M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai écouté avec une grande attention, comme vous tous, les deux rapporteurs, Yves Détraigne et François Pillet, et j’ai été très frappé par l’esprit de consensus qui émanait de leurs propos.
Vous avez souligné, messieurs les rapporteurs, combien ces textes et la démarche qui a présidé à leur élaboration étaient susceptibles de rassembler et de créer justement le consensus.
Vous écoutant, je me disais que ces propos étaient tout de même bien différents de ce que j’ai pu lire, encore ce matin, dans certaines gazettes et entendre dans certaines émissions de radio qui vous présentent, madame la garde des sceaux, comme une personne ne partageant en rien cet esprit de consensus et de rassemblement,…
M. André Reichardt. Pas possible ?
M. Jean-Pierre Sueur. … esprit qu’illustre pourtant parfaitement la démarche mise en lumière, à juste titre, par les deux rapporteurs, ce dont je les remercie.
En effet, madame la garde des sceaux, vous avez mené pendant deux ans une démarche exemplaire (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) et écouté toutes les personnes concernées. Ainsi, je ne connais pas dans le passé de précédent à la réunion qui a eu lieu dans les locaux de l’UNESCO !
Les textes qui nous sont présentés aujourd'hui, chacun le sait, permettront à notre justice de faire plusieurs pas en avant. C’est pourquoi je voudrais souligner, à contre-courant de certains discours, leur ambition.
Thani Mohamed-Soilihi parlera ultérieurement du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société. Quant à Alain Richard et Jacques Bigot, ils reviendront sur plusieurs points du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
Qu’il me soit permis de dire ici, premièrement, combien ce que vous proposez pour favoriser l’accès au droit, madame la garde des sceaux, est essentiel.
La vérité, mes chers collègues, c’est que nombre de nos concitoyens sont perdus face aux arcanes de nos institutions judiciaires. Permettre partout l’accès au droit, grâce au service d’accueil unique du justiciable, le SAUJ, est donc, je le répète, absolument primordial ! Chacun ici connaît en effet les problèmes qui se posent concrètement en la matière dans notre pays.
Deuxièmement, ce texte prévoit une réforme tout à fait essentielle concernant la justice en matière d’action sociale.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, comme sans doute certains d’entre vous, mes chers collègues, Soif de justice. Au secours des juridictions sociales, le dernier livre de Pierre Joxe qui, pour l’écrire, est allé sur le terrain. Le descriptif qu’il fait mérite d’être lu, et il faut en tirer les conséquences.
C’est ce que vous faites, madame la garde des sceaux, car cette réforme qui réorganisera la justice en matière sociale, notamment les tribunaux du contentieux de l’incapacité, autour du tribunal de grande instance est considérable. Elle était d’ailleurs largement attendue et personne n’avait proposé, auparavant, de la mettre en place.
Troisièmement, et c'est un point important, sur la question des conflits d’intérêts, nous serons particulièrement attentifs aux formulations. Nous défendrons des amendements visant à supprimer l’emploi, ici ou là, des verbes « sembler » ou « paraître ». En effet, soit il y a conflit d’intérêts, et il existe un véritable problème ; soit il y a l’apparence d’un conflit, et on ne peut pénaliser quelqu’un en vertu de ce simple élément. Seuls les faits doivent être pris en considération.
En ce qui concerne l’action de groupe, le texte comporte des réformes considérables.
D’abord, il est prévu que l’action de groupe soit étendue à l’ensemble des discriminations – et il y en a beaucoup ! Tel n’est pas le cas aujourd'hui ; c'est donc un progrès important.
Ensuite, l’action de groupe s’appliquera aux relations du travail. Cette disposition considérable est attendue par les organisations syndicales. Nous devrons d’ailleurs veiller à ce que des mesures dilatoires non fondées ne retardent pas sa mise en œuvre.
Enfin, madame la garde des sceaux, je veux revenir moi aussi sur la question de la réforme du statut du parquet et du Conseil supérieur de la magistrature. Nous en avons beaucoup débattu ici et, comme plusieurs collègues l’ont déjà dit, un projet de loi sur le sujet fait actuellement l’objet d’une navette. J’émets le vœu que ce texte poursuive son chemin et que nous puissions continuer son examen.
Certes, je connais bien toutes les considérations politiques et politiciennes aux termes desquelles les circonstances actuelles ne seraient pas favorables à un Congrès. Mais il y aura toujours des circonstances qui justifieront de ne pas agir ! Néanmoins, nous savons bien qu’il est possible de trouver un accord sur cette question, si le texte comporte, et comporte uniquement – je pèse mes mots –, les mesures nécessaires et suffisantes.
J’insiste, je suis persuadé que nous pouvons trouver un accord de tous les groupes, ou d’une grande majorité d’entre eux, au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ainsi, grâce à l’adoption par le Congrès de mesures nécessaires et suffisantes, nous pourrons échapper à ce qui n’est tout de même pas une bonne chose pour notre pays, à savoir la condamnation rituelle de celui-ci par la Cour européenne des droits de l’homme.
Pour conclure, je tiens à vous dire, madame la garde sceaux, que votre projet de loi porte un beau titre. C’est pourquoi nous défendrons un amendement visant à rétablir la notion de justice du XXIe siècle (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. François Grosdidier. Du troisième millénaire !
M. Jean-Pierre Sueur. … qui traduit une véritable démarche pour laquelle nous devons vous remercier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Les deux projets de loi que nous examinons à partir d’aujourd’hui s’inscrivent dans la réforme judiciaire J21, la justice du XXIe siècle, que vous avez souhaité engager, madame la garde des sceaux.
Le projet de loi organique, tout d’abord, s’attache à réformer le statut de la magistrature. La réforme qu’il engage mérite d’être saluée, dès lors qu’elle se donne pour objectif de promouvoir une justice indépendante et irréprochable. Le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, quant à lui, a pour propos d’adapter la justice française aux évolutions et aux besoins de la société.
Ce second texte est ambitieux. Je ne saurais, bien sûr, le traiter dans son ensemble. Je mettrai ici l’accent, mes chers collègues, sur le socle général des règles procédurales coordonnant l’accès collectif des citoyens au juge, notamment l’action de groupe en matière de discrimination.
Nombreux sont les pays à avoir déjà franchi le pas : les États-Unis, où le mécanisme de l’action de groupe est né en 1938, le Canada, la Suède, ou encore l’Angleterre.
Cette action collective en justice a pour but de réparer une agrégation de préjudices individuels. Elle permet ainsi à un grand nombre de personnes ayant subi un même préjudice d’en poursuivre une autre, souvent dans le monde du travail, afin d’obtenir un dédommagement moral ou financier.
Depuis sa création, ce mécanisme a démontré son efficience. L’action de groupe garantit en effet l’efficacité de la justice, permet de faire gagner du temps aux tribunaux, évite une potentielle contradiction entre les différentes décisions rendues. Elle permet aussi un meilleur accès à la justice. Des individus qui, seuls, n’auraient jamais eu recours aux tribunaux, à cause des frais de justice ou encore de la complexité d’une action en justice, peuvent en effet, dans un tel cadre, se pourvoir en justice assistés par un même avocat, une association agréée ou un syndicat se portant partie civile.
La lutte contre les discriminations directes et indirectes doit rester, dans notre pays, une priorité. Notre droit les prohibe, certes, mais nous ne pouvons baisser la garde.
Les inégalités restent particulièrement sévères dans le domaine de l’emploi. Selon une étude de l’INSEE, les Français ayant au moins un parent originaire du Maghreb bénéficient d’un taux d’emploi inférieur de dix-huit points par rapport à ceux dont les deux parents sont français. Aux termes des études disponibles, le salaire des femmes demeure de 28 % inférieur à celui des hommes dans une situation similaire. Selon l’enquête commanditée par le Défenseur des droits et le Bureau international du travail, et publiée au mois de janvier 2013, près de trois actifs sur dix déclarent avoir subi au moins une discrimination dans le cadre professionnel. Or, selon la même enquête, quatre victimes de discrimination au travail sur dix n’ont rien dit ni fait, considérant qu’une réaction n’aurait rien changé. C’est précisément cela qu’il faut faire évoluer.
Consciente de l’intérêt, à cet égard, du dispositif que j’évoque, j’avais déposé dès le 25 juillet 2013, au nom du groupe écologiste du Sénat, une proposition de loi visant à instaurer le recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités. Au mois de janvier 2014, alors que Philippe Kaltenbach, nommé rapporteur, et moi-même préparions activement l’examen de ce texte dans le cadre de la prochaine niche réservée au groupe écologiste, une délégation interministérielle de neuf personnes me demanda de le faire retirer de l’ordre du jour, au motif que le moment n’était pas opportun du fait, je suppose, des pourparlers délicats qui étaient conduits avec le patronat à ce moment-là.
De son côté, un rapport commandité par vous-même, madame la garde des sceaux, à Mme Laurence Pécaut-Rivolier, tout en reconnaissant l’existence des discriminations au travail, préconisait que les actions collectives soient menées par les seuls syndicats. Je suis heureuse de constater, près de deux années plus tard, une évolution des dispositions gouvernementales. Peut-être le fait que moi-même et mon ancien collègue Jean-René Lecerf soyons revenus sur le sujet, voilà presque un an, dans notre rapport d’information sur la lutte contre les discriminations, y a-t-il modestement contribué ? J’aimerais le croire !
Le dispositif retenu par ce projet de loi pour l’action de groupe en matière de discrimination s’appuie bien sur le socle procédural commun défini en matière d’action de groupe. Il s’en distingue cependant par certaines dispositions spéciales. Il inclut surtout un régime d’exception dérogeant aux principes qu’il a pourtant retenus. Là, le bât blesse toujours.
Pour commencer, la définition de la discrimination est restrictive. Le fait qu’elle soit inscrite dans la loi du 27 mai 2008 risque d’en diminuer la portée par rapport aux types de discriminations que reconnaît par ailleurs le droit français, notamment l’article 225-1 du code pénal, telles les discriminations liées au patronyme, à l’état de santé, à l’apparence physique, etc.
Ensuite, ce texte ne donne qu’aux associations régulièrement déclarées depuis cinq ans dans les domaines des discriminations ou du handicap la possibilité d’agir devant une juridiction civile ou administrative afin d’établir que plusieurs personnes font l’objet d’une discrimination directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à une même personne. Ne pouvait-on ouvrir le dispositif, comme le suggère le rapporteur Yves Détraigne, à d’autres types d’associations : associations d’usagers de services publics agissant contre un refus d’accès au service à une catégorie de personnes, associations de consommateurs agissant contre un refus de vente pour le même motif ?
On regrettera aussi que le préjudice moral ait été exclu, ce qui vide l’action de groupe de sa vocation indemnitaire.
Par ailleurs, lorsque l’action est dirigée contre un employeur privé ou public, seuls les syndicats seront habilités à agir dans le cadre de l’action de groupe ayant trait aux discriminations visant des salariés, les associations n’agissant qu’en cas de discriminations en matière d’emploi ou de stage. En cela, le texte reste très proche des préconisations du rapport de Mme Pécaut-Rivolier. On est en droit de se demander si les syndicats, actifs lorsqu’il s’agit de conflits dans l’entreprise, sont préparés pour agir en matière de discrimination.
Je rappelle enfin, à cet égard, que la proposition de loi que j’avais déposée au nom du groupe écologiste envisageait également que des individus puissent s’organiser en collectif pour porter une action de groupe. Une telle disposition est absente du présent texte.
Je note enfin que l’action en réparation du préjudice subi ne pourra s’exercer que dans le cadre de la procédure individuelle définie aux articles 30 et 31 du texte dont nous débattons – une disposition de nouveau très proche des préconisations du rapport de Mme Pécaut-Rivolier.
On sait pourtant que les recours collectifs en matière de discrimination devraient surtout avoir un effet dissuasif. Et qu’ils devraient inciter les entreprises et les institutions à négocier, voire à corriger en amont leurs comportements discriminatoires, parce que si les plaignants gagnent, les indemnisations partagées entre eux peuvent être, dans les pays autorisant ce genre de procédure, fort élevées.
L’indemnisation symbolique choisie par le Gouvernement n’est pas un outil pragmatique susceptible de faire reculer les discriminations au travail. La commission des lois a, quant à elle, arbitré en faveur de la limitation de l’action de groupe « discrimination au travail » à la seule cessation du manquement. On appelle cela un vœu pieux, si je puis me permettre l’expression.
Ce projet de loi a tout prévu pour calmer les inquiétudes que pourrait susciter chez les patrons, surtout du privé, en cette période de chômage, l’action de groupe en matière de discrimination. Cela n’est pas illégitime. Reste qu’un texte aussi frileux ne risque pas de répondre aux attentes des associations qui luttent depuis des années pour la mise en place de l’action de groupe, et encore moins à celles des discriminés eux-mêmes.
M. Roger Karoutchi. Oh là là !
Mme Esther Benbassa. Monsieur Karoutchi, soyez poli ! Cela m’étonne de vous, qui êtes courtois en temps normal.
En étendant la qualité à agir aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, dont l’objet comprend la défense d’un intérêt atteint par la discrimination en cause, en précisant que les discriminations poursuivies seraient celles qui sont définies dans le droit en vigueur et qu’elles ne se limiteraient pas à celles que définit l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, et en rendant possible la réparation, par voie d’action de groupe, des préjudices moraux consécutifs à une discrimination, la commission des lois a rendu le texte moins restrictif et plus lisible. De même, sur l’initiative du rapporteur Yves Détraigne, a été ajouté un article destiné à reconnaître au ministère public la possibilité d’agir par voie civile pour faire cesser un manquement en matière de discrimination.
Ainsi, malgré la suppression de certaines restrictions par la commission des lois, et bien que celle-ci ait adopté la proposition de son rapporteur visant à appliquer aux manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi les nouvelles dispositions relatives à l’action de groupe, ce texte risque fort de ne pas atteindre les objectifs normalement poursuivis.
Toutefois, pour conclure sur une note plus positive, je rappellerai, comme vous l’affirmez à juste titre, madame la garde des sceaux, que, « en période de crise économique et de crise des repères, le juge est bien souvent considéré comme le dernier recours permettant de faire reconnaître des droits et [de] restaurer le lien social. » Malgré les réserves que je viens d’exprimer sur un point précis, il semble que la réforme engagée par les deux projets de loi que nous examinons aille dans le sens d’une justice modernisée et réellement plus proche du citoyen, si souvent perdu et découragé face à elle.
Aussi, vous l’aurez compris, pour ces raisons et quelques autres, le groupe écologiste votera en faveur de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la garde des sceaux, je vous interrogeais voilà quelques semaines sur votre politique en matière de justice et j’attendais d’un ministre digne de ce nom qu’il donne les mesures proposées pour défendre le bien commun. Mais, comme souvent – pour ne pas dire comme toujours –, vous avez préféré proférer votre mépris et votre haine plutôt que d’affronter la réalité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bruno Sido. Ça commence mal !
M. David Rachline. La réalité, c’est un divorce profond entre les Français et l’institution judiciaire et, dans le même temps, un « mariage profond » entre une grande partie du monde judiciaire et le pouvoir en place. Je reprends bien volontiers les propos de Henri Guaino quand il décrit certains magistrats comme des « militants aveuglés par leur idéologie » et qui rendent des « jugements iniques ».
Les exemples ne manquent pas ; certains sont d’ailleurs dramatiques. J’ai ainsi une pensée pour le policier grièvement blessé par un détenu en cavale ou pour la famille d’Aurélien Dancelme, dont le meurtrier présumé a été libéré dans l’attente de son procès en appel, en raison de délais trop longs de procédure. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. Démagogie !
M. David Rachline. Le dernier exemple en date, moins grave pour les personnes, mais beaucoup plus pour le symbole, est la relaxe des Femen après leur agression contre les catholiques de France lors de leur manifestation dans la cathédrale Notre-Dame de Paris : la justice prétendue de notre pays a trouvé le moyen de condamner les victimes et d’innocenter leurs agresseurs ! (M. Jean-Pierre Bosino s’esclaffe.)
Cela dit, que peut-on attendre d’un gouvernement dont le ministre de la justice non seulement propose une politique laxiste envers les délinquants, mais de surcroît passe son temps sur les plateaux de télévision à promouvoir une politique toujours plus libertaire et dévastatrice pour notre société, à travers notamment ses deux nouvelles lubies, la légalisation de certaines drogues, dont le cannabis, et celle de la procréation médicalement assistée ? (Mme Cécile Cukierman proteste.) Les Français ne veulent évidemment plus de votre idéologie ni de votre mépris.
Par ailleurs, quand vous ne faites pas de l’idéologie, vous faites de la grandiloquence ; je vous accorde que cela évite de traiter le fond des sujets… Ainsi, ces deux textes ont été pompeusement intitulés, mais, lorsque l’on considère leur contenu, on est vite déçu.
M. Jeanny Lorgeoux. Mais comment peut-il dire cela ?
M. David Rachline. Je me félicite donc que la commission des lois les ait rétablis à leur juste niveau.
Le titre que vous avez donné à votre projet de loi organique – texte « relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société » – est cependant symptomatique. En effet, vous ne cessez de nous expliquer qu’on ne peut critiquer la justice et ses jugements, mais, dans le même temps, vous avouez par ce titre que les magistrats, ou du moins une partie d’entre eux, ne seraient ni indépendants ni impartiaux ; sans cela, à quoi bon légiférer ? Je vous remercie donc de nous donner raison et de reconnaître, comme des millions de Français, cet état de fait.
Toutefois, une indépendance et une impartialité réelles passent notamment par l’interdiction de la syndicalisation des magistrats ; la scandaleuse affaire du « mur des cons » est bien sûr une triste illustration de la dérive de la magistrature… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Bosino s’esclaffe.)
Mme Cécile Cukierman. C’est une honte !
M. David Rachline. D’ailleurs, puisqu’on en parle, quid de l’indépendance des magistrats vis-à-vis des loges ? En réalité, il s’agit d’un texte organisationnel et les seules mesures proposées ne sont que du camouflage : c’est non pas l’état du patrimoine d’un magistrat qui pourrait inquiéter un justiciable sur l’impartialité du juge, mais bien plus les engagements politico-syndicaux de ce dernier.
Je me désole par ailleurs de l’absence dans le projet de loi – renommé « projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire » à la place de « projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle », car je crois, et j’espère, madame la garde des sceaux, que vous ne resterez pas place Vendôme pendant tout le siècle (Sourires.) et que votre politique n’aura plus court d’ici au XXIIe –,…
Mme Françoise Cartron. J’espère que lui non plus ne sera plus là !
M. David Rachline. … de la mention du divorce entre peuple et justice que j’évoquais précédemment et que votre aveuglement empêche de voir. En effet, ce n’est pas avec un texte, qui, selon le rapporteur, « se présente comme une collection de mesures de portées limitées », que vous réconcilierez les Français avec la justice.
Je m’étonne d’ailleurs du peu de consistance du titre Ier de ce projet de loi, qui vise à « rapprocher la justice du citoyen ». Certes, vous proposez des mesures organisationnelles, mais je crois que vous n’avez en réalité pas bien compris cet éloignement. Le citoyen n’a plus confiance dans la notion même de justice. Il faut donc des mesures pour renouveler cette confiance ; c’est à cette condition, et à celle-ci seulement, que le citoyen et la justice se rapprocheront.
Cela passe par des mesures symboliques, comme le fait de redonner un sens complet à la notion de peine, élément central de la justice. La peine a en effet quatre missions : la sanction, la rééducation, mais aussi la dissuasion et la protection ; il convient que la loi les contienne toutes.
Autre point crucial pour redonner confiance dans l’institution judiciaire : le renforcement de la place donnée aux victimes ; cela doit être particulièrement le cas dans le processus de remise de peine. Cela permettrait que la décision soit prise en tenant compte de la situation du condamné dans son processus de réinsertion, tout en gardant pleinement conscience des faits qu’il a commis.
Néanmoins, dans votre texte, votre idéologie n’est évidemment jamais loin, et la création des actions de groupe en matière de discrimination, au-delà des difficultés juridiques soulignées par de nombreux spécialistes, vient ajouter une pierre supplémentaire à la déconstruction de la France que vous opérez, à votre volonté d’opposer les Français les uns aux autres. Ce n’est pas étonnant, cela dit, de la part d’une indépendantiste… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. On est dans l’excès !
M. David Rachline. Avec cette mesure, vous tentez de remédier à l’échec total de vos politiques depuis des décennies en matière de vivre ensemble, puisque c’est l’une de vos expressions favorites. Vous allez donc encourager une nouvelle fois le communautarisme ! (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. C’est une obsession !
M. David Rachline. Pour conclure, je dirai que ces textes sont empreints de l’idéologie qui vous est si chère. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC pour indiquer à l’orateur que son temps de parole est épuisé.)
Mme Éliane Assassi. C’est fini !
M. David Rachline. Malheureusement, ils ne sont même pas le début du commencement d’une politique visant à redonner à la justice sa juste place dans notre société et à rétablir la confiance des Français dans l’institution judiciaire !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants avant les questions d’actualité au Gouvernement ; nous les reprendrons à seize heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)