M. Daniel Dubois. En effet !
M. Jean-Pierre Bosino. Quelque peu…
M. Michel Canevet. Plus qu’un peu !
M. Michel Berson. … et je vous prie de m’en excuser. Je conclurai ainsi : compte tenu des enjeux que représente le financement de la recherche en France, la réforme du crédit d’impôt recherche paraît inéluctable. Tel est l’avis des membres du groupe socialiste et républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur de feu notre rapport, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier vivement les membres du groupe communiste républicain et citoyen d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour ce débat portant sur un thème important : les incidences du crédit d’impôt recherche sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays.
Ce dispositif a, sur nos finances publiques, un impact dont les précédents orateurs ont rappelé l’ampleur : plus de 5 milliards d’euros. Quoi de plus pertinent que de voir où va l’argent ?
Je ne peux donc que regretter vivement que la commission d’enquête sénatoriale portant sur le sujet que nous avons évoqué se soit fait hara-kiri, faisant du même coup disparaître son rapport, ses conclusions et ses comptes rendus d’audition. C’est une forme de masochisme sur lequel il faudra peut-être un jour s’interroger. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Bravo !
Mme Corinne Bouchoux. Puisque l’on m’a assuré que tout ce travail n’existait plus, que les archives avaient disparu, je vais fonder mon propos sur ce qui existe encore ! (Mme Françoise Laborde sourit.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Attention, madame Bouchoux, vous allez agacer M. Delattre…
Mme Corinne Bouchoux. L’association Sciences en marche a mené un réel travail d’investigation. Pour ceux qui le souhaitent, ses sources sont accessibles sur internet. Elle propose une photographie tout à fait précieuse, impartiale et claire de ce qu’est le crédit d’impôt recherche. Elle indique où il va, quelle est sa progression, et mentionne des marges d’améliorations possibles.
Le CIR a été analysé par les précédents intervenants comme un « dopant », un facteur d’innovation, par d’autres comme une source d’attractivité, un moyen, comme j’ai pu l’entendre dans nos couloirs, de rester « sexy » dans l’économie mondiale.
Mes chers collègues, il faut être honnête : personne ici ne souhaitait voir ce rapport adopté. Deux petites familles politiques mises à part, il existait un accord pour employer tous les moyens de forme ou de fond, notamment des rebondissements télévisuels, permettant de torpiller ce rapport ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Daniel Raoul. C’est faux !
Mme Corinne Bouchoux. À cet égard, nous avons bel et bien disposé d’une présidence brillante et réussie. Le but n’a pas été atteint pour ce qui concerne le CIR. En revanche, il l’a été concernant la suppression du rapport…
En examinant ce sujet d’un peu plus près, que peut-on dire de ce crédit d’impôt de 5,5 milliards d’euros ?
Bien entendu, le CIR n’est pas réservé aux sociétés du CAC 40. Toutefois, certains l’ont signalé : en proportion, il profite largement aux grands groupes.
En outre, il a été montré que, dans certains domaines, ce dispositif était un moyen d’attirer en France des entreprises internationales, qui y voit, elles le disent elles-mêmes, un facteur d’attractivité de notre territoire. Mais est-ce le sens d’un crédit d’impôt consacré à la recherche ? C’est la question que l’on peut se poser.
C’est un fait, il faut rendre notre territoire attractif. Cela étant, faut-il procéder par ce biais ?
Ensuite, si l’on examine dans le détail la question de l’emploi, on peut se montrer un peu plus critique. Par exemple, en 2011, seuls 12 % des chercheurs en entreprise étaient titulaires d’un doctorat, contre 55 % qui étaient diplômés d’une école d’ingénieur ou d’une grande école.
La situation des docteurs en entreprise s’est-elle améliorée grâce au CIR ? Pas du tout, malheureusement. Le doctorat, titre universitaire le plus élevé reconnu à l’échelle internationale, reste peu attractif en France. Or, dans ce domaine, le crédit d’impôt recherche s’est révélé relativement inopérant.
