Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l’absence de mes collègues du groupe UMP, retenus par un séminaire de travail dont la tenue ce jour était prévue depuis plusieurs semaines. Leur absence ne témoigne évidemment pas d’un quelconque désintérêt à l’égard du sujet qui nous occupe cet après-midi.
En tant que rapporteur de la commission des affaires économiques, je voudrais dire d’emblée que tout ce qui touche aux négociations commerciales suscite beaucoup d’intérêt et d’espoir, mais aussi d’inquiétude, parfois renforcée par l’ignorance dans laquelle nous sommes quant aux discussions en cours. Cette ignorance entraîne une certaine méfiance, voire de l’hostilité.
Concernant le TTIP, lorsque nous avons appris que des discussions étaient engagées – c’était au milieu de l’année 2013 –, le Sénat s’est tout de suite manifesté, par le biais de sa commission des affaires économiques et de son président de l’époque, Daniel Raoul, que je salue. La proposition de résolution que M. Raoul avait alors rédigée avait, je crois, emporté l’adhésion de l’unanimité des membres de la Haute Assemblée. Il s’agissait d’exprimer deux inquiétudes fortes, à propos des produits d’élevage et de l’exception culturelle.
Ce n’est que l’année dernière que nous avons pris conscience, sinon connaissance, des discussions engagées, à partir de 2009, entre l’Union européenne et le Canada au sujet du CETA. Cet accord n’a guère fait parler de lui, sauf dans les dernières semaines de sa négociation. Daniel Raoul avait eu l’intuition qu’il fallait aller examiner les choses de près sur place, au Canada. Il y a conduit une délégation, à laquelle j’appartenais. En septembre dernier, nous avons ainsi rencontré l’ensemble des parties prenantes, aussi bien au niveau confédéral qu’au niveau provincial. Elles nous ont instruits sur les intentions et les attendus du texte, qui était alors en voie d’achèvement. Nous avons notamment rencontré Pierre Marc Johnson, le négociateur canadien auprès de la Commission européenne.
C’est le 26 septembre dernier que nous avons appris que l’accord final avait été conclu. Le texte, volumineux, fait 1 634 pages, en comptant les annexes, qui ont leur importance. Il est aujourd'hui en cours de traduction, afin d’être porté à la connaissance de l’ensemble des États de l’Union européenne, et sera un jour examiné par le Parlement français.
Je souligne – mais ce débat est déjà dépassé – que le Parlement doit naturellement intervenir dans le processus. Nous avions interrogé le Gouvernement à ce sujet lors d’une séance de questions cribles thématiques. Ses premières réponses – ce n’était pas vous, monsieur le secrétaire d'État, mais l’un de vos collègues, maîtrisant peut-être mal le sujet, qui était au banc du Gouvernement – avaient été imprécises. Cependant, devant l’assurance des parlementaires, ces réponses s’étaient fortifiées vers la fin du débat. Toutes assurances nous avaient été données que le Parlement serait amené à ratifier le CETA le moment venu.
Si nous parlons du CETA en même temps que du TTIP, c’est parce que la question qui se pose est de savoir si l’érable ne va pas cacher la forêt…
M. Daniel Raoul. Joli !
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. … et si le contenu de l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada ne recèle pas un certain nombre de difficultés qui pourraient avoir un retentissement sur les discussions avec les États-Unis.
Pour autant, disons-le, on peut porter sur le CETA un regard globalement positif. Il reconnaît d'abord 173 indications géographiques protégées, ou IGP, dont 42 pour la France : c’est un acquis important. Figure également dans cet accord un assouplissement des règles douanières, qui contribuera certainement à faciliter les échanges. Par ailleurs, il prévoit l’accès des entreprises européennes aux marchés publics canadiens, aussi bien au niveau confédéral qu’au niveau provincial ; ce n’est pas rien, dans la mesure où les appels d’offres portent sur un total de 100 milliards de dollars. Enfin, il comporte des dispositions visant à permettre aux cadres de nos entreprises de se rendre et de séjourner plus facilement au Canada au titre de leurs missions professionnelles.
