Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire réunie le 15 juillet dernier, nous sommes amenés à réexaminer, dans les mêmes termes, le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014. Je rappellerai donc ici les principaux éléments qui retiennent l’attention du groupe RDSE.
Tout d’abord, nous regrettons, comme d’autres, le peu de temps consacré aux travaux finals sur le budget de l’année passée, tant en commission qu’en séance. Alors que les lois de finances initiales retiennent l’essentiel de l’attention du Gouvernement et des parlementaires, les lois de règlement, qui constatent la réalité de l’exécution du budget, sont trop souvent les parents pauvres du débat budgétaire. C’est dommage, monsieur le secrétaire d’État, car c’est justement l’occasion de mesurer l’écart avec les prévisions et, surtout, de réfléchir aux erreurs d’appréciation commises, afin de ne pas les répéter l’année suivante.
En 2014, nous aurons connu la troisième année consécutive de croissance et d’inflation quasi nulles. Dans ces conditions particulièrement défavorables, l’effort de redressement des finances publiques s’est malgré tout poursuivi, sans toutefois parvenir à ramener le déficit public en dessous du seuil de 3 % du PIB ni à enrayer l’augmentation de la dette, dont le montant approche inexorablement du seuil des 100 % du PIB.
Sur ce point, je le précise, chacun porte une part de responsabilité depuis au moins quatre décennies. Cependant, depuis 2008, l’endettement s’est dangereusement accéléré, et le troisième trimestre de 2014 aura vu la dette publique dépasser la barre symbolique des 2 000 milliards d’euros.
Le niveau élevé de l’endettement public rend nos finances particulièrement sensibles à une baisse du taux de croissance ou à une remontée, même faible, des taux d’intérêt. Comme l’a montré excellemment M. le rapporteur général en première lecture, une simple augmentation d’un demi-point des taux d’intérêt aurait, nous le savons, des effets majeurs, à court et moyen termes, sur l’alourdissement de la charge de la dette.
À cet égard, la baisse des recettes enregistrée l’an passé est inquiétante. Il s’agit d’un véritable enjeu de soutenabilité, et même de souveraineté, dans la mesure où notre dette publique est détenue majoritairement par des créanciers étrangers.
En matière de réduction du déficit public, nous avons de réelles marges de progression. En effet, la France se situe actuellement dans la moyenne basse des pays de la zone euro. Or, si nous voulons conserver une signature et un discours crédibles, il nous faut impérativement corriger cela. Les deux débats et le vote organisés récemment sur l’accord relatif à la Grèce serviront, espérons-le, d’avertissement pour la mise en ordre de nos propres affaires budgétaires.
À ce titre, l’an passé, l’effort de réduction du déficit a encore trop reposé sur la pression fiscale, et trop peu sur la maîtrise des dépenses. Avec un taux de prélèvements obligatoires de 44,9 % et une dépense publique au niveau record de 57,5 % du PIB, notre pays reste l’un des champions mondiaux de l’impôt et de la dépense publique.
Si la situation grecque nous montre qu’il est préférable d’avoir une administration fiscale à même de faire entrer l’impôt, elle doit surtout être vue comme un avertissement sur les risques liés à la dérive des comptes publics.
Le niveau élevé des prélèvements pèse très lourd dans le budget des ménages, notamment des plus faibles, tandis que les importantes baisses de charges pour les entreprises créent trop souvent, à notre sens, des effets d’aubaine. Il faut rendre notre politique fiscale à la fois plus efficiente et moins confiscatoire, afin d’encourager les acteurs économiques sur lesquels repose, in fine, la reprise.
En 2014, les collectivités ont supporté une part importante de l’effort budgétaire. Je note que la dette des collectivités a baissé de 800 millions d’euros, tandis que les dettes de l’État et des administrations de sécurité sociale ont continué de croître. Parallèlement, la dotation globale de fonctionnement a été réduite et l’objectif d’évolution de la dépense publique locale a été de nouveau révisé à la baisse.