De plus, le CIR devrait – c’est l’un de ses buts – favoriser la promotion de la recherche et développement dans le secteur privé. Sur ce front, le bilan est-il si positif que ce qui a été dit ? À l’instar du comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et de la Cour des comptes !
Mme Corinne Bouchoux. … qui, sur ce sujet, a remis un rapport extrêmement intéressant, nous estimons qu’il faut absolument renverser la tendance actuelle : il faut garantir davantage l’embauche de véritables docteurs, la création de véritables emplois scientifiques, en lieu et place de simples requalifications.
Dans un certain nombre de domaines, comme dans le secteur bancaire, on habille ainsi en dispositions éligibles au crédit d’impôt recherche des mesures qui n’en relèvent pas, et nous le savons tous !
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme Corinne Bouchoux. Par ailleurs, il faut reprendre le rapport de 2013 établi par la Cour des comptes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Voilà !
Mme Corinne Bouchoux. Cette instance le signalait déjà : « L’efficacité du CIR, au regard de son objectif principal d’augmentation de la dépense de R&D des entreprises est difficile à établir, et l’évolution de cette dépense n’est pas à ce jour en proportion de l’avantage fiscal accordé. » (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Là est bien le problème !
Nous ne prétendons pas que le CIR ne sert à rien. Nous relevons simplement que, au regard des moyens mis en œuvre, le résultat est extrêmement modeste. Il doit donc être interrogé par le législateur que nous sommes.
Mes chers collègues, je vous invite également à consulter le rapport de l’association Sciences en marche, présenté le 6 avril 2015 à notre commission d’enquête, mais qui, je le répète, n’existe plus… Ce rapport a été publié sur le site de cette association. Il met clairement au jour non seulement l’effet de levier que permet le CIR dans les entreprises de moins de 500 salariés, mais également les causes mitigées dans les grandes sociétés et dans certains secteurs qui profitent plus que d’autres de ce dispositif.
Pour le dire autrement, le CIR favorise massivement la recherche duale, le nucléaire : autant de sujets dont on doit pouvoir débattre sereinement. Ce sont aussi ces constats qui ont gêné, dans les travaux de la commission d’enquête diligentée.
À mon sens, il faut accepter d’avoir une vision prospective du CIR. Nous ne vous proposons pas sa suppression. Nous disons simplement qu’avec ce dispositif, tel qu’il existe actuellement, on marche sur la tête ! Dans un certain nombre de cas, cette niche permet des optimisations fiscales. Aussi, nous vous soumettons cette proposition : tournons-nous vers la transition écologique. Cela tombe bien, la COP 21 vient d’avoir lieu.
Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons vivement que le CIR, puisqu’il existe, soit consacré massivement à la transition écologique, notamment pour faire évoluer notre tissu industriel : c’est là un enjeu capital. Nous souhaitons que la France dispose d’un crédit d’impôt recherche vertueux, permettant de modifier la société et non de stabiliser des rentes de situation.
Au surplus, il ne faudrait pas que l’on nous reproche un jour, au niveau européen, les problèmes posés par notre crédit d’impôt recherche, dont nous abusons allègrement. À plusieurs reprises, nous avons lancé l’alerte sur ce point.
Enfin, faut-il que nous ayons rompu des tabous pour que soient annihilés, en quelques minutes, quatre à six mois de recherches, des dizaines et peut-être des centaines d’heures d’auditions, de production de savoir intellectuel et intelligent ? Je m’en remets aux citoyens, aux journalistes et aux enseignants-chercheurs. Ils pourront poursuivre le travail que nous avons amorcé ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le bilan demandé par les membres du groupe CRC de l’efficacité du crédit d’impôt recherche, en sollicitant la réunion d’une commission d’enquête dont Mme Gonthier-Maurin a été le rapporteur, partait d’une bonne intention.
Bien entendu, il faut s’interroger sur l’efficacité des aides aux entreprises. Sur ce sujet, les rapports se suivent et se ressemblent. Ils dénoncent le nombre pléthorique de dispositifs non évalués et coûteux, que ce gouvernement a d’ailleurs très sensiblement augmenté depuis 2012.
En présentant ses vœux aux Français, le Président de la République a même annoncé de nouvelles aides publiques. Les aides publiques sont l’éternelle réponse à la crise économique que traverse notre pays, dont certains de nos voisins sont pourtant sortis. Ces aides ont un coût faramineux, et l’on se demande comment le budget peut encore le supporter !
Parallèlement, on oublie bien sûr que ce que veulent les entreprises françaises pour créer de la richesse et de l’emploi, c’est surtout moins de charges, moins de réglementations coûteuses et parfois inutiles, qui pèsent sur leur compétitivité.
La commission d’enquête dont les membres du groupe CRC avaient demandé la création a engagé ses travaux il y a près d’un an. Sa première audition a eu lieu à la fin du mois de janvier 2015. Au cours des semaines et des mois suivants, d’autres, très nombreuses, ont suivi.
Avec mes collègues membres de la commission d’enquête, et aux côtés de son président, Francis Delattre, j’ai ainsi pu vérifier l’utilité et l’efficacité du CIR.
Certains orateurs l’ont dit, le malaise perceptible dans cette commission d’enquête est venu, tout d’abord, de son intitulé : « commission d’enquête sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et alors ? Où est le problème ?
M. Michel Vaspart. Dépourvu de tout point d’interrogation, cet intitulé est une affirmation péremptoire et dogmatique !
Tant que certains resteront prisonniers de dogmes et tourneront le dos au pragmatisme, les décisions résultant de leur réflexion ne feront que nous éloigner des réalités du monde de l’économie vraie, régi par les échanges, la compétitivité et la performance.
M. Ladislas Poniatowski. Bien !
M. Michel Vaspart. Évidemment, cela ne signifie pas que le Gouvernement et les services de l’État ne doivent pas contrôler et sanctionner les abus. C’est non seulement leur rôle, mais c’est leur devoir. Néanmoins, il ne faut pas remettre en cause ce dispositif.
Au fond, ce débat est utile, car il permet de dire clairement que le CIR est efficace. À ce titre, je regrette comme mes collègues que le rapport issu de nos travaux n’ait pu être diffusé : cette situation pourrait laisser entendre que nous souhaitions enterrer ses conclusions. Or le fil des auditions a précisément permis d’établir tout l’intérêt de ce crédit d’impôt pour l’économie française. Si ce rapport n’est pas diffusable, il est permis d’en retenir ce que l’on voudra bien lui faire dire.
Début décembre 2015, le rapport de l’observatoire du CIR a été publié, pour la quatrième édition, par le comité de conseil ACIES. Il établit que cette dépense fiscale « joue un rôle capital pour la compétitivité des entreprises ». Il constate que le budget du CIR se stabilise, après avoir fortement augmenté entre 2008 et 2012. Pour 2016, la dépense prévue est de 5,5 milliards d’euros, soit un montant similaire à celui de 2013. De même, le nombre de bénéficiaires du CIR se stabilise autour de 21 000 entreprises.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Les banques ne leur font pas crédit !
M. Michel Vaspart. Plusieurs de mes collègues l’ont précisé, notamment Francis Delattre : il ne s’agit pas uniquement de multinationales. Parmi elles, on dénombre certes de grandes entreprises, mais également des PME et des entreprises de taille intermédiaire, des ETI. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.)
Plus de 33 500 chercheurs ont été recrutés par les entreprises françaises entre 2008 à 2013. En Allemagne, ils n’ont été, au cours de la même période, que 22 800. En France, les investissements étrangers en recherche et développement ont, en outre, été trois fois plus élevés qu’outre-Rhin. Ils ont suscité la création de près de 9 300 emplois à haute valeur ajoutée.
Le même rapport ajoute qu’en 2014 les rectifications faisant suite à un contrôle fiscal ont, pour la première fois, connu une baisse.
On le sait, juste après la réforme de 2008, le crédit d’impôt recherche a pu être source de contrôles fiscaux : les entreprises et l’administration fiscale ont mis du temps à maîtriser ce dispositif.
L’effet de levier est, lui aussi, de plus en plus accentué. Pour un euro de CIR investi par l’État en 2013, les entreprises dépensent 1,63 euro en recherche et développement, contre 1,50 euro en 2012.
