M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. « Nous voulons vivre de notre travail ! Ce n’est pas des primes que nous demandons, c’est une juste rémunération du travail de qualité que nous faisons au service des consommateurs ! » : c’est en ces termes, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que s’expriment les paysans de France, les jeunes agriculteurs tout particulièrement, et cette expression, maintes fois rappelée, les honore.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Bravo !
M. Franck Montaugé. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui apporte-t-elle des réponses à la hauteur de l’attente, de l’ambition des agriculteurs de France, tout particulièrement de ceux qui sont en difficulté, voire en très grande difficulté ? Je ne le crois pas. Et je dis cela tout en saluant le travail sincère du rapporteur Daniel Gremillet pour qui j’ai le plus grand respect.
Dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, les auteurs, tout en reconnaissant que la réorientation de la PAC a été faite en faveur de l’élevage, pointent du doigt cette filière pour lui enjoindre d’inventer une stratégie gagnante, afin de faire face à la volatilité des marchés. Les acteurs sont renvoyés face à leurs responsabilités, et, effectivement, aucun article de la proposition de loi ne traite ce sujet pourtant essentiel.
Aucune orientation stratégique n’est proposée dans le texte, même en filigrane.
De façon juste, l’impact territorial des filières d’élevage est évoqué au travers des abattoirs, des laiteries, etc.
L’abattoir départemental d’Auch, dans le Gers, était voué il y a peu à la fermeture. Eh bien, je puis vous l’assurer, quand une collaboration sans arrière-pensée se met en place entre, d’une part, l’État, la région, le département et l’agglomération, et, d’autre part, les exploitants, les apporteurs, les éleveurs et les clients, on peut sauver l’emploi, développer les outils de production et répondre aux besoins de la filière, tout en étant économiquement compétitifs.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Franck Montaugé. C’est plus une affaire de volonté, d’écoute et de compréhension des enjeux multiples que de loi !
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, vous précisez, mes chers collègues, qu’« une partie des réponses se situe au niveau européen », et vous rappelez, à juste titre, les enjeux en matière de protection des agriculteurs, d’allégement des contraintes, de mise en place d’aides contracycliques, d’adaptation à des fins de sécurisation des organisations communes de marché et de mise en œuvre de dispositifs assurantiels permettant de couvrir les risques climatiques et économiques.
Oui, l’Union européenne a une responsabilité exorbitante sur ces questions essentielles pour l’avenir de l’agriculture française. Et je sais que le commissaire Phil Hogan, chantre très libéral de « la concurrence non faussée » appliquée au domaine agricole, ne laisse pas de vous inquiéter.
Pourtant, comme vous le rappelez sans détour, vous êtes favorable à un alignement sur les marchés mondiaux. Je ne crois pas, pour ma part, sauf à sacrifier la diversité des formes de notre agriculture, notamment la polyculture élevage qui contribue à la vitalité de très nombreux territoires ruraux comme le mien, que la disparition des mécanismes de régulation au bon échelon, c’est-à-dire européen, nous fasse gagner en compétitivité. La disparition, que vous avez souhaitée, des quotas laitiers en 2008 en apporte aujourd’hui la triste démonstration.
M. Henri Cabanel. Absolument !
M. Franck Montaugé. Pour ce qui est de la sécurisation des revenus des agriculteurs en cas de crise, vous dites également que des transferts d’enveloppes du premier vers le second pilier devront être opérés dans le cadre de la réforme de la PAC.
Vous posez également le problème de l’application du droit européen de la concurrence en matière de concentrations industrielles, et vous en appelez à l’éligibilité des investissements stratégiques agricoles et agroalimentaires au plan Juncker.
Les agriculteurs attendent, à juste titre, des réponses à toutes ces questions absolument fondamentales. Je vous suggère donc d’agir, chers collègues de la majorité sénatoriale, et de peser de tout votre poids politique – rien ne l’empêche ! – auprès de la Commission et du Parlement européen, dont la majorité politique est plus proche de votre groupe que du mien.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au final, et sans remettre en question la pertinence de l’objectif de compétitivité, force est de constater que le périmètre et la portée de ce texte sont très réduits.