Devons-nous nous engager dans la voie de la conclusion du TTIP pour asseoir les relations économiques entre l’Union européenne et les États-Unis ? La proposition de résolution déposée par Michel Billout a été examinée par la commission des affaires européennes, qui l’a adoptée à l’unanimité après en avoir modifié le texte. La commission des affaires économiques l’a étudiée à son tour au cours d’une séance particulièrement intéressante, avant de l’adopter elle aussi à l’unanimité. Le texte qui vous est soumis aujourd'hui diffère sur certains points de celui qu’avait initialement présenté M. Billout.
Deux questions importantes, parmi d’autres, ont retenu l’attention de notre collègue et de la Haute Assemblée : la transparence et le règlement des conflits.
S'agissant de la transparence, reconnaissons d'abord que tout ne peut pas être mis sur la table : il va de soi que tous les éléments d’une négociation ne peuvent pas faire l’objet de la plus large publicité. Pour autant, la volonté de transparence s’affiche à tous les niveaux : aux niveaux européen et gouvernemental comme à celui de notre assemblée.
À l’échelon européen, cela a été relevé, sous l’impulsion de Cecilia Malmström, la Commission a publié son mandat de négociation. Son site internet se fait très largement l’écho de tous les travaux en cours et elle est très attentive à ce que la transparence soit totale dans des domaines connexes, par exemple en ce qui concerne les discussions sur les services au sein de l’OMC.
Le Gouvernement a lui aussi pris des initiatives pour assurer la transparence. Monsieur le secrétaire d'État, je salue la création d’un comité stratégique placé sous l’autorité de Laurent Fabius et de vous-même, qui comporte deux collèges représentant respectivement la société civile et les parlementaires. En tant que membre du second de ces collèges, j’ai déjà eu l’occasion de participer aux réunions du comité stratégique, qui nous permettent d’avoir une connaissance étendue des sujets évoqués dans le cadre des négociations.
Monsieur le secrétaire d'État, au travers de cette proposition de résolution, le Sénat demande au Gouvernement de remettre chaque année un rapport au Parlement, afin que ce dernier puisse disposer d’un aperçu synthétique de l’ensemble des discussions menées au cours des douze mois précédents. Le Sénat a en outre décidé de créer un groupe de suivi associant des parlementaires de plusieurs commissions.
Il y a donc davantage de transparence aujourd'hui. À ce propos, j’ai pris note avec beaucoup d’intérêt d’une observation formulée par le négociateur américain, l’ambassadeur Anthony Gardner. Celui-ci a souligné que la transparence pouvait peut-être s’appliquer aussi aux organisations non gouvernementales qui participent aux discussions. Il faudrait savoir quels intérêts elles défendent, pour identifier les éventuels conflits d’intérêts et comprendre les raisons de leur intervention dans le débat. Je fais mienne cette observation, et je pense qu’elle peut être partagée par la totalité des membres de la Haute Assemblée.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce ne serait pas inutile, en effet !
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des affaires européennes, de m’apporter votre soutien.
La seconde question, à savoir celle du règlement des différends, et donc de l’arbitrage, est de loin la plus importante. Il s’agit évidemment d’un sujet sensible, car il y va de la souveraineté nationale. Nous savons, chaque fois que c’est nécessaire, défendre les intérêts supérieurs de notre pays. Nous ne saurions admettre que des politiques auxquelles nous sommes attachés puissent être contrariées par des décisions qui nous seraient d’une certaine façon imposées par des entreprises ou des investisseurs.
Pour autant, il existe aujourd’hui un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, l’ISDS, selon l’acronyme anglais.
Il faut également prendre en compte la situation d’entreprises qui se trouveraient lésées, victimes de discrimination ou dépossédées de leurs biens. Nous n’en sommes plus aux temps où Nasser nationalisait le canal de Suez ou Fidel Castro les casinos de La Havane, mais il y a des formes d’expropriation indirecte.
Aujourd’hui, plusieurs solutions s’offrent à ces entreprises. L’une consiste à se tourner vers la justice de l’État concerné, mais il y a une condition préalable : celui-ci doit être un État de droit. En l’espèce, c’est incontestablement le cas des États-Unis.
Cela dit, il convient de relever une très grande difficulté : la justice américaine exclut tout recours non prévu par le traité tel qu’il aura été ratifié par le Congrès américain. Or il faut savoir que ce dernier, de façon assez constante, élimine toutes les clauses qui permettraient à une entreprise de saisir directement la justice américaine.
Une autre formule consiste à s’appuyer sur un règlement interétatique, tel que celui qui existe au sein de l’OMC. Cependant, comme son nom l’indique, un tel règlement s’applique entre les États : les investisseurs et les entreprises ne se sentent donc pas forcément protégés au mieux.
Finalement, nous en arrivons à la solution de l’arbitrage, telle qu’elle figure aujourd’hui dans le CETA et dans le projet de TTIP.
À ce sujet, il faut dire que les formules proposées sont relativement souples. Il est en effet possible, pour les investisseurs, de recourir à diverses instances, telles que l’organe de règlement des conflits adossé à la Banque mondiale, la Cour internationale d’arbitrage de Paris ou la Cour internationale de justice de La Haye. Cependant, le recours à ce type de procédure inquiète, voire effraie : on a le sentiment qu’il n’est pas forcément favorable aux États, qui ont besoin d’être protégés. Il n’est pas concevable qu’un État soit dépossédé de son pouvoir régalien dans les domaines social, de l’environnement ou de la santé. Une très grande vigilance doit donc être de mise en la matière.
C’est la raison pour laquelle il est apparu aux membres de la commission des affaires économiques, reprenant en l’espèce le texte proposé par la commission des affaires européennes, qu’il était surtout important de bien cerner les conditions du recours à l’arbitrage, ainsi que les modalités de celui-ci.
Monsieur le secrétaire d’État, il y a des points sur lesquels nous attendons du Gouvernement qu’il prenne des positions très fermes et très claires.
Il s’agit d’abord de faire respecter la notion d’expropriation indirecte, en en déterminant bien les contours, de façon à éviter les abus. Certains précédents, qui ont été relevés tout à l’heure, sont assez impressionnants : je pense à Vattenfall, entreprise suédoise qui réclame une indemnité au gouvernement allemand après que celui-ci a décidé l’arrêt des centrales nucléaires, ou bien à Philip Morris, qui a engagé une procédure contre l’Australie et l’Uruguay après la décision de ces deux États de modifier la réglementation sur les paquets de cigarettes.
Ensuite, il faut déterminer de façon très claire les actes autorisés et ceux qui ne le sont pas, de façon à éviter toute interprétation.
Par ailleurs, des dispositifs répressifs contre les recours abusifs doivent être prévus. Un investisseur a parfaitement le droit de saisir un arbitre, mais si ce recours est considéré comme abusif, il est tout à fait normal de faire payer celui qui l’a engagé, sachant que le coût d’une telle procédure est en moyenne d’environ 7 millions d’euros.
En outre, il importe de prévoir une procédure d’appel.
Enfin, il convient d’assurer la plus grande transparence dans l’arbitrage. En particulier, il s’agit de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.
Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les points sur lesquels la commission des affaires économiques, faisant écho à la commission des affaires européennes, vous demande de vous prononcer au nom du Gouvernement.
En conclusion, la commission des affaires économiques estime que les discussions en cours sont non seulement importantes, mais aussi prometteuses. Nous avons adopté une position de sagesse, équilibrée. Nous ne remettons rien en cause, mais nous demandons que les intérêts de notre pays et ceux de nos entreprises soient protégés. Il ne faut pas sous-estimer l’impact positif de ce type de traité. En particulier, nous avons pu vérifier que l’accord conclu avec le Canada est certainement source de bénéfices non seulement financiers, mais également moraux et politiques, eu égard à la qualité des relations actuelles entre l’Union européenne et ce pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures quarante.
Je vous rappelle que se déroulent en ce moment les scrutins pour l'élection d'un membre titulaire et d'un membre suppléant représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Il vous reste donc vingt minutes pour voter.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne et les États-Unis ont engagé, voilà un peu plus d’un an et demi, des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange. Cet accord est destiné – je cite le mandat de négociation – à « libéraliser entre les deux parties les échanges de biens et de services et à prévoir des règles applicables aux questions liées au commerce avec un niveau d’ambition élevé, dépassant celui des engagements pris précédemment dans le cadre de l’OMC ».
La commission des affaires européennes s’était saisie du mandat de négociation sur le rapport de Simon Sutour et avait formulé diverses observations.
La dynamique provoquée par la décision d’engager ces négociations commerciales s’est facilement appuyée sur l’impact positif attendu d’un tel accord en termes de croissance et d’emploi des deux côtés de l’Atlantique. Dieu sait si, aujourd’hui, nous avons besoin d’une telle relance, en particulier les PME, explicitement mentionnées comme cibles prioritaires.
Cependant, dix-neuf mois et sept sessions de négociations plus tard, les choses ont bien peu progressé. Sur le fond, les positions respectives de l’Union européenne et des États-Unis restent très éloignées. Le blocage porte, en particulier, sur des questions lourdes, notamment l’accès des Européens aux marchés publics américains, fédéraux ou subfédéraux, la coopération réglementaire sur les services financiers ou encore le travail de « convergence » réglementaire, élément essentiel de la facilitation des échanges. En outre, je n’aurai garde d’oublier les risques qui peuvent peser sur nos préférences collectives européennes, s’agissant en particulier des questions agricoles, des indications géographiques ou de nos priorités sanitaires et phytosanitaires. Notre collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, a clairement évoqué ce point. Ayant eu l’occasion d’échanger avec M. Pascal Lamy la semaine dernière, je puis dire que nous sommes face à une négociation totalement différente des négociations antérieures, puisque les discussions portent non plus sur des questions tarifaires, de droits de douane, mais sur des questions d’harmonisation et d’homologation de normes, appréhendées de façon très différente de part et d’autre de l’Atlantique.
Les choses ont donc peu avancé sur le fond jusqu’à présent, mais chacun des partenaires, à tous les niveaux, entend vouloir faire de 2015 une année charnière et l’occasion d’un nouveau départ. En effet, une fois passée la reconstitution post-électorale des institutions européennes et clarifié le nouveau paysage politique parlementaire américain, une nouvelle dynamique est possible et nécessaire.
La Commission européenne, la présidence lettone, le président des États-Unis s’accordent en effet avec notre propre gouvernement pour avancer rapidement, voire pour conclure à la fin de cette année l’ambitieux programme commercial que l’Europe et les États-Unis se sont donnés. Le président des États-Unis pourra obtenir du Congrès, pourtant désormais majoritairement républicain, la TPA, la trade promotion authority, ce qui lui permettra d’accélérer la négociation. Cela étant, je ne suis pas aussi optimiste en termes de calendrier : il est fort probable que les négociations durent longtemps, et ce n’est d’ailleurs pas, à mon sens, un drame en soi. Peut-être pouvons-nous inventer une autre approche, puisque nous sommes dans un cadre non plus multilatéral, mais bilatéral, en scindant la négociation en différentes phases, dans la mesure où il y aura des points durs, s’agissant notamment des préférences collectives ?
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’en viens à la proposition de résolution qui nous occupe aujourd’hui. Elle porte sur deux aspects importants de la négociation : d’une part, les modalités de règlement arbitral des litiges entre un investisseur et l’État d’accueil de l’investissement ; d’autre part, la nécessaire transparence que les parlementaires nationaux que nous sommes, mais aussi, au-delà, la société civile et l’opinion elle-même, sont en droit d’attendre. Cette négociation aura à l’évidence une incidence sur notre économie, notre culture industrielle et même sociétale.
L’auteur de cette proposition de résolution, qui en est également le rapporteur devant la commission des affaires européennes, à savoir notre excellent collègue Michel Billout, a très clairement posé les termes du débat. Il a exprimé la légitime préoccupation pouvant résulter de l’expérience d’un certain type d’arbitrage privé entre États et investisseurs et de ses dérives potentielles.