Enfin, je note que le gouvernement socialiste a choisi de préserver ce dispositif.
Lors de son audition par la commission d’enquête le 7 mai 2015, M. Eckert a dit tout le bien qu’il pensait du CIR. Le Gouvernement a même décidé d’en augmenter les fonds, témoignant ainsi tout son intérêt pour ce dispositif.
La position du Gouvernement a été réaffirmée par M. le secrétaire d’État au budget en novembre 2015. En réponse à une question d’actualité, il a déclaré : « L’outil du crédit d’impôt recherche remplit son objectif. Il est d’avoir un effet de levier sur la dépense de recherche des entreprises. »
J’ai voulu, sans succès, faire auditionner par notre commission d’enquête les représentants de l’entreprise Roullier. Cette société vient de faire le choix d’installer le centre de recherche et développement de son groupe à Saint-Malo,…
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. C’est une bonne chose !
M. Michel Vaspart. … ville de 50 000 habitants et qui a le dos à la mer. Dans des locaux sécurisés et entièrement neufs, ce sont quatre-vingts chercheurs qui viennent d’être recrutés, s’ajoutant aux effectifs déjà présents.
Ce choix d’implantation ne s’est fait que parce que la France a mis en place le CIR, lequel permet de rendre plus compétitif le coût de la recherche dans notre pays par rapport à d’autres États. Sans le CIR, c’est vraisemblablement en Amérique du Sud que ce centre aurait été ouvert. Au demeurant, les constructeurs automobiles français sont dans la même situation.
En conclusion, soutenir la recherche privée est une nécessité, tout autant que soutenir la recherche publique. Il est absurde d’opposer l’une à l’autre,…
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Qui fait cela ?
M. Michel Vaspart. … tant elles sont complémentaires et nécessaires à notre pays. Cela va sans dire, la recherche et le développement ne doivent pas être exclusivement publics ! (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.)
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
M. Michel Vaspart. Dans le monde si concurrentiel qui est le nôtre, il est fondamental que nos entreprises innovent, et il est tout aussi fondamental qu’elles soient soutenues. Sur ce front, la France a une longueur d’avance.
Monsieur le secrétaire d’État, voilà pourquoi nous ne pouvons que soutenir le Gouvernement lorsque le dispositif du CIR est non seulement maintenu mais conforté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur l’emploi scientifique.
En 2013, plus de 21 000 entreprises ont déclaré près de 20 milliards d’euros de dépenses en recherche et développement – soit une progression de 24 % depuis 2007 –, ce qui a entraîné l’inscription de 5,5 milliards d’euros de crédit d’impôt recherche au projet de loi de finances pour 2016.
La dépense publique se stabilise, mais l’effet de levier est en constante augmentation : pour 1 euro de CIR supplémentaire, il est passé de 1,15 euro en 2011 à 1,50 euro en 2012 pour atteindre 1,63 euro en 2013. Quant à l’intensité de la recherche et développement des entreprises, elle a atteint 1,46 % en 2014.
Un des freins à l’innovation souvent évoqué en France serait un trop faible recours des entreprises à la recherche publique et un taux d’intégration de docteurs trop bas dans leurs effectifs. La vocation du CIR est bien de favoriser la coopération entre recherche publique et recherche privée.
L’embauche de docteurs dans les entreprises, en évolution, tient aussi à la valorisation du diplôme : formation à la recherche et formation par la recherche, et contrats doctoraux équivalant à une première expérience professionnelle.
Les docteurs savent résoudre des problèmes complexes, inventer de nouvelles solutions, imaginer le futur, augmenter l’entropie des systèmes… Ils offrent une réelle capacité d’innovation pour la croissance et la compétitivité des entreprises.
Malgré cela, la reconnaissance et l’adéquation du diplôme de docteur, hors la recherche académique, reste un vrai sujet, et les études montrent qu’il y a peu de perméabilité entre les milieux.
Les jeunes docteurs français affichent encore une nette préférence pour la recherche académique ou publique et les entreprises continuent à recruter principalement des ingénieurs, même pour réaliser leurs travaux de recherche. Des titulaires du doctorat sont employés à 50 % dans la recherche publique et à 25 % dans la recherche privée, alors même que la stratégie de Lisbonne, à laquelle la France adhère, vise un partage « un tiers pour le public, deux tiers pour le privé ».
Dans un contexte de globalisation, où la concurrence internationale est vive, le CIR est très apprécié.
En Europe, eu égard au coût du chercheur, grâce au CIR, la France se compare favorablement à l’Italie, au Royaume-Uni, à la Belgique, à l’Allemagne, à la Suède, et la recherche reste plus coûteuse en Amérique du Nord qu’en France, où la progression de l’effectif des chercheurs en entreprise se maintient à un rythme fort.
Depuis 2008, malgré un environnement économique marqué par la crise, la progression, avec 33 000 chercheurs supplémentaires, est la plus forte d’Europe, devant l’Allemagne, qui n’affiche que 22 815 chercheurs supplémentaires recrutés. C’est la meilleure progression mondiale, avec celle de la Chine, de la Corée du Sud et des États-Unis.
Le CIR profite majoritairement aux entreprises manufacturières, même si la progression des services reflète l’évolution structurelle de l’économie.
L’ingénierie, le conseil, l’assistance numérique et informatique, le management, la gestion des ressources humaines servent de plus en plus la performance économique de l’industrie et justifient le recours à l’interdisciplinarité des chercheurs.
La loi de juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi ESR, a fait droit à un certain nombre d’attentes de la communauté universitaire, notamment en ce qui concerne le doctorat.
Le processus d’accès à un emploi stable, plus lent pour les docteurs que pour les titulaires d’un diplôme de master, fonde les revendications des représentants de jeunes chercheurs, ce qui a conduit à préciser la reconnaissance du doctorat dans la haute fonction publique et l’engagement d’un dialogue avec le patronat pour son inscription dans les grilles de compétences et de salaires.
Le CIR contribue à renforcer les relations entre les entreprises et la recherche publique, sans que se perpétuent les effets d’aubaines dénoncés. Depuis 2013, le nombre de rectifications après contrôle, notamment fiscal, a diminué significativement grâce à une meilleure éligibilité scientifique des entreprises et à un meilleur dialogue entre les experts mandatés.
Cependant, en nombre absolu, les PME ne sont pas encore suffisamment bénéficiaires du dispositif. À cet égard, il me semble que le recrutement d’un chercheur partagé par deux start-up constituerait un progrès pour celles-ci. Le fléchage d’incitation au CIR vers les filières porteuses, telles que l’écologie ou l’économie verte, stimulerait ces domaines et ouvrirait des débouchés vertueux.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez envisagé plusieurs éléments pour faciliter l’insertion des docteurs dans la fonction publique : concours d’agrégation réservé, place dans les recrutements de la fonction publique ou encore adaptation des modalités d’accès à l’ENA.
L’article 79 de la loi ESR prévoit la transmission annuelle au Parlement d’un rapport sur l’accessibilité des titulaires de doctorat aux emplois de catégorie A relevant du statut général de la fonction publique. La représentation nationale est dans l’attente de ce rapport.
Concernant l’emploi dans le secteur privé, Geneviève Fioraso avait lancé une mission sur la reconnaissance professionnelle du doctorat qui devait présenter le déploiement des dispositifs législatifs en mesures concrètes et préparer les négociations relatives aux conventions collectives. Le rapport n’a pas été rendu public.
Peut-on, monsieur le secrétaire d'État, être éclairé sur l’avancée des négociations avec les branches professionnelles ?
Un autre chantier pour l’insertion professionnelle des docteurs dans le privé repose sur une réforme programmée du diplôme de troisième cycle. En effet, si le nombre d’élèves ingénieurs augmente fortement, le nombre de doctorants ne croît lui que par l’augmentation des doctorants étrangers, qui constituent toujours 42 % du vivier. Ces évolutions du doctorat garantiraient aux postulants une formation de très haut niveau et une meilleure reconnaissance de leur diplôme, reposant sur des critères opérationnels efficients, remèdes à l’inemployabilité.
En conséquence et en application de la loi ESR, la révision des textes réglementaires relatifs à la formation doctorale s’impose.
Cette réforme d’un texte régissant le plus haut diplôme de l’Université nécessite à l’évidence un temps de concertation ! Où en est donc le calendrier de cette concertation qui doit stimuler l’employabilité des docteurs, en popularisant les acquis de la formation doctorale auprès des employeurs en termes de compétences transférables ?
Revaloriser le doctorat, faciliter l’accès des docteurs à la fonction publique, favoriser leur insertion professionnelle dans le secteur privé par une meilleure appréciation et des dispositifs fiscaux comme ceux dont nous débattons sont des solutions qui doivent ouvrir les débouchés aux titulaires de ce diplôme de troisième cycle et encourager les PME à recourir à eux.
Les investisseurs étrangers sont de plus en plus nombreux à choisir la France, comme en témoigne la forte augmentation du nombre des implantations de centres de recherche et développement – 72 en 2014 contre 21 en 2008 – réalisées grâce à des investissements étrangers. Ce résultat est la conséquence du talent de nos chercheurs et de nos universités ainsi que du partenariat entre la recherche publique et la recherche privée, stimulé notamment par le CIR, et des dispositifs fiscaux qui font que la France est très compétitive par rapport à certains pays émergents, comme Singapour, et réduit même son écart avec la Chine.
En conclusion, le CIR a certes pu faire l’objet de critiques justifiées, être suspecté de créer des effets d’aubaine et sembler manquer d’une efficacité probante, mais, au vu des observations de l’année 2015 comme des orientations de votre ministère et de l’attention soutenue du ministère de l’économie, notamment à travers la future loi #noé – pour autant que le volet « soutien à l’emploi scientifique » reste une vraie priorité dont les entreprises puissent mesurer l’intérêt –, l’année 2016 et les suivantes devraient permettre d’enregistrer les dividendes, sur les plans tant économique que scientifique et académique, d’un dispositif qui est parmi les plus incitatifs pour la recherche et l’innovation française, et qui nous est fortement jalousé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de ce débat sur les incidences du crédit d’impôt recherche sur l’emploi et la recherche dans notre pays.
Vous connaissez la position du Gouvernement à l’égard du CIR : il entend le stabiliser, mais la stabilité n’interdit pas, bien au contraire, que l’on s’interroge, que l’on analyse, que l’on évalue l’impact d’un dispositif budgétaire aussi important. Stabiliser celui-ci ne revient pas à dire « Circulez, il n’y a rien à voir » ; c’est prendre le temps de mesurer les impacts microéconomiques et d’en débattre, notamment au Parlement, dont il est bien naturel et dans ses prérogatives qu’il s’intéresse à une dépense fiscale de cette importance.
Afin que nous partagions le diagnostic, je voudrais reprendre plusieurs des éléments qui ont été évoqués et, en m’appuyant sur les nombreux rapports parlementaires et études publiés récemment, identifier quelques-unes des problématiques de moyen terme relatives au CIR.
La plupart d’entre vous l’ont souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, la recherche repose sur deux piliers, la recherche publique et celle des entreprises.
Notre pays, vous l’avez dit, se singularise par une répartition des dépenses de recherche dans laquelle la recherche publique a une part plus importante que dans la moyenne des pays de l’OCDE et, corrélativement, la recherche privée une part moins importante. Alors que nos dépenses de recherche atteignaient au total 2,28 % du produit intérieur brut en 2014, les dépenses de recherche publique représentaient 0,8 % de la richesse nationale, celles de recherche privée 1,48 %, contre plus de 2 % du produit intérieur brut en Allemagne, alors que les dépenses publiques y sont sensiblement comparables aux nôtres.
C’est une préoccupation. Des éléments d’analyse nous ont d’ailleurs été fournis dans ce débat, notamment dans la très fine intervention de Michel Berson. Il y a là une problématique très importante pour la structure économique et de l’industrie de notre pays.
Ce problème n’est pas nouveau. Je rappelle ainsi que c’est le gouvernement de Pierre Mauroy qui a créé le crédit d’impôt recherche en 1983 afin que les entreprises s’engagent davantage dans des activités de recherche et développement. À cette époque, les entreprises françaises consacraient 0,83% du produit intérieur brut à la recherche et développement quand les entreprises allemandes dépensaient 1,43 %, les entreprises américaines 1,24 %, les entreprises japonaises 1,62 %.
Aujourd’hui, donc plus de trente années plus tard, le niveau des dépenses de recherche privées a, heureusement, progressé en France, mais il a progressé partout ailleurs, de sorte que l’écart demeure entre la France et ses principaux partenaires, écart qui s’explique probablement, en effet, par une structure économique et de l’industrie différente de celles des pays que j’ai cités.
Le CIR est devenu le dispositif le plus important dont dispose l’État pour inciter les entreprises à accroître leur effort de recherche et développement. Il a subi plusieurs modifications importantes au cours de son histoire, la principale étant la réforme de 2008, qui a largement ouvert le dispositif, ce qui a conduit de nombreuses entreprises à déclarer des dépenses éligibles au CIR.
C’est, je l’ai dit, sur la base des nombreuses analyses et rapports parlementaires dont il a fait l’objet que je veux m’appuyer pour donner des éléments factuels qui nous permettent au moins de partager un diagnostic commun avant que, bien naturellement, les points de vue s’expriment.
Le montant de la créance était de 5,707 milliards d’euros en 2014, sur les dépenses 2013, en prenant en compte la nouveauté que fut le crédit d’impôt innovation, pour un montant de 74 millions d’euros. En déduisant ce nouveau dispositif, le CIR a atteint – je crois que nous sommes d’accord sur les chiffres – un montant de 5,567 milliards d’euros en 2014 contre 5,609 milliards d’euros en 2013.
Après avoir connu une croissance importante à partir de 2008, le dispositif semble donc être entré dans une phase de maturité et il ne progresse plus en montant.
Qui sont les bénéficiaires du CIR ? Son impact doit en effet aussi être analysé en fonction de la nature des entreprises bénéficiaires et de leur taille. On a dit trop souvent que seules les grandes entreprises étaient bénéficiaires du CIR. De fait, la réalité est bien plus nuancée.
On constate ainsi que des entreprises de toutes tailles, y compris les plus petites, bénéficient du CIR. Par exemple, plus de 6 000 entreprises de moins de dix salariés bénéficient du CIR, avec une créance moyenne de 50 000 euros.
Les entreprises de moins de 250 salariés représentent 31 % des dépenses fiscales au titre du CIR, alors qu’elles n’effectuent que 28,7 % des dépenses de recherche privée. De l’autre côté du spectre, les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés réalisent 39,5 % des dépenses de recherche privée et reçoivent 34,5 % du CIR. Cette différence s’explique notamment par le taux réduit de CIR au-delà du seuil de 100 millions d’euros.
Le CIR concerne donc bien les plus grandes entreprises, mais il exerce aussi un effet redistributif en direction des plus petites entreprises, qui bénéficient d’une part du CIR plus importante que celle de leur contribution aux dépenses de recherche.
Parmi les secteurs d’activité, l’industrie collecte 61 % de la créance, soit presque les deux tiers, contre 36 % pour les services, dont la majorité profite aux services informatiques, d’architecture et d’ingénierie.
Il est frappant que les dépenses de recherche et développement aient continué à augmenter dans notre pays, alors même que le poids du secteur industriel, qui en concentre la majorité, a fortement baissé entre 2002 et 2012, passant de 16,8 % à 12,5 % du PIB. On peut y voir là l’effet très puissant du crédit d’impôt recherche, qui s’ajoute à d’autres facteurs, comme la montée en gamme de la production.
L’impact du crédit d’impôt recherche se mesure, enfin, au travers du nombre des investisseurs étrangers, qui ont implanté des centres de recherche et développement en France. Le nombre de ces centres a augmenté, passant de quarante-cinq en 2012 à soixante-douze en 2014. Vous avez tous à l’esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, les noms d’investisseurs étrangers de renom qui ont choisi la France comme plateforme européenne de recherche et développement, notamment en raison de ce dispositif très attractif.