Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

MM. François Fortassin, Jean-Pierre Leleux.

1. Procès-verbal

2. Questions d'actualité au Gouvernement

police et institution judiciaire

M. Cyril Pellevat ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Cyril Pellevat.

situation économique d'air france

Mme Mireille Jouve, M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

conséquences du dérèglement climatique sur la géopolitique

Mme Leila Aïchi, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international ; Mme Leila Aïchi.

situation à air france

M. Pierre Laurent ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Pierre Laurent.

manifestation des policiers

Mme Annie Guillemot ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

crédits budgétaires alloués à l'environnement

Mme Chantal Jouanno ; M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Chantal Jouanno.

projet de loi de finances

Mme Pascale Gruny ; M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics ; Mme Pascale Gruny.

compte personnel d'activité

Mme Sylvie Robert ; Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

aéroport de notre-dame-des-landes

M. Joël Guerriau ; M. Manuel Valls, Premier ministre.

investissement des collectivités locales

M. Rémy Pointereau ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Rémy Pointereau.

formation en alternance

M. Maurice Antiste ; Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

ruralité

M. Daniel Chasseing ; Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

3. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

4. Commission mixte paritaire

5. Mise au point au sujet d’un vote

6. Débat sur le thème « la politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? »

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Robert Hue

Mme Nathalie Goulet

M. Michel Billout

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Leila Aïchi

M. Henri de Raincourt

M. Jacques Legendre

M. Daniel Reiner

M. Robert del Picchia

Mme Josette Durrieu

M. Cédric Perrin

Mme Éliane Giraud

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

7. Dépôt d’un rapport

8. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jean-Pierre Leleux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et le site internet du Sénat.

Les auteurs de questions du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique. Ceux des groupes communiste républicain et citoyen, RDSE et écologiste disposent, quant à eux, de deux minutes trente, y compris la réplique, au titre de l’équité.

La durée des réponses des membres du Gouvernement ne doit pas excéder le temps maximal imparti à l’auteur de la question, même si M. le Premier ministre bénéficie d’une « horloge spéciale »…

police et institution judiciaire

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. Cyril Pellevat. Madame la garde des sceaux, ils sont venus, vous les avez vus, vous les avez entendus ; comprenez-les, et réagissez !

À l’appel de tous les syndicats de la police, de nombreux personnels de cette institution, des agents administratifs aux commissaires, étaient réunis hier, devant votre ministère, pour exprimer leur désarroi face à la politique pénale que vous avez mise en place. Une manifestation de cette ampleur n’avait pas eu lieu depuis quatorze ans !

Leurs revendications relatives à leurs conditions de travail – manque de moyens, effectifs réduits – sont importantes, mais ce n’est pas d’abord sur ce point qu’ils veulent vous interpeller : c’est sur la politique pénale laxiste du Gouvernement. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Il s’agit là de leur principale revendication. Ils ne cessent de le clamer : les délinquants ne craignent plus la police ; à peine interpellés, aussitôt relâchés !

Les forces de police ressentent désarroi, injustice, absence de considération et stigmatisation.

Oui, les policiers se sentent abandonnés.

Oui, madame la garde des sceaux, vous êtes l’incarnation de la politique pénale du Gouvernement.

M. Cyril Pellevat. Suppression des peines planchers, contrainte pénale, réductions de peine systématiques, conditions de la légitime défense inadaptées, emprisonnement qui devient l’exception, délinquants mieux considérés que les victimes : autant d’évolutions en contradiction avec le ressenti des acteurs de terrain. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Chaque année, 80 000 peines ne sont pas exécutées ! L’exécution de la peine n’est plus assurée.

M. David Assouline. C’était pareil avant ! Il récite sa leçon !

M. Cyril Pellevat. Devant cette justice bien trop permissive, beaucoup parlent d’un divorce entre la police et la justice, mais il n’est pas trop tard. Le dialogue entre ces deux institutions doit être rétabli, pour le bien de nos concitoyens et de notre République. Un changement de politique pénale est plus que nécessaire.

Madame la ministre, allez-vous enfin mettre en place une politique pénale qui ait pour priorité d’assurer la sécurité des Français, ce qui passe par l’exécution rapide des peines prononcées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. La circonstance qui a déclenché l’expression de ce mécontentement est triste ; elle appelle de la gravité, mais, manifestement, vous éprouvez quelque difficulté à prendre de la hauteur, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – )

Pour ma part, je m’y sens tenue par la situation du policier qui, aujourd’hui encore, lutte pour la vie. Nous nous sommes toujours interdit d’instrumentaliser ces tragédies. Nous avons toujours fait le choix du respect de la victime et de sa famille. Nous avons choisi de ne pas nous défausser de nos responsabilités, quand d’autres ont jeté en pâture à l’opinion publique des magistrats et des fonctionnaires, suivant une stratégie du bouc émissaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. C’est faux ! Démission !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous examinons ce qu’il convient d’améliorer. C’est ainsi que nous avons déjà expertisé la loi de 2004, adoptée lorsque vous étiez au pouvoir, ainsi que ses textes d’application, qui introduisent de la confusion.

Nous avons déjà entrepris d’améliorer les circuits d’information des juges de l’application des peines, pour qu’ils puissent prendre leurs décisions dans les meilleures conditions, et nous allons veiller à la publication rapide des textes correspondants. M. le Premier ministre a dit tout ce qu’il y avait à dire à ce sujet hier et ce matin.

Monsieur le sénateur, nous sommes soucieux de veiller à ce que les conditions de travail au quotidien des forces de sécurité et des magistrats permettent d’assurer la sécurité des Français,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne le dirait pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … ainsi que la protection de leurs libertés individuelles et publiques.

Nous savons que c’est dans une relation de confiance sur le terrain, au quotidien, chacun étant à sa place et dans son rôle, que les membres des forces de sécurité et les magistrats…

M. le président. Veuillez conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … peuvent assurer notre sécurité et la préservation de nos libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC.)

M. François Grosdidier. Et les permissions ? Vous n’avez pas répondu !

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Il est trop facile de revenir éternellement sur le passé. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je vous ai demandé ce que vous comptiez faire.

M. David Assouline. La réplique était déjà prête ! Vous n’avez pas écouté la réponse !

M. Cyril Pellevat. Je viens de l’écrire, mais la réponse était attendue, car c’est toujours la même !

Le rôle premier de la justice est de faire appliquer la loi ; nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation économique d'air france

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du RDSE.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, ma question porte sur l’avenir d’Air France, et plus particulièrement sur le rôle de l’État, principal actionnaire de la société, à hauteur de 17,6 % du capital, dans la démarche de sauvetage de notre pavillon national.

Le Gouvernement a son mot à dire et une capacité d’action pour aider Air France, en particulier sur la politique et l’organisation du trafic aérien. Je pense, par exemple, à la fixation du montant des taxes aéroportuaires ou encore à l’attitude des pouvoirs publics à l’égard des compagnies concurrentes particulièrement agressives.

Monsieur le secrétaire d’État, comme vous le savez, Air France juge trop élevées les redevances aéroportuaires versées à Aéroports de Paris, dont l’État détient plus de 50 % du capital. Premier client de l’exploitant des aéroports franciliens, Air France acquitte plus de la moitié de ces taxes. Hormis l’aéroport de Londres-Heathrow, dont le trafic est saturé, Roissy-Charles-de-Gaulle et Orly sont les plates-formes les plus coûteuses d’Europe pour les compagnies aériennes, et donc pour Air France, qui a fait de Roissy son hub principal.

Tandis que l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, second hub d’Air France, a baissé le montant de ses redevances de 7,7 % en 2015, Aéroports de Paris a obtenu une augmentation de 2,4 % des taxes aéroportuaires cette même année, et si celles-ci seront gelées en 2016, le contrat de régulation économique conclu entre l’État et Aéroports de Paris prévoit une hausse de 1,25 % par an entre 2017 et 2020, alors qu’Air France réclamait un gel de ces taxes.

Ces redevances doivent, certes, contribuer au financement de nombreux investissements prévus dans les deux aéroports parisiens, mais, alors qu’Air France voit son trafic passagers se contracter, ne faudrait-il pas davantage lier leur évolution à la santé des compagnies aériennes ?

J’en viens maintenant à l’épineuse question de la concurrence, particulièrement celle des compagnies du Golfe, dont l’activité ne cesse de croître. Ces transporteurs, qui bénéficient de bonnes conditions tarifaires pour l’achat des carburants et d’une fiscalité très avantageuse, sont en outre abreuvés de subventions publiques : près de 35 milliards d’euros de subventions directes et d’avantages indirects ces dix dernières années, selon un rapport récent.

Monsieur le secrétaire d’État, dans ces conditions, comment l’État actionnaire entend-il prendre toute sa part dans le soutien financier à Air France ? Comme le préconise un rapport parlementaire récent sur la compétitivité du trafic aérien en France, envisagez-vous d’alléger le coût des taxes aéroportuaires pour la compagnie française ?

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Mireille Jouve. Plus largement, comment l’État peut-il – mais le souhaite-t-il ? – permettre un rééquilibrage en faveur d’Air France, quand toutes les compagnies ne luttent pas à armes égales dans un environnement de plus en plus concurrentiel ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, nul ne peut nier que l’augmentation du trafic aérien en France ne profite pas au pavillon national, dont la part est passée de 50,3 % en 2003 à 44,8 % en 2014.

Les causes de cette situation sont identifiées : l’émergence des compagnies low cost, plébiscitées d’ailleurs par les consommateurs, la concurrence des compagnies du Golfe, un déficit de compétitivité d’Air France par rapport aux autres grandes compagnies européennes.

En ce qui concerne les deux premières causes, l’État régulateur défend les conditions de mise en œuvre d’une concurrence loyale. Ainsi, le Gouvernement surveille très attentivement le respect des règles sociales par les compagnies qui travaillent en France. Ces contrôles permanents ont notamment abouti, en octobre 2013, à de lourdes condamnations financières contre Ryanair, et plusieurs compagnies low cost ont été condamnées au remboursement d’aides illégales accordées au titre de la desserte des aéroports de province.

Le modèle low cost, qui a élargi l’accès au transport aérien, n’est pas en soi condamnable. C’est pourquoi le Gouvernement a soutenu, en 2014, la création de la compagnie Transavia France.

S’agissant des compagnies du Golfe, c’est la France qui, en février 2015, par mon intermédiaire, avec le soutien de l’Allemagne, a pris l’initiative de solliciter de la Commission européenne l’engagement d’une négociation globale avec elles pour parvenir à la définition des conditions d’une concurrence loyale.

Pour ce qui concerne les charges spécifiques qui affectent la compétitivité d’Air France, le Gouvernement, à la suite du dépôt du rapport de Bruno Le Roux, a décidé une diminution de 50 % de la taxe sur les passagers en correspondance à compter du 1er avril 2015, et sa suppression totale à compter du 1er janvier 2016. Cela représente une économie de 90 millions d’euros sur 2015 et 2016.

Par ailleurs, il faut rappeler qu’Air France bénéficie du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui est une aide spécifique à la législation française, à hauteur de 66 millions d’euros pour la seule année 2014.

Enfin, concernant le contrat de régulation économique, il n’y aura pas d’augmentation des taxes aéroportuaires en 2016, comme vous l’avez rappelé, puis une hausse de 1,2 point au-dessus de l’inflation par la suite.

L’État régulateur est au côté d’Air France et de ses salariés, et il continuera à agir pour parvenir à une concurrence loyale et défendre le pavillon national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)

conséquences du dérèglement climatique sur la géopolitique

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Mme Leila Aïchi. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur le sommet international des ministres de la défense qui s’est tenu hier à Paris, avec pour thème « défense et climat ».

Il s’agit là d’une idée qui, je le rappelle, a germé voilà trois ans ici au Sénat, et que j’ai eu l’honneur de promouvoir, pour aboutir au résultat que nous connaissons : des dizaines de ministres de la défense, de délégations étrangères venues du monde entier se sont réunis pour parler du lien entre défense et climat. Ce fut une première mondiale !

Je tiens à remercier Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, d’avoir, dès le début, compris l’importance de cette question.

Je tiens également à remercier amicalement Nicolas Hulot d’avoir mené un travail laborieux pour convaincre les hautes sphères de l’urgence climatique. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je souhaite enfin remercier la hiérarchie militaire, et tout particulièrement le général de Villiers, de m’avoir prêté une oreille attentive et de s’être pleinement investie dans la réflexion que nous menons.

Mes chers collègues, le lien entre conflits et dérèglement climatique est aujourd’hui avéré et reconnu par tous ! Il ne s’agit plus d’un simple effet multiplicateur.

Vous le disiez vous-même hier, monsieur le ministre : « les conflits liés à la nourriture et à l’eau sont historiquement nombreux ». Mais cela va au-delà : la raréfaction des ressources et la compétition effrénée pour l’eau, la nourriture, le pétrole, le charbon, le gaz, les minerais, les terres rares sont en grande partie à la source des conflits d’aujourd’hui et de demain. Et que dire des centaines de millions de réfugiés climatiques que ceux-ci entraîneront !

Hier, à l’École militaire, le ministre de la défense a reconnu que le Livre blanc de la défense avait certainement sous-estimé la donnée climatique. Dont acte !

Monsieur le ministre, que compte faire concrètement le Gouvernement pour intégrer cette donnée stratégique dans la COP 21 et quelles suites comptez-vous donner à la conférence internationale qui a eu lieu hier ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la sénatrice, à tous les remerciements que vous avez prononcés, je voudrais en ajouter un autre, qui s’adresse à vous-même. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Quelle galanterie !

M. Laurent Fabius, ministre. En effet, cette idée a germé au Sénat, sur votre initiative. Elle a ensuite prospéré, le ministre de la défense vous ayant accompagnée dans votre démarche, et j’ai eu hier l’honneur d’ouvrir cette réunion extrêmement intéressante.

Certes, on associe d’abord la COP 21 aux problématiques de l’environnement, du climat, de la santé, du développement, mais il faut aussi penser à la sécurité, à la défense, car si les dérèglements climatiques continuent, la nourriture et l’eau se raréfieront dans certaines parties du monde, les conflits se multiplieront et, soit dit sans vouloir faire de catastrophisme, les mouvements migratoires concerneront des dizaines de millions de personnes, voire des centaines de millions !

Ce sont toutes ces idées qui ont été brassées au cours du sommet d’hier, dont les actes nourriront les conclusions de la COP 21.

Sur le plan mondial, il appartient aux ministres de la défense des différents pays de les appliquer, y compris dans leur propre programmation : ils ont la capacité d’agir pour mettre en œuvre ce que l’on appelle maintenant la « défense verte ».

Je veux appeler l’attention sur un autre aspect, qui me paraît particulièrement important : il convient d’élaborer une vision de long terme. Cette dimension sera, nous l’espérons, extrêmement présente dans les conclusions de la COP 21, ainsi que dans l’agenda pour l’action que nous présenterons le 5 décembre au Bourget.

La journée d’hier a été extrêmement utile, car tout dérèglement climatique est aussi un dérèglement sécuritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour la réplique.

Mme Leila Aïchi. Quand l’intérêt général le veut, nous savons nous rassembler ! Je tiens à remercier mes collègues Éliane Giraud, du groupe socialiste et républicain, et Cédric Perrin, du groupe Les Républicains, avec lesquels j’ai eu le plaisir d’élaborer un rapport sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique.

La lutte contre le dérèglement climatique et ses conséquences en matière de santé et d’environnement doit être l’affaire de tous, citoyens, institutions et partis ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

situation à air france

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.

M. Pierre Laurent. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Depuis l’annonce du plan prévoyant la suppression de 2 900 emplois chez Air France, vous prétendez n’avoir qu’un seul cap : le dialogue social.

Mais ce dialogue, où est-il ? Comment pouvez-vous cautionner l’arrestation de salariés chez eux, au petit matin, devant leur famille, en l’absence de tout risque qu’ils se soustraient à la justice ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Vous voulez peut-être les décorer ?

M. Pierre Laurent. L’argument invoqué par le parquet de Bobigny de l’existence d’un risque de concertation entre les intéressés n’est d’ailleurs pas davantage recevable, s’agissant de poursuites que l’on prétend mener sur la base d’images télévisuelles.

M. Roger Karoutchi. C’est incroyable !

M. Pierre Laurent. Pourquoi avoir vous-même condamné par avance ces salariés en appelant à des sanctions pénales, sans que soit établie leur culpabilité ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Êtes-vous prêt aujourd’hui, pour apaiser la tension, à appeler à la levée de poursuites disproportionnées, au risque, sinon, de transformer le procès du 2 décembre et la menace de prison qui plane sur la tête de ces salariés en un outrage ressenti par des milliers de syndicalistes et de salariés inquiets pour leur emploi, comme a pu le constater le Président de la République à Saint-Nazaire ?

Pour rouvrir la discussion en mettant toutes les options sur la table, êtes-vous favorable à la proposition de l’intersyndicale d’organiser une table ronde tripartite réunissant la direction, les syndicats et l’État ?

Que pense, par exemple, l’État actionnaire du triplement du ratio d’endettement de la compagnie entre 2011 et 2013, consécutif au rachat de KLM ? Quels revenus financiers les banques créancières d’Air France – BNP Paribas et la Société générale notamment – ont-elles tiré de cette flambée de la dette ?

Estimez-vous normal de continuer à verser, en 2015 et en 2016, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi à Air France, alors que 2 900 suppressions d’emplois sont programmées et que la compagnie a déjà touché 109 millions d’euros au titre du CICE pour 2013 et 2014 ?

Enfin, pouvez-vous nous expliquer pourquoi votre gouvernement a levé récemment le moratoire qui bloquait la cession de lignes aériennes long courrier aux compagnies du Golfe, qui s’apprêtent à racheter une partie des cinq lignes long courrier dont le plan d’Air France prévoit la fermeture ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Aline Archimbaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur Pierre Laurent, les violences qui ont eu lieu à Air France sont inacceptables. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous sommes là loin du dialogue social, et absolument rien ne peut justifier ces agressions. Les victimes ont déposé plainte et des interpellations ont eu lieu. La justice – vous le rappelez vous-même en d’autres occasions – est indépendante.

M. Alain Fouché. Et voilà !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Elle fait son travail, que le Gouvernement n’a pas à commenter, dans ce cas comme dans tous les autres.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous sommes cohérents, monsieur Pierre Laurent, et nous ne changeons pas d’avis sur la justice au gré des dossiers et des affaires. Vous le savez bien, monsieur le sénateur, ce n’est pas le Gouvernement qui ordonne les interpellations et détermine leurs horaires : pas de faux débat !

Il ne peut y avoir d’impunité – cela, c’est mon droit de le dire ! – pour des actes qui méritent une sanction judiciaire et des sanctions à l’échelon de l’entreprise. Le droit doit s’appliquer.

Il faut également songer aux effets produits par ces images dans le monde entier. J’ai rencontré les hommes qui ont subi ces outrages, cette humiliation : deux cadres de l’entreprise, mais aussi d’autres salariés, notamment des vigiles, pour qui vous n’avez pas eu un seul mot. Je le répète, il ne peut pas y avoir d’impunité pour de tels actes !

Je comprends parfaitement le désarroi de certains salariés, car la situation de l’entreprise Air France est bien sûr inquiétante. Ce n’est pas nouveau, et il ne faut pas se le cacher. Mais ce n’est certainement pas avec des actes violents que la situation pourra s’améliorer. C’est, au contraire, par le dialogue, la négociation – parfois difficile – que l’on peut avancer, jamais par la violence.

C’est un message de fermeté que je souhaite renouveler aujourd'hui devant vous, ainsi qu’un appel impérieux à la poursuite du dialogue et à la responsabilité. Des efforts ont été faits ; d’autres doivent encore l’être, en premier lieu par les pilotes, par qui le blocage est arrivé.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Alain Vidalies a rappelé quelle est la situation de la compagnie. Les discussions ont repris la semaine dernière. L’entreprise et les organisations syndicales doivent prendre ensemble des initiatives appropriées : c’est une condition nécessaire pour renouveler la négociation, pour préparer un avenir autre que la réduction des ambitions ou la mort d’Air France. Rappelons que des compagnies nationales ont déjà disparu dans d’autres pays.

C’est au sein de l’entreprise et de ses instances – j’ai rencontré les trois secrétaires des comités représentatifs dans lesquels siègent les représentants des salariés – que ce dialogue doit avoir lieu, dans un esprit de responsabilité. La mise en œuvre du plan de repli prévoyant la suppression de 2 900 postes n’est pas une fatalité. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire, il n’y a pas de changement de la part du Gouvernement. C’est parce qu’il n’y a pas eu d’accord des pilotes sur les premières propositions que ce plan de repli a été élaboré. Si toutes les parties reviennent autour de la table, on peut éviter sa mise en œuvre. Tout doit être fait pour cela. Chacun doit assumer ses responsabilités et regarder avec lucidité la situation d’Air France.

Oui, monsieur le sénateur, le dialogue doit se poursuivre, car nous avons besoin d’une grande compagnie aérienne portant fièrement le pavillon français ! Le dialogue social, c’est ne jamais refuser de serrer la main de l’autre, ne jamais refuser de se parler pour avancer ensemble. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) La société, plus que jamais, a besoin de dialogue et d’esprit de responsabilité.

MM. Christian Cambon et Roger Karoutchi. Excellent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Pierre Laurent, ceux qui aujourd'hui refusent le dialogue social sont en train de préparer la voie à ceux qui ne veulent plus de dialogue social, qui ne veulent plus de syndicats !