Je ne reviendrai pas sur le détail des interrogations et des préconisations que Michel Billout a formulées à l’instant, le projet de résolution qui vous est soumis les résumant très fidèlement. Je me bornerai, monsieur le secrétaire d’État, à solliciter de votre part, sur ce point, une précision s’agissant de l’accord de libre-échange, dénommé « CETA », conclu il y a peu entre l’Union européenne et le Canada : la réserve d’examen posée par la France sur ce chapitre de l’accord commercial avec le Canada permettra-t-elle d’amender significativement, voire de laisser de côté, le dispositif ISDS qui y figure ?
Ma seconde remarque concernera les aménagements qui pourraient être éventuellement apportés aux actuels dispositifs de règlement des différends État-investisseur, à savoir la mise en place d’un mécanisme d’appel et/ou l’implication des tribunaux nationaux. Pourtant, ces éléments figurent déjà dans la partie du mandat de négociation concernant la protection des investissements : « Il conviendra d’envisager la création d’un mécanisme d’appel applicable au règlement des différends entre les investisseurs et l’État au titre de l’accord, et d’étudier la relation qu’il convient d’établir entre le RDIE et les voies de recours internes. »
Je me joins donc, monsieur le secrétaire d’État, à Michel Billout pour vous demander ce que vous souhaiteriez que la Commission propose au sujet du règlement des litiges entre un État et un investisseur, sachant que les résultats de l’enquête conduite par la Commission européenne sont très négatifs, comme cela a été rappelé.
Permettez-moi une observation incidente sur la consultation directe de la société civile sur l’ISDS engagée l’an passé par la Commission européenne : le principe en est salutaire et légitime, mais il semble, en l’espèce, que le procédé de réponses prédéfinies via des plateformes en ligne peut amener à s’interroger sur des détournements susceptibles de fragiliser une démarche participative pourtant essentielle dans le fonctionnement de l’Union européenne.
J’en reviens à l’arbitrage privé des différends entre État et investisseur. Interrogé récemment sur le sujet, M. Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a une approche plus qu’ambiguë. Il estime, d’une part, qu’un tel dispositif pourrait être utile dans le cadre du TTIP et qu’il ne faut pas le rejeter d’emblée, car il pourrait s’avérer bénéfique pour les citoyens européens. Il reconnaît cependant, d’autre part, que l’ISDS ne constitue pas une nécessité absolue, en particulier si sa mise en œuvre conduit à ne pas respecter les droits des citoyens.
M. Timmermans sera à Paris le 17 février prochain. J’invite les membres de la commission des affaires européennes à participer à son audition, qui aura lieu à l’Assemblée nationale. Nous pourrons lui poser de nouveau cette question, pour savoir quelle est véritablement sa position, compte tenu de l’évolution des discussions sur ce sujet précis et des propos du président Juncker que nous a rapportés notre collègue Billout. Il serait souhaitable que nous puissions connaître l’évolution de la position de la Commission européenne sur ce point.
Je terminerai, mes chers collègues, en évoquant le second objet de cette proposition de résolution, à savoir la transparence des négociations en cours.
Ma première observation aura trait au comité de suivi stratégique que vous avez mis en place, monsieur le secrétaire d’État, pour associer au suivi des négociations membres de la société civile, ONG, associations et, bien évidemment, parlementaires. Nous vous savons gré d’avoir engagé cette démarche qui répond à l’importance de l’enjeu. J’ai la conviction que, dans ces domaines, l’ignorance est la pire conseillère, quand l’ouverture et la transparence sont les alliées du progrès. Notre assemblée va d’ailleurs faire écho à cette initiative, puisque la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes ont créé un groupe de suivi conjoint des négociations, ce dont je me réjouis grandement. Monsieur le secrétaire d’État, je sais votre disponibilité pour travailler avec ce groupe de suivi : nous vous en sommes par avance reconnaissants.
Ma seconde observation concernera ce qui constitue, à mes yeux, l’un des aspects éminents de la transparence, à savoir l’implication souhaitable des parlements nationaux lors de la phase de ratification de l’accord. Une telle implication dépend du caractère mixte de ce dernier, caractère sur lequel, semble-t-il, le doute ne serait pas totalement levé. Nous espérons, pour notre part, que le doute sur ce point n’a pas lieu d’être. Mme Pellerin, alors ministre chargée du commerce extérieur, avait indiqué devant l’Assemblée nationale, le 22 mai 2014, que le caractère mixte du TTIP « est du reste écrit dans les décisions du Conseil et c’est ce qui a permis l’adoption à l’unanimité de ce mandat. Ce caractère mixte a été une condition de l’adoption de ce mandat, et il n’y a aucun doute sur le fait que cet accord est mixte. » Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter quelques assurances sur ce point ? En effet, nous entendons encore s’exprimer des inquiétudes ici ou là, émanant notamment des milieux socioprofessionnels.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution représente la première manifestation concrète, équilibrée et argumentée de cette attention inquiète que les parlementaires, comme une partie de l’opinion, portent au projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis.
Cette inquiétude ne doit pas occulter les potentialités réelles de cet accord, rappelées par Jean-Claude Lenoir, qu’il s’agisse de la croissance ou des emplois attendus de sa mise en œuvre. La vigilance des États membres, des gouvernements et des parlements nationaux aura à s’exercer, en concertation étroite avec la Commission européenne, qui seule négocie. En particulier, plus la transparence deviendra la règle pour la Commission, plus la confiance de l’opinion pourra se renforcer.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter la proposition de résolution qui vous est soumise, car elle va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, monsieur l’auteur de la proposition de résolution, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de m’associer pleinement à l’hommage qui a été rendu à votre collègue Jean-Yves Dusserre par M. le président du Sénat et par M. Jean-Marie Le Guen, qui représentait le Gouvernement en cette occasion. J’ai tenu à être présent aux côtés de M. Le Guen avant l’ouverture de ce débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer le travail que vous avez réalisé, au sein de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, pour la production de cette proposition de résolution européenne. Plus que jamais, il est indispensable que les parlementaires se saisissent des questions que soulèvent les négociations commerciales internationales dans lesquelles la France est engagée.
En effet, ces questions sont éminemment politiques et appellent des réponses politiques. J’observe d’ailleurs que l’intérêt qu’elles suscitent dépasse largement les clivages partisans, même si les réponses apportées ne sont pas toujours semblables, et je me réjouis que tous les groupes politiques se soient emparés du sujet.
Permettez-moi de présenter brièvement l’état de la situation. Des négociations commerciales majeures ont été engagées avec nos partenaires et amis nord-américains, le Canada et les États-Unis. Elles sont inédites, notamment en raison de l’ampleur du marché que créerait leur aboutissement : la zone qu’elles concernent potentiellement rassemble plus de 800 millions d’habitants et représente plus d’un tiers des flux commerciaux mondiaux. C’est, virtuellement, le premier marché du monde.
Nos interlocuteurs canadiens, d’une part, et états-uniens, d’autre part, sont des partenaires commerciaux de premier rang pour notre pays. Nos économies sont étroitement liées aujourd’hui déjà, mais les systèmes juridiques de ces pays, fondés en partie sur la common law, sont très différents des nôtres. Pour toutes ces raisons, les enjeux sont considérables.
Stratégiquement, il s’agit de s’assurer que l’Europe pourra à l’avenir, comme aujourd’hui, tenir son rang, défendre ses valeurs et ses intérêts dans la définition des normes mondiales. Être écartés des lieux de décision en matière de fixation de normes nous condamnerait, à terme, à subir, directement ou indirectement, les normes élaborées et voulues par d’autres, ce que nous ne pouvons pas accepter.
Économiquement, ces négociations n’ont de sens que si elles aboutissent à des accords équilibrés, ambitieux, efficaces, favorables à la croissance et à l’emploi.
Enfin, en ce qui concerne l’état d’avancement des négociations, les négociations avec le Canada ont été conclues officiellement le 26 septembre 2014, à l’occasion du sommet Union européenne-Canada. Cet accord est entré dans une phase de « toilettage » technique et juridique, avant de pouvoir être soumis à ratification. Permettez-moi d’insister sur ce point : tant que le texte consolidé n’aura pas été ratifié, les choses ne sont pas figées.