Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais répondre de manière globale aux orateurs et, par la même occasion, faire un certain nombre de mises au point.
Les représentants de l’opposition ont, je le comprends, intérêt à tenir le discours suivant : le contexte a changé, le texte qui nous est présenté n’est donc plus pertinent. Avec plus ou moins de véhémence ou de pugnacité, ils aboutissent en creux à cette conclusion : le Gouvernement mène une politique laxiste,…
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. C’est bien ça !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … qui n’est pas à la hauteur en termes de moyens et d’ambitions. Ces interpellations sont au cœur du débat, et je me dois d’y répondre.
Les orateurs de l’opposition insistent sur le fait que le contexte a changé et qu’il faut en tenir compte. Mais c’est précisément ce que nous faisons ! Nous avons même anticipé la dégradation de la situation.
Je l’ai dit en concluant mon propos liminaire, je souhaite que, sur ce sujet, nous parvenions à trouver les conditions d’un consensus.
M. Philippe Kaltenbach. Ça risque d’être difficile…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Aussi, c’est sans aucun esprit polémique que je le rappelle : une crise migratoire a déjà eu lieu en 2011. Lorsque la situation de la Tunisie s’est subitement dégradée, on a assisté, à Lampedusa, à une arrivée massive de migrants.
Je le demande aux représentants de l’opposition : à ce moment-là, quelles dispositions ont été prises pour conforter les moyens des forces de l’ordre et les moyens d’accueil des demandeurs d’asile, notamment en termes de places au sein des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, pour que la France puisse être à la hauteur de sa réputation et de l’enjeu migratoire ? Combien de postes avez-vous créés au sein de l’OFII et de l’OFPRA pour que les dossiers des demandeurs d’asile soient traités dans des conditions dignes ?
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Vous ne faites que regarder dans le rétroviseur !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. À l’époque où vous étiez aux responsabilités, les demandes d’asile doublaient, et, bien sûr, la politique et les flux migratoires étaient totalement maîtrisés... Depuis que nous sommes aux affaires, les demandes d’asile sont stables, et nous serions dans le laxisme absolu…
Qu’il s’agisse des effectifs des forces de l’ordre – vous y avez supprimé 13 000 postes –, des flux migratoires, de l’évolution de la demande d’asile, des moyens donnés à l’OFPRA ou à l’OFII, du nombre de places à créer en CADA, on constate que le travail n’a pas été fait à l’époque où vous étiez aux responsabilités.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Faites mieux ! Personne ne vous en empêche.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour notre part, nous agissons par anticipation. Nous créons 18 500 places en CADA. Nous augmentons de près de 200 le nombre des personnels affectés à l’OFPRA, à l’OFII et aux préfectures, pour mettre en place le guichet unique. Sur la durée du quinquennat, nous créons 5 500 postes au sein des forces de police et de gendarmerie, dont 900 sont spécifiquement affectés aux forces de sécurité destinées à faire face aux flux migratoires.
Ainsi, nous corrigeons bien des manquements d’une politique passée. Et il faudrait que nous soyons, à l’instant, en situation de rendre des comptes sur des flux qui n’ont ni la même intensité ni la même nature qu’auparavant, ou sur les politiques publiques menées, comme si nous étions coupables ?
À un moment ou un autre, la réalité doit être regardée pour ce qu’elle est, et il faut la rappeler. En effet, l’abaissement politicien n’est pas possible en tout point.
M. Roger Karoutchi. Pas trop de leçons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce soir, j’ai entendu un certain nombre de propos qui méritent des précisions.
M. Roger Karoutchi. Des précisions, mais pas de leçons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le rapporteur, vous relevez que le taux d’exécution des OQTF est de l’ordre de 20 % quelle que soit la période et que la proportion des reconduites à la frontière n’a pas augmenté. Vous en déduisez que des efforts supplémentaires n’ont pas été accomplis.
Toutefois, je vous répète ce que j’ai dit en ouvrant cette discussion générale : dans ces 20 %, vous incluez des cas qui n’ont pas vocation à être pris en compte, parce que ce sont de fausses reconduites. Lorsqu’on paie 1 000 euros un migrant européen pour retourner dans son pays, par exemple la Roumanie ou la Bulgarie, on peut considérer que l’on mène une bonne politique migratoire, que l’on accomplit un effort considérable au titre des reconduites à la frontière. Pour ma part, j’appelle cela une politique de gribouille !
De même, lorsqu’on impose des « OQTF flash » à des migrants irréguliers qui repartent d’eux-mêmes, dans le seul but de faire du chiffre, on peut parler de volonté politique. Pour ma part, j’appelle cela de la gonflette statistique.
M. Philippe Kaltenbach. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Puisque vous souhaitez obtenir des chiffres précis, je vais vous les communiquer. Ils figurent dans les tableaux que vous avez évoqués.
On a dénombré 13 908 éloignements forcés en 2009, 12 034 en 2010, 12 547 en 2011, 13 386 en 2012, 14 076 en 2013, 15 161 en 2014. Et, en 2015, nous serons à 17 000 !
Je veux bien que l’on fasse des commentaires quant à la détermination du Gouvernement à lutter contre l’immigration irrégulière, mais, en l’occurrence, j’y oppose des résultats.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Tout cela n’est pas très convaincant…
M. Philippe Kaltenbach. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !
M. Roger Karoutchi. Ils ne disent rien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. À présent, je tiens à dire un mot de Calais.
Au cours des derniers mois, je me suis rendu régulièrement dans cette ville, et ce dans le cadre d’une stratégie. Je comprends que les élections régionales approchent et que la politique puisse s’emparer du sujet de Calais. Toutefois, madame Bouchard, je tiens à préciser certains points que vous n’avez pas relevés, ce que je regrette, compte tenu de la disponibilité dont j’ai fait preuve à l’égard de votre ville et eu égard à la confiance qui a présidé à nos relations jusqu’à présent. Je vais apporter des éléments extrêmement précis.
Premièrement, vous affirmez que le Gouvernement n’a pas de détermination à procéder, à Calais, à la lutte contre l’immigration irrégulière. Vous assurez que le laxisme est partout. C’est faux ! Pourquoi ? Parce que, depuis le début de l’année 2015 – et, en la matière, les résultats sont au même niveau qu’en 2014 –, nous avons démantelé à Calais trente filières de l’immigration irrégulière, ce qui représente près de 750 personnes.
J’ai déployé, à Calais, 550 personnels de police supplémentaires, représentant 7,5 unités de forces mobiles. À la fin de la semaine dernière, compte tenu de la situation que vous avez rappelée, j’y ai ajouté des forces mobiles supplémentaires. Aussi, je tiens à remercier les policiers du travail qu’ils accomplissent, à saluer l’action qu’ils mènent contre l’immigration irrégulière. Eu égard à ma responsabilité de ministre de l’intérieur, plutôt que d’évoquer le laxisme de l’État, je préfère rendre hommage à leur action.
Madame la sénatrice, si les forces de l’ordre agissent, ce n’est pas parce que vous leur avez donné des directives.
Mme Natacha Bouchart. Et la justice ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est moi qui leur ai donné des instructions de lutte contre l’immigration irrégulière.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Bref, tout est magnifique…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Deuxièmement, vous auriez pu indiquer que, depuis le début de l’année 2015, nous avons reconduit à la frontière 1 600 migrants en situation irrégulière à partir de Calais. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter depuis 2012. Pourquoi ne pas le dire ?
Il y a quelques instants, vous avez assuré à cette tribune que l’État vous avait abandonnée au sujet de la lande de Calais et que, si cette lande était ce qu’elle est aujourd’hui, c’était la responsabilité de l’État.
Mme Natacha Bouchart. C’est vrai !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pourquoi n’avez-vous pas précisé que, si la lande a été occupée par des migrants, c’est parce que vous m’avez demandé d’assurer l’évacuation maîtrisée des squats du centre-ville de Calais ? Vous m’avez vous-même demandé que l’on procède à l’installation des migrants dans la lande pour éviter des nuisances en centre-ville. Vous en êtes convenue avec moi, et vous saviez parfaitement que nous procéderions à l’aménagement de la lande.
À ce titre, voici les montants investis par l’État à Calais : pour le centre Jules-Ferry, l’État a mobilisé 12 millions d’euros avec l’Union européenne. À la lande – M. le Premier ministre et moi-même l’avons annoncé, vous ne pouvez pas le nier –, nous allons consacrer 18 millions d’euros. Nous allons créer des conditions d’hébergement pour une première tranche de 1 500 migrants.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. C’est ce qui s’appelle prendre de la hauteur…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les 2 000 places qui seront créées avant la fin de l’année en CADA pour accueillir les demandeurs d’asile à partir de Calais représenteront, quant à elles, 14 millions d’euros.
Vous déclarez que l’État vous abandonne, alors même que l’État investit à Calais 44 millions d’euros.
J’aurais pu avoir un tout autre comportement : celui, du reste, qu’a eu Nicolas Sarkozy à l’époque où il a procédé à l’évacuation de Sangatte, en 2002. J’étais alors maire de Cherbourg. J’aurais pu vous dire : vous souhaitez assurer un accueil humanitaire de jour au sein du centre Jules-Ferry ? Vous allez créer un appel d’air. Vous en porterez seule la responsabilité. L’État ne s’en mêlera pas, et il ne vous accordera pas un euro de soutien.
Aujourd’hui, je serais à cette tribune en train de vous dire que vous portez la responsabilité de l’appel d’air à Calais. Cela n’aurait pas été très digne sur le plan humanitaire ni sur le plan politique. Considérer que, parce que vous étiez dans l’opposition, vous méritiez que l’on vous traite de cette manière aurait témoigné d’un certain sectarisme et d’une manière bien politicienne d’agir. Ce n’est pas ce que j’ai fait !
Malgré vos déclarations à cette tribune, je tiens à dire aux Calaisiens, aux organisations non gouvernementales qui agissent et à vous-même que je ne change pas de position et que je n’ai pas l’intention de renoncer à un comportement correct sous prétexte d’échéances électorales.
Mme Natacha Bouchart. Ces échéances n’ont rien à voir avec la situation !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous affirme que je continuerai à tenir mes engagements. L’État continuera à affecter des moyens à Calais, en particulier des forces de l’ordre ; l’État continuera à agir sur le plan humanitaire, dans un contexte dont vous savez mieux que quiconque – vous me l’avez souvent dit – qu’il est extrêmement difficile ; l’État continuera à créer des places en CADA afin que les demandeurs d’asile de Calais puissent en être éloignés et être hébergés dans des conditions dignes. Cette politique est dictée par des considérations de nature humanitaire et non politique !
Enfin, vous affirmez à cette tribune que le projet de loi qui est présenté ici est de nature à aggraver la situation à Calais. Je voudrais que vous citiez une seule mesure susceptible d’avoir cet effet. S’agit-il de ce que nous allons faire en matière de clarification des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif afin de faciliter les éloignements ? De la mise en place de l’assignation à résidence, qui est précisément destinée à créer des conditions dignes d’éloignement, plutôt que de la rétention, pour un meilleur accompagnement des familles ? De ce que nous faisons pour renforcer les forces de l’ordre ? De ce que nous faisons pour augmenter les moyens de l’OFPRA ? Considérez-vous que tout cela soit de nature à nuire à Calais, alors qu’il n’y a pas d’autres solutions ?
Dans mon propos introductif, j’appelais de mes vœux, sincèrement et du fond du cœur, que ces sujets ne soient pas préemptés politiquement, pour des raisons que l’on comprend et qui tiennent au calendrier.
Mme Natacha Bouchart. Ce n’est pas le cas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souhaitais que des hommes et des femmes de sensibilités politiques différentes regardent les problèmes en face et essaient de les traiter sincèrement, ensemble, en dehors de toute considération politique. C’est ce que je continuerai à faire, même si vous tenez ce discours à cette tribune !
Dans le camp de Calais, il y a des femmes et des hommes en situation d’extrême détresse, et vous le savez mieux que quiconque, puisque vous y êtes tous les jours. Ce n’est pas mon cas, mais je me tiens informé quotidiennement, vous le savez, y compris par les textos que vous m’envoyez.
Tout cela relève d’un procédé qui n’est pas acceptable. Vous savez parfaitement ma disponibilité, vous l’avez vous-même souvent reconnue. Faire cela à la tribune du Sénat ce soir, ce n’est pas convenable, compte tenu de ce qu’est l’engagement de l’État à Calais, que j’ai l’intention de maintenir et d’intensifier. Je ne ferai jamais de la politique de cette manière ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Natacha Bouchart. La justice n’existe pas à Calais !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 7 octobre 2015, à quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n° 655, 2014-2015) ;
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 716, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 717, 2014-2015) ;
Avis de M. Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 2, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 7 octobre 2015, à zéro heure cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART