Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. Ma chère collègue, vous avez mis en évidence un problème qui nous interpelle évidemment tous. Nous partageons votre souci sur ce sujet que vous connaissez bien pour avoir mené une importante mission. Pour autant, la somme dont il s’agit est à la fois trop et pas assez importante pour le sujet en question, qui nécessite une politique globale. Des efforts ont été mis en œuvre – Mme la secrétaire d'État en a parlé à l’instant –, il faut encore les poursuivre et les prolonger.
L’étude en elle-même apportera un résultat assez marginal par rapport à la politique globale que vous avez énoncée et qui doit être mise en œuvre. C'est la raison pour laquelle, sans méconnaître votre préoccupation, la commission vous suggère de retirer votre amendement. À défaut, je serai contraint d’émettre un avis défavorable. Je considère que le sujet est plus important que l’étude en elle-même, laquelle peut, au demeurant, sans doute être menée par les services du ministère de l’intérieur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, le ministre de l’intérieur, comme tout le monde ici, partage pleinement vos préoccupations quant à la déradicalisation. Des moyens y sont consacrés, comme M. le rapporteur spécial vient de le rappeler. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur a indiqué qu’il était prêt à venir, en commission, détailler avec précision les moyens employés et les résultats obtenus.
Les actions de prévention de la radicalisation sont confiées à des associations financées par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance ; elles sont choisies par appels à projets et sont soumises à un cahier des charges. Au regard de cette méthode, une évaluation nationale est mise en œuvre par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance. Celui-ci rend des comptes à l’administration, ce qui permet à celle-ci d’avoir accès à des avis extrêmement précis et à des évaluations sur non seulement l’utilisation des crédits, mais aussi les résultats obtenus grâce aux actions engagées par lesdites associations.
Les services de renseignement, qui suivent les parcours de ces personnes, sont également en mesure de juger des résultats obtenus. Ils le font d’une autre façon, ce qui offre à l’administration un regard différent et des critères supplémentaires d’appréciation.
Enfin, je tiens à citer l’équipe mobile d’intervention, qui a été commissionnée, là encore, par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance, pour déradicaliser des jeunes dans le cadre d’un appel à projets de 600 000 euros. On évalue à 234 le nombre de jeunes qui, grâce à son action, se sont désengagés de la radicalisation et à 50 le nombre de repentis.
Je mesure bien ce que vous pourrez répondre à ces éléments et à ces données. Toutefois, le Gouvernement entend poursuivre l’effort d’amplification de ce travail déjà largement engagé, par des outils de suivi et de mesure des résultats.
Au vu de cet objectif partagé, de ces actions engagées et de la proposition de M. le ministre de venir s’expliquer devant votre commission, le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; faute de quoi, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° II-278 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de vos explications. Il se trouve cependant que j’appartiens à la commission des affaires étrangères et de la défense. Si M. le ministre de l’intérieur vient s’expliquer devant la commission des finances, je risque d’être quelque peu frustrée…
Néanmoins, je retiens son invitation à venir rencontrer ses services. Lorsque nous serons dans une période un peu moins troublée et que chacun aura repris un rythme de travail normal, et une fois que les nouveaux services rendus possibles par ces nouveaux crédits auront été mis en place, je ne manquerai pas de revenir vers le Gouvernement pour lui demander à rencontrer le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance. Je vous assure qu’il y a dans ce domaine des effets d’aubaine absolument intolérables compte tenu de l’importance du sujet.
Cela étant, je retire mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° II-278 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Administration générale et territoriale de l’État », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix les crédits, modifiés.
(Ces crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
Compte d’affectation spéciale : Développement agricole et rural
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
La parole est à M. Alain Houpert, rapporteur spécial.
M. Alain Houpert, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous est proposé de doter la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » de 2,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 2,7 milliards d’euros en crédits de paiement, ce qui représente une contraction marquée des dotations par rapport à 2015 : 9 % en autorisations d’engagement et 6 % en crédits de paiement.
L’exercice 2016 est en réalité très peu marqué par le plan de soutien à l’élevage annoncé le 22 juillet dernier, qui prévoit notamment des allégements et reports de charges pour un montant estimé à au moins 600 millions d’euros. Les mesures devraient être imputées sur 2015 et largement financées par le dégel de la réserve de précaution. À la fin de l’été 2015, seuls 110 millions d’euros ont ainsi été « dégelés ».
Monsieur le ministre, nous souhaitons en savoir plus sur les modalités de mise en œuvre de ce plan, en particulier ce qui a trait à son financement. C’est un sujet que nous suivrons avec vigilance, et nous attendons du Gouvernement des précisions.
Dans la mesure où ce plan semble en tout état de cause insuffisant – il ne contient, par exemple, quasiment rien en matière de réforme structurelle –, plusieurs de mes collègues et moi-même avons fait le choix de déposer le 16 octobre 2015 une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Nous l’examinerons en séance publique le 9 décembre prochain.
Comme cela a été souligné en 2013 dans le rapport d’information sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires de Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin et André Ferrand, l’agriculture française reste insuffisamment compétitive et tournée vers l’export. Notre balance commerciale agricole et agroalimentaire se détériore. Elle est même négative, si l’on en retranche les exportations de vins et d’alcools. Nous perdons chaque année des parts de marché.
Dans ce contexte alarmant, je déplore que le soutien à l’export ne soit pas une priorité pour le Gouvernement. Non seulement la recommandation d’une réforme profonde du dispositif n’a pas été suivie, mais les moyens mêmes de ce dispositif sont en forte baisse : 5,85 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016, contre 10,2 millions d’euros en 2015, soit une réduction de près de 42 % de la dotation.
Mes chers collègues, une telle évolution ne peut qu’être défavorable à la présence des produits agricoles et agroalimentaires français sur les marchés internationaux.
Je relève par ailleurs que les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas disparaissent quasiment en 2016, passant de près de 30 millions d’euros à moins de 4 millions d’euros. Le Gouvernement argue du transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la politique agricole commune, à l’image de l’aide à l’assurance récolte, mais je doute de la sincérité de cette prévision. Il n’est qu’à voir le niveau de nos refus d’apurement communautaires !
Ces corrections ont atteint 429 millions d’euros en 2014 et devraient s’établir à 871 millions d’euros en 2015. En 2016 et 2017, il devait s’agir d’un minimum d’au moins 360 millions d’euros à la suite de l’identification en début d’année 2015 de 1,1 milliard d’euros de corrections dues pour l’année en cours et pour les deux exercices suivants. Cependant, le Gouvernement a fait le choix de faire porter le coût des deux tranches 2015 et 2016 sur l’exercice 2015 et de reporter le versement de la troisième tranche à 2017.
Monsieur le ministre, vous nous expliquerez les motifs de ce choix de gestion, d’autant moins justifié que vous aviez demandé à la Commission européenne un paiement en trois tranches annuelles.
Au-delà de ces acrobaties budgétaires, dont je comprends toutefois l’intérêt en termes d’amélioration du solde 2016, je regrette que le Gouvernement continue de faire le choix de mouvements ex post pour couvrir des dépenses qui devraient faire l’objet d’une dotation en loi de finances initiale. Une fois de plus, ce n’est pas le cas, même s’il est certain que la France subira de nouvelles corrections l’année prochaine.
Je conclurai par une remarque positive sur le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », dit « CASDAR ». Je me félicite de l’augmentation du financement d’actions par le biais de procédures d’appels à projets : 29 % des crédits du compte en 2016, contre 12,82 % en exécution 2014. Je plaide pour la poursuite de cet accroissement de la part des dépenses destinées à ce type d’actions. En effet, la justification des dépenses reste encore insuffisante pour s’assurer que les crédits ne sont pas distribués en vertu d’une logique d’abonnement des organisations par lesquelles ils transitent.
Mes chers collègues, en raison de tous ces constats, la commission des finances vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ». En revanche, elle vous invite à voter ceux du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, rapporteur spécial.
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie mon collègue rapporteur spécial de ses propos, mais je précise qu’en conclusion j’arriverai à une recommandation différente de la sienne. J’estime en effet que le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » qui nous est soumis est fiable et répond globalement à la responsabilité de la mission de l’État dans ce champ de compétence.
M. Didier Guillaume. C’est beaucoup plus objectif ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. J’ajoute que le projet de budget pour 2016 ne peut être convenablement évalué sans la prise en compte des différents financements de l’agriculture, qu’ils soient européens ou nationaux. Ainsi, c’est par une lecture croisée avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, mais aussi avec le projet de loi de finances rectificative pour 2015 que nous pouvons appréhender avec précision l’ensemble des actions mises en œuvre par le Gouvernement en la matière.
J’en viens à mes observations sur deux des programmes de la mission dont j’ai la charge, le programme 149, « Forêt », et le programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation ». Dans un récent rapport d’information sur la filière forêt-bois, Alain Houpert et moi-même avons souligné les enjeux et les réformes qu’il conviendrait selon nous de mettre en œuvre.
Si les actions entreprises par les pouvoirs publics vont incontestablement dans le bon sens, les préconisations qui sont présentées dans ce rapport d’information restent entièrement d’actualité. Il convient, par exemple, d’agir très fortement dans le soutien à l’innovation et à la stratégie de montée en gamme dans le domaine du bois. Lors de leur audition, les responsables du pôle de compétitivité Xylofutur l’ont confirmé et ont insisté sur l’intérêt de développer cette stratégie.
Pour le programme 149, « Forêt », les crédits sont quasiment stables en 2016. La légère diminution qui peut être relevée découle de la réduction de la subvention attribuée à l’Office national des forêts, l’ONF. Cette baisse est rendue possible par le redressement du cours du bois venant abonder les ressources de l’ONF.
Corrélativement, une dépense supplémentaire est constatée du fait de la réinscription au budget de la subvention au Centre national de la propriété forestière, le CNPF, supprimée en 2015. Cet organisme avait alors dû se financer grâce à son fonds de roulement excédentaire. En rétablissant ses financements au CNPF, l’État tient ainsi les engagements pris à son égard.
Cet exercice budgétaire est particulier du fait de la renégociation anticipée du contrat d’objectifs et de performance pour 2016-2020 entre l’État, l’ONF et les communes forestières. Selon mes informations, les évolutions entre le précédent contrat d’objectifs et de performance et le nouveau, qui devrait être signé avant la fin de l’année, seront marquées par des objectifs revus à la baisse de l’opérateur en termes de mobilisation de la ressource bois. On peut le regretter, tout en précisant que la nouvelle direction entend se fixer des objectifs réalistes et atteignables.
Le nouveau contrat d’objectifs et de performance devrait par ailleurs prévoir une stabilisation des moyens en personnel de l’ONF et son retour à l’équilibre financier, en cohérence avec les dotations budgétaires qui lui sont destinées.
À croire les craintes exprimées par ses responsables, à la fin de l’année 2015, le CNPF, autre opérateur majeur du programme forêt, pourrait faire face à des problèmes de trésorerie. Toutefois, ce n’est pas corroboré à ce stade. Il serait opportun que le Gouvernement soit attentif à cette situation.
Les onze dépenses fiscales rattachées au programme 149, « Forêt », sont de proportions inégales et devraient avoir un coût de 113 millions d’euros en 2016. Les deux mesures de fiscalité forestière les plus significatives sont les exonérations au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune et des droits de mutation à titre gratuit, dont le coût n’est pas strictement forestier. Le coût forestier de chacune de ces deux mesures fiscales patrimoniales serait en réalité plus proche de 20 millions d’euros, selon la Cour des comptes.
Le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt devrait représenter pour sa part un coût modeste de 9 millions d'euros, même si son efficacité est soulignée par les professionnels. De manière générale, s’agissant des mesures fiscales sur lesquelles s’appuie notre politique forestière et dont bénéficie la filière, il demeure pertinent de ne pas en réduire le coût global.
Je préconise un rééquilibrage progressif des soutiens publics vers les mesures fiscales à visée incitative telles que le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement ou le compte d’investissement forestier et d’assurance, que j’estime plus efficaces et plus à même d’atteindre les objectifs de performance fixés dans ce programme.
Le programme 206, consacré au fonctionnement de la direction générale de l’alimentation, la DGAL, et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, met en exergue l’attention que le Gouvernement porte à la mise en œuvre de cette politique publique. Il permet la reconduite des principales actions en 2016. Elles concernent les dépenses de fonctionnement et de personnels de la DGAL, les fonds consacrés à l’ANSES et les dépenses liées à la lutte contre les maladies animales.
Il faut remarquer que ce budget acte la création de 60 postes supplémentaires pour renforcer les effectifs en matière de contrôles sanitaires et phytosanitaires. En deux ans, 120 postes auront ainsi été créés. Ils seront complétés en 2017 par 60 postes supplémentaires. Ainsi, la baisse relative des crédits constatée ne correspond pas à une moindre rigueur en matière de sécurité sanitaire et alimentaire. Je constate que le Gouvernement persiste dans sa volonté de faire de cet enjeu un principe prioritaire d’action publique.
Enfin, je tiens à faire un point sur l’incidence de la tuberculose bovine et les moyens utilisés pour la combattre, en raison du risque qu’elle fait notamment peser sur l’agrément de nos exportations.
Le contexte sanitaire est par nature sujet à des tensions et à des crises toujours très préjudiciables à l’économie agricole. L’irruption de la fièvre catarrhale ovine est venue nous le rappeler.
J’appelle l’attention du Gouvernement sur le financement des mesures sanitaires qui, en l’état, se feraient à enveloppe réduite par rapport à 2015, d’autant que nous sommes dans un contexte prophylactique tendu. À cet égard, mon attention a été appelée sur les procédures d’indemnisation des producteurs et le montant de celles-ci. Certains éleveurs ont pu être frappés à deux reprises par des contaminations, ce qui a entraîné deux fois l’élimination totale de leur cheptel. Cette situation est insuffisamment prise en compte. Par ailleurs, j’ai été alerté sur le fonctionnement de la procédure elle-même, qui est jugée lourde, bureaucratique et peu adaptée aux réalités économiques de l’agriculture.
Pour conclure, à titre personnel – ce n’est pas la position de la commission des finances qu’a rappelée Alain Houpert –, je me déclare favorable à l’adoption des crédits de la mission et du compte d’affectation spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur pour avis.
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de finances pour 2016 s’inscrit cette année dans une conjoncture marquée par une crise majeure des filières d’élevage. Les producteurs de lait subissent les conséquences de l’embargo russe et de la fin des quotas. Les producteurs de porcs font face à la concurrence pas toujours loyale de concurrents européens très compétitifs. Quant aux producteurs de viande bovine, ils doivent s’adapter à une contraction de la demande et à des relations commerciales déséquilibrées.
Dans ce contexte particulièrement difficile, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » chutent fortement : de 300 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 200 millions d’euros en crédits de paiement. Sur un budget total de 3 milliards d’euros, ce n’est pas rien ! Certes, on peut entendre que cette baisse s’explique par des raisons techniques, notamment par le transfert de financements vers la politique agricole commune. De même, on peut entendre qu’une partie de la baisse des autorisations d’engagement est le résultat mécanique de l’inscription l’année dernière de toute l’enveloppe quinquennale des mesures agroenvironnementales. Toutefois, la faiblesse des crédits résulte aussi de choix politiques. Les crédits de crise s’élèvent à un peu plus de 3 millions d’euros, alors qu’il en a fallu 100 millions cette année pour le seul Fonds d’allégement des charges, le FAC. Que se passera-t-il si la crise agricole se poursuit en 2016 ?
Les crédits de soutien au plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles sont en apparence en augmentation de 30 millions d’euros, mais ce mouvement ne vaut que pour les autorisations d’engagement. En réalité, les crédits de soutien aux investissements passent en crédits de paiement de 45 millions d’euros à 30 millions d’euros. Bref, on pourra prendre des engagements en 2016, mais on ne pourra pas verser les subventions ! Pour cela, il faudra attendre les budgets suivants…
Autre exemple : les crédits d’intervention de FranceAgriMer sont en apparence maintenus, mais beaucoup d’entre eux dépendent du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ». Or estimer que la recette du CASDAR pour 2016, assise, nous le savons tous, sur le chiffre d’affaires des agriculteurs de 2015, sera la même que l’année précédente, c’est faire preuve d’un optimisme exagéré. En réalité, il risque de manquer 10 millions d’euros, et ce seront autant de crédits en moins pour les bénéficiaires du CASDAR. Dans le même temps, FranceAgriMer a encore près de 100 millions d’euros d’engagements à payer. La file d’attente risque fortement de s’allonger.
Pour terminer, je regrette la timidité du projet de loi de finances pour 2016 sur la question de la fiscalité agricole. La modernisation de cette fiscalité est pourtant réclamée de toutes parts. Alors que les Assises de la fiscalité agricole ont permis de dégager des pistes consensuelles, notamment le remplacement du régime du forfait, on n’en trouve nulle traduction dans le projet de loi de finances pour 2016. Peut-être figureront-elles dans le projet de loi de finances rectificative, monsieur le ministre ?
Parce que nous pensons que les crédits du budget agricole pour 2016 ne permettront pas au Gouvernement de mener une politique agricole ambitieuse, à la hauteur des attentes du monde agricole, la commission des affaires économiques du Sénat a émis un avis défavorable sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est partagé sur la situation de l’agriculture. Hormis le secteur de la viticulture pris globalement, toutes les filières connaissent d’importantes difficultés. Les prix mondiaux des céréales sont ceux que vous connaissez et les secteurs de l’élevage n’en finissent pas de sortir de la crise.
Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016 ne donnent pas de signe d’espérance. Ce rendez-vous, une fois de plus, n’est pas celui que l’on espérait. Il ne tient aucunement compte des nécessaires politiques d’investissement. Pour la cinquième année consécutive, les crédits de cette mission sont en régression. Les mesures palliatives sont bien connues : soit la sollicitation accrue, avec ses fragilités, du budget européen, soit la participation de la production agricole, via le CASDAR ; j’y reviendrai.
Les agriculteurs demandent surtout de la régulation, des garanties et des simplifications des règles, et ce au moment où le Farm bill va doter l’agriculture américaine de plus de 950 milliards d’euros pour la prochaine décennie.
Disposant de peu de temps, je n’évoquerai que quatre points qui me paraissent importants concernant le budget pour 2016.
Première remarque : la gestion des risques, tant climatiques qu’économiques, aurait dû être l’une de nos principales priorités. Le Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, n’est toujours pas doté en crédits d’État. Pis, le projet de loi de finances rectificative ponctionne les réserves du fonds, à hauteur de 255 millions d’euros sur les 320 millions d’euros disponibles.
L’assurance va ainsi être de plus en plus appelée à prendre le relais du Fonds national de garantie de calamités agricoles. Cela nécessitera de subventionner la souscription de contrats d’assurance à la bonne hauteur, soit, comme nous l’espérons, 65 %. Or les crédits européens, désormais seuls financeurs du dispositif, seront probablement insuffisants dans le cadre d’un développement pérenne de l’assurance.
Cette année déjà, une rallonge de 16 millions d’euros a été nécessaire au mois d’octobre. Si l’on veut généraliser l’assurance – c’est la clé –, l’enveloppe devra mécaniquement augmenter au-delà des 100 millions d’euros prévus en 2016.
Enfin, il faudra envisager de faire évoluer le dispositif. Une assurance agricole face aux aléas économiques doit être mise en place. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Deuxième remarque : les crédits du programme consacré à la sécurité sanitaire baissent en 2016. Or les menaces sanitaires sont toujours présentes. Je pense bien entendu à la fièvre catarrhale ovine, la FCO, de retour depuis le mois de septembre. Seule une vaccination systématique sera efficace pour endiguer la maladie. Cependant, la fabrication massive des doses de vaccin prend du temps, et des crédits supplémentaires devront être dégagés. La précédente crise de la FCO, en 2006-2011, avait coûté jusqu’à 50 millions d’euros par an. On peut donc s’interroger sur la capacité à dégager en 2016 des marges de manœuvre budgétaires pour lutter contre la FCO, contre le retour malheureux – on a trop tendance à l’oublier – de la grippe aviaire et contre la présence de nombreux foyers de tuberculose bovine. Surveillons donc avec beaucoup d’attention les moyens du Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental.
Troisième remarque : les crédits consacrés à la forêt restent insuffisants pour 2016 ; cela a été dit.
Quatrième et dernière remarque : gardons à l’esprit que les ressources du CASDAR sont en très grande partie adossées à la production agricole et au niveau des cours, ce qui ne garantit aucunement la pérennité des budgets. Nous sommes trop tributaires de la productivité et du niveau des cours mondiaux pour ne pas être alertés sur la fragilité du CASDAR. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, rapporteur pour avis.
Mme Frédérique Espagnac, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » constitue toujours l’occasion d’un débat sur la conduite de nos politiques agricoles et alimentaires.
Tout d’abord, il faut avoir conscience que les crédits budgétaires sont loin de représenter la totalité ou même la majorité des moyens publics d’appui à l’agriculture. Les crédits européens représentent à eux seuls trois fois plus, soit 9 milliards d’euros. Les collectivités territoriales apportent également leur soutien à hauteur de 1 milliard d’euros environ.
C’est la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui doit être recherchée, à la fois pour répondre à la crise des filières d’élevage et pour mettre en place les mesures structurelles de transformation de notre agriculture.
Le plan de soutien à l’élevage français annoncé en juillet a été renforcé en septembre. Il mobilise surtout des crédits nationaux, prélevés sur les marges de manœuvre budgétaires de 2015.
La modernisation des élevages et des structures agricoles passe par des crédits plus diversifiés, mobilisés à travers le plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles financé par l’État, les régions et l’Europe. Les 350 millions d’euros par an prévus pendant les trois prochaines années doivent produire un effet de levier et permettre de lever 1 milliard d’euros de financement pour l’investissement en agriculture. Il s’agit de mener une action à long terme pour renforcer la solidité de notre agriculture dans toutes ses composantes.
Le programme d’investissements d’avenir, doté de 120 millions d’euros pour le secteur agricole et agroalimentaire, doit également contribuer à la montée en gamme de nos filières. Une part de l’enveloppe doit être dédiée aux abattoirs, une autre aux serres. La modernisation des outils de transformation, particulièrement dans le secteur de la viande, est décisive pour donner un avenir aux filières d’élevage, car l’amont agricole ne peut survivre si l’aval est en difficulté.
Le budget doit aussi servir à accompagner l’évolution de notre agriculture vers un nouveau modèle, respectueux de l’environnement tout en étant efficace et productif. L’agro-écologie réconcilie excellence économique et excellence environnementale. La quasi-totalité de l’enveloppe des programmes du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » est orientée dans cette direction.
Le renforcement en 2016 de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, concrétise également l’engagement du Gouvernement en faveur d’une agriculture de proximité, capable d’occuper tout le territoire, y compris les zones les plus défavorisées. Je regrette néanmoins, monsieur le ministre, le déclassement de certaines exploitations classées jusqu’à ce jour « haute montagne », car elles perdent de ce fait une aide spécifique, ce qui leur est fort préjudiciable.
Pour terminer, j’évoquerai l’installation des jeunes agriculteurs. Compte tenu de la pyramide des âges des chefs d’exploitations agricoles, l’installation des jeunes revêt un caractère stratégique. Mon département des Pyrénées-Atlantiques est parmi ceux qui connaissent le plus grand nombre d’installations de jeunes en France, soit 130 l’an dernier. Les moyens de la formation des jeunes ont été renforcés, les effectifs de l’enseignement technique agricole étant en augmentation depuis le début du quinquennat.
Je note également que les moyens budgétaires en faveur de l’installation sont conservés et que les crédits européens – la dotation « jeunes agriculteurs » et les prêts bonifiés – sont plus fortement sollicités, en application des nouveaux taux de cofinancement prévus par la PAC. Il n’y a donc pas de restrictions budgétaires pour servir le renouvellement des générations en agriculture.
Si la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », je leur apporte pour ma part mon soutien plein et entier, car j’estime qu’ils ne sacrifient aucune des priorités de la politique menée depuis le début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)