M. Jean-Pierre Bosino. En fait de dialogue, c’est plutôt un monologue !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Notre responsabilité à tous, monsieur Laurent, est de dialoguer pour avancer ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.

M. Pierre Laurent. Monsieur le Premier ministre, dans le peu de temps qui m’est imparti, je veux juste vous dire que vous pouvez compter sur nous pour que la mise en œuvre du plan de suppression de 2 900 emplois ne soit pas une fatalité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Catherine Tasca. Très bien !

manifestation des policiers

M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Annie Guillemot. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, il y a un an, vous appeliez policiers et gendarmes à une « vigilance absolue » face à la « menace terroriste ». Depuis, notre pays, nos concitoyens ont vécu le drame des attentats de janvier.

Devant la menace terroriste permanente, le plan Vigipirate « attentat » a été déployé. Pour assurer la sécurité de nos concitoyens, pour garantir l’ordre républicain, les milliers de femmes et d’hommes de la police et de la gendarmerie nationales font preuve d’un dévouement exemplaire, que je veux ici saluer. Nous savons tous que ces personnels ne comptent pas leurs heures, qu’ils doivent fréquemment faire face à un surcroît de travail engendrant un niveau de fatigue souvent excessif et que nombre d’entre eux sacrifient aussi une partie de leur vie personnelle et familiale, du fait des impératifs de leur mission de service public.

Les Français ont exprimé le 11 janvier dernier leur considération pour le travail exemplaire effectué par ces femmes et ces hommes. Si, auparavant, l’expression de cette considération passait uniquement par des discours, nous savons désormais que les actes suivent : votre action en témoigne, monsieur le ministre. Chacun sait dans quel état d’affaiblissement se trouvaient nos forces de police et de gendarmerie en 2012. Chacun se souvient que, entre 2007 et 2012, plus de 6 240 postes ont été supprimés dans la gendarmerie nationale et 7 000 dans la police nationale. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. François Grosdidier. Au moins, ils étaient payés !

Mme Annie Guillemot. Vous avez revalorisé l’indemnité des forces mobiles de 30 %, alors qu’elle avait stagné durant plus d’une décennie. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela ne vous fait pas plaisir, mes chers collègues, mais c’est la réalité !

M. Marc Daunis. Eh oui !

Mme Annie Guillemot. Vous avez su effectuer les efforts indispensables pour que soient améliorés les effectifs et les matériels. Les budgets dédiés à la police et à la gendarmerie progresseront encore en 2016, pour atteindre respectivement 8,2 milliards d’euros et 9,7 milliards d’euros.

Malgré ces efforts indispensables accomplis dans un contexte exceptionnel, le malaise est bien réel parmi ces fonctionnaires. Le drame du 5 octobre dernier n’a fait que l’accentuer.

M. le président. Votre question !

Mme Annie Guillemot. Ma question est simple : quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre pour optimiser les indispensables relations entre services de police et justice ? Quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter aux attentes des forces de police, notamment en matière de rétribution et de renforcement des équipements ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, vous avez parfaitement raison d’évoquer la lourdeur de la charge qui pèse sur la police et la gendarmerie. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

En ce moment même, un policier lutte contre la mort dans un hôpital. Malgré le bruit, le vacarme, marquons notre respect pour lui, pour sa famille, pour ses collègues, pour ses camarades tombés au cours des derniers mois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

Le respect implique que, sur la question que vous venez d’évoquer, madame la sénatrice, nous nous en tenions aux faits. Quels sont-ils ? Nous avons décidé de faire de la sécurité une priorité parce que nous avons parfaitement conscience que, comme vous l’avez dit à l’instant, beaucoup de policiers et de gendarmes sont durement exposés en raison de la mise en œuvre du plan Vigipirate, de la crise migratoire, de la montée de toute une série de violences que nous avons grandement intérêt à contenir aussi par le biais d’une parole responsable.

Alors que les forces de l’ordre avaient perdu 13 000 emplois avant 2012, nous avons décidé d’en créer 500 par an. Après la crise terroriste, le Premier ministre a décidé la création de 1 400 emplois supplémentaires, essentiellement dans les services de renseignement, territorial et intérieur. En raison de la crise migratoire, nous avons encore augmenté les effectifs, à hauteur de 900 postes. Nous avons également décidé d’accroître les moyens de fonctionnement de la police et de la gendarmerie de 3,1 %, alors qu’ils avaient baissé de 8 % entre 2007 et 2012. Nous avons enfin décidé d’engager un puissant mouvement de simplification de la procédure pénale, car les procédures qui résultent de textes pris il y a longtemps rendent le travail de la police impossible.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C'est la raison pour laquelle l’action du ministère de l’intérieur consiste à réussir le rehaussement des moyens et à simplifier la vie des policiers, par respect pour la charge qui leur incombe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

crédits budgétaires alloués à l'environnement

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme Chantal Jouanno. Nous sommes d’accord avec le Président de la République – cela peut arriver ! – lorsqu’il annonce, aux Nations unies, que la COP 21 sera la dernière étape cruciale pour lutter efficacement contre les dérèglements climatiques et qu’une solidarité internationale exceptionnelle sera nécessaire.

Or, dans la foulée, le Gouvernement fait montre d’amnésie foudroyante : il présente en effet, à notre grande surprise, un budget du ministère de l’écologie en baisse, pour la quatrième année consécutive, tandis que les crédits de l’aide publique au développement diminueront, eux, de 117 millions d’euros !

Depuis 2012, le ministère de l’écologie a perdu 2 300 postes, notamment dans les territoires, et son budget a été réduit de 1,75 milliard d’euros…

Certes, instaurer la neutralité fiscale entre le diesel et l’essence est une bonne décision, mais vous avez enterré toute perspective de réforme fiscale de l’écologie.

J’admire le talent oratoire de la ministre de l’écologie, qui affirme qu’elle fera plus avec moins d’argent public, mais les faits sont têtus.

Ma question sera très simple : oui ou non, assumez-vous le fait que le ministère de l’écologie n’est pas une priorité pour le Gouvernement, en cette année de la COP 21 ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Christian Cambon. Où est Ségolène ?

M. Jean-Pierre Raffarin. Dans le Poitou !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, le budget de fonctionnement du ministère de l’écologie est effectivement en diminution. Cependant, je relève que, le mardi et le mercredi, à l’Assemblée nationale, la droite nous reproche de ne pas faire assez d’économies, tandis que le jeudi, au Sénat, vous nous demandez de dépenser plus !

M. Jean-Pierre Raffarin. Mme Jouanno est du centre !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Si vous voulez vraiment réaliser les 150 milliards d’euros d’économies supplémentaires que vous réclamez, vous devrez bien un jour sortir de l’ambiguïté et assumer vos choix devant les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Nous assumons l’effort sur les crédits de fonctionnement. Cet effort a-t-il une incidence sur la politique menée, en particulier en matière de transition énergétique ? La réponse est non.

Comme vous le savez parfaitement, le crédit d’impôt pour la transition énergétique, qui va permettre aux familles d’investir directement dans l’isolation de leur logement, passe à 1,4 milliard d’euros, contre 600 millions d’euros l’année dernière.

Nous mettons en place la TVA au taux réduit de 5,5 % et l’éco-prêt : le montant de ces aides à la transition énergétique atteint 1,5 milliard d’euros. J’évoquerai encore le fonds mis au service des collectivités territoriales dans les territoires à énergie positive.

Je veux attirer votre attention, madame la sénatrice, sur l’importance des moyens publics dédiés à l’écologie, au-delà des seuls crédits budgétaires. Le Gouvernement devrait proposer que, à compter de 2016, la contribution au service public de l’électricité, qui permet le financement des dépenses publiques en faveur du développement, ne soit plus comprise dans l’exercice budgétaire : elle représentera 4,8 milliards d’euros, contre 4,1 milliards d’euros l’année dernière.

M. le président. Il faut conclure !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Cette seule augmentation équivaut à sept fois la baisse des dépenses de fonctionnement.

Vous le voyez, le Gouvernement assume à la fois ses efforts de réduction des dépenses de fonctionnement et son action en faveur de la transition énergétique. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour la réplique.

Mme Chantal Jouanno. Vous assumez donc pleinement le fait que le ministère de l’écologie n’est pas prioritaire pour le Gouvernement, en cette année de la COP 21. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est très bien de le dire : au moins, il n’y aura plus d’hypocrisie à l’égard des Français.

Vous avez cité le crédit d’impôt pour la transition énergétique. Pardonnez-moi de me montrer quelque peu cruelle, mais, en 2010, sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy que vous êtes si prompt à caricaturer, le montant du crédit d’impôt était de 45 % supérieur à ce qu’il est aujourd’hui, et le plafond de dépenses était plus élevé de 3 milliards d’euros ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

projet de loi de finances

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains.

Mme Pascale Gruny. Ma question s’adresse à M. le ministre des finances et des comptes publics.

Monsieur le ministre, la présentation de votre dernier projet de budget a suscité beaucoup d’attentes, parce que les enjeux sont cruciaux pour notre pays. Mais les attentes ont rapidement laissé place aux doutes.

À l’Assemblée nationale, vous avez affirmé vouloir tenir un discours de vérité. (M. le ministre acquiesce.) Où est la vérité, lorsque les objectifs de réduction des dépenses publiques ne correspondent pas aux perspectives annoncées ?

La rapporteur générale socialiste de l’Assemblée nationale dit elle-même ne pas savoir où vous réaliserez un quart des économies annoncées, soit 3,45 milliards d’euros !

Où est le courage, monsieur le ministre, quand vous demandez aux collectivités territoriales, déjà confrontées à de profondes difficultés, d’assumer les conséquences de l’échec de votre gestion ? Les collectivités ne pourront pas supporter une nouvelle baisse des dotations de l’État sans augmenter les impôts locaux. Ce transfert d’impôts du national vers le local n’est pas acceptable !

Où est la vérité, enfin, quand votre discours plutôt favorable aux entreprises se trouve contredit par vos actes : report de trois mois de la baisse des charges salariales, révision des plafonds fiscaux, explosion des normes ?

Les Français en ont assez ! Ils veulent des actes concrets et du courage politique. Devant l’urgence, monsieur le ministre, vous déciderez-vous enfin à mettre en adéquation vos paroles et vos actes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la sénatrice, la discussion budgétaire a commencé à l’Assemblée nationale il y a deux jours. Nous aurons l’occasion de mener point par point un important débat démocratique quand elle s’engagera ici au Sénat.

Le projet de budget pour 2016 est solide et sérieux. Il est solide, car les hypothèses qui le fondent le sont. L’année dernière, quand le Gouvernement déclarait tabler sur 1 % de croissance et 3,8 % de déficit pour 2015, vous nous répondiez que ces prévisions étaient irréalistes, voire mensongères.

M. Didier Guillaume. Oui, on l’a entendu !

M. Michel Sapin, ministre. Or, de fait, en cette année 2015, le taux de croissance sera de 1 % ou un peu plus, et le déficit de 3,8 % ou un peu moins : voilà la réalité !

Il faut tenir un langage de vérité : je l’ai fait l’année dernière, je le fais encore aujourd’hui. Notre projet de budget pour l’année prochaine repose sur une hypothèse de 1,5 % de croissance, ce qui permettra un recul du chômage, et de 3,3 % de déficit ; elle se vérifiera ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Gournac. Vous n’avancez pas !

M. Michel Sapin, ministre. Par ailleurs, madame la sénatrice, ce projet de budget est marqué par la baisse des impôts. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Vous les reportez sur les collectivités territoriales !

M. Michel Sapin, ministre. Nous tiendrons exactement l’engagement que nous avions pris de réduire de 9 milliards d’euros les impôts et les charges des entreprises.

Nous avions également pris l’engagement de baisser les impôts des ménages : ils diminueront de 2 milliards d’euros l’année prochaine et 12 millions de foyers fiscaux, sur les 17 millions que compte la France, verront leur impôt baisser.

Enfin, comme tout budget, celui que nous présentons finance un certain nombre de priorités. Madame la sénatrice, j’attends avec beaucoup d’impatience le débat que nous aurons dans cet hémicycle.

M. le président. Il faut conclure !

M. Michel Sapin, ministre. En effet, chaque fois que nous proposons une mesure d’économie, vous êtes contre, et quand nous vous demandons où vous entendez faire les 150 milliards d’euros d’économies que vous réclamez, vous êtes incapables de répondre ! Annoncez ce que vous voulez faire : c’est cela, le courage politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le ministre, nous ne nous opposons pas aux économies. Seulement, nous regrettons qu’elles se fassent toujours aux dépens des mêmes : nos communes, nos départements et, par conséquent, les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Vous ne m’avez pas répondu à ce sujet, monsieur le ministre. Vous avez beaucoup augmenté les impôts en 2013 et en 2014 ; aujourd’hui, vous parlez de les diminuer, mais ce sont encore une fois les classes moyennes qui en feront les frais ! Nous ne pouvons plus l’accepter ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

compte personnel d'activité

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Sylvie Robert. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Ce sera « la grande réforme sociale du quinquennat » (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) : c’est en ces termes que le Président de la République a évoqué le compte personnel d’activité, le CPA, future pierre angulaire de la sécurité sociale professionnelle.

Ce sera non pas un gadget ou une mesure technique de plus, mais une grande avancée sociale pour tous.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Comme le compte pénibilité !

Mme Sylvie Robert. En rassemblant sur un seul compte l’ensemble des droits sociaux utiles à la personne, le CPA renforcera la lisibilité de ces droits et leur accessibilité.

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Sylvie Robert. Combien de nos compatriotes ignorent les prestations et les formations auxquelles ils ont droit ? N’est-ce pas finalement ce manque d’information qui, parfois, alimente l’incertitude et l’insécurité sociale ?

Dans un monde en constante transformation, où les mutations sont de plus en plus nombreuses et rapides, il faut rassurer, répondre aux inquiétudes et apporter de la sécurité, non seulement par les mots, mais aussi par les actes.

Mme Sylvie Robert. En s’adaptant aux évolutions du marché du travail, aux trajectoires de chacun, qui sont de moins en moins linéaires, et aux aspirations de mobilité, le CPA sécurisera les parcours et les transitions professionnels.

En un mot, il deviendra un instrument de liberté et de responsabilité, permettant à chacun de se réaliser ; il constituera l’instrument protecteur dont nous avons individuellement et collectivement besoin.

M. Philippe Dallier. On n’y comprend rien !

Mme Sylvie Robert. Il sera aussi un levier de justice sociale.

M. le président. Votre question !

Mme Sylvie Robert. Je pense à ces jeunes qui, chaque année, quittent le système scolaire sans qualification. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Tous ont droit à une deuxième chance, tous ont le droit de se former au long de leur vie !

M. le président. Votre question, s’il vous plaît ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Sylvie Robert. L’égalité réelle des chances, la promesse républicaine, c’est aussi cela !

Madame la ministre, en quoi la conférence sociale de la semaine prochaine permettra-t-elle de concrétiser cette utopie transformatrice, pour reprendre les termes du rapport de France Stratégie ? Quelles sont les prochaines étapes de la mise en œuvre du CPA ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Je rappelle que le temps de parole est de deux minutes !

La parole est à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice, comme vous l’avez rappelé, les parcours professionnels sont faits de ruptures, de reconversions, de mutations. On passe d’un emploi à un autre, d’un statut à un autre, on cumule parfois même une activité salariée et une activité indépendante complémentaire.

Un sénateur du groupe Les Républicains. On est chômeur, surtout !

Mme Myriam El Khomri, ministre. L’idée qui sous-tend le compte personnel d’activité est de créer les conditions pour que chacun puisse mieux se projeter, mieux anticiper et mieux gérer ses évolutions de carrière, ainsi que mieux rebondir en cas d’échec ou de rupture professionnelle.

Ce que je vois sur le terrain, ce sont des salariés qui ont envie de progresser, de changer de travail, de se former, parfois même de créer leur entreprise. Il est révolu, le temps où l’on rentrait à seize ans dans une entreprise pour en sortir à soixante ans !

Les entreprises ont elles aussi besoin de faire évoluer les compétences de leurs salariés pour gagner en compétitivité et pour s’adapter, parce que les métiers évoluent, notamment en direction de la transition écologique et du numérique.

Le CPA est une ambition partagée depuis longtemps par de nombreux partenaires sociaux, sous diverses appellations : sécurité sociale professionnelle, sécurisation des parcours professionnels… Il sera donc construit avec eux. Cette coconstruction s’engagera dès lundi, lors de la conférence sociale, dont la première table ronde, que j’animerai, lui sera consacrée.

Comment comprendre que, au moment où nous passons aux actes, la CGT ne soit pas présente ? (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Bonne question !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je m’en étonne ; c’est à elle qu’incombe la responsabilité de choisir de participer à la construction commune ou de rester à l’écart.

En tout cas, vous pouvez compter sur ma détermination pour que le CPA soit une réussite collective.

M. le président. Il faut penser à conclure !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Une concertation fera suite à la conférence sociale. Si les partenaires sociaux le souhaitent, ce pourra être une négociation. Comme vous le savez, tout Français doit bénéficier d’un CPA au 1er janvier 2017, et notre méthode pour bâtir ce dispositif reposera sur le dialogue social. Sur cette base, je présenterai un projet de loi au Parlement au premier semestre de 2016. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Sylvie Robert. Je voudrais répondre à Mme la ministre, monsieur le président. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je ne peux pas vous donner la parole pour la réplique, ma chère collègue : vous avez déjà plus que consommé votre temps de parole ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

aéroport de notre-dame-des-landes

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Joël Guerriau. Monsieur le Premier ministre, une enclave de « zadistes » défie la République à Notre-Dame-des-Landes. C’est un espace de non-droit, où il est dangereux de circuler.

Samedi dernier, des opposants à la construction de l’aéroport ont pris possession d’une nouvelle maison sur le site du futur chantier. Par cette situation illégale, la République est bafouée au quotidien.

Une décision d’intervention aurait déjà dû être prise.

Notre collègue Bruno Retailleau a demandé au chef de l’État de clarifier sa position. À Saint-Nazaire, le Président de la République a répondu « qu’il faudra faire cesser ces occupations à un moment donné ou à un autre »… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Gournac. Ce sera à un autre !

M. Joël Guerriau. Cela confirme que les occupations illégales sont tolérées, en dépit du droit. Or le chef de l’État est le garant de l’intégrité nationale.

Quel désastre pour notre pays, si les forces de l’ordre, constatant au quotidien des faits de délinquance, se mettaient à suivre l’exemple du Président et reportaient « à un moment donné ou à un autre » une intervention qui s’impose !

L’inaction à Notre-Dame-des-Landes encourage les exactions, les vols, le racket, les intimidations. Les habitants et les entreprises se sentent abandonnés par l’État. Notre pays se montre incapable de faire respecter ses propres lois.

Le projet de transfert de l’aéroport date de 1963. Ce dossier a fait l’objet de nombreuses concertations, conformément à la loi. Il est soutenu par deux régions, par sept départements,…

M. le président. Votre question, mon cher collègue.

M. Joël Guerriau. … par l’ensemble du monde économique et, de façon ambiguë, par le Gouvernement.

La justice s’est prononcée : les 154 recours ont été rejetés par le tribunal administratif. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. La question !

M. Joël Guerriau. Malheureusement, plus de cent jours plus tard, rien n’a changé. Voilà déjà dix mois que vous avez annoncé une reprise des travaux…

M. le président. Votre question, s’il vous plaît !

M. Joël Guerriau. Monsieur le Premier ministre, qu’attendez-vous pour faire appliquer la loi à Notre-Dame-des Landes et garantir l’accès des entreprises au chantier, afin que les travaux puissent commencer ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, le tribunal administratif de Nantes a rejeté au mois de juillet l’ensemble des recours qui avaient été déposés contre les arrêtés préfectoraux autorisant le lancement des travaux du futur aéroport du Grand Ouest, à Notre-Dame-des-Landes. Cette décision confirme que le projet est conforme au droit et que les procédures encadrant la réalisation des projets d’infrastructures ont été respectées.

La réalisation du projet, déclaré d’utilité publique en 2008, peut donc reprendre. Ce projet, soutenu par l’ensemble des collectivités territoriales, est nécessaire au Grand Ouest, pour des raisons économiques. Contrairement à ce qu’on peut entendre dire ici ou là, il est également bon pour l’environnement, car l’actuel aéroport de Nantes est au contact de trois zones Natura 2000, dont le réservoir à oiseaux du lac de Grand-Lieu. Il est nécessaire enfin pour la préservation de la qualité de vie des populations : à l’heure actuelle, 42 000 personnes sont survolées par les avions décollant de l’aéroport de Nantes-Atlantique ou y atterrissant, et ce chiffre est en constante progression.

La décision du tribunal administratif est d’application immédiate. Le projet va donc pouvoir se poursuivre normalement, en concertation, bien évidemment, avec les collectivités locales et la Commission européenne, dans un souci d’exemplarité écologique et dans le respect scrupuleux des procédures nationales et communautaires.

Je vous répondrai très directement, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire à Jean-Marc Ayrault, à Christophe Clairgeau, à Jacques Auxiette et à Johanna Rolland, qui, comme d’autres élus, soutiennent ce projet.

Notre pays est un État de droit. Une fois que la justice a tranché, ses décisions doivent être mises en œuvre. Le Gouvernement ne peut pas accepter qu’une minorité d’opposants radicalisés fasse obstacle à l’intérêt général et à l’application des décisions de justice.

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’État accompagnera donc la mise en œuvre des procédures juridiques en cours.

L’agression, à la fin du mois d’août, d’une patrouille de militaires de la gendarmerie qui prêtait son concours à un huissier dans le cadre d’une procédure classique d’expulsion, sans rapport avec le projet lui-même, est inacceptable, tout comme le vol récent de marchandises dans un poids lourd en transit.

C’est pourquoi, monsieur le sénateur, Aéroports du Grand Ouest a entamé une procédure de référé auprès du président du tribunal d’instance s’agissant de l’occupation de la maison que vous avez évoquée. L’ordonnance d’expulsion sera exécutée dès qu’elle aura été rendue.

Je peux comprendre que l’on s’oppose au projet de manière pacifique, mais le Gouvernement ne cèdera jamais face aux intimidations d’une minorité d’individus ultra-violents. Très honnêtement, monsieur le sénateur, il est vain de polémiquer sur les propos du Président de la République. Nous continuerons de faire appliquer les lois de la République, à Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs. Nous soutenons ce projet, qui se fera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

investissement des collectivités locales

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Le 13 octobre dernier, pour la première fois, la Cour des comptes a publié un rapport sur les finances publiques, en forme de cri d’alarme sur la baisse des investissements des collectivités locales. Ce rapport reprend un certain nombre d’alertes émises par l’Association des maires de France depuis plusieurs années ; je le dis en présence de son président, François Baroin.

La chute de l’investissement local, entamée en 2014, se poursuit en 2015, avec une baisse de 15 % des dépenses d’équipement des collectivités territoriales. Ce recul pourrait atteindre de 25 % à 30 % en 2017, ce qui entraînera des pertes d’emplois dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, aujourd’hui déjà en grande difficulté.

Par ailleurs, le coût des normes a un impact budgétaire significatif : il représente ainsi 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an pour les communes, sans compter le coût des politiques nouvelles, telle la réforme des rythmes scolaires – 1 milliard d’euros supplémentaires –, ou des augmentations de dépenses imposées aux collectivités locales, telle la revalorisation de 4 % de la grille de rémunération des fonctionnaires de catégorie C, qui ne peut certes être contestée.

Bien évidemment, aucune compensation n’est prévue : il s’agit pour vous de reporter le poids de la fiscalité nationale sur la fiscalité locale, en vous défaussant ainsi de vos responsabilités. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le secrétaire d’État, ce rabotage financier laisse nos élus désespérés, nos collectivités asphyxiées, nos entreprises locales exsangues.

Ma question est simple : quelles mesures comptez-vous prendre pour tirer les conséquences des conclusions alarmantes de ce rapport et remédier à la situation intenable de nos collectivités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Pointereau, nous avons étudié avec intérêt le rapport de la Cour des comptes que vous avez évoqué. De nombreuses dispositions ont d’ores et déjà été prises ou sont en train de l’être pour tenir compte de ses conclusions, s’agissant notamment des normes, dont le coût a été ramené de 700 millions d’euros en 2014 à 13 millions d’euros en 2015. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez évoqué la baisse des dotations aux collectivités territoriales, en omettant d’indiquer qu’elle ne représente que 1,5 % de leurs recettes. L’effort demandé par l’État aux collectivités épargne les plus fragiles d’entre elles : les plus pauvres sont largement préservées, 10 000 communes éligibles à la dotation de solidarité rurale n’ont globalement pas subi de baisse, la dotation d’équipement des territoires ruraux a été augmentée de près d’un tiers pour soutenir ces derniers.

Le Gouvernement mène parallèlement des actions significatives, en compensant au mieux les charges transférées ou nouvelles. Il propose ainsi, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, la création d’un fonds de soutien à l’investissement local de 1 milliard d’euros : 500 millions d’euros pour financer les grandes priorités locales et 500 millions d’euros pour les territoires ruraux, dont 200 millions d’euros de dotation d’équipement des territoires et 300 millions d’euros pour soutenir les bourgs centres et les villes moyennes.

M. François Grosdidier. On n’investit plus, ça ne sert à rien !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Un nouvel élargissement du champ d’intervention du Fonds de compensation pour la TVA est également proposé.

Ces efforts de justice et de solidarité sont évidemment à mettre en regard des annonces de la formation politique à laquelle vous appartenez, monsieur le sénateur. La péréquation que nous mettrons en œuvre entre les différentes collectivités territoriales permettra d’affirmer davantage encore cette solidarité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.

M. Rémy Pointereau. Avec la création d’un fonds de soutien à l’investissement local de 1 milliard d’euros, il s’agit surtout pour vous d’obtenir un effet d’annonce à l’approche des élections régionales. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Marc Daunis. Tout de même, 1 milliard d’euros !

M. Rémy Pointereau. En réalité, 160 millions d’euros seulement sont mobilisables pour les communes.

Ce que nous demandons, c’est un moratoire sur les normes et un allongement du calendrier de la baisse des dotations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

formation en alternance

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Maurice Antiste. Ma question s'adresse à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Madame la ministre, ma questions porte, encore une fois, sur les difficultés rencontrées par les jeunes, tous territoires confondus, et plus encore par les ultramarins, dans la recherche d’un indispensable stage ou d’un incontournable contrat d’apprentissage.

On a assisté à une chute de 3,2 % du nombre de nouveaux contrats d’apprentissage en 2014 par rapport à 2013, bien que la part des apprentis plus diplômés continue de croître, particulièrement en Martinique. Le faible potentiel d’accueil de tissus économiques dominés par des micro-entreprises peut expliquer cette réalité ultramarine.

En effet, le tissu économique de la plupart des territoires ultramarins comprend de très petites entreprises qui ne sont pas nécessairement outillées pour accueillir un jeune en alternance ou l’embaucher. Il faut donc les sensibiliser à une démarche d’embauche citoyenne et les accompagner dans les différentes phases.

Je ne saurais manquer d’évoquer succinctement les initiatives qui ont déjà été prises localement.

L’université des Antilles et le groupe Bernard Hayot ont souhaité répondre aux enjeux du marché en créant la fondation « Agir ensemble pour la formation et l’emploi », dont l’objectif principal est de professionnaliser les formations des étudiants et des lycéens.

Dans son avis et rapport intitulé Le travail des étudiants, le Conseil économique, social et environnemental préconise le développement, au sein des universités, des emplois occupés par des étudiants. Ceux-ci doivent y être formés, évalués et suivis de façon telle que l’université qui les emploie puisse traduire l’activité exercée en compétences acquises et développées.

M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

M. Maurice Antiste. Il convient par ailleurs de développer les troisièmes cycles.

Que d’angoisse et de doutes pour les jeunes et leurs familles, face à des échecs qui les plongent dans une situation de pré-chômage !

Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour inciter les entreprises à accueillir beaucoup plus de jeunes ? Convenez, madame la ministre, chers collègues, que l’accès aux stages et à l’alternance est très difficile en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur Maurice Antiste, j’entends vos inquiétudes et je partage avec vous cette conviction que l’apprentissage est une excellente voie de formation.

M. François Grosdidier. Vous le redécouvrez !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Il est utile aux entreprises, parce qu’il permet véritablement de former les jeunes aux compétences dont elles ont besoin ; il est utile aux jeunes, parce qu’il permet à 70 % d’entre eux de trouver un emploi. Les apprentis d’aujourd'hui sont les chefs d’entreprise de demain, notamment dans l’artisanat.

C’est pourquoi nous avons lancé, avec les partenaires sociaux et les régions, une mobilisation en faveur de l’apprentissage, en particulier dans les TPE et les PME : 200 millions d’euros supplémentaires sont alloués aux centres de formation en 2015 et l’aide « TPE jeunes apprentis » est opérationnelle depuis le 1er juin.

Concrètement, nous avons constaté, au cours des derniers mois, une augmentation de 6,5 % du nombre des entrées en apprentissage. Nous n’avions pas connu un tel résultat depuis quatre ans.

Ces mesures sont particulièrement adaptées à l’outre-mer.

Je me suis rendue en Martinique, où j’ai pu mesurer les difficultés et le manque d’information des chefs d’entreprise. Depuis le 1er septembre, en lien avec Patrick Kanner, nous avons confié à six jeunes en service civique la mission d’informer les chefs d’entreprise sur tous les dispositifs qui ont été mis en place : le pacte de responsabilité et de solidarité, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, l’aide « TPE jeunes apprentis ». Cette démarche fonctionne particulièrement bien depuis un mois. Je souhaite la développer dans tous les territoires d’outre-mer. C’est à mes yeux essentiel.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Myriam El Khomri, ministre. En outre, plus de 2 100 jeunes Martiniquais bénéficient du dispositif des emplois d’avenir, et 385 autres de la garantie jeunes.

Nous souhaitons encourager le parrainage des jeunes diplômés des quartiers populaires et mettre en place en 2016 une plateforme permettant aux jeunes apprentis de rencontrer des employeurs à la recherche d’apprentis.

L’apprentissage, je le répète, est une voie d’excellence. Vous pouvez compter sur ma mobilisation pour le promouvoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

ruralité

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Républicains.

M. Daniel Chasseing. Ma question s'adresse à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

Madame la ministre, le fossé qui sépare la France des villes de celle des campagnes se creuse.

La crise de l’agriculture, marquée souvent par la vente des animaux et du lait au-dessous des prix de production, entraîne découragement et troubles dépressifs chez les exploitants. Voilà qui ne va certainement pas inciter les jeunes à s’installer et qui va accentuer la chute de la démographie en milieu rural.

La baisse de 30 % des dotations publiques aux petites communes fait qu’il est difficile d’investir, donc de favoriser l’artisanat.

Dois-je aussi évoquer les services publics qui disparaissent ou encore un numerus clausus trop bas qui aggrave la pénurie de médecins, malgré l’installation de nombreux praticiens étrangers et la présence de 15 000 médecins qui continuent d’exercer alors qu’ils sont retraités ?

Dois-je encore citer une fracture numérique qui s’accentue ?

Tout cela gêne non seulement les habitants dans leur vie quotidienne, les entreprises, mais encore le tourisme, puisque les actifs, les retraités, les estivants, ne viennent pas là où il n’y a ni médecin ni liaison numérique.

Dois-je enfin ajouter une réglementation administrative très tatillonne, notamment en matière de construction ?

Sommes-nous, madame la ministre, à la croisée des chemins ? Va-t-on évoluer vers une désertification de certains territoires ?

L’État envisage-t-il, avec les préfets, de renforcer les centres-bourgs, de contribuer à l’installation d’un guichet unique dans les zones rurales, pour traiter et soutenir avec les partenaires concernés tous les projets publics ou privés viables ?

À quand la mise en œuvre d’une politique de la ruralité par l’économie dans les territoires ruraux profonds, à l’instar des zones franches urbaines, avec des exemptions de charges patronales et foncières pour inciter les PME et les TPE à s’installer ou à maintenir les emplois ?

Il importe de trouver des solutions efficaces – diminution des normes et des charges et simplification de la politique agricole commune – afin de maintenir les exploitations familiales.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Daniel Chasseing. Pour tout cela, il est déjà tard. Toutefois, si une volonté existe, il peut y avoir pour la ruralité profonde un chemin permettant le maintien de l’activité et l’aménagement du territoire. C’est ce que j’espère. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le sénateur, je retiendrai la dernière phrase de votre question, car nous sommes au moins d’accord sur ce point : la ruralité constitue une opportunité et un atout pour l’aménagement et le développement de notre pays.

Vous avez évoqué plusieurs sujets de préoccupation dont il a été largement question lors des Assises des ruralités. C’est sur la base de ce travail partenarial avec les acteurs, les chefs d’entreprises, mais aussi les associations d’élus que nous avons élaboré plusieurs plans d’action en faveur de ces territoires en termes de services publics et d’accès aux soins, mesures que vous semblez ignorer.

Ainsi, le partenariat que nous avons conclu avec La Poste a permis d’inaugurer les premières maisons de services au public et d’accélérer le déploiement de ces structures : 1 000 maisons de services au public seront en service d’ici à 2016.

M. Rémy Pointereau. N’allez pas trop vite !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Je sais que vous êtes très attaché aux questions de santé. Dans ce domaine également, nous accélérons la création de maisons de santé pluridisciplinaires, ainsi que la mise en place d’incitations visant à encourager de jeunes médecins à s’y installer.

Sur le numérique, vous semblez ignorez le plan Très haut débit (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains), qui permet aux collectivités territoriales de soutenir l’aménagement des territoires ruraux et de lutter contre les inégalités.

Monsieur le sénateur, je ne peux pas laisser dire que nous aurions l’intention de supprimer les zones de revitalisation rurale, les ZRR. Bien au contraire, nous voulons les rendre plus justes et plus efficaces, en retenant deux critères simples, la densité de population et le revenu par habitant, à l’instar des zones franches urbaines que vous avez mentionnées.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement partage vos préoccupations pour les territoires ruraux, qui sont partie intégrante de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre présence.

Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

La prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mardi 20 octobre 2015, à seize heures quarante-cinq, et sera retransmise en direct sur Public Sénat ainsi que sur le site internet du Sénat.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi.

Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.

4

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

5

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Lors du scrutin n° 25 du 14 octobre 2015 portant sur l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, M. Joël Guerriau a été déclaré comme ayant voté pour, alors qu’il souhaitait voter contre.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

6

Débat sur le thème « la politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? »

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? », organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, je vous remercie d’assister à ce débat important pour la Haute Assemblée.

« La politique étrangère française, quelle autonomie pour quelle ambition ? » Au terme d’une année de travail sur le contexte géostratégique, c’est au fond la question essentielle qui se dégage des quatre rapports d’information de la commission des affaires étrangères. Ceux-ci portent sur l’Iran, la Russie, la Chine et le climat et vous seront présentés par leurs auteurs respectifs.

Monsieur le ministre, dans un monde qu’à juste titre vous qualifiez à la fois d’« apolaire » et d’« omni-crises », l’addition des prises de position ne suffit pas à faire une politique. Il faut une ligne directrice.

La guerre, parce qu’elle crée autant de problèmes qu’elle n’en résout, ne peut se substituer à la pensée.

En 2003, lorsque George Bush disait à propos de l’Irak « The game is over », je me souviens lui avoir répondu : « It’s not a game. It’s not over. »

Monsieur le ministre – et c’est le message de cet après-midi –, la ligne que nous vous proposons pourrait se résumer en quelques mots : osons l’indépendance pour mieux servir nos objectifs ! En d’autres termes, ayons l’autonomie de notre ambition.

Le paradoxe du XXIe siècle est peut-être que l’indépendance crée aussi les alliances, en tout cas les solidarités.

Au fond, notre politique étrangère peut s’appuyer sur deux grands atouts : la puissance de nos fondamentaux, l’indépendance de nos idéaux.

Sur nos fondamentaux, c’est le développement économique qui fonde in fine la puissance. D’ailleurs, le match entre la Chine et les États-Unis est bien, aujourd’hui, une guerre de croissance : celui qui donnera de la croissance aux autres sera sans doute le leader de demain.

Monsieur le ministre, j’exprime mon inquiétude sur nos fondamentaux, sur les mauvais résultats économiques de la France, sur les dettes et les déficits, sur les lourdeurs, l’immobilisme et les blocages, qui se traduisent notamment par un décrochage préoccupant par rapport à l’Allemagne, rompant l’équilibre du moteur européen, à l’heure où la crise des migrants fragilise le cœur même du projet européen. Comment peser sur les affaires du monde si nous n’arrivons pas à surmonter nos propres crises, en France et en Europe ?

Dans ce contexte, la valorisation de nos atouts nationaux, du tourisme à l’industrie de défense, relève des priorités nationales. Dans cette période d’hésitations, le devoir d’indépendance de la France est notre certitude.

« C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique… » Cette phrase, prononcée en 1969 par le général de Gaulle, résume la vocation de la politique étrangère française qui l’avait conduit à reconnaître la Chine populaire en 1964.

Dans ce monde turbulent et agité, quelle est notre boussole ? Quel est notre cap ? Quel est notre impact ?

Notre boussole doit être, selon nous, les intérêts de la France, dans un monde où la paix est la voie du progrès ! La politique étrangère, c’est une question d’intérêts. Elle ne peut être réduite à la question morale. L’essence même de la diplomatie, c’est souvent de parler, aussi, à ses ennemis.

Quels sont aujourd’hui nos principaux intérêts dans le monde ?

Il s’agit, premièrement, de défendre la sécurité des Français, de défendre la sécurité de la France, qui est menacée, y compris sur notre sol, par Daech et les autres organisations terroristes.

Il s’agit, deuxièmement, de stopper ce qui nous semble être l’escalade des tensions qui montent aujourd’hui entre la Russie et les États-Unis. La campagne électorale américaine ne va pas apaiser la situation. Ne soyons les vassaux ni de l’un ni de l’autre et ne nous laissons pas enfermer dans un choix manichéen et réducteur. Je vois monter avec inquiétude – je vous le dis comme je le ressens, monsieur le ministre – une forme de compréhension qui pourrait devenir, à terme, une entente entre la Chine, la Russie, voire l’Iran, sorte de coalition des émergents qui s’opposerait au vieil ordre occidental. La France doit faire tout son travail diplomatique pour sortir de cette tension binaire et faire vivre les équilibres.

Il s’agit, troisièmement, de résoudre les crises. C’est vrai pour la Syrie, dont nous pensons, comme vous, monsieur le ministre, l’avenir sans Bachar al-Assad, mais aussi pour la Libye, le Mali, le Yémen, le Soudan du Sud ou l’Érythrée, pays dont personne n’évoque la situation dramatique.

Il s’agit, quatrièmement – et ce n’est pas la moindre des priorités –, d’être fidèle au message de la France : indépendance, résistance, espérance ! Pour sortir de ces conflits, la commission des affaires étrangères émet un certain nombre de propositions qui pourront être utiles au Gouvernement.

Avec l’Iran, une ère nouvelle s’ouvre depuis la signature de l’accord nucléaire du mois de juillet dernier, auquel vous avez pris une part importante, monsieur le ministre, dont la France peut être fière.

Le rapport d’information du Sénat appelle à rééquilibrer nos alliances et, surtout, à ne pas sous-estimer l’Iran. Ne soyons pas prisonniers d’une alliance avec un camp : jouer les sunnites contre les chiites serait une grave erreur de long terme ! Nous le savons bien : les amis de nos amis ne sont pas nécessairement nos amis !

Ajoutons à tout cela de la cohérence. La France a habilement su tirer profit du « froid » entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. Pourquoi pas ? Toutefois, l’Iran jouera demain un rôle régional majeur, un rôle économique considérable et a besoin de diversifier ses alliances. Nos rapporteurs se prononcent dans le texte pour l’élaboration d’une feuille de route dense, précise, fournie, qui pourrait être le « délivrable », comme disent les diplomates, de la visite du président Rohani à Paris au mois de novembre prochain.

Les engagements qui ont été pris pour l’Iran doivent être tenus pour que les sanctions soient levées : la ligne est claire.

Syrie, Yémen, mais aussi Liban seront autant de dossiers tests de la bonne volonté de l’Iran dans les prochains mois.

Pour la Russie, « ce mystère enrobé d’une énigme », comme disait Churchill, la commission souhaite « éviter l’impasse ».

Sans renier nos principes, fondés sur le refus de la violence et le respect du droit international qui a été violé en Crimée, sachons considérer la Russie pour ce qu’elle est : un partenaire stratégique à part entière, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Par le passé, nous n’avons peut-être pas suffisamment réussi à arrimer la Russie à l’Europe, mais nous partageons avec ce partenaire un voisinage commun et nous avons toujours eu avec lui une relation dense et singulière. Monsieur le ministre, la commission vous fait des propositions équilibrées, mais ambitieuses, alliant l’indispensable fermeté à une posture ouverte, de dialogue. Il faut casser la spirale de l’isolement, qui ne fait qu’empirer les choses.

Parce qu’elles relèvent d’un statut « prémilitaire », les sanctions ne sont pas une politique, elles ne peuvent être durables. On vise les caisses des dirigeants, mais on atteint la fierté des peuples et, ainsi, on nourrit souvent les nationalismes.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. La Chine, elle, atteint son « émergence pacifique ». Aujourd’hui, son poids est tel qu’elle ne peut plus rester, comme elle le souhaiterait souvent, discrète, sur le plan économique tout au moins : quand Shanghai manque d’oxygène, les bourses du monde s’essoufflent – nous l’avons constaté récemment. La « nouvelle » croissance chinoise, réorientée, moins massive, moins quantitative, moins menaçante pour l’environnement, mondialement plus compatible, ouvre des portes pour l’Europe et pour la France, pour peu, là encore, que nous sachions être fidèles à notre tradition d’indépendance.

Engagée sans retour possible dans son match avec l’Amérique, la Chine se refusera à se laisser enfermer dans la « Chinamerica ». Des opportunités émergeront. Dans ce monde interpolaire en création, l’Europe doit assumer son indépendance et ne pas oublier qu’elle est aussi un cap à l’ouest de l’Asie. Ma conviction est que la montée en puissance de la Chine forcera le monde à mieux maîtriser les équilibres.

Sur les quatre dossiers que nous avons approfondis et étudiés cette année, monsieur le ministre, une constance s’affirme : la complexité de notre alliance avec les États-Unis, pour le dire en termes diplomatiques. Le monde, qui connaît l’histoire commune de la France et de l’Amérique, doit aussi pouvoir mesurer l’autonomie de nos politiques.

Monsieur le ministre, je sais que votre ambition est grande pour la France. Ici, chacun connaît et respecte votre engagement. Sur le climat, vous avez jeté votre énergie et votre talent au service d’une cause qui nous concerne tous – je mesure par ailleurs la concurrence ministérielle que vous devez affronter… (Sourires. – M. le ministre marque un étonnement amusé.) La commission œuvre à vos côtés, notamment avec son rapport d’information novateur sur le « dérèglement géopolitique », pour alerter les consciences.

J’espère que le débat de cet après-midi vous aidera, monsieur le ministre, ainsi que nos diplomates – je veux leur dire aujourd’hui, au nom de tous, notre estime et notre reconnaissance –, à porter toujours plus haut la voix de la France. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a toujours pris ses responsabilités dans la gestion des crises internationales. Certes, on peut s’interroger sur l’ampleur de l’influence française dans le monde d’aujourd’hui, que d’aucuns trouvent affaiblie, mais, quoi que l’on en dise, par sa position géographique et ses territoires outre-mer qui la prolongent sur quatre continents, par son histoire qui la lie aussi à plusieurs pays aux quatre coins du monde, la France est toujours écoutée, pour ne pas dire attendue.

Oui, la France est écoutée. « Pont entre les nations », comme l’a déclaré le Président de la République, François Hollande, devant la conférence des ambassadeurs de 2012, notre pays est un médiateur reconnu. Plus que la reprise du dialogue entre les parties, le sommet des chefs d’État en format « Normandie », dont Paris et Berlin ont été à l’initiative, a permis la conclusion des accords dits de « Minsk II ». Vous y avez d’ailleurs contribué, monsieur le ministre.

Oui, la France est attendue. Je pense en particulier à l’appel du président Traoré demandant l’intervention de l’armée française pour stopper la progression des groupes islamistes armés au Mali.

Son statut de puissance s’appuie sur un réseau diplomatique dense – le deuxième au monde – ainsi que sur un modèle d’armée dont la crédibilité n’a pas été démentie, comme le montre le succès d’opérations extérieures menées en toute indépendance. Il n’est qu’à penser à l’opération Serval.

Forte de ces atouts, la France a donc toujours un rôle majeur à jouer, mais avec « quelle autonomie » et pour « quelle ambition ? » Tel est le sujet de notre débat cet après-midi.

Aujourd’hui, il s’agit de contribuer à la sécurité collective dans un monde devenu multipolaire et dans lequel notamment des acteurs non étatiques livrent bataille jusque sur notre propre territoire.

Dans ce contexte, la France doit agir selon plusieurs principes.

Tout d’abord, la France doit continuer d’inscrire ses actions dans un cadre légal, s’agissant en particulier de ses opérations extérieures. Excepté lors de la mise en œuvre d’accords de défense, notre pays s’est toujours adossé à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et c’est tout à l’honneur du président Chirac d’avoir refusé de participer à l’intervention en Irak de 2003, intervention à la légitimité plus que contestable, comme chacun le sait ici.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Robert Hue. S’agissant de la Libye en revanche, on peut s’interroger sur les effets de l’interprétation extensive par plusieurs membres de l’ONU, notamment la France, de la résolution 1973 qui a été adoptée dans le but de protéger la population et non de renverser le régime. On a pu en mesurer le triste résultat...

Ensuite, la France doit conserver une relative indépendance. Sans bien sûr nier ses alliances traditionnelles et ses engagements multilatéraux, reconnaissons que la France sort le plus souvent grandie quand elle décide en toute autonomie. Lorsqu’elle agit sous pression, elle met en jeu la crédibilité de sa parole.

Nous avons eu l’occasion d’en débattre à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’accord annulant la vente des deux Mistral à la Russie, décision prise probablement sous influence, disons-le clairement.

Trop souvent, notre position peut apparaître comme un retour à l’atlantisme, alignée sur celle des États-Unis, ce qui n’est souhaitable au regard ni de nos propres intérêts ni même de ceux de la communauté internationale.

Je citerai de nouveau le dossier irakien de 2003 qui, mal apprécié, nous mène aujourd’hui tout droit à Daech. On le sait, les États-Unis ont une part de responsabilité dans cette impasse, parce qu’ils ont laissé le Premier ministre irakien al-Maliki mener une politique ne pouvant qu’alimenter un ressentiment sunnite.

Cet échec doit nous interpeller sur la surévaluation qui peut être faite de la capacité des Américains à régler les conflits. Il suffit d’examiner, pour cela, la question israélo-palestinienne, que le président Obama s’était promis de solder durant sa présidence. Les événements violents de ces derniers jours à Jérusalem illustrent, une fois encore, l’impasse de la diplomatie américaine.

Par ailleurs, je suis heureux d’entendre le Gouvernement français dénoncer le manque de transparence qui entoure les négociations du projet d’accord de libre-échange Transatlantic Free Trade Area, le TAFTA.

Enfin, au nom de cette indépendance de principe, nous ne devons pas écarter la diplomatie bilatérale, qui doit nous conduire à parler à tous les pays, au premier rang desquels se trouvent la Russie et l’Iran. Nous sommes plusieurs, au sein du RDSE, à appeler depuis longtemps au dialogue avec ces deux acteurs incontournables.

S’agissant de la Russie, j’ai eu moi-même l’occasion de rappeler qu’il fallait faire abstraction du nationalisme assumé de Vladimir Poutine, qui n’était que la réaction naturelle à une avancée de l’OTAN sur les frontières de son pays, contrairement aux engagements pris à la suite de la chute du mur de Berlin. Le secrétaire d’État américain James Baker n’avait-il pas promis à Mikhaïl Gorbatchev que « l’OTAN ne s’avancera[it] pas vers l’Est » ? Promesse non tenue !

Enfin, concernant l’Iran, l’accord de Vienne est bien évidemment un progrès incontestable, tant sur le plan de la lutte contre la prolifération nucléaire que sur le plan politique. Même si son application devra être surveillée, le repositionnement de l’Iran sur la scène internationale devrait également contribuer favorablement au règlement du dossier syrien.

Finalement, si nos interventions militaires peuvent ralentir les crises, elles ne peuvent pas installer durablement la paix sans l’implication des plus concernés.

En attendant, mes chers collègues, reconnaissons que nos destins sont liés à ceux de ces populations, ne serait-ce que si l’on songe à la crise des réfugiés en Europe. Par conséquent, il convient de donner à notre politique étrangère, pour qu’elle soit porteuse d’un message clair, une dimension indépendante, équilibrée et cohérente avec l’histoire de notre pays. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je commencerai par un constat. Syrie, Irak, Afrique, Palestine, terrorisme, multiplication des zones de non-droit ou de non-gouvernance, petits arrangements entre amis et voisins – je pense au Yémen – : jamais la planète n’a connu autant de soubresauts et de conflits non maîtrisés, avec leurs cortèges de larmes, de sang, de migrants, de populations massacrées. L’invasion de l’Irak en 2003 – cela vient d’être évoqué – a conduit à cette situation.

Jamais l’insécurité juridique, en particulier sur le plan du droit international, n’a été aussi forte. La Charte des Nations unies, qui devrait être notre référence commune, a été écrite par des esprits peu prospectifs, puisqu’elle ne permet aucun mécanisme de révision.

Depuis, bien d’autres forces ont émergé, alors que nous continuons à traiter entre États. Ne serait-il pas temps, monsieur le ministre, de reprendre une nouvelle fois le bâton de pèlerin pour essayer de modifier quelque peu le fonctionnement des Nations unies et du Conseil de sécurité, dont on a vu à quel point il était inopérant et inefficace ?

Le système de sécurité collective alors imaginé était construit sur trois piliers.

Le premier pilier était l’interdiction faite aux États de recourir à la force armée. On en voit le résultat ! Le deuxième pilier était de qualifier la situation. Ensuite, le Conseil de sécurité, s’il avait identifié « une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression », devait alors décider. Pour cela, il eût fallu appliquer l’article 43 de la Charte, qui prévoyait la mise à disposition de contingents armés à travers des accords spéciaux. Cela n’a jamais été le cas. Le troisième pilier consistait en une règlementation des armements.

On a masqué cet échec par des manipulations diverses. Monsieur le ministre, je crois que le temps est venu de reprendre cette réflexion. Le monde a changé et nous ne pouvons rester dans cette situation.

La Syrie est bien la preuve de cette faillite des mécanismes de sécurité collective. Le groupe UDI-UC pense que priorité doit être donnée à la lutte contre Daech et que le départ du président Bachar al-Assad ne doit se faire que dans un deuxième temps. Sans passer par pertes et profits le comportement sanguinaire et génocidaire qu’il a eu vis-à-vis de son peuple, il faut maintenant travailler ensemble d’abord contre Daech.

Les conflits gelés constituent un autre aspect du blocage des mécanismes. Monsieur le ministre, il faut s’intéresser au Caucase. Vous l’avez dit vous-même : celui qui, dans la difficulté, renonce à soutenir ses amis perd la confiance de ses partenaires. Plus que l’Azerbaïdjan, j’évoquerai ce qui est en train de se passer en Ukraine où, du fait de la déliquescence de la situation, nous avons aujourd’hui des camps de terroristes djihadistes composés de Géorgiens, d’Ouzbeks, de Kazakhs, mais aussi de Turcs qui n’ont qu’à traverser la mer Noire pour arriver dans cet État qui n’en est plus un et qui connaît des zones de non-gouvernance.

Haut-Karabakh, Abkhazie, Ossétie et Transnistrie sont des conflits gelés, pour lesquels l’ONU et les mécanismes de sécurité collective n’ont toujours pas trouvé de solutions. Or il en faudrait, car la Crimée et le Donbass s’apprêtent à rejoindre cette liste...

La Palestine constitue un autre blocage international, Robert Hue en a parlé. La Palestine n’est pas un territoire occupé, c’est un territoire qui a disparu des écrans radars ! Ni le président Obama ni le président Hollande ne l’ont mentionnée à la tribune des Nations unies… La désespérance du peuple palestinien est telle qu’une autre intifada se dessine, une intifada « au couteau » que personne ne peut soutenir et qu’il faut dénoncer.

Israël doit vivre dans des frontières sûres et reconnues, mais le peuple palestinien doit avoir son État. Monsieur le ministre, vous étiez présent lors de la levée des couleurs du drapeau palestinien au siège des Nations unies. Nous avons été nombreux à être émus par ce symbole, mais cela n’est pas suffisant pour un peuple assoiffé de reconnaissance, humilié et occupé. Je l’ai dit et je le répète : la Palestine n’est pas une terre occupée, c’est une terre disparue.

Israël s’est rapproché de la Russie – encore elle –, alliée de Bachar al-Assad, une alliance autour de la question du Golan.

L’Iran, grâce à ses réseaux, pourra vraisemblablement jouer un rôle pacificateur dans la région. Là aussi, la France doit reprendre son bâton de pèlerin.

Monsieur le ministre, j’ai une demande personnelle à vous faire. Avec votre collègue ministre de la justice, il faudrait vraiment abroger l’infamante circulaire du 12 février 2010 qui porte au paroxysme la confusion entre l’action politique de boycott et l’antisémitisme. Cette circulaire est une honte !

S’agissant de l’Iran – pays pour lequel vous savez que j’ai les yeux de Chimène – et son retour sur la scène internationale, je suis contente de constater, comme je l’ai fait lors de mes très nombreux voyages, que le changement de ton que vous avez souligné lors de l’arrivée du président Rohani s’est accompagné d’un changement de fond. Votre voyage à Téhéran a été un vrai succès. La venue sur le territoire français du président Rohani marquera aussi une nouvelle étape.

Le président Hollande a lui aussi obtenu un très grand succès en étant le premier président occidental invité par le Conseil de coopération des États arabes du Golfe. Pour avoir l’honneur de présider le groupe d’amitié France-Pays du Golfe, je sais que nous avons d’excellents rapports avec ces pays, ce qui devrait permettre à la France de préparer un mariage de raison entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui constituent les deux puissances régionales.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Il y a du travail !

Mme Nathalie Goulet. « Ils ne s’aiment pas, faisons en sorte qu’ils se supportent », disait M. Kouchner à propos du Kosovo.

Puisque nous entretenons désormais de bonnes relations avec ces deux pays, aidons-les à se parler – c’est précisément le rôle de la diplomatie. Un tel pari sur l’avenir de la sécurité des pays du Golfe est loin d’être inintéressant et la France pourrait jouer un vrai rôle de médiateur. Quoi qu’il en soit, il y a des motifs pour entretenir des relations équilibrées entre l’Arabie saoudite et l’Iran, car notre diplomatie ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Monsieur le ministre, je conclurai par un message. Je suis effarée par le bashing permanent dont font l’objet nos amis et partenaires des pays du Golfe, mais aussi de certains pays du Caucase. En tant que ministre du commerce extérieur et des affaires étrangères, vous devriez exposer une fois encore les principes de notre diplomatie fondée sur le soft power. Le dénigrement systématique est tout à fait contreproductif : nous ne pouvons pas passer pour d’éternels donneurs de leçons aux yeux de ces pays qui sont nos partenaires et dont le rôle est extrêmement important pour l’équilibre de notre balance commerciale.

Nous devons tenir un discours de raison, celui de la France des droits de l’homme, mais aussi celui d’un pays qui, sur le plan commercial et industriel, doit tenir une place extrêmement importante, en particulier dans le contexte de concurrence que nous connaissons. Le travail réalisé par le Président de la République, le Premier ministre et vous-même pour développer nos relations commerciales avec ces pays mérite aussi une explication de texte.

Il est absolument insupportable que les compagnies aériennes des pays du Golfe soient systématiquement mises au pilori et jetées en pâture à l’opinion et servent d’excuses à nos difficultés économiques internes et à nos problèmes de compétitivité. Il nous appartient de défendre certes les droits de l’homme – nous savons le faire ! –, mais aussi les intérêts de notre industrie, car notre économie en a impérativement besoin ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, pour ce débat annuel de politique étrangère, notre commission a proposé le sujet suivant : « Quelle autonomie pour quelle ambition ? » Ce sujet est très vaste et les thèmes retenus des quatre rapports d’information – nos relations avec la Russie, avec l’Iran, les conséquences des dérèglements climatiques et le développement économique de la Chine –, tout comme l’actualité de ces dernières semaines, fournissent largement de quoi alimenter cette discussion. Néanmoins, précisément en raison de cette actualité immédiate, je limiterai mon propos aux conflits multiformes qui se déroulent au Moyen-Orient.

Le drame syrien nous donne ainsi l’occasion de nous interroger non pas tant sur l’autonomie parfois limitée dont fait preuve notre pays que sur certaines ambiguïtés de notre politique étrangère. Ces ambiguïtés ne sont-elles pas justement le reflet d’un manque d’ambition ?

En Syrie, la situation stratégique est figée. Aucun des protagonistes intérieurs n’est en mesure de l’emporter militairement. La complexité de la situation et la faiblesse des forces démocratiques syriennes font d’ailleurs que les États-Unis ont dû admettre le fiasco total de leur programme d’entraînement de quelques groupes d’opposition. Les frappes aériennes réalisées par la coalition sous leur commandement pour combattre le prétendu État islamique connaissent des résultats très limités, qui peinent à contenir Daech. Aucune solution diplomatique n’est en vue, du fait de la division et des intérêts souvent divergents des puissances extérieures. Face à ce sombre tableau de la situation, quel rôle jouons-nous réellement ?

Monsieur le ministre, je connais vos efforts et votre talent pour faire entendre la voix de la France. Pourtant, celle-ci est parfois peu audible.

En déclenchant in extremis des frappes aériennes en Syrie à la veille de l’ouverture de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, le Président de la République a sans doute souhaité intervenir militairement en Syrie pour montrer sa détermination à jouer un rôle important parmi les protagonistes de ce conflit. Cependant, peut-on dire que la France ait publiquement pris des initiatives diplomatiques constructives ? Je ne le pense pas, car nous ne défendons pas nos convictions avec assez d’audace et de force.

Il en va ainsi concernant l’intervention militaire russe en Syrie. Certes, nous ne devons pas être naïfs quant aux intentions de Vladimir Poutine, lequel veut vraisemblablement reprendre sa place dans le jeu régional, préserver les intérêts stratégiques de son pays, permettre à Bachar al-Assad de regagner du terrain et éviter l’effondrement de son réduit. Toutefois, force est de constater qu’il prend des initiatives et propose des objectifs politiques. Face à cela, les États-Unis et nous-mêmes sommes sur la défensive et semblons ne plus avoir prise sur l’évolution de la situation.

En effet, faute de propositions claires et d’initiatives sur la faisabilité même de la transition politique que nous voudrions voir se réaliser en Syrie, nous donnons l’impression d’être indécis, écartelés entre notre souhait d’éradiquer les djihadistes et notre volonté d’en finir avec Bachar al-Assad qui les combat.

Pour le moment, les Russes, avec les Iraniens, verrouillent la situation ; pour la dénouer, il n’y a donc pas d’autre solution que de négocier avec eux. C’est pourquoi notre groupe approuve les remarques et les recommandations formulées dans les deux rapports d’information pour renouer, avec lucidité, le dialogue avec l’Iran et la Russie et, peut-être, rééquilibrer avec pragmatisme nos partenariats stratégiques, car il n’y aura pas de solution sans eux, encore moins contre eux.

Cette attitude frileuse et indécise dans la recherche de solutions s’explique aussi par votre trop grande prudence, monsieur le ministre, à vouloir ménager certains de nos partenaires, comme la Turquie, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis – sans faire de bashing(Mme Nathalie Goulet sourit.)

Certes, le récent attentat meurtrier d’Ankara vient de rendre encore plus complexe une sortie de crise et la Turquie franchit un pas de plus vers la déstabilisation. C’est pourquoi nous devrions fermement dénoncer la politique suicidaire du président turc qui, au lieu de jouer l’apaisement dans son pays, choisit la division et l’extrême violence contre ses concitoyens kurdes, afin de gagner des élections à son seul profit.

Voilà où mène la duplicité du gouvernement turc dans la lutte contre Daech ! Nous ne pouvons rester plus longtemps silencieux face à la situation du peuple kurde dans cette région. Prenons enfin nos responsabilités pour éviter la déstabilisation et la guerre civile en Turquie.

Il en va de même pour nos relations avec l’Arabie saoudite. Compte tenu de son rôle ambigu dans la lutte contre Daech au sein de la coalition menée par les États-Unis et de son mépris à l’égard de certaines valeurs universelles, comme le respect des droits de l’homme, ne serait-il pas nécessaire de changer de ton dans nos relations bilatérales ? N’est-ce pas ce que viennent de faire les Britanniques en renonçant à un appel d’offres saoudien, eux qui sont pourtant, comme nous, un grand fournisseur d’armements du royaume wahhabite, à l’heure où nous venons, nous-mêmes, de signer divers contrats très importants ?

La politique diplomatique d’un grand pays comme le nôtre doit être capable de trouver et d’exprimer le difficile équilibre entre les exigences éthiques de la défense et de la promotion des droits humains et les réalités du commerce international, la défense de notre économie et de nos emplois.

Ne laissons pas la Russie et les États-Unis poursuivre leurs tractations en tête-à-tête. Reprenons des initiatives pour aboutir à une proposition de résolution acceptable pour l’ensemble des membres du Conseil de sécurité. Jouons un rôle de premier plan pour que notre diplomatie soutienne avec force la conférence de paix sous l’égide de l’ONU, telle que l’a présentée son envoyé spécial, M. de Mistura, et contribue activement à en assurer la réussite.

Œuvrez, monsieur le ministre, avec peut-être plus de souplesse que précédemment, à ce que le groupe « P5+1 », fort de sa réussite sur le nucléaire iranien, confortée ces jours-ci par la ratification du Parlement de ce pays, puisse élaborer des solutions propres à réussir la nécessaire transition politique en Syrie.

Enfin, je ne peux conclure sans évoquer brièvement, comme l’ont fait précédemment mes collègues, la dramatique aggravation du conflit entre Israël et les Palestiniens. Là aussi, monsieur le ministre, faites entendre la voix de la France en protestant et en agissant pour stopper cette escalade, résultat d’une stratégie du chaos et du désespoir délibérément mise en œuvre par le Premier ministre israélien. Faites savoir que le droit et les conventions internationales doivent être respectés pour mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Michel Billout. Agissez pour que la reconnaissance d’un État palestinien par la communauté internationale apparaisse désormais comme la seule solution pour mettre fin à ce conflit.

C’est à tous ces niveaux que le groupe communiste républicain et citoyen estime nécessaire d’agir pour que la France retrouve son influence, qu’elle soit entendue et qu’elle reprenne toute la place que lui confèrent son histoire, son image dans le monde et sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du RDSE et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le groupe de travail que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a mis en place sur la nouvelle croissance chinoise nous a permis, entre autres, de mesurer les actions menées par le Gouvernement en ce qui concerne la diplomatie économique. Je sais que ce thème vous est particulièrement cher, monsieur le ministre.

Depuis 2012, les acteurs administratifs ont été réorganisés pour améliorer leur efficacité et leur visibilité, afin de constituer une « force de frappe » au service de nos entreprises à l’international. Sous votre impulsion, monsieur le ministre, le réseau diplomatique est prioritairement orienté vers les pays émergents, notamment grâce à un redéploiement des effectifs et des moyens. Vous avez d’ailleurs indiqué, lors de la semaine des ambassadeurs qui s’est tenue à la fin du mois d’août dernier, que notre ambassade en Chine serait, en 2017, la première dans le monde par ses effectifs. Ce choix nous paraît judicieux, au regard de l’exceptionnelle dynamique que nous avons observée lors de nos nombreuses rencontres en Chine. Nous sommes ainsi en phase avec la Banque mondiale qui vient d’annoncer que la Chine était devenue la première puissance économique du monde.

Nous avons été frappés, lors du déplacement que nous avons effectué au mois de septembre dernier à Pékin, Guilin et Shanghai, par le développement incroyable des nouvelles technologies et de l’économie numérique. En voulant protéger son marché intérieur, mais aussi son système politique, la Chine a réussi à construire des champions nationaux, de taille mondiale, notamment dans l’e-commerce. Malgré la surveillance des réseaux sociaux et de l’internet, ceux-ci comptent plus de cinq cents millions d’utilisateurs aujourd’hui.

Nous avons aussi rencontré de nombreux Français installés en Chine et nous avons participé à la réunion plénière annuelle des conseillers du commerce extérieur. Malgré le ralentissement de la croissance chinoise, l’activité économique reste selon eux porteuse, voire très porteuse, dans de nombreux secteurs. Nous avons aussi été régulièrement mis au fait de certaines crispations, pouvant se concrétiser par des difficultés bureaucratiques ou réglementaires, qui entravent l’activité de certaines entreprises. Monsieur le ministre, y avez-vous été sensibilisé ? En discutez-vous avec les autorités chinoises ? Ces crispations présentent-elles, selon vous, un risque pour le développement d’entreprises françaises en Chine ?

Par ailleurs, l’opinion publique française réagit parfois négativement à l’annonce d’investissements chinois dans notre pays. Il y a trente ans, nous avions peur des « dragons ». Dorénavant, nous avons peur de la Chine ! Dans ces conditions, comment faire accepter les investissements chinois, au moment où ce pays annonce sa volonté d’investir davantage chez nous ?

Enfin, nous l’indiquons dans le rapport d’information, la période de transition que traverse la Chine nécessite de nombreux ajustements économiques et politiques : la réorientation de sa croissance passe par une présence affirmée sur le plan international. La Chine a notamment créé plusieurs organismes richement dotés. Monsieur le ministre, quelle est l’approche de la France vis-à-vis de ces nouvelles banques et comment voyez-vous leur articulation avec la Banque mondiale et le FMI ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui nous conduit à nous interroger sur les principes et les motivations qui doivent guider la politique étrangère de la France et à nous demander dans quelle mesure celle-ci peut porter une voix singulière au sein du concert des nations.

Qu’il s’agisse de défendre des solutions politiques multilatérales aux crises actuelles, de promouvoir la démocratie libérale et les droits humains ou encore de mener à bien une diplomatie environnementale et une diplomatie économique, notre pays a un rôle certain à jouer.

C’est en ce sens qu’il me paraît plus à propos d’utiliser le pluriel et de parler « des » ambitions de notre diplomatie et de notre politique étrangère dans son ensemble.

En effet, dans un monde de plus en plus globalisé, interdépendant et complexe, nous devons nous adapter aux nombreux défis multidimensionnels qui se posent à nous. Pour cela, nous ne pouvons faire l’économie d’une approche et d’une réflexion à long terme pour notre politique étrangère. Il y va de notre responsabilité, de notre crédibilité et de la garantie de la préservation de notre autonomie.

Promouvoir une vision à long terme est une idée qui m’est chère, particulièrement en qualité d’écologiste.

Nul ne peut ignorer le décalage criant et dangereux qui existe aujourd’hui entre, d’une part, le temps long qui doit être celui du dialogue, de la résolution, de la reconstruction, de l’innovation, de la réflexion et des solutions face aux enjeux politiques, économiques, humanitaires et environnementaux et, d’autre part, le temps court du politique, de l’immédiateté de la décision et de l’instantanéité des médias qui s’imposent à nous. C’est cet impératif d’immédiateté qui prend le pas dans la politique que nous menons à l’échelle internationale.

C’est précisément cette incompatibilité entre ces deux temps, le temps long des solutions et le temps court de nos décisions, qui nous empêche d’anticiper, de prévoir et de nous projeter.

Un exemple particulièrement éloquent est bien évidemment, à quelques semaines de la tenue de la COP 21, celui de la lutte contre le dérèglement climatique.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis inédits et les prévisions sont sans concession. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, d’ici à 2100, la température pourrait augmenter de cinq degrés Celsius.

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, on comptera 250 millions de réfugiés climatiques d’ici à 2050.

En outre, en 2025, 4 milliards de personnes vivront dans un pays sous stress hydrique et 840 millions de personnes se retrouveront en situation de faim chronique. Qui plus est, la population des pays pauvres devrait passer de 5,3 milliards à 7,8 milliards d’habitants d’ici à 2050.

Les chiffres sont indiscutables, mes chers collègues !

Face à ces défis, nous ne pouvons nous contenter d’une diplomatie à court terme ou changeante, mais nous devons au contraire adopter une politique étrangère prospective et ambitieuse.

Les recommandations que nous avons formulées dans le rapport d’information de la commission des affaires étrangères sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique vont dans ce sens : soutenir la réorientation de l’aide au développement vers les énergies nouvelles et l’efficacité énergétique, développer la recherche, l’innovation dans le domaine du climat, mettre en place à l’échelon international ou régional adéquat des structures permettant la gestion des crises dans la durée, ou encore renforcer en France la recherche et la formation en matière de technologies innovantes de protection du littoral et, a fortiori, de la biodiversité dans son ensemble.

Il ne s’agit là que de quelques propositions, mais celles-ci prouvent que la lutte contre le dérèglement climatique et ses multiples conséquences s’inscrivent dans un temps long avec lequel nos stratégies d’atténuation, du moins d’adaptation, doivent être en adéquation.

Hier, en amont de la COP 21, des ministres de la défense du monde entier se sont réunis pendant une journée à Paris pour parler du climat. Il s’agit là d’une prise de conscience que les écologistes appelaient de leurs vœux depuis de nombreuses années et ils s’en réjouissent. Le dérèglement climatique n’est plus un simple effet multiplicateur : c’est une donnée géopolitique qui doit conditionner toute notre réflexion !

Monsieur le ministre, plus généralement, il s’agit de souligner l’un des problèmes majeurs inhérents à la vie publique, à savoir le décalage entre le temps politique, le temps diplomatique et le temps militaire.

Puisque nous avons réussi à obtenir la rencontre entre écologistes et militaires sur des questions environnementales et de défense – sujet peu aisé, tant s’en faut ! –, il est donc désormais acquis que nous pouvons inciter au dialogue l’ensemble des acteurs concernés et ainsi faire coïncider nos objectifs en matière de politique étrangère avec les solutions vers lesquelles nous devons tendre.

Vous l’aurez donc compris, pour les écologistes, une politique étrangère autonome doit être une politique responsable à l’égard de nos partenaires. Ce doit être une politique cohérente. Enfin, ce doit être une politique en adéquation avec les principes et valeurs que nous portons. (Mme Bariza Khiari, MM. Yves Pozzo di Borgo et Alain Gournac applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à la suite de l’intervention de Mme Conway-Mouret, je concentrerai mon propos sur la « nouvelle croissance » chinoise.

Nous le savons tous, la Chine a connu ces trente dernières années une croissance exceptionnelle, qui, selon certains, aurait débuté lors des réformes engagées par M. Deng Xiaoping dès 1978 et dans les années quatre-vingt, réformes qui ont porté des fruits rapides et importants. La Banque mondiale estime même que ce phénomène est unique dans l’histoire de l’humanité, en raison de son ampleur et de sa durée.

Nous devons être également conscients que cette croissance s’est accélérée ces dix dernières années et que, durant cette période – notamment pour des raisons démographiques –, l’effet masse et l’effet volume ont joué à plein. Que l’on en juge : en 2005, le produit intérieur brut de la Chine était égal à celui de la France, autour de 2 200 milliards de dollars ; il dépasse aujourd’hui les 11 000 milliards de dollars, alors que celui de la France atteint difficilement 3 000 milliards de dollars. Le PIB chinois a donc été multiplié par cinq en dix ans, ce qui est considérable !

Pour autant, le modèle chinois de développement n’est pas soutenable à terme, d’un point de vue social, économique ou écologique. Il ne peut continuer à faire totalement reposer la croissance sur l’exportation de produits à faible coût, grâce à une main-d’œuvre nombreuse et peu onéreuse.

Les autorités chinoises sont parfaitement conscientes de ces limites et de la nécessité de réorienter la croissance. Elles ont d’ailleurs pris des décisions en ce sens dès le début des années deux mille dix, à l’occasion du douzième plan quinquennal. Quand la Chine décide quelque chose, la mise en œuvre est rapide et puissante !

Tout le monde le sait, les pouvoirs publics continuent en effet de disposer de moyens d’action importants, y compris sur les plans politique et économique.

N’oublions pas qu’entre 80 millions et 90 millions d’habitants sont membres du parti communiste chinois – c’est l’équivalent de la population française – et qu’ils peuvent ainsi quadriller le pays et l’activité !

Pour autant, si le contrôle politique est bien réel, une véritable opinion publique a émergé, sensible aux questions sociales, notamment aux salaires, à la qualité de la vie et aux conditions de travail. Par ailleurs, les questions environnementales sont – enfin, serais-je tenté de dire – au goût du jour, ainsi que les problèmes de sécurité sanitaire auxquels la population chinoise s’intéresse de plus en plus.

La phase de transition dans laquelle est engagée la Chine présente donc des risques de tensions et d’instabilité. À cet égard, il n’est pas anodin que les nouveaux dirigeants aient lancé simultanément une vaste campagne de lutte contre la corruption.

Au final, que retenons-nous de ce travail sur la Chine ?

D’abord, la baisse de la croissance et sa réorientation n’entament ni l’optimisme ni la confiance des Chinois en leur avenir. Ils sont convaincus de réussir leur adaptation aux temps nouveaux. Cet état d’esprit positif est d’ailleurs partagé par les étrangers qui vivent et travaillent en Chine.

Il nous semble que la France, dans cette transformation, détient des atouts. Des opportunités nouvelles se présentent, notamment dans le secteur des services, de l’agroalimentaire, de la santé, etc. Monsieur le ministre, partagez-vous ce sentiment ? Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ?

La Chine est animée, me semble-t-il, non par une volonté de domination mondiale, mais par une vision multipolaire.

La Chine ne peut plus être considérée exclusivement comme un concurrent. Nous devons la regarder comme un partenaire, avec lequel nous sommes en mesure non seulement d’entretenir des relations, mais probablement d’engager des actions communes.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, les discussions avec la Chine pour travailler ensemble dans les pays tiers, particulièrement en Afrique, ont-elles avancé ? Que pouvons-nous en attendre ? Je crois sincèrement que, tout en restant vigilants, nous avons intérêt à travailler avec la Chine sur certains sujets, car toute politique de développement doit préférer la complémentarité à la concurrence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Pozzo di Borgo, François Fortassin et Daniel Reiner applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, j’ai participé cette année au groupe de travail sur l’Iran avec Daniel Reiner, Michelle Demessine et Joël Guerriau. C’est donc cette question que j’évoquerai dans ce débat.

L’accord enfin trouvé à Vienne, le 14 juillet dernier, sur le programme nucléaire iranien a incontestablement changé la donne. Il l’a changée avant tout pour ce pays, qui a déjà commencé à faire son retour dans le concert des nations. Il l’a peut-être changée, aussi, pour le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Espérons qu’il s’agira d’une bonne nouvelle dans un environnement si difficile et dangereux. Certes, l’accord de Vienne ne représente encore que la possibilité d’une vraie normalisation de l’Iran sur la scène diplomatique.

D’abord, pour que soient levées les sanctions contre l’Iran, notamment les sanctions européennes et américaines, il faudra attendre le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique programmé pour le mois de décembre prochain, qui devra dire si l’Iran exécute effectivement ses obligations.

Ensuite, il faudra que l’Iran témoigne de sa bonne volonté à travailler, aux côtés des puissances occidentales, en faveur de la résolution des crises qui tourmentent la région. Je pense à la Syrie, au Yémen, mais aussi au Liban, qui seront autant de dossiers tests dans les prochains mois.

En outre, il faudra voir si le résultat des élections législatives prévues en Iran au mois de mars 2016 et si la politique étrangère des États-Unis conduite à partir de 2017 par le nouveau président permettent de réunir les conditions d’une application durable de l’accord.

Réserve faite de ces hypothèques – non négligeables, certes –, il semble tout de même que l’intérêt bien compris de l’Iran aujourd’hui soit d’œuvrer au bénéfice de la stabilité régionale. Tel est évidemment le souhait de la communauté internationale et celui de la France.

Dans ce nouveau contexte, l’intérêt de la France est donc, nous semble-t-il, de restaurer autant que possible avec l’Iran, qui est une puissance régionale incontournable, la densité de nos relations anciennes. Nous avons en effet une longue histoire commune avec ce pays et les Iraniens conservent une bonne image de la France. Faisons fructifier ce capital ! Multiplions les échanges, en multipliant les occasions !

La reprise est déjà lancée dans le domaine économique : nos entreprises, dans l’attente de la levée des sanctions, commencent à retrouver leurs marques en Iran. Il est important qu’elles y travaillent, car la compétition internationale est forte !

La reprise a également été amorcée, clairement, sur le plan politico-diplomatique : les visites et les rencontres bilatérales ont repris au plus haut niveau. On attend ainsi le président Rohani à Paris, le mois prochain.

Tout cela est heureux. Cependant, je souhaite insister sur la nécessité de redonner du souffle à notre coopération culturelle et scientifique avec l’Iran. Cette coopération paraît en effet à présent bien modeste, malgré son réel potentiel. Or il s’agit, là aussi, d’un puissant vecteur d’influence de notre pays dans la région, à condition, bien sûr, de s’en donner les moyens.

À cet égard, la « feuille de route » franco-iranienne à laquelle devrait donner lieu la visite en France du président iranien pourrait être opportunément nourrie. Nous avançons à cet effet, monsieur le ministre, quelques demandes concrètes.

D’un côté, essayons d’obtenir le soutien de l’Iran au développement de nos établissements culturels à Téhéran. Le Centre de langue française ne sera peut-être pas tout de suite autorisé à devenir Institut français ; du moins peut-il accroître son activité, car la demande locale, francophile, est bien présente ! Il faudra que le budget suive... La facilitation des missions de chercheurs français en Iran et la relance de nos traditionnelles fouilles archéologiques dynamiseraient l’Institut français de recherche en Iran.

Qu’il me soit permis d’appeler également votre attention sur la nécessité de revitaliser la recherche en France concernant l’Iran, qui est une tradition chez nous. Notre pays a connu de grands iranologues et il faut permettre de nouveau aux spécialistes de disposer à Paris d’éléments de recherche dans ce domaine.

Parallèlement, engageons-nous à augmenter le nombre d’étudiants iraniens accueillis chaque année en France : 1 800, ce n’est pas assez !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jacques Legendre. Un projet de coopération entre les musées iraniens et nos grands musées, entre autres le Louvre, se traduisant par des prêts d’œuvres et par des expositions croisées, serait également de nature à enrichir les liens entre la France et l’Iran, que nous avons tout intérêt à cultiver.

Surtout, monsieur le ministre, la France doit être bien claire sur le fait qu’elle ne choisit pas entre le monde chiite et le monde sunnite. Nous devons légitimement ambitionner des rapports suivis avec le monde sunnite. Nous devons faire de même avec le monde chiite.

Nous parlons d’ambitions. Eh bien, plaçons l’autonomie de la France au service de cette ambition, celle d’une position équilibrée au Proche-Orient comme au Moyen-Orient ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Boutant et Mme Michelle Demessine applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai également participé au groupe de travail dédié à l’Iran et je consacrerai donc, moi aussi, mon intervention à ce pays.

Monsieur le ministre, l’accord de Vienne conclu le 14 juillet dernier a mis fin à douze années d’une crise suscitée par le programme nucléaire iranien. Il faut en féliciter notre diplomatie, et vous féliciter vous-même, d’avoir maintenu, au cours des négociations, une ligne de fermeté clairement fondée sur le souci de la non-prolifération du nucléaire au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

C’est là le premier résultat essentiel de cet accord, qui a d’ores et déjà permis à la communauté internationale, en particulier à la France, de renouer un dialogue plus normal avec l’Iran. Espérons que le dossier nucléaire est bel et bien derrière nous et que nous pourrons à nouveau tisser avec l’Iran des liens qui – il faut le dire – ont été, au cours des dernières années, très sensiblement affaiblis.

La restauration est en cours. Deux semaines après la conclusion de cet accord, monsieur le ministre, vous avez été reçu à Téhéran, et bien reçu. (M. le ministre le confirme.) Nous-mêmes y avions été bien accueillis au mois de juin dernier. La visite du président Hassan Rohani, annoncée pour le mois prochain, est de bon augure.

Nous avions placé notre mission dans la perspective de cet accord. Nous avons travaillé au cours de l’hiver et du printemps 2015. Au cours de nos rencontres, nous n’avons pas eu le sentiment que les Iraniens tenaient particulièrement rigueur à la France de sa position, au contraire.

Aussi, nous nous félicitons que puisse être renouée une relation franco-iranienne dense, et ce d’abord sur le plan politique.

Il s’agit de mieux défendre nos positions au Proche-Orient et au Moyen-Orient en jouant la carte de l’Iran, puissance régionale incontournable – tel était d’ailleurs l’intitulé de notre groupe de travail –, et en ayant pour but de lutter ensemble, autant que possible, contre le terrorisme et en faveur du règlement des crises.

La qualité actuelle de la coopération politique et militaire entre, d’une part, la France et, de l’autre, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, constitue évidemment un point très positif. Mais nous avons également tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec le monde chiite. C’est à nos yeux une évidence.

Bien sûr, nous restons dans l’expectative quant aux véritables intentions iraniennes. L’Iran va-t-il faire usage de sa capacité d’influence, au bénéfice du règlement des crises où il se trouve notablement impliqué, à commencer par la guerre en Syrie ? Travaillera-t-il dans le sens de la stabilité régionale, comme il le prétend, comme on nous l’a dit et répété tout au long de nos rencontres ? On songe, naturellement, aux cas du Liban et du Yémen.

On peut à tout le moins estimer que, pour conserver la place qu’il vient à peine de retrouver sur la scène diplomatique, l’Iran a intérêt à coopérer de manière constructive avec les puissances occidentales.

À ce titre, peut-être la France a-t-elle un rôle à jouer pour favoriser les conditions de cette coopération ?

Monsieur le ministre, cette fameuse feuille de route franco-iranienne qui est en cours de préparation comportera-t-elle bien un volet politique allant dans ce sens ? Et, le cas échéant, quelles ambitions traduira-t-elle ?

Bien sûr, l’enjeu de la relation franco-iranienne est également économique. Avec ses 80 millions d’habitants et ses ressources en hydrocarbures, l’Iran est un enjeu de développement international et un puissant vecteur d’investissement, notamment pour nos propres entreprises. Ces dernières peuvent utiliser l’atout que représente, pour leur réimplantation dans le pays, la bonne image dont y jouit aujourd’hui le nôtre. Elles s’y emploient déjà, et nous le savons.

Néanmoins, il faut rester prudent : les sanctions contre l’Iran, notamment les sanctions américaines, ne sont pas encore totalement levées. (M. Jacques Legendre acquiesce.)

Il revient à notre dispositif d’appui au commerce extérieur d’épauler nos entreprises en intervenant non seulement auprès des grands groupes, mais aussi auprès des PME. Notre diplomatie économique devrait conclure avec l’Iran des coopérations qui faciliteront la vie des affaires tout en accroissant notre influence.

À ce titre, nous vous adressons ces quelques suggestions, qui correspondent d’ailleurs parfois à des demandes qui nous ont été exprimées sur place.

Tout d’abord, il convient d’apporter le soutien de notre expertise à l’Iran pour restaurer ses circuits bancaires et améliorer son environnement des affaires, en matière de droit, de fiscalité ou de lutte contre la corruption.

Ensuite, il faudrait accompagner sur le plan technique, si elle se confirme, la candidature iranienne à l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC.

De plus, il serait bon de mettre en œuvre une coopération entre les services français et iraniens chargés du tourisme. On nous a adressé des requêtes très précises à ce sujet, que Mme Demessine pourrait évoquer plus précisément que moi. Le potentiel iranien est considérable et, dans ce domaine, notre savoir-faire a toutes les chances de s’y épanouir.

Enfin, il faut envisager un plan de jumelages entre les chambres de commerce et d’industrie iraniennes et françaises – c’est également une demande qui a été formulée. En la matière, les attentes sont réelles. Cette coopération décentralisée nous apparaît comme un important levier de succès.

Naturellement, toutes ces initiatives ne doivent en aucun cas nous empêcher de parler franchement avec l’Iran de la situation problématique, au regard de nos valeurs, des droits de l’homme dans ce pays. Ainsi, nous aurons plus de chances d’en accompagner les évolutions, que nous souhaitons naturellement positives ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Michelle Demessine applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Russie-France : pour éviter l’impasse : tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre du rapport d’information que nous avons rédigé. Dans quelques instants, Josette Durrieu expliquera la philosophie que nous avons suivie et qui a abouti au choix de ce titre. En outre, elle vous exposera l’ensemble du travail que nous avons effectué pendant les mois que nous avons consacrés à cette mission.