Toujours plus d’efforts sont demandés aux collectivités, sans qu’elles bénéficient toujours de contreparties. Reconnaissons-le, l’État, les collectivités et la sécurité sociale, bref toutes les administrations publiques, sont mobilisées pour l’effort de redressement des finances publiques, dans un contexte national, européen et même mondial des plus incertains.
Le Gouvernement doit faire preuve de la plus grande vigilance afin d’atteindre les objectifs budgétaires qu’il s’est fixés. En dépendent l’avenir de notre pays, et plus exactement la pérennité de notre modèle social, la reprise de notre économie et la protection de nos concitoyens les plus faibles.
Monsieur le secrétaire d’État, en partenaires attentifs, nous soutenons votre action. C’est pourquoi notre groupe, à une exception près, suivra votre invitation à donner le dernier mot au Sénat, en approuvant le présent projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en matière budgétaire et financière, on consacre beaucoup de temps au virtuel et trop peu au réel. Cette loi de règlement porte sur le réel, et c’est pourquoi elle m’intéresse tout particulièrement.
Monsieur le secrétaire d’État, si l’on vous suit – ce n’est pas ce que fera le groupe UDI-UC, et je préfère le dire tout de suite pour vous épargner une déception ! –, la loi de règlement est un document technique, un constat d’exécution – une photographie pour certains – et il n’y a aucune raison de ne pas la voter. Pourquoi alors a-t-il fallu prévoir le vote de ce type de loi ? S’il ne s’agit que d’une formalité technique, supprimons-le !
Je ne partage pas cette opinion. Pour moi, la loi de règlement établit le constat d’une politique et d’une gestion. La politique budgétaire et financière que le Gouvernement a appliquée depuis le début du quinquennat s’est caractérisée par une augmentation massive des impôts, en 2012 et en 2013, une absence de réduction de la dépense publique, une croissance atone et un chômage record. Dans ces conditions, on ne voit pas quels arguments politiques pourraient justifier l’approbation de ce texte.
On parle beaucoup de déficit structurel et de déficit conjoncturel, ce qui est plutôt aimable, puisque, en l’absence de croissance, le déficit conjoncturel est automatiquement plus important. Cela contribue à dédouaner le Gouvernement, victime de la conjoncture. On ne peut évidemment pas vous suivre sur ce terrain.
On ne peut pas non plus vous suivre lorsqu’il s’agit du constat de votre gestion. Il est établi par la Cour des comptes, car nous sommes sans doute l’un des rares pays demandant une certification de ses comptes à un organisme indépendant. D’une année sur l’autre, on s’aperçoit que cette certification relève assez peu d’améliorations, la Cour des comptes émettant toujours cinq réserves majeures. C’est toujours mieux que ce qui se fait à l’étranger, où il n’est même pas question de certification. D’ailleurs, si la Grèce avait eu des comptes certifiés au moment de son entrée dans la zone euro, cela aurait pu aider à la décision, mais tel n’a pas été le cas.
Dans le secteur privé, monsieur le secrétaire d’État, si les commissaires aux comptes émettaient autant de réserves, ils ne certifieraient pas les comptes des sociétés, surtout si leur système d’informations était aussi déficient que le nôtre. Nous avons de la chance, la Cour des comptes certifie les comptes en émettant des réserves majeures, ce qui signifie que nous avons encore de gros progrès à faire en matière de gestion.
Finalement, pour 2014, le constat est celui de l’année de tous les records : pour les prélèvements obligatoires – on a chargé la barque des particuliers et des entreprises, et comment s’étonner que l’économie française n’avance pas plus vite ? –, pour la dépense publique – nous sommes champions du monde ! – et pour l’endettement. Tout cela pour arriver à l’un des déficits les plus importants de notre histoire.
Avec un tel constat, il faut faire preuve d’un certain culot pour affirmer que les efforts des Français paient ! En disant cela, on ne relève le niveau ni de la politique ni de la crédibilité des élus. En effet, je ne crois pas que les Français aient aujourd’hui le sentiment que leurs efforts portent leurs fruits. Les comptes de 2014 prouvent malheureusement que tel n’est pas le cas.
