M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Je voudrais dire à quel point je suis attristée et en colère ce soir devant le résultat de nos travaux et certains comportements et discours. Nous ne faisons que repousser le problème !

Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut lutter contre la traite et les réseaux, qu’il s’agit d’un crime organisé, que les souffrances et les violences que subissent ces femmes qui passent par des parcours de dressage – imaginez ce que peut être un parcours de dressage ! – sont intolérables. Et pourtant, nous laissons croire que le client ne sait pas ce qu’il fait, qu’il a croisé une femme et qu’il s’est contenté de la suivre… Entendre un tel discours, après tant d’années de travail, est épouvantable.

La question de la pénalisation du client ne date pas d’hier, nous en discutons depuis des années. Et toujours le Sénat, cette Haute Assemblée où ont siégé d’illustres sénateurs ayant milité contre l’esclavage et dont nous n’avons sans doute pas les talents d’orateur, refuse cette pénalisation. Il faut pourtant que cette idée fasse son chemin dans les esprits, dans la société. Quel exemple allons-nous donner aux Français ? Le Sénat rejette encore la pénalisation du client !

Mme Catherine Troendlé. Et supprime le délit de racolage !

Mme Maryvonne Blondin. Que vont penser les Français en voyant cela ? Ils ne pourront que se moquer de notre assemblée ; c’est désastreux !

Quelle image allons-nous donner à la jeunesse ? Je vous rappelle que, dans nos collèges, dans nos écoles, des jeunes se livrent à la prostitution. On les agresse, on les harcèle, on menace de les dénoncer, car le client n’est pas puni ! Ouvrez les yeux, regardez ce qui se passe ! Tout cela me choque et me bouleverse…

Le délit de racolage ayant été supprimé, comme l’a justement souligné Mme Troendlé, je pense que mon groupe va s’abstenir sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard.

M. Jean-Claude Boulard. J’espère que le modeste débat juridique que je me suis permis de lancer, alors que le droit a été totalement absent de nos débats, sera approfondi. À cet égard, la petite note juridique que j’ai envoyée à chacun mériterait également d’être approfondie.

Puisqu’il a été fait référence aux grands anciens, sachez que Robert Badinter partage tout à fait cette approche juridique.

M. Jean-Claude Boulard. Ce n’est pas moi qui ai fait référence aux grands anciens, c’est vous !

La prostitution des mineurs est déjà interdite.

Mme Michelle Meunier, rapporteur. Pourquoi ne pas faire encore un effort ?

M. Jean-Claude Boulard. Toute une série de dispositions législatives punissent les auteurs de contraintes et ceux qui utilisent un service contraint. Je regrette beaucoup que l’on n’ait pas essayé d’explorer cette piste, qui me semblait un bon compromis. N’oublions pas que des femmes et des hommes – il s’agit sans doute d’une minorité – exercent librement une activité de prostitution, notamment à l’égard des handicapés. Dans mon département, par exemple, une jeune femme qui se prostitue auprès des handicapés reçoit les remerciements de leurs familles ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Je ne me prononce ni sur les valeurs ni sur la morale : l’histoire des hommes montre combien ces deux notions sont compliquées à manier… De temps en temps, il faut savoir faire un peu de droit, car c’est parfois lui qui nous rassemble. Approfondir le débat juridique est toujours utile ; j’espère que nous le ferons au cours des prochaines semaines.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. On peut se cacher longtemps derrière le droit – cela fait deux ans que nous avons ce débat – pour dire que rien n’est possible et qu’il aurait fallu explorer telle ou telle piste.

Faisons un tout petit peu confiance au Gouvernement, même s’il n’est pas de notre bord – en l’occurrence, pas du mien – et considérons qu’il dispose des outils nécessaires pour évaluer les éléments juridiques et le caractère légal de cette proposition de loi.

Je ne suis pas certaine que les personnes qui ont voté ce soir à la fois contre le délit de racolage et contre la pénalisation du client aient bien mesuré le sens de leurs votes. Je suis prise d’un doute en regardant le résultat du scrutin.

Je suis très attristée du message que le Sénat envoie à ces femmes, à l’encontre desquelles nous avons délivré un blanc-seing de violence.

Je suis également très attristée du message envoyé à la société selon lequel la sexualité tarifée devient parfaitement normale.

Enfin, que dire du message envoyé par la Haute Assemblée en tant qu’institution ? Le Sénat, défenseur des libertés et – normalement – très progressiste, a fait prévaloir la version la plus libertaire, celle défendue par notre collègue Esther Benbassa.

Encore une fois, je ne suis pas certaine que tous nos collègues aient eu conscience de la portée de leurs votes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Même si nous sommes ici le législateur, ce n’est pas le droit qui nous rassemble, mais les valeurs auxquelles nous croyons.

J’ai cru comprendre que nous étions toutes et tous convaincus qu’il fallait agir contre cette inadmissible traite des êtres humains. À partir de là, qu’on ne vienne pas dire, au nom de ceux qui souffrent dans leur corps et qui disent vouloir accéder aussi à l’acte sexuel, que la traite des êtres humains est admissible. Cherchons pour eux une solution qui ne soit pas contraire à nos valeurs. Ce sont ces valeurs qui nous dirigent, le droit suit ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Michelle Meunier, rapporteur. J’ai des sentiments partagés, ce soir.

Je suis satisfaite d’avoir pu examiner ce texte en deuxième lecture, et je remercie le Gouvernement d’avoir permis cette discussion, dans des délais certes acceptables, mais tout de même très longs. La Haute Assemblée a enfin pu examiner ce texte qui nous vient de l’Assemblée nationale.

Je suis également déçue : comme je l’ai dit, cette proposition de loi constitue un tout que la suppression de l’article 16 a, de fait, déséquilibré. Par ailleurs, l’article 13 ayant été adopté, je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il est plus facile de faire payer les femmes que les hommes…

Il me reste de l’espoir. Je n’ai pas pour habitude de partir vaincue d’avance ni de céder à la fatalité : non, la prostitution n’est pas inscrite durablement dans notre société ni dans celle de demain ! En commission mixte paritaire, nous allons de nouveau nous engager et travailler pour faire en sorte que cette proposition de loi puisse vivre et être votée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Républicains et, l'autre, du groupe socialiste et républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 25 :

Nombre de votants 332
Nombre de suffrages exprimés 203
Pour l’adoption 172
Contre 31

Le Sénat a adopté.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de nos échanges, même si certains propos surprennent toujours… Je remercie tout particulièrement M. le président de la commission spéciale et Mme la rapporteur.

Sachez, madame la rapporteur, que nous sommes déterminés : ce texte a fait l’objet de trois lectures, à l’Assemblée nationale et au Sénat, en moins d’un an. En outre, le budget consacré à la lutte contre la traite humaine a doublé. Il s’agit donc d’un engagement fort du Gouvernement.

À l’issue de la première lecture au Sénat, le délit de racolage n’ayant pas été supprimé et la responsabilisation des clients ayant été rejetée, j’avais affirmé que le choix avait été fait de continuer à considérer les prostituées comme des délinquantes et que les réseaux avaient de beaux jours devant eux. Ce soir, une majorité d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a heureusement fait le choix de reconnaître les prostituées comme des victimes. Malheureusement, les réseaux ont encore de très beaux jours devant eux. Cela pourrait ressembler à une forme de laxisme, permettez-moi de vous le dire… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées
 

17

Communication relative à la procédure d'examen en commission d'un projet de loi organique

M. le président. Lors de sa réunion du 15 septembre dernier, la conférence des présidents a décidé que la proposition de loi organique, modifiée par l’Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy serait examinée en deuxième lecture selon la procédure d’examen en commission.

Ont été publiés ce jour, sur le site du Sénat, le rapport et le texte de la commission des lois.

Ces deux documents ont été adressés au Gouvernement et aux présidents des groupes.

18

Communications du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 14 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 150-0 D du code général des impôts (Plus-values de cession à titre onéreux d’actions ou de parts) (2015-515 QPC)

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Le Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le mercredi 14 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux arrêts de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 621-5 du code monétaire et financier (Autorité des marchés financiers) (2015-513 et 2015-514 QPC).

Les textes de ces arrêts de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

19

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 15 octobre 2015 :

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze : débat sur le thème « La politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? »

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures trente-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART