Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Robert Hue. S’agissant de la Libye en revanche, on peut s’interroger sur les effets de l’interprétation extensive par plusieurs membres de l’ONU, notamment la France, de la résolution 1973 qui a été adoptée dans le but de protéger la population et non de renverser le régime. On a pu en mesurer le triste résultat...
Ensuite, la France doit conserver une relative indépendance. Sans bien sûr nier ses alliances traditionnelles et ses engagements multilatéraux, reconnaissons que la France sort le plus souvent grandie quand elle décide en toute autonomie. Lorsqu’elle agit sous pression, elle met en jeu la crédibilité de sa parole.
Nous avons eu l’occasion d’en débattre à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’accord annulant la vente des deux Mistral à la Russie, décision prise probablement sous influence, disons-le clairement.
Trop souvent, notre position peut apparaître comme un retour à l’atlantisme, alignée sur celle des États-Unis, ce qui n’est souhaitable au regard ni de nos propres intérêts ni même de ceux de la communauté internationale.
Je citerai de nouveau le dossier irakien de 2003 qui, mal apprécié, nous mène aujourd’hui tout droit à Daech. On le sait, les États-Unis ont une part de responsabilité dans cette impasse, parce qu’ils ont laissé le Premier ministre irakien al-Maliki mener une politique ne pouvant qu’alimenter un ressentiment sunnite.
Cet échec doit nous interpeller sur la surévaluation qui peut être faite de la capacité des Américains à régler les conflits. Il suffit d’examiner, pour cela, la question israélo-palestinienne, que le président Obama s’était promis de solder durant sa présidence. Les événements violents de ces derniers jours à Jérusalem illustrent, une fois encore, l’impasse de la diplomatie américaine.
Par ailleurs, je suis heureux d’entendre le Gouvernement français dénoncer le manque de transparence qui entoure les négociations du projet d’accord de libre-échange Transatlantic Free Trade Area, le TAFTA.
Enfin, au nom de cette indépendance de principe, nous ne devons pas écarter la diplomatie bilatérale, qui doit nous conduire à parler à tous les pays, au premier rang desquels se trouvent la Russie et l’Iran. Nous sommes plusieurs, au sein du RDSE, à appeler depuis longtemps au dialogue avec ces deux acteurs incontournables.
S’agissant de la Russie, j’ai eu moi-même l’occasion de rappeler qu’il fallait faire abstraction du nationalisme assumé de Vladimir Poutine, qui n’était que la réaction naturelle à une avancée de l’OTAN sur les frontières de son pays, contrairement aux engagements pris à la suite de la chute du mur de Berlin. Le secrétaire d’État américain James Baker n’avait-il pas promis à Mikhaïl Gorbatchev que « l’OTAN ne s’avancera[it] pas vers l’Est » ? Promesse non tenue !
Enfin, concernant l’Iran, l’accord de Vienne est bien évidemment un progrès incontestable, tant sur le plan de la lutte contre la prolifération nucléaire que sur le plan politique. Même si son application devra être surveillée, le repositionnement de l’Iran sur la scène internationale devrait également contribuer favorablement au règlement du dossier syrien.
Finalement, si nos interventions militaires peuvent ralentir les crises, elles ne peuvent pas installer durablement la paix sans l’implication des plus concernés.
En attendant, mes chers collègues, reconnaissons que nos destins sont liés à ceux de ces populations, ne serait-ce que si l’on songe à la crise des réfugiés en Europe. Par conséquent, il convient de donner à notre politique étrangère, pour qu’elle soit porteuse d’un message clair, une dimension indépendante, équilibrée et cohérente avec l’histoire de notre pays. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je commencerai par un constat. Syrie, Irak, Afrique, Palestine, terrorisme, multiplication des zones de non-droit ou de non-gouvernance, petits arrangements entre amis et voisins – je pense au Yémen – : jamais la planète n’a connu autant de soubresauts et de conflits non maîtrisés, avec leurs cortèges de larmes, de sang, de migrants, de populations massacrées. L’invasion de l’Irak en 2003 – cela vient d’être évoqué – a conduit à cette situation.
Jamais l’insécurité juridique, en particulier sur le plan du droit international, n’a été aussi forte. La Charte des Nations unies, qui devrait être notre référence commune, a été écrite par des esprits peu prospectifs, puisqu’elle ne permet aucun mécanisme de révision.
Depuis, bien d’autres forces ont émergé, alors que nous continuons à traiter entre États. Ne serait-il pas temps, monsieur le ministre, de reprendre une nouvelle fois le bâton de pèlerin pour essayer de modifier quelque peu le fonctionnement des Nations unies et du Conseil de sécurité, dont on a vu à quel point il était inopérant et inefficace ?
Le système de sécurité collective alors imaginé était construit sur trois piliers.
Le premier pilier était l’interdiction faite aux États de recourir à la force armée. On en voit le résultat ! Le deuxième pilier était de qualifier la situation. Ensuite, le Conseil de sécurité, s’il avait identifié « une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression », devait alors décider. Pour cela, il eût fallu appliquer l’article 43 de la Charte, qui prévoyait la mise à disposition de contingents armés à travers des accords spéciaux. Cela n’a jamais été le cas. Le troisième pilier consistait en une règlementation des armements.
On a masqué cet échec par des manipulations diverses. Monsieur le ministre, je crois que le temps est venu de reprendre cette réflexion. Le monde a changé et nous ne pouvons rester dans cette situation.
La Syrie est bien la preuve de cette faillite des mécanismes de sécurité collective. Le groupe UDI-UC pense que priorité doit être donnée à la lutte contre Daech et que le départ du président Bachar al-Assad ne doit se faire que dans un deuxième temps. Sans passer par pertes et profits le comportement sanguinaire et génocidaire qu’il a eu vis-à-vis de son peuple, il faut maintenant travailler ensemble d’abord contre Daech.
Les conflits gelés constituent un autre aspect du blocage des mécanismes. Monsieur le ministre, il faut s’intéresser au Caucase. Vous l’avez dit vous-même : celui qui, dans la difficulté, renonce à soutenir ses amis perd la confiance de ses partenaires. Plus que l’Azerbaïdjan, j’évoquerai ce qui est en train de se passer en Ukraine où, du fait de la déliquescence de la situation, nous avons aujourd’hui des camps de terroristes djihadistes composés de Géorgiens, d’Ouzbeks, de Kazakhs, mais aussi de Turcs qui n’ont qu’à traverser la mer Noire pour arriver dans cet État qui n’en est plus un et qui connaît des zones de non-gouvernance.
Haut-Karabakh, Abkhazie, Ossétie et Transnistrie sont des conflits gelés, pour lesquels l’ONU et les mécanismes de sécurité collective n’ont toujours pas trouvé de solutions. Or il en faudrait, car la Crimée et le Donbass s’apprêtent à rejoindre cette liste...
La Palestine constitue un autre blocage international, Robert Hue en a parlé. La Palestine n’est pas un territoire occupé, c’est un territoire qui a disparu des écrans radars ! Ni le président Obama ni le président Hollande ne l’ont mentionnée à la tribune des Nations unies… La désespérance du peuple palestinien est telle qu’une autre intifada se dessine, une intifada « au couteau » que personne ne peut soutenir et qu’il faut dénoncer.
Israël doit vivre dans des frontières sûres et reconnues, mais le peuple palestinien doit avoir son État. Monsieur le ministre, vous étiez présent lors de la levée des couleurs du drapeau palestinien au siège des Nations unies. Nous avons été nombreux à être émus par ce symbole, mais cela n’est pas suffisant pour un peuple assoiffé de reconnaissance, humilié et occupé. Je l’ai dit et je le répète : la Palestine n’est pas une terre occupée, c’est une terre disparue.
Israël s’est rapproché de la Russie – encore elle –, alliée de Bachar al-Assad, une alliance autour de la question du Golan.
L’Iran, grâce à ses réseaux, pourra vraisemblablement jouer un rôle pacificateur dans la région. Là aussi, la France doit reprendre son bâton de pèlerin.
Monsieur le ministre, j’ai une demande personnelle à vous faire. Avec votre collègue ministre de la justice, il faudrait vraiment abroger l’infamante circulaire du 12 février 2010 qui porte au paroxysme la confusion entre l’action politique de boycott et l’antisémitisme. Cette circulaire est une honte !
S’agissant de l’Iran – pays pour lequel vous savez que j’ai les yeux de Chimène – et son retour sur la scène internationale, je suis contente de constater, comme je l’ai fait lors de mes très nombreux voyages, que le changement de ton que vous avez souligné lors de l’arrivée du président Rohani s’est accompagné d’un changement de fond. Votre voyage à Téhéran a été un vrai succès. La venue sur le territoire français du président Rohani marquera aussi une nouvelle étape.
Le président Hollande a lui aussi obtenu un très grand succès en étant le premier président occidental invité par le Conseil de coopération des États arabes du Golfe. Pour avoir l’honneur de présider le groupe d’amitié France-Pays du Golfe, je sais que nous avons d’excellents rapports avec ces pays, ce qui devrait permettre à la France de préparer un mariage de raison entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui constituent les deux puissances régionales.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Il y a du travail !
Mme Nathalie Goulet. « Ils ne s’aiment pas, faisons en sorte qu’ils se supportent », disait M. Kouchner à propos du Kosovo.
Puisque nous entretenons désormais de bonnes relations avec ces deux pays, aidons-les à se parler – c’est précisément le rôle de la diplomatie. Un tel pari sur l’avenir de la sécurité des pays du Golfe est loin d’être inintéressant et la France pourrait jouer un vrai rôle de médiateur. Quoi qu’il en soit, il y a des motifs pour entretenir des relations équilibrées entre l’Arabie saoudite et l’Iran, car notre diplomatie ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Monsieur le ministre, je conclurai par un message. Je suis effarée par le bashing permanent dont font l’objet nos amis et partenaires des pays du Golfe, mais aussi de certains pays du Caucase. En tant que ministre du commerce extérieur et des affaires étrangères, vous devriez exposer une fois encore les principes de notre diplomatie fondée sur le soft power. Le dénigrement systématique est tout à fait contreproductif : nous ne pouvons pas passer pour d’éternels donneurs de leçons aux yeux de ces pays qui sont nos partenaires et dont le rôle est extrêmement important pour l’équilibre de notre balance commerciale.
Nous devons tenir un discours de raison, celui de la France des droits de l’homme, mais aussi celui d’un pays qui, sur le plan commercial et industriel, doit tenir une place extrêmement importante, en particulier dans le contexte de concurrence que nous connaissons. Le travail réalisé par le Président de la République, le Premier ministre et vous-même pour développer nos relations commerciales avec ces pays mérite aussi une explication de texte.
Il est absolument insupportable que les compagnies aériennes des pays du Golfe soient systématiquement mises au pilori et jetées en pâture à l’opinion et servent d’excuses à nos difficultés économiques internes et à nos problèmes de compétitivité. Il nous appartient de défendre certes les droits de l’homme – nous savons le faire ! –, mais aussi les intérêts de notre industrie, car notre économie en a impérativement besoin ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, pour ce débat annuel de politique étrangère, notre commission a proposé le sujet suivant : « Quelle autonomie pour quelle ambition ? » Ce sujet est très vaste et les thèmes retenus des quatre rapports d’information – nos relations avec la Russie, avec l’Iran, les conséquences des dérèglements climatiques et le développement économique de la Chine –, tout comme l’actualité de ces dernières semaines, fournissent largement de quoi alimenter cette discussion. Néanmoins, précisément en raison de cette actualité immédiate, je limiterai mon propos aux conflits multiformes qui se déroulent au Moyen-Orient.
Le drame syrien nous donne ainsi l’occasion de nous interroger non pas tant sur l’autonomie parfois limitée dont fait preuve notre pays que sur certaines ambiguïtés de notre politique étrangère. Ces ambiguïtés ne sont-elles pas justement le reflet d’un manque d’ambition ?
En Syrie, la situation stratégique est figée. Aucun des protagonistes intérieurs n’est en mesure de l’emporter militairement. La complexité de la situation et la faiblesse des forces démocratiques syriennes font d’ailleurs que les États-Unis ont dû admettre le fiasco total de leur programme d’entraînement de quelques groupes d’opposition. Les frappes aériennes réalisées par la coalition sous leur commandement pour combattre le prétendu État islamique connaissent des résultats très limités, qui peinent à contenir Daech. Aucune solution diplomatique n’est en vue, du fait de la division et des intérêts souvent divergents des puissances extérieures. Face à ce sombre tableau de la situation, quel rôle jouons-nous réellement ?
Monsieur le ministre, je connais vos efforts et votre talent pour faire entendre la voix de la France. Pourtant, celle-ci est parfois peu audible.
En déclenchant in extremis des frappes aériennes en Syrie à la veille de l’ouverture de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, le Président de la République a sans doute souhaité intervenir militairement en Syrie pour montrer sa détermination à jouer un rôle important parmi les protagonistes de ce conflit. Cependant, peut-on dire que la France ait publiquement pris des initiatives diplomatiques constructives ? Je ne le pense pas, car nous ne défendons pas nos convictions avec assez d’audace et de force.
Il en va ainsi concernant l’intervention militaire russe en Syrie. Certes, nous ne devons pas être naïfs quant aux intentions de Vladimir Poutine, lequel veut vraisemblablement reprendre sa place dans le jeu régional, préserver les intérêts stratégiques de son pays, permettre à Bachar al-Assad de regagner du terrain et éviter l’effondrement de son réduit. Toutefois, force est de constater qu’il prend des initiatives et propose des objectifs politiques. Face à cela, les États-Unis et nous-mêmes sommes sur la défensive et semblons ne plus avoir prise sur l’évolution de la situation.
En effet, faute de propositions claires et d’initiatives sur la faisabilité même de la transition politique que nous voudrions voir se réaliser en Syrie, nous donnons l’impression d’être indécis, écartelés entre notre souhait d’éradiquer les djihadistes et notre volonté d’en finir avec Bachar al-Assad qui les combat.
Pour le moment, les Russes, avec les Iraniens, verrouillent la situation ; pour la dénouer, il n’y a donc pas d’autre solution que de négocier avec eux. C’est pourquoi notre groupe approuve les remarques et les recommandations formulées dans les deux rapports d’information pour renouer, avec lucidité, le dialogue avec l’Iran et la Russie et, peut-être, rééquilibrer avec pragmatisme nos partenariats stratégiques, car il n’y aura pas de solution sans eux, encore moins contre eux.
Cette attitude frileuse et indécise dans la recherche de solutions s’explique aussi par votre trop grande prudence, monsieur le ministre, à vouloir ménager certains de nos partenaires, comme la Turquie, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis – sans faire de bashing… (Mme Nathalie Goulet sourit.)
Certes, le récent attentat meurtrier d’Ankara vient de rendre encore plus complexe une sortie de crise et la Turquie franchit un pas de plus vers la déstabilisation. C’est pourquoi nous devrions fermement dénoncer la politique suicidaire du président turc qui, au lieu de jouer l’apaisement dans son pays, choisit la division et l’extrême violence contre ses concitoyens kurdes, afin de gagner des élections à son seul profit.
Voilà où mène la duplicité du gouvernement turc dans la lutte contre Daech ! Nous ne pouvons rester plus longtemps silencieux face à la situation du peuple kurde dans cette région. Prenons enfin nos responsabilités pour éviter la déstabilisation et la guerre civile en Turquie.
Il en va de même pour nos relations avec l’Arabie saoudite. Compte tenu de son rôle ambigu dans la lutte contre Daech au sein de la coalition menée par les États-Unis et de son mépris à l’égard de certaines valeurs universelles, comme le respect des droits de l’homme, ne serait-il pas nécessaire de changer de ton dans nos relations bilatérales ? N’est-ce pas ce que viennent de faire les Britanniques en renonçant à un appel d’offres saoudien, eux qui sont pourtant, comme nous, un grand fournisseur d’armements du royaume wahhabite, à l’heure où nous venons, nous-mêmes, de signer divers contrats très importants ?
La politique diplomatique d’un grand pays comme le nôtre doit être capable de trouver et d’exprimer le difficile équilibre entre les exigences éthiques de la défense et de la promotion des droits humains et les réalités du commerce international, la défense de notre économie et de nos emplois.
Ne laissons pas la Russie et les États-Unis poursuivre leurs tractations en tête-à-tête. Reprenons des initiatives pour aboutir à une proposition de résolution acceptable pour l’ensemble des membres du Conseil de sécurité. Jouons un rôle de premier plan pour que notre diplomatie soutienne avec force la conférence de paix sous l’égide de l’ONU, telle que l’a présentée son envoyé spécial, M. de Mistura, et contribue activement à en assurer la réussite.
Œuvrez, monsieur le ministre, avec peut-être plus de souplesse que précédemment, à ce que le groupe « P5+1 », fort de sa réussite sur le nucléaire iranien, confortée ces jours-ci par la ratification du Parlement de ce pays, puisse élaborer des solutions propres à réussir la nécessaire transition politique en Syrie.
Enfin, je ne peux conclure sans évoquer brièvement, comme l’ont fait précédemment mes collègues, la dramatique aggravation du conflit entre Israël et les Palestiniens. Là aussi, monsieur le ministre, faites entendre la voix de la France en protestant et en agissant pour stopper cette escalade, résultat d’une stratégie du chaos et du désespoir délibérément mise en œuvre par le Premier ministre israélien. Faites savoir que le droit et les conventions internationales doivent être respectés pour mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Michel Billout. Agissez pour que la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale apparaisse désormais comme la seule solution pour mettre fin à ce conflit.
C’est à tous ces niveaux que le groupe communiste républicain et citoyen estime nécessaire d’agir pour que la France retrouve son influence, qu’elle soit entendue et qu’elle reprenne toute la place que lui confèrent son histoire, son image dans le monde et sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le groupe de travail que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a mis en place sur la nouvelle croissance chinoise nous a permis, entre autres, de mesurer les actions menées par le Gouvernement en ce qui concerne la diplomatie économique. Je sais que ce thème vous est particulièrement cher, monsieur le ministre.
Depuis 2012, les acteurs administratifs ont été réorganisés pour améliorer leur efficacité et leur visibilité, afin de constituer une « force de frappe » au service de nos entreprises à l’international. Sous votre impulsion, monsieur le ministre, le réseau diplomatique est prioritairement orienté vers les pays émergents, notamment grâce à un redéploiement des effectifs et des moyens. Vous avez d’ailleurs indiqué, lors de la semaine des ambassadeurs qui s’est tenue à la fin du mois d’août dernier, que notre ambassade en Chine serait, en 2017, la première dans le monde par ses effectifs. Ce choix nous paraît judicieux, au regard de l’exceptionnelle dynamique que nous avons observée lors de nos nombreuses rencontres en Chine. Nous sommes ainsi en phase avec la Banque mondiale qui vient d’annoncer que la Chine était devenue la première puissance économique du monde.
Nous avons été frappés, lors du déplacement que nous avons effectué au mois de septembre dernier à Pékin, Guilin et Shanghai, par le développement incroyable des nouvelles technologies et de l’économie numérique. En voulant protéger son marché intérieur, mais aussi son système politique, la Chine a réussi à construire des champions nationaux, de taille mondiale, notamment dans l’e-commerce. Malgré la surveillance des réseaux sociaux et de l’internet, ceux-ci comptent plus de cinq cents millions d’utilisateurs aujourd’hui.
Nous avons aussi rencontré de nombreux Français installés en Chine et nous avons participé à la réunion plénière annuelle des conseillers du commerce extérieur. Malgré le ralentissement de la croissance chinoise, l’activité économique reste selon eux porteuse, voire très porteuse, dans de nombreux secteurs. Nous avons aussi été régulièrement mis au fait de certaines crispations, pouvant se concrétiser par des difficultés bureaucratiques ou réglementaires, qui entravent l’activité de certaines entreprises. Monsieur le ministre, y avez-vous été sensibilisé ? En discutez-vous avec les autorités chinoises ? Ces crispations présentent-elles, selon vous, un risque pour le développement d’entreprises françaises en Chine ?
Par ailleurs, l’opinion publique française réagit parfois négativement à l’annonce d’investissements chinois dans notre pays. Il y a trente ans, nous avions peur des « dragons ». Dorénavant, nous avons peur de la Chine ! Dans ces conditions, comment faire accepter les investissements chinois, au moment où ce pays annonce sa volonté d’investir davantage chez nous ?
Enfin, nous l’indiquons dans le rapport d’information, la période de transition que traverse la Chine nécessite de nombreux ajustements économiques et politiques : la réorientation de sa croissance passe par une présence affirmée sur le plan international. La Chine a notamment créé plusieurs organismes richement dotés. Monsieur le ministre, quelle est l’approche de la France vis-à-vis de ces nouvelles banques et comment voyez-vous leur articulation avec la Banque mondiale et le FMI ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui nous conduit à nous interroger sur les principes et les motivations qui doivent guider la politique étrangère de la France et à nous demander dans quelle mesure celle-ci peut porter une voix singulière au sein du concert des nations.
Qu’il s’agisse de défendre des solutions politiques multilatérales aux crises actuelles, de promouvoir la démocratie libérale et les droits humains ou encore de mener à bien une diplomatie environnementale et une diplomatie économique, notre pays a un rôle certain à jouer.
C’est en ce sens qu’il me paraît plus à propos d’utiliser le pluriel et de parler « des » ambitions de notre diplomatie et de notre politique étrangère dans son ensemble.
En effet, dans un monde de plus en plus globalisé, interdépendant et complexe, nous devons nous adapter aux nombreux défis multidimensionnels qui se posent à nous. Pour cela, nous ne pouvons faire l’économie d’une approche et d’une réflexion à long terme pour notre politique étrangère. Il y va de notre responsabilité, de notre crédibilité et de la garantie de la préservation de notre autonomie.
Promouvoir une vision à long terme est une idée qui m’est chère, particulièrement en qualité d’écologiste.
Nul ne peut ignorer le décalage criant et dangereux qui existe aujourd’hui entre, d’une part, le temps long qui doit être celui du dialogue, de la résolution, de la reconstruction, de l’innovation, de la réflexion et des solutions face aux enjeux politiques, économiques, humanitaires et environnementaux et, d’autre part, le temps court du politique, de l’immédiateté de la décision et de l’instantanéité des médias qui s’imposent à nous. C’est cet impératif d’immédiateté qui prend le pas dans la politique que nous menons à l’échelle internationale.
C’est précisément cette incompatibilité entre ces deux temps, le temps long des solutions et le temps court de nos décisions, qui nous empêche d’anticiper, de prévoir et de nous projeter.
Un exemple particulièrement éloquent est bien évidemment, à quelques semaines de la tenue de la COP 21, celui de la lutte contre le dérèglement climatique.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis inédits et les prévisions sont sans concession. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, d’ici à 2100, la température pourrait augmenter de cinq degrés Celsius.
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, on comptera 250 millions de réfugiés climatiques d’ici à 2050.
En outre, en 2025, 4 milliards de personnes vivront dans un pays sous stress hydrique et 840 millions de personnes se retrouveront en situation de faim chronique. Qui plus est, la population des pays pauvres devrait passer de 5,3 milliards à 7,8 milliards d’habitants d’ici à 2050.
Les chiffres sont indiscutables, mes chers collègues !
Face à ces défis, nous ne pouvons nous contenter d’une diplomatie à court terme ou changeante, mais nous devons au contraire adopter une politique étrangère prospective et ambitieuse.
Les recommandations que nous avons formulées dans le rapport d’information de la commission des affaires étrangères sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique vont dans ce sens : soutenir la réorientation de l’aide au développement vers les énergies nouvelles et l’efficacité énergétique, développer la recherche, l’innovation dans le domaine du climat, mettre en place à l’échelon international ou régional adéquat des structures permettant la gestion des crises dans la durée, ou encore renforcer en France la recherche et la formation en matière de technologies innovantes de protection du littoral et, a fortiori, de la biodiversité dans son ensemble.
Il ne s’agit là que de quelques propositions, mais celles-ci prouvent que la lutte contre le dérèglement climatique et ses multiples conséquences s’inscrivent dans un temps long avec lequel nos stratégies d’atténuation, du moins d’adaptation, doivent être en adéquation.
Hier, en amont de la COP 21, des ministres de la défense du monde entier se sont réunis pendant une journée à Paris pour parler du climat. Il s’agit là d’une prise de conscience que les écologistes appelaient de leurs vœux depuis de nombreuses années et ils s’en réjouissent. Le dérèglement climatique n’est plus un simple effet multiplicateur : c’est une donnée géopolitique qui doit conditionner toute notre réflexion !
Monsieur le ministre, plus généralement, il s’agit de souligner l’un des problèmes majeurs inhérents à la vie publique, à savoir le décalage entre le temps politique, le temps diplomatique et le temps militaire.
Puisque nous avons réussi à obtenir la rencontre entre écologistes et militaires sur des questions environnementales et de défense – sujet peu aisé, tant s’en faut ! –, il est donc désormais acquis que nous pouvons inciter au dialogue l’ensemble des acteurs concernés et ainsi faire coïncider nos objectifs en matière de politique étrangère avec les solutions vers lesquelles nous devons tendre.
Vous l’aurez donc compris, pour les écologistes, une politique étrangère autonome doit être une politique responsable à l’égard de nos partenaires. Ce doit être une politique cohérente. Enfin, ce doit être une politique en adéquation avec les principes et valeurs que nous portons. (Mme Bariza Khiari, MM. Yves Pozzo di Borgo et Alain Gournac applaudissent.)