M. Jean-François Husson. Pour faire vivre la France !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 6 octobre dernier, lors du débat consacré à l’agriculture, nous avons tous fait le constat que le monde agricole était en proie à une grande détresse. Nous avons relayé une colère que nous avions senti monter depuis de nombreux mois dans nos territoires et qui a convergé à Paris lors de la manifestation du 3 septembre.
L’agriculture française, pourtant riche de nombreux atouts, rencontre des difficultés, lesquelles persistent malgré les lois d’orientation successives et les différents plans de soutien qui, quoique indispensables, ne font que colmater les brèches dans l’urgence.
Certes, certains secteurs s’en sortent mieux que d’autres, notamment la viticulture, qui porte en grande partie l’excédent de la balance commerciale agricole et agroalimentaire de notre pays. Mais pour combien de temps encore ? La compétition mondiale s’exacerbe et la disparation des filets de sécurité européens précipite nos agriculteurs, comme chacun le sait, sur un marché au sein duquel les standards de production sont loin d’être au même niveau.
Dans l’ensemble, nous en convenons tous, nos agriculteurs souffrent ; ils souffrent de la pression des prix de la grande distribution, des transformateurs, des normes accumulées et des obligations sanitaires toujours croissantes. En outre, comme si cela ne suffisait pas, ils doivent subir les conséquences parfois dramatiques du dérèglement climatique, sans oublier la fièvre catarrhale et, dans certains territoires, les rats taupiers.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Jacques Mézard. Dans ces conditions, notre soutien et celui que peuvent apporter les pouvoirs publics tant nationaux qu’européens sont essentiels.
Comme j’ai pu déjà le dire ici, monsieur le ministre, il faut de nouvelles prospectives, il faut mettre en œuvre un grand plan pour l’agriculture et prendre encore des décisions qui dopent rapidement la compétitivité des exploitations.
La compétitivité, c’est un enjeu crucial, qui est au cœur de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Claude Lenoir.
Ce texte s’attache en effet à réduire les charges financières qui pèsent sur les exploitants. Il vise également à encourager l’allégement des normes, à favoriser la gestion des risques et, bien sûr, à renforcer les modalités de la contractualisation pour une meilleure répartition des efforts entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
Mes chers collègues, que pouvons-nous opposer à ces mesures positives, qui répondent en partie aux attentes que nous avons pu recueillir sur le terrain ?
L’objet du texte – renforcer la compétitivité –, nous le partageons tous. Il n’est plus besoin de démontrer que l’agriculture française accuse un déficit de compétitivité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour ne citer qu’un indicateur, je rappellerai que la part de marché de la France dans les échanges agricoles et agroalimentaires européens est passée de 17 % en 2000 à 12 % en 2013.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Sans opposer agro-écologie et performance économique – ce temps-là est heureusement révolu –, reconnaissons que la première approche a été davantage privilégiée au cours de ces dernières années alors que la seconde est bien souvent traitée dans l’urgence. Les agriculteurs sont aussi – cela est nécessaire – des agents économiques, qui sont confrontés à un environnement de plus en plus ouvert qui impose que nous les aidions. En effet, il faut admettre que les règles ne sont pas les mêmes dans tous les pays européens ; le dumping social et fiscal que pratique une majorité d’entre eux cause du tort à l’agriculture française qui, quoique performante à bien des égards, a aussi, comme M. le ministre et nous-mêmes le rappelons souvent, du mal à s’adapter aux mutations accélérées de la société.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jacques Mézard. Ensuite, monsieur le ministre, sur le fond, il me semble que ce texte est cohérent avec vos orientations. En effet, certaines de ses dispositions s’inscrivent dans le droit fil des plans de soutien que vous avez décidé d’engager en juillet et septembre derniers et que nous avons salués. Vous avez apporté de bonnes réponses, à la fois conjoncturelles et structurelles, à la crise de l’élevage. Nous avons aujourd’hui l’occasion de les compléter par des mesures qui participent du même esprit : soulager la trésorerie des exploitants, développer l’investissement et abaisser le coût du travail.
D’ailleurs, n’est-ce pas aussi l’esprit de plusieurs dispositions sur l’agriculture qui ont été adoptées à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015 en navette ? Je pense notamment à l’amendement sur l’amortissement accéléré ciblant les bâtiments d’élevage, et à celui du Gouvernement tendant à aménager les conditions de mobilisation de la réserve financière de précaution constituée dans le cadre de la déduction pour aléas. Ces deux mesures sur la fiscalité agricole, que notre groupe soutiendra au Sénat lors de la discussion de ce projet de loi de finances rectificative, s’apparentent respectivement aux articles 7 et 6 de la présente proposition de loi.
M. Jean-Claude Lenoir. Exact !
M. Jacques Mézard. Nous voyons donc bien là que nous souhaitons tous, quelles que soient nos sensibilités, aller dans le même sens.
C’est pourquoi, si certains considèrent cette proposition de loi comme opportuniste, pour ma part et celle de la majorité de mes collègues du RDSE, elle apparaît opportune. Je laisserai de côté les querelles et les postures politiques, car l’agriculture ne connaît pas les clivages partisans. Il s’agit avant tout, avec ce texte, de légiférer en faveur de l’intérêt général. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) Ce qui est en jeu, ce sont des emplois, donc des vies d’hommes et de femmes qui s’investissent énormément dans leur travail et qui ont besoin d’en vivre.
C’est aussi l’équilibre du territoire qui se joue à travers l’avenir de l’agriculture. Nombre de territoires ruraux sont en situation critique. Tout ce qui peut leur apporter davantage de moyens, d’espoir et de confiance doit être soutenu.
Monsieur le ministre, nous soutenons les efforts que vous avez faits et les plans que vous avez mis en place ; il est tout aussi naturel que nous soutenions une proposition de loi qui va dans le même sens, celui de l’intérêt général. En ce moment, en dépit des difficultés et des oppositions qui existent dans notre pays, il est nécessaire de regrouper les énergies quand elles vont toutes dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les plans dits « d’urgence » pour l’agriculture se succèdent, force est de constater qu’aucune des actions annoncées aux échelons tant national qu’européen ne s’attaque directement à la question centrale et structurelle de la richesse au sein des filières agricoles.
Pourtant, on estime que 15 points de valeur ajoutée ont été transférés du producteur vers les secteurs industriels et commerciaux de l’agriculture et de l’alimentaire. Après 2009 et 2011, des filières agricoles entières sont une nouvelle fois les victimes de la dégradation rapide des prix d’achat de productions, prix qui ne permettent plus aux agriculteurs de s’en sortir. Cette baisse durable des prix d’achat affecte en particulier les secteurs de la viande et du lait : elle a atteint 16 % pour ce dernier entre 2014 et 2015.
Toutes les filières sont concernées par des pertes de revenus importantes, qui entraînent une multiplication des cessations d’activité et hypothèquent la survie de milliers d’exploitations. Ainsi, en 2014, notre pays est passé sous la barre des 300 000 exploitations agricoles, alors qu’on en dénombrait 386 000 en 2000, soit une baisse de près de 25 %. Le rythme ne faiblit pas : en vingt ans seulement, notre pays a perdu 50 % de ses exploitations agricoles. Nos territoires ruraux s’en ressentent grandement et se vident !
Dès lors, la forte mobilisation des éleveurs traduit une véritable angoisse du lendemain, vécue par des dizaines de milliers d’agriculteurs aux trésoreries exsangues, sans perspectives de revenus, contraints de s’endetter toujours plus pour maintenir leur activité et sauver leur exploitation.
L’état de crise permanente, dont sont victimes des milliers de familles d’exploitants, trouve d’abord ses racines dans les mesures successives de libéralisation et de dérégulation des marchés agricoles à l’échelle européenne et d’ouverture des échanges mondiaux.
Comme vous le précisez d’ailleurs dans votre rapport, monsieur Gremillet, l’orientation de la PAC vers les marchés, prise en 1992, n’a cessé de s’accentuer lors de ses réformes successives. Les filets de sécurité et les mécanismes de régulation disparaissent peu à peu : la fin récente des quotas laitiers, effective depuis le printemps 2015, et la fin programmée des quotas sucriers en constituent les derniers exemples. Or c’est la stabilisation des prix qui conditionne l’accroissement des investissements, de l’innovation et de la productivité, objectifs oubliés de la PAC qui doivent redevenir prégnants.
De plus, la suppression de toutes les mesures d’orientation des prix d’achat place les exploitants agricoles dans un face-à-face déséquilibré avec les opérateurs de marché, les transformateurs et la grande distribution. Ce constat est fait aussi, d’une certaine manière, au travers de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Ainsi, les bénéfices réalisés en 2014 par quelques grands groupes français de la distribution parlent d’eux-mêmes : le résultat net du groupe Carrefour s’est élevé à 1,2 milliard d’euros ; celui du groupe Auchan, à 574 millions d’euros ; celui du groupe Casino, à 556 millions d’euros. Ces bénéfices sont le reflet de l’efficacité redoutable, en termes de rentabilité, des politiques commerciales que ces groupes mettent en œuvre tant à l’égard des producteurs que vis-à-vis des consommateurs.
Cette domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par la loi Chatel et la loi de modernisation de l’économie. Ces textes ont autorisé une déréglementation des relations commerciales, notamment avec la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, qui a considérablement affaibli les producteurs dans les négociations. Les pratiques contractuelles garantissent une politique de marges commerciales exorbitantes. Par ailleurs, les grands groupes de la distribution ont encore renforcé leur pouvoir de négociation face à leurs fournisseurs en créant des super-centrales d’achat.
Ces constats sont d’ailleurs aujourd’hui partagés par tous. Toutefois, nous n’approuvons pas les solutions proposées. En effet, mes chers collègues, en réaffirmant à plusieurs reprises dans le texte le principe de renforcement de la compétitivité, vous confirmez le choix d’une agriculture fondue dans le moule de la compétition internationale, des marchés et de la finance, au risque d’un recul de la souveraineté et de la sécurité alimentaires, de la protection sociale, des revenus des agriculteurs ainsi que des normes environnementales et sanitaires.
Or c’est à ce rouleau compresseur et à l’ouverture des marchés qu’il faut s’attaquer. La soumission à la générosité et au bon vouloir de la distribution pour faire un geste avec des accords « volontaires », de « modération des marges » ou « de principe », toujours temporaires et rarement respectés, n’est pas une réponse politique à la hauteur de la gravité de la situation. L’ensemble des syndicats agricoles – FNSEA, Confédération paysanne, Jeunes Agriculteurs, Coordination rurale, MODEF – a exprimé leur désir de voir le retour d’une politique ambitieuse en matière d’intervention sur les prix d’achat et de juste répartition de la valeur ajoutée au profit des agriculteurs.
C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des mesures structurelles en matière de fixation et d’encadrement des prix d’achat et de vente des produits agricoles, des options prises d’ailleurs par de nombreuses puissances agricoles étrangères.
Nous proposerons par conséquent des amendements tendant au rétablissement de ces outils indispensables : détermination d’un prix plancher d’achat aux producteurs, application d’un coefficient multiplicateur sur l’ensemble des produits alimentaires, étiquetage obligatoire de l’indication du pays d’origine pour l’ensemble des produits agricoles à l’état brut ou transformé. Cette dernière mesure est très demandée par la profession, et elle est très importante pour tous, en particulier pour les consommateurs.
J’en viens aux mesures en faveur de l’investissement et aux mesures fiscales.
Si nous saluons l’idée d’un livret vert en faveur de l’agriculture, nous ne partageons pas le principe d’une assurance obligatoire, qui serait une contrainte nouvelle dont profiteraient finalement essentiellement les assureurs. (M. Michel Vaspart s’exclame.) L’extension du secteur assurantiel privé en matière de gestion des risques ne permet de répondre ni aux situations de crise ni aux besoins des agriculteurs les plus en difficultés. Seules les exploitations les plus favorisées peuvent se saisir de l’opportunité des contrats d’assurance récolte.
De même, nous ne pensons pas que le coût du travail constitue un frein à la compétitivité : c’est bien plutôt la financiarisation de l’agriculture !