Face à la Russie, la situation est très tendue, voire inquiétante. Des risques de déstabilisation que l’on ne doit pas sous-estimer résultent en effet de diverses tensions à l’œuvre : attitude provocante en Crimée, ouverture d’une grave crise avec l’Europe en Ukraine, manifeste démonstration de force en Syrie et, aujourd’hui, déclaration de Vladimir Poutine à Ankara.

Certes, nous sommes face à une posture idéologique, toutefois, monsieur le ministre, à nos yeux, notre politique ne doit pas conforter la Russie dans un isolement qui ne fait que nourrir son sentiment anti-occidental et l’inciter à de violentes ruades. Au contraire, nous devons chercher à renouer avec elle un dialogue permettant de rétablir des relations normales.

Dans cette perspective, nous avons été conduits à émettre des recommandations. Il va de soi que le Quai d’Orsay est sans doute le mieux à même de prendre les décisions qui s’imposent, mais nous pouvons sans doute apporter une petite contribution.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Et même une grande contribution ! (Sourires.)

M. Robert del Picchia. La première recommandation est bien entendu de prendre en compte le retour d’une « menace de la force » en Europe.

La Russie a une conception classique des relations internationales, fondée sur la notion de puissance et sur les rapports de force. Si elle ne rencontre pas de résistances, elle continuera à pousser ses pions conformément à ses objectifs : la reconquête de son rang et de sa puissance.

Pour être crédibles, nous devons donc faire preuve de fermeté en renforçant nos capacités militaires, à l’échelle nationale, au niveau de l’OTAN et peut-être aussi à l’échelle de l’Europe de la défense, qui mériterait également un débat.

Ensuite, la France devrait se doter d’une stratégie globale et cohérente à l’égard de la Russie.

Il faut bien admettre qu’au cours des vingt dernières années notre politique extérieure s’est parfois révélée peu lisible – ce constat ne vaut ni pour toutes les périodes ni pour l’ensemble des gouvernements.

La Russie recherche avant tout une reconnaissance, de la stabilité et de la prévisibilité dans ses relations diplomatiques. Aussi, à notre sens, la France devrait avoir pour stratégie d’aider la Russie à reprendre toute sa place sur la scène internationale, et ce, bien entendu, dans le respect du droit.

À cette fin, notre diplomatie devrait peut-être s’efforcer de tester la bonne volonté russe, en acceptant un dialogue approfondi sur les dossiers en cours, y compris la difficile question syrienne.

Ce constat étant dressé, comment mettre en œuvre cette stratégie ?

Selon nous, cette politique trouverait à s’appliquer concrètement de deux manières.

D’une part, elle pourrait s’inscrire dans la poursuite des efforts que la France mène, dans le cadre du format Normandie, pour faire appliquer les accords de Minsk et obtenir la résolution de la crise en Ukraine.

D’autre part, la France devrait faire savoir dès à présent qu’elle souhaite une levée graduelle des sanctions si le cessez-le-feu est respecté – cela semble être le cas – et si les élections qui s’annoncent se déroulent conformément aux engagements pris. Peut-être faudrait-il commencer par mettre un terme aux sanctions diplomatiques et aux mesures visant des personnes non directement liées aux événements en Ukraine. Ces dispositions sont sans doute les plus humiliantes.

À ces suggestions s’ajoute un autre volet de recommandations : que la France prenne l’initiative d’un dialogue renouvelé avec la Russie, portant sur les questions de sécurité et de développement économique en Europe.

Dans ce cadre, l’Allemagne et la France seraient bien sûr des moteurs. Cependant, il importe d’y impliquer largement la Pologne. Cet État a un rôle essentiel à jouer pour désamorcer les tensions entre la Russie et les pays d’Europe orientale.

Soyons réalistes : avant d’aboutir, ce dialogue exigerait plusieurs années. Toutefois, nous souhaitons qu’il puisse se traduire par un accord semblable à l’Acte final d’Helsinki, permettant de réaffirmer notre attachement commun à la paix et à un certain nombre de grands principes, parmi lesquels l’inviolabilité des frontières en Europe.

En outre, peut-être faudrait-il réfléchir pour l’Ukraine à un statut de neutralité à l’égard des organisations militaires. C’est à ce pays de se prononcer en définitive. Les négociations pourraient aboutir à un résultat.

Enfin, la crise actuelle semble également liée à des problèmes de perception mutuelle et d’incompréhension. Aussi conviendrait-il de multiplier les contacts entre nos deux sociétés, russe et française.

Dans ce cadre, il nous paraît souhaitable de relancer les initiatives déjà engagées sur le front des visas et, pourquoi pas, d’envisager la suppression de ces titres à terme, bien entendu en lien avec l’Union européenne.

Mes chers collègues, à l’issue de nos travaux, nous convergeons pleinement vers la nécessité d’un équilibre entre fermeté et dialogue, pour éviter l’impasse.

La France a tous les atouts pour relever ce défi : son histoire, le génie de sa diplomatie et l’indépendance de son analyse. À présent, monsieur le ministre, c’est à vous de jouer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Pozzo di Borgo et François Fortassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, vous l’avez compris, Robert del Picchia et moi-même avons mené ensemble ce travail, auquel s’est également associé Gaëtan Gorce, que je salue. Après Robert del Picchia qui vient de faire la conclusion, je vais me charger de l’introduction ! (Sourires.)

Nous avons pris pour point de départ une observation que font nombre d’intervenants aujourd’hui : la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée ont marqué un véritable tournant. Beaucoup l’ont déjà souligné : la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a violé la souveraineté et l’intégrité d’un autre État européen. Elle a, de ce fait, renié ses engagements internationaux souscrits à Helsinki, en 1975, au titre des frontières et à Minsk, en 1991, vis-à-vis des nouveaux États formés après la disparition de l’URSS.

Dès lors, une question se pose : la Russie peut-elle encore être un partenaire ?

Avec la crise syrienne, ce pays est désormais une menace pour l’ordre régional. Ce constat a été rappelé : la Russie se place au centre du jeu, elle se livre à des démonstrations de puissance, elle défie la coalition et l’alliance, notamment en procédant à des survols de la Turquie. Il s’agit certainement d’une posture, mais c’est également un message.

Face à cette situation, l’Occident invoque toujours la surprise. Poutine est-il imprévisible ? Non ! Dans son discours de Munich, en 2007, il formulait déjà cet avertissement : « La Russie a toujours eu une politique extérieure indépendante. Nous n’allons pas faillir à cette tradition. »

Poutine est incontestablement l’homme qui fait l’histoire de la Russie aujourd’hui, en tout cas dans l’immédiat. C’est à la fois une personnalité, une méthode, une stratégie et des objectifs.

Ses buts sont clairs : conforter l’espace russe, affirmer la place et le rang de la Russie, renouer avec la puissance. La méthode qu’il met en œuvre est la suivante : avancer ses pions, selon les circonstances ; tester ses adversaires et ses partenaires et traquer leurs faiblesses – il est servi ! – ; être toujours en embuscade et coller aux événements.

Par sa rapidité d’action, Poutine renverse les situations. Par la voie de fait, il sanctuarise des situations devenues irréversibles. En Géorgie, en 2008, nous aurions dû être alertés, nous avons pourtant validé son action.

L’Occident est embarrassé et dépassé. La même histoire s’écrit à nouveau, et les frontières bougent.

La Russie remet en cause l’ordre régional européen, imposé par les Occidentaux à la fin de la guerre froide avec les élargissements successifs de l’OTAN, les bombardements de la Serbie en 1999 sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, la guerre en Irak en 2003, le soutien aux révolutions de couleur en 2003 et en 2005. La Russie a été humiliée et traitée en pays vaincu. Elle considère que cet ordre est injuste.

Gorbatchev a dit, à juste titre, que la Russie n’avait été ni accueillie ni récompensée par l’Europe, qu’elle était suspecte et n’était pas devenue un partenaire. C’est vrai, l’erreur était certainement là !

Est-il trop tard pour inverser l’ordre des choses ? La coopération est-elle encore possible ? Il faut le vouloir ! Et l’alliance ? M. Poutine et la Russie ont-ils encore besoin de nous ?

La Russie est une puissance nucléaire et elle reconstitue ses capacités militaires. La confusion est extrême : aujourd’hui, l’OTAN est considérée par la Russie comme une menace directe, alors que, pour la Pologne et les pays baltes, l’ennemi, c’est la Russie !

Nous, l’Europe, nous, la France, nous devons mieux identifier notre relation à la Russie : ni confrontation ni éloignement. Nous avons besoin de la Russie, comme la Russie a besoin de l’Europe, notamment sur le plan économique. Le pivot asiatique n’est pas une solution de remplacement.

La marginalisation de la Russie serait une erreur et comporterait des risques. La sécurité de l’Europe est en jeu : nous en sommes revenus à la menace de la force.

Au Moyen-Orient, deux coalitions s’affrontent. Le premier de leurs désaccords concerne M. al-Assad. C’est légitime. Nous soutenons la position de la France. Les autres désaccords ne sont pas pour autant résolus : la transition politique, une éventuelle partition du pays. Aujourd’hui, depuis Astana, au Kazakhstan, M. Poutine a résumé la situation : il n’y a rien à discuter dans l’immédiat, puisque les États-Unis n’ont pas de plan. Je crains qu’il n’ait raison.

Dans ce contexte, à mon sens, le dialogue et la fermeté s’imposent, comme l’a rappelé Robert del Picchia. Il faut faire preuve de fermeté, car la Russie multiplie les provocations et les tests et réactive beaucoup de foyers de tensions : dans les pays baltes, avec les russophones, en Moldavie, avec la Transnistrie et la Gagaouzie, en Géorgie et – il faut y prêter attention – dans les Balkans, entre Kosovo et Serbie. À ce titre, les opérations militaires menées avec la Serbie ne disent rien qui vaille.

Monsieur le ministre, la France a pris beaucoup d’initiatives qui vont dans le bon sens, et nous vous remercions, vous, de votre action, ainsi que le Président de la République. Maintenant, la France doit formuler des propositions pour éviter l’impasse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, tous, quelle que soit notre place dans cet hémicycle, nous sommes parfois tentés de tenir un discours politique convenu ou des propos partisans. La matière qui m’amène à m’exprimer aujourd’hui rendrait cet exercice dangereux. L’importance de l’enjeu doit inhiber toutes les tentatives de récupération partisane.

Je souhaite en effet faire écho à nos travaux sur l’appréciation des conséquences géopolitiques du changement climatique.

Ce qui doit animer la politique étrangère française, à la veille de la COP 21, c’est d’abord le sentiment d’une responsabilité internationale historique, qui ne cessera pas au lendemain de la conférence, mais devra s’inscrire dans la durée.

Les enjeux sont en effet nombreux et multiformes. Chacune des difficultés que nous allons devoir surmonter, et surtout anticiper, mérite une réponse mondiale.

Ce sont d’abord des dommages croissants aux personnes et aux biens.

Les études les plus optimistes indiquent que le nombre de personnes touchées annuellement par une inondation serait de 93 millions à l’horizon 2080 et que, à l’horizon 2050, les dégâts causés par des événements extrêmes pourraient atteindre 1 000 milliards de dollars par an.

Ce sont ensuite des déplacements importants de populations : plus de 200 millions de personnes d’ici à 2 050, selon l’Organisation internationale pour les migrations, l’OIM.

Les États sous-développés, ou en voie de développement, si leur capacité de résilience n’est pas suffisante pour qu’ils s’adaptent et assurent une qualité de vie acceptable à leur population, transformeront les déplacements intérieurs en migrations internationales. Comment l’Europe s’y prépare-t-elle, alors qu’elle est aujourd’hui incapable de gérer l’accueil de quelques milliers de migrants ?

C’est enfin un risque accru de conflictualité et d’instabilité. Des États apparemment stables pourraient être mis sous tension et fragilisés par le changement climatique.

Bien évidemment, cette vulnérabilité croissante touche plus particulièrement les populations les plus pauvres et aggrave des situations déjà fragiles. Il faut y voir en quelque sorte un renforcement du risque de la faiblesse, un multiplicateur de menaces.

Le changement climatique est, par ailleurs, susceptible de modifier des équilibres régionaux, tels que celui qui existe en Arctique, emportant des conséquences potentiellement mondiales, puisque plusieurs grandes puissances coexistent dans cette région, tandis que d’autres, notamment en Asie, en suivent de près les évolutions.

Dans notre société de l’immédiateté, où le zapping de l’opinion publique s’oppose à une gestion à long terme, ces impacts sont jugés trop lointains et sont donc dramatiquement absents du débat public.

C’est pourquoi la France doit faire entendre sa voix dans le monde et promouvoir l’anticipation. Telle est notre responsabilité, elle est extrêmement importante et urgente.

Pour ce faire, il faut traiter avec sérénité les impacts décrits. Expliquer la réalité des évolutions en cours et les objectifs des décisions à prendre sans catastrophisme, sans nier la réalité s’impose. La protection des populations doit rester au cœur des échanges et passe par l’anticipation, l’information et la planification. Pour résoudre ces problèmes, il n’est nullement nécessaire de faire peur.

Pourtant, de façon un peu paradoxale, en cette année où la France préside et accueille la COP 21, la récente loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ne fait pas référence au risque climatique, pourtant mentionné dans le Livre blanc de 2013.

Comme l’a souligné Jean-Pierre Raffarin, « la citation du changement climatique comme une menace et comme un facteur d’amplification des crises aurait été justifiée et cohérente par rapport au discours porté par la France. Elle traduit probablement une insuffisance de la réflexion stratégique française en ce domaine ». Cette absence de référence est une erreur révélatrice d’un attentisme inquiétant. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Dans ce combat, l’endurance s’impose et l’une des étapes de ce marathon est la COP 21 et son indispensable accord pour la sauvegarde de notre « maison commune ».

L’abandon n’est pas envisageable, l’échec interdit. Trop de grandes conférences se sont enlisées, trop de discussions n’aboutissent pas.

Réussir la COP 21 est absolument nécessaire, mais aussi absolument insuffisant. Limiter les émissions de gaz à effet de serre afin de contenir le réchauffement en deçà de deux degrés Celsius constitue en soi un défi majeur. Néanmoins, d’autres décisions s’imposent à la communauté internationale, pour anticiper les déplacements de populations, gérer les catastrophes naturelles et les dommages, prévenir les risques d’instabilité et de conflits et aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud.

Mme Éliane Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, ce débat a lieu à quelques semaines de la COP 21. Monsieur le ministre, je ne vous inviterai pas à prendre votre bâton de pèlerin. J’ai en effet pu constater hier matin, en écoutant le discours d’ouverture de la conférence internationale des ministres et hauts responsables de la défense sur le thème « Climat et défense : quels enjeux ? » que vous avez prononcé, qu’une telle exhortation n’était pas nécessaire.

Mon intervention s’appuie largement sur le contenu du rapport d’information Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, élaboré par Leila Aïchi, Cédric Perrin et moi-même. Ce document à trois voix est transpartisan et, s’il propose une mosaïque de points de vue, il dresse le constat partagé de la gravité de la situation.

Ce rapport d’information analyse en particulier les conséquences géostratégiques du dérèglement climatique dans la zone arctique. Cette problématique doit être développée dans la réflexion stratégique française, car ses conséquences sur l’équilibre international seront très importantes.

Le réchauffement de l’Arctique, marqué par la fonte des glaciers et du pergélisol et le recul de la banquise, est deux fois plus rapide qu’ailleurs et autorise à qualifier cette région de « sentinelle avancée » du réchauffement climatique. Ces évolutions sont un signal d’alarme appelant la communauté internationale à réagir, car elles préfigurent des bouleversements à l’échelle mondiale.

Selon les chercheurs, il est probable que, d’ici à 2050, voire avant, l’océan Arctique sera libre de glace à la fin de l’été, pour la première fois depuis 125 000 ans.

Le réchauffement climatique au niveau de la zone arctique va entraîner des bouleversements géostratégiques qui nous obligent à repenser notre vision du monde. L’Arctique devient donc un enjeu international très important.

Dans cette région, jusque-là perçue comme une périphérie glacée et inhabitable, pourrait émerger un nouvel espace d’échanges par l’ouverture de nouvelles routes maritimes réduisant considérablement les distances entre les grands ports d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie.

De même, de nouvelles activités économiques pourraient y prendre place, avec la modification de la pêche, l’extension des terres arables et l’exploitation, devenue possible, de réserves considérables d’hydrocarbures et de minerais.

Avec cela, de nouveaux conflits potentiels pourraient se déclencher, dans ce qui constituerait un changement géostratégique majeur avec le statut des passages du Nord, des litiges frontaliers, une nouvelle zone de confrontation entre la Russie et l’OTAN et l’émergence des intérêts des grandes puissances asiatiques, notamment de la Chine.

Face à ces enjeux considérables, il nous faut œuvrer, plus encore, pour la cohésion européenne, pour la définition d’une politique commune, qui ne va pas de soi tant les histoires et les intérêts divergent, et pour l’admission de l’Union européenne au Conseil de l’Arctique.

La réussite de la conférence de Paris est donc indispensable à la préservation de cet environnement unique, fragile et déterminant pour l’ensemble de la planète. Hier, monsieur le ministre, vous parliez à ce sujet de « conférence de la paix ».

Les objectifs français pour l’Arctique doivent être affirmés et la COP 21 peut nous permettre de donner un écho à cette stratégie.

Il importe également de promouvoir un usage durable de la haute mer dans le cadre des négociations internationales entamées au mois de janvier 2015 sous l’égide des Nations unies et de renforcer l’effort scientifique français sur l’Arctique dans un cadre de coopération internationale.

En matière de défense, il serait enfin souhaitable que le prochain Livre blanc développe l’analyse des intérêts économiques et stratégiques de la France en Arctique et des menaces et des risques associés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le réchauffement climatique bouleverse considérablement les équilibres géostratégiques et nous conduit à réinventer toutes nos politiques, en particulier en matière de défense et de politique étrangère.

Nous devons en avoir pleinement conscience. La France est forte de nombreux atouts, que nous devons apprendre à mettre en avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je remercie Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, d’avoir organisé ce débat, les rapporteurs, qui ont accompli un très gros travail, et l’ensemble des orateurs.

Quatre sujets principaux ont été abordés, en lien avec les quatre rapports d’information de la commission : les relations avec la Russie, le rôle international de l’Iran après l’accord sur le nucléaire, la croissance chinoise, le climat.

Avant de répondre aux questions soulevées sur ces quatre points, je profiterai de ce débat pour effectuer un tour d’horizon un peu plus large de notre politique étrangère. Je pense que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, car vous avez tous rappelé que, dans un monde global et interconnecté, tout se tient.

Le président Raffarin a présenté à cette tribune une synthèse très puissante, et je ne voudrais pas le compromettre en lui disant que je me retrouve largement dans ses propos ! (Sourires.)

Qu’il s’agisse de la notion d’indépendance, de l’Iran, de la Russie, du climat, de la Chine – un pays qu’il connaît extrêmement bien – ou de la position américaine – sur laquelle il a tenu des propos d’une grande diplomatie, mais dont on a bien compris le sens –, ses analyses, qui sont d’ailleurs largement partagées dans cet hémicycle, m’ont paru frappées au coin de l’observation des faits et du bon sens.

On me demande parfois quels principes orientent notre action extérieure depuis 2012. Si je devais n’en retenir qu’un, je dirais : l’indépendance.

En quoi consiste l’indépendance de la France ? C’est notre capacité à définir librement ce que nous considérons comme juste, et à agir en conséquence.

Cette indépendance – et cela a été très bien dit par les différents orateurs – fait partie de notre histoire et de la vision que nous avons de notre rôle dans les relations internationales. Elle contribue à la crédibilité de notre diplomatie. Elle est une clé de notre influence.

Certes, et heureusement, nous avons des partenaires, des amis, des alliés, et nous tenons à la solidité de ces liens. Mais le monde sait et voit – parfois mieux que certains dans notre pays – que, face aux grandes questions internationales, nous nous déterminons en fonction de notre propre jugement, non sous la pression d’un quelconque protecteur.

En d’autres termes, personne, ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni les pays du Golfe, ni l’Allemagne, avec lesquels nous avons des relations souvent excellentes, ne nous dicte nos choix : seuls nous guident l’intérêt de la France et des Français et notre vision du monde.

J’aurai là une appréciation légèrement différente de celle de M. Billout – c’est mon appartenance successive au Conseil d’État puis au ministère des affaires étrangères, ainsi que ma fréquentation du Sénat, qui me pousse à utiliser ce genre de litote – lorsque, dans un langage modéré, je le reconnais, il parle du « manque d’ambition de la France », des « initiatives insuffisantes en Syrie », de « propositions peu claires ».

Même si M. Hue n’a pas versé dans le même discours, à certains moments, je ne savais pas si sa critique s’adressait au pouvoir précédent ou à l’actuel ! (Sourires.)

M. Alain Joyandet. C’est trop facile !

M. Laurent Fabius, ministre. Nos choix, quels sont-ils ?

Face à un monde chaotique dans lequel les crises s’ajoutent aux crises, nous refusons ce que j’appellerai la « diplomatie girouette » – personne ici n’est concerné ! –, qui ne sait pas fixer ou garder un cap, qui procède par à-coups et même parfois par coups, qui confond l’audace du verbe et le courage dans l’action, une diplomatie que l’on pourrait résumer en empruntant le beau mot de Danton à propos de Vergniaud : « Il parle, et il croit qu’il a agi. »

M. Alain Joyandet. Cela, au moins, ne concerne pas le gouvernement précédent !

M. Laurent Fabius, ministre. Merci de le préciser ! (Sourires.)

C’est pourquoi, avec le Président de la République et le Premier ministre, et sous le contrôle du Parlement, nous avons défini quatre priorités qui, concrètement, déterminent mon action : la paix et la sécurité ; l’organisation et la préservation de la planète ; la relance et la réorientation de l’Europe ; le redressement économique et le rayonnement de notre pays.

Chaque fois que nous avons des décisions de politique étrangère à prendre, c’est à cette boussole-là que nous nous référons.

D’abord, la paix et la sécurité.

Devant l’accumulation des dangers et des crises, la France doit être une puissance de paix, et elle l’est, comme chacun des orateurs a bien voulu le rappeler, sur le dossier du nucléaire iranien.

Face au risque de prolifération, nous avons adopté une position de « fermeté constructive », que les Iraniens ne nous ont d’ailleurs nullement reprochée ensuite : oui à un accord, mais un accord qui écarte de manière certaine, c'est-à-dire vérifiable, l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire.

Cette fermeté a permis de parvenir à l’accord robuste du 14 juillet 2015. Tout au long des négociations, nous avons, en toute indépendance et responsabilité, défendu, parce que c’était notre rôle et notre conception, la cause de la sécurité internationale et de la paix.

Plusieurs orateurs ont à juste titre posé la question : cet accord peut-il désormais servir la stabilité, notamment au Moyen-Orient ? Nous l’espérons, mais nous jugerons sur pièces, en particulier – je reprends des termes que vous avez utilisés et qui étaient parfaitement choisis – pour vérifier si l’Iran s’implique concrètement et positivement sur plusieurs sujets : la démarche de réconciliation menée en Irak par le Premier ministre al-Abadi, la sortie de l’impasse institutionnelle au Liban, une solution pacifique au Yémen, le soutien aux efforts de M. de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, pour mettre en œuvre le communiqué de Genève de 2012.

Si je résume notre position, qui me semble être aussi la vôtre à tous, l’accord de Vienne peut ouvrir la voie à un monde plus sûr. L’Iran, pays important et héritier d’une grande civilisation, doit y prendre sa part, mais les choses ne sont pas acquises et nous jugerons ce pays non pas sur les proclamations, mais sur les actions.

Je rejoins donc M. Legendre et M. Reiner lorsque l’un et l’autre ont souligné, en parfait accord, semble-t-il, qu’il faudrait établir une feuille de route lors de la visite du président Rohani à Paris. Nous sommes en train d’y travailler, et j’ai noté votre insistance sur la dimension culturelle et éducative, mais aussi sur les enjeux diplomatiques et économiques.

J’ai également noté que l’accord de Vienne était considéré comme positif, mais que nous étions, selon l’expression de M. Reiner, « dans l’expectative », et que nous avions besoin de travailler ensemble sur plusieurs points, parmi lesquels le tourisme ou les chambres de commerce.

Je crois donc pouvoir dire que, sur ce sujet, notre position est claire et rien ne nous sépare.

C’est le même engagement au service de la paix et de la sécurité qui commande depuis maintenant un peu plus de trois ans notre position dans la tragédie syrienne. Je veux être assez précis sur ce point parce que certaines interprétations ne me semblent pas correspondre à la réalité.

Face à ce drame effrayant, probablement le plus lourd depuis le début du siècle si l’on considère le nombre de victimes, où les atrocités terroristes s’ajoutent à ce qu’il faut bien appeler la barbarie de M. Bachar al-Assad, la position de la diplomatie française – je réponds là, notamment, à l’intervention de M. Billout – s’articule autour de plusieurs points fixes.

D’abord, nous devons lutter, le plus collectivement possible, contre Daech et contre les autres groupes terroristes. La France le fait en Irak depuis un an avec plus de soixante États, dans le cadre d’une coalition qui ne doit pas relâcher son action. Depuis quelques semaines nous le faisons également en Syrie, en légitime défense puisque nous visons des cibles qui menacent notre propre sécurité.

Que ne dirait-on pas si, ayant identifié des cibles, c'est-à-dire des groupes qui menacent de tuer des Français ou des Européens, nous ne réagissions pas !

Tous ceux qui veulent nous rejoindre dans cette lutte sont les bienvenus, à condition, comme je l’ai dit à la tribune des Nations unies, que leurs frappes soient effectivement dirigées contre les terroristes. Nous condamnons celles qui touchent les civils, ainsi que celles qui touchent les opposants modérés qui, courageusement, défendent une vision de la Syrie qui est la nôtre : une Syrie unie, démocratique et respectueuse de toutes les communautés.

La Russie est intervenue. J’observe que, jusqu’à présent, elle n’a ciblé que marginalement Daech et les groupes terroristes, centrant ses raids sur l’opposition à Assad. Au point que cette intervention peut déstabiliser des opposants modérés et favoriser, comme on l’a vu ces derniers jours, la progression de Daech, notamment vers Alep.

Une autre condition parmi les trois que pose la France est l’arrêt des bombardements des civils à l’explosif, ce que les Anglo-Saxons appellent le barrel bombing. Ces violences, qui sont commanditées – nul ne peut le contester – par M. Bachar al-Assad, alimentent à la fois l’essentiel du flux de réfugiés et l’extrémisme. Vous m’avez demandé quelles étaient nos initiatives : eh bien, nous envisageons de déposer une résolution sur ce sujet aux Nations unies.

Enfin, nous voulons favoriser une transition politique – elle est indispensable – qui montre au peuple syrien que le responsable de 80 % des 250 000 morts de Syrie et des millions de réfugiés ne sera pas son avenir.

J’entends l’argument développé par certains, pas très longuement dans cet hémicycle, mais qui tend à se faire de plus en plus insistant, selon lequel Bachar serait un antidote au chaos.

M. Daniel Reiner. C’est l’auteur du chaos !

M. Laurent Fabius, ministre. Or il est, en effet, le principal responsable du chaos !

D’autres le tiennent pour un « moindre mal » par rapport à Daech. Cela peut faire l’objet d’une discussion, mais nous considérons que s’allier avec Assad constituerait, au-delà même de la faute morale, une impasse politique. On voit mal, en effet, comment on pourrait aller vers une Syrie vraiment unie sans le départ de M. Bachar al-Assad et comment on pourrait lutter efficacement contre Daech et les terroristes sans forces syriennes unifiées comprenant les militaires ?

Depuis 2012, nous plaidons et nous agissons pour une transition. Nous en connaissons les paramètres : c’est le communiqué de Genève de 2012. Nous en connaissons également les acteurs. Ma communication ou votre information sont sans doute insuffisantes sur ce point, mais nous en discutons avec les États-Unis, bien qu’ils donnent parfois l’impression de s’intéresser davantage à la zone Pacifique qu’au Proche et au Moyen-Orient ou à l’Europe. Nous en discutons avec les Européens, les Arabes, les Turcs, les Russes, les Iraniens. Nous sommes prêts à l’action avec tous, mais aux conditions que je viens d’évoquer, parce qu’elles seules, notamment la transition de sortie, garantiront l’efficacité.

Je suis heureux que ce débat m’ait permis de préciser la position de la France à cet égard.

Nous savons tous qu’en Syrie comme en Irak, au Mali comme en Lybie, la paix n’est pas le pacifisme, et que l’action militaire, aussi importante soit-elle, doit être accompagnée d’avancées politiques.

En Irak, nous soutenons la démarche de réconciliation menée par le Premier ministre al-Abadi, car nous considérons que seul un régime dit « inclusif » et des forces irakiennes unies pourront lutter efficacement contre Daech.

Au Mali, après notre intervention militaire de 2013, notre diplomatie s’est mobilisée pour permettre l’accord de paix et de réconciliation signé en juin dernier. Nous sommes engagés aujourd’hui pour en faciliter la mise en œuvre.

En Lybie, j’estime, avec le recul, qu’une certaine erreur a été commise en 2011 en considérant qu’après l’action militaire le suivi ne nous concernait pas ; peut-être n’était-ce pas vraiment l’idée au départ, mais c’est ce qui s’est produit dans les faits. Dès 2012, nous avons soutenu les efforts diplomatiques du représentant de l’ONU, M. Bernardino León, pour la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Ainsi, qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Irak, du Mali ou de la Lybie, la leçon est finalement la même : face au terrorisme, dès lors que l’on veut rétablir la paix et la sécurité, il n’y a pas de solution militaire efficace s’il n’y a pas d’évolution politique. C’est en ce sens que nous nous attachons à agir.

Nous agissons également en puissance de paix face à l’imbroglio israélo-palestinien, ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont relevé. La recrudescence des violences en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza nous préoccupe très gravement. Depuis des mois, je mets en garde contre les risques d’embrasement, mais la France a été un peu seule… Là, nous y sommes ! Il y a donc urgence à relancer un processus politique crédible, qui permette d’avancer vers une paix juste et durable.

La France, trop seule parfois, je le disais à l’instant, est à l’initiative. Dans le débat politique national, j’entends certains prétendre que nous ne nous mobiliserions pas assez sur ce sujet. Mais nos partenaires étrangers ont plutôt tendance à soutenir la thèse inverse… En tout cas, nous appelons la communauté internationale à ne pas laisser la solution des deux États se déliter. Nous alertons même sur le risque, qui paraît lointain, mais qui ne l’est peut-être pas, que Daech puisse à un moment donné accaparer la cause palestinienne, avec des conséquences en chaîne qui seraient dramatiques.

Mme Bariza Khiari. Bien sûr !

M. Laurent Fabius, ministre. Lors de la récente assemblée générale des Nations unies – ce point n’a pas été souligné, notamment par la presse ! –, nous avons organisé une rencontre inédite du quartet, élargi cette fois-ci aux acteurs arabes clés ainsi qu’aux partenaires européens ; c’est ce que j’ai appelé le « groupe international de soutien ».

Nous considérons que ce nouveau format, que nous ne voulons pas abandonner, est susceptible de contribuer à redessiner un horizon politique, en poussant les parties concernées à reprendre les négociations, en vue, espérons-le, de les faire aboutir.

Ce groupe international de soutien pourrait se fixer trois objectifs précis : des mesures de confiance à objectif immédiat pour apaiser les tensions ; un soutien collectif à la réconciliation palestinienne ; l’élaboration de garanties et de compensations internationales dont chacune des parties aura besoin pour signer l’accord espéré.

En novembre dernier, j’avais indiqué devant l’Assemblée nationale – et j’ai eu l’occasion de le répéter devant le Sénat – que, si cette ultime tentative de solution négociée n’aboutissait pas, alors, la France prendrait ses responsabilités, en reconnaissant l’État palestinien. Je renouvelle aujourd'hui cet engagement du haut de cette tribune. (Mme Nathalie Goulet applaudit.) La France n’abandonnera ni l’exigence de sécurité pour Israël ni celle de justice pour les Palestiniens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme Bariza Khiari. Bravo ! C’est courageux !

M. Laurent Fabius, ministre. Face à cette crise, comme face aux autres, notre diplomatie ne se détermine pas en faveur d’un camp contre un autre. Nous ne choisissons pas les Palestiniens contre les Israéliens, ou l’inverse, pas plus que nous ne soutenons, dans les crises du Moyen-Orient, les sunnites contre les chiites, ou réciproquement. La France est l’amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien. De même, la France n’a pas à prendre parti entre deux courants de l’islam.

Notre fil rouge, j’y reviens, c’est le souci d’agir en faveur de l’indépendance, pour la sécurité et la paix. Notre politique étrangère se veut donc équilibrée, indépendante et tournée vers l’exigence de paix.

C’est précisément cette exigence qui nous a conduits à nous impliquer depuis des mois dans la résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

L’objectif est d’enrayer la spirale de la guerre et de créer les conditions d’un retour à la paix. Pour ce faire, nous avons engagé, en lien avec nos amis allemands, un dialogue singulier avec la Russie et l’Ukraine, dans le cadre de ce que l’on a appelé le « format Normandie ».

Aujourd’hui, nous sommes mobilisés pour la mise en œuvre effective des accords de Minsk 2, notamment pour ce qui concerne le volet politique. Le sommet au format Normandie organisé voilà quelques jours à Paris et auquel j’ai assisté a été utile. Malgré des à-coups, le respect du cessez-le-feu progresse. L’accord sur le retrait des armes de petit calibre est peu à peu mis en place. Fait très important, les élections unilatéralement annoncées par les séparatistes dans le Donbass, qui auraient signé la fin du processus de Minsk 2, ont été reportées.

Il reste évidemment beaucoup de travail. Par expérience, je sais que nous devons être prudents, mais nous avançons, notamment – certains ont considéré que nous ne parlions pas assez avec la Russie ! – grâce à notre dialogue constant avec les Russes.

Notre ligne face à ce pays est la suivante : dialogue et fermeté. Fermeté parce que nous ne pouvons pas accepter des violations du droit international, comme l’annexion de la Crimée. Dialogue parce que l’engagement russe fait partie de la solution.

Sur la question ukrainienne comme sur les autres, nous travaillons donc avec les partenaires clés pour servir la sécurité et la paix.

Si je devais résumer notre position à l’égard de la Russie, à laquelle une longue histoire et une évidente géographie nous lient, je parlerais volontiers de « coopération vigilante ». Nous continuerons à discuter avec les Russes de tous les sujets, mais sans renoncer à notre lucidité ni à nos principes. Je me retrouve à cet égard dans les propos de M. del Picchia, de Mme Durrieu et de tous ceux qui ont évoqué ce sujet.

Selon M. del Picchia, la France devrait affirmer dès maintenant qu’elle souhaite une levée graduelle des sanctions. Mais c’est ce que nous disons ! Et c’est ce que nous voulons dès lors, bien sûr, que les conditions seront remplies. Il ne s’agit pas de maintenir des sanctions perpétuelles ; cela n’aurait pas de sens, d’autant que cela pénaliserait à la fois les Russes et nous-mêmes.

Les autres suggestions qui ont été faites méritent, bien sûr, d’être analysées.

S’agissant toujours de cette première priorité de notre politique étrangère, la paix et la sécurité, je voudrais dire quelques mots de la question des droits de l’homme, que je m’attendais à voir abordée dans cette enceinte de manière critique, puisque c’est dans ce registre qu’elle l’est parfois à l’Assemblée nationale, votre sœur jumelle ou votre petite sœur, si j’ose dire. Mais tel n’a pas été le cas.

Quoi qu'il en soit, les critiques que j’entends à ce sujet passent sous silence la mobilisation de notre réseau diplomatique dans toutes les enceintes multilatérales où se défendent ces droits. Je pense en particulier à l’abolition universelle de la peine de mort, dont j’ai fait une grande cause de notre diplomatie. On ignore nos efforts en faveur de nombreux cas individuels, loin des caméras et des micros, car je me suis forgé avec le temps la conviction selon laquelle cette approche est généralement la plus efficace.

Ces critiques méconnaissent aussi nos positions fortes en faveur de l’État de droit. En témoigne, par exemple, notre soutien à la transition démocratique tunisienne – je recevais il y a quelques instants encore les lauréats tunisiens du Prix Nobel de la paix. C’est oublier que le combat en faveur des droits de l’homme consiste non pas seulement à émettre des protestations, certes indispensables face à telle situation individuelle ou à tel régime, mais aussi à prendre l’engagement que je viens de décrire, un engagement sans faille pour la paix et la sécurité. Car la guerre et le chaos constituent les premières atteintes aux droits de l’homme.

Par nos efforts diplomatiques, par des interventions militaires parfois, nous protégeons le droit des populations à vivre en sécurité et en paix.

La deuxième priorité de notre politique étrangère est l’organisation de la planète et sa préservation.

Pour organiser la planète, il convient de promouvoir une société mieux régulée au niveau international. D’où notre appui constant à l’ONU.

On a rappelé la nécessité de réformer l’ONU ; j’en suis tout à fait d’accord. Soixante-dix ans après sa création, cette institution révèle certaines insuffisances. Elle reste malgré tout un lieu unique, où la communauté internationale s’efforce de résoudre les crises, de faire respecter les droits de l’homme et de s’accorder sur une vision commune en matière de développement et de l’avenir de la planète.

Nous croyons à l’ONU, en dépit de toutes ses limites. Nous plaidons pour des réformes qui la rendraient plus représentative et plus efficace. En la matière, Mme Goulet a, me semble-t-il, proposé quelques pistes.

Nous souhaitons un élargissement des membres permanents du Conseil de sécurité, qui donnerait, notamment, une place accrue aux pays émergents.

Nous proposons – cela a été critiqué, mais à mon avis de manière injustifiée – que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, en cas de crimes de masse – c’est le cas en Syrie –, suspendent volontairement leur utilisation du droit du veto, afin d’éviter la paralysie de cette instance.

Selon nous, le droit de veto n’est pas un privilège, c’est une responsabilité. Vous avez sans doute noté, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Président de la République s’est engagé, lors de la récente assemblée générale des Nations unies, à ce que la France n’utilise plus son droit de veto dans ce cas. Il s’agit là d’une décision forte, mais qu’on ne saurait critiquer en prétendant y voir une renonciation à notre rôle. Non ! Je pense même, en maniant sans excès le paradoxe, que si l’on veut donner au droit de veto toute sa légitimité, il faut éviter les excès, comme on en a connu notamment dans l’affaire syrienne.

Notre décision est au service de la sécurité internationale, de la paix et d’un multilatéralisme rénové et légitimé.

Nous agissons aussi pour une planète préservée. Mme Giraud, Mme Aïchi et M. Perrin sont intervenus sur ce sujet, et je fais miennes les observations qu’ils ont formulées. Mme Aïchi a souligné à quel point on ne pouvait agir dans ce domaine sans avoir une vision à long terme. M. Perrin a soulevé toute une série de questions, parfaitement légitimes, quant à l’incidence des dérèglements climatiques sur les conflits, les migrations, les phénomènes extrêmes, la pauvreté. C’est bien le sujet ! Mme Giraud, quant à elle, a bien voulu relever que je me mobilisais pour le climat.

Je vous le confirme, mesdames, messieurs les sénateurs : je me mobilise à tel point que mes collègues étrangers m’ont même surnommé le « climarathonien » ! (Sourires.)

La préservation de la planète, tel est l’objet de la Conférence mondiale sur le climat, qui aura lieu dans cinquante jours et que je suggère d’appeler, non pas par arrogance, mais parce que c’est ainsi que tous les étrangers la nomment, la « Conférence de Paris », de préférence à la « COP 21 ».

M. Robert del Picchia. Tout à fait d’accord !

M. Laurent Fabius, ministre. Pourquoi avons-nous été candidats ? Certainement pas parce que l’histoire des conférences climatiques internationales est une longue suite de triomphes : ce n’est pas le cas ! En vérité, il est apparu au Président de la République, qui a pris cette décision, que l’enjeu de la conférence était vital, au sens étymologique du terme, et que la France devait prendre ses responsabilités.

Comme certains d’entre vous ont abordé la question climatique, je profite de l’occasion pour dire quelles sont, à mon sens, les conditions d’un succès à Paris. J’en vois au moins trois principales.

D’abord, il faut que l’accord soit ambitieux : un accord permettant de limiter d’ici à 2100 le réchauffement climatique à 2 degrés ou, si possible, 1,5 degré. Au cours de ces dernières semaines, un certain nombre d’avancées ont été enregistrées, en particulier en ce qui concerne le rythme de dépôt de ce que l’on appelle les « contributions nationales ». En effet, aujourd’hui, ce sont près de 150 pays qui ont déposé auprès de l’ONU ce document dans lequel ils définissent leurs engagements. C’est nouveau ! Cela représente presque 90 % des émissions de gaz à effet de serre, alors que le fameux protocole de Kyoto n’en couvre que 15 %. Je crois qu’i faut bien garder ces deux chiffres en tête.

Sur la base des contributions annoncées, selon les premières estimations – nous disposerons de l’estimation officielle le 1er novembre prochain – réalisées notamment par des ONG, nous serions sur une trajectoire de 2,7 ou 3°degrés. C’est certainement moins que les 4, 5 ou 6 degrés du scénario catastrophe de l’inaction ou du scénario avancé par le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mais c’est encore nettement trop.

Cette situation rend absolument indispensable – c’est un point que nous avions identifié à l’avance – l’adoption, à Paris, d’une clause de révision périodique à la hausse des différents engagements nationaux, tous les cinq ans, par exemple, afin d’améliorer la trajectoire, qui doit rester en deçà des 2 degrés. Il est essentiel d’obtenir cette clause de révision, qui est, selon moi, l’une des conditions majeures du succès de la Conférence de Paris.

La deuxième condition du succès de la Conférence de Paris, une condition dont on parle trop peu, est que l’accord doit être juridiquement contraignant. Les Britanniques parlent d’un legally binding agreement. L’objectif n’est pas d’adopter une simple déclaration politique. Lors des réunions de négociations à la fois formelles et informelles qui se tiendront la semaine prochaine et les semaines suivantes, il faudra que les règles contraignantes que nous devrons faire figurer dans l’accord soient clairement posées.

Nous travaillons aussi à renforcer le mécanisme de suivi des engagements. La forme juridique exacte reste, au moment où je m’exprime, à déterminer. Il faut que cet accord ait la force du droit, afin que cela n’entraîne pas, dans certains pays – je pense aux États-Unis –, de blocage automatique lors de la ratification. Or ce n’est pas facile.

La valeur universelle de l’accord doit constituer une contrainte utile ; peut-être l’adhésion de tous les pays se révélera-t-elle même le plus dissuasif des mécanismes de prévention des violations.

La troisième condition du succès est, selon moi, la mobilisation des moyens financiers et technologiques nécessaires à la mise en œuvre de l’accord.

Sans doute vous souvenez-vous que, en 2009, à Copenhague, les pays du Nord ont promis de consacrer aux pays du Sud, au bénéfice du climat, 100 milliards de dollars annuels en 2020. Cette promesse doit être tenue au nom de la solidarité et de la justice, qui sont deux conditions indispensables pour parvenir à un accord à Paris.

Ces derniers jours, mon collègue Michel Sapin et moi-même étions à Lima, au Pérou, pour l’assemblée annuelle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. À cette occasion, une avancée très importante a été réalisée : à la demande de la France et du Pérou, un état des lieux précis a été dressé des aides versées aux pays du Sud, alors que, jusqu’ici, si l’objectif de 100 milliards de dollars en 2020 était fixé, personne n’était capable de dire quelle était la situation du moment, ce qui rendait tout progrès difficile.

Cette évaluation a été réalisée par l’OCDE, qui a établi un rapport très complet, technique et méthodique, dans lequel elle estime à 62 milliards de dollars les financements versés aux pays du Sud en faveur du climat en 2014 ; elle fait également apparaître que, malheureusement, la fraction de cette somme qui est destinée à l’adaptation de ces pays aux effets du changement climatique est trop faible.

À Lima, les banques multilatérales ont promis d’accomplir un effort supplémentaire de 15 milliards de dollars. Si l’on y ajoute les efforts nouveaux de certains États, sans oublier ceux du secteur privé, qui doit investir, l’objectif de 100 milliards de dollars en 2020 semble désormais pouvoir être atteint ; ce serait un atout majeur pour le succès de la conférence de Paris.

En ce qui concerne les technologies – un sujet absolument fondamental pour les pays du Sud, notamment pour certains grands pays émergents comme l’Inde –, des efforts sont accomplis, qui seront davantage dévoilés au cours de la conférence. En particulier, nous menons un travail avec M. Bill Gates et d’autres personnalités au service de l’augmentation des budgets de recherche et développement et des investissements publics, mais aussi privés, consacrés aux énergies renouvelables. Les avancées dans ce domaine sont prometteuses, mais des efforts importants restent à accomplir.

Un accord ambitieux, juridiquement contraignant et accompagné de moyens financiers et technologiques : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois résultats auxquels nous nous efforçons d’aboutir. Un autre progrès, certes non contraignant juridiquement, devrait également être accompli en ce qui concerne le prix du carbone et l’ambition fixée en la matière pour 2050 ; de fait, si nous voulons que le secteur privé se mobilise, il faut définir un horizon de long terme, ainsi que l’a souligné Mme Aïchi.

Si, de surcroît, des mesures rapides et concrètes sont décidées, notamment un grand programme pour éclairer l’Afrique – un chantier dont s’occupe en particulier le nouveau président de la Banque africaine de développement, un homme remarquable, ancien ministre de l’agriculture du Nigéria –, nous pourrons parler de succès le 11 décembre, date de clôture de la conférence.

Le Président de la République est en première ligne, avec l’ensemble du Gouvernement et notre réseau diplomatique. Pour ma part, je suis à ma tâche de futur président de cette conférence, pour contribuer à son succès. C’est aussi pour parler du climat que je me suis rendu, ces derniers jours, en Amérique du sud puis en Arabie saoudite. Par ailleurs, je réunirai au début du mois de novembre les ministres d’une centaine de pays pour une « pré-COP » informelle ; en effet, nous avons tiré de certaines conférences antérieures la conclusion qu’il faut avancer le plus possible avant la conférence proprement dite, compte tenu de la grande difficulté qu’il y a à progresser sur tous les sujets en présence de 20 000 invités.

Ce travail est assez âpre, mais il est nécessaire. Nous redoublerons d’efforts dans la dernière ligne droite, pour essayer de réussir ce qui pourrait être la plus grande avancée diplomatique mondiale de ces dernières années.

Dans leur rapport d’information Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, Mmes Aïchi et Giraud et M. Perrin insistent beaucoup sur la montée des eaux comme facteur de dérèglement géopolitique ; ils mettent particulièrement l’accent sur la question des déplacés climatiques. Je pense qu’ils ont raison. Je ne cesse moi-même de donner l’alerte à cet égard, en soulignant que le dérèglement climatique est aussi un dérèglement sécuritaire.

Il faut donc concevoir la Conférence de Paris non pas seulement comme une conférence environnementale, mais aussi comme une conférence sur la paix.

Je serai moins long au sujet de la troisième priorité de notre politique étrangère, la question européenne, d’autant que tous les problèmes sont liés.

Nous faisons face à une succession de crises que vous connaissez. À toutes les crises précédentes s’ajoute aujourd’hui une crise humanitaire consécutive à l’afflux de réfugiés provoqué notamment par les conflits dans le voisinage immédiat de l’Union européenne. Il y a aussi une crise démocratique, liée à la perception de l’Europe dans les opinions publiques nationales : si les Européens croient encore sans doute à une certaine idée de l’Europe, ils associent désormais souvent le fonctionnement de l’Union européenne à une lourde bureaucratie, au chômage et au dumping social. Ce contexte est favorable aux tensions entre États membres, aux replis nationaux et aux discours populistes jouant sur les peurs.

Dans ces conditions, nous devons agir selon des principes aussi clairs que possible : solidarité, responsabilité, fermeté. Tel est le sens de toute une série d’interventions du Président de la République, faites tantôt seul, tantôt avec la chancelière Merkel, tantôt avec d’autres.

La priorité est aujourd’hui de répondre aux crises, qui portent en germes de nombreux risques de désunion : je pense à ceux nés de la crise migratoire, mais aussi à ceux qui risquent de naître du référendum britannique, à propos duquel j’avais mis en garde, car il s’agit d’une opération extrêmement risquée.

La responsabilité des États membres, en particulier de la France, pays fondateur, est d’apporter à toutes ces crises des réponses concrètes, en suivant quelques mots d’ordre.

D’abord, il faut simplifier, mais sans susciter l’illusion que nous pourrions réviser les traités à court terme, car les états d’esprit actuels dans nos pays ne le permettent pas. Il faut commencer par améliorer la situation économique et sociale ; une fois que cela sera fait, nous pourrons réviser les traités.

Ensuite, il convient de mieux protéger les Européens, non seulement en agissant contre la menace terroriste, mais aussi en améliorant la défense européenne et en menant à bien d’autres opérations.

Enfin, il importe de développer l’économie européenne pour la rendre capable de relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Pour y parvenir, nous devons mener des politiques ambitieuses dans quelques domaines clés : l’énergie, le climat, le numérique, l’équité fiscale et sociale. Cette action suppose une meilleure convergence des économies européennes, en particulier au sein de la zone euro.

Dans les semaines qui viennent, de nombreux débats se tiendront sur l’orientation de l’Europe, en liaison notamment avec le référendum britannique et les propositions que le gouvernement de M. Cameron va présenter. Ces propositions, nous les examinerons avec nos partenaires dans un esprit simple : oui aux améliorations de l’Union européenne, mais non à son démantèlement.

Je l’ai dit à nos amis britanniques, et j’espère que cette conviction est partagée sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée : la place du Royaume-Uni est dans l’Union européenne, à condition que celle-ci reste fidèle à ses principes fondateurs et n’ait pas à renoncer à ses ambitions.

Sur tous ces sujets européens, nous agissons avec l’ensemble de nos partenaires, et d’abord, c’est bien naturel, avec notre partenaire allemand. Il peut arriver que nos visions ou nos intérêts divergent ; dans ce cas, la France fait évidemment valoir son propre point de vue. Toujours est-il que, dans la plupart des cas, heureusement, nous adoptons une position commune, et c’est un levier très puissant pour l’action.

La quatrième priorité de notre politique étrangère est le rayonnement de notre pays.

Plusieurs orateurs ont traité de la diplomatie économique. Je n’y reviendrai pas, car il est maintenant acquis qu’elle est l’une des priorités de notre diplomatie, pour des raisons que j’ai exposées hier devant votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Comme l’a fait observer, me semble-t-il, le président Raffarin, l’influence politique ne peut pas être durablement déconnectée du poids économique. C’est pourquoi j’ai lancé, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre, toute une série de réformes : réorganisations internes au ministère, instructions données à nos ambassadeurs, rapprochements menés avec les entrepreneurs, notamment avec les patrons de PME, envoi de représentants spéciaux dans les pays stratégiques, renforcement des liens avec ces pays – au premier rang desquels figure la Chine, dont je parlerai dans quelques instants –, élargissement du périmètre du Quai d’Orsay au commerce extérieur et au tourisme, création des nouveaux opérateurs unifiés que sont Business France et Expertise France et lancement d’opérations mondiales de promotion de notre pays, parmi lesquelles la campagne « Créative France ».

Ces réformes commencent aujourd’hui à porter leurs fruits, mais il faut absolument persévérer, car nous avons encore de nombreux progrès à accomplir.

Certains – mais il ne s’en trouve pas au Sénat – prétendent que cette diplomatie économique nous conduirait à abandonner la défense de nos valeurs. Je ne crois pas un instant à cette thèse. Si je voulais vous faire sourire, je citerais, à l’intention de ceux qui la soutiennent, une formule que j’ai souvent entendu François Mitterrand prononcer. L’ancien Président de la République, qui connaissait bien les faiblesses de l’esprit humain, me disait, en pensant à d’autres : il ne faut pas prendre toutes les mouches qui volent pour des idées ! (Sourires.)

De fait, dans la majorité des cas, la défense de nos intérêts économiques n’est absolument pas inconciliable avec la promotion de nos valeurs. Du reste, entretenir des relations économiques avec un État ne signifie évidemment pas donner un blanc-seing à son régime pour chacune de ses actions de politique intérieure. Ce qu’ont dit à cet égard Mme Goulet et d’autres orateurs me paraît parfaitement légitime. Évitons tout bashing, qu’il vise la France ou une autre cible !

Au demeurant, nous savons, lorsque la situation l’impose, fixer des limites à la diplomatie économique et prendre des décisions difficiles. C’est ce que nous avons fait, par exemple, en choisissant de ne pas livrer les Mistral à la Russie. J’avoue d’ailleurs avoir du mal à comprendre en vertu de quel raisonnement cette décision a pu être interprétée par certains comme une attaque contre les Russes. Pourquoi donc les Russes auraient-ils accepté de signer avec nous une résiliation si elle était contraire à leurs intérêts ; je dois dire que je ne le saisis pas – sans doute est-ce la fatigue… Il est vrai que la dialectique peut parvenir à confondre les raisonnements les plus sûrs. (M. Alain Joyandet s’exclame.) J’ajoute que, en tout état de cause, nous avons revendu les deux navires.

L’intéressant rapport d’information de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées intitulé « Chine : saisir les opportunités de la nouvelle croissance » m’inspire quelques observations relatives à ce géant d’aujourd’hui et de demain, mais aussi d’hier, avec lequel nos relations sont excellentes.

Les auteurs du rapport d’information soulignent à juste titre que le nouveau modèle de croissance chinois aura des incidences importantes sur nos relations économiques. En passant d’un rythme annuel de croissance à deux chiffres il y a quelques années à l’objectif officiel de 7 % pour 2015, les autorités chinoises ont pris acte des transformations majeures à l’œuvre dans leur économie. Pour en discuter périodiquement avec elles, je puis vous dire qu’elles avaient anticipé cette mutation, que le président chinois a qualifiée de « nouvelle normalité » : schématiquement, la Chine passe d’un modèle tiré par les exportations et par l’investissement à un modèle d’économie développée reposant davantage sur la consommation intérieure.

Quoi qu’il en semble, cette évolution est une bonne nouvelle pour la Chine, dans la mesure où le modèle précédent était à l’origine, entre autres conséquences, de mouvements spéculatifs sur les marchés boursiers. Même si ces mouvements n’ont pas en Chine la même incidence que chez nous, les entreprises chinoises étant financées non par la bourse mais essentiellement par les banques, il existait un danger d’effets systémiques, ainsi qu’on l’a constaté l’été dernier.

Cette évolution est également une bonne nouvelle pour le monde, même si je me suis permis de dire aux plus hautes autorités chinoises que les explications qu’elles avaient fournies n’avaient sans doute pas été exactement ce qu’elles auraient dû être, la mutation, pourtant prévue, ayant été ressentie comme une rupture par ce qu’on appelle « les marchés ».

Le rythme effréné de la croissance chinoise était porteur de conséquences ingrates pour l’environnement, sur le plan de la pollution comme sur celui de l’épuisement des ressources mondiales. À cet égard, la « nouvelle normalité », qui représente un défi historique pour la Chine, laquelle va devoir en quelques années repenser des pans entiers de son économie et développer une industrie aux fondements plus « verts », est assumée par les autorités. De fait, ce n’est pas un hasard si le cinquième plénum du comité central du parti communiste chinois, qui se tiendra du 26 au 28 octobre, insistera sur la nécessité de poursuivre les réformes structurelles. Les entreprises d’État, qui réalisent la moitié du PIB chinois, seront particulièrement concernées.

Dans ce contexte, fort bien analysé par les auteurs du rapport d’information, nous devons tirer le meilleur parti de nos relations avec la Chine, en particulier de la prochaine visite présidentielle française, dont l’axe majeur sera précisément le développement durable, l’approfondissement de notre dialogue dans ce domaine et la préparation de la Conférence de Paris.

Le Président de la République sera accompagné d’industriels issus de grands groupes et de PME. Il se rendra en province, ainsi que les autorités chinoises en ont émis le souhait.

Nous nouerons de nouveaux partenariats, y compris sur des marchés tiers, conformément au vœu de plusieurs d’entre vous. D’autres secteurs, également représentés, pourront naturellement bénéficier de l’attention renouvelée des autorités à l’égard des besoins des consommateurs chinois : l’agriculture, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique et, bien entendu, les nouvelles technologies.

Être présent dans cette nouvelle économie chinoise constitue pour nous une priorité. En agissant ainsi, la France – qui, avant tous les autres pays et en toute indépendance, a fait le pari de la Chine – est dans son rôle : accompagner ce pays dans son émergence.

Plusieurs résultats – j’espère qu’ils se confirmeront ! –sont déjà au rendez-vous. Pour le moment, ils n’ont pas bénéficié d’un large écho. Pourtant, en dépit du ralentissement de la croissance de la Chine, et plus encore de la contraction notable de ses importations, dont le volume a décru de 15 % au premier semestre 2015, les entreprises françaises ont vu leurs ventes progresser de 14 % sur la même période. Il faut y voir la contribution positive de ces nouveaux secteurs de coopération qui répondent aux besoins d’une classe moyenne de plus de 500 millions d’individus.

Nos entrepreneurs, eux aussi, ont compris comment aborder plus efficacement cette évolution décisive de l’économie chinoise. À nous de continuer à nous mobiliser aux niveaux politique, économique et administratif pour les accompagner dans cette voie.

Monsieur le président Raffarin, vous soulignez souvent que la qualité de nos relations économiques avec la Chine s’explique, en particulier, par l’indépendance de notre politique étrangère. (M. Jean-Pierre Raffarin opine.) Je partage tout à fait cette analyse. Je disais au début de mon propos que notre indépendance était l’une des clés de notre influence, non seulement diplomatique mais aussi économique : c’est ce que l’on observe en Chine comme dans les autres pays.

Au-delà de cette dimension économique, j’ai souhaité que notre diplomatie investisse l’ensemble des champs de l’action extérieure de l’État : la culture, l’éducation, les valeurs, la francophonie – dans quelques décennies, il y aura 750 millions de francophones, grâce à la croissance démographique de l’Afrique –, qui représente un réservoir d’influence en même temps qu’un potentiel économique, ainsi que le tourisme, qui constitue un trésor national, à la fois pour notre économie et pour notre image dans le monde.

Je réitérerai ici les propos que j’ai tenus hier devant la commission des affaires étrangères, car ils pourront ainsi figurer au compte rendu officiel. Il faut s’habituer à une idée simple qui n’est, malheureusement, pas souvent présentée comme telle : quel est le secteur économique qui, en France, fournit deux millions d’emplois non délocalisables, représente 7,5 % du produit intérieur brut, donne à notre pays le premier rang mondial, dégage un excédent de plus de 10 milliards d’euros chaque année, et dont nous savons qu’il est un secteur d’avenir ? Le tourisme !

On ne peut plus considérer ce secteur comme marginal : il est désormais central pour notre développement et pour notre rayonnement ! C’est le sens des annonces très importantes que les dirigeants de la Caisse des dépôts et consignations – je les en remercie – ont récemment faites en acceptant que plus d’un milliard d’euros soient investis dans le secteur touristique.

Bref, j’ai le souci constant de mener une diplomatie globale, avec des moyens financiers qui sont certes contraints, mais qui permettent d’avancer. Puisque l’influence de la France dans le monde est multiforme, notre diplomatie doit l’être aussi.

J’ai promis d’adresser à chacun d’entre vous le projet « Ministère des affaires étrangères et du développement international du XXIsiècle », dit « MAEDI 21 ». Arrêté il y a quelques semaines, ce projet tire les conséquences en termes organisationnels, pour les années à venir, de cette ambition pour le ministère des affaires étrangères.

Toute une série de réformes est prévue. L’une d’entre elles est à la fois symbolique et réelle : en 2025, 25 % de nos effectifs diplomatiques se situeront dans les pays émergents du G20 et, en 2017, l’ambassade de France en Chine sera notre principale ambassade dans le monde.

Parallèlement, nous développerons les colocalisations d’ambassades avec nos partenaires européens. Nous renforcerons les plans de sécurité de la communauté française à l’étranger. Nous affecterons également – cela vous intéressera tout particulièrement – un conseiller diplomatique auprès de chaque préfet de région, afin de renforcer les liens entre notre diplomatie et nos territoires. En outre, nous mettrons en place de véritables consulats numériques : ainsi, en 2020, tous les Français de l’étranger devront pouvoir effectuer l’essentiel de leurs démarches consulaires en ligne, 24 heures sur 24. Enfin, le Quai d’Orsay atteindra l’objectif d’une neutralité carbone totale en 2020.

Voici quelques exemples de décisions en matière d’organisation qui sont en ligne avec notre perspective générale.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser si mon intervention vous a paru trop longue, mais les occasions ne sont pas si nombreuses de dresser un panorama d’ensemble de notre politique étrangère. De fait, j’ai pu ainsi vous montrer la cohérence de celle-ci.

Je viens ainsi de vous résumer les quatre priorités de notre diplomatie. Je tiens à dire que ces priorités sont servies par une administration d’une très grande compétence, à laquelle je veux exprimer ici ma gratitude, mais aussi, vous connaissant, la vôtre.

Gardons-nous d’être arrogants : la France seule ne dicte évidemment pas leur conduite à tous les États du monde. Toutefois, partout où je me rends, je constate que – pour reprendre une expression qui a été employée – notre voix est attendue et entendue !

Sur tous les sujets que je viens d’évoquer, je crois pouvoir dire que notre diplomatie tient son rang. D’ailleurs, une majorité de Français semble le percevoir et en tirer satisfaction, voire, parfois, une certaine fierté.

Pour autant, soyons lucides ! La France dispose de beaucoup d’atouts, mais les dynamiques spontanées du XXIsiècle ne seront pas toutes en notre faveur. Notre poids démographique et économique est appelé mécaniquement à se réduire en termes relatifs. La concurrence des pays émergents va s’accentuer, l’Europe fait et fera face à des défis considérables, à commencer par les tendances à la division.

Ce constat ne doit nullement nous décourager, il doit nous inciter à redoubler d’efforts en conciliant – je fais ainsi écho à des propos de Mme Aïchi – la gestion du temps court, celui des crises immédiates, et la préparation du temps long, à échéance de dix ou vingt ans.

Dans l’accomplissement de cette mission, je sais pouvoir compter sur le travail des parlementaires, singulièrement le vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, qui nous accompagnez dans notre action et nous honorez en général de votre soutien et de votre confiance.

Pour votre contribution importante à la qualité de notre politique étrangère, je vous adresse donc mes remerciements. Au-delà des clivages partisans, il existe en effet ce bien précieux qui s’appelle l’intérêt de la France ! Je sais que, toutes et tous ici, nous en sommes les défenseurs ! (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre disponibilité.

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? ».

7

Dépôt d’un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi n° 2014–1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

8

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

La liste des candidats a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : M. Jean Pierre Vial, Mmes Michelle Meunier, Catherine Troendlé, M. Mathieu Darnaud, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin et Laurence Cohen ;

Suppléants : M. Bernard Fournier, Mme Éliane Giraud, M. Gérard Roche, Mmes Claudine Lepage, Brigitte Micouleau, MM. Jean Claude Requier et Michel Savin.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 20 octobre 2015 :

À quatorze heures trente :

Proposition de loi visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur (n° 437, 2014-2015) ;

Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois (n° 54, 2015-2016) ;

Texte de la commission des lois (n° 55, 2015-2016).

À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.

À dix-sept heures quarante-cinq et le soir :

Suite de la proposition de loi visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur ;

Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois (n° 54, 2015-2016) ;

Texte de la commission des lois (n° 55, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART