M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à souhaiter un prompt rétablissement à Mme la ministre des outre-mer.
Depuis 2012, le Président de la République et le Gouvernement n’ont eu de cesse d’adresser aux Ultramarins ce message fort : la République ne les a pas oubliés.
Après plusieurs années marquées par une diminution des crédits, l’effort financier consacré aux outre-mer a progressé entre 2012 et 2015, si l’on tient compte des dépenses budgétaires et fiscales, de 1,7 milliard d’euros, soit 10,36% !
Malgré un contexte économique défavorable, cette évolution conséquente illustre bien la volonté du Gouvernement de tenir les engagements du Président de la République envers des territoires où les besoins sont immenses, notamment en matière d’emploi, de logement, d’éducation et d’investissements nécessaires au développement.
Le Gouvernement a également marqué sa mobilisation à travers plusieurs lois symboliques destinées, entre autres choses, à trouver une solution à la crise qui a frappé les Antilles en 2009, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie en 2011, et donné lieu à des manifestations sans précédent contre la vie chère.
La spécificité des économies ultramarines rendait nécessaire l’adaptation de la réglementation de la concurrence à la réalité des outre-mer.
La loi relative à la régulation économique outre-mer, promulguée en novembre 2012, a prévu les outils pour corriger les situations de monopole ou d’oligopole et pour renforcer la transparence des prix.
Un certain nombre de dispositifs comme la défiscalisation, la surrémunération des fonctionnaires, ou encore la signature des plans « logement outre-mer » ou « Mayotte 2025 » sont venus appuyer cette impulsion positive.
Très récemment, le Président de la République a chargé Victorin Lurel de travailler sur l’égalité réelle économique entre les outre-mer et l’Hexagone. Son rapport, très attendu, devrait être remis à l’automne.
À titre personnel, je voudrais saluer les nombreux engagements que le Premier ministre, M. Manuel Valls, a annoncés pour le département de Mayotte lors de son déplacement des 12 et 13 juin 2015 : je pense notamment à l’arrivée d’un peloton de gendarmerie supplémentaire dès le mois d’août pour faire face à l’insécurité, à l’affectation de quarante-quatre agents de la police de l’air et des frontières en septembre pour lutter contre l’immigration clandestine, ou encore à la mise en place à partir de juin 2016 de liaisons directes entre Paris et Mayotte pour favoriser le tourisme et désenclaver l’île.
Aujourd’hui, le Gouvernement poursuit cette démarche en faveur de nos territoires en nous présentant pour examen le projet de loi de modernisation du droit outre-mer.
Ce texte contient des mesures relatives au développement économique et social, aux transports, à l’aménagement du territoire, mais aussi à la fonction publique et aux collectivités territoriales, ainsi que des mesures en matière de sécurité intérieure et de sûreté aérienne. Il procède également à des mises à jour pour tenir compte des évolutions statutaires de plusieurs collectivités d’outre-mer.
Le caractère hétéroclite, composite, ou encore disparate des dispositions contenues dans ce texte, caractère que vous dénoncez, monsieur le rapporteur, est cependant à l’image des douze territoires d’outre-mer que compte la France.
En effet, avec des statuts institutionnels qui sont très souvent des modèles uniques en leur genre, et des spécificités géographiques, climatiques, historiques, sociales et économiques aussi diverses, comment pouvait-il en être autrement? C’est d’ailleurs pour tenir compte de la singularité de ces territoires que le ministère de l’outre-mer est devenu, le 16 mai 2012, le ministère « des » outre-mer.
Il est néanmoins regrettable que le ministère des outre-mer ne soit pas davantage associé en amont à la rédaction des projets de loi. Cela permettrait de ne pas recourir aussi souvent aux ordonnances et donnerait au Parlement les moyens de se prononcer sur les extensions et les adaptations de la législation outre-mer prévues pour chaque projet de loi.
Malgré ce bémol, le projet de loi répond à des demandes fortes émanant de ces territoires lointains.
Il prévoit notamment l’extension du bouclier qualité-prix et la création d’un observatoire des prix à Saint-Martin.
Il tend aussi à faciliter l’accès des agents non titulaires de Wallis-et-Futuna aux trois fonctions publiques, ainsi qu’à favoriser la titularisation des agents contractuels des communes polynésiennes et la mobilité vers les trois fonctions publiques des agents territoriaux.
Si ce texte va dans le bon sens, les dispositions qu’il contient pour répondre aux enjeux auxquels les outre-mer sont confrontés ne sont néanmoins pas exhaustives. L’intitulé du texte permettant de faire figurer dans ce dernier des mesures concernant des sujets très différents, nous n’avons pas manqué une telle occasion !
Mes collègues interviendront pour vous présenter des amendements relatifs à leurs départements. Je voudrais pour ma part, et sans entrer dans les détails, évoquer rapidement ceux qui concernent l’île de Mayotte.
Je suis tout d’abord heureux que la commission des lois ait adopté mon amendement visant à rendre obligatoire la création d’établissements publics d’État compétents en matière de portage foncier et d’aménagement en Guyane et à Mayotte. Suffisamment d’études et de discussions ont souligné les difficultés rencontrées par ces deux départements en la matière et ont examiné quelle était la solution la plus adaptée pour y remédier pour que nous puissions maintenant considérer que le temps est non plus à l’incantation, mais à l’action.
Par ailleurs, il m’est apparu important de prévoir le règlement de la situation des agents publics mahorais qui aspirent légitimement à l’égalité républicaine. Je pense aux 3 600 agents et ouvriers territoriaux de Mayotte et aux surveillants pénitentiaires qui n’ont pas le droit à une revalorisation de carrière alors même qu’ils contribuent à assurer le service public à Mayotte depuis de longues années.
Il m’a également semblé indispensable de permettre la mise en place à Mayotte, département fortement touché par le chômage, de leviers existants en métropole de nature à favoriser l’emploi. Le travail intérimaire et l’économie sociale et solidaire constituent à cet égard des outils précieux.
Enfin, je vous proposerai – il s’agit là sans doute d’une déformation professionnelle – d’adopter un amendement visant à assouplir la procédure des requêtes en nullité devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, compétente pour Mayotte.
Au cours de l’examen de ce texte, je reviendrai plus précisément sur ces amendements, et j’espère, mes chers collègues, qu’ils recueilleront votre approbation, ou tout du moins qu’ils susciteront un débat constructif.
En conclusion, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui marque une fois de plus l’engagement pris par le Gouvernement de soutenir les outre-mer et l’intérêt que ce dernier porte aux difficultés qu’ils connaissent. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le droit de l’outre-mer se caractérise par de nombreuses et parfois originales dérogations au droit commun. Il est largement conditionné par l’héritage historique, notamment par le passé colonial, et par l’éloignement géographique des collectivités qu’il régit.
Ce projet de loi a pour objectif de moderniser le droit de l’outre-mer. Le groupe écologiste s’en félicite, tant cela était devenu nécessaire sur certains plans pour lesquels la législation en vigueur ne répondait plus, ou en tout cas plus totalement, aux enjeux auxquels ces collectivités sont confrontées.
Nous avons ainsi l’occasion avec ce texte d’examiner des mesures spécifiques à certaines collectivités d’outre-mer et d’autres plus générales. Ces mesures portent sur des domaines aussi différents que le développement économique et social, les transports, la lutte contre la vie chère, la sécurité, l’aménagement du territoire, la fonction publique ou encore les jeux de hasard et les collectivités territoriales.
Certains de mes collègues ont regretté le caractère composite de ce projet de loi. Je préfère m’y résoudre, car j’estime que ce type de texte, qui embrasse des sujets aussi variés, est parfois nécessaire.
Cela ne nous exonère cependant pas d’examiner avec attention chacune des dispositions proposées. Beaucoup étaient attendues et sont, semble-t-il, très consensuelles. J’imagine qu’elles ne poseront aucun problème dans cet hémicycle.
L’article 1er vise, par exemple, à étendre à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin certains dispositifs de lutte contre la vie chère, comme l’observatoire des marges, des prix et des revenus. Cela a donné l’occasion à M. le rapporteur de rappeler le bilan positif de cette mesure que nous avions adoptée en 2012, en précisant qu’ils ont « favorisé la prise de conscience de certains abus » et ont « donné aux pouvoirs publics des éléments permettant de mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles ».
Monsieur le secrétaire d’État, j’en profite pour vous demander si vous pouvez nous confirmer que tout est en place et s’il existe une évaluation régulière de ce dispositif sur l’ensemble des territoires.
Je peux faire le même type de remarques et poser les mêmes questions sur le bouclier qualité-prix, issu du même projet de loi de lutte contre la vie chère, que le Gouvernement décide aujourd’hui d’appliquer également à Saint Martin.
D’autres dispositions visent à prendre en compte l’arrivée à échéance de certaines mesures, comme l’article 8 qui tend à une nouvelle prorogation des agences de la zone des cinquante pas géométriques, et ce jusqu’au 31 décembre 2018. Cette prorogation ne doit cependant pas nous empêcher de nous interroger sur les raisons qui ont amené à ce que ces agences restent indispensables, quatre ans après la fin de la durée de vie de quinze ans qui leur avait été initialement conférée, et sur les moyens d’éviter qu’une nouvelle prorogation doive à nouveau être votée en 2018.
Enfin, d’autres dispositions visent à remédier à des dysfonctionnements. C’est le cas par exemple de l’article 2, qui prévoit un changement de statut de l’agence de l’outre-mer pour la mobilité, à laquelle s’appliquent pour l’instant les règles de droit privé, ce qui se révèle problématique sur le plan comptable.
Je note d’ailleurs que cet article, comme d’autres, suit les préconisations d’un rapport parlementaire, en l’occurrence celui de Georges Patient et d’Éric Doligé intitulé L’agence de l’outre-mer pour la mobilité : un pilotage à l’aveugle. Je salue le fait que le Gouvernement sache, autant que possible, se montrer à l’écoute du travail de la représentation nationale.
Parallèlement à tous ces points d’accord, l’article 16 relatif à l’extension dans les terres australes et antarctiques françaises de dispositifs de prévention et de lutte contre le terrorisme nous pose toutefois une difficulté. Il s’agit en effet d’un amendement de coordination avec le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, contre lequel notre groupe s’était prononcé au Sénat en novembre dernier. Par souci de cohérence, nous voterons donc contre cet article 16.
Enfin – le sujet n’est pas abordé ici, mais ce projet de loi est l’occasion pour moi de l’évoquer –, le 4 juin 2013 était définitivement adoptée la loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer. Il était principalement question des teneurs en sucre et des dates limites de consommation des produits vendus sur ces territoires, sujet important sur le plan de la santé publique. Je profite donc de l’occasion pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, où nous en sommes de sa mise en œuvre et de ses conséquences sur le terrain.
Mme la ministre des outre-mer m’a récemment fait parvenir quelques précisions. Un groupe de travail interministériel a préparé un projet d’arrêté concernant les teneurs en sucre ; un avis scientifique et technique a été demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, afin d’éclairer les pouvoirs publics sur les denrées qui contiennent l’apport en sucre le plus important. Cet avis a été remis le 8 juillet 2014, et nous n’avons pas dépassé la phase de concertation. Le texte pourrait peut-être paraître fin 2015. Pouvez-vous nous le confirmer, monsieur le secrétaire d’État ? Je rappelle qu’il s’agit d’une loi qui a été votée en juin 2013.
Au-delà de la publication du décret puis de sa mise en application, quelles mesures seront mises en œuvre pour établir une évaluation régulière de son application sur tous les territoires ? Encore une fois, il est urgent de mettre en œuvre ces mesures alors que, parallèlement à cela, lors de l’examen du projet de loi de santé, nous allons engager des mesures importantes, notamment dans la lutte contre des épidémies telles que l’obésité et le diabète. (MM. Serge Larcher, Thani Mohamed Soilihi et Guillaume Arnell applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser à mon tour mes vœux de prompt rétablissement à Mme la ministre des outre-mer.
L’examen de ce projet de loi intervient dans le contexte un peu particulier d’un heureux regain d’intérêt pour nos outre-mer.
Ce regain s’est traduit par les récents déplacements du Président de la République aux Antilles et du Premier ministre à La Réunion et à Mayotte, avant un voyage en Nouvelle-Calédonie à la fin de l’année.
Ces voyages ont été l’occasion pour le chef de l’État et le Premier ministre de rappeler la grande ambition qu’ils affichent pour ces territoires, de réaffirmer leur ancrage dans la République et de souligner leurs multiples apports dans le respect de leurs spécificités.
Mais ce fut aussi pour eux l’occasion d’être confrontés aux fortes attentes sur l’emploi, le développement économique, l’égalité et la cohésion sociale, mais aussi en matière de logement, de santé, d’éducation et de sécurité qu’expriment nos compatriotes d’outre-mer et leurs élus.
C’est pourquoi – je vous le dis avec franchise, monsieur le ministre –, de prime abord, on ne peut qu’être déçu par le peu d’ambition de votre texte.
Certes, il est expliqué dans l’exposé des motifs que le Gouvernement a déjà pris, ou va prendre, des mesures législatives importantes pour ces collectivités.
Ce fut le cas avec la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, bien que celle-ci ait très imparfaitement répondu aux graves désordres dus à la vie chère qu’avaient connus la Martinique et, surtout, la Guadeloupe. Et ce sera le cas avec le projet de révision de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, dont nous discuterons lundi, et qui revêt évidemment une grande importance pour ce territoire.
Mais le texte qui nous occupe aujourd’hui fait partie de ces projets de loi « fourre-tout », qui procèdent par pointillisme en se bornant à des mesures particulières à telle ou telle collectivité. En réalité, comme l’a relevé M. le rapporteur, notre collègue Jean-Jacques Hyest, ce projet de loi manque de cohérence. Il est par nature disparate et, sur certains aspects, inabouti.
Le Gouvernement semble en avoir pris conscience, puisqu’il a déposé un nombre conséquent d’amendements en commission.
Il n’en reste pas moins que, sous couvert de modernisation du droit, qui est une notion bien large, le Gouvernement se contente le plus souvent de proroger des dispositifs transitoires et de prévoir l’adaptation de certaines dispositions à des collectivités régies par le principe de spécialité législative.
Cela étant dit, je comprends que ce texte doit être pris pour ce qu’il est et qu’il n’a pas vocation à être une loi-cadre pour l’outre-mer.
Un certain nombre de dispositions marquent des avancées qui sont loin d’être négligeables. Je n’en relèverai que quelques-unes. Je pense notamment au changement de statut de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, qui devient un établissement public administratif. Cette évolution permettra certainement plus de rigueur et de transparence et garantira la pérennité des actions de l’agence.
Toutefois, si ce changement de statut, qui répond à une recommandation de la Cour des comptes, peut contribuer à améliorer les services rendus aux populations concernées, il ne réglera pas, sur le fond, la question des ressources insuffisantes de cet organisme.
La création d’établissements publics fonciers d’aménagement est également une mesure positive qui marque une réelle volonté de l’État de garder la main, dans ces départements, sur un secteur où l’initiative privée va rarement dans le sens de l’intérêt général.
La prolongation, pour trois ans, des agences de la zone des cinquante pas géométriques marque, là aussi, la volonté de l’État de poursuivre des missions inachevées en matière de protection, de mise en valeur et d’aménagement de ces zones en faveur du logement.
L’accès des agents de Wallis-et-Futuna non titulaires aux trois fonctions publiques et les possibilités de titularisation et de mobilité des agents des communes de Polynésie française vers les fonctions publiques constituent d’importantes mesures d’égalité citoyenne en faveur de nos concitoyens d’outre-mer. Nous les approuvons donc volontiers.
En revanche, vous connaissez nos réticences à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Je partage donc l’opinion de M. le rapporteur, qui considère que la réponse aux difficultés du Gouvernement à publier des ordonnances déjà sollicitées pour adapter le droit aux spécificités ultramarines ne peut consister à allonger perpétuellement les délais d’habilitation. Il est effectivement absolument nécessaire que le Gouvernement engage une réflexion sur ses méthodes de travail pour élaborer et pour coordonner les ordonnances relatives aux outre-mer.
C’est pourquoi, en commission des lois, mes collègues du groupe CRC ont voté la réduction de la durée des habilitations et la suppression de l’habilitation sur le droit du travail, l’emploi et la formation professionnelle à Mayotte, dont l’objet est d’ailleurs trop étendu.
Il faut aussi comprendre ce vote comme un appel au Gouvernement à faire preuve de plus de rigueur et de détermination dans la mise en œuvre des politiques publiques en faveur de nos collectivités d’outre-mer.
Au total, monsieur le secrétaire d’État, bien que de nombreuses mesures de ce texte ne soient pas de nature à modifier fondamentalement les difficiles situations que connaissent les outre-mer, nous n’en sous-estimons pas pour autant la portée.
Le groupe communiste, républicain et citoyen votera donc ce projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer.
J’ajoute toutefois, en conclusion, que nous souhaitons fortement que le texte sur l’égalité réelle, que l’on nous annonce, soit à la hauteur des enjeux et qu’il permette enfin ce rattrapage économique et social si attendu par nos compatriotes d’outre-mer. (MM. Thani Mohamed Soilihi et Robert Laufoaulu applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’adresse à mon tour mes vœux de prompt rétablissement à Mme la ministre des outre-mer.
Permettez-moi tout d’abord d’exprimer ma satisfaction concernant l’initiative de ce projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer. Les enjeux spécifiques à la législation en vigueur dans les territoires ultramarins méritent en effet toute notre attention, et je suis heureux de contribuer à une meilleure applicabilité du droit aux problématiques locales. En effet, cet effort d’adaptation me semble encore aujourd’hui perfectible, et vous en avez fait mention, monsieur le rapporteur, s’agissant de la prorogation des dispositifs transitoires. Peut-être faut-il toutefois prévoir une exception pour l’Agence des cinquante pas géométriques, car il est nécessaire de régler définitivement le problème de l’occupation sans titre du domaine public.
Ce texte touche à de nombreuses matières rassemblées en cinq grandes thématiques : l’économie, la maîtrise et l’aménagement foncier, la fonction publique, les collectivités locales, la sûreté et la sécurité.
Je souhaite aborder plus particulièrement les mesures concernant l’île de Saint-Martin, collectivité dont je suis le représentant parlementaire. Comme vous le savez, cette île était auparavant rattachée, comme Saint-Barthélemy, au département de la Guadeloupe. La réforme de son statut en 2007 l’a érigée en collectivité d’outre-mer, lui conférant ainsi une plus large autonomie dans ses moyens d’action. Par ailleurs, l’île de Saint-Martin est partagée entre cette partie française et la partie néerlandaise, situation unique en outre-mer. Pour Saint-Martin, comme pour les autres collectivités d’outre-mer, il est crucial que le droit applicable puisse tenir compte des évolutions statutaires adoptées ces dernières années.
Les premières mesures sont d’abord d’ordre économique. Elles prévoient d’étendre à Saint-Martin et, dans une moindre mesure, à Saint-Barthélemy les dispositifs créés par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Ainsi, il est proposé de créer, à l’instar des dispositifs existants dans les départements et régions de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de la Réunion, ainsi qu’à Mayotte, un observatoire des prix, des marges et des revenus composé des représentants de l’État et de la société civile. Il prévoit également d’instaurer outre-mer un bouclier qualité-prix, c’est-à-dire un accord pris sur l’initiative du préfet afin de modérer les prix de certains produits.
Ces deux nouveaux dispositifs visent à lutter contre la vie chère, un fléau bien connu en outre-mer, qui touche particulièrement la collectivité que je représente. Le bouclier qualité-prix a démontré son efficacité dans les régions où il a été mis en place, entraînant parfois jusqu’à 11 % de baisse des prix. C’est donc d’un œil favorable que j’accueille sa création à Saint-Martin.