Dans ces conditions, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, que notre groupe ne votera pas ce projet de loi de règlement. Je suis d’ailleurs étonné que d’autres groupes de l’opposition sénatoriale n’agissent pas de même.
Je viens d’entendre Yvon Collin. En première lecture, Jean-Claude Requier, avec son sympathique accent, nous avait dit la même chose : il regrettait les évolutions anticipées du taux de prélèvements obligatoires et de la dépense publique, qui resteront à peu près constants, à un niveau très élevé, en 2015 et en 2016. Ils constituent le véritable « mal français ». André Gattolin, qui s’exprimera tout à l’heure, a dit, en première lecture, que « les écologistes partagent le constat du caractère préoccupant de la situation de nos finances publiques » et « contestent les moyens aujourd’hui mis en œuvre pour y répondre ». Comment peut-on voter ce projet de loi de règlement quand on tient de tels propos ? Je ne peux donc que manifester un certain étonnement.
Bien sûr, cette loi de règlement établit le constat d’une politique et d’une gestion. Il convient d’en tirer des conclusions et des perspectives pour nos finances publiques.
Certains pays ont adopté des mesures d’austérité : ils ont baissé le niveau des salaires et fait subir à leur population des pertes de pouvoir d’achat élevées. Heureusement, tel n’a pas été le cas de la France. Si nous voulons éviter ces mesures d’austérité, nous devons prendre rapidement des mesures de rigueur, monsieur le secrétaire d’État. Je ne connais pas d’autre manière de gérer l’argent public que la rigueur, car il s’agit de l’argent de nos concitoyens !
Vous nous dites que la dépense publique n’a jamais été aussi bien maîtrisée. Or nous avons besoin non pas de la maîtriser, mais de la faire baisser ! Actuellement, nous bénéficions de conditions exceptionnelles pour obtenir cette baisse.
Tout d’abord, le taux d’inflation, qui s’établit à 0,5 %, n’a presque jamais été aussi faible – même s’il était de 0 % l’an dernier. Vous établissez souvent une comparaison avec le niveau des dépenses au cours des années précédentes, mais l’inflation était alors à 2 % ou à 2,5 %. Ensuite, les taux d’intérêt sont inférieurs à 1 %, alors qu’ils étaient il n’y a pas si longtemps à 2 %. Enfin, le prix du baril de pétrole est descendu à 50 dollars, alors qu’il atteignait auparavant 100 dollars.
Ces conditions devraient nous permettre de dépenser moins et de faire baisser par conséquent la dépense publique. Or tel n’est pas le cas ! En effet, la masse salariale de l’État a augmenté de 0,9 % en 2014, alors que l’inflation s’établissait à 0,5 %. Autre exemple de manque de rigueur : je n’ai jamais entendu dire que les opérateurs de l’État étaient prioritaires du point de vue de la dépense publique. Or leurs effectifs, qui s’élevaient à environ 385 000 emplois en équivalents temps plein en 2013, ont représenté plus de 391 000 ETP en 2014. L’augmentation s’établit donc à 6 000 emplois équivalent temps plein, soit près de 2 % des effectifs totaux des opérateurs de l’État. Peut-on dès lors parler de rigueur, monsieur le secrétaire d’État ?
Je le répète, nous demandons non pas une maîtrise de la dépense publique, mais une baisse, et celle-ci n’interviendra qu’au moyen de réformes de fond. Malheureusement, vous ne les avez pas engagées depuis le début du quinquennat et je vois mal comment vous pourriez les entreprendre maintenant. Aujourd’hui, le Président de la République espère que le chômage baissera légèrement avant 2017, afin de pouvoir affirmer que nous sommes sur la bonne voie. Après avoir fait augmenter le nombre de chômeurs de près de un million, il pourra peut-être se targuer de l’avoir ensuite réduit de cinquante mille !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Vincent Delahaye. À mon sens, il faut changer de politique financière et budgétaire. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrions approuver une loi de règlement. Je crains donc que la situation actuelle ne se reproduise dans les années à venir, si nous restons sur les mêmes tendances. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce deuxième débat sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 et l’orientation des finances publiques – même si ce second point n’est pas strictement à l’ordre du jour – sera sans doute relativement formel, au vu des positions réitérées des différents groupes politiques et de l’absence d’amendement.
C’est pourquoi je me consacrerai surtout à une mise en perspective des résultats. À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler un certain nombre de faits difficilement contestables, qui permettent de mieux mesurer le chemin parcouru depuis 2012, et singulièrement durant l’année 2014.
Toutes les données statistiques disponibles reflètent en effet une forte hausse de l’endettement de notre pays de 2002 à 2012. Je rappelle que le rapport de la dette au PIB est passé de 58 % à 89 % durant ces dix années. Certes, celles-ci ont été marquées par la crise de 2007-2008, qui pouvait justifier une politique contracyclique – de nombreuses collectivités territoriales dirigées à l’époque par la gauche y ont d’ailleurs contribué, en particulier grâce au doublement du Fonds de compensation de la TVA en 2009. En dehors de ces deux années, la croissance a été moyenne, voire forte ; l’argent a donc été mal employé et la France mal gérée.
M. Philippe Dallier. Sous le gouvernement Jospin !
M. Maurice Vincent. Il faut l’affirmer aujourd’hui sans ambiguïté : des cadeaux fiscaux ont été octroyés, au détriment des recettes de l’État. Ils manquent aujourd’hui cruellement.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. François Marc. Ils ne s’en souviennent plus !
M. Maurice Vincent. Les mêmes statistiques nous rappellent d’ailleurs que le déficit public, en 2011, représentait 5,5 % du PIB. Qu’entendrions-nous dire aujourd’hui, si nous en étions encore à ce niveau au moment du vote de la loi de règlement de 2014 ? À cet égard, compte tenu de la faible croissance économique observée durant cette année – je rappelle qu’elle est tombée à 0,2 %, contre 1 % attendu au début de l’année par l’ensemble des spécialistes –, la poursuite de la réduction du déficit est un résultat qui doit être apprécié à sa juste valeur. En matière de crédibilité financière, c’est la trajectoire suivie sur le long terme qui est importante pour conserver, et même accroître, la confiance de l’ensemble des prêteurs. Cette trajectoire est restée orientée dans le bon sens, y compris en 2014, malgré les difficultés rencontrées.
Je sais que l’opposition conteste ce point, et M. le rapporteur général l’a encore rappelé ce soir. L’une des raisons de cette contestation résulte de l’intégration ou non dans les comptes de l’année 2014 des dépenses liées au programme d’investissements d’avenir, le PIA. Je rappelle que ce programme est pluriannuel et qu’il n’y a aucune raison logique de concentrer l’ensemble de ses dépenses sur une seule année. En outre, ce programme fait l’objet d’un consensus transpartisan.
M. Antoine Lefèvre. Il y a une opposition, tout de même !
M. Maurice Vincent. Il a été lancé avant 2012, sur la base d’un rapport établi par MM. Alain Juppé et Michel Rocard, deux personnalités reconnues. Cette convergence de vues résultait du fait que les projets soutenus dans le cadre du PIA ont un caractère d’intérêt général et sont essentiels pour la capacité d’innovation de notre pays, sans laquelle nous ne pouvons pas relancer durablement notre croissance économique.
Nous devons donc être objectifs et donner à ce PIA la part qui lui revient dans les comptes de l’année 2014. Dans ce cas de figure, on retrouve l’amélioration que j’évoquais au début de mon propos. C’est donc un mauvais procès qui est fait au Gouvernement, l’année 2014 ayant été caractérisée par une gestion rigoureuse et soucieuse de l’avenir.
Nous n’avons pas à débattre de l’année 2015 en cours, même si le rebond de la croissance qui s’affirme au fil des mois illustre aussi la qualité d’une gestion qui sait allier réduction des déficits et investissements pour le futur. Je veux tout de même souligner que, pour cette année 2015, et sans doute pour l’année 2016, l’action du Gouvernement, et notamment du Président de la République,…
M. Philippe Dallier. Qu’est-ce que ce sera en 2017 ?
M. Maurice Vincent. … pour éviter que la crise grecque ne dégénère en un cycle conjoncturel qui pourrait être très largement négatif sera importante. N’oublions pas les inconvénients évités en termes, au mieux, d’incertitude, au pire, de réduction de la croissance !
M. Éric Doligé. On est rassurés !
M. Maurice Vincent. Cette action contribuera donc au maintien d’un climat économique favorable, puisque le risque de déstabilisation de la zone euro est pour l’instant écarté.
Nous n’évoquerons pas ce soir les orientations budgétaires pour 2016 – je l’avais fait en première lecture. J’y reviens brièvement pour rappeler que, d’une part, la trajectoire de réduction du déficit public est maintenue, ce qui conforte l’unité de la politique budgétaire suivie depuis 2012, et, d’autre part, que de nombreuses mesures sont prévues pour soutenir la croissance économique et réduire le chômage, avec une diminution de 3 milliards d’euros de la dépense publique. M. Delahaye évoquait ce point tout à l’heure, et on trouve une réponse à ses interrogations dans ces grandes orientations.
Je ne reviendrai pas non plus sur les grandes priorités de cette année 2016. Je n’ai pas entendu, en première lecture, beaucoup de contestations – je n’en ai même entendu aucune ! – sur la priorité donnée à la sécurité intérieure, à la défense, à l’enseignement, aux universités et à la recherche. Derrière les oppositions de façade, le consensus me semble relativement large.
Finalement, quand on met les choses en perspective, il y a une grande cohérence et une véritable continuité de la politique budgétaire conduite depuis 2012.
Nous sommes sur la voie du retour progressif à un déficit budgétaire compatible avec la stabilisation de la dette à l’horizon 2017, si tout ce qui est envisagé trouve sa concrétisation dans les faits, ce que je souhaite.
Autre orientation continue : renforcer notre économie pour faire face aux défis du futur, tout en préservant un modèle social. Il y a là, peut-être, des divergences entre nous ; mais, pour ma part, c’est un choix que je soutiens particulièrement, car notre modèle social garantit notre qualité de vie et notre cohésion sociale.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, notre groupe soutient votre action dans cette direction et le prouvera en votant ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour la deuxième lecture d’un texte sur lequel ni l’Assemblée nationale ni le Sénat n’avaient déposé d’amendement lors de la première lecture. Autant dire que, de prime abord, l’intérêt législatif de ce débat ne paraît pas évident…
Toutefois, puisque M. le secrétaire d’État n’a jamais manqué une occasion de nous faire part de sa disponibilité totale, « diurne comme nocturne », pour échanger avec les parlementaires, je ne résiste pas au plaisir d’utiliser ces quelques minutes pour insister sur deux points que j’avais déjà évoqués en première lecture.
Le premier concerne les nouveaux indicateurs de richesse.
Le Sénat a récemment adopté, grâce au travail de son rapporteur, Antoine Lefèvre, une proposition de loi de notre collègue député Éva Sas. Ce texte prévoit que le Gouvernement devra présenter dorénavant, conjointement au projet de loi de finances, les informations relatives à l’impact de ses grandes réformes dans le cadre d’un panel d’indicateurs complémentaires du PIB.
Parallèlement, France Stratégie et le Conseil économique, social et environnemental viennent de proposer une dizaine d’indicateurs d’un type nouveau. Comme ils le notent eux-mêmes dans leur rapport, « le résultat soulèvera nécessairement des critiques ». On pourrait en effet en formuler certaines, mais ce travail a le mérite de poser un premier jalon. Cela étant, cette liste ne lie aucunement le Gouvernement.
À ce stade, j’aimerais donc savoir, monsieur le secrétaire d’État, si vous avez déjà arrêté votre choix quant aux indicateurs qui seront utilisés pour la première mise en application de cette loi, en octobre prochain.
Le second point que je souhaitais évoquer ce soir, et que j’avais déjà abordé en première lecture, concerne les moyens alloués par ce gouvernement à l’écologie et à l’environnement.
Depuis le début du quinquennat, nous assistons, année après année, de projet de loi de finances en projet de loi de règlement, à une réduction, qui semble inexorable, des crédits et des emplois de la mission « Écologie ».
Le changement régulier de périmètre de la mission, mal documenté, ne permet pas de réaliser de véritables comparaisons annuelles. Mais tout porte à croire que la diminution, intégrée depuis 2012, est assez impressionnante.
Il serait d’ailleurs nécessaire de pouvoir disposer à ce propos d’une information claire et exploitable. J’estime qu’il n’est pas normal de devoir se livrer à des calculs particulièrement tordus pour tenter de connaître l’évolution d’une mission sur plusieurs années. Il y a là une question de transparence élémentaire.
Sur le fond, monsieur le secrétaire d’État, vous avez déjà plusieurs fois répondu. Pour vous, l’effort du Gouvernement en matière d’écologie ne se résume pas aux crédits budgétaires de la mission. Vous avez notamment évoqué le crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, le nouveau fonds de financement de la transition énergétique, et la contribution au service public de l’électricité, la CSPE.
Sur le principe, je ne peux qu’abonder dans votre sens. Puisque les écologistes considèrent que c’est l’ensemble des politiques publiques qui doit faire l’objet d’une transition écologique, ils ne sauraient contester que l’effort doit être pensé globalement et transversalement. Pour autant, les exemples que vous prenez ne me convainquent pas vraiment de renoncer à porter le deuil de la diminution des crédits budgétaires.
En ce qui concerne le fonds de financement de la transition énergétique, il n’est pas encore doté. Nous aurons sûrement l’occasion d’en discuter lors du prochain projet de loi de finances.
Pour ce qui est de la CSPE, on ne peut pas considérer que c’est une contribution dédiée aux énergies renouvelables : elle prend en effet en charge des dispositions sociales et une péréquation territoriale.
Ensuite, si l’on veut évaluer l’incidence de l’effort gouvernemental en faveur des énergies renouvelables, il faut aussi tenir compte de l’effort déployé en faveur des énergies concurrentes, car seule la résultante est pertinente. Les quelque 4 milliards d’euros que la CSPE redistribuera aux renouvelables en 2015 sont donc à mettre en regard des dizaines de milliards de subventions implicites de l’État, dont bénéficie toujours le nucléaire, malgré son actuelle faillite industrielle.
Quant au CITE, il s’agit certes d’un crédit d’impôt intéressant. Mais le montant prévu pour 2015, soit 890 millions d’euros, est environ trois fois inférieur à celui que son prédécesseur, le crédit d’impôt développement durable, ou CIDD, atteignait en 2010.
De plus, si on ouvre le dossier des dépenses fiscales, il sera difficile d’ignorer l’ensemble de celles qui subventionnent abondamment la pollution et les énergies fossiles, lesquelles sont estimées par les ONG à environ 20 milliards d’euros par an.
En résumé, monsieur le secrétaire d’État, les écologistes sont prêts à vous prendre au mot : nous sommes en effet d’accord pour considérer que l’écologie ne se résume pas à une mission budgétaire. Mais si l’on veut faire les calculs et élargir le champ, il faut le faire intégralement. À quelques semaines de la COP 21, il pourrait d’ailleurs être intéressant que votre administration nourrisse ce débat de données objectives et exploitables... mais sans omission !
En attendant, même si nous avons avec le Gouvernement de notables divergences en matière d’orientation des finances publiques, le groupe écologiste, quitte à décevoir une fois de plus mon très cher collègue Vincent Delahaye, réitérera son vote en faveur de ce projet de loi de règlement, qui se borne à arrêter une comptabilité certifiée par la Cour des comptes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi de règlement, identique au texte rejeté par le Sénat en première lecture, nous apprend que les choix présidant depuis trop longtemps à la mise en œuvre des politiques publiques n’ont pas fait la preuve de leur pertinence.
L’ensemble constitué par la réduction de la dépense budgétaire directe, la progression de la dépense fiscale prétendument incitatrice, la baisse sélective des impôts et taxes, favorable aux entreprises et aux ménages les plus aisés, la contraction des ressources et des moyens des collectivités locales et la mise en question de la sécurité sociale montre de plus en plus ses limites.
Outre le fait que le niveau de nos déficits publics n’a pas à proprement parler baissé en 2014, il semble bien que les effets macroéconomiques des politiques austéritaires soient suffisamment pesants pour empêcher tout redressement durable de la situation.
Contraction de la consommation intérieure, réduction du montant des investissements publics, atonie et même baisse de l’investissement privé – lequel est un handicap pour le renouvellement des équipements comme pour la création de nouveaux potentiels de croissance –, distribution discrétionnaire du crédit bancaire, contraction du volume du commerce extérieur, tout concourt à créer les conditions d’une dégradation durable des comptes publics.
Cette nouvelle lecture du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2014 est donc l’occasion de faire le bilan de l’exécution de l’exercice budgétaire. Vous nous répondrez sans doute, monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez dit la semaine dernière à notre collègue Marie-France Beaufils, que notre intervention s’apparente davantage, en somme, à un discours de politique générale, ce qui vous évitera peut-être d’argumenter sur le fond quant aux choix budgétaires du Gouvernement.
Pourtant, à l’examen de l’exercice budgétaire antérieur, les sujets d’interrogation ne manquent pas.
Chacun a pu constater en toute objectivité que la dette publique n’a pas été réduite, puisqu’elle a atteint le chiffre de 95,6 % de notre produit intérieur brut, et aussi que le rendement de l’impôt sur les sociétés a diminué, alors que les rendements de l’impôt sur le revenu et de la TVA ont augmenté respectivement de 3,3 % et de 20,5 %.
Nous notons également la hausse de plus de 18 % des rentrées de l’impôt de solidarité sur la fortune. Ce chiffre est encourageant en ces temps de disette budgétaire. Un palmarès récent des cent premières fortunes de France indiquait que l’on se souviendrait de 2014 comme d’un grand millésime pour les hauts patrimoines de notre pays, dont la valeur a augmenté de 20 % en une seule année. Ces fortunes pèsent ensemble plus de 320 milliards d’euros, soit pratiquement autant que la dette de notre partenaire grec !
Je dirai un mot de l’autre objectif affiché par le gouvernement auquel vous appartenezl, à savoir la réduction du chômage.
Le nombre de demandeurs d’emploi a malheureusement augmenté de 5,7 % en 2014. Personne, à l’évidence, ne s’en réjouira, mais tout le monde doit s’interroger en cet instant sur la pertinence du choix d’alléger ce que beaucoup appellent les « charges des entreprises », mais que vous nous permettrez de nommer, pour notre part, les « cotisations ».
Nous saisissons donc cette occasion pour nous interroger sur l’envolée constatée des dépenses fiscales, qui représentent aujourd’hui un total de plus de 80 milliards d’euros. Mais pour quelle efficacité ? La question mérite d’être posée.
On nous annonce des résultats prochainement. Vous nous permettrez d’en douter ! Il s’agit assurément d’un sujet à suivre et, de ce point de vue, on ne peut que regretter que le Gouvernement n’ait pas évalué ces dépenses en 2014.
Personne ne pourra se satisfaire non plus de l’explosion des inégalités, lesquelles ne cessent d’augmenter au fil des ans, comme le constate l’INSEE : les pauvres sont plus pauvres qu’avant, les riches plus riches, et la pauvreté, dont il est plus difficile de sortir depuis la crise, touche non seulement les demandeurs d’emploi, mais aussi les salariés. Le taux de pauvreté s’établit en France à plus de 14 %.
Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, l’économie de la France aurait pu, et aurait dû, bénéficier de facteurs externes très favorables : je pense à la faiblesse du prix du pétrole, déjà évoquée, aux taux d’intérêt particulièrement faibles sur les marchés financiers et à la parité eurodollar, très favorable à la monnaie de la zone euro. Malgré tous ces clignotants au vert, les signes de reprise que l’on se plaît à annoncer régulièrement ont bien du mal à s’affirmer dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Depuis 2010, la plupart des pays industrialisés se sont lancés à corps perdu dans une stratégie de réduction des déficits budgétaires, laissés béants après la récession sévère des années 2008 et 2009.
En zone euro, cette stratégie a conduit à la mise en place de vastes plans d’austérité, avec l’intention de remédier à la défiance des investisseurs à l’égard des dettes publiques. À l’évidence, l’austérité ne produit pas les bénéfices attendus et, surtout, elle a freiné l’amélioration escomptée des finances publiques. Cet exercice 2014 en est une illustration supplémentaire.
La rigueur qui modèle l’activité depuis 2010 restera le principal frein à la croissance française en 2015, comme elle le fut en 2014. Décidément, les effets attendus des allégements de cotisations des entreprises tardent à apparaître !
Afin que les moindres rentrées fiscales ne grèvent pas le déficit, c’est le consommateur qui finance ces mesures, au travers de la hausse de la TVA et d’une sévère cure d’amaigrissement des dépenses publiques. L’effet négatif est immédiat et, au final, il l’emportera largement. La politique budgétaire pourrait avoir amputé la croissance de 0,8 point de PIB en 2014 et de 0,6 point en 2015.
Et ce n’est pas tout ! Il faut également tenir compte de l’effet indirect des politiques d’austérité conduites par nos partenaires européens, lesquelles freineront, à n’en pas douter, les exportations françaises. La perte est estimée à 0,4 point de PIB pour chacune des deux années. Au total, l’austérité aura donc fait perdre à la France plus d’un point de PIB.
Je voudrais à ce stade, monsieur le secrétaire d’État, m’arrêter un instant sur la situation des collectivités. Après tout, nous sommes au Sénat, l’assemblée qui représente les communes de France...
Jamais l’austérité ne s’est fait sentir comme cette année dans les budgets. À tous les échelons des collectivités, on assiste à des prises de décision très dures, à des hausses de taux et de tarifs, et, d’ores et déjà, à la réduction de certains services en plusieurs endroits du territoire.
L’Association des maires de France, l’AMF, s’appuyant sur les chiffres de la Direction générale des finances publiques, fait état d’une forte dégradation de l’investissement du bloc communal avec une chute, l’an dernier, de 12,4 % par rapport à 2013.
L’AMF a extrapolé ces données sur toute la durée de la baisse des dotations, de 2014 à 2017. L’analyse prospective évalue ainsi à 25 % la baisse de l’investissement de l’ensemble du bloc communal.
Dans un rapport du Sénat du 12 novembre 2014 sur l’évolution des finances locales à l’horizon 2017, nos collègues Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard concluaient en ces termes : « La baisse de 11 milliards d’euros ferait de l’impasse financière la situation de “droit commun” des collectivités, et [...] le retour de dépenses de fonctionnement au rythme de l’inflation ne suffira pas. »
Ce rapport prévoyait ainsi une baisse des investissements de 30 % à l’horizon 2017 pour l’ensemble des collectivités locales.
Un gouvernement ne peut pas ne pas prendre en compte ces données ! On connaît le poids de l’investissement des collectivités dans l’économie des territoires : il est de plus de 70 %. On sait aussi que la dette cumulée des collectivités représente 8 % de la dette globale de notre pays. On sait, enfin, que les budgets des collectivités sont votés à l’équilibre en toutes circonstances.
Vous comprendrez aisément, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que nous ne pourrons voter ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)