Quelques mesures méritent cependant d’être soutenues, parmi lesquelles l’extension aux coopératives du dispositif de suramortissement prévu à l’article 142 de la loi Macron.
Les effets sur la compétitivité du pacte de responsabilité – 4,216 millions d’euros en 2016 et 4,618 millions d’euros en 2017 – sont toutefois sans commune mesure avec cette proposition de loi, qui ne traite pas la question, pourtant essentielle, des réformes structurelles.
Et la loi d’avenir pour l’agriculture constitue aussi un cadre propice pour relever avec succès, dans la durée, les enjeux qualitatifs et quantitatifs de notre temps : elle a notamment renforcé les dispositifs de contractualisation et incité aux démarches collectives et à la mutualisation des moyens par le biais des groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, des coopératives d’utilisation de matériel agricole, les CUMA, et des groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, dont le nombre devient significatif, sans oublier les coopératives, qui méritent un soutien particulier, parce qu’elles sont, en réalité, le fer de lance de notre agriculture.
Dès lors, pourquoi s’être ainsi précipité ? Pourquoi ne pas avoir pris quelques semaines ou quelques mois supplémentaires pour réfléchir aux mesures qui conditionnent véritablement l’avenir et la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire françaises ?
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » : nous préférons, quant à nous, suivre l’exhortation de Boileau pour traiter les sujets importants qui ont été laissés de côté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas évident d’être le dernier orateur. Je ferai peut-être quelques répétitions, mais j’essaierai aussi d’apporter de nouveaux éclairages.
L’agriculture est en crise et traverse des moments très difficiles : chute des revenus, déjà très faibles sur l’échelle des salaires, travail à perte pour de nombreuses exploitations, ce qui entraîne de multiples cessations d’activité.
L’élevage est particulièrement touché : selon l’Institut de l’élevage, le tiers des exploitations auront cessé leur activité entre 2010 et 2020. À ce manque de rentabilité s’ajoute l’accroissement des normes et des exigences, qui vont souvent bien au-delà des obligations européennes.
Toutefois, en cet instant, je voudrais répondre plus particulièrement aux interrogations de notre collègue Joël Labbé et, plus largement, à celles de son groupe et du mouvement écologiste. Pourquoi montrez-vous systématiquement l’agriculture du doigt ? Pourquoi la considérez-vous si mal ?
Ainsi, l’agriculture polluerait, rejetterait du CO2, les ruminants dégageraient des gaz entériques et les agriculteurs dégraderaient la qualité de l’eau…
Que dire des productions ? Seuls les produits bio trouvent grâce aux yeux des écologistes, et pourtant…
Dans tous ces domaines, qu’il s’agisse de la qualité des produits ou du bien-être animal, des efforts et des améliorations considérables ont été réalisés grâce à la recherche, à nos instituts, à la vulgarisation conduite par les organismes agricoles et les coopératives.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Gérard Bailly. Posez la question à nos chefs cuisiniers : que pensent-ils de nos produits utilisés en gastronomie ?
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Gérard Bailly. Notre cuisine française est l’un des fleurons de notre pays, célébré par des étrangers désireux de déguster nos produits dans nos restaurants.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Gérard Bailly. Alors, cessez les polémiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) En disant cela, je m’adresse aussi aux médias, à certains journalistes qui jettent trop souvent l’anathème sur les agriculteurs et les éleveurs.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Gérard Bailly. Notre alimentation sera-t-elle de meilleure qualité lorsqu’elle proviendra des États-Unis, d’Amérique du Sud et de bien d’autres pays qui autorisent les hormones et les OGM ? Pourquoi présenter une image si négative de l’agriculture française ? La France est l’un des pays les plus stricts en matière de contrôles alimentaires et d’exigences sanitaires. Et ce n’est pas M. le ministre, j’en suis sûr, qui dira le contraire !
Oui, cette proposition de loi est urgente. Certes, elle a été préparée rapidement. Mais fallait-il attendre encore plus de ravages dans nos campagnes et d’abandons de nos exploitations agricoles ? Fallait-il attendre que nos agriculteurs aient encore moins le moral ?
Bien entendu, cette proposition de loi ne règlera pas tous les problèmes, nous le savons. Nous sommes engagés dans une concurrence européenne et mondiale.
Il est urgent de diminuer les charges, d’accompagner davantage les investissements de plus en plus lourds, de mieux informer le consommateur – en la matière, nous allons, me semble-t-il, dans le bon sens, monsieur le ministre, et nous sommes d’accord avec ce qui a été fait et ce qui reste encore à faire ! –, de mieux nous préparer à affronter les crises, les aléas climatiques et sanitaires, avec la mise en place de la réserve spéciale d’exploitation agricole, la RSEA, de mieux accompagner les jeunes agriculteurs et, enfin, de ne pas ignorer, comme c’est le cas aujourd’hui, les coûts de production de nos fermes lors des discussions sur les prix et les contrats d’achat – sur ce point, l’article 1er de cette proposition de loi va dans le bon sens.
Oui, il est nécessaire de prendre rapidement en considération cette proposition de loi. N’oublions pas que l’agriculture est indispensable à notre pays. Nous avons déjà énormément perdu avec le départ de nos industries vers des pays étrangers ; ne prenons pas le même chemin avec le secteur agricole !
Notre agriculture nourrit la population avec des aliments sains, j’y insiste, elle valorise les produits issus d’autres productions et permet le développement d’énergies renouvelables. Dans de nombreuses régions, elle est le principal acteur de la vie rurale, et elle contribue à créer de très nombreux emplois, en amont comme en aval.
Le tourisme, l’accueil et la vente à la ferme sont d’importants facteurs d’animation du monde rural.
Dois-je aussi rappeler que 42 % des agriculteurs sont engagés dans une association ? Je n’oublie pas non plus les services apportés par les agriculteurs dans les petites communes, grâce à leur matériel, et le rôle primordial qu’ils jouent pour préserver, tout au long de l’année, la diversité de nos paysages.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Gérard Bailly. L’actualité nous conduit à nous intéresser plus particulièrement aux problèmes liés à l’environnement. En la matière, on ne souligne pas assez le rôle majeur des paysans : les prairies stockent le carbone et, sans pâturage, la progression des friches diviserait la biodiversité végétale par quatre en moins de vingt ans ? De plus, la pâture apporte des matières organiques, qui limitent les risques d’érosion, les incendies dans le Midi, les avalanches dans nos montagnes.
Imaginez quelques instants, mes chers collègues, le Massif central sans ses broutards et ses vaches allaitantes, sans ses brebis et ses bons fromages !
M. Gérard Longuet. C’est impossible !
M. Gérard Bailly. Et il en va de même dans les autres massifs : partout, l’agropastoralisme préserve la variété de nos paysages et nos multiples produits de qualité.
Mes chers collègues, nous connaissons tous, plus particulièrement les élus de montagne, la diminution, ô combien regrettable, du nombre de nos exploitations et la situation très difficile des éleveurs en cette fin d’année 2015. Et l’année 2016 ne s’annonce pas sous de bons auspices…
C’est pourquoi nous ne pouvons qu’apporter notre soutien à cette proposition de loi – j’ai rêvé la nuit dernière qu’elle était adoptée à l’unanimité, mais je crois que ce ne sera pas le cas ! (Sourires.) –, présentée par Jean-Claude Lenoir et plusieurs de nos collègues – notre président Gérard Larcher est à l’initiative de la table ronde organisée au Sénat sur ce sujet ! –, pour que notre agriculture et notre élevage retrouvent leur place et, nos agriculteurs, une lueur d’espoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Je demande la parole pour une mise au point, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Permettez-moi, en préambule, de féliciter les orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale et qui, pour la plupart d’entre eux, sont membres de la commission des affaires économiques. Tous connaissent bien le sujet, et nous avons écouté leur avis avec beaucoup d’intérêt. Je suis sûr que M. le ministre lui-même a apprécié les propos qui ont été tenus, même si certains étaient un peu en décalage avec son intervention. Mais le débat permettra sans doute d’aplanir quelques aspérités.
Monsieur le président, je voudrais revenir sur l’incident qui s’est produit au restaurant du Sénat, afin de dissiper tout malentendu.
Tel qu’il a été relaté, on pourrait croire que la FNSEA avait organisé un petit-déjeuner au Sénat et qu’elle avait apporté des produits qui n’étaient pas français. En réalité, comme c’est souvent le cas, nous avons participé à un petit-déjeuner de travail avec des responsables de la FNSEA. Et c’est le président de la FNSEA lui-même, M. Xavier Beulin, qui a relevé que les petites bouteilles de lait présentes sur les tables contenaient un produit en provenance d’Allemagne. (Exclamations.)
M. Gérard César. C’est l’Europe !
M. Jean-Claude Lenoir. J’ai aussitôt mis en application l’article 3 de la proposition de loi que nous allons sans doute adopter ce soir, texte qui permet à tout consommateur de se tourner vers le distributeur ou le fabricant d’un produit pour en connaître l’origine. J’ai donc envoyé un message électronique au directeur du restaurant du Sénat – je rappelle que celui-ci est géré par une entreprise privée – pour savoir ce qu’il en était.
Le directeur du restaurant m’a répondu qu’il s’agissait en effet de petits pots individuels de lait provenant d’Allemagne (Nouvelles exclamations.), mais que ceux-ci avaient été supprimés dès le lendemain. Il m’a assuré que, désormais, le lait était français, comme la majorité des produits servis au restaurant du Sénat.
« La majorité des produits servis sont français, mais pas la totalité ? », ai-je relevé. « Avez-vous des exemples de produits étrangers ? », ai-je ajouté. La réponse suffit à elle seule : sincèrement, m’a répondu le directeur du restaurant du Sénat, à l’exception de certains fruits exotiques et des épices, tout est français !
Je tenais à apporter cette information. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Comme vous le voyez, monsieur le ministre, les sénateurs boivent beaucoup de lait et sont de grands amateurs d’épices ! (Sourires.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire
Chapitre Ier
Des relations plus justes et transparentes, du producteur au consommateur
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La France promeut au niveau communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs : mise en place d’un prix minimum européen pour chaque production prenant en compte les spécificités des différentes zones de production, activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, mise en œuvre de clauses de sauvegarde ou tout autre mécanisme concourant à cet objectif.
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, mais aussi dans le cadre du débat budgétaire, de nombreuses dispositions régissant la politique agricole relèvent du niveau européen, l’architecture de la PAC étant fixée pour sept ans et la prochaine réforme devant intervenir en 2020.
C’est pourquoi, par notre amendement, il nous semble essentiel de rappeler au Gouvernement la nécessité d’agir au sein du Conseil européen et auprès de la Commission européenne pour la mise en œuvre de mesures susceptibles de garantir des prix rémunérateurs et stables pour les productions, car c’est bien de cela que souffre aujourd’hui notre agriculture.
La mise en place d’un prix minimum européen est un objectif ambitieux, qui devrait contribuer à réduire les cas de distorsion de concurrence qui se multiplient sur le marché intracommunautaire. Les productions, dont le coût dépend fortement de la main d’œuvre, en sont plus particulièrement victimes.
Ce prix minimum devra tenir compte des spécificités des différentes zones de production : il devra être modulé en fonction des conditions de production sur les territoires – le prix des facteurs de production n’est pas le même en plaine ou en montagne, dans des zones bien desservies ou défavorisées – et en fonction des conditions climatiques.
Il faut aussi activer des dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire. À l’inverse des négociations en cours sur les différents traités de libre-échange, qui ne prennent pas en compte les spécificités des productions agricoles françaises et européennes, il s’agit de rétablir une équité dans les relations commerciales internationales, en imposant aux produits que nous importons de respecter les mêmes exigences que celles que nous demandons à nos producteurs : haut niveau de protection sociale, mais également conditions sanitaires et environnementales.
Seule la mise en œuvre de mesures réglementaires ou douanières traduisant le principe de préférence communautaire pourra en effet mettre fin au dumping social, environnemental et sanitaire, qui caractérise aujourd’hui la concurrence mondiale sur les produits agricoles.
Enfin, notre amendement évoque également l’adoption de clauses de sauvegarde, qui existent déjà en cas de risque avéré pour la santé ou l’environnement, mais qui devraient être étendues aux risques économiques, afin de protéger nos exploitations, dont un grand nombre pourrait disparaître faute de revenu suffisant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Par cet amendement, vous demandez, mon cher collègue, que la France promeuve, au niveau européen, des prix rémunérateurs pour les agriculteurs et la mise en place de prix minimum.
Cette question relève d’abord et avant tout de la PAC. Ainsi, la régulation est établie par le règlement européen portant organisation commune des marchés. Il est vrai que les mécanismes mis en œuvre sont assez faibles. Par exemple, les prix d’intervention publique, quand ils existent encore, sont fixés à un niveau très bas. Quant aux mécanismes d’aide au stockage privé, ils sont également assez restrictifs. Finalement, le filet de sécurité est tendu très près du sol !
La commission des affaires économiques et la commission des affaires européenne du Sénat ont mis en place un groupe de suivi de la PAC pour préparer les discussions qui précéderont la prochaine réforme. La question soulevée par l’amendement sera abordée dans le cadre de ce groupe.
En fait, cette proposition constitue, en réalité, un vœu, qui relève plus d’une proposition de résolution européenne que d’un texte de loi.
C’est pour ces raisons que la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. M. le rapporteur a rappelé un certain nombre d’éléments. Cet amendement prévoit finalement – c’est tout le problème ! – de revenir à un système de préférence communautaire et de prix. C’est au fond ce que vous demandez, en envisageant plusieurs prix, selon les conditions et lieux de production.
Lorsque la préférence communautaire existait, il y avait bien un seul marché, mais avec six pays, puis neuf. Ensuite, ce système a été supprimé. Les différences entre les vingt-huit États membres actuels nécessiteraient, non pas un prix, mais de multiples, pour qu’ils soient capables de s’adapter aux situations de production et de rémunération du capital de chacun des pays.
Ensuite, si l’on revient à un système où les prix sont soutenus à l’intérieur d’un marché, qu’il soit français ou européen, cela nécessite, vous l’avez affirmé vous-même, monsieur le sénateur, que l’on remette en place la préférence communautaire.
Le sujet n’est pas facile, et je comprends l’intention qui sous-tend cet amendement. Mais quelle a été la conséquence de ce système de préférence ? Avec des prix élevés et une protection à l’importation, si vous souhaitez exporter, vous êtes obligés de compenser la différence de prix entre les marchés intérieur et mondial. C’était le système des restitutions.
Vous le voyez, dès que nous essayons de régler un problème en fermant un marché ou en définissant un prix par nous-mêmes, nous nous retrouvons confrontés à tout ce qui fait un marché et à la difficulté d’en combiner tous les enjeux. Si nous fermions totalement nos frontières, nous n’aurions plus d’importations, mais nous ne pourrions plus non plus exporter !
Prenons simplement l’exemple du lait. Sur un volume de production de 22 milliards de litres environ, la France en exporte entre 8 et 10 milliards, sous une forme ou sous une autre, le lait en poudre, le fromage, etc.
Dès que l’on touche aux prix sur le marché intérieur, il y a un impact à l’extérieur, sur les marchés où nous exportons.
Pour réussir à régler le problème soulevé par M. Le Scouarnec, il faut assurer une stabilité des prix et faire en sorte que des dispositifs permettent de les lisser beaucoup plus. Mais nous y reviendrons à l’occasion de l’examen d’autres amendements. Nous devons ainsi éviter que la pression sur les prix ne se répercute immédiatement sur le producteur. Or c’est ce qui se passe aujourd’hui, dès que survient une baisse de prix sur le marché mondial.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu’il faudrait prévoir, c’est l’obligation de transparence sur les résultats des grandes entreprises de transformation. Aujourd’hui, je le dis, certaines grandes entreprises ne publient pas leurs résultats. Elles peuvent donc plus facilement arguer qu’elles rencontrent des difficultés, même si leurs résultats sont positifs ! Je pense d’ailleurs que c’est bien le cas… Dans le même temps – et je le constate ! –, la production rencontre les difficultés que chacun connaît ! Il faut donc équilibrer tous ces éléments.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable à cet amendement. L’adoption de cet amendement nous conduirait à nous engager dans un processus qui a déjà existé, et nous obligerait à prendre des mesures nous mettant nous-mêmes en difficulté, eu égard au fait que nous sommes un grand pays exportateur, comme cela a été rappelé. Qui plus est, nous exportons des produits de qualité !
Si je prends l’exemple de la viticulture, le Languedoc-Roussillon a connu une véritable révolution depuis une vingtaine d’années. Alors que les vins de cette région étaient destinés à la seule consommation nationale, le choix de la qualité a permis de les exporter tous – je les connais bien ! – sur des marchés à l’international. Dès lors, on ne peut considérer que le coût de production du vin dans le Languedoc-Roussillon n’a pas un impact sur les marchés internationaux.
C’est pourquoi, je le répète, je ne suis pas favorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La France défend au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de quotas pour certaines productions, et l’activation d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Dans la continuité de l’amendement précédent, qui n’a pas rencontré un grand succès…
M. André Trillard. Même vote, alors ?
M. Michel Le Scouarnec. Cela permet tout de même d’avancer, car on ne sait pas de quoi demain sera fait !
Dans la continuité du précédent amendement, disais-je, nous proposons que la France agisse pour le développement de meilleurs outils de régulation et de gestion de l’offre au travers, par exemple, du maintien ou de la création de quotas pour certaines productions et la réactivation des outils de stockage public pour gérer les surplus.
Il s’agit de plaider en faveur de la régulation des marchés agricoles contre le dogme du libre marché promu par la Commission européenne. C’est une question éminemment politique, et nous invitons le Gouvernement à faire preuve de volontarisme.
Comme je l’ai souligné dans mon intervention générale, il nous faut renouer avec les principes inhérents à la PAC, qui reconnaissaient la spécificité du secteur agricole. Il faut qu’il soit tenu compte, dans l’élaboration des politiques européennes, de ses caractéristiques propres : forte volatilité des prix ; étroitesse des marchés ; faible élasticité de la demande ; finalités multiples – production alimentaire, mais aussi production de biens publics. Car l’agriculture, c’est aussi la préservation de l’environnement, l’entretien des paysages et le maintien d’une vie rurale.
En ce sens, le secteur agricole n’est comparable à aucun autre secteur de production et justifie le maintien de protections spécifiques.
À l’encontre des réformes prônées par la Commission européenne pour permettre aux agriculteurs de répondre aux signaux du marché mondial, réformes totalement influencées par la spéculation et déconnectées de la demande réelle sur le marché intérieur, la France doit obtenir la mise en œuvre de mécanismes de régulation au niveau communautaire, et elle ne doit pas, notamment, renoncer à réclamer le rétablissement de quotas laitiers, voire la création de quotas pour ce qui concerne d’autres productions. La crise laitière illustre, à cet égard, la nécessité de disposer d’instruments efficaces en matière de gestion de l’offre.
Cela exige non seulement que soient conservés des mécanismes d’intervention, comme le stockage public, mais aussi que ceux-ci soient réellement et pleinement activés lorsque la situation sur les marchés le justifie.
Tel est le sens de cet amendement.