Le second type de mesures spécifiques se trouve dans le domaine social. L’article 4 du projet de loi facilite l’application à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy du code de la sécurité sociale. Une telle mesure est bienvenue depuis 2007, année au cours de laquelle ces deux collectivités se sont détachées statutairement de la Guadeloupe.
J’en viens maintenant à la réforme de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, dite LADOM, qui concerne un certain nombre de nos départements, régions et collectivités. La transformation en établissement public administratif de LADOM, société d’État depuis l’après-guerre, est une réponse aux dérives constatées dans la gestion de cette institution. Cette évolution me paraît plus que nécessaire, même si je tiens également à relayer les remarques faites par certains sur la faiblesse des ressources consacrées à sa mission.
Toutefois, le changement de statut peut entraîner des difficultés, en créant en particulier des rigidités administratives. Le rôle de LADOM est d’offrir des facilités financières aux jeunes d’outre-mer souhaitant se rendre en métropole, en particulier pour poursuivre des études. Il s’agit généralement de montants limités, mais qui doivent pouvoir être débloqués rapidement et par des procédures administratives simples. LADOM assure ainsi une mission importante : la continuité territoriale entre l’outre-mer et la métropole. Veillons donc, monsieur le secrétaire d’État, à ce que son changement de statut ne pénalise pas les individus qu’elle est censée aider.
Enfin, il est important de marquer une distinction entre LADOM et le fonds de continuité territoriale.
Dans certaines collectivités d’outre-mer, ce fonds est géré par LADOM, dans d’autres non. La commission des lois de la Haute Assemblée, par le biais d’un amendement de son rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, a renvoyé à un décret en Conseil d’État la décision de mentionner les collectivités où LADOM est compétente.
En conclusion, mes chers collègues, je tiens à saluer de nouveau le travail réalisé par Mme la ministre, mais également par la commission des lois et son rapporteur, un travail qui permettra d’adapter les dispositifs existant en outre-mer.
Comme l’ensemble des membres du RDSE, je voterai donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Robert Laufoaulu applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui.
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous saluer comme nous le faisons en Polynésie française, mon si beau pays : Iaorana, Manava e Maeva !
Depuis près de trois années, les questions ultramarines sont devenues une préoccupation régulière du Parlement en général et du Sénat en particulier. Ainsi, après la loi de 2012 relative à la régulation économique et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer et le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relatif à l'octroi de mer, adopté définitivement le 18 juin dernier, le présent projet de loi n’ambitionne rien de moins que de moderniser le droit de l’outre-mer.
L’intention est louable, monsieur le secrétaire d’État. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle, élus de l’outre-mer, à mesurer combien il est parfois difficile d’appliquer le droit produit en métropole. Nous mesurons également combien il est complexe de faire évoluer des régimes juridiques parfois archaïques qui pénalisent nos concitoyens ultramarins.
Aussi, il est regrettable que nous ayons à examiner un catalogue de mesures, certes utiles prises individuellement, mais dont l’ensemble paraît dénué de vision et de projet pour les outre-mer. C’est d’autant plus regrettable que nous voici face à un texte unique dont la vocation est de répondre à des problèmes qui se conjuguent différemment selon la collectivité concernée.
Je partage donc clairement l’analyse de M. le rapporteur. Ce texte ne modernise pas suffisamment le droit ultramarin ; il a, avant toute chose, vocation à aménager certains dispositifs ou à proroger quelques mesures transitoires. De ce point de vue, ce projet de loi arrive à point nommé.
En revanche, la méthode utilisée est tout de même un peu regrettable. Nous savons tous qu’il ne faut pas voter des textes inapplicables sur le terrain et qu’il ne faut pas non plus voter des textes qui ne sont pas assortis de mesures concrètes d’exécution.
Sur le fond, toutefois, le groupe UDI-UC n’a pas de réserves majeures quant au contenu effectif du projet de loi, sauf sur quelques articles relatifs à la Polynésie française au sujet desquels je souhaiterais apporter mon éclairage.
Concernant l’article 11 et la question du statut des agents communaux de Polynésie française, nous faisons clairement face à un problème de délais d’exécution.
Depuis 1971, les agents communaux étaient soumis au droit privé. Alors que, en métropole, la question a été réglée dès 1996 par le Tribunal des conflits au profit du statut de droit public, en Polynésie française, il a fallu attendre une ordonnance de 2005 pour parvenir au même résultat, c’est-à-dire pour que soit créée la fonction publique communale polynésienne.
L’ordonnance prévoyait un délai de trois ans pour parachever l’intégration des personnels dans la fonction publique. En raison non seulement des difficultés techniques liées au passage d’un statut à l’autre, mais aussi du retard pris par l’État pour publier les décrets d’application, le délai a été prorogé à six ans en 2007, puis ramené à trois ans en 2011. Bref, l’instabilité en la matière est totale, et, le 12 juillet prochain, le délai d’intégration sera forclos. Or, sur les 4 620 agents concernés, seul un millier a pu être intégré. Au total, les trois quarts des personnels risquent de ne pas pouvoir bénéficier de leur droit à l’intégration pour des problèmes techniques liés avant toute chose à l’instabilité des textes votés à Paris. Derrière un problème global de méthodologie, il y a des réalités concrètes sur le terrain. J’aurai l’occasion de présenter un amendement sur ce sujet afin de concourir à l’amélioration du texte en accordant un délai de trois années supplémentaires pour achever l’intégration des professionnels.
Concernant l’article 15, nous pouvons y lire un témoignage supplémentaire de l’inadaptation du droit national à certaines réalités propres à la Polynésie française.
Avant la loi électorale de 2013, au sein des communes, les maires délégués des communes associées étaient élus au scrutin majoritaire parmi les membres de leur section électorale ; cela n’a jamais posé problème, et nous n’avons jamais souhaité l’évolution du droit en ce domaine. Nous sommes cependant passés en 2013 à un système de représentation proportionnelle qui n’est pas compatible avec la spécificité des communes associées. En effet, dans ce système proportionnel, la section majoritaire au sein d’une commune est parfois en mesure de faire élire des maires délégués qui ne sont pas issus de la section correspondante élue. C’est comme si, à Paris, les conseillers municipaux du XXe arrondissement désignaient le maire du Ier arrondissement. C’est absurde sur le plan du droit et c’est choquant d’un point de vue démocratique, puisque ce système ne fait que consacrer la tyrannie de la majorité entre des communes associées. Il serait pourtant simple de parvenir à de meilleurs textes, plus opérants et plus lisibles : il suffirait d’écouter et de prendre en compte l’avis des élus locaux, qui connaissent mieux que quiconque la réalité des problèmes rencontrés sur place.
L’Assemblée de la Polynésie française a rendu son avis sur le présent projet de loi la semaine dernière, mais son analyse n’a pas été entendue. Dans le même ordre d’idées, le congrès des maires de Polynésie française aura lieu en septembre et devrait permettre d’aboutir à des propositions concrètes pour répondre au problème du mode de scrutin municipal.
Au demeurant, il faut dénoncer le véhicule utilisé pour cette réforme communale. En effet, le code général des collectivités territoriales est un outil mal adapté à notre collectivité, et il eût été préférable de conserver en Polynésie française, comme en Nouvelle-Calédonie, un code des communes évoluant lorsque cela s’avère nécessaire.
Tout cela est vraiment dommage, car le projet de loi aurait pu permettre de résoudre de nombreux problèmes assez lourds pour les territoires ultramarins. Derrière la question des agents communaux et du mode de scrutin des élections municipales en Polynésie française, des pans entiers de notre législation posent problème et s’articulent difficilement avec la spécificité des statuts des territoires ultramarins. Le projet de loi ne prend pas la mesure totale de ces enjeux, mais, en l’état, il peut constituer un progrès sous réserve de l’adoption des amendements que je présenterai. C’est à cet horizon que le groupe UDI-UC déterminera sa position finale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)