce coût. En effet, je ne vous l’apprends pas, santé et médecine ne sont pas synonymes.
Si les moyens alloués à la santé sont donc bien en décalage avec les résultats, c’est parce que le système souffre d’un certain nombre de dysfonctionnements, qui sont maintenant bien identifiés et que Gilbert Barbier a soulignés. Les réformes successives ont eu pour objet d’y remédier. Je pense en particulier à la création de l’ONDAM, au passage à la tarification à l’activité, à la loi sur le parcours de soins et à la loi HPST. La création des agences régionales de santé, en particulier, a constitué selon moi une avancée notable dans la coordination des moyens.
Mais beaucoup reste à faire. C’est la raison d’être de la prochaine et tant attendue loi de santé, madame la secrétaire d’État. Aura-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Sans vouloir déflorer le débat qui nous attend, je constate que certains aspects du projet initial sont encourageants. C’est le cas de toutes les mesures qui tendent à décloisonner le système. Ainsi en est-il de la coordination des parcours de soins complexes, de l’instauration d’un document de liaison entre les services de soins en ville et à l’hôpital, et de la relance du dossier médical personnel. Ces initiatives sont de nature à réduire les actes redondants et inutiles, qui représentent 28 % de l’activité, selon la mission de contrôle et d’évaluation des lois de financement de la sécurité sociale du Sénat, soit une vingtaine de milliards d’économies potentielles. Je retrouve d’ailleurs là, exactement, ce que j’avais proposé en tant que rapporteur général de la commission des affaires sociales au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.
S’agissant de l’hôpital, un chantier doit être ouvert d’urgence, qui concerne la carte hospitalière. Le rapport de la Cour des comptes sur les maternités montre bien que sa réforme n’est pas achevée. Il s’agit là d’une question non seulement d’efficience, mais aussi et surtout de sécurité et de qualité du service rendu, car celles-ci tirent aujourd'hui notre système de santé vers le bas.
En matière de médecine ambulatoire, il faut engager une véritable lutte contre la désertification médicale, car les mesures incitatives déjà prises ne l’ont pas fait reculer. Et je n’oublie pas l’accès difficile à certaines spécialités.
Je conclurai en évoquant deux sujets transverses et majeurs : la prévention et la surconsommation de médicaments.
Cela fait maintenant plus de dix ans que la France est censée s’être dotée d’une politique de prévention digne de ce nom. Dans les faits, elle tarde pourtant à faire sentir ses effets. D’où ma question, aussi iconoclaste soit-elle : a-t-on vraiment les moyens de faire de la prévention ou bien celle-ci ne relève-t-elle que d’un vœu pieu ? Il y a au moins un domaine où elle semble possible : celui de l’iatrogénie médicamenteuse.
Cela m’amène au second sujet transverse. Les records que la France bat en matière d’infections iatrogènes sont la conséquence directe de notre culture de la consommation du médicament. Le médicament ne peut plus être considéré comme un produit de consommation courante. La rupture avec cette conception du médicament passe par une éducation du patient et par une rationalisation des prescriptions, voire leur réduction.
Prenons ces directions et peut-être pourrons-nous un jour dire de nouveau que nous avons le meilleur système de santé au monde.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la question que nous nous posons aujourd’hui est claire et directe, reconnaissons que la réponse à y apporter n’est pas aussi simple et facile qu’on pourrait le croire.
Nous partons d’un constat indéniable : la France a eu le meilleur système de santé au monde. L’a-t-elle toujours aujourd’hui ? Selon Roger Salomon, qui préside le Haut Conseil de la santé publique, « en matière de santé, la France est aujourd’hui un pays "moyen", parfois meilleur que certains, mais pas toujours ».
De son côté, dans son édition 2013 du Panorama de la santé, l’OCDE conclut que le système de santé en France demeure globalement performant et efficace. Tout en ayant engagé des efforts de rationalisation, il continue d’assurer l’une des meilleures prises en charge des coûts de la santé parmi les pays de l’OCDE ; toutefois, il faut noter que la pérennité du système pourrait être menacée par un renouvellement insuffisant de la population médicale.
Pour répondre à la question à l’ordre du jour de notre séance, je pense que nous devons faire une analyse à la fois dans le temps et dans l’espace. La recherche de la qualité fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Pour la mesurer, des normes et des référentiels ont été instaurés. Plus aucun domaine professionnel ne semble y échapper. Mais qu’en est-il de la qualité de notre système de santé ? Toutes les études concordent pour montrer que cette qualité laisse à désirer. Sans aller jusqu’à dire que le choix a sciemment été fait de ne pas dépister l’erreur, il faut s’interroger sur la raison de la persistance de telles insuffisances.
Le soin a toujours été en évolution constante. Cependant, il a connu ces dernières années des changements considérables sur les plans tant technico-économique que spirituel et anthropologique. Les progrès techniques et organisationnels récents l’ont rendu vraiment efficace. Initialement d’essence religieuse, le soin ne se réfère plus aujourd’hui à aucune transcendance. La personne bénéficiaire, pour des raisons médicales ou sociales, était considérée il y a peu comme passive et assistée ; elle est maintenant définie par ses droits et convoquée comme acteur principal du processus de soins.
L’hôpital et les établissements de santé doivent faire face aujourd’hui à de nombreuses mutations, avec des incidences incontournables sur les pratiques des professionnels. Si ce phénomène n’est pas nouveau, il s’est considérablement accéléré ces dernières années, suscitant au mieux des interrogations, au pis des inquiétudes et des blocages.
Les établissements de soins ont, pendant les Trente Glorieuses, Gilbert Barbier l’a rappelé tout à l’heure, bénéficié d’un développement continu, accentuant leur modernisation et déployant leur plateau technique sans forcément analyser et prendre en considération ce qui est souvent mis en avant par les patients : techniques de plus en plus sophistiquées et invasives, ressenti de déshumanisation, cloisonnement entre services, repli des établissements sur eux-mêmes, morcellement des tâches dû à l’hyperspécialisation.
Depuis quelques années, les pays européens, pour ne prendre que l’exemple de ce qui nous est proche, se trouvent confrontés à la même problématique : ils doivent garantir une offre de soins de qualité, adaptée aux besoins de la population et accessible à tous, dans un contexte de ressources publiques limitées.
L’Europe est à la croisée des chemins, tout au moins en ce qui concerne la politique de santé, que les gouvernements nationaux tiennent fermement dans leurs mains et souhaitent qu’il en reste ainsi. Cette volonté n’est pas surprenante si l’on sait que la santé absorbe désormais environ 10 % du PIB des pays les plus riches. D’ailleurs, de nombreux changements intervenus ces dix dernières années dans les systèmes de santé se sont concentrés sur le resserrement du contrôle économique plutôt que sur la promotion d’une bonne santé. Les ministères des finances ont une forte – oserai-je dire « trop forte » ? – influence sur la politique de santé.
Les différences d’espérance de vie en Europe montrent cependant l’ampleur des enjeux politiques. Nous avons la science et le savoir pour réduire radicalement ce fossé, mais cet effort exige une volonté politique, une organisation et un financement pour engager des actions décisives.
Ainsi, la philosophie du marché qui est au cœur de l’Union européenne aggrave la situation des pays les plus pauvres, au moins à court terme. Ils perdent leurs professionnels de santé qui migrent vers les pays les plus riches pour occuper des postes mieux payés.
Les interventions en santé les plus efficientes, telles que le changement de style de vie, requièrent des investissements de long terme dans d’autres secteurs économiques que ceux de la santé. L’OCDE attribue d’ailleurs la faible espérance de vie dans les pays les plus pauvres à une mortalité plus élevée due à l’appareil circulatoire ou aux cirrhoses, qui reflète des styles de vie caractérisés par l’abus de tabac et la consommation d’alcool. Il faut y ajouter un taux de suicide masculin très élevé.
Le dilemme politique tient à ce que les dépenses de santé ne baissent pas, quand bien même les investissements pour promouvoir de meilleurs modes de vie réussissent et que les citoyens vivent plus vieux. Il reste toujours d’autres années de vie en bonne santé à gagner et des progrès en qualité de vie que les citoyens en meilleure santé sont en droit d’attendre.
En France, comme dans de nombreux pays européens, dans le domaine de la santé, le marché opère de façon imparfaite. Il est généralement adapté pour assurer l’efficience des services de chirurgie programmée, mais beaucoup moins pour fournir des soins d’urgence ou des soins de longue durée pour des patients chroniques. Cet écart risque d’être encore plus marqué avec les transferts de services publics à des prestataires privés, à but lucratif ou non.
Les coûts à court terme et les gains d’efficience peuvent être équilibrés ou moindres, du fait des difficultés induites pour les hôpitaux du secteur public qui se retrouvent à devoir traiter les cas les plus complexes et les urgences.
Le coût des médicaments, que Jean-Marie Vanlerenberghe a évoqué, reste aussi un sujet clé de discussion, alors que la part des médicaments dans les dépenses de santé continue de croître. Si une réponse a consisté à persuader les prescripteurs de se tourner vers le générique, traditionnellement moins cher, l’industrie pharmaceutique affirme que ses coûts sont élevés du fait d’énormes investissements de développement.
En dépit du manque d’enthousiasme pour une politique de santé radicale, il faudra bien se montrer plus offensif en matière de santé publique, par la promotion de modes de vie plus respectueux de la santé, par la prévention et par la protection de la santé des citoyens.
Pour en revenir plus précisément au système de santé français et à son évolution, il me semble essentiel de noter que, si les Français bénéficient d’une des meilleures couvertures maladie au monde, le monde du soin doit, pour rester performant, s’adapter à la nouvelle donne démographique, technique, économique et même spirituelle. Il doit se situer à l’articulation entre le privé et le public, car il touche à l’intime, mais, en même temps, il est pris en charge par la société. Ce défi concerne ainsi les pouvoirs publics, les médias, les associations et les citoyens que nous sommes tous.
La qualité ne se décrète pas,…
Mme Nicole Bricq. Elle s’évalue, quand même !
M. Alain Milon. … mais elle se mesure – vous le savez bien, madame la secrétaire d’État, puisque vous êtes médecin. Elle est par ailleurs intimement liée à l’évaluation, à toutes les évaluations – celle des outils, celle des traitements et de leur incidence sur l’espérance de vie –, mais la première des évaluations porte d’abord sur les performances des individus et sur celles des structures. C’est d’ailleurs à ce titre que la Haute Autorité de santé avait retenu la mise en œuvre de l’évaluation des pratiques professionnelles, l’EPP, comme un élément majeur de la modernisation du système de santé.
Mes chers collègues, personne n’échappe au débat sur la santé. En France, la maîtrise des coûts du système de santé est désormais un débat récurrent.
La France dépense beaucoup pour sa santé, avec des résultats qui ne sont pas à la hauteur de ces investissements, a-t-on coutume de dire. Le Haut Conseil de la santé publique relativise cette position. Certes, la part du PIB allouée à la santé en France est élevée, proche toutefois de celle de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Belgique, mais un autre classement stigmatise moins notre pays : les dépenses de santé par habitant, exprimées en parité de pouvoir d’achat, situent la France en sixième position, après le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Irlande et l’Allemagne.
Pourtant, comme la majorité des pays de l’OCDE, la France a adopté une politique de limitation des dépenses, en raison du contexte économique difficile que traverse la majorité des pays dans le monde. Cependant, les dépenses de couverture de santé françaises sont toujours parmi les plus élevées proportionnellement au PIB. La France se situe ainsi au troisième rang des dépenses les plus élevées, derrière les États-Unis et les Pays-Bas.
Une étude qui compare notre pays aux autres pays de l’Union européenne quant à l’état de santé de la population et à l’efficacité du système de santé a été réalisée à partir des indicateurs de santé définis par la Commission européenne et destinés à établir une cohérence dans les données statistiques à l’échelle communautaire.
Ces indicateurs sont établis à partir des éléments fournis par les bases de données internationales et celles d’agences spécialisées dans le cas de thématiques spécifiques. Certes, ils sont clairement définis au niveau de la Communauté européenne, mais comme le rappelle le Haut Conseil de la santé publique, les systèmes d’information qui permettent de les renseigner dans chacun des États ne sont qu’en partie harmonisés.
Par ailleurs, une fréquence plus importante de telle ou telle pathologie peut révéler non pas une situation défavorable, mais au contraire une organisation du dépistage de cette pathologie particulièrement efficace ; d’où la prudence et la vigilance dans l’analyse que recommande le Haut Conseil.
Il n’en demeure pas moins que les conclusions qu’en tirent ces sages sont particulièrement intéressantes. Elles peuvent être classées en deux catégories : les atouts, d’une part, et les faiblesses, d’autre part. Vous me permettrez de les rappeler.
Les atouts de la France sont les suivants : l’espérance de vie des Françaises est la plus élevée ; le taux de natalité est excellent ; des progrès constants et importants ont été réalisés en matière de sécurité routière, même si les chiffres de 2014 sont venus relativiser cette performance ; la mortalité cardio-vasculaire est particulièrement basse par rapport aux autres pays de l’OCDE ; enfin, les hospitalisations sont « courtes ».
Pour ce qui est de nos faiblesses, il faut relever une mortalité périnatale très élevée – la commission des affaires sociales s’est penchée sur ce sujet la semaine dernière –, une mortalité prématurée élevée, le problème constant du tabac, de l’alcool et des drogues, le suicide, qui reste un fléau national, et une fréquence élevée des cancers.
Ces atouts et ces faiblesses montrent quelles doivent être les priorités en termes de santé publique, priorités que l’on aimerait voir clairement et explicitement exprimées avec, en regard, des plans d’action cohérents entre eux. Il faut, là aussi, une vision d’ensemble, qui n’existe pas aujourd’hui, dans le fatras des plans, actions et programmes de santé publique déroulés depuis des dizaines d’années par les différents gouvernements – voire par les différents Présidents de la République –, avec bien souvent un souci plus d’affichage que d’efficacité.
Je ne saurais conclure mon propos sans vous rappeler que, dans quelques jours, nous serons amenés à débattre dans cet hémicycle du projet de loi relatif à la santé. Je n’entends pas intervenir dès à présent sur ce texte qui affiche des objectifs très généraux, trop généraux : comment rassembler tous les acteurs concernés dans une stratégie commune, renforcer la prévention et l’efficacité des politiques publiques, et garantir la pérennité du système de santé ? De tels objectifs semblent pouvoir être approuvés par tous.
Cependant, n’oublions pas qu’une loi dont l’ambition est la « refondation » de la politique de santé a des conséquences directes sur son financement, qui est assuré pour les trois quarts par les caisses d’assurance maladie.
Ce texte, qui cristallise les tensions des professionnels de santé – le monde médical n’a pas connu pareille mobilisation depuis 2009 – porte sur une reprise en main par l’État et son administration de la gouvernance de l’ensemble du système de santé, y compris de la médecine de ville et des médecins libéraux.
Il me semble nécessaire, afin de ne pas pénaliser davantage notre système de soins, d’engager une réflexion pour donner aux médecins généralistes, aux médecins traitants et aux soignants toute leur place dans notre système de soins et améliorer le parcours des patients en ville.
Mes chers collègues, pour conclure mon propos, je voudrais citer Frédéric Bizard, qui précisait dans un récent article : « Comme pour les autres pays développés, le modèle de santé français est le reflet de notre histoire. C’est à partir de nos valeurs que notre système s’est construit. Ce socle est incontestablement dominé par la liberté, de laquelle dépend l’égalité. C’est ainsi que chaque citoyen est libre de se soigner ou de ne pas se soigner, sous réserve qu’il n’altère pas la liberté des autres. […] Ainsi chaque citoyen est libre du choix de son médecin, à lui de s’assurer qu’il soit de qualité. Aucun autre pays développé n’offre ce degré de liberté en rapport avec sa santé. »
Tâchons de garder cette liberté ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)