Dans le même ordre d’idées, nous regrettons que rien, dans ce texte, ne favorise les circuits courts. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Aucune mention n’est faite des dangers du traité transatlantique. Dans le cadre des négociations commerciales, aucune sanction n’est prévue entre la grande distribution et les producteurs. Rien non plus sur l’activation d’un principe de préférence communautaire ou sur l’adoption de « clauses de sauvegarde » en cas de risques économiques, afin de protéger nos exploitations, dont un grand nombre pourrait disparaître faute de dégager un revenu suffisant.
Bref, si nous partageons les constats, nous ne souscrivons pas à la philosophie de ce texte, qui maintient malheureusement l’agriculture française dans une logique dévastatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour parler une fois de plus de l’enjeu principal de notre agriculture : sa compétitivité.
Dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes tous conscients des difficultés que rencontre ce secteur, partie intégrante de notre patrimoine qu’il faut, bien sûr, soutenir. Je tiens à saluer M. le rapporteur de cette proposition de loi, notre collègue Daniel Gremillet, dont je sais l’engagement pour l’agriculture constant et sincère, étant lui-même agriculteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Il a beaucoup travaillé !
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Henri Cabanel. Toutefois, je suis doublement choqué,… (Exclamations étonnées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Ce n’est pas possible ! (Sourires.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Ça commençait bien pourtant ! (Nouveaux sourires.)
M. Henri Cabanel. … en tant que législateur d’abord, par la méthode, en tant qu’agriculteur ensuite, par l’opportunisme qui réduit cet enjeu à un parti pris politicien.
MM. Jean-François Husson et Jean-Claude Lenoir. Oh non !
M. Henri Cabanel. La méthode, d’abord.
Comment penser qu’une proposition de loi rédigée en quelques semaines sera de nature à régler des problèmes de fond, dont les causes sont structurelles…
M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas l’avis du ministre ! Il y a de grandes divergences entre la majorité et le ministre !
M. Henri Cabanel. … et ne remontent pas à l’été dernier ou à l’arrivée des socialistes au pouvoir ?
L’opportunisme, ensuite.
Comment examiner en toute sérénité, entre les deux tours des élections régionales (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas nous qui avons fixé la date d’examen !
M. Henri Cabanel. … un sujet de fond, que le groupe Les Républicains semble découvrir, alors que nous avons passé des heures à débattre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et de ces problématiques ?
Chers collègues du groupe Les Républicains, je vous rappelle que, lors de la crise de 2009, vous étiez au pouvoir et qu’à aucun moment vous n’avez engagé une réforme suffisante.
M. Jean-Yves Roux. Très bien ! Il a raison !
M. Martial Bourquin. C’est la vérité !
M. Henri Cabanel. Comment laisser miroiter des mesures qui sont difficilement réalisables malgré les bonnes intentions qui les sous-tendent ? Je ne prendrai qu’un exemple, celui du prix.
M. le président du Sénat, Gérard Larcher, a pris l’été dernier l’initiative de réunir autour d’une même table l’ensemble de la filière, ce qui a eu le mérite de permettre le débat.
Mme Sophie Primas. Ah !
M. Henri Cabanel. Malgré les efforts du ministre, nous avons clairement vu les limites de l’exercice lorsque M. Bigard a expliqué que, certes, un prix minimum pouvait être décidé, mais qu’au regard du marché il ne pourrait être tenu sur le moyen terme.
On le constate aujourd’hui : le prix du kilo de porc alors fixé à 1,40 euro est désormais à 1,06 euro. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes dans une économie de marché, de libre-échange et de concurrence non faussée, que vous avez toujours soutenue, chers collègues de la majorité sénatoriale !
M. Jean-François Husson. Et le traité transatlantique ?
M. Henri Cabanel. On peine parfois, en lisant votre proposition de loi, à trouver une ligne conductrice dans les solutions présentées.
En effet, vous qui prônez d’habitude une posture libérale, voire ultralibérale,…
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Henri Cabanel. … vous semblez découvrir que le prix est fixé par la loi du marché, et vous essayez aujourd’hui de modifier cet état de fait par des artifices qui vous donnent bonne conscience.
Mme Sophie Primas. « Des artifices » ?
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Jean-François Husson. Non !
M. Henri Cabanel. Dois-je vous rappeler que ce sont vos amis qui dirigent depuis plusieurs décennies les politiques européennes libérales ? (MM. Jean-Louis Carrère et Yannick Vaugrenard applaudissent.)
M. Martial Bourquin. C’est bien vrai, ça !
M. Henri Cabanel. Iriez-vous contre ? Avez-vous oublié ce que signifie le mot « libéralisme » ?
M. Jean-François Husson. Pas du tout ! Et Macron ?
M. Henri Cabanel. À titre personnel – et je crois ne pas être seul de ce côté-ci de l’hémicycle (L’orateur regarde vers la gauche de l’hémicycle.) –, j’ai toujours préconisé l’encadrement du marché.
Mme Sophie Primas. Vive la liberté !
M. Henri Cabanel. Nous savons tous que, sur l’ensemble de la chaîne, c’est le producteur qui, in fine, souffre le plus des stratégies de la grande distribution et des transformateurs pour une course aux prix les plus bas.
J’ai assisté aux côtés du rapporteur à la majorité des auditions. Les acteurs que nous avons rencontrés sont bien évidemment heureux de toute proposition permettant d’améliorer leur secteur d’activité, mais, sur le fond, aucun n’a cru aux solutions avancées dans ce texte pour favoriser une compétitivité pérenne.
Dans le département de l’Hérault dont je suis élu, j’ai également procédé à l’audition d’une dizaine de représentants de la filière pour recueillir objectivement leur opinion sur cette proposition de loi. Les conclusions sont identiques : la compétitivité est la problématique majeure de notre agriculture. Toutefois, ce n’est pas ce texte aux ambitions insuffisantes qui peut faire évoluer la donne.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Henri Cabanel. Il ne règlera aucunement les problèmes structurels de la filière.
Tous s’accordent à dire, comme je le martèle dans chacune de mes interventions, que le monde a changé. Notre agriculture doit donc, elle aussi, changer : son modèle s’essouffle.
Le marché est segmenté. Il faut donc répondre à la multiplicité des demandes du consommateur, en proposant des prix bas pour des produits de base, mais aussi des signes de qualité et des labellisations pour offrir à chaque filière une image qui la tire vers le haut, avec, à la clef, un objectif : réussir l’équilibre entre les productions de masse et les productions ciblées et, ainsi, revaloriser les prix.
Il n’y a donc pas une solution, il y a des solutions. De la même façon, il faut des circuits de distribution adaptés à chaque cible, qui vont de la grande distribution aux circuits courts.
Comme je l’ai déjà évoqué devant vous, je suis étonné que, dans le cadre de la restauration hors domicile, dans nos collectivités et nos institutions, nous ne fassions pas davantage le choix des produits français.
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Henri Cabanel. Sur les 300 000 tonnes qui sont ainsi consommées, 80 % sont importées.
Mme Sophie Primas. C’est un problème d’organisation !
M. Henri Cabanel. Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu’un exemple récent qui concerne la filière laitière.
Nous étions une soixantaine de sénateurs invités à un petit-déjeuner au restaurant du Sénat par la FNSEA et son président, M. Xavier Beulin. Nous avons discuté de la crise de l’élevage et de la filière laitière. Sur nos tables se trouvait du lait made in Germany ! (M. Michel Raison s’exclame.)
M. Roland Courteau. Ah !
M. Gérard César. Ah, c’est l’Europe !
M. Henri Cabanel. Vous connaissez tous mon attachement au made in France et à ses déclinaisons en labels : « Viandes de France », « Origine France Garantie »… Comprenez que nous ayons été nombreux à être choqués !
M. Jean-Claude Lenoir. Comme si c’était la FNSEA qui avait fait la cuisine !
M. Henri Cabanel. J’en viens aux articles relatifs à la fiscalité.
Je déplore que cette proposition de loi ne prenne pas en compte le plan de soutien à l’élevage proposé par M. le ministre : l’allégement de charges pour lutter contre l’endettement, la modernisation des outils de production et la simplification des normes, la réforme du forfait agricole, l’assouplissement des conditions d’utilisation de la DPA, la déduction pour aléas, et la création d’un dispositif exceptionnel d’amortissement sur les bâtiments d’élevage. Au total, en trois ans, plus de 3 milliards d’euros auront été investis dans l’agriculture et l’élevage.
Par ailleurs, que proposez-vous en matière d’agro-écologie ? M. le ministre a eu le courage de s’attaquer à cette thématique, qui fixe des objectifs de bonnes pratiques, avec, à la clef, des enjeux environnementaux, mais également économiques.
Je persiste à penser que la qualité et les labels redonneront l’image qu’elle mérite à notre agriculture qui s’enlise dans des crises récurrentes. Ceux qui opposent la compétitivité à cet enjeu d’agro-écologie n’ont rien compris au monde qui change, pas plus qu’ils n’ont compris les enjeux la COP 21.
Par ailleurs, parler de compétitivité en prévoyant le financement de vos mesures par l’augmentation de la TVA et de la CSG me semble pour le moins contradictoire avec vos sempiternelles jérémiades sur la baisse des charges ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Henri Cabanel. Enfin, j’ai parlé essentiellement de l’agriculture, car notre industrie agroalimentaire est déjà l’un des secteurs phares de notre économie, avec 500 000 emplois directs. Son chiffre d’affaires, qui s’élève à 160 milliards d'euros, la place sur le podium des filières industrielles. Cependant, il nous faut rester vigilants.
Chers collègues, vous l’aurez compris, j’ai abordé ce débat avec franchise et passion. Je le répète : travailler dans le contexte des élections régionales n’est pas propice au consensus, et je regrette vraiment ce calendrier et la rapidité avec laquelle ce texte a été proposé, sans fondements stratégiques ni feuille de route. Il convient de prendre son temps.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Henri Cabanel. Le monde paysan mérite une attention particulière, mais il mérite surtout de retrouver sa place pour bâtir son avenir, filière par filière. Ce n’est que grâce à cette coconstruction qu’il assumera sa révolution nécessaire dans les prochaines années. Je crois, comme vous, en sa force. Reste à mettre toutes les bonnes volontés autour d’une table sans parti pris idéologique.
M. Henri Cabanel. La filière agricole devra s’adapter en se restructurant, à l’instar de la filière viticole en Languedoc. Il faudra du temps. Ces problèmes ne se règlent pas d’un coup de baguette magique.
Même si cela choque certains responsables de la FNSEA, il faut avoir le courage d’accompagner les agriculteurs qui ne pourront supporter ces mutations. La vérité, mes chers collègues, c’est que cette restructuration est inévitable. Si elle n’a pas lieu, la face immergée de l’iceberg pourrait bien nous faire chavirer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Martial Bourquin. C’est du solide ! (Sourires.)
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, alors que la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt commence à peine à produire ses premiers effets et que vous avez dû gérer, ces derniers temps, les crises successives du secteur agricole, en enchaînant les plans d’urgence, lesquels étaient nécessaires, le groupe Les Républicains choisit de présenter une proposition de loi pour soutenir le secteur agricole précisément entre les deux tours des élections régionales. (MM. Jean Bizet et Bruno Sido s’exclament.)
Il a été dit tout à l’heure qu’il ne fallait pas mélanger agriculture et politique, mais tout de même…
Je le sais, le texte qui nous est aujourd'hui soumis a été élaboré en étroite relation avec la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, qui s’est autoproclamée « la profession agricole ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Pas vous !
M. André Trillard. Vous vous autoproclamez bien porte-parole des lanceurs d’alerte !
M. Joël Labbé. La Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Morbihan vient de diffuser un communiqué intitulé Le ministère de l’agriculture se moque de l’agriculture, dans lequel il est écrit : « L’État nous berne, l’État n’a toujours pas conscience de ce qui se passe dans ses campagnes, l’État promet des milliards dans le cadre de la COP 21, mais n’est pas capable de soutenir un pan de son économie qui a contribué à placer la France parmi les grandes puissances mondiales. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Bailly. C’est vrai !