M. Roger Karoutchi. Allons donc !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre rapporteur englobe dans un même ensemble statistique les personnes ayant fait l’objet d’une reconduite forcée à la frontière extérieure de l’Union européenne – les véritables reconduites forcées – et celles – pour l’essentiel des Roumains et des Bulgares – qui ont bénéficié d’une prime de mille euros pour retourner dans leur pays d’origine, dans le cadre d’une politique fortement dispendieuse de l’argent public et dépourvue d’efficacité, puisque les intéressés revenaient sur le territoire national pour bénéficier une deuxième fois de la prime. Dans ce dernier cas, il ne s’agissait plus d’une politique de reconduite à la frontière, mais d’une dépense inutile et assez peu sérieuse de l’argent public. Nous avons supprimé cette prime, parce que nous considérons que les véritables reconduites à la frontière sont les reconduites forcées hors de l’Union européenne, qui exigent un véritable accompagnement de la part de l’administration.
Enfin, les statistiques présentées par votre rapporteur comportent une troisième catégorie de reconduites à la frontière, vraisemblablement les plus intéressantes à étudier, parce qu’elles correspondent le moins à de véritables reconduites : il s’agit de ce que l’on appelle les OQTF « flash ». Des migrants irréguliers qui décidaient de repartir d’eux-mêmes dans leur pays d’origine se voyaient remettre une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF, au moment de leur départ, ce qui permettait d’augmenter très significativement le volume des statistiques des reconduites à la frontière.
Ces chiffres ne correspondent donc absolument pas à la réalité de la politique d’un gouvernement qui a la volonté de lutter effectivement contre l’immigration irrégulière et de procéder à la reconduite forcée de ceux qui doivent l’être. De façon extrêmement précise, les reconduites forcées s’élevaient à 13 000 en 2009, il y a eu un point bas à 11 000 en 2011 et, à la fin de l’année 2015, ce nombre s’élèvera à 17 000. Nous avons donc augmenté en quelques années de près de 13 % le nombre des reconduites forcées à la frontière qui correspondent à des vraies reconduites.
Ces chiffres sont ceux de l’INSEE, ils ne sont pas contestables (M. Roger Karoutchi s’exclame.) et témoignent du caractère curieusement agrégé des chiffres qui, pour des raisons de communication politique que je comprends bien, figurent dans le rapport. Je demande donc que l’on sorte des statistiques les fausses reconduites et les OQTF « flash » et que l’on me dise ensuite si les chiffres que je viens d’indiquer sont vrais ou faux.
À cette remarque, M. le rapporteur me répond que nous donnons les mêmes chiffres, mais que nous ne les regardons pas du même point de vue. Il a raison : les chiffres qu’ils donnent existent bien, ils correspondent à la réalité que je viens de décrire, mais cette réalité ne correspond pas à ce que sont les véritables reconduites à la frontière.
La lutte contre l’immigration irrégulière se mesure également à l’aune du démantèlement des filières auquel nous procédons : ce chiffre a un certain sens et prouve la cohérence d’une politique. En 2014, le nombre de filières démantelées était supérieur de 25 % à celui de 2013. En 2015, ce nombre sera supérieur de 25 % à celui de 2014. En chiffres bruts, depuis le début de l’année 2015, nous avons démantelé 190 filières correspondant à 3 300 personnes interpellées, arrêtées ou reconduites à la frontière. Dans le même temps, l’Allemagne qui dit être confrontée à un flux de migrants de 800 000 personnes à 1,2 million de personnes a démantelé des filières correspondant à un effectif de 1 800 personnes, c’est-à-dire la moitié de l’effort que nous avons fait nous-mêmes.
On peut donc continuer à aller de tribune en tribune, de micro en micro, d’émission en émission, pour dire que les reconduites à la frontière ont baissé et que l’effort de lutte contre l’immigration irrégulière n’est pas à la hauteur de l’enjeu. On peut le dire, mais cela ne correspond pas à la réalité. Je voulais donc profiter du débat qui nous rassemble pour rappeler la réalité des chiffres et de l’action du Gouvernement.
Nous sommes d’autant plus en situation de procéder à ces reconduites et de mener une politique de fermeté que nous avons recréé des postes dans les services chargés de cette politique. Je veux rappeler, parce que c’est une réalité assez difficilement contestable, que 13 000 postes ont été supprimés dans les services de police et de gendarmerie entre 2007 et 2012. De ce fait, 15 unités de forces mobiles ont été dissoutes, qui font aujourd’hui cruellement défaut. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a annoncé, à l’occasion du débat sur les migrations qui a eu lieu il y a plus de quinze jours dans cet hémicycle, la création de 900 postes pour reconstituer une partie de ces unités.
Par conséquent, si l’on devait mesurer l’action d’un gouvernement à l’aune des postes créés, des reconduites effectuées et des résultats obtenus dans la lutte contre l’immigration irrégulière, on pourrait difficilement contester que ce gouvernement a consenti des efforts très significatifs pour rééquilibrer notre politique migratoire. Voilà pour les faits et les chiffres.
Je voudrais maintenant insister sur les actes que nous avons déjà posés et les décisions que nous avons déjà prises. Je voudrais rappeler à l’ensemble des sénateurs – je n’ai pas besoin de le rappeler au rapporteur, puisqu’il a été l’excellent rapporteur de la loi sur l’asile et qu’il connaît parfaitement le sujet – que, au cours des dernières années précédant la mise en chantier de cette loi, le nombre des demandes d’asile en France avait considérablement augmenté. Les moyens consacrés à la politique de l’asile avaient, au mieux, été maintenus et même parfois diminués. Pendant le quinquennat précédent, alors que les demandes d’asile avaient plus que doublé, les effectifs de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, n’avaient augmenté que de 40 emplois. Pendant la même période, le nombre de places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, était de 2 500. À la fin du quinquennat en cours, nous aurons créé 18 500 places en CADA et près de 250 postes au sein de l’OFPRA.
Je ne vois pas comment nous pourrions « déstocker » les dossiers de demande d’asile et ramener leur durée de traitement de 24 mois à 9 mois, si nous ne faisions pas cet effort au sein de l’OFPRA, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et au sein des préfectures. Je ne vois pas non plus, si nous ne créions pas ces places en CADA, comment la France pourrait être au niveau des meilleurs standards de l’Union européenne en remplissant son devoir pour être en conformité avec l’esprit de la directive européenne. On ne peut pas être la France, avoir une tradition d’accueil des réfugiés, et considérer que le système antérieur était digne au point qu’il fallait continuer de ne rien faire !
Nous avons donc fait tous ces efforts et c’est la raison pour laquelle, madame Benbassa, il est faux de dire que nous avons attendu que le flux de réfugiés se présente pour réagir. Ce gouvernement a inscrit 18 500 places en CADA dans le budget : ce n’est pas rien ! (Mme Esther Benbassa proteste.) Ce gouvernement a décidé, à l’occasion du plan présenté en conseil des ministres au mois de juin dernier, de créer près de 11 000 places, en plus de celles créées en CADA, pour accueillir en urgence tous ceux qui ont vocation à être accueillis sur notre territoire : 5 000 places dans le logement de droit commun, 1 500 places en hébergement d’urgence, 4 000 places supplémentaires en ATSA – ou accueil temporaire service de l’asile. Toutes ces places ont été créées au cours des derniers exercices budgétaires, la loi a été discutée à l’Assemblée nationale et au Sénat à partir de l’hiver et a été adoptée au mois de juillet.
C’est pourquoi, lorsque j’entends dire que ce gouvernement aurait été passif sur ces questions et qu’il aurait attendu les photos les plus émouvantes et les flux migratoires les plus importants pour agir, je répète que ces appréciations ne correspondent absolument pas à la réalité de notre action. Le Gouvernement a rehaussé notre dispositif d’asile pour le mettre au niveau des meilleurs standards européens et c’est à son honneur…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Puisque vous le dites !
M. Philippe Kaltenbach. Nous en sommes fiers.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons donné des éléments précis sur la réalité des flux migratoires. Nous avons également donné des éléments précis sur nos actes dans le cadre de la politique d’asile. Maintenant, nous traitons du droit au séjour des étrangers…
M. Roger Karoutchi. Tout va bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, monsieur Karoutchi. Vous conviendrez avec moi que ce commentaire est un peu facile !
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est précisément parce que la situation est extraordinairement compliquée que tous les pays européens s’y trouvent confrontés, que certains, qui pensent bien, se trouvent confrontés à des problèmes encore plus importants que les nôtres – je pense à l’Allemagne dont le gouvernement est en partie composé de chrétiens-démocrates…
M. Roger Karoutchi. Une coalition !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et connaît bien des difficultés de politique migratoire. Or nous n’avons pas à traiter le même flux et, en même temps, nous avons remis à niveau notre politique d’asile, dans un contexte extraordinairement difficile et complexe, qui conduirait n’importe quel gouvernement à faire des efforts pour affronter cette situation difficile.
Pour ces raisons, j’émets le vœu que, lorsque nous abordons cette question, nous fassions abstraction de la politique politicienne et lui accordions un traitement plus rigoureux,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … en convoquant les vrais chiffres et les vrais faits et en essayant de bâtir une politique qui tienne compte de la dimension humanitaire du drame auquel nous sommes confrontés. En effet, des enfants, des femmes, des familles meurent parce qu’ils sont persécutés dans leur pays ou parce qu’ils ont pris le chemin de l’exode : ils attendent des pays de l’Union européenne qu’ils se comportent conformément aux valeurs des pères fondateurs de l’Europe.
Je ne cherche pas à faire des commentaires à l’emporte-pièce sur de tels sujets : ils ne me font pas sourire, parce qu’ils sont graves et parce que j’en perçois la complexité. Alors que je sais la difficulté de la situation, j’essaie de mettre en œuvre des solutions qui, jusqu’à présent, n’ont pas été appliquées, de faire des efforts budgétaires qui, jusqu’à présent, n’ont pas été consentis et de faire adopter des dispositions législatives qui, jusqu’à présent, n’ont pas été discutées ni votées.
Le texte qui nous rassemble ce soir vise plusieurs objectifs.
Tout d’abord, mieux accueillir ceux qui doivent l’être et mieux les intégrer.
Mieux les accueillir, c’est la mise en place du titre pluriannuel de séjour. Chaque année, quelque 2,8 millions d’étrangers passent en préfecture, pour 5 millions de passages au total, car ces personnes, qui bénéficient ou ont vocation à bénéficier d’un titre de séjour, sont appelées à se rendre plusieurs fois dans les préfectures.
Ces procédures sont non seulement très dispendieuses de l’argent public, car elles mobilisent nombre d’équivalents temps plein dans les préfectures, mais elles obèrent aussi la capacité de ces étrangers à s’intégrer dans la République, le temps passé en formalités n’étant pas consacré à l’apprentissage de la langue française ou à l’intégration par le travail.
Par conséquent, nous avons décidé d’instituer ce titre pluriannuel de séjour, qui permettra aux étrangers en France depuis au moins un an de bénéficier d’un titre de trois ou quatre 4 ans plutôt que d’avoir à faire plusieurs démarches chaque année, ce qui devrait leur permettre de pouvoir s’intégrer dans les meilleures conditions dans la société française.
J’ai lu dans le communiqué de la commission des lois rendant compte de ses travaux qu’elle avait décidé de supprimer ce titre pluriannuel. Fort heureusement, elle ne l’a pas fait,…
M. Michel Mercier. Oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et ce titre pluriannuel demeure dans le chapitre II du titre Ier du projet de loi. C’est pourquoi j’ai été étonné d’apprendre qu’il avait été supprimé. Peut-être était-ce un désir, mais il n’a pas été à son terme… (M. Michel Mercier sourit.)
En tout cas, vous avez eu raison de le maintenir, car il s’agit d’une excellente mesure, qui permettra de procéder à une simplification utile.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons aussi décidé de rehausser le niveau d’apprentissage de la langue. François Fillon, en 2003, lorsqu’il était ministre des affaires sociales, avait mis en place le contrat d’intégration, qui, à partir d’un certain niveau de langue, permettait aux étrangers de s’intégrer en France dès lors qu’ils bénéficiaient d’un titre de séjour. Nous avons choisi de relever l’exigence en la matière.
Nous avons également décidé de rehausser le niveau du contrat d’intégration, par des allocations de moyens supplémentaires au profit de l’OFII et par un dispositif de suivi de l’étranger beaucoup plus fin que celui qui existait jusqu’à présent.
Ensuite, si nous souhaitons mieux accueillir, nous souhaitons aussi accueillir les talents. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu la mise en place du « passeport talent », d’une durée de quatre ans, destiné aux chercheurs, intellectuels et artistes étrangers venant sur le territoire national. Nous avons aussi souhaité que les étudiants de niveau master ayant bénéficié de ce passeport voient leur accès à l’emploi facilité. En effet, il est plus utile pour la croissance de laisser des étudiants étrangers de très haut niveau créer des entreprises en France que de chercher à les faire partir au moment où ils peuvent capitaliser dans notre pays la formation dont ils ont bénéficié grâce à nos universités ou à nos centres de recherche.
Enfin, il convient de lutter contre l’immigration irrégulière. Sans revenir sur les chiffres de la lutte contre ce phénomène, je veux simplement rappeler trois dispositions du texte auxquelles nous tenons, car elles permettent d’être beaucoup plus efficaces en la matière.
La première mesure vise à obtenir une meilleure application de la directive Retour, qui n’est pas suffisamment appliquée en France. Nous en souhaitons une mise en œuvre systématique, c’est-à-dire que ceux qui ont été renvoyés vers leur pays d’origine ne doivent pas être en situation de pouvoir revenir en France pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois ans. Ainsi, les administrations préfectorales ne seront pas contraintes de reproduire les formalités de reconduite à la frontière, lesquelles sont extraordinairement lourdes, chaque fois que l’étranger revient.
Je pense que l’application de cette directive, souhaitée par l’Union européenne, est une excellente manière de maîtriser les flux migratoires. Je le répète avec gravité devant vous : il n’y aura aucune soutenabilité de ce que nous voulons faire pour l’accueil des réfugiés si nous ne sommes pas capables de maîtriser les flux et de lutter de façon extrêmement efficace et volontariste contre les filières de l’immigration irrégulière et contre l’immigration irrégulière.
La deuxième mesure vise, conformément à l’esprit du rapport d’information élaboré au Sénat par M. Buffet et Mme Assassi, à substituer, autant que faire se peut, l’assignation à résidence à la rétention. En effet, l’assignation doit être précisée en droit ; les conditions d’intervention des forces de l’ordre au moment de la reconduite à la frontière dans les lieux d’assignation à résidence doivent être précisées si l’on veut être efficace dans les reconduites à la frontière ; l’assignation à résidence est une manière beaucoup plus digne d’accompagner les familles qui doivent être reconduites vers la reconduite, par un dispositif d’accompagnement beaucoup plus individualisé et beaucoup plus efficace ; enfin, l’assignation à résidence permet aussi d’éviter, notamment pour les enfants, des conditions de rétention dont nous n’avons que trop dit qu’elles étaient, à nos yeux, inhumaines. Il s’agit d’un dispositif fort, à la fois sur le plan humanitaire et en termes d’efficacité pour les reconduites, et je souhaite, bien entendu, que le Sénat puisse le faire sien.
La troisième mesure est une clarification, dans le texte issu de l’Assemblée nationale, des compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de rétention et de reconduite à la frontière.
Dans le dispositif de 2011, ces deux autorités avaient une compétence commune sur des matières communes, l’un, à savoir le juge judiciaire, étant le juge de la proportionnalité de la rétention, l’autre étant le juge de la légalité de la rétention.
Nous avons décidé de clarifier les compétences, le juge judiciaire demeurant seul compétent sur la rétention, le juge administratif traitant seul de l’éloignement. Nous pensons que cette clarification était utile.
L’Assemblée nationale avait rétabli la possibilité pour le juge judiciaire d’intervenir dans les quarante-huit heures après que la rétention avait débuté. À l’issue de ce délai, nous avions souhaité que la rétention puisse se prolonger vingt-huit jours dans un premier temps, puis quinze jours, ce qui n’augmentait pas la durée totale, mais permettait, pour les éloignements les plus compliqués, au juge et à l’administration d’avoir les moyens de la reconduite dans de bonnes conditions.
Je ne peux que regretter que la commission des lois du Sénat soit revenue sur cette avancée importante, en recréant de la confusion dans les compétences et en revenant sur la durée de quarante-huit heures. En effet, c’est moins de nature à reconnaître les droits de la personne éloignée, qui peut difficilement concevoir que l’éloignement intervienne avant que le juge ne soit lui-même intervenu. De plus, les capacités d’éloignement s’en ressentiront, cette confusion entre les compétences des juges ayant donné des résultats assez peu efficaces au cours des dernières années. La clarification à laquelle nous avons procédé nous paraissait utile de ce point de vue.
Je voudrais terminer par deux sujets.
Le premier sujet concerne la présence de la presse dans les lieux de rétention. Le Gouvernement a souhaité la plus grande transparence sur les conditions dans lesquelles la rétention s’opère. À cet égard, nous regrettons que la presse, qui s’était vu reconnaître la possibilité d’accéder aux centres par une loi d’avril 2015 sur les prérogatives et les droits de la presse, se voie privée de cette possibilité.
À nos yeux, la présence de la presse, dès lors que nous sommes à un haut niveau d’exigence quant aux conditions de rétention, était une garantie de transparence permettant incontestablement d’assurer sérénité et efficacité dans le fonctionnement de l’administration. Il n’y a aucune raison que la France ait honte de ce qu’elle fait et, par conséquent, il n’y a aucune raison que la France dissimule ce qu’elle met en œuvre. Je ne vois aucune raison d’être dans cette opacité, qui remet en cause les droits de la presse et met en œuvre sur les centres de rétention des dispositions qui sont par trop restrictives.
Enfin, second sujet, j’évoquerai les étrangers malades.
C’est l’honneur de notre pays d’apporter protection à ceux qui ne peuvent pas être soignés chez eux, et pour être soigné chez soi, il ne suffit pas qu’un traitement existe, encore faut-il que le traitement soit accessible. (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Monsieur Ravier, je comprends que ce n’est pas l’une de vos préoccupations premières,…
M. Stéphane Ravier. Effectivement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … mais il y va de l’honneur de ce gouvernement d’être dans la préoccupation de voir tous ceux qui doivent bénéficier de protection soignés demain, et ce dans des conditions d’équité et dans des conditions qui garantissent le libre accès aux soins de tous ceux qui ont besoin d’être soignés. (M. Stéphane Ravier proteste.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur Ravier, vous parlerez à votre tour !
Mme Natacha Bouchart. Il faut soigner ces gens !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, sur la base d’un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale de l’administration, a proposé que soit rétablie l’égalité d’accès aux soins grâce à un dispositif uniforme piloté par l’OFII, dont c’est une compétence déjà éprouvée.
Je comprends les craintes, relayées notamment en commission des lois par Éliane Assassi, qui s’est demandée si le fait que les médecins qui procéderont à ces soins soient plutôt dans l’orbite du ministère de l’intérieur ne les conduira pas à soigner moins bien. Madame la sénatrice, ils sont tous soumis au même serment et aux mêmes règles déontologiques, et soyez assurée que le ministère de l’intérieur a aussi une préoccupation d’humanité, qui nous mobilise sur de nombreux théâtres où sont des migrants en situation de vulnérabilité. Je souhaite vous convaincre de la sincérité de notre démarche.
En tout état de cause, le Parlement, compte tenu de ses pouvoirs d’investigation et de contrôle, n’aura aucune difficulté à vérifier l’adéquation, ou l’inadéquation, qui pourra apparaître, à terme, entre les objectifs que j’assigne à cette mesure et les résultats effectivement obtenus.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire. Je forme le vœu que, sur la question migratoire, le débat s’apaise, que l’on ne cherche pas à instrumentaliser ce sujet, douloureux pour des milliers d’hommes et de femmes, à des fins de politique intérieure, que l’on ne préempte pas ce sujet pour faire peur. Nous devons plutôt essayer de le traiter avec des dispositifs qui fonctionnent. Le souci opérationnel et humanitaire doit être la première de nos préoccupations.
J’essaierai de conduire ce débat avec cette seule et unique préoccupation : la rigueur dans les faits, la rigueur dans les chiffres, la rigueur dans les procédures, la rigueur dans la constitutionnalité et la conventionalité des mesures que nous proposons.
En effet, contrairement à ce qui s’est passé depuis près de trois décennies dans notre pays, la question migratoire, qui est suffisamment grave sur le plan humanitaire, ne devrait pas nous diviser. Elle devrait, comme les grands sujets de société et les grands sujets d’intérêt national, nous rassembler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Claude Requier et Jacques Mézard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, j’entame ce débat avec un handicap : je n’ai que dix minutes de temps de parole. Je ne pourrai donc pas répondre dans le détail à tout ce que vient de dire M. le ministre. Cependant, la discussion des articles me permettra de défendre pied à pied la position de la commission des lois devant la Haute Assemblée.
Rappelons quand même que notre commission a été appelée à se prononcer sur un texte, adopté au mois de juillet dernier par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée le 19 juin 2015, alors même qu’il a été préparé en 2013. Il devait être initialement confondu avec le projet de loi réformant le droit d’asile, mais il en a été séparé. Nous l’avons regretté, monsieur le ministre.
M. Roger Karoutchi. Voilà !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. En effet, si nous étions d’accord pour partager les objectifs de simplification de la procédure d’étude des demandes d’asile pour en réduire les délais, nous voulions aussi absolument régler le problème des déboutés, qui alimentent les effectifs des étrangers en situation irrégulière, mais le Gouvernement, à l’époque, a refusé de nous suivre. (M. Roger Karoutchi opine.)
Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, pour tenir un discours de vérité et de rigueur. J’en prends l’engagement à cette tribune.
Le texte, à ce stade, essaie d’améliorer un peu la situation, mais il ne résoudra pas tous les problèmes, car il se contente de quelques réformes à la marge sur le nombre de titres de séjour. Cependant, il ne va pas au bout du problème majeur qu’est le traitement de l’immigration irrégulière, et donc de l’éloignement des étrangers se trouvant dans cette situation.
Peut-être faut-il rappeler que le droit des étrangers a fait l’objet d’une trentaine de réformes législatives depuis les années quatre-vingt, soit quasiment un texte par an.
Aussi, la démarche que je vous propose est d’abord de simplifier le texte issu de l’Assemblée nationale, de le rendre plus efficace s’agissant des dispositifs proposés et de maintenir les équilibres que nous avions trouvés dans le texte de 2011 relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
Puisque nous évoquons les statistiques, monsieur le ministre, je leur préfère – je le dis sincèrement – la réalité des chiffres produits par nos services, et singulièrement par les services de la police aux frontières.
Nous le savons, cette affaire d’immigration comporte, en réalité, trois grands blocs : d’abord, le bloc de l’asile, qui doit être traité efficacement afin de protéger au plus vite ceux qui le méritent ; ensuite, le bloc des réseaux mafieux, qui alimentent cette procédure d’asile et que nous devons combattre ; enfin, les déboutés du droit d’asile, que nous devons éloigner rapidement.
Sur l’immigration régulière, nous partageons les chiffres, monsieur le ministre : nous constatons vous et moi que, en 2014, sur 210 000 titres, 92 257, soit 43 %, ont été délivrés pour un motif familial.
Monsieur le ministre, puisque vous avez mentionné le regroupement familial, permettez-moi de rappeler la réalité des chiffres : ils s’élèvent à 16 280 et le pourcentage est très précisément de 17,65 %.
Les documents produits au sein du rapport de la commission des lois puisent leur source, s’agissant des présents chiffres, dans la réponse ministérielle au questionnaire budgétaire « immigration » pour l’année 2013. Nous ne les avons pas inventés et vous les retrouverez dans l’ensemble des documents officiels !
Ce que je veux dire par là, c’est que l’immigration familiale représente la moitié de l’immigration régulière, tandis que l’immigration économique représente simplement 9 % des titres délivrés en 2014. (M. Philippe Kaltenbach s’exclame.)
Telle est la réalité de l’immigration régulière sur notre territoire, à laquelle il faut évidemment ajouter les 14 000 demandeurs d’asile qui ont obtenu le statut de réfugié en 2014.
Nous nous rejoignons sur les chiffres. Au demeurant, je ne conteste pas les vôtres. La seule nuance entre nous, c’est que vous livrez des statistiques alors que je cite les chiffres émanant de vos